CHAPITRE VIII

Debout derrière le fauteuil de Qorl, Jacen se mordait la lèvre. La Sœur de la Nuit, Tamith Kai, se dressait devant eux, puissante et menaçante. Il jeta un coup d’œil à Jaina, mais il ne pensait pas qu’ils puissent résister.

Pas pour le moment, en tout cas.

Des portes s’ouvrirent sur l’Académie de l’Ombre, révélant un quai sombre bordé de lumières jaunes clignotantes destinées à guider les vaisseaux lors de l’arrimage. Le pilote impérial manœuvra avec efficacité. Jacen remarqua que son bras gauche – blessé quand son chasseur Tie s’était écrasé sur Yavin 4, il n’avait jamais correctement guéri – était maintenant plus volumineux et enfermé à partir de l’épaule dans une gaine de cuir noir. Il était aussi entouré de sangles et de modules de batterie.

— Qorl, qu’est-il arrivé à votre bras ? demanda Jacen. L’ont-ils guéri, comme nous vous avions promis de le faire ?

Qorl détourna un instant son attention des manœuvres de mise à quai. Il tourna des yeux pâles et hantés vers le jeune garçon.

— Ils ne l’ont pas guéri, dit-il, ils l’ont remplacé. J’ai maintenant un bras droïde, meilleur que l’ancien. Il est plus fort, capable de faire plus de choses.

Il plia son bras bardé de cuir.

Jacen entendit le faible bourdonnement des servomoteurs. Son estomac se noua.

— Ils n’avaient pas besoin de faire ça, dit-il. Nous aurions pu vous guérir dans une cuve bacta. Ou un droïde médical aurait pu s’occuper de vous. Au pire, il était possible de vous greffer une prothèse biomécanique qui ressemble à un bras véritable. Mon oncle en a une ! Il n’était pas nécessaire de vous affubler d’un bras droïde.

Le visage de Qorl demeurait impassible. Il s’intéressa de nouveau à la manœuvre.

— Ce qui est fait est fait. Mon bras est mieux maintenant, plus solide.

Le vaisseau impérial dériva dans la zone de mise à quai. Les lumières clignotantes continuaient à éclairer les murs en métal réfléchissant. Une baie d’observation enclose dans une enceinte en transparacier aux fenêtres angulaires se détachait sur une des parois supérieures. Jacen voyait dans la salle de minuscules silhouettes occupées à commander les systèmes de guidage des vaisseaux.

L’engin se posa avec légèreté. Les portes des docks coulissèrent derrière lui, enfermant les prisonniers dans la sinistre Académie de l’Ombre.

Tamith Kai activa l’intercom.

— Engagez le dispositif d’invisibilité, dit-elle d’une voix profonde, aussi puissante et irrésistible qu’un rayon tracteur.

Bien que Jacen ne vît ni ne sentît rien de différent, il sut que la station avait soudain disparu, laissant à sa place l’illusion d’une zone d’espace vide, où personne n’aurait jamais pensé à les chercher.

Escortée par des commandos, Tamith Kai emmena les adolescents au pied de la rampe d’accès, loin du module d’assaut qui les avait kidnappés. Elle les conduisit vers une grande porte écarlate qui s’ouvrit à leur approche.

De l’autre côté se tenait un homme jeune vêtu d’une longue tunique argentée. Sa peau lisse et sa chevelure blonde soyeuse semblaient comme… lumineuses. C’était un des humains les plus beaux que Jacen eût jamais vus. Il avait un physique parfait ; on eût dit une simulation holographique de l’homme idéal, ou le chef-d’œuvre taillé dans l’albâtre d’un maître sculpteur. Un contingent de commandos se tenait derrière lui, fusils-blaster à l’épaule.

— Soyez les bienvenus, nouvelles recrues, dit-il d’une douce voix musicale. Je suis Brakiss, le maître de l’Académie de l’Ombre.

Jacen entendit sa sœur pousser un cri de surprise et il ne put retenir sa propre exclamation.

— Brakiss ? dit-il. Par mon blaster ! Nous avons entendu parler de vous. Vous êtes un espion impérial qui s’était infiltré dans l’Académie de maître Skywalker pour essayer de voler nos méthodes de formation.

Brakiss sourit comme si quelque chose l’amusait.

— C’est vrai, continua Jaina d’un ton excité. Maître Skywalker a compris qui vous étiez, mais quand il a essayé de vous convertir au Côté Lumineux de la Force – pour vous sauver ! – vous n’avez pas été capable d’affronter le mal tapi en vous.

Le sourire de Brakiss ne se démentit pas.

— Oh, c’est donc ainsi qu’il raconte l’histoire… Maître Skywalker et moi avons eu un désaccord sur certaines… particularités de l’entraînement à l’utilisation de la Force. Mais il a eu au moins une bonne idée : il a bien fait de ressusciter les Chevaliers Jedi. Il a compris qu’ils étaient les protecteurs de l’Ancienne République. Ils ont soutenu et unifié l’ancien gouvernement et lui ont permis de survivre bien longtemps après le moment où il aurait dû tomber dans l’anarchie.

« Maintenant que l’anarchie existe au sein des forces impériales, il nous faut retrouver une telle puissance unificatrice. Nous avons déjà un nouveau chef, un chef puissant (Brakiss sourit), mais nous avons besoin de Chevaliers Jedi du Côté Obscur ; des Jedi impériaux, qui réconcilieront les factions opposées et nous insufflerons la volonté de vaincre le gouvernement illégal et corrompu de la Nouvelle République pour donner naissance au Second Imperium.

— Eh, notre mère est le chef de la Nouvelle République, et elle n’est pas corrompue ! Elle n’enlève pas les gens, elle !

— Tout dépend de la perspective, dit Brakiss.

— Qui est ce nouveau chef ? interrompit Jaina.

N’avez-vous pas déjà essayé dix fois de vous doter d’un chef unique ? Cela ne s’est-il pas toujours terminé par une débandade, chacun se battant pour essayer de régner sur ce qui restait de l’Empire ? Ça ne marchera pas.

— Silence, dit Tamith Kai d’une voix lourde de menace. Vous n’êtes pas là pour poser des questions, mais pour recevoir une éducation. Vous serez formés pour devenir de puissants guerriers au service de l’Empire.

— Je ne pense pas que ça me plairait, gronda Jacen.

Le visage de sa sœur s’empourpra de colère.

— Nous ne coopérerons pas avec vous. Vous ne pouvez pas nous enlever et espérer que nous nous comporterons comme de bons petits étudiants du Côté Obscur ! Maître Skywalker et nos parents écument la galaxie pour nous retrouver. Et ils réussiront, vous pouvez en être sûrs !

Derrière les jumeaux, Lowie grogna et tendit les bras. On eût dit qu’il languissait de tordre le cou à quelqu’un ou de le démembrer, comme on prétendait que faisait son oncle Chewbacca chaque fois qu’il perdait à un holojeu.

Les commandos levèrent leurs fusils et visèrent le Wookie en colère.

— Ne lui tirez pas dessus ! dit Jacen en se plaçant entre les soldats et Lowie.

Jaina parla avec une autorité qui surprit son frère.

— Qu’avez-vous fait de DTM, le droïde traducteur de Lowie ? Il en a besoin pour communiquer… À moins que tous ces commandos ne parlent wookie ?

— On lui rendra son petit droïde, dit Tamith Kai, dès qu’il aura été reprogrammé de façon… correcte.

Brakiss claqua des mains vers les soldats.

— Nous allons les conduire à leurs quartiers, maintenant, dit-il. Leur formation doit commencer le plus tôt possible. Le Second Imperium a grand besoin de Jedi obscurs.

— Vous ne nous ferez jamais retourner notre veste, dit Jaina. Vous perdez votre temps.

Brakiss la regarda et eut un sourire indulgent. Il resta silencieux un moment.

— Peut-être vous apercevrez-vous que vous pouvez changer d’idée, dit-il enfin. Laissons le temps en décider.

Les commandos formèrent une escorte autour d’eux tandis qu’ils avançaient sur les plaques métalliques sonores du pont.

L’Académie de l’Ombre n’était pas confortable et accueillante comme la station des Pêcheurs de Gemmes de Lando. Les parois n’étaient pas peintes de couleurs pastel ; il n’y avait pas de musique de fond apaisante, ni de bruits de la nature, seulement des rapports tactiques et le son d’une horloge qui égrenait les quarts d’heure. Les portes étaient marquées par des étiquettes. De loin en loin, un terminal d’ordinateur monté sur la paroi affichait les diagrammes de la station ou des simulations complexes.

— C’est un lieu austère, dit Tamith Kai quand elle vit que Jacen regardait fixement les parois nues et sans âme. Nous ne nous soucions pas d’installations luxueuses comme dans votre Académie de la jungle. Toutefois, vous aurez chacun une chambre privée afin de faire les exercices de méditation et les devoirs qu’on vous indiquera, et de vous concentrer à développer votre contrôle à la Force.

— Non ! dit Jaina.

— Nous préférons rester ensemble, ajouta Jacen.

Lowbacca grogna pour indiquer qu’il était d’accord.

Tamith Kai s’arrêta brusquement et les toisa.

— Je ne vous ai pas demandé ce que vous préférez, dit-elle d’un ton glacial. Vous ferez ce qu’on vous dira.

Ils arrivèrent à une intersection et se divisèrent en trois groupes. Brakiss conduisit la poignée de commandos qui entouraient Jaina dans un couloir, sur la droite. Un groupe de gardes plus important, l’air tendu et les armes à la main, aida Tamith Kai à escorter Lowbacca. Le reste des soldats enferma Jacen dans un cercle serré et le poussa vers la gauche.

— Attendez ! cria Jacen.

Il se tourna et regarda sa sœur jumelle pour ce qui était peut-être la dernière fois. Jaina le fixa, ses yeux marron clair agrandis par l’anxiété. Puis elle leva fièrement le menton et Jacen eut lui aussi un regain de courage. Ils trouveraient le moyen de se tirer de ce mauvais pas !

Les gardes le poussèrent dans un long couloir et s’arrêtèrent devant une porte identique à toutes les autres. Des chambres d’étudiant, pensa-t-il.

La porte s’ouvrit ; les commandos le firent entrer dans une petite cellule aux murs nus. Il n’y avait pas d’intercom, aucune commande, rien qui lui permît de communiquer avec quiconque.

— Je dois rester là-dedans ? demanda Jacen, incrédule.

— Oui, dit le chef des gardes.

— Mais si j’ai besoin de quelque chose ? Comment puis-je appeler ?

Le soldat tourna vers lui son masque semblable à un crâne et le regarda en face.

— Il ne vous restera plus qu’à attendre que quelqu’un vienne, dit-il.

Les soldats reculèrent et la porte se ferma derrière Jacen, l’enfermant, seul et sans armes.

Pour aggraver les choses, les lumières s’éteignirent.