CHAPITRE XVII

Jacen s’était laissé distraire si souvent au cours de leur chasse à l’œuf, avec Zekk, qu’il aurait été incapable de retrouver son chemin dans le labyrinthe des niveaux inférieurs. Tenel Ka, en revanche, semblait parfaitement savoir où elle allait… ce qui ne surprit pas son compagnon.

Alors qu’ils descendaient vers le niveau du sol, l’obscurité se fit oppressante. Les murs sombres étaient souillés de taches décolorées qui ressemblaient à du sang. Partout où ils posaient le regard, le symbole de la croix et du triangle paraissait les narguer.

— Je crois que nous avons trouvé le territoire de Génération Perdue, dit Tenel Ka, tous les sens en alerte.

Jacen déglutit avec peine.

— Espérons qu’on ne tardera pas à mettre la main sur Zekk. Je n’aimerais pas que nos hôtes s’offusquent de notre présence, surtout s’ils sont encore de mauvaise humeur.

— Je soupçonne qu’ils sont toujours de mauvaise humeur, répondit Tenel Ka sans la moindre intention humoristique. Et ils doivent nous en vouloir de notre évasion.

— Ils ont peut-être capturé Zekk. Nous devons le sauver. Ce Norys avait vraiment l’air d’un sale type.

Une blatte-araignée rampait sur le mur. En d’autres circonstances, Jacen se serait précipité afin de l’observer. Mais, pour le moment, il n’aspirait qu’à rentrer chez lui.

Tenel Ka marchait fièrement, le menton levé. Jacen aurait aimé avoir un sabrolaser comme celui qu’il avait utilisé à l’Académie de l’Ombre. Il savait que les armes Jedi n’étaient pas des jouets, mais il n’avait aucune intention de s’amuser avec : juste de se défendre en cas de besoin.

Il approcha de Tenel Ka et s’efforça de fixer les tresses rousses qui dansaient devant son nez. Peut-être qu’une bonne blague le distrairait un peu.

— Hé, tu connais la différence entre un TR-TT et un commando ?

— Évidemment, dit la jeune fille, lui jetant un regard sévère par-dessus son épaule.

Jacen soupira.

— Mais non, c’est une blague. Je recommence : quelle est la différence entre un TR-TT et un commando ?

— Je dois répondre que je ne sais pas, c’est ça ?

— Exactement.

— Je ne sais pas.

— Le premier est un marcheur impérial, le second un Impérial qui marche.

Tenel Ka hocha la tête.

— Très drôle. Et maintenant, poursuivons nos recherches. Zekk est ton ami, tu le connais mieux que moi. Concentre-toi et vois si tes pouvoirs nous permettent de le repérer.

Jacen acquiesça. Il ne pensait pas être capable de localiser une personne en particulier, mais une impression, même vague, pourrait les mettre sur la voie.

Tenel Ka et lui marchaient au hasard depuis des heures…

Il ferma les-yeux et se concentra. Aussitôt, il sentit comme un picotement qui le fit penser à son ami aux cheveux noirs. Il tendit le doigt avant de se donner le temps de réfléchir.

Oncle Luke leur disait toujours de se fier à leur intuition.

Le vieux bâtiment semblait vide ; un silence oppressant pesait sur les deux jeunes gens.

Jacen sentait que des yeux invisibles les observaient. Il avait suffisamment confiance en ses pouvoirs pour jurer que son imagination ne lui jouait pas un tour.

— Je crois que nous approchons, annonça Tenel Ka.

Ils entendirent des voix devant eux. Jacen reconnut celle de leur ami, mais il ne put comprendre ce qu’il disait.

— On dirait Zekk ! chuchota-t-il, tout excité. Nous l’avons trouvé !

Soulagé, il pressa le pas.

— Sois prudent, souffla Tenel Ka alors qu’ils débouchaient dans une pièce remplie de meubles délabrés.

Les poutres étaient à moitié effondrées, les murs garnis de panneaux lumineux qui surplombaient des portes fermées ou bloquées par des caisses. Un jeune homme aux yeux d’émeraude se tenait au milieu de la salle.

Jacen eut du mal à reconnaître Zekk. Ses cheveux presque noirs étaient retenus par un bandeau de cuir. Ses vêtements propres et sombres ressemblaient à un uniforme beaucoup plus « classe » que le costume qu’il avait revêtu pour le banquet.

Une douzaine de jeunes gens étaient assis sur des chaises ou sur des coussins usés. Tous avaient entre quinze et vingt ans. La plupart étaient des garçons, mais les quelques filles semblaient tout à fait capables de démembrer Jacen aussi bien que l’eût fait un Wookie.

Génération Perdue.

— Hé, Zekk ! s’écria Jacen. Où étais-tu ? On s’inquiétait pour toi !

L’adolescent sursauta en apercevant son ami. Un instant, une lueur joyeuse passa dans ses yeux, mais il se reprit très vite et fronça les sourcils. Il semblait avoir vieilli de dix ans depuis sa disparition.

— Jacen, ce n’est pas le moment, dit-il sur le ton de la réprimande.

Un garçon large d’épaules aux petits yeux rapprochés et aux sourcils arqués se leva et gronda :

— Je ne me souviens pas de vous avoir invités.

Jacen reconnut Norys. Zekk fit un geste apaisant.

— Laisse-moi m’en occuper. (Rouge de colère, il se tourna vers son ami.) Tu n’aurais pas pu me ficher la paix quelques minutes de plus ?

Stupéfait, Jacen se passa une main dans les cheveux en cherchant quoi répondre.

— Va-t’en, gronda Zekk. Va-t’en ! Tu vas tout faire rater !

Les autres membres de Génération Perdue se levèrent et s’approchèrent du fils de Yan Solo comme une meute de loups fondant sur sa proie. Jacen déglutit ; Tenel Ka posa une main sur son épaule.

— Zekk, c’est nous ! insista Jacen. Nous n’allons rien faire rater ! Nous sommes tes amis !

Derrière lui, une porte s’ouvrit à toute volée.

— Il ment, seigneur Zekk, dit une voix de femme. Vous le savez, à présent.

Jacen et Tenel Ka firent volte-face et découvrirent la silhouette menaçante d’une Sœur de la Nuit, avec ses cheveux d’ébène et ses yeux violets incandescents. Deux personnes l’encadraient : un jeune homme aux cheveux noirs et une petite femme qui se tenait très droite.

— Tamith Kai, lâcha Jacen. Toujours aussi aimable…

— Et toujours aussi bien accompagnée, dit Tenel Ka en reconnaissant Garowyn et Vilas. (Un sourire de prédateur se peignit sur son visage habituellement sérieux.) Comment va votre genou ?

Tamith Kai pinça les lèvres. Elle détestait qu’on lui rappelle l’humiliation infligée par la guerrière lors de l’évasion des jeunes Jedi de l’Académie de l’Ombre.

— Espèces de morveux, ricana-t-elle. Vous ne saurez jamais où vous arrêter.

— Et vous ne comprendrez jamais qu’il ne faut pas se mettre en travers de notre chemin, répondit Jacen. Zekk, que fais-tu avec ces clowns ? Quel genre de mensonges t’ont-ils fait gober ?

Indécis, le jeune homme cligna des yeux. Puis il se reprit.

— Ils nous offrent à tous une occasion unique, dit-il avec force.

— Quelle occasion ? Celle de vous faire rouler ? ricana Jacen.

— Ils vont nous ramener à l’Académie de l’Ombre et nous entraîner, intervint Norys, le chef du gang. Nous aussi, nous serons puissants.

— Mais tout le monde n’a pas le potentiel d’un Jedi, protesta Jacen.

Il voulait continuer à faire parler Zekk jusqu’à ce que Tenel Ka ou lui trouve que faire ensuite.

— Moi, si, répondit Zekk avec fierté. Et vous vous en seriez aperçus si vous aviez pris la peine de me tester. Quant à ceux qui n’ont pas de dispositions pour manipuler la Force, ils rejoindront l’armée. On leur donnera des responsabilités et une chance de faire carrière…

— Oh, Zekk, dit tristement Jacen, ce sont des histoires ! Ils veulent juste que tu baisses ta garde et…

— Faux ! coupa Tamith Kai. Nous tiendrons nos promesses. Tous se verront offrir les mêmes chances, qu’importe leur statut social dans les mondes rebelles. Le Second Imperium ne juge pas les gens sur ce qu’ils sont, mais uniquement sur ce qu’ils font.

— Zekk, cria Jacen, comment peux-tu leur faire confiance ? Ils nous avaient kidnappés, Jaina et moi !

— C’était une erreur, répliqua Tamith Kai, ses yeux violets lançant des éclairs. Les nobles comme vous ne sont pas plus dignes de devenir des Jedi Obscurs que les autres.

— Zekk, chuchota Jacen en faisant un pas vers son ami, c’est ta dernière chance. Crois-moi, tu es en grand danger. Il faut t’échapper tout de suite !

Le jeune homme lui lança un regard où la pitié et le désir d’être compris se mêlaient à une profonde tristesse.

— Tu ne peux pas comprendre, Jacen, dit-il doucement. Tu as toujours eu tout ce que tu désirais. Jamais tu n’as été dans le besoin. Ces gens m’offrent quelque chose que personne d’autre ne m’aurait donné : une chance de devenir quelqu’un.

— Ce ne doit pas être une grande chance, si ça vient d’eux, grommela Jacen.

Tenel Ka porta les mains à sa ceinture, prête à en tirer une arme. Un par un, les membres de Génération Perdue vinrent se placer autour de Zekk. Ils semblaient hypnotisés et Jacen se demanda si Tamith Kai ou un de ses acolytes n’utilisaient pas la Force pour les rendre plus perméables aux suggestions.

— Jacen, murmura Tenel Ka en remuant à peine les lèvres, nous devons partir pendant qu’il en est encore temps. Il faut que quelqu’un aille chercher de l’aide.

Jacen se prépara à faire demi-tour. Il activa son communicateur pour tenter de joindre Anakin et 6PO, mais avant que Tenel Ka et lui puissent sprinter vers la porte, Vilas dégaina son blaster.

— Cette fois, nous ne pouvons pas vous laisser partir. Les enjeux sont trop importants.

Les deux jeunes gens n’avaient pas parcouru cinq mètres quand des décharges paralysantes les cueillirent dans le dos, les envoyant rouler à terre, inconscients.