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Si on ne peut pas les arrêter, alors on les retarde aussi longtemps que possible, et ensuite on s’assure qu’ils devront ramper sur nos corps. Ça a été un honneur de combattre avec vous, messieurs.

Capitaine-clone Rex, CC-7567, 501e Légion, Grande Armée de la République, à la compagnie Torrent

Entrée du monastère

L’effectif. C’était uniquement une foutue question d’effectif, et Rex n’avait pas ce qu’il fallait.

Il n’y eut pas d’ordre de tirer. Ses hommes savaient ce qu’il attendait d’eux. Ce serait une bataille en espace fermé, où tous les coups étaient permis. Quand la porte disparut dans le plafond, une marée de métal sable se précipita à l’intérieur.

Leur seule réponse possible fut d’ouvrir le bal avec tout ce qu’ils avaient dans le ventre et d’arroser les boîtes de conserve jusqu’à la panne sèche de munitions.

Le boucan fut assourdissant jusqu’à ce que les tampons du casque de Rex se mettent en place. Ce qu’il voyait à travers son viseur – les décharges de lumière blanche éblouissante des blasters et des grenades perdaient sur-le-champ leur intensité grâce à l’interface optique qui lui protégeait les yeux –, c’étaient ses hommes qui n’étaient plus que réflexes. C’était pour cela qu’ils s’étaient entraînés chaque jour de leur vie.

Et aujourd’hui, c’était celui où ces vies arrivaient à leur terme.

Son casque pouvait atténuer les décibels des sources externes, mais tant que son circuit comlink était ouvert, il ne pouvait échapper aux plaintes, aux cris et aux halètements de ses hommes.

Une vague de droïdes se prit les pieds dans le fil que Ged avait tendu à quelques pas de la porte. Les détonateurs thermiques scotchés sur les deux murs explosèrent vers l’intérieur et écrasèrent ce qu’il restait de droïdes sous une pluie de gravats. On aurait dû faire ça d’entrée de jeu. On aurait dû démolir les dix premiers mètres du passage et les obliger à creuser pour nous trouver. Mais il était trop tard pour ça maintenant, et ce fut au tour des super-droïdes de combat, bras-blasters tendus et mitraillant, de débarquer à la suite de leurs petits frères. Des droïdes-araignées se précipitèrent devant eux et ouvrirent le feu avec leurs canons-laser. Les décharges frôlèrent Rex de si près que ses capteurs endommagés détectèrent le sifflement et les craquements de l’air surchauffé avant qu’elles aillent percuter quelque chose derrière lui.

Quelque chose. Mes garçons.

Chaque détonation était d’autant plus meurtrière qu’elle se produisait en espace restreint. La fumée était maintenant si dense que Rex avait recours au système visuel thermique de son affichage. Il regarda les énormes poutres qui soutenaient le plafond et la partie voûtée au-delà, et sut qu’il n’avait pas la puissance de feu nécessaire pour les faire s’effondrer sur les casseroles. Il n’avait d’autre choix que de viser et de tirer sur tout ce qui arrivait sur lui.

Il vit Ged tomber, puis Hez et trois autres de son équipe. Un soldat qui descendit un droïde à bout portant fut décapité par un fragment métallique tranchant comme un scalpel qui jaillit du robot explosé. Coric, attaqué alors qu’il rechargeait, brandit son DC comme une matraque, et Rex releva le sien pour balancer une tapée de décharges dans le droïde. Peut-être avait-il sauvé la vie de Coric, il n’eut pas le temps de le voir ; il se retrouva brusquement sur le dos, à moitié assommé par quelque chose de bien plus lourd que lui, et sa réaction viscéralement programmée fut de dégainer une arme de poing et d’en vider le magasin dans la silhouette sombre penchée au-dessus de lui.

Tout se passait si vite qu’il avait tout juste le temps de laisser son corps réagir, et cependant, comme toujours, ce qu’il pouvait voir se déroulait au ralenti, dans le brouillard, sauf certains détails qu’il percevait de façon si intense qu’il en resterait marqué à vie.

La lueur ardente dans son dispositif infrarouge l’informa qu’il avait heurté quelque chose. Et puis il sentit un poids énorme lui écraser la poitrine, lui couper le souffle, immédiatement suivi d’une douleur intense, comme une lame enfoncée dans ses côtes. Non, ce n’était pas ça ; il avait déjà été poignardé, et la sensation était celle d’un coup de poing, rien de tranchant. Mais pourquoi se posait-il des questions aussi idiotes que ça ? Il était en train de mourir. Et ça ne correspondait pas à ce qu’il avait imaginé.

— Coric ! appela-t-il. Coric ?

Si Coric pouvait l’entendre, il ne répondit pas. Son casque s’emplit de silence étouffé, et il avait beau essayer de bouger, il se sentait cloué au sol.

Non. Ce n’était vraiment pas comme ça qu’il avait imaginé sa mort.

Salle du trône abandonnée, dans les profondeurs du monastère

Le vacarme infernal des explosions faisait sauter Anakin, même dans leur chambre forte. Pas besoin d’être sur place pour ressentir la mort, la douleur et la peur ; elles déchiraient la trame de la Force, et cela ne pouvait venir que de la mort d’êtres vivants, pas des droïdes.

Je regrette, Rex. Je regrette tellement.

— Les droïdes ont franchi le barrage, dit-il. Grouille-toi, R2. On a encore une mission à accomplir. Ahsoka, tu es prête à sortir ?

Elle remonta le sac à dos sur ses épaules et rattacha le harnais. Rotta parut se réveiller ; il cligna des yeux, gargouilla.

— Hé, mais tu es de nouveau avec nous, mon Petit Putois.

Elle se tordit le cou pour le voir.

Ça t’a fait du bien, ton petit dodo ?

— Arrange-toi pour ne pas nous claquer dans les doigts, dit Anakin.

Il venait probablement de perdre toute une compagnie rien que pour sauver cette boule puante. Il s’interrogea sur la réelle importance des routes donnant accès à la Bordure Extérieure, se demanda si une réflexion un peu plus stratégique aurait pu résoudre le problème de ravitaillement. Mais de toute façon, il était trop tard, maintenant.

— Plus vite on pourra se débarrasser de toi, mieux ce sera.

Ahsoka eut un léger froncement de sourcils.

— Je me doute que vous avez de bonnes raisons de haïr les Hutts, comme tout le monde, mais je ne vois pas ce que vous pourriez reprocher à Rotta. C’est un bébé. Son seul crime c’est d’être une limace.

— Je suis certain qu’il se rattrapera dès qu’il sera en âge.

Anakin n’était pas d’humeur à discuter la question des espèces et de leurs particularités. Le petit Hutt était encore en vie, mais la majorité de ses soldats ne l’étaient plus. Ils y étaient peut-être même tous passés. Le pire, c’est que ce bref instant de relâchement de la pression fut comme une brèche où revinrent s’engouffrer toutes ses autres pensées détestables, tous ses souvenirs effroyables.

— Ecoute, j’accomplis mon devoir, mais je me réserve le droit de penser que tout ça ne valait peut-être pas le prix qu’il faut payer, que tout ce sang ne valait peut-être pas la peine d’être versé.

— Si ça veut dire que nous pourrons nous battre plus efficacement, est-ce que ça ne sauve pas des vies ?

— Si on copine avec le crime organisé, et qu’on ferme les yeux sur les revenus que nos alliés tirent de l’esclavage, du trafic de drogue, du racket et du meurtre, alors pour quoi exactement est-ce qu’on se bat ?

Ahsoka le considéra de ses yeux écarquillés.

— C’est un test ?

— Non, c’est juste la colère qui m’étouffe.

R2-D2 se mit à biper frénétiquement. Il exultait. Il avait trouvé ce qu’il cherchait. Anakin en perdit miséricordieusement le fil de ses pensées, et il se concentra sur le plan holographique proposé par le projecteur du droïde astromec.

On y voyait un réseau de passages menant à l’extérieur du monastère. Mais mieux encore, il y découvrit une plate-forme d’atterrissage qui saillait du versant abrupt de l’escarpement, à quelque distance du sommet et accessible par l’arrière.

— C’est idéal pour fait atterrir un larty, dit-il. R2, c’est toi le navigateur ; tu vas nous mener là-bas et je lancerai un appel pour qu’on vienne nous chercher.

— Tu rentres chez toi, Petit Putois, murmura Ahsoka au bébé. Accroche-toi. Tu vas bientôt revoir ton papa.

— Petit veinard, marmonna Anakin avec amertume.

Ce n’était pas l’attitude attendue d’un général, il en avait conscience. Et il était un bien piètre exemple pour une Padawan. Mais à vingt ans, il avait vécu plus de choses que beaucoup en toute une vie, et n’avait que rarement connu cette insouciance si naturelle chez les garçons de son âge.

Et Rex et ses hommes ont connu encore moins que ça. Au moins, moi, j’ai Padmé. De quoi est-ce que je me plains ?

C’était trop bête. Il était l’Élu, il était un Jedi, mais ce n’était pas lui qui décidait. Il avait un destin. Et quelquefois c’était dur d’accepter sans se plaindre, sans colère, sans frustration, et sans se poser une liste toujours plus longue de questions qui restaient sans réponses.

— En route, R2, dit-il. Prochaine étape : Tatooine.

Monastère, passage de l’entrée

Rex ignorait quand et comment il avait été libéré du poids sur son torse, mais il était bel et bien parti, et il pouvait respirer de nouveau.

De deux clignements d’yeux, il régla son viseur sur la vision normale. Soit il était mort, et alors la mort ressemblait drôlement à la vie, soit il avait survécu. Il lui fallut un moment pour comprendre qu’il était appuyé contre le mur sur une couche de débris.

Des icônes de biosignes clignotaient sur son affichage ; cinq de ses hommes étaient encore en vie.

Oui, je suis vivant. Bien vivant. Vous auriez dû m’achever quand vous en aviez l’occasion, saletés de ferrailles…

Mais pas question de se remettre debout pour se rejeter dans la bagarre. Il lui fallait d’abord évaluer la situation.

— Personne ne bouge, dit-il.

Dans l’intimité de son casque, il pouvait parler à ses hommes sans être repéré.

— Répondez si vous m’entendez.

— Bien reçu, monsieur.

— Oui, monsieur.

— Je vous entends, monsieur.

— Vous reçois cinq sur cinq, monsieur…

Coric. Il s’en était sorti.

— J’ai juste quelques bleus.

— Moi aussi, monsieur.

— CT-neuf-trois-deux, monsieur.

Indépendamment du nombre de droïdes encore sur pied, Rex se sentit de nouveau maître de la situation.

— Ceux qui sont incapables de bouger ou de se servir d’une arme, annoncez-vous.

Il perçut un bruit de respiration dans son circuit audio, rien d’autre.

— OK, on va se livrer à une petite évaluation dynamique des risques. Vous me suivez. Dès que c’est possible, on fonce vers la cour, on attrape toutes les armes qui traînent et on redescend en rappel dans la jungle.

Il eut droit à un chœur d’approbations marmonnées. À l’entendre, ce serait un jeu d’enfant. Alors qu’il était là, affalé, il vit une paire de bottes et le bord dansant d’une tunique s’avançant vers lui tranquillement, accompagnées de deux jambes de droïde. La portée optique de son affichage lui offrait une vue panoramique sans qu’il eût besoin de bouger la tête. Jouant les macchabées, il ajusta sa vision par quelques mouvements oculaires et découvrit un droïde de combat en uniforme de commandant, et une femme au crâne rasé en tenue noire, l’air revêche, avec à la main ce qui ressemblait à un sabre-laser.

Très réussie, la coiffure, mon ange, mais quelque chose me dit que tu n’es pas une Jedi.

Il savait qui elle était. Sa banque de données proposait une belle galerie de portraits des renégats séparatistes, et Asajj Ventress, la tueuse de Dooku, était l’une des plus faciles à identifier parmi ces salopards.

— On se tient prêts, murmura-t-il.

Il prit le risque de supposer que le reste des droïdes était parti devant. Très lentement, il attrapa son arme de poing. Le droïde d’abord, ou Ventress ? Il opta pour le droïde, visa et lui fit exploser la tête, puis se tourna vers Ventress…

Il aurait incontestablement dû s’occuper d’elle en premier.

Dans la fraction de seconde qu’il lui fallut pour changer de cible, elle activa son sabre-laser et dévia sa décharge. Et subitement, son arme lui fut arrachée du poing par une Force invisible, et il fut lui-même soulevé par la gorge. Le bord de son casque prit le plus gros de la pression, encore heureux, parce qu’il était sûr que, dans le cas contraire, il en aurait eu la nuque brisée.

Sans même avoir besoin de le toucher, Ventress lui compressait le cou.

Je ne réitérerai pas cette erreur. Personne ne bouge… Gardez votre sang-froid…

— Capitaine… dit Ventress. Quel miraculeux retour parmi les vivants. Où est votre général ?

— Lequel ?

— Ne jouez pas au plus fin avec moi. Vous savez très bien de qui je parle. Skywalker. Je sais qu’il est ici.

— Je ne l’ai pas vu depuis que la fusillade a commencé.

— Au moins vous ne mentez pas.

— Je ne parle pas non plus…

Elle eut un bref ricanement de surprise.

— Pourquoi gâchez-vous vos vies pour ces pourris de Jedi ?

Sa prise se resserra, pas assez pour qu’il sombre dans l’inconscience, mais suffisamment pour lui faire comprendre qu’elle pouvait à loisir lui écraser la trachée.

— Ils se foutent de ce qui vous arrive. Ils se foutent de tout sauf d’eux-mêmes et de leur confortable petite vie sur Coruscant.

Elle relâcha insensiblement sa prise.

— Vous êtes moins que des bêtes, pour eux. Du matériel, pas plus. Alors dites-moi où sont Skywalker et le Hutt. Je n’ai rien contre vous et vos hommes.

Il n’avait qu’une seule réponse à fournir en tant que prisonnier de guerre.

— Rex, capitaine, cinq cent unième légion, numéro CC-sept-cinq-six-sept.

L’étranglement se resserra d’un cran.

— Ils ne méritent pas votre loyauté, soldat. Quand allez-vous enfin vous en rendre compte ?

— Rex, capitaine…

On l’avait formé pour résister aux interrogatoires. Il se concentra là-dessus, fermant son esprit à ses menaces et ses incitations à la révolte.

— Cinq cent unième légion, numéro CC-sept-cinq-six-sept.

— Quand vous aurez joué votre rôle, ils vous laisseront moisir et crever comme ils l’ont fait avec mon maître. Et il était l’un des leurs, un Jedi. Croyez-vous vraiment que Skywalker fasse grand cas d’un instrument comme vous ? Quand vous serez trop brisé pour être encore utile, il pourra en trouver un autre, pareil à vous, séance tenante.

— Rex, capitaine, cinq cent unième légion, numéro CC-sept-cinq-six-sept.

Il essaya de regarder au-delà de Ventress, de fixer son attention sur un point du mur derrière elle, de s’évader mentalement. Il se focalisa sur le fait de rester en vie. Sur la survie de ses hommes. Sur tout sauf sur les paroles qui sortaient de sa bouche à elle, parce qu’elles étaient ses véritables armes, un danger bien plus réel que ses sabres-laser ou que la violence des pouvoirs de la Force. Quand, sans l’avoir cherché, il rencontra ses yeux bleus, il fut perturbé par leur pâleur, par l’obsession qui s’y consumait.

Elle haïssait la République, et les Jedi en particulier. C’était clairement inscrit sur son visage. Elle pensait, elle vivait chacun de ses mots. Sa blessure plongeait au plus profond d’elle. Il ne savait comment, mais ils avaient fait d’elle une ennemie acharnée. Elle n’était pas une criminelle opportuniste, non, elle était…

Non. Stop. Tout ça fait partie de son jeu.

— Ils vous lâcheront quand ça les arrangera, clone.

Elle parlait à présent plus doucement, sur un ton de conspirateur.

— Ils nous mettent tous dans le même panier, en fait. Même ceux d’entre nous qui puisent à la Force. Ils nous laissent tomber quand ils n’ont plus besoin de nous. Aidez-moi à les écraser maintenant, avant que vous soyez tous morts par leur faute.

Rex détacha son regard du sien. Une partie de lui donnait le change pour gagner du temps, mais une autre était ébranlée par la façon dont ses propos résonnaient de manière très importune en lui.

C’est un pouvoir des Jedi. Je l’ai déjà vu à l’œuvre. Ils tiennent les autres sous leur emprise. Mais ça ne marche qu’avec les esprits faibles, il paraît. Eh bien moi, je ne suis pas un esprit faible, et je t’attends au tournant, ma belle…

— Rex, capitaine, cinq cent unième légion, numéro CC-sept-cinq-six-sept.

Ventress se pencha vers lui. Son nez ne fut plus qu’à un souffle du sien à travers le casque. Rex sentait sa gorge meurtrie lui brûler à l’intérieur.

— Tu vas contacter Skywalker maintenant. Tu vas lui dire que tu es venu à bout des droïdes. Tu vas lui demander sa position.

Rex parvint à prendre un regard vague et à se vider la tête. Simple concentration technique pour lui permettre de se soustraire à une situation très délicate, mais qui suffit à convaincre Ventress qu’il n’était qu’un simple pion naïf, confiant et influençable.

Et, naturellement, elle ignorait la façon dont il s’adressait habituellement à son général…

Elle relâcha sa prise, et il pianota sur les touches du comlink de la plaque de son avant-bras, toujours dans cet état apparent de calme et de capitulation.

— Anakin, répondez, dit-il sur un ton clamant clairement qu’il n’était pas le Rex que son général connaissait. On tient les droïdes, monsieur. Quelle est votre position ?