CHAPITRE III

Durant la retraite ordonnée qui les éloigna du nid de faucon-souris, Jaina marcha près de Zekk. Elle regardait l’adolescent avancer instinctivement à travers le labyrinthe de passerelles, de ponts de liaison et de passages obscurs. Il semblait savoir avec précision quel trajet le ramènerait à ses pénates.

La satisfaction d’avoir conquis le butin convoité s’exprimait par chaque pore de sa peau. Il portait sa prise avec tout le soin qu’exige… un œuf précieux.

— Peckhum va être fou de joie ! clama-t-il en s’adressant aux jumeaux. Il saura quoi en faire. Ce vieux forban connaît tous les gens qui cherchent quelque chose. (Il fit un clin d’œil rassurant à Jacen.) Ne t’inquiète pas. Nous trouverons une bonne famille à ce bébé, comme tu l’as promis. Un biologiste professionnel n’aura aucun mal à faire incuber l’œuf jusqu’à ce que le poussin en sorte.

Tenel Ka s’éclaircit la gorge avant de préciser sombrement :

— Si nous le ramenons intact.

Jaina s’aperçut qu’ils étaient revenus aux niveaux où toutes les parois portaient les graffitis du gang Génération Perdue.

Les angles de la croix dessinée à l’intérieur du triangle paraissaient plus nets, comme s’ils avaient été fraîchement repeints. Était-il possible que la bande ait marqué son territoire depuis le passage des jeunes Chevaliers Jedi ?

Si la vigilance de ces voyous était à la hauteur de leur réputation, ils avaient peut-être déjà repéré les cinq compagnons.

Et si, dissimulés dans les ombres, ils les épiaient en ce moment même ?

Surveillant les alentours, Tenel Ka tira une dague de sa ceinture. Elle était concentrée, prête à réagir au premier signe de menace. Pourtant, Jaina ne se sentait pas en sécurité. Ses perceptions exacerbées de Jedi l’avertissaient d’un danger imminent.

— Si ce gang, Génération Perdue, est si fort et puissant, pourquoi n’en avons-nous jamais entendu parler ?

Jacen aussi jetait des coups d’œil inquiets autour de lui, sondant les bâtiments envahis par la moisissure.

— Parce que vous ne venez jamais ici, répondit Zekk. Quand on se rencontre, soit vous me faites venir au Palais Impérial, soit on se retrouve dans les niveaux supérieurs. Je parie que vos parents deviendraient fous s’ils savaient ce que nous faisons en ce moment.

— Nous sommes capables de nous défendre, dit Tenel Ka, serrant sa dague avec assurance.

— Mon Dieu, bipa DTM sur un ton angoissé, je n’en serais pas si certain à votre place.

Son jeune maître le fit taire d’un grondement.

— Vous voyez enfin comment je vis tous les jours, continua Zekk. Personne n’est là pour me dire de me laver les mains ou me préparer les repas. Et je n’ai pas à me demander comment passer le temps. Chaque journée est consacrée à la recherche de ce qu’il faut pour survivre. Heureusement, j’ai la chance d’être doué pour trouver des trucs.

Jaina fut étonnée de deviner du ressentiment derrière les paroles de leur ami.

— Zekk, si tu as besoin de quelque chose, il suffit de nous en parler. Nous pouvons te trouver un logement, te donner des crédits…

— Qui a dit que c’est ça que je veux ? souffla l’adolescent, les dents serrées. Je n’ai que faire de la charité. Ici, j’ai la liberté et j’agis à ma guise. Il est plus satisfaisant de vivre ainsi que d’être tout le temps dorloté et pouponné.

— Monsieur Zekk, s’indigna DTM, vous serez peut-être curieux d’apprendre que certaines personnes ne détestent pas qu’on s’occupe d’elles comme il faut.

Jaina ne daigna pas répondre au mini-droïde traducteur, mais elle se demanda si Zekk pensait réellement ce qu’il disait.

— Ce n’est pas dirigé contre vous, expliqua l’adolescent, le regard tourné vers un emblème de Génération Perdue. Faire partie d’une bande ne me passionne pas non plus. Le chef, Norys, qui a notre âge, est une grosse brute qui aime impressionner les plus faibles. Je me débrouille mieux dans les niveaux inférieurs que n’importe quel membre de son gang, alors ça fait un moment qu’il voudrait m’engager. Il aimerait que je devienne son bras droit, mais je suis trop indépendant pour ça. Je travaille à mon compte.

Ils s’arrêtèrent devant l’entrée d’un bâtiment haut à n’en plus finir, près d’une passerelle couverte qui formait une liaison précaire avec le gratte-ciel d’en face.

Toutes les parois étaient couvertes de symboles menaçants. La plupart des vitres étant brisées, le vent s’engouffrait dans les pièces. Il semblait murmurer un avertissement sans ambiguïté : partez.

Zekk regarda derrière lui.

— C’est le quartier général de Génération Perdue. Nous prenons un sacré risque en passant par ici. (Ses yeux vert émeraude lançaient des éclairs.) Excitant, non ?

Large et sombre, l’immeuble abritait des salles de réunion vides, des bureaux abandonnés et des locaux techniques devenus inutiles. Dans les archives du Centre d’information Impérial, restait-il seulement des plans ou d’autres documents concernant ce vieux bâtiment ?

Jaina tenta de rétablir une relation entre cet univers et le monde qu’elle connaissait.

— Je ne crois pas qu’il faille s’inquiéter au sujet de Norys, dit Zekk, élevant la voix. Il parle comme un grand bandit, mais ses ambitions sont celles d’un petit malfrat. Il n’aspire à rien, sinon rester la plus grosse brute de la section désaffectée d’un immeuble situé sur une planète moyenne, dans une très grande galaxie.

Zekk voulait-il lancer un défi au voyou ?

— Il n’ira jamais nulle part parce que ses petits rêves lui collent les pieds au sol.

Avec un timing parfait, des panneaux du plafond s’écartèrent, et une douzaine de jeunes gens entraînés sautèrent au milieu des cinq amis. Les traits durs et décidés, ils étaient miteux et sales au possible. Chacun brandissait une arme faite d’éléments tranchants récupérés çà et là.

— Le petit ramasseur d’ordures essaie de s’en prendre à moi ?

Le plus costaud des voyous avait pris la parole. Le visage sombre, les yeux rapprochés, il grinça des dents avant de grimacer un sourire.

— Il n’est pas poli d’écouter les conversations, déclara Zekk.

Le regard du jeune bandit s’arrêta sur l’œuf de faucon-souris que l’adolescent serrait contre sa poitrine.

— Qu’a-t-il trouvé là, le petit ramasseur d’ordures ? demanda Norys. Hé, les gars ! Je crois qu’on va avoir un œuf à la coque au petit déjeuner.

Découvrant ses crocs, Lowbacca poussa un grognement qui fit sursauter les loubards de Génération Perdue. Zekk semblait nerveux, comme si le butin l’avait rendu vulnérable d’une manière inédite.

— Tu veux avoir cet œuf pour quoi faire ? s’enquit Jacen.

— Il le veut simplement parce que je le veux ! expliqua Zekk. Il n’en connaît pas la valeur ; sans doute va-t-il l’écrabouiller entre ses grosses pattes.

Tenel Ka tenait une dague dans chaque main. Les jeunes voleurs évaluèrent les forces de leurs adversaires, parvenant vite à la conclusion que Zekk et les jumeaux seraient plus faciles à vaincre que la guerrière ou le Wookie.

— Dans des situations comme celle-ci, dit Zekk en exécutant un mouvement lent, comme pour abandonner l’œuf à un rival trop fort, la meilleure solution est de… courir !

Il avait déjà tourné les talons et fonçait le long du passage branlant. Les secousses provoquées par sa course firent se détacher un panneau de mur, qui alla s’écraser dans des profondeurs insondables.

Réagissant au quart de tour, les jeunes Jedi s’élancèrent derrière leur ami.

Leurs agresseurs ne furent pas en reste. Frappant les parois avec leurs armes primitives, ils poursuivirent les fuyards.

Arrivé au milieu du pont, Zekk s’arrêta net : une jeune femme agressive, plus implacable encore que Tenel Ka, était sortie de l’autre immeuble et lui bloquait le passage.

— Nous sommes coincés, fit Jaina, découragée.

Leur situation n’avait rien d’enviable.

Debout au milieu du pont chancelant, Zekk étudia les options qui s’offraient à eux. Le vent s’engouffrait par les fenêtres brisées des bâtiments, produisant un sifflement sinistre.

— Pour que tout le monde ait sa chance, déclara Zekk, je vous soumets à tous ce problème. Vous avez des suggestions ?

Jaina essayait de se souvenir d’une astuce apprise chez oncle Luke qui pourrait leur être utile. Parfaitement concentrée sur la Force, elle était capable de manipuler des objets, mais elle ne voyait pas comment ses pouvoirs encore incertains les sortiraient de ce piège.

Bombant le torse, Norys avança.

— Maintenant, donne-moi cet œuf, ramasseur d’ordures ! Alors, nous consentirons peut-être à ne pas vous jeter dans le vide.

Que faire ?

À cet instant, un cri strident brisa le silence – un cri de prédateur à vous glacer les sangs.

Une ombre obscurcit le « ciel » à l’aplomb du lieu de l’affrontement.

Poussant un autre hurlement, la mère faucon-souris fondit vers le pont. Sous son bec pointu, les restes de grillage de la toiture menaçaient de céder. Pour tenter d’atteindre Norys, l’oiseau, sifflant et hurlant de fureur, agrandit un trou déjà béant.

Effrayé par l’attaque-surprise, le chef de la bande recula.

Zekk serrait à nouveau son butin contre lui.

Profitant de la diversion créée par le faucon-souris, Lowie courut vers la femme seule qui obstruait la sortie du passage.

— Oh, mon Dieu, couina DTM. J’espère que personne ne voit d’inconvénient à ce que je désactive mes senseurs optiques en ces circonstances ?

Déroutée par l’oiseau en furie et la boule de fourrure orangée fonçant sur elle avec force grondements, la jeune combattante de Génération Perdue qui coupait la retraite aux cinq amis dégagea le terrain sans combattre.

— On attend quoi, le dégel ? cria Jaina en s’élançant.

Plié en deux pour protéger l’œuf de faucon-souris, Zekk courut derrière elle. Jacen les suivit, tandis que Tenel Ka se retournait pour rappeler aux autres membres du gang la menace bien réelle de ses dagues.

Formant l’arrière-garde, elle sprinta ensuite sans difficulté.

Ravie par le spectacle de cette évasion réussie, la mère faucon-souris poussa un dernier cri, puis s’envola, satisfaite.

Avant que les cinq amis soient hors de portée de voix, Norys lança quand même un avertissement :

— On t’aura la prochaine fois, ramasseur d’ordures ! Tu m’entends ? Tu feras partie de ma bande, de gré ou de force !

Zekk ne daigna pas répliquer, car il était trop occupé à guider ses compagnons à travers le dédale de cages d’escaliers, de passages inclinés et d’ascenseurs qui les ramenait vers des niveaux plus proches de la lumière du jour et plus rassurants.

Haletant, il autorisa finalement une pause.

Le visage du jeune aventurier exprimait sans détour son soulagement et sa fierté.

— Je croyais que les faucons-souris avaient la mémoire courte, dit-il, reprenant son souffle.

Jacen haussa les épaules, l’air penaud.

— N’es-tu pas content que je me sois trompé ?

— Et comment ! approuva sa sœur. Nous sommes tous contents !

— En route ! ordonna Zekk. Rapportons cet œuf à la maison.