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Nous avons sécurisé la zone où se trouve le Hutt, monsieur. Le Sénateur Amidala est indemne et elle retourne au Sénat avec son droïde protocolaire. Nous retenons le Seigneur Ziro en détention provisoire. Il prétend que le comte Dooku l’a contraint à enlever le fils de Jabba. Aucune victime – sauf si l’on compte les droïdes, bien entendu.

Commandant-clone Fox, rendant compte d’une évacuation d’otage réussie au QG de la GAR

Palais de Jabba, Tatooine

— Seigneur Jabba, nous avons repéré Skywalker, déclara le capitaine des gardes Nikto en arrivant précipitamment. Il approche du palais en speeder. J’ai positionné des snipers sur le toit. Pouvons-nous tirer à vue, monseigneur ?

Jabba se concentra pour ne pas laisser le chagrin le submerger. La colère était un bon antidote provisoire, un bref répit de froide concentration.

— Non, amenez-le-moi vivant, dit-il. Je veux qu’il me dise ce qu’il a fait du corps de mon fils. Après ça, je prendrai mon temps pour le tuer. J’y passerai peut-être quelques semaines. Et ensuite le sarlacc prendra quelques milliers d’années pour le digérer. Non, je ne lui ferai pas grâce d’une mort rapide.

Son entourage au grand complet était présent. Il avait envie d’aller se terrer dans un coin sombre et de hurler jusqu’à ce que l’insupportable sensation de vide dans sa poitrine s’estompe, mais il devait se montrer fort et toujours aussi maître de la situation. Au moindre manquement à cette contenance, les familles kajidics, et par voie de conséquence la société hutt, basculeraient dans le chaos et les Hutts s’en trouveraient affaiblis. Il avait besoin d’un public pour témoigner que, même dans les épreuves les plus sombres, il restait le chef.

Un joueur de pipeau nerrien interprétait un chant funèbre. Le berceau de Rotta, vide, était poussé sur le côté de l’estrade. Bientôt Jabba entendit les pas des droïdes, et TC-70 apparut, un sabre-laser à la main.

— Skywalker a remis son arme sans se battre, monseigneur, dit-il. Il a demandé après sa Padawan.

Des pas de Niktos et d’humains retentirent dans le couloir. Skywalker entra avec une sorte de décontraction peu appropriée pour un condamné à mort, et regarda autour de lui comme s’il cherchait quelque chose.

Ses yeux parurent s’arrêter une seconde sur le berceau vide, puis il découvrit le joueur de pipeau.

— Seigneur Jabba, où est ma Padawan ?

Il s’exprimait dans un hutt teinté du fort accent de Mos Espan.

— Où est votre fils ?

Le musicien s’interrompit au beau milieu du refrain. Jabba n’osait même pas regarder le Jedi de crainte que sa rage n’explose et lui fasse perdre ses moyens.

— Mon fils… est là où tu as abandonné son cadavre, immonde assassin.

— Votre fils est vivant, à moins que les MagnaGardes de Dooku ne l’aient tué, et ma Padawan avec lui. Elle vous l’amenait… et elle devrait être ici à l’heure qu’il est.

Jabba se pencha en avant.

— Si tu étais n’importe quel imbécile humain, je considérerais ton piètre mensonge comme une simple preuve de bêtise. Mais toi tu nous connais, Skywalker, parce que tu as grandi ici, tu étais un shag, un esclave ordinaire, et donc tu sais que tu m’insultes dans mon chagrin.

Skywalker s’immobilisa un instant, cligna des yeux, puis tendit la main. Le sabre-laser que tenait TC-70 vola à travers la salle pour revenir dans sa paume, et en quelques secondes les gardes Nikto, comme balayés par une poigne invisible, allèrent s’aplatir contre le mur. Skywalker activa son arme et repoussa les décharges de blaster avant de bondir sur l’estrade et de placer la lame lumineuse sur la gorge de Jabba.

Jabba aurait dû sortir de ses gonds, toutefois un bref instant il songea que, ce serait ainsi une miséricordieuse fin à son martyre. Mais le naturel revint au galop. Il fit ce qu’il avait toujours fait : il demeura impassible, dans une attitude chargée de défi. Les Hutts n’avaient pas la possibilité de fuir, aussi avaient-ils hissé leur vaillante provocation au rang de véritable tactique.

— Ainsi Dooku avait raison, dit-il. Tu as tué mon fils, et maintenant tu es venu me tuer aussi.

Il savait que les gardes Nikto ne pouvaient pas ouvrir le feu. Ils risquaient de l’atteindre, lui, et Skywalker pouvait le tuer aussi rien qu’en déviant les rayons. L’assemblée tout entière se figea.

— Non, je ne suis pas venu vous assassiner.

Skywalker le regarda dans les yeux, et Jabba put voir que cela exigeait un gros effort de sa part.

— Je suis ici pour négocier.

— Et ensuite tu mourras tout de même, shag.

— Quelque part dans le désert, ma Padawan essaie de vous ramener Rotta. Je sais qu’elle a été attaquée par des MagnaGardes. J’ai dû me battre contre Dooku pour arriver jusqu’ici. Au lieu de laisser vos gros bras se tourner les pouces, pourquoi est-ce que vous ne les envoyez pas plutôt la chercher ?

— Qui essaies-tu encore d’embobiner, Jedi ?

Skywalker ne pourrait pas rester planté là indéfiniment.

Il avait dû se douter qu’il aurait tôt ou tard le dessous, et donc il essayait de gagner du temps. Jabba ne craignait pas la menace qu’il représentait. À cet instant, il n’y avait tout bonnement pas de place en lui pour la peur.

— Gardes, dit-il. Allez voir si les renforts du Jedi arrivent. Et tuez-les.

Il tourna la tête vers Skywalker, essayant de saisir ce qui, dans ce visage humain, expliquerait qu’il ait pu tuer un enfant. Les humains – la plupart des espèces sensibles, en fait – étaient désarmés par tout ce qui était petit et sans défense, même s’il s’agissait d’une autre espèce. Cela relevait d’un instinct très primitif. Jabba éprouvait lui-même une certaine attirance pour les bébés humains – jusqu’à ce qu’ils grandissent, évidemment.

Mais Skywalker était un tueur d’enfants. Ce qui le rendait dangereux et différent. Jabba se consolait en songeant à la facilité avec laquelle les humains se brisaient, et aux innombrables façons dont il pouvait les briser.

Les minutes s’égrenèrent.

Le sursis de Skywalker se réduisait comme une peau de chagrin. Jabba pouvait voir la sueur perler sur sa lèvre supérieure.

— Mon Seigneur Jabba !

La voix du garde monta du bout du couloir, et, toutes proportions gardées s’agissant d’un Nikto, il avait l’air excité.

— La Jedi est ici avec son droïde ! Elle l’a avec elle ! Ce n’est pas une bombe !

Elle a qui avec elle ?

Il fallut quelques secondes à Jabba pour comprendre. Lentement, il tourna la tête, se raidissant contre l’inévitable plongeon dans une désolation plus grande encore si cet espoir se révélait chimérique. C’était impossible. Ça ne pouvait pas être ça.

Une toute petite femelle togruta – ébouriffée, zébrée de traces noirâtres laissées par les décharges de blaster, et couverte de sable – trébucha dans la salle avec un paquet dans le dos qui semblait trop lourd pour elle. Elle se déhancha, à deux doigts de basculer, alors qu’elle posait son fardeau sur l’estrade.

Ce n’est pas une bombe.

— Bien joué, Chipie, dit Skywalker qui exhala un long soupir en désactivant son sabre-laser. Tu n’as pas l’air en forme.

La Togruta démaillota le paquet, et Jabba ne put tout à fait maintenir son imperturbable dignité ; elle s’effrita, mais il se ressaisit aussitôt.

— Mon… fils, dit-il.

Rotta gazouilla et poussa un petit cri joyeux en reconnaissant sa voix.

— Donne… Donne-le-moi.

TC-70 intervint.

— Le Seigneur Jabba demande que vous lui apportiez son fils.

Ce qu’elle fit. Ce dernier effort semblait être au-dessus de ses forces, mais elle parvint tout de même à lui mettre Rotta dans les bras. Son fils était plus léger et quelque peu amaigri, mais il était vivant. Il était sain et sauf.

— Et voilà, Petit Putois, dit-elle en lui adressant un grand sourire. Tu es de nouveau en sécurité avec papa. Tu me manqueras.

Jabba aurait volontiers répondu dans son langage, en basic, mais il avait une image à préserver. C’était son monde à lui. Et chez lui, c’étaient les étrangers qui parlaient sa langue. Pas l’inverse.

La cour parut respirer de nouveau. Le joueur de pipeau s’empressa d’entonner quelque chose de plus gai, et les serviteurs bavardèrent entre eux avec excitation.

Jabba avait récupéré son fils. Il avait encore du mal à le croire. Dooku l’avait roulé dans la farine, mais les Jedi aussi. Ils étaient tous les mêmes, ces humains, ils n’en avaient qu’après ses bonnes grâces et ce qu’ils pouvaient en tirer dans leurs incessantes chamailleries. Pas question pour lui de laisser son soulagement ramollir sa coutumière intransigeance en affaires. Pas encore.

— À présent, Jedi, dit-il, vous allez tout de même mourir.

Anakin aurait dû s’en douter. Il faudrait plus que des retrouvailles pathétiques – si les Hutts possédaient toutefois cette profondeur de sentiment – pour faire entendre raison à Jabba.

— OK, c’est avec moi que vous avez un problème, dit-il. Laissez Ahsoka repartir avec mon astromec. Elle a sauvé votre fils des dizaines de fois depuis qu’on l’a retrouvé sur Teth. Franchement, elle ne mérite pas ça.

Les yeux d’Ahsoka passaient d’un visage à l’autre. Elle ne parlait pas le hutt et n’avait aucune idée de ce qu’il se passait, sinon qu’ils n’étaient pas au bout de leurs problèmes. On aurait dit qu’elle avait affronté une armée entière à elle toute seule. Les MagnaGardes n’étaient pas des droïdes de combat, et Anakin n’en revenait pas qu’elle soit encore vivante.

Elle a sauvé Rotta. Au bout du compte, c’est elle qui l’a sauvé, et pas moi. Je suis incapable de sauver qui que ce soit, même en me défonçant.

— Dites au Seigneur Jabba, dit-elle à TC-70, qu’il faudrait que je parle au Sénateur Amidala. J’ai reçu un message com quand le brouillage a cessé. Le général Kenobi disait que le Sénateur avait besoin de lui parler de toute urgence de son oncle Ziro. Il a été arrêté.

Jabba s’empara de son comlink sur l’estrade avant que TC-70 ait eu besoin de traduire. Ainsi Jabba comprenait fort bien le basic ; Anakin en prit bonne note. Il avait toujours soupçonné que ce fût le cas. Mais son angoisse, à cet instant, était si intense que même la mention du Sénateur Amidala ne suffit pas à apaiser les battements sourds de son cœur.

Padmé. Ma femme. Hé, c’est ma femme !

L’hologramme de Padmé apparut aussitôt. De toute évidence, elle avait attendu impatiemment cet appel.

— Seigneur Jabba.

Elle inclina la tête, en excellente diplomate qu’elle était.

— Votre oncle Ziro a été arrêté après avoir organisé avec le comte Dooku le kidnapping de votre fils dans le but de vous détrôner, cela en incriminant les Jedi afin de saboter vos négociations avec la République.

— Prouvez-le, dit Jabba.

— Vous pouvez parler à Ziro lui-même dès maintenant, Seigneur Jabba ; je suis dans sa cellule de détention.

Padmé sortit du cadre de l’image et fut remplacée par l’hologramme du Hutt.

— Tu ferais mieux d’avoir une version convaincante, Ziro… gronda Jabba.

Ziro se mit à supplier d’entrée de jeu.

— Mon neveu, je n’aurais jamais fait de mal à Rotta ! Dooku m’a obligé à le faire ! Il m’a menacé, il a dit qu’il me tuerait si…

— Tu aurais dû le laisser faire, le coupa Jabba. Parce que quand je te tiendrai, tu comprendras qu’un Hutt ne trahit pas un autre Hutt. J’en ai vu assez. Laisse-moi parler de nouveau au Sénateur.

Padmé réapparut. Anakin se glissa à la périphérie du champ de transmission afin qu’elle puisse le voir. Elle sourit, un peu distante, mais il savait qu’elle ne pouvait sur le moment sortir de son rôle de politicienne. Leur mariage devait rester secret, et pour leur bien à tous les deux.

— Général Skywalker, dit-elle avec un nouveau hochement de tête. Merci de nous avoir aidés à résoudre cette énigme.

— Et merci à vous, Sénateur, répondit-il avec, il l’espérait, une expression de guerrier endurci.

À voir la tête d’Ahsoka, cependant, c’était plutôt raté. Mais ce n’était pas de la tarte, non plus, de croire sa dernière heure arrivée et de voir brusquement l’amour secret de sa vie intervenir, tout ça sans rien laisser paraître de son émotion.

— La Padawan Tano, le Capitaine Rex et la Compagnie Torrent de la 501e ont tous contribué au succès de la mission.

Et Padmé va tout mettre en œuvre pour nous sauver.

Elle arbora de nouveau son sourire très professionnel, mais il eut presque l’impression de capter le clin d’œil télépathique qu’elle lui adressait.

— Seigneur Jabba, peut-être pourrions-nous à présent conclure un accord pour l’ouverture de vos routes au trafic militaire de la République, et mettre par la même occasion un terme à cette guerre…

TC-70 traduisit. Jabba, qui faisait sauter Rotta sur son ventre comme un humain l’aurait fait sur ses genoux, partit de son rire bruyant qu’on n’avait pas entendu depuis si longtemps.

— Dis au Sénateur que c’est d’accord. Et je veux que Dooku soit traduit en justice, aussi.

À cet instant seulement, Anakin comprit qu’il pouvait sans danger laisser tomber l’adrénaline et s’effondrer sur l’estrade. Il s’efforça néanmoins de descendre dignement, fit signe à Ahsoka de le suivre, et sortit de la salle pour aller retrouver R2-D2.

S’il devait jamais remettre les pieds sur Tatooine, ce ne serait certainement pas de son plein gré.

Vaisseau de Dooku quittant l’espace hutt

Dooku s’attendait à une sévère remontrance de Sidious, qui n’arriva jamais. L’hologramme du Seigneur Sith écouta le récit de son échec comme s’il s’agissait d’un incident de parcours anodin.

— Maître, j’ai le regret de vous annoncer que les Jedi ont réussi, et qu’ils ont désormais passé un accord avec les Hutts, dit Dooku. Ce qui rendra la Bordure Extérieure bien plus difficile à conquérir.

— Vous connaissez je suppose cette maxime selon laquelle on peut perdre une bataille sans pour autant perdre la guerre, n’est-ce pas, comte Dooku ?

— Oui, Maître.

— Alors permettez-leur cette victoire. Elle ne représentera qu’une très petite différence dans la marche générale de la guerre. Et cela exercera une plus grande pression sur leurs forces. Sans compter que cela les rend trop confiants, aussi. En fait, ce succès dérisoire pourrait bien apparaître comme l’origine de leur chute quand viendra l’heure, d’ici quelques années, de faire le récit historique de cette guerre.

Dooku l’avait envisagé, mais comme une consolation. À entendre Sidious, tout semblait avoir été prémédité.

— Vous êtes très indulgent, Maître.

— Non, comte Dooku. Je suis très pragmatique.

L’hologramme s’évanouit. Dooku était assis devant son bureau d’apocia dans le compartiment sombre qui, s’il ignorait la console clignotante sur la paroi, aurait pu être le cabinet de travail d’un grand château.

Galidraan lui revint une fois de plus à la mémoire, enneigé et lourd d’accusation. Et Dooku, se retrouvant une fois de plus dans cette autre bataille féroce qui s’était achevée d’une façon totalement inattendue pour lui, se répéta la question : Qu’avons-nous fait ?

Il avait fait son devoir.

Et il le ferait encore. Il le ferait jusqu’à son dernier souffle, jusqu’à ce que les Jedi soient détruits, jusqu’à ce que Mustafar elle-même soit enrobée d’une gangue de glace blanche, comme Galidraan.