Chapitre XVII
Lorsque j’ai dit que Cathy était un monstre, il me semblait qu’il en était ainsi. Maintenant que je me suis penché sur les petits caractères alignés qui racontent son histoire et que j’ai relu toutes les notes aux bas des pages, je me demande si c’était vrai. Comme nous ne savons pas ce qu’elle voulait, nous ne saurons jamais si elle l’a obtenu ou non. Et si, plutôt que d’aller vers quelque chose, elle fuyait devant, nous ignorons si elle lui a échappé. Qui sait si elle n’a pas essayé de dire ce qu’elle était à quelqu’un ou à tous et si elle n’a pas failli parce qu’elle ne connaissait pas notre langage ? Peut-être sa vie fut-elle son langage, avec sa syntaxe, ses beautés, mais indéchiffrable. Il est facile de dire qu’elle était mauvaise. Mais cela ne signifie pas grand-chose si nous ne savons pas pourquoi.
J’ai dessiné le portrait de Cathy, attendant calmement la fin de sa grossesse, vivant dans une ferme qu’elle n’aimait pas, avec un homme qu’elle n’aimait pas.
Elle était assise dans un fauteuil sous un chêne, les mains croisées sur le ventre. Elle devenait très grosse, anormalement grosse, bien que la mode fût aux bébés énormes et que les livres supplémentaires fussent un sujet de fierté. Elle était déformée ; son ventre tendu, lourd, lui interdisait la position debout sans le soutien de ses mains. Mais l’enflure était localisée. Les épaules, le cou, les bras, les mains, le visage n’étaient pas affectés et restaient minces comme ceux d’une fillette. Ses seins ne grossissaient pas et les pointes ne brunissaient pas. Les glandes mammaires ne travaillaient pas. Rien ne se préparait à nourrir le nouveau venu. Lorsqu’elle était assise derrière une table, il était impossible de voir qu’elle était enceinte.
À cette époque, il n’y avait pas d’auscultation prénatale, pas d’examen du sang, pas de fortifiant à base de calcium. À chaque enfant, la mère perdait une dent. C’était la loi. Il arrivait qu’une femme eût d’étranges envies, sales parfois, et on disait que c’était le tribut au péché originel qu’Eve continuait de payer.
Comparées à certaines, les envies de Cathy était simples. Les charpentiers qui réparaient la vieille maison se plaignaient de ne jamais retrouver les bâtons de craie avec lesquels ils faisaient leurs marques. Ils disparaissaient. Cathy les volait, les cassait en petits morceaux et les cachait dans la poche de son tablier. Lorsque personne ne la voyait, elle écrasait la chaux entre ses dents. Elle parlait peu. Ses yeux étaient vagues. On aurait dit qu’elle était partie, laissant à sa place une poupée animée.
Autour d’elle, il y avait une grande activité. Adam, en plein bonheur, bâtissait son Eden. Samuel et ses fils avaient foré un puits de quarante pieds et mettaient en place une armature de fer, car Adam voulait ce qui se faisait de mieux.
Les Hamilton transportèrent leur sonde autre part et commencèrent à creuser un nouveau trou. Ils dormaient sous une tente à côté de leur chantier, et cuisinaient sur un feu de camp. Mais il y en avait toujours un des trois chevauchant vers la ferme pour aller chercher un outil ou porter un message.
Adam allait un peu partout comme une abeille attirée par trop-de fleurs. Il s’asseyait à côté de Cathy et lui parlait des nouveaux plants qui venaient d’arriver. Il lui décrivait la nouvelle pale de moulin à vent que Samuel avait inventée. Elle avait un pas variable et c’était quelque chose de jamais vu. Il allait jusqu’au puits et ralentissait le travail par ses questions. Et, évidemment, puisqu’il parlait puits avec Cathy, avec les puisatiers il parlait naissance et layette. C’était une période heureuse pour Adam, la meilleure. Il était le roi d’une vie longue et remplie. L’été passa et ce fut un automne chaud et rouge.
Les Hamilton venaient de finir leur déjeuner de pain, de fromage et de café fort, réchauffé sur le feu. Joe avait les paupières lourdes et il cherchait un moyen de s’éloigner dans les broussailles pour dormir un peu.
Samuel était agenouillé sur le sol sablonneux et il examinait les arêtes cassées de sa sonde. Avant de s’arrêter pour déjeuner, le foret avait rencontré quelque chose trente pieds plus bas qui avait entamé l’acier comme si c’eût été du plomb. Samuel gratta la tige avec son couteau de poche et examina les éclats dans la paume de sa main. Ses yeux brillaient d’une joie enfantine. Il tendit la main et versa les éclats sur la paume de Tom.
« Regarde cela, fils. Que crois-tu que ce soit ? »
Joe se rapprocha en se dandinant. Tom examina les fragments.
« Je ne sais pas ce que c’est, mais c’est dur, dit-il. C’est trop gros pour être un diamant. On dirait du métal. Crois-tu que nous soyons tombés sur une locomotive enterrée ? »
Son père rit.
« A trente pieds ! dit-il avec admiration.
– On dirait l’acier d’un outil, dit Tom. Nous n’avons rien d’aussi dur. »
Samuel sembla absorbé par la contemplation d’un spectacle lointain mais joyeux et Tom en frémissant partagea son ravissement. Les enfants Hamilton aimaient voir l’esprit de leur père vagabonder, car alors le monde se peuplait d’étonnements.
Samuel dit :
« Tu penses que c’est du métal ? De l’acier ? Tom, je Vais te dire ce que c’est, et puis je ferai faire une analyse. Rappelle-toi bien : nous trouverons du nickel et peut-être de l’argent, du graphite et du manganèse. Comme je voudrais le ramener à la surface ! Il est enfoui dans une couche de sable marin. »
Tom dit :
« Que crois-tu que ce soit ? Du nickel et de l’argent… ?
– Cela a dû se passer il y a des milliers de siècles, dit Samuel. (Et ses fils savaient qu’il voyait la scène.) Peut-être y avait-il de l’eau ici. Une mer intérieure avec des oiseaux qui tournaient en cercle et qui criaient. Si cela s’est passé la nuit, quel spectacle ! Un trait fulgurant, une boule de feu, une lumière aveuglante qui tombe du ciel, une éclaboussure comme un grand champignon, les oreilles font mal, car il déchire l’air et fait exploser l’eau tout à la fois. Et puis, c’est la nuit noire à cause de la lumière aveuglante. Et, peu à peu les poissons morts remontent à la surface, leur ventre argenté brille sous la lune et les oiseaux viennent les manger. C’est une belle image, n’est-ce pas ? »
Tom demanda doucement :
« Tu crois que c’est un météore, n’est-ce pas ?
– J’en suis sûr. Et l’analyse le prouvera. »
Joe, très excité, dit :
« Ramenons-le à la surface.
– Toi, creuse si tu veux. Nous, nous avons un puits à forer. »
Tom dit sérieusement :
« Si l’analyse montre qu’il a assez de nickel et d’argent, est-ce que cela ne serait pas intéressant ?…
– Tu es bien mon fils, dit Samuel. Mais nous ne savons pas si c’est gros comme une maison ou petit comme un chapeau.
– Nous pourrions descendre et aller voir.
– Mais secrètement alors, et sans en dire mot à personne.
– Pourquoi ?
– Ecoute, Tom. Ne penses-tu pas à ta mère ? Nous lui causons assez d’ennuis. Elle m’a bien fait comprendre que si je dépensais encore un sou à prendre des brevets, elle ferait une scène dont je garderais longtemps le souvenir. Aie pitié d’elle. Te rends-tu compte de la honte qu’elle éprouverait lorsqu’on lui demanderait ce que nous faisons ? Ta mère dit toujours la vérité, Tom. Il lui faudrait répondre : « Ils creusent un trou pour aller chercher une étoile. » (Il eut un rire heureux.) Elle ne nous le pardonnerait pas. Nous en verrions de toutes les couleurs. Pas de dessert pendant au moins trois mois. »
Tom dit :
« Nous ne pouvons plus continuer à percer. Il faudra aller autre part.
– Je vais y descendre une charge de poudre. Si le météore résiste, nous percerons un autre trou. (Il se releva.) Il faut que j’aille à la maison prendre l’explosif et aiguiser la sonde. Pourquoi n’irions-nous pas tout ensemble ? Cela fera une surprise à maman. Elle cuisinera toute la nuit et elle n’arrêtera pas de se plaindre. Comme cela elle pourra cacher qu’elle est contente de nous voir. »
Joe dit :
« Voilà quelqu’un qui arrive à toute vitesse. » Un cavalier venait vers eux au triple galop mais c’était un curieux cavalier, sautant sur sa monture comme un animal en peluche. Lorsqu’il se rapprocha, ils virent que c’était Lee, ses coudes battant comme des ailes et sa natte sautant comme un serpent. Il était surprenant qu’à une telle vitesse il n’eût pas été démonté. Il s’arrêta, haletant.
« Mr. Adam dile vous veni’. Mrs. Cathy mal. Veni’vite. Monsieur clier, pleuler.
– Doucement, Lee, dit Samuel. Quant cela a-t-il commencé.
– Peut-êtle heule déjeuner.
– Bon. Calmez-vous. Comment va Adam ?
– Mr. Adam fou. Clier, lile, vomi’.
– -Mais oui, dit Samuel. Ah ! Ces nouveaux pères ! Je l’ai été il y a longtemps. Tom, harnache-moi le cheval, veux-tu ? » Joe demanda : « Qu’est-ce qu’il se passe ?
– Mrs. Trask va avoir un bébé. J’ai dit à Adam que je l’aiderai.
– Toi ? » Demanda Joe.
Samuel regarda son plus jeune fils.
« Je vous ai tous mis au monde, dit-il. Et jusqu’ici le monde ne s’est jamais plaint que je lui aie rendu un mauvais service. Tom, rassemble tous les outils et rentre à la ferme aiguiser le foret… Tu rapporteras la boîte de poudre qui est sur l’étagère dans la remise et traite-la avec respect si tu tiens à tes bras et à tes jambes. Joe, tu resteras ici à surveiller le matériel. » Joe demanda plaintivement : « Qu’est-ce que je vais faire ici tout seul ? » Samuel garda le silence, puis il dit : « Joe, as-tu de l’affection pour moi ?
– Mais… oui.
– Si l’on te disait que j’ai commis un crime, me dénoncerais-tu à la police ?
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Me dénoncerais-tu ?
– Non.
– Bon ! Très bien. Dans ma musette, sous mes vêtements, tu trouveras deux livres. Ils sont neufs. Aussi, traite-les bien. Ce sont deux volumes écrits par un homme dont le monde entendra bientôt parler. Tu peux commencer à les lire, ça te fera beaucoup de bien. Ce sont les Principes de Psychologie par un homme de l’Est du nom de William James. Il n’est pas apparenté aux pilleurs de trains. Si, par malheur, tu dis à qui que ce soit que je possède ces livres, je te flanque à la porte. Car si ta mère apprenait jamais que j’ai dépensé de l’argent pour acheter ces livres, c’est elle qui me flanquerait à la porte. »
Tom amena par la bride un cheval sellé.
« Est-ce que je pourrai les lire ?
– Oui, répondit Samuel. (Et il sauta légèrement en selle.) En route, Lee. »
Le Chinois voulut partir au galop mais Samuel le retint,
« Doucement, Lee. Un accouchement prend plus de temps que vous ne pouvez croire. »
Ils chevauchèrent un moment en silence, puis Lee dit :
« C’est dommage que vous ayez acheté ces livres. Je les ai dans l’édition intégrale en un seul volume. J’aurais pu vous le prêter.
– Oui, dommage. Avez-vous beaucoup de livres ?
– Beaucoup, non. Trente ou quarante. Mais ceux que vous n’avez pas lus sont à votre disposition.
– Merci, Lee. Dès que j’en aurai l’occasion, j’irai jeter un coup d’œil à votre bibliothèque. Vous devriez parler à mes garçons. Joe est un peu tête en l’air, mais Tom est sérieux et cela lui ferait le plus grand bien.
– C’est un pas difficile à franchir, Mr. Hamilton. Ma timidité m’empêche de parler à quelqu’un de nouveau, mais j’essaierai si vous me le demandez. »
Ils poussèrent leurs chevaux en direction du vallon.
« Comment est la mère ? demanda Samuel.
– J’aimerais mieux que vous vous en rendiez compte par vous-même, répondit Lee. Lorsqu’un homme vit seul autant que moi, il arrive à considérer les choses sous un angle irrationnel, en fonction de sa position sociale.
– Oui, je comprends. Et pourtant moi qui ne vis pas seul, je considère aussi les choses sous un angle irrationnel. Mais peut-être est-il différent du vôtre.
– Ainsi vous ne croyez pas que ce soit le fruit de mon imagination ?
– Je ne crois rien du tout. Et, pour vous rassurer, je peux vous dire que j’ai aussi une sensation d’étrangeté.
– Je crois que là est tout mon mal, dit Lee. (Il sourit.) Tant qu’à faire, je puis vous dire jusqu’où il va. Depuis que je suis ici, je me remémore les contes de fées que me racontait mon père. Nous, Chinois, avons une démonologie très au point.
– Croyez-vous qu’elle soit un démon ?
– Évidemment non, dit Lee. J’espère avoir dépassé ce stade primaire. Vous savez, Mr. Hamilton, le serviteur acquiert une certaine habileté à prendre le vent et à juger le climat de la maison où il travaille. Or, ma maison est étrange. Peut-être est-ce pour cela que je me rappelle les démons paternels.
– Votre père y croyait-il ?
– Oh ! Non. Mais il pensait que je devais les connaître. D’ailleurs, vous, Occidentaux, perpétuez aussi un bon nombre de mythes. »
Samuel répondit :
« Dites-moi ce qui a réveillé les démons ?
– Si nous n’étions pas en route, j’essaierais de vous le dire. Mais je préféré m’abstenir. Vous verrez par vous-même. Peut-être ai-je le délire. Mr. Adam est tellement tendu qu’il peut casser comme une corde de banjo.
– Donnez-moi un point de départ. Je gagnerai du temps. Qu’a-t-elle fait ?
– Rien. Très exactement, rien. J’ai déjà assisté à des naissances, Mr. Hamilton, mais celle-ci a quelque chose de nouveau pour moi.
– Comment cela ?
– Eh bien !… je vais vous dire la seule image qui me vienne à la tête : on dirait plutôt un combat à mort qu’une naissance. »
Lorsqu’ils passèrent sous les chênes pour entrer dans le vallon, Samuel dit :
« J’aimerais savoir pourquoi ce jour me semble tellement étrange.
– Il n’y a pas de vent, dit Lee. C’est la première fois depuis un mois que le vent ne souffle pas l’après-midi.
– Ce doit être ça. J’ai porté tant d’attention aux détails que je n’ai pas vu comment se présentait le jour. Ce matin nous découvrons une étoile enterrée et maintenant nous allons mettre au monde un être humain. »
À travers les branches des chênes, il regarda les collines ensoleillées.
« Quel beau jour pour naître ! Si les signes ont une influence, une belle vie se prépare. Je crains qu’Adam ne soit embarrassant. Restez à mes côtés, voulez-vous, au cas où j’aurais besoin de quelque chose. Regardez, les charpentiers sont assis sous un arbre.
– Mr. Adam a fait arrêter le travail. Il avait peur que les coups de marteau dérangent sa femme. »
Samuel répéta :
« Restez à mes côtés. Adam est plein de bonnes intentions mais ce qu’il ne sait pas c’est que sa femme n’entendrait même pas le Bon Dieu battant le rappel sur les nuages. »
Les ouvriers assis sous l’arbre les accueillirent.
« Ça va, Mr. Hamilton ? Et votre famille ?
– Ça va, ça va. Est-ce que ce n’est pas là Rabbit Holman ? Où étais-tu, Rabbit ?
– Je suis allé prospecter, Mr. Hamilton.
– As-tu trouvé quelque chose ?
– Je n’ai même pas retrouvé la mule que j’avais emmenée avec moi. »
Ils se dirigèrent vers la maison. Lee dit rapidement :
« Si vous avez une minute, je vous montrerai quelque chose.
– Qu’est-ce que c’est. Lee ?
– J’ai essayé de traduire quelques poésies chinoises anciennes en anglais. Je ne sais pas si cela est possible. Voudriez-vous y jeter un coup d’œil ?
– Avec plaisir, Lee. Avec grand plaisir. »
La résidence des Bordini était calme, d’un calme secret, et les rideaux étaient tirés. Samuel s’arrêta devant le perron, décrocha ses sacs de selle et tendit les rênes à Lee. Il frappa, n’obtint pas de réponse et entra. Après la lumière du jour, le salon semblait sombre. Il entra dans la cuisine. Une cafetière de grès gris chauffait doucement sur le poêle. Samuel frappa légèrement à la porte de la chambre et entra.
Il faisait presque noir à l’intérieur car, en plus des rideaux tirés, des couvertures masquaient les fenêtres. Cathy était allongée dans un grand lit à colonnes et Adam se tenait à côté d’elle, le visage enfoui dans le couvre-lit. Il leva la tête et jeta un regard aveugle.
Samuel lança plaisamment : « Pourquoi restez-vous dans le noir ? » Adam répondit d’une voix cassée : « La lumière lui fait mal aux yeux. » Samuel entra dans la pièce et comprit qu’il devait faire preuve d’autorité.
« Il faut de la lumière, dit-il. Qu’elle fermée les yeux. Je les lui banderai, si elle le désire. »
Il se dirigea vers la fenêtre et empoigna la couverture, mais Adam se leva d’un bond.
« Laissez cela. La lumière lui fait mal ! », Dit-il sauvagement.
Samuel fit face.
« Ecoutez, Adam, je sais ce que vous ressentez. Je vous ai promis de m’occuper de tout et je le ferai. Mais ne me mettez pas de bâtons dans les roues. »
Il arracha la couverture, tira le rideau et la lumière dorée illumina la pièce.
Cathy gémit. Adam se dirigea vers elle. « Ferme les yeux, ma chérie. Je te mettrai un bandeau. » Samuel déposa ses deux sacs sur une chaise et se planta près du lit.
« Adam, dit-il fermement, je vais vous demander de quitter cette pièce et de ne pas y rentrer.
– Pourquoi ? Je ne peux pas.
– Je ne veux pas vous avoir dans les jambes. En général les futurs papas prennent une bonne cuite.
– Je ne pourrais pas. » Samuel dit :
« La colère naît lentement en moi et le mépris plus lentement encore. Mais je les sens germer tous deux. Vous allez quitter cette pièce et ne pas m’ennuyer ou bien je m’en vais et je vous laisse vous débrouiller tout seul. »
Adam finit par s’en aller et, lorsqu’il fut à la porte. Samuel lui jeta :
« Et ne faites pas irruption dans cette pièce au moindre cri. Attendez que je sorte. (Il ferma la porte, remarqua qu’il y avait une clef et la tourna.) Il est troublé, il est véhément. Il vous aime. »
Jusque-là, il n’avait pas regardé Cathy. Il vit dans ses yeux une haine solide, sans merci, meurtrière.
« Ce ne sera pas long, ma chère. Avez-vous perdu les eaux ? »
Son regard hostile fixa l’homme et ses lèvres s’écartèrent pour découvrir les petites dents. Elle ne répondit pas.
Il la regarda froidement.
« Je ne suis venu ici qu’en ami. Ce n’est pas par plaisir, ma jeune dame. Je ne connais pas vos ennuis et ils ne m’intéressent pas. Peut-être puis-je vous empêcher de souffrir. Je vais vous poser encore une question. Si vous ne me répondez pas, et si vous me regardez encore avec cet air goguenard, je m’en vais et je vous laisse. »
Les mots touchèrent Cathy comme une décharge de chevrotines tirée dans un baquet d’eau. Elle fit un effort, et il frémit en voyant son visage se transformer, le regard d’acier disparaître, les lèvres se desserrer et les coins de la bouche se relever. Il remarqua le mouvement des mains, les poings qui se desserraient et les paumes qui s’incurvaient, ouvertes. Son visage devint jeune, innocent et refléta une vraie souffrance. On aurait dit qu’une vue de lanterne magique en remplaçait une autre.
Elle répondit doucement :
« J’ai perdu les eaux à l’aube.
– J’aime mieux ça. Le travail a-t-il été dur ?
– Oui.
– Les douleurs étaient espacées de combien ?
– Je ne sais pas.
– Je suis avec vous depuis un quart d’heure.
– J’en ai eu deux petites mais pas de grande depuis votre arrivée.
– Très bien. Où est votre linge ?
– Dans le coffre.
– Tout se passera bien », dit-il gentiment.
Il ouvrit un de ses sacs et en sortit une épaisse corde couverte de velours bleu et bouclée à chaque extrémité. Le velours était brodé de fleurs roses.
« Liza vous envoie sa corde, dit-il. Elle l’a fabriquée pendant qu’elle attendait notre premier-né. En comptant nos enfants et ceux de nos amis, cette corde a tiré bien des gens au monde. »
Il glissa chacune des boucles sous les pieds du lit.
Soudain Cathy écarquilla les yeux, son dos se tendit comme une lame de ressort et le sang monta à ses joues. Samuel attendit des pleurs ou des hurlements et il regarda avec appréhension la porte fermée. Mais il n’y eut pas de cris, à peine une série de grognements douloureux. Au bout de quelques secondes, Cathy retomba en arrière. Elle avait à nouveau son regard haineux.
Une douleur la secoua à nouveau.
« Bonne petite fille, dit-il d’une voix douce. Avez-vous une ou deux douleurs ? Je ne puis vous le dire car, plus on a d’expérience, plus on s’aperçoit qu’il est difficile de les dissocier. Il est temps que j’aille me laver les mains. »
Les dents serrées, elle lançait la tête de gauche à droite.
« Bien, bien, ma petite, dit-il. Le bébé ne va pas tarder à arriver. (Il posa sa main sur le front de Cathy, sur la vilaine cicatrice.) Comment avez-vous été blessée ? » Demanda-t-il.
Cathy lança la tête en avant et ses petites dents pointues se plantèrent dans le gras de la paume de Samuel, près du petit doigt. Il poussa un cri de douleur et essaya de retirer sa main. Mais la prise était bonne. Cathy tournait la tête par secousses, déchirant les chairs comme un chien déchire un sac et, en même temps, un cri aigu, prolongé, sortait de sa bouche. Samuel la gifla. Aucun effet. Automatiquement, il fit ce qu’il aurait fait avec un chien. De la main gauche, il serra la gorge de Cathy pour l’étouffer. Elle se débattit et arracha le morceau de chair pour enfin desserrer son étreinte. Samuel réussit à retirer sa main ensanglantée. Il recula et examina sa blessure. Il regarda Cathy avec crainte. Mais son visage était à nouveau calme, enfantin, innocent.
« Excusez-moi. Excusez-moi. C’est la douleur », dit-elle.
Samuel eut un rire bref.
« Il va falloir que je vous muselle, dit-il. Une chienne bâtarde m’a fait ça un jour. »
Le regard de Cathy se fit à nouveau haineux pour quelques secondes.
Samuel dit :
« Avez-vous quelque chose à mettre dessus ? Les humains sont plus venimeux que les serpents.
– Je ne sais pas.
Avez-vous du whisky ? »
Il appliqua le goulot de la bouteille sur la plaie, puis la renversa. Une envie de vomir le prit à l’estomac et un voile brouilla ses yeux. Il but une gorgée d’alcool pour se remettre d’aplomb. Il avait peur de regarder le lit.
« Ma main sera inutilisable pour quelque temps », dit-il. Plus tard, Samuel raconta à Adam : « Elle a une constitution de fer. L’enfant est né avant que je sois prêt. Il est sorti comme un bouchon. Je n’avais pas d’eau pour le laver. Elle n’a même pas touché la corde pour accoucher. Une constitution de fer. »
Il courut à la porte, appela Lee et demanda de l’eau chaude. Adam se précipita dans la chambre. « Un garçon, cria Samuel. C’est un garçon. » Adam vif le sang sur le lit et son visage tourna au vert.
« Du calme, dit Samuel. Envoyez-moi Lee. Et vous, Adam si vous savez encore ce que vous faites, allez donc préparer du café. Et assurez-vous que les lampes sont pleines et que les verres sont propres. »
Adam tourna comme une toupie et quitta la pièce. Aussitôt, Lee entra. Samuel désigna du doigt un petit paquet dans le panier à linge.
« Epongez-le et plongez-le dans l’eau chaude, Lee. Attention aux courants d’air, Seigneur ! Je voudrais que Liza fût ici. Je ne peux pas tout faire à la fois. (Puis il se retourna vers le lit.) Je vais vous nettoyer, maintenant. (Mais Cathy était à nouveau courbée en deux, grimaçante de douleur.) Ça ne sera pas long, dit-il, le temps d’évacuer le placenta. Vous êtes très rapide. Quand je pense que vous n’avez pas eu besoin de la corde de Liza ! »
Puis tout à coup, il vit quelque chose et ouvrit tout grand les yeux.
« Seigneur qui êtes aux cieux, en voici un autre ! » Il se remit au travail et, comme la première fois, l’accouchement fut incroyablement rapide. Samuel coupa un deuxième cordon ombilical. Lee prit le deuxième bébé, le lava, l’enveloppa et le posa dans le panier.
Samuel nettoya la mère et la souleva pour la changer de linge. Il s’aperçut qu’il éprouvait une répugnance à regarder son visage. Il travaillait aussi vite qu’il pouvait, mais sa main mordue s’ankylosait. Il couvrit Cathy d’un drap propre et lui souleva la tête pour glisser dessous un oreiller frais. Enfin, il dut se résigner à la regarder.
Ses cheveux dorés étaient mouillés de sueur, mais son visage avait changé. Un visage pétrifié, dénué d’expression. Les artères de sa gorge battaient, visibles.
« Vous avez deux fils, dit Samuel. Deux beaux garçons.
Ce ne sont pas de vrais jumeaux. Ils sont nés chacun dans un sac séparé. »
Elle l’examina froidement et sans intérêt.
Samuel dit :
« Je vais vous montrer vos garçons.
– Non, répondit-elle.
– Comment ? Vous ne voulez pas voir vos fils ?
– Je n’en veux pas.
– Vous changerez bientôt d’avis. Vous êtes fatiguée. Et je peux vous le dire, je n’ai jamais vu de ma vie un accouchement aussi rapide. »
Le regard de Cathy quitta le visage de Samuel.
« Je n’en veux pas. Je veux que vous fermiez les rideaux et que vous empêchiez la lumière d’entrer.
– C’est la fatigue. Dans quelques jours, vous verrez les choses différemment et vous aurez tout oublié.
– Je me rappellerai. Partez. Emmenez-les de cette chambre. Envoyez-moi Adam. »
Samuel fut stupéfait par le ton de sa voix. On n’y décelait ni malaise, ni lassitude, ni douceur. Ses mots étaient l’expression même de sa volonté.
« Je ne vous aime pas », dit-il.
Aussitôt, il regretta et souhaita pouvoir ravaler sa phrase. Mais elle n’avait eu aucun effet sur Cathy.
« Envoyez-moi Adam », dit-elle.
Dans le petit salon, Adam jeta un regard vague sur ses deux enfants et se dirigea rapidement vers la chambre, dont il referma la porte. Au bout d’un moment, on entendit des bruits de coups de marteau. Adam était en train de reclouer les couvertures sur les fenêtres.
Lee apporta du café à Samuel.
« Votre main a vilaine allure.
– Je sais. Je crains qu’il n’y ait des complications.
– Pourquoi a-t-elle fait ça ?
– Je ne sais pas. Elle est étrange. »
Lee ajouta :
« Je vais vous soigner, Mr. Hamilton. Cela pourrait vous coûter votre bras. »
Samuel semblait moribond.
« Faites ce que vous voudrez, Lee. Un chagrin effrayant a empli mon cœur. Je voudrais être un enfant pour pouvoir pleurer. Je suis trop vieux pour avoir peur. Je n’ai pas ressenti un désespoir aussi grand depuis le jour où un oiseau est mort dans ma main, il y a bien longtemps. »
Lee quitta la pièce et revint bientôt portant une petite boîte d’ébène incrustée de dragons. Il s’assit près de Samuel et sortit de son étui un rasoir chinois à lame triangulaire.
« Cela va faire mal, dit-il doucement.
– J’essaierai de le supporter. »
Le Chinois se mordit les lèvres, sentant en lui la douleur qu’il infligeait, lorsqu’il coupa profondément en ouvrant plus avant la plaie et, lorsqu’il tailla les lambeaux de chair jusqu’à ce qu’un flot de sang rouge sorte de la blessure. Il secoua une petite bouteille de baume Hall et versa quelques gouttes du liquide jaune sur la blessure. Puis il en satura un mouchoir et enveloppa la main. Samuel grimaça et s’agrippa au fauteuil de sa main valide.
« C’est en grande partie de l’acide phénique, dit Lee. Vous le reconnaissez à l’odeur.
– Merci, Lee. Je me conduis comme un enfant à me tortiller ainsi.
– Je ne sais pas si j’aurais pu rester aussi calme, dit Lee. Je vais vous chercher une autre tasse de café. »
Il revint bientôt avec deux tasses et s’assit près de Samuel.
« Je vais quitter cette maison, dit-il. Je n’ai jamais accepté de bon cœur de travailler aux abattoirs. »
Samuel se raidit.
« Que voulez-vous dire ?
– Je ne sais pas, les mots sont sortis de ma bouche. »
Samuel frissonna.
« Lee, les hommes sont bêtes. Et jusqu’ici je ne m’en étais jamais rendu compte, mais les Chinois aussi sont bêtes.
– Pourquoi en aviez-vous douté ?
– Peut-être parce que nous croyons que les étrangers sont plus forts et meilleurs que nous.
– Que voulez-vous exprimer ? »
Samuel répondit :
« Peut-être la bêtise est-elle nécessaire, les combats contre le dragon, l’orgueil, le courage pitoyable qui consiste à mettre Dieu en colère et la couardise enfantine qui fait de chaque arbre mort le long d’une route un fantôme, peut-être est-ce bon et nécessaire mais…
– Que voulez-vous exprimer ? répéta patiemment Lee.
– Je pensais qu’un vent de folie avait soufflé sur les déserts de mon esprit, mais, maintenant que j’ai entendu votre voix, je comprends qu’il a soufflé en vous aussi. Il y a quelque chose sur cette maison. Une horreur approche.
– Je la pressens aussi.
– Je le sais. Et c’est pourquoi je me sens moins à l’aise que d’habitude dans ma stupidité. Cette naissance a été trop rapide, trop facile, comme une chatte avec ses chatons. Et j’ai peur pour ces deux chatons. J’ai d’horribles pensées qui se fraient un chemin vers ma tête.
– Que voulez-vous exprimer ? demanda Lee pour la troisième fois.
– Je voudrais ma femme ! cria Samuel. Plus de rêves, plus de fantômes, plus de stupidité ! Je la veux auprès de moi. On dit que les mineurs descendent dans les fosses avec des canaris pour voir si l’air est respirable. Liza sait reconnaître la stupidité. Si Liza voit un fantôme, c’est réellement un fantôme et non un fragment de rêve. Si Liza sent le malheur, nous barricaderons les portes. »
Lee se leva, se dirigea vers le panier à linge et regarda les bébés. Il dut s’approcher de très près, car la lumière diminuait rapidement.
« Ils dorment, dit-il.
– Ils crieront bien assez tôt. Lee, voulez-vous atteler la carriole et aller chercher Liza ? Dites-lui que j’ai besoin d’elle. Si Tom est encore là-bas, dites-lui d’y rester. Sinon je l’y enverrai demain. Et si Liza ne veut pas venir, dites-lui que nous avons besoin d’une main de femme et d’un œil limpide. Elle comprendra ce que cela veut dire.
– J’y vais, dit Lee. Peut-être sommes-nous en train de nous faire peur comme deux enfants dans le noir.
– J’y ai pensé, dit Samuel. Lee, dites-lui que je me suis blessé à la main en forant le puits. Pour l’amour du Ciel, ne lui dites pas la vérité.
– Je vais allumer quelques lampes et je pars, dit Lee. Ce sera un grand soulagement d’avoir votre femme avec nous.
– En vérité, Lee, en vérité. Elle apportera un peu de lumière dans cette cave obscure. »
Après le départ de Lee, Samuel prit une lampe de la main gauche. Il dut la poser sur le plancher pour tourner la poignée de la porte de la chambre. Elle était plongée dans l’obscurité et la lumière jaune du pétrole n’éclairait que le plafond, le lit restait dans le noir.
La voix de Cathy s’éleva :
« Fermez la porte. Je ne veux pas de lumière. Adam, va-t’en. Je veux être dans le noir, seule.
– Je reste avec toi, dit Adam d’une voix rauque.
– Je ne veux pas de toi.
– Je resterai.
– Reste si tu veux, mais tais-toi. Refermez cette porte et emmenez la lumière. »
Samuel retourna dans le salon. Il posa la lampe sur une table près du panier à linge et il examina les deux petits visages des bébés endormis. Leurs yeux étaient profondément fermés et ils grognèrent, gênés par la lumière. Samuel du bout de l’index, caressa les deux petits fronts chauds. Un des jumeaux bâilla en ouvrant une bouche énorme et se rendormit. Samuel reprit sa lampe, se dirigea vers la porte, l’ouvrit et fit quelques pas dehors. L’étoile du berger était si brillante qu’elle semblait scintiller comme une fusée prête à tomber derrière les montagnes. L’air était calme et Samuel distinguait l’odeur des sauges fanées par la chaleur du jour. La nuit était très noire. Samuel tressauta en entendant une voix sortir de l’obscurité.
« Comment va-t-elle ?
– Qui est-ce ? demanda Samuel.
– C’est moi, Rabbit. »
L’homme émergea du noir et sa silhouette se dessina dans la lumière de la porte.
« La mère, Rabbit ? Elle va bien.
– Lee a dit que c’étaient des jumeaux.
– C’est exact. Des jumeaux. On ne pouvait espérer mieux. Je suppose que Mr. Trask va remuer ciel et terre maintenant. Il va falloir qu’il plante des graines de sucettes ! (Samuel changea de sujet sans savoir pourquoi.) Sais-tu ce que nous avons trouvé aujourd’hui, Rabbit ? Un météore.
– Qu’est-ce que c’est, Mr. Hamilton ?
– Une étoile filante qui est tombée il y a des millions d’années.
– Vraiment ? Voyez-vous ça ! Comment vous êtes-vous blessé la main ?
– J’allais répondre « sur une étoile filante ». Mais ce n’est pas aussi intéressant que cela. Je me la suis coincée dans la roue dentée.
– Profond ?
– Non. Pas très.
– Deux garçons, dit Rabbit. Ma femme va être jalouse.
– Veux-tu entrer et causer avec moi, Rabbit ?
– Non, non, merci. Il faut que j’aille dormir. Chaque année qui passe, les nuits semblent plus courtes.
– C’est l’âge, Rabbit. Bonsoir. »
Liza Hamilton arriva vers quatre heures du matin. Samuel était endormi dans un fauteuil et il rêvait qu’il avait empoigné une barre de fer rougi. Liza le réveilla et examina sa main avant même de jeter un coup d’œil aux bébés. Puis, tout en apportant une touche féminine au travail masculin de Samuel, elle donna ses ordres. Samuel allait s’habiller, seller Doxology, et galoper vers King City. Peu importait l’heure. Il réveillerait ce bon à rien de médecin et se ferait soigner la main. Si ce n’était pas grave, il rentrerait à la maison et attendrait. Et c’était vraiment un grand crime que de laisser Joe, le pauvre dernier-né sans défense, assis au bord d’un trou sans personne pour veiller sur lui. C’était une affaire dont le Seigneur pourrait bien s’occuper personnellement.
Si Samuel avait demandé du réalisme, il était servi. Liza le jeta sur la route à l’aurore. Sa main était bandée à onze heures, et à cinq heures il était assis dans son propre fauteuil devant sa propre table, tremblant de fièvre à côté de Tom qui préparait du bouillon de poule.
Pendant trois jours, Samuel resta au lit, combattant les fantômes de la fièvre, puis sa forte nature prit le dessus et l’infection fut chassée.
Alors Samuel leva les yeux sur Tom, le regard clair, et dit :
« Il faut que je me lève. »
Il se mit debout et retomba faiblement assis en gloussant. Il gloussait toujours lorsque quelque chose au monde avait eu raison de lui. Il se disait que, même battu, il pouvait dérober un semblant de victoire en riant de la défaite. Tom le gava de bouillon, malgré les menaces de mort de son père. Vous trouverez encore des gens qui sont persuadés que le bouillon guérit n’importe quelle maladie, cicatrise toutes les blessures, et que l’on peut en servir aux repas d’enterrement.
Liza resta partie une semaine. Elle nettoya la maison des Trask depuis le grenier jusqu’à la cave. Elle rinça tout ce qui pouvait tenir dans une bassine et brossa le reste. Elle mit au point le régime alimentaire des bébés et remarqua avec satisfaction qu’ils dormaient bien et prenaient du poids. Elle employa Lee comme un esclave, car elle n’avait pas tout à fait confiance en lui. Elle ignora Adam, car elle ne pouvait l’utiliser pour rien, sauf une fois où elle lui fit nettoyer les fenêtres et refit tout le travail derrière lui.
Liza resta au chevet de Cathy assez longtemps pour en arriver à la conclusion que c’était une jeune femme intelligente qui ne parlait pas beaucoup et n’essayait pas de montrer à sa grand-mère comment on gobe des œufs. Elle l’examina et vit qu’elle était en parfaite santé, ni blessée ni malade. Elle comprit aussi que Cathy ne nourrirait pas les jumeaux. « Et dans le fond, c’est aussi bien. Ces deux gros voraces vous suceraient jusqu’à la moelle ! » Elle oubliait qu’elle était plus petite que Cathy et qu’elle avait nourri ses neuf enfants.
Un samedi après-midi, Liza jeta un coup d’œil général, laissa une liste d’instructions aussi longue que son bras, fit sa valise et demanda à Lee de la reconduire.
Elle trouva que sa maison était une étable, que c’était une abomination, et elle se mit au nettoyage avec la violence d’une furie. Samuel lui lança des questions au vol : Comment allaient les bébés ? Bien. Ils grandissaient. Comment allait Adam ? Il se déplaçait comme un être vivant mais il n’en donnait aucune preuve. Le Seigneur dans sa grande prudence donnait de l’argent à des gens bien étranges, peut-être pour les empêcher de mourir de faim. Comment allait Mrs. Trask ? Calme, l’air d’une grande dame comme la plupart des femmes riches de l’Est. (Liza n’avait jamais vu de femmes riches de l’Est.) Mais docile et respectueuse.
« C’est étrange, dit Liza. Je ne trouve rien à lui reprocher, sauf peut-être un penchant à la paresse, et pourtant je ne l’aime pas beaucoup. Peut-être est-ce cette cicatrice ? D’où provient-elle ?
– Je ne sais pas ». dit Samuel.
Liza pointa un index comme un pistolet vers les yeux de son mari.
« Je vais te dire quelque chose. Elle l’ignore elle-même mais elle a jeté un sort sur son mari. Il erre comme un canard malade. Je crois que jusqu’ici il n’a pas regardé deux fois ses jumeaux. »
Samuel attendit que Liza passât de nouveau à portée de sa voix.
« Si elle est paresseuse, et qu’il n’a plus sa tête, qui va prendre soin des bébés ? Des jumeaux demandent beaucoup de travail. »
Liza s’arrêta au beau milieu de son balayage, attira une chaise près du lit et s’assit en posant les mains sur ses genoux.
« Tu sais que je n’ai jamais menti.
– Tu ne peux pas mentir », dit Samuel.
Et Liza sourit, croyant que c’était un compliment.
« Je vais te dire quelque chose que tu auras peut-être du mal à croire.
– Dis-moi.
– Samuel, tu connais ce Chinois avec ses yeux fendus, son langage d’étranger et sa natte ?
– Lee ? Bien sûr que je le connais.
– N’étais-tu pas persuadé que c’était un païen ?
– Je ne sais pas.
– Allons, Samuel, tout le monde pourrait le croire. Et bien ce n’est pas un païen. »
Et elle se redressa.
« Et qu’est-il donc ? »
Elle lui tapota le bras d’un doigt de fer.
« Un presbytérien ! Et bien élevé… bien élevé, crois-moi. Mais il faut comprendre son charabia. Que dis-tu de ça ? »
Samuel avait beaucoup de mal à refréner son envie de rire.
« Non ? demanda-t-il.
– Je te dis que si. Qui crois-tu qui soigne les jumeaux ? Tu sais que je ne ferais pas confiance à un païen… Mais un presbytérien. Il a appris tout ce que je lui ai dit.
– Je comprends qu’ils aient pris du poids.
– C’est là un sujet de fierté et de prière.
– Nous partagerons cette fierté et nous prierons », dit Samuel.
Cathy se reposa une semaine et reprit ses forces. Le samedi de la deuxième semaine d’octobre, elle resta dans sa chambre toute la matinée. Adam voulut entrer mais la porte était fermée.
« Je suis occupée », cria-t-elle.
Et Adam s’éloigna.
« Elle met son secrétaire en ordre », pensa-t-il en entendant ouvrir et refermer les tiroirs.
À la fin de l’après-midi, Lee alla trouver Adam, assis sur le perron. Il dit avec une sorte d’embarras :
« Madame dile moi aller King City acheter bibelon.
– Eh bien, vas-y, dit Adam. Elle est ta maîtresse.
– -Madame dit moi pas leveni’avant lundi. »
La voix de Cathy s’éleva derrière eux :
« Il n’a pas eu de vacances depuis longtemps. Il a besoin de se reposer.
– C’est vrai, dit Adam. Je n’y avais pas pensé. Amuse-toi bien. Si j’ai besoin de quelque chose, je demanderai aux charpentiers.
– Les hommes lentler chez eux dimanche.
– Je demanderai à l’Indien. Lopez m’aidera. »
Lee sentit le regard de Cathy sur lui.
« Lopez soûl. Tlouvé bouteille whisky. »
Adam répondit en riant :
« Je saurai me débrouiller. »
Lee regarda Cathy debout dans l’encadrement de la porte.
Il baissa les yeux.
« Moi peut-êtle lentler tard », dit-il.
Et il crut voir deux rides se dessiner entre ses yeux puis disparaître. Il tourna les talons.
« Au levoi’ », dit-il.
Cathy rentra dans sa chambre comme la nuit tombait. À sept heures et demie, Adam frappa.
« Je t’ai préparé un petit dîner. »
La porte s’ouvrit comme si Cathy avait été derrière, attendant un signal. Elle avait son costume de voyage : jaquette bordée de noir à larges boutons, parements et col de velours noir. Sur la tête elle avait un large chapeau de paille dans lequel étaient piquées de longues épingles. Adam resta la bouche ouverte. Elle ne lui laissa pas le temps de parler.
« Je pars.
– Comment ?
– Je t’avais prévenu.
– Absolument pas.
– Tu ne m’as pas écoutée. Tant pis !
– Je ne te crois pas. »
Sa voix était morte et métallique :
« Ce que tu crois n’a aucune importance. Je pars !
– Les bébés ?
– Jette-les dans un de tes puits… »
Pris de panique il cria :
« Cathy, tu es folle. Tu ne peux pas me laisser, tu ne peux pas.
– Je peux faire de toi ce que je veux. Tu es à la merci de n’importe quelle femme. Tu es un imbécile. »
Le mot le sortit de son hébétude. Sans prévenir, il prit Cathy aux épaules et la repoussa. Elle recula chancelant. Il prit la clef à l’intérieur de la porte, referma le battant et donna un tour de clef.
Il resta haletant, l’oreille collée au panneau et un malaise empoisonné le pénétrait. Il l’entendit se déplacer calmement. Un tiroir fut ouvert et aussitôt la pensée lui vint : « Elle reste. » Puis il y eut un petit cliquetis qu’il ne put définir. La voix de Cathy résonna si près de son oreille qu’il recula :
« Chéri, dit-elle, je ne croyais pas que tu le prendrais comme ça. Je regrette. »
Il eut un soupir rauque et tourna d’une main tremblante la clef qui tomba. Il poussa la porte. Cathy était devant lui. Elle avait à la main droite un colt 44 dont l’âme noire était pointée sur lui. Il fit un pas vers elle et vit que le chien était relevé.
Elle tira. La balle de plomb le toucha à l’épaule, s’écrasa et lui arracha une partie de l’omoplate. L’explosion, le bruit, la douleur le firent vaciller et tomber. Elle s’approcha lentement, avec précaution, comme on s’approche d’un fauve blessé. Il regarda ses yeux et n’y vit rien. Elle jeta le pistolet sur le sol, à côté de lui, et sortit de la maison.
Il entendit ses pas sur le perron, puis sur les feuilles sèches du chemin, puis plus rien. Et le cri monotone qui résonnait depuis longtemps était celui des jumeaux qui avaient faim. Il avait oublié l’heure du repas.
Chapitre
XVIII
Horace Quinn était le nouveau shérif adjoint appointé par le gouvernement pour voir ce qui se passait dans le district de King City. Il se plaignait, et sa femme avec lui que son nouvel emploi l’empêchait de s’occuper de sa ferme. Mais, en réalité, les crimes étaient peu fréquents. Horace Quinn avait posé sa candidature comme adjoint mais il espérait bien devenir shérif, car c’était un poste important, beaucoup plus stable que celui de district attorney et presque aussi honorifique que celui de président de cour de justice. Horace ne voulait pas rester fermier toute sa vie et sa femme brûlait d’habiter Salinas où elle avait des parents.
Lorsque le bruit courut, colporté par l’Indien et les charpentiers, qu’Adam Trask avait été blessé d’une balle de pistolet, Horace sella aussitôt son cheval et laissa à sa femme le soin de transformer en charcuterie le cochon qu’il avait tué le matin même.
Au nord du grand sycomore, à l’endroit où la route d’Hester tourne vers la gauche, Horace rencontra Julius Euskadi. Julius se demandait s’il allait partir chasser la caille ou se diriger vers King City et prendre le train pour Salinas, où un homme peut se donner du bon temps. Les Euskadi étaient des gens bien, fortunés, descendants d’immigrants basques.
Julius dit :
« Voulez-vous m’accompagner à Salinas ? Il paraît qu’à côté de Jenny, à deux portes du Long Green, une nouvelle maison s’est ouverte : chez Faye. On m’a dit que c’était très bien. Presque comme à San Francisco. Il y a un pianiste. »
Horace posa son coude sur le pommeau de sa selle et chassa d’un coup de nerf de bœuf une mouche sur l’épaule de son cheval.
« Un autre jour, dit-il. Il faut que j’aille voir quelque chose.
– Vous n’allez pas chez les Trask, par hasard ?
– Exactement. Avez-vous entendu dire quelque chose ?
– Rien qui tienne debout. Mr. Trask s’est blessé à l’épaule avec un 44 et il a flanqué tous ses ouvriers à la porte. Avez-vous une idée de la façon dont on peut se blesser à l’épaule avec un 44, Horace ?
– Pas la moindre. Mais ces gens de l’Est sont si malins ! C’est pour cela que j’ai décidé d’aller me rendre compte. Est-ce que sa femme ne vient pas d’avoir un enfant ?
– Des jumeaux m’a-t-on dit, renchérit Julius. Ce sont peut-être eux qui lui ont tiré dessus.
– L’un tenait le revolver et l’autre appuyait sur la détente ? Qu’avez-vous entendu d’autre ?
– Des tas de choses, Horace. Puis-je vous accompagner ?
– Ne comptez pas sur moi pour vous nommer adjoint, Julius. Il paraît que les comptables du gouvernement épluchent les notes de frais. Vous connaissez Hornby à Alisal ? Eh bien, il a pris sa grand-tante comme adjoint et il l’a inscrite sur le livre de paie pendant trois semaines.
– Vous voulez rire !
– Pas du tout. Je ne vous épinglerai pas l’étoile sur la poitrine.
– Je n’ai pas besoin de votre étoile. Je pensais simplement vous accompagner. Je suis curieux.
– Moi aussi. Content de vous avoir avec moi, Julius. Si j’ai besoin de vous, je peux toujours vous faire prêter serment. Comment dites-vous que s’appelle cette nouvelle maison ?
– Faye. Une femme de Sacramento.
– Ils font bien les choses à Sacramento. »
Et Horace raconta comment on faisait les choses à Sacramento.
C’était une belle journée. Quand les deux hommes pénétrèrent dans le vallon des Sanchez, ils étaient en train de maudire les piètres résultats des chasses des dernières années. Comparées au passé, trois choses ne sont jamais ce qu’elles ont été : les récoltes, la pêche et la chasse. Julius dit :
« Seigneur ! Quelle idée ils ont eue de tuer tous les grizzlis. En quatre-vingt-huit, mon grand-père en a tué un du côté de Pleyto, qui pesait ses dix-huit cents livres. »
Lorsqu’ils arrivèrent sous les chênes, ils se turent pour respecter le silence. Il n’y avait ni bruit ni mouvement.
« Je me demande si la vieille maison est remise en état ? demanda Horace.
– Pensez-vous ! Rabbit Holman m’a dit que Trask avait réuni ses ouvriers pour les flanquer dehors.
– Il paraît que Trask est bien à son aise…
– C’est ce que l’on dit. Sam Hamilton est en train de forer quatre puits… s’il n’a pas été renvoyé lui aussi.
– Comment va Mr. Hamilton ? Il faudrait que j’aille le voir.
– Il va bien. Toujours plus près de l’enfer que du ciel.
– Un de ces jours j’irai lui rendre visite dans ses collines », dit Horace.
Lee sortit sur le perron pour les accueillir.
Horace lança :
« Bonjour, Ching Chong. Le patron est là ?
– Lui malade, répondit Lee.
– J’aimerais le voir.
– Pas voi’. Lui malade.
– Suffit, dit Horace. Dis-lui que le shérif adjoint Quinn veut le voir. »
Lee disparut et revint bientôt.
« Vous entler. Moi pendle chevaux. »
Adam était allongé sur le lit à colonnes où les jumeaux avaient vu le jour. Il était calé sur des oreillers et un épais pansement lui couvrait le sein gauche et l’épaule. Toute la pièce empestait le baume Hall.
Horace dit plus tard à sa femme : « C’était la première fois de ma vie que je voyais un mort qui respirait encore. »
Les pommettes d’Adam saillaient et la peau de son visage était tendue et transparente. Ses yeux semblaient lui sortir de la tête ; ils brillaient de fièvre avec un regard intense et myope. De sa main droite, osseuse, il pétrissait le couvre-lit.
Horace dit « Bonjour, Mr. Trask. Il paraît que vous vous êtes blessé. (Il s’arrêta. Puis, n’obtenant pas de réponse, il continua) : J’ai pensé venir faire un tour pour prendre de vos nouvelles. Comment est-ce arrivé ? »
Une sorte d’âpreté durcit les traits d’Adam. Il se recroquevilla sur son lit.
« Si cela vous fait mal de parler, répondez à voix basse, ajouta Horace.
– Seulement quand je respire fort, répondit Adam doucement. Je nettoyais mon revolver et le coup est parti. »
Horace regarda Julius, puis le malade. Adam vit le regard et une légère rougeur envahit son visage.
« Ça arrive souvent, dit Horace. Puis-je voir l’arme ?
– Je crois que Lee l’a rangée. »
Horace alla à la porte.
« Hé ! Ching Chong, apporte-moi le pistolet. »
Quelques instants après, Lee tendait l’arme, la crosse en avant. Horace l’examina et d’un coup de poignet fit basculer le barillet. Il le vida et renifla le petit cylindre de cuivre de la douille vide.
« Ces engins ne se décident à partir que lorsqu’on les nettoie. Il faut que je fasse un rapport, Mr. Trask. Je ne vous ennuierai pas longtemps. Vous nettoyiez le canon avec une tige peut-être, le coup est parti et vous a blessé à l’épaule ?
– C’est exact, monsieur, dit rapidement Adam.
– Et, bien que le nettoyant, vous n’aviez pas basculé le barillet ?
– C’est cela.
– Vous nettoyiez le canon avec une tige, le canon pointé vers vous, le chien armé ? »
Adam prit une respiration rapide.
Horace continua :
« Mais alors la tige a dû vous traverser le corps et vous, arracher la main gauche. »
Les yeux pâles d’Horace ne quittaient pas le visage d’Adam. Il ajouta aimablement :
« Allons, Sir. Trask, que s’est-il passé ?
– Je vous assure que c’était un accident.
– Vous ne voudriez pas que je mette dans mon rapport ce que je viens de vous décrire. Je passerais pour un idiot. Que s’est-il passé ?
– Je n’ai pas l’habitude des armes à feu, ça ne s’est peut-être pas passé exactement comme cela, mais je le nettoyais et le coup est parti. »
Dans le nez d’Horace, un poil se mit à vibrer. Il dut respirer par la bouche pour éviter le chatouillement. Il quitta le pied du lit pour s’approcher d’Adam.
« Vous êtes arrivé de l’Est depuis peu, Mr. Trask ?
– Je viens du Connecticut.
– On ne se sert plus beaucoup d’armes à feu, là-bas.
– Plus beaucoup.
– On chasse un peu ?
– Un peu.
– Vous avez plus l’habitude d’un fusil ?
– Oui, mais je chasse peu.
– Je suppose que vous n’aviez jamais vu de pistolet de votre vie et que vous ne saviez pas vous en servir.
– C’est vrai, dit Adam avec empressement. Là-bas il est rare que quelqu’un possède un pistolet.
– Aussi quand vous êtes arrivé ici, vous vous êtes acheté un Colt pour faire comme tout le monde, avec l’intention d’apprendre à vous en servir ?
– Je pensais que ce serait une bonne chose. »
Julius Euskadi, chaque fibre de son corps tendue, écoutait. Mais il ne disait rien.
Horace soupira et détourna les yeux. Il regarda Julius, puis ses mains. Il posa le pistolet sur le bureau et aligna soigneusement côte à côte la douille vide et les balles de plomb.
« Vous savez, dit-il, je ne suis adjoint que depuis peu. Je pensais que cela me distrairait et que dans quelques années je pourrais me présenter comme shérif. Mais je vois que je n’ai pas les tripes pour faire ce métier. »
Adam l’observait avec inquiétude.
« Je ne crois pas que l’on ait jamais eu peur de moi. M’en vouloir, oui, mais peur, non. C’est un sentiment qui me déplaît et qui m’avilit. »
Julius dit avec impatience :
« Continuez ! Vous n’allez pas démissionner !
– Qui m’en empêcherait ? Bon ! Mr. Trask, vous avez servi dans la cavalerie. Les armes sont la carabine et le pistolet. Vous… (Il s’arrêta et avala sa salive.) Que s’est-il passé, Mr. Trask ? »
Les yeux d’Adam semblèrent s’agrandir. Ils étaient humides et bordés de rouge.
« C’est un accident, murmura-t-il.
– Avez-vous un témoin ? Votre femme était-elle avec vous ? »
Adam ne répondit pas. Il avait refermé les yeux.
« Mr. Trask, dit Horace, je sais que vous êtes mal en point. J’essaie de vous faciliter les choses. Reposez-vous pendant que je causerai avec votre femme. (Il attendit un instant puis se tourna vers la porte et s’adressa à Lee) : Ching Chong, dis à madame que j’aimerais lui parler pendant quelques minutes. »
Lee ne répondit pas.
Adam parla sans rouvrir les yeux.
« Ma femme est partie en visite.
– Elle n’était pas là quand c’est arrivé ? »
Horace regarda Julius et vit une curieuse expression sur son visage. Les coins de sa bouche étaient relevés. Son sourire était dubitatif. Horace pensa rapidement : « Il va plus vite que moi. Il ferait un bon shérif. »
« C’est très intéressant. Votre femme a eu un bébé, deux bébés, il y a quinze jours et voilà qu’elle part en visite. Les a-t-elle emmenés ? Il me semble les avoir entendus. (Horace se pencha sur le lit et toucha le poing droit d’Adam.) Je regrette, mais il est trop tard, Trask ! dit-il à voix haute, vous allez me dire ce qui s’est passé. Et ne croyez pas que je me mêle de ce qui ne me regarde pas. C’est la loi. Et maintenant, nom de Dieu, vous allez ouvrir les yeux et me répondre ou bien, tout blessé que vous êtes, je vous conduis chez le shérif ! »
Adam ouvrit les yeux mais c’étaient des yeux de somnambule, aveugles.
Sa voix n’avait ni intonation, ni timbre, ni émotion. On aurait dit qu’il prononçait à la perfection des mots d’une langue étrangère qu’il ne comprenait pas.
« Ma femme est partie.
– Où est-elle allée ?
– Je ne sais pas.
– Comment cela ?
– Je ne sais pas où elle est allée. »
Julius lança brusquement :
« Pourquoi est-elle partie ?
– Je ne sais pas. »
Horace dit violemment :
« Attention. Trask. Vous êtes en train de jouer un jeu dangereux. Et ce que je soupçonne ne me plaît pas. Vous devez savoir pourquoi votre femme est partie.
– Je ne sais pas pourquoi.
– Etait-elle malade ? Avait-elle un comportement bizarre ?
– Non. »
Horace se retourna :
« Et toi, Ching Chong, tu sais quelque chose ?
– Moi aller King City samedi. Moi leveni’peut-êtle minuit. Tlouver Mr. Trask pal tell’.
– Tu n’étais pas là quand c’est arrivé ?
– Non, monsieur.
– Très bien. Trask, vous seul pouvez me répondre. Ching Chong, ouvre les rideaux que l’on y voie. Là, j’aime mieux ça. Maintenant, je vais parler à votre place. Votre femme est partie. Est-ce elle qui a tiré ?
– C’est un accident.
– Le pistolet était-il dans sa main ?
– C’est un accident.
– Vous ne facilitez pas ma tâche. Bon. Disons qu’elle est partie et que nous devons la retrouver. Depuis combien de temps êtes-vous marié ?
– Presque un an.
– Quel était son nom de jeune fille ? »
Il y eut un long silence, puis Adam dit doucement :
« J’ai promis de ne pas le révéler.
– D’où venait-elle ?
– Je ne sais pas.
– Mr. Trask, vous êtes en train de prendre le chemin qui mène à la prison. Donnez-nous une description. Etait-elle grande ? »
Les yeux d’Adam brillèrent.
« Elle n’était pas grande. Petite et délicate.
– Très bien. La couleur de ses cheveux, de ses yeux ?
– Elle était belle.
– Etait ?
– Est.
– Cicatrices ?
– Seigneur, non ! Ah ! Si, une cicatrice sur le front.
– Vous ignorez son nom, d’où elle vient, où elle est allée et vous ne pouvez pas la décrire. Vous me prenez pour un imbécile ? »
Adam répondit :
« Elle avait un secret. Je lui ai promis de ne pas le lui demander. Elle avait peur pour quelqu’un. »
Et soudain, Adam se mit à pleurer. Tout son corps était secoué et sa respiration était entrecoupée de hoquets. C’était un chagrin désespéré.
Horace sentit la pitié l’envahir.
« Allons dans une autre pièce. Julius. (Ils allèrent dans le salon.) Qu’en pensez-vous ? Est-il fou ?
– Je ne sais pas.
– L’a-t-il tuée ?
– C’est ce que j’ai pensé tout de suite.
– Moi aussi, dit Horace. Bon Dieu ! (Il courut vers la chambre et revint avec le pistolet et les cartouches.) Je les avais oubliés, dit-il en guise d’excuse. Je ne ferai pas long feu dans la profession.
– Et maintenant ? demanda Julius.
– C’est au-delà de mes capacités. Je vous avais dit que je ne vous mettrais pas sur le livre de paie, mais maintenant je vous demande de lever la main droite.
– Je ne tiens pas du tout à prêter serment, Horace. Je veux aller à Salinas.
– Vous n’avez plus le choix, Julius. Si vous ne levez pas la main, je vous arrête. »
Julius leva la main avec répugnance et répéta le serment.
« Voilà ce que c’est que de tenir compagnie aux amis. Mon père va m’écorcher vif. Que fait-on maintenant ?
Je vais aller prévenir le shérif. J’ai besoin de lui. J’emmènerais bien Trask, mais il est intransportable. Vous allez rester avec lui. Avez-vous un revolver ?
– Bon Dieu, non !
– Prenez celui-ci. Et voici mon étoile. »
Il l’enleva de sa chemise et la tendit à Julius.
« Combien de temps resterez-vous absent ?
Je rentrerai le plus tôt possible. Avez-vous déjà vu Mrs. Trask, Julius ?
– Non.
– Ni moi non plus. Il va falloir que je raconte au shérif que son mari ne connaît ni son nom ni sa taille. Elle n’est pas très grande et elle est belle. Vous parlez d’une description ! Je ferais aussi bien de démissionner avant de me présenter devant le shérif. De toute façon, c’est lui qui me flanquera à la porte. Croyez-vous que Trask ait tué sa femme ?
– Comment voulez-vous que je le sache ?
– Ne vous mettez pas en colère. »
Julius s’empara du pistolet, glissa les balles dans le barillet et fit tourner l’engin, autour de son doigt.
« Vous voulez une idée, Horace ?
– Est-ce que j’ai l’air de quelqu’un qui refuserait une idée ?
– Sam Hamilton la connaissait. Il l’a accouchée. C’est Rabbit qui me l’a dit. Mrs. Hamilton l’a soignée. Vous devriez aller jusqu’à leur ferme et leur demander son signalement.
– Vous avez tout ce qu’il faut pour porter cette étoile, dit Horace. C’est une bonne idée. J’y vais.
– Voulez-vous que je jette un coup d’œil aux alentours ?
– Tout ce que je vous demande c’est de veiller à ce que Trask ne s’échappe pas et ne se fasse pas de mal. Compris ? À bientôt. »
Vers minuit, Horace monta à bord d’un train de marchandises. Il prit place sur la plate-forme de la locomotive aux côtés du mécanicien, et arriva à Salinas de bon matin. Salinas était un chef-lieu, une ville qui s’agrandissait rapidement. Sa population ne tarderait pas à dépasser les deux mille. C’était la plus grande agglomération entre San José et San Luis Obispo, et chacun lui prédisait un brillant avenir.
Horace, en sortant de la gare du Pacifique Sud, alla prendre un petit déjeuner. Il ne voulait pas réveiller le shérif trop tôt et s’attirer des remarques désagréables. Au restaurant, il rencontra le jeune Will Hamilton dont la prospérité se traduisait par un fort beau costume gris chiné. Horace s’assit à sa table.
« Comment allez-vous, Will ?
– Plutôt bien.
– Vous êtes ici pour affaires ?
– Oui, je viens de conclure un marché.
– Vous devriez penser à moi de temps en temps. »
Horace trouvait étrange de s’adresser ainsi à un garçon aussi jeune. Mais Will Hamilton respirait le succès. Tout le monde savait qu’il deviendrait un homme très influent dans la province. Il en est ainsi pour certaines gens. Leur avenir est inscrit sur eux, bon ou mauvais.
« Avec plaisir, Horace. Je croyais que la ferme vous prenait tout votre temps.
– Si autre chose se présentait, je me laisserais facilement persuader de la louer. »
Will se pencha vers lui.
« Savez-vous, Horace, que cette partie de notre province est bien abandonnée ? Avez-vous jamais songé à occuper un emploi plus important ?
– Vous n’êtes qu’adjoint. Cela ne vous tenterait pas d’être élu shérif ?
– Non. Je n’y avais pas pensé.
– C’est le moment ou jamais. Mais gardez ça pour vous. J’irai vous voir dans une quinzaine de jours et nous en reparlerons. Mais pas un mot à personne.
– Comptez sur moi, Will. Mais nous avons déjà un excellent shérif.
– Je sais. Ce n’est pas à cela que je pensais. Il n’y en a pas à King Citv. Vous voyez ce que je veux dire ?
– Je vois. J’y penserai. Au fait, je suis allé rendre visite à votre père et à votre mère, hier. »
Le visage de Will s’éclaira.
« Vraiment ? Comment vont-ils ?
– Très bien. Vous savez, votre père est vraiment amusant. »
Will gloussa.
« Il nous a fait rire tout le temps de notre jeunesse.
– Intelligent avec ça. Il m’a montré des plans d’un moulin à vent. Je n’ai jamais rien vu de pareil.
– Seigneur ! dit Will. Est-ce que la fièvre l’a repris ?
– Mais c’est intéressant ! dit Horace.
– C’est toujours intéressant. Et les seuls qui y gagnent sont ceux qui enregistrent ses brevets. Cela met ma mère hors d’elle.
– Elle ne voit pas les choses comme lui. »
Will continua :
« La seule façon de gagner de l’argent est de vendre quelque chose que d’autres ont fabriqué.
– Vous avez certainement raison, Will. Mais ce moulin à vent, je vous jure que c’est quelque chose.
– Il vous a possédé, hein, Horace ?
– C’est vrai. Franchement, vous ne voudriez pas le voir changer ?
– Seigneur non ! dit Will. Repensez à ce que je vous ai dit.
– J’y penserai.
– Et pas un mot à quiconque. »
La charge de shérif n’était pas de tout repos. Et la province qui, à la loterie des élections, tirait au sort un bon shérif pouvait s’estimer heureuse. Ses fonctions étaient assez mal définies. Ses premiers devoirs – faire respecter la loi et conserver la paix – étaient loin d’être les plus importants. Un shérif stupide ou violent ne faisait pas long feu dans une communauté où les intérêts individuels doivent être respectés. Il y avait à arbitrer les querelles entre voisins sur des questions d’eau, de jalons, de droits de passage ; il fallait rechercher des paternités douteuses, et tout cela sans requérir la force des armes. C’était lorsque tous les autres moyens s’étaient révélés impuissants qu’un bon shérif procédait à une arrestation. Le meilleur n’était pas le plus fin tireur, mais le plus fin diplomate. La province de Monterey en avait un excellent. Il avait le don merveilleux de se mêler uniquement de ce qui le regardait.
Horace arriva à la vieille prison vers neuf heures dix. Le shérif était dans son bureau. Il souhaita la bienvenue à Horace et discuta temps et moisson jusqu’à ce que son interlocuteur se décidât à entrer dans le vif du sujet.
« Monsieur, dit finalement Horace, j’ai besoin de vos conseils. »
Et il raconta son histoire avec tous les détails, sans rien oublier – le signalement des témoins et l’heure de leurs dépositions. Au bout de quelques instants, le shérif ferma les yeux et se croisa les mains. Et si, à l’occasion, il ponctuait l’histoire, c’était seulement en ouvrant les yeux, mais sans jamais dire un mot.
« Comme vous le voyez, j’étais dans de sales draps, dit Horace. Impossible de savoir ce qui s’était passé ou d’obtenir un signalement de la femme. C’est Julius Euskadi qui m’a donné l’idée d’aller voir Sam Hamilton. »
Le shérif s’étira, bâilla, se croisa les jambes et fit un résumé de la situation.
« Vous croyez qu’il l’a tuée ?
– Je le croyais. Mais Mr. Hamilton m’en a plutôt dissuadé. D’après lui, Trask n’a pas l’âme d’un meurtrier.
Il y a un meurtrier en chacun de nous, dit le shérif, trouvez la détente et le coup partira.
– Mr. Hamilton m’a raconté des choses étranges sur elle. Avant de mettre les bébés au monde, elle l’a mordu à la main. Si vous voyiez cette blessure, on dirait une morsure de loup.
– Sam vous a-t-il donné son signalement ?
– Oui. Et sa femme aussi. »
Horace sortit un morceau de papier de sa poche et lut la description détaillée fournie par les Hamilton.
Lorsqu’Horace eut fini, le shérif soupira :
« Ils sont tous les deux d’accord sur la cicatrice ?
– Entièrement. Et ils ont remarqué qu’elle changeait de couleur d’un jour à l’autre. »
Le shérif referma les yeux et s’adossa confortablement. Soudain, il se redressa, ouvrit un tiroir de son bureau et en sortit un flacon de whisky.
« Soif ? demanda-t-il.
– À votre santé. »
Horace but, s’essuya la bouche et rendit la bouteille.
« Que pensez-vous de tout ça ? » demanda-t-il.
Le shérif prit trois bonnes gorgées de whisky, reboucha le flacon et le remit dans le tiroir. Alors seulement il répondit :
« Notre province est bien tenue. J’entretiens de bons rapports avec les officiers de police. Ils me donnent un coup de main que je leur rends à l’occasion. Dans une ville en pleine expansion comme Salinas, pleine d’étrangers qui entrent et qui sortent, nous pourrions avoir des tas d’ennuis si nous ne surveillions pas tout cela de très près. Je suis en excellents termes avec les gens du pays. »
Il regarda Horace.
« Ne vous impatientez pas. Je n’ai pas l’intention de vous faire un discours. Je veux seulement faire le point. Nous ne sommes pas ici pour ennuyer les gens, mais pour vivre avec eux.
– Ai-je commis une erreur ?
– Absolument pas, Horace. Vous avez agi comme il le fallait. Si vous n’étiez pas venu me voir, ou si vous aviez arrêté Mr. Trask, nous serions dans un joli pétrin. Ecoutez-moi…
– J’écoute, dit Horace.
– De l’autre côté de la ligne de chemin de fer, prés du quartier chinois, il y a une rue de maisons closes.
– Je le sais.
– Tout le monde le sait. Si nous les fermions, elles changeraient de place. C’est une institution nécessaire. Nous les avons à l’œil pour que rien de grave ne s’y passe. Et les propriétaires de ces maisons sont en contact avec nous. Quand un repris de justice ou un évadé rôde dans le quartier, je l’apprends immédiatement. »
Horace dit :
« Julius m’a raconté…
– Une minute. Laissez-moi dire tout ce que j’ai à dire pour que nous n’ayons pas à y revenir. Il y a environ trois mois, une femme fort honorable est venue me voir. Elle voulait s’installer, le plus légalement possible. Elle venait de Sacramento où elle avait tenu une maison. Elle avait des lettres de recommandation de gens très importants. Son casier était vierge. Une excellente citoyenne.
– Julius m’en a parlé. Elle s’appelle Faye.
– C’est exact. Elle a ouvert une très bonne maison, calme et bien tenue. Il était temps que la vieille Jenny et la Négresse aient de la concurrence.
– Il y a un pianiste.
– Oui. Très bon. Un aveugle. Allez-vous me laisser parler ?
– Excusez-moi.
– Il n’y a pas de mal. Je sais que je suis lent, mais j’atteins toujours mon but. Quoi qu’il en soit, Faye s’est révélée être ce qu’elle paraissait : une citoyenne de valeur. Savez-vous ce qu’une maison de tolérance craint plus que la foudre ? Abriter une jeune fille qui, après une fugue, décide de prendre du service. Son père finit toujours par la retrouver et il fait un scandale. Ensuite l’église s’en mêle, puis les ligues féminines et, rapidement, la maison acquiert une mauvaise renommée et nous devons la fermer. Vous comprenez ?
– Je comprends, dit Horace.
– N’allez pas plus vite que moi. J’ai horreur d’expliquer quelque chose que l’on a déjà compris. Dimanche soir, Faye m’a envoyé un mot. Elle venait d’héberger une fille dont elle ne savait pas quoi faire. Ce qui l’inquiétait, c’était que cette gosse, avec ses airs de fille de famille qui connaissait son métier sur le bout des doigts. Je suis allé là-bas pour la questionner. Elle m’a raconté l’histoire classique, mais à part cela je ne puis rien lui reprocher. Elle a l’âge et personne n’a déposé de plainte. »
Il posa ses mains à plat sur la table.
« Voilà mon cher. Qu’en pensez-vous ?
– Etes-vous sûr que ce soit Mrs. Trask ?
Grands yeux, cheveux blonds, cicatrice au front. Elle est arrivée dimanche après-midi. »
Horace se remémora le visage d’Adam sanglotant.
« Dieu Tout-Puissant ! Que quelqu’un d’autre se charge de prévenir le mari. Moi je préfére démissionner. »
Le shérif regarda droit devant lui.
« Vous dites qu’il ne savait pas son nom de jeune fille, ni d’où elle venait ? Elle lui a vraiment bourré le crâne.
– Le pauvre imbécile, dit Horace, il est amoureux d’elle. Non, ce n’est pas moi qui irai le prévenir. »
Le shérif se leva.
« Allons boire une tasse de café. »
Ils marchèrent en silence pendant un moment. Puis le shérif dit :
« Horace, si je dévoilais tout ce que je sais, la province serait réduite en cendres.
– Je m’en doute.
– Elle a eu des jumeaux ?
– Oui, des garçons.
– Ecoutez-moi, Horace. Seules trois personnes sont au courant. Elle, vous et moi. Je vais aller la prévenir que si elle dit jamais un mot, je la chasse avec une telle rapidité qu’elle croira avoir le feu aux fesses. Quant à vous, Horace, si un jour la langue vous démange, avant de dire quoi que ce soit, même à votre femme, pensez aux deux petits garçons qui apprendraient que leur mère est une prostituée. »
Adam était assis dans un fauteuil sous le grand chêne. Son bras gauche était bandé pour qu’il ne pût pas bouger l’épaule. Lee sortit de la maison, portant le panier à linge. Il le posa sur le sol, à côté d’Adam et s’en retourna.
Les jumeaux étaient éveillés. Ils jetaient tous deux des regards aveugles et anxieux vers les feuilles du chêne que le vent faisait bouger. Une feuille sèche tomba en tourbillonnant et se posa sur le panier. Adam se pencha et l’enleva.
Il entendit le cheval de Samuel alors qu’il était tout près de lui, mais Lee l’avait déjà vu. Il apporta une chaise et conduisit Doxology à l’écurie.
Samuel s’assit calmement. Il ne voulait pas gêner Adam, soit en le regardant trop, soit en évitant de le regarder. Le vent fraîchissait et jouait dans les cheveux de Samuel.
« Je vais me remettre aux forages », dit-il.
Adam ne s’était pas servi de sa voix depuis si longtemps qu’elle semblait rouillée.
« Non, dit-il. Je ne veux plus de puits. Je vous paierai pour ce que vous avez fait. »
Samuel se pencha au-dessus du panier et glissa un doigt dans une des petites mains qui se referma.
« Je crois que ce dont l’homme a le plus de mal à se débarrasser, c’est de donner des conseils.
– Je n’ai pas besoin de conseils.
– Personne n’en a besoin. Le conseil est un cadeau. Il faut faire les gestes, Adam.
– Quels gestes ?
– Les gestes de la vie. Imitez-les, comme au théâtre. Et, au bout d’un temps, d’un très long temps, le mensonge deviendra réalité.
– Pour quoi faire ? » Demanda Adam.
Samuel regarda les jumeaux.
« Quoi que vous fassiez, quoi que vous refusiez de faire, vous transmettrez la flamme. Même si vous restez en friche, les herbes et les ronces pousseront. Vous ne pouvez plus être stérile. »
Adam ne répondit pas. Et Samuel se leva.
« Je reviendrai, dit-il. Je reviendrai sans cesse. Il faut faire les gestes, Adam. »
Dans l’écurie, Lee maintint Doxology pendant que Samuel montait.
« Il faut abandonner votre librairie, Lee.
– Oh ! dit le Chinois, peut-être est-ce tout ce que je demandais. »