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Si vous prenez délibérément une attitude, une posture, en vue de méditer, cela devient un divertissement, un jeu de l’esprit. Si vous prenez la résolution de vous dégager de la confusion et de l’affliction du monde, cela devient une expérience imaginaire – et ce n’est pas de la méditation. L’esprit conscient ou l’esprit inconscient ne doivent y avoir aucune part ; on ne doit pas même se rendre compte de l’ampleur de la beauté de la méditation ; si l’on s’en rend compte, on peut aussi bien aller s’acheter un roman.
Dans l’attention totale de la méditation, il n’y a ni connaissance, ni récognition, ni le souvenir de ce qui a eu lieu. Le temps et la pensée sont entièrement parvenus à leur fin, car ils sont le centre qui limite sa propre valeur.
À l’instant où se fait la lumière, la pensée dépérit, s’éloigne, et l’effort conscient qui accompagnait l’expérience, ainsi que son souvenir, ne sont plus que le mot qui a été. Et le mot n’est jamais actuel. En cet instant-là – qui n’est pas dans le temps – l’ultime est l’immédiat, mais cet ultime n’a pas de symbole, et ne se rapporte à aucune personne, à aucun dieu.
Ce matin-là, surtout de si bonne heure, la vallée était extraordinairement tranquille. Le hibou avait cessé de huer et aucune réponse ne provenait de sa compagne, par delà les lointaines collines. Aucun chien n’aboyait, et le village n’était pas encore éveillé. À l’est il y avait une lueur, une promesse et la Croix du Sud n’avait pas encore disparu. Il n’y avait pas un seul murmure dans les feuilles, et la terre elle-même semblait avoir suspendu son mouvement. On pouvait percevoir le silence, le toucher, le sentir ; il avait cette qualité-là de pénétration. Ce qui était immobile ce n’était pas le silence extérieur, sur ces collines, parmi les arbres : on en faisait partie, on n’en était pas séparé. La distinction entre bruit et silence n’avait pas de sens. Et ces collines, sombres, sans un mouvement, étaient en lui, ainsi que vous l’étiez vous-même.
Ce silence était très actif. Ce n’était pas la négation du bruit, et, étrangement, ce matin-là, il était entré par la fenêtre comme un parfum et avec lui était venu un sentiment, une sensation de l’absolu. Comme vous regardiez par la fenêtre la distance entre toutes choses disparut, les yeux s’ouvrirent avec l’aurore, et virent un monde renouvelé.
« Ce qui m’intéresse, c’est la question sexuelle, l’égalité sociale, et Dieu. Ce sont les seules choses qui comptent dans la vie, il n’y en a pas d’autres. La politique, les religions avec leurs prêtres et leurs promesses, avec leurs rituels et leurs confessions, sont offensantes. En vérité, elles ne répondent à aucune question, elles n’ont jamais résolu aucun problème, et n’ont contribué qu’à les différer. Elles ont condamné le sexe de différentes manières, elles ont appuyé les inégalités sociales, et le dieu auquel elles pensent est comme une pierre qu’elles ont revêtue d’amour et de sentimentalité. Personnellement, je n’ai que faire de toutes ces questions. Je ne vous en parle que pour les écarter et pour que nous puissions nous occuper de celles qui m’intéressent : le sexe, la détresse sociale et cette chose qu’on appelle Dieu. Pour moi, l’activité sexuelle est aussi nécessaire que la nourriture. La nature a fait l’homme et la femme, et le plaisir de la nuit qui m’est aussi important que de découvrir la vérité qu’on pourrait appeler Dieu. Et il est tout aussi important de prendre part aux souffrances du voisin que d’aimer la femme avec qui l’on vit. La vie sexuelle n’est pas un problème. J’en ai du plaisir, mais il y a en moi la peur d’un certain inconnu, et c’est cette peur et cette douleur qu’il me faut comprendre – non en tant que problème à résoudre, mais comme quelque chose que je dois pénétrer afin de m’en purifier. J’aimerais donc, si vous en avez le temps, considérer ces questions avec vous. »
Pouvons-nous commencer par la dernière, et non par la première, afin de comprendre les autres plus profondément, peut-être, alors, auront-elles un contenu autre que celui que peut donner le plaisir ?
Voulez-vous affermir votre croyance ou voulez-vous réellement voir la réalité – non pas en faire l’expérience, mais la voir vraiment, avec un esprit et un cœur intensément attentifs et clairs ? Croire est une chose et voir en est une autre. La croyance mène aux ténèbres, ainsi que la foi. Elle vous conduit à l’église, dans les temples obscurs et vers les sensations agréables des rituels. Le long de cette voie il n’y a aucune réalité, il n’y a que des mirages, ces produits imaginaires qui remplissent les églises.
Si vous niez la peur, aucune croyance n’est nécessaire, mais si vous vous accrochez à des croyances et à des dogmes, la peur reprend le dessus. Les croyances ne sont pas nécessairement dictées par les religions ; elles se produisent alors même que l’on n’appartient à aucune d’elles. Vous pouvez avoir votre croyance personnelle, exclusive, mais ce n’est pas la lumière de la clarté. La pensée s’appuie sur la croyance afin de se protéger de la peur qu’elle a engendrée. La pensée ne libère pas l’attention qu’il faut pour voir la vérité.
L’immesurable ne peut pas être recherché par la pensée, car la pensée a toujours une mesure. Le sublime n’est pas inclus dans la structure de la pensée et de la raison ; il n’est pas un produit de l’émotion et des sentiments. Nier la pensée c’est prêter attention, et cette négation de la pensée est amour. Si vous êtes à la recherche du suprême, vous ne le trouverez pas, il vient à vous si vous avez de la chance – et la chance est la fenêtre ouverte de votre cœur, non de la pensée.
« C’est plutôt difficile, n’est-ce pas ? Vous me demandez de renier toute ma structure intérieure, le moi que j’ai nourri et entretenu avec tant de soin. J’avais pensé que la présence de ce qu’on pourrait appeler Dieu serait un plaisir éternel. C’est ma sécurité, en elle est toute mon espérance et ma délectation ; et maintenant vous me demandez de rejeter tout cela. Est-ce possible ? Et est-ce que je le désire réellement ? Et aussi, n’êtes-vous pas en train de me promettre une récompense, si je mets tout cela de côté ? Bien sûr, je vois que vous ne m’offrez pas vraiment une récompense, mais puis-je en toute réalité – non seulement en paroles – éliminer complètement tout ce pour quoi j’ai toujours vécu ? »
Si vous essayez de l’éliminer délibérément, vous vous aventurez dans un conflit, une douleur, une détresse sans fin. Mais si vous voyez ce sur quoi vous vivez, dans sa réalité, tout comme vous voyez la vérité de cette lampe, sa lumière vacillante, la mèche et le pied en cuivre – vous aurez fait un pas dans une autre dimension. En cette dimension, l’amour n’a pas de problèmes sociaux, il n’y a aucune division de races, de classes, ou de capacités intellectuelles. Seuls évoquent la nécessité de l’égalité ceux qui se situent dans l’inégalité. L’homme supérieur a besoin de conserver sa séparation, sa classe, sa façon d’être. Et l’inférieur s’efforce sans cesse de devenir le supérieur, l’opprimé de devenir l’oppresseur. Donc, simplement légiférer – bien que les lois soient nécessaires – ne met pas fin à ces conflits et à leur cruauté, pas plus qu’à l’opposition entre votre travail et votre situation. Nous mettons à profit le travail en vue d’acquérir un certain statut, et tout le cycle de l’inégalité commence. La société ne parvient pas à résoudre ses problèmes au moyen de la morale qu’elle invente. L’amour n’a pas de morale et ne réforme pas la société. Lorsque l’amour devient plaisir, la douleur est inévitable. L’amour n’est pas une pensée et c’est la pensée qui engendre le plaisir – en tant que plaisir sexuel ou que plaisir d’une réussite. En pensant au plaisir du moment vous l’amplifiez et lui donnez une continuité. Cette continuité vitalise le plaisir de l’instant qui suit. Cette quête du plaisir est ce que nous appelons la vie sexuelle, n’est-ce pas ? Beaucoup d’affection l’accompagne, de tendresse, d’attention, d’intimité dans les rapports, etc. mais tout cela est tissé de souffrance et de peur. Et la pensée, par son activité, fait que ce réseau ne peut être rompu.
« Mais vous ne pouvez pas séparer le plaisir et le sexe ! Je vis de ce plaisir, je l’aime. Pour moi, il est beaucoup plus important que l’argent, la situation, ou le prestige. Je vois aussi que le plaisir s’accompagne de souffrance, mais peu m’importe, puisqu’il prédomine. »
Lorsque s’épuise le plaisir où vous vous complaisiez – à cause de l’âge, par accident, ou par l’usure du temps – vous voilà en peine ; alors la douleur est votre ombre. Mais l’amour n’est ni un plaisir, ni un produit du désir, et voilà pourquoi, Monsieur, il faut entrer dans une autre dimension. En elle, se résolvent nos problèmes et toutes nos disputes. Sans elle, quoi que vous fassiez, vous serez dans la douleur et dans la confusion.