CHAPITRE X
Le jour suivant, la joie de Jaina, quand elle revit son frère, fut ternie par la présence de Tamith Kai et le fait qu’ils étaient tous deux poussés le long du couloir par un groupe de commandos.
Quand Jacen se dégagea de ses gardes assez longtemps pour la serrer dans ses bras, elle lui dit, en un murmure :
— J’ai un plan. J’ai besoin de ton aide.
Des mains brutales séparèrent le frère et la sœur. Un des gardes braqua son fusil sur les jumeaux et leur fit signe d’avancer.
Jaina eut un sourire désabusé. Même en la présence de Tamith Kai, Brakiss n’était pas sûr de leur coopération. Les soldats étaient là pour garantir qu’ils ne poseraient aucun problème.
D’un signe de tête, Jacen fit comprendre à Jaina qu’il avait compris ses paroles.
— Tu veux que je te raconte une blague ? proposa-t-il d’un ton guilleret, changeant délibérément de sujet.
— Bien sûr, dit Jaina avec une innocence feinte.
Jacen s’éclaircit la gorge.
— Combien de commandos faut-il pour changer un panneau lumineux ?
Jaina eut envie de rentrer sous terre. Son frère était brave, ou peut-être inconscient. Elle fit tout de même mine de mordre à l’hameçon.
— Je ne sais pas. Combien en faut-il ?
Un des gardes passa devant Jaina et s’arrêta devant la porte d’une salle de cours où des dizaines de personnes étaient assises. Sans doute, les autres étudiants de l’Académie de l’Ombre. Le garde au blaster leur fit signe d’entrer.
— Il faut deux commandos pour changer un panneau lumineux, dit Jacen d’une voix assez forte pour que chacun l’entende. Un pour faire le travail, et le deuxième pour abattre le premier et se targuer de l’avoir changé.
Jaina essaya en vain de réprimer un éclat de rire. Tamith Kai la foudroya de ses yeux violets.
Jacen, mal à l’aise, marmonna :
— Oui, vous êtes bien de Dathomir ! Votre peuple n’est pas connu pour son sens de l’humour.
Alors que deux gardes lui prenaient les bras sans douceur, Jaina fut contrainte de reconnaître que le petit acte de bravoure de son frère avait libéré quelque chose en elle. L’incident lui avait montré que son esprit, au moins, était toujours indépendant. Elle gardait son libre arbitre.
On la poussa dans la salle de réunion, où les commandos la firent asseoir à l’extrémité d’un banc étroit et inconfortable. Les gardes de Jacen l’installèrent de l’autre côté de la pièce, sans doute pour le punir de sa plaisanterie. Jaina fut ravie de voir que Lowie était assis à moins d’un mètre d’elle. Elle en était séparée seulement par un autre étudiant. Le Wookie gronda une salutation à son intention puis à celle de Jacen.
Les autres étudiants étaient tous humains, d’aspect net, et portaient des uniformes sombres. Ils semblaient avides d’apprendre, heureux d’être à l’Académie de l’Ombre – des Jeunesses Impériales, en somme. Elle avait déjà vu des gens comme ça. Jacen, Lowie et elle seraient peut-être les seuls à résister à l’entraînement…
Jaina fronça les sourcils quand elle vit que DTM n’était toujours pas à sa place. Cela rendrait les communications difficiles. Elle se demanda ce que son oncle Luke ferait dans une telle situation. Puis elle s’assit, très droite, fit le vide dans son esprit et envoya une sonde mentale délicate vers Lowie. Elle ne sentit aucune douleur en lui. Il n’était pas blessé, elle en était certaine. Mais elle capta de la tension, de la confusion et une frustration croissante.
Jaina tenta de lui envoyer des pensées apaisantes. Elle ne savait pas exactement ce qu’elle arrivait à transmettre, mais quand il tendit le bras et lui effleura doucement l’épaule, elle sut qu’il comprenait.
Jaina se demanda si elle devait parler ouvertement à son ami Wookie. Il vaudrait sans doute mieux essayer d’abord de tester les dispositions de l’étudiant assis entre eux. Il avait environ le même âge qu’elle et était un peu plus grand. Comme tous les cadets volontaires, il portait une combinaison moulante de couleur sombre sous une tunique ample du noir le plus intense. Il avait des cheveux blonds et des yeux d’un vert de mousse. Elle nota qu’il la regardait sans avoir l’air de la reconnaître ni de lui accorder un intérêt particulier.
Elle envoya une sonde mentale vers le jeune homme mais ne perçut rien, sinon des pensées fugitives qui ne restèrent pas assez longtemps dans son esprit pour qu’elle en tirât des conclusions. On eût dit des notes éparses provenant d’un orchestre en train d’accorder ses instruments.
— Pourquoi sommes-nous ici ? demanda Jaina d’une voix presque inaudible.
— Parce que nous y sommes, répondit l’étudiant, sur la défensive. Parce que maître Brakiss souhaite notre présence.
Il la regarda comme s’il la soupçonnait d’être une attardée mentale.
— Ne sommes-nous pas tous là pour apprendre les voies de la Force par la bouche de maître Brakiss ? termina-t-il.
Avant que Jaina puisse répondre, Brakiss en personne fit son entrée. Dans la pièce, le silence se fit instantané et complet. Pas un son ni un raclement de gorge ne résonnèrent. Brakiss parcourut de ses yeux perçants l’assemblée d’étudiants.
Lorsque le regard de l’homme rencontra le sien, Jaina sentit un frisson inexplicable courir le long de son échine.
Il commença son cours sans préambule.
— La Force est l’énergie qui entoure tous les êtres vivants. Elle coule à travers nous. Elle provient de nous.
Tandis que sa voix prenait les étudiants dans ses filets, Jaina sentit son esprit se détendre. Tout cela n’était pas si grave, après tout. Ce qu’il disait était vrai. La puissance de la voix de Brakiss exigeait un accord total. Jaina vit que plusieurs étudiants hochaient la tête pour marquer leur approbation. Elle inclina la sienne.
Elle n’entendait plus les mots que Brakiss prononçait, les amenant en douceur d’un concept à un autre ; elle avait seulement conscience des pensées, des sentiments, de l’impression que tout cela était bien.
Soudain, peut-être à cause de la main velue qui effleura son dos, les mots revinrent de nouveau au premier plan, pénétrant la béatitude où elle flottait depuis un moment.
— Chacun de vous possède les outils qui lui permettront de maîtriser la Force en se maîtrisant lui-même, disait la voix tranquille, pleine de confiance. Pour tirer de la puissance de la Force, vous devez apprendre à utiliser les émotions violentes qui sont en vous, les désirs les plus profonds, la peur, l’agressivité, la haine, la colère.
Un non ! sonore résonna dans l’esprit de Jaina. Elle secoua la tête.
— Cela… ne peut pas être vrai, murmura-t-elle. Ce n’est pas vrai.
L’étudiant assis à côté d’elle lui jeta un regard méprisant.
— Bien sûr que c’est vrai ! dit-il, comme s’il prononçait des mots d’une indiscutable logique. Maître Brakiss le dit, donc c’est forcément exact.
— Qu’est-ce qui vous en rend si sûr ? siffla Jaina. Ne voyez-vous pas qu’il vous influence ? Vous devriez quitter ce lieu et penser par vous-même.
— Je n’ai aucune envie de partir ! Je veux étudier avec maître Brakiss et devenir un Jedi.
Jaina s’énerva de son obstination.
— Avez-vous réfléchi à ce que vous dites ? Vous ne pouvez pas simplement accepter ce qu’il déclare, sans y accorder un instant de réflexion ! Et s’il se trompait ?
— C’est le professeur, conclut le jeune homme comme si la question n’avait aucun sens.
Il se leva abruptement et attira l’attention de Brakiss.
Jaina saisit l’occasion pour se pencher derrière lui et chuchoter à Lowie :
— J’ai un plan. Dans deux jours, sois prêt à faire sauter tous les postes d’alimentation de la station.
En se rasseyant, elle réalisa que le blondinet s’adressait à Brakiss.
— … essaie de convaincre vos autres étudiants qu’ils ne devraient pas vous croire, que vous ne connaissez pas les voies véritables de la Force. Je suggère donc que cette… fille… n’est pas digne d’être votre élève, maître Brakiss.
Les splendides yeux de Brakiss s’étrécirent et se posèrent sur Jaina. Elle sentit son esprit puissant envahir le sien et tenta de résister.
— Vous êtes nouvelle ici, dit-il. Vous ne connaissez pas nos règles. Écoutez mes enseignements, puis faites-vous une opinion. Décidez par vous-même. Mais n’encouragez plus jamais les autres à douter de mes paroles.
Les étudiants murmurèrent leur accord à l’unanimité – moins trois voix.
— Dans cette Académie, on n’apprend pas seulement un côté de la Force, continua Brakiss.
Il recommença son cours, mais ses commentaires semblaient viser Jacen, Jaina et Lowie.
— Cette école n’est pas dédiée au Côté Obscur. Je l’ai appelée l’Académie de l’Ombre, certes, mais que crée la vie, sinon des ombres, et ce à cause de sa nature même ? Ce n’est qu’en utilisant la gamme complète de vos émotions et de vos désirs, l’obscur comme le lumineux, que vous deviendrez de vrais adeptes de la Force capables d’assumer leur destinée. Le Côté Lumineux en lui-même n’offre qu’une puissance limitée. Mais quand cette lumière se mêle à l’obscurité, et qu’on travaille dans la pénombre, on réalise tout son potentiel. Utilisez l’énergie provenant du Côté Obscur…
Jaina regarda Jacen. Il secouait lentement la tête. Près d’elle, Lowie poussa un grognement guttural. Incapable de se contenir plus longtemps, la jeune fille se leva.
— Ce n’est pas vrai, dit-elle. Le Côté Obscur ne vous rend pas plus fort. Il est plus rapide, plus facile, plus attrayant. Il est aussi plus aliénant. Alors que le Côté Lumineux apporte la liberté, le Côté Obscur implique l’esclavage. Une fois que vous vous serez soumis à son joug, vous n’y échapperez jamais.
Un halètement collectif monta de l’auditoire, mais personne ne parla tandis que Jaina et Brakiss s’affrontaient par-dessus les têtes des étudiants.
Brakiss resta silencieux un long moment, son esprit tentant de forcer celui de Jaina, le chargeant d’un poids presque intolérable.
Avec l’équivalent mental d’une projection d’aïkido, Jaina se libéra et dévisagea l’homme, les yeux pleins de fierté, sa conscience dégagée de celle du Jedi Obscur.
Brakiss secoua tristement la tête.
— Je n’avais pas l’intention de faire un exemple, mais vous ne me laissez pas le choix. Vous avez choisi d’opposer au mien le misérable pouvoir du Côté Lumineux. Je vous ai donné un avertissement. Vous n’en recevrez pas d’autre.
Brakiss leva une main devant lui, presque comme s’il voulait dire au revoir à quelqu’un. Un feu bleuâtre jaillit du bout de ses doigts et enserra Jaina dans un étau de douleur intense.
La cruauté délibérée de Brakiss plongea Lowbacca dans un accès de rage incontrôlable. Il bondit de son siège, renversant l’étudiant blond, puis il hurla à pleins poumons et montra ses longs crocs de Wookie. Sa fourrure rousse se hérissa dans toutes les directions. Il saisit le banc et, le prenant à bout de bras, il le brandit au-dessus de sa tête.
Alertés par les cris, les gardes entrèrent dans la salle au pas de charge, leur pistolet paralysant au poing.
Le Wookie enragé ne fut pas difficile à localiser.
Lowie jeta le banc sur les commandos. La première rangée s’écroula comme des quilles sur une piste de bowling. Cinq autres trébuchèrent sur leurs camarades, mais parvinrent à pénétrer dans la pièce.
Les autres étudiants de l’Académie de l’Ombre ajoutèrent au vacarme en essayant de persuader Lowie de se rasseoir. Le Wookie se contenta de rugir dans leur direction. De l’estrade, Brakiss exhortait chacun au calme, mais personne n’écoutait.
Une autre porte s’ouvrit. Un nouveau commando se précipita dans la salle.
Jacen se rua aux côtés de sa sœur et la prit dans ses bras. Il perçut, à son grand soulagement, qu’elle n’était pas sérieusement blessée par la décharge de Force. Elle gémit et cligna des yeux, tentant de reprendre conscience.
— Jaina, appela-t-il, réveille-toi !
— D’accord… je suis réveillée, dit-elle en se redressant péniblement.
Soudain elle sembla remarquer la rixe que Lowie avait déclenchée.
Le deuxième commando sortit ses armes quand Lowie arracha du sol un banc où se trouvait une autre étudiante, l’envoyant bouler sur le sol. La jeune femme glapit de colère. Lowie l’ignora superbement et leva le banc au-dessus de sa tête.
Les gardes visèrent et tirèrent mais les rayons atteignirent le banc et ne firent aucun dégât. Lowie s’essaya à un nouveau lancer. Les soldats se hâtèrent de s’écarter, le projectile s’écrasant contre le mur opposé. Lowbacca plongea pour ramasser une autre arme. À ce moment, le premier groupe de soldats, de l’autre côté de la pièce, parvint à se remettre debout et à tirer.
Des arcs électriques bleus passèrent au-dessus du dos du Wookie ; ils le ratèrent et atteignirent trois soldats du second groupe, qui s’écroulèrent sur le sol, inconscients, avec un bruit d’armures entrechoquées.
— Cessez cette bagarre ! hurla Brakiss.
Ses traits réguliers avaient perdu leur expression sereine.
Un des commandos du premier groupe fit deux pas en avant et visa le dos de Lowie quand le Wookie se redressa, devenant une cible facile.
Jacen observait les événements. Avant que le soldat puisse tirer, il recourut à toute sa maîtrise de la Force pour l’obliger à tourner l’arme vers sa propre poitrine. Quand le coup partit, le garde s’effondra.
— Lowie, je vais bien, dit Jaina en se relevant. Regarde, pas de problème !
D’autres gardes firent irruption dans la salle, les armes au poing.
— Lowie, calme-toi, dit Jacen.
Lowbacca regarda d’un côté et d’autre, les mains tendues, prêt à déchiqueter quiconque serait assez imprudent pour passer à sa portée. Puis il s’aperçut que l’opposition était plus forte que lui.
Brakiss se leva. La puissance qu’il contrôlait crépitait entre ses doigts, prête à se déchaîner.
— Nous ne voulons pas vous blesser, dit-il, plein d’une intensité sauvage, mais vous devez apprendre la discipline.
Le maître de l’Académie de l’Ombre se tourna vers les soldats.
— Ramenez-les à leurs quartiers et séparez-les. Nous avons beaucoup de travail ici. Nous ne supporterons pas d’être dérangés par des accès de colère.
Brakiss se recomposa une expression jusqu’à avoir de nouveau l’air calme et serein. Il leva les sourcils vers Lowie, admiratif.
— Je suis heureux de voir la puissance de votre colère, jeune Wookie. C’est quelque chose que nous devons développer. Vous avez un grand potentiel.
Des gardes en armure blanche emprisonnèrent les bras de Lowie dans une étreinte implacable ; d’autres entourèrent les jumeaux. Ils poussèrent les jeunes Jedi hors de la salle et les ramenèrent dans leur cellule.