Chapitre 29

 

Tandis quelle attendait Simon en bordure de Centennial Park, Riley s’efforça de se détendre. Elle avait toujours mal au dos d’avoir heurté un peu trop violemment ce poteau en béton, et une odeur de brûlé lui emplissait encore les narines alors qu’elle s’était lavé les cheveux et changée. Elle comprenait désormais pourquoi les piégeurs achetaient la plupart de leurs vêtements d’occasion ; ils avaient la durée de vie d’une huître fraîche. Riley tâcha de se concentrer sur le paquet de feuilles posées sur ses genoux. Si son père avait une faiblesse, c’était sa passion pour le détail. Riley aurait préféré lire un résumé et non une histoire exhaustive de l’Eau bénite depuis la nuit des temps. Elle aurait aimé comprendre pourquoi ce sujet le passionnait, mais, jusque-là, elle n’avait rien trouvé. Une chose apparaissait néanmoins clairement à la lecture de ses notes : son père était inquiet.

Frustrée de n’avoir fait aucun progrès, elle fourra les feuilles dans son sac. Sa main trouva automatiquement la chaîne à laquelle était accrochée la griffe de démon. Elle la sortait de temps en temps pour l’admirer, avant de la cacher à la hâte. Les métaux étaient chers, et il n’aurait pas été très malin de sa part de montrer à tout le monde qu’elle en portait sur elle. L’argent contenu dans la chaîne et dans le fil qui enserrait la serre était précieux, de la qualité des bijoux que sa mère portait avant qu’ils vendent tout pour payer sa chimiothérapie.

— Je parie que ça lui a coûté bonbon, murmura-t-elle. 

Elle avait toujours du mal à croire qu’il ait fait cela. Je ne le connais pas si bien que ça, finalement. 

L’après-midi s’était effectivement déroulé très bizarrement. Comme si des extraterrestres avaient enlevé le péquenaud pour en faire quelqu’un de gentil. Il s’était comporté comme s’il avait vraiment eu envie de rester avec elle. Il avait ri à ses plaisanteries et ne lui avait jamais donné le sentiment qu’elle était stupide. Il lui avait même appris à capturer les Pyros.

Pourvu que ça dure. Elle serait ravie de l’avoir pour ami, peut-être même pour collègue et partenaire une fois qu’elle serait compagnon.

Simon, lui, entrait dans une tout autre catégorie de garçons. Rien à voir ! 

Elle leva les yeux et le vit qui arrivait sur une allée pavée, le regard rivé sur le sol. Il marchait d’un pas décidé et semblait plongé dans des pensées de première importance, oublieux du décor. Elle ne l’avait pas trouvé très enthousiaste quand elle lui avait proposé de la retrouver dans la soirée. Dans un premier temps, elle avait été prise de panique, pensant qu’il s’était lassé d’elle, mais tout s’était arrangé lorsqu’il avait accepté de la voir.

Quand il fut tout proche, elle l’interpella :

— Salut ! 

Il haussa les épaules. L’Ordre silencieux des Simon était de retour.

Et ils disent que les filles sont lunatiques…

— Eh ! ce n’est pas sympa d’être si silencieux. 

— Désolé, répondit-il, un peu embarrassé. 

Riley prit sa main et la serra. Comme il ne répondit pas à son étreinte, elle la lâcha. Pendant une demi-seconde, elle se demanda si elle avait fait quelque chose pour lui déplaire. Mais non, c’était juste Simon : parfois amusant, parfois silencieux.

— Dis-moi ce que Harper t’a infligé…, reprit-il d’une voix si faible qu’elle l’entendit à peine. 

— Il a beaucoup crié. 

— C’est tout ? 

— Oui, mentit-elle. 

Un soupir de soulagement.

— Reste loin de lui. Il est capable de te frapper sans raison, la mit en garde Simon. 

— Et toi ? 

— C’est pareil pour moi et pour tous ses apprentis, répondit-il avant de sombrer de nouveau dans le silence. 

Tandis qu’ils marchaient dans Centennial Park, elle se força à penser à des temps heureux pour échapper à la difficile réalité. Quand elle était petite, ses parents l’emmenaient dans le centre-ville pour qu’elle joue près des cinq fontaines – cinq anneaux liquides entrecroisés comme les anneaux olympiques. En été, quand il faisait très chaud, le parc était toujours plein de monde. Des marchands vendaient des hot-dogs de bœuf casher, des samosas végétariens et du café frappé. Cet endroit n’était que bons souvenirs.

Malgré le silence gêné de son compagnon, elle ne pouvait s’empêcher de partager ce sentiment. Elle lui donna un coup de hanche joueur.

— Mes parents m’emmenaient ici quand j’étais petite. J’adorais sauter partout dans les fontaines. 

A son grand soulagement, Simon sortit de sa mélancolie.

— Les miens aussi. On courait partout pendant une heure ou deux, puis on s’affalait dans la voiture et on s’endormait. Comme on était nombreux, mon père et ma mère appréciaient le calme qui suivait la tempête. 

Riley regarda d’un air pensif l’eau qui s’élevait très haut dans le ciel nocturne. Les projecteurs étaient allumés ce soir-là, qui faisaient scintiller les gouttelettes comme des diamants. Tandis qu’ils passaient tout près d’une fontaine, elle le poussa vers le jet. Il cria de surprise en effleurant l’eau et se lança à sa poursuite. Elle essaya de courir, mais sa cuisse refusa de coopérer.

— Je t’ai eue ! rit-il en l’attrapant. 

Il la souleva et la fit tournoyer dans les airs. Quand ses pieds touchèrent enfin le sol, Simon souriait, ce qui lui fit plaisir.

Lorsqu’ils se séparèrent, Simon lui prit la main et la serra fort.

— Merci, dit-il. De temps à autre, il m’arrive de me prendre trop au sérieux. 

— De temps à autre seulement ? Tu ferais un moine formidable. Tu es fort pour garder le silence. 

— J’ai déjà envisagé la prêtrise, avoua-t-il, mais j’ai préféré piéger les démons. Pour pouvoir me marier et avoir des enfants. 

Il se tourna vers elle pour guetter sa réaction.

— Combien ? demanda-t-elle. 

— Trois, peut-être quatre. Après, ça fait trop, à moins d’avoir plusieurs salles de bains. 

Tu ferais un bon papa.

Ils s’arrêtèrent en bordure du marché du Terminus. La nuit venait de tomber et le marché se réveillait doucement, comme un ours sortant de sa léthargie après plusieurs mois d’hibernation. Les lumières donnaient aux tentes multicolores des airs de boules de Noël. D’après son père, le marché n’était plus ce qu’il avait été. Comme si c’était une bonne excuse pour ne pas l’y emmener.

Dans ses souvenirs, elle revoyait surtout des viennoiseries et de l’artisanat, mais à présent, les marchands vendaient un peu de tout sous leurs tentes, dans leurs appentis ou leurs caravanes. Les gens se promenaient entre les étals en portant les objets qu’ils avaient achetés : pneus usagés, pains faits maison, paniers de pommes. Il y avait même une vieille chèvre, que son propriétaire trayait dans un seau en métal brillant. Riley regarda Simon d’un air étonné.

— Il vend le lait, expliqua-t-il. 

— Je croyais que c’était interdit. 

— Ça l’est, mais la Ville ferme les yeux sur ce qui se passe ici. Tant que les marchands continuent de payer leur emplacement, la municipalité est satisfaite. 

Ils passèrent devant un étal de viande épicée et fumée, et Simon eut un frisson.

— Ces trucs-là ne m’inspirent pas confiance, lui confia-t-il à voix basse. Le marchand dit que c’est du bœuf, mais on ne peut pas savoir. 

— En tout cas, ce n’est pas du rat. Les Classe trois les ont tous mangés. 

— Je pensais plutôt aux coyotes. 

Un peu plus loin, Riley vit un type costaud occupé à frapper sur une enclume. Derrière lui brillait un feu rouge et intense. Une douche d’étincelles se dispersait dans la nuit lorsque son jeune assistant actionnait un vieux soufflet usé. L’homme était torse nu mais il transpirait abondamment malgré le froid, la sueur mettant en valeur les muscles saillants de son torse et de ses bras.

— Un forgeron ? s’étonna Riley. Pourquoi pas… 

— Faire réparer un objet cassé revient moins cher que d’en acheter un neuf, expliqua Simon. 

Riley s’arrêta et prit le temps de jeter un regard circulaire sur le marché.

— On se croirait dans un film. On dirait un marché arabe ou bien une foire du Moyen Âge. 

— Avec un petit côté bien de chez nous, ajouta Simon en désignant une tente. 

Un restaurant. Sur la carte écrite à la main, on trouvait du porridge de maïs, du chou, du poulet frit et de la tourte de patate douce. Cette dernière réveilla l’appétit de Riley, mais la jeune femme n’avait pas fini de digérer le magnifique repas offert par Beck.

Simon s’arrêta devant une tente remplie de bouteilles d’Eau bénite de différentes tailles. Riley en saisit une. Elle sortait des usines de Fournitures célestes, la société mentionnée dans les notes de son père, et la date imprimée sur l’étiquette prouvait qu’elle avait été consacrée deux jours plus tôt. Elle retourna la bouteille et vérifia la présence du tampon du service des taxes de la Ville. Celui-ci scintilla dans la lumière déclinante. Comme la municipalité ne pouvait pas prendre d’argent à l’Église, elle taxait ses produits dérivés.

— Toujours vérifier la date, lui conseilla Simon. Pour soigner des blessures infligées par des démons, l’Eau bénite doit être la plus fraîche possible. Ce n’est pas nécessaire pour protéger une maison, par exemple. 

Riley pensa à l’Eau qu’elle avait utilisée pour soigner la griffure à sa cuisse. Carmela lui avait dit quelle devait être vieille, alors que le type à qui elle l’avait achetée avait affirmé qu’elle était de première fraîcheur. Alors qui croire ?

— Quelque chose te tracasse ? 

— Un peu. J’ai lu dans le manuel qu’il fallait renouveler régulièrement les murs d’Eau bénite, mais pas pourquoi il fallait le faire. 

— On dit qu’elle perd de son efficacité en absorbant le mal. C’est pour ça qu’on en vend beaucoup aux prisons et aux maisons d’arrêt. 

— Mais aussi aux crèches, aux hôpitaux, aux écoles, aux services gouvernementaux et j’en passe, continua un vendeur bien portant. (L’homme au crâne dégarni était habillé comme un représentant de commerce et serrait un carnet de commandes dans ses mains.) C’est la seule façon de mettre votre famille à l’abri de la terreur de l’Enfer, ajouta-t-il. 

Ce faisant, il lui glissa dans les mains une brochure en couleur qui vantait les vertus et propriétés protectrices de l’Eau bénite.

— Comment puis-je savoir si elle est vraiment fraîche ? demanda-t-elle en se rappelant le fiasco de sa blessure. 

Le vendeur tapota du bout de son ongle la bouteille qu’elle avait entre les mains.

— Chaque bouteille, chaque sphère mentionne le numéro de lot et la date à laquelle l’Eau a été consacrée. C’est une obligation légale. 

Elle savait déjà tout cela.

— Certains lots sont-ils moins efficaces que d’autres ? 

— Non, répondit poliment l’homme. 

Me voilà bien avancée.

— Combien ça coûte ? s’enquit Simon en montrant un flacon. Aucun prix n’est affiché. 

— Dix. 

— C’est cher ! s’étonna Simon en haussant les sourcils. 

— La Ville a encore augmenté les taxes. 

Le vendeur repéra un autre acheteur potentiel et s’en fut réciter ses arguments ailleurs.

— Dix dollars le flacon ? Dans le temps, c’était le prix d’un gallon, marmonna Simon. C’est du grand n’importe quoi. Pas étonnant que le prix des sphères ait autant augmenté. 

En glissant la brochure dans son sac, Riley effleura les feuilles imprimées, ce qui lui rappela les recherches de son père.

— Un démon peut-il s’immuniser contre l’Eau bénite ? 

— Non, répondit Simon en secouant la tête. Toutes les créatures de l’Enfer réagissent de la même manière au contact d’un concentré de pouvoir divin, affirma-t-il comme s’il récitait une leçon apprise par cœur. 

Dans ce cas, pourquoi papa était-il obsédé par cette question ?

Simon la prit par le bras et l’entraîna doucement vers la droite.

— L’étal que nous cherchons se trouve dans cette direction. 

Riley se figea, n’en croyant pas ses yeux. La tente orange vif qui se dressait devant eux était pleine de personnes mortes.

— Ils les vendent ici ? demanda-t-elle, atterrée. 

— Les Nécros ont toujours un emplacement au marché. 

Riley les compta rapidement : il y avait sept Maccabs pour un vivant. Lequel se chargeait de parler aux chalands. Les Maccabs se contentaient de regarder dans le vide et de se demander ce qui avait bien pu leur arriver. Au moins le vendeur ne les décrivait-il pas comme de vulgaires voitures d’occasion, ce qu’elle n’aurait pas pu supporter.

— Combien coûtent-ils ? chuchota-t-elle. 

— Jusqu’à 5 000 dollars, d’après ce que j’ai entendu, répondit Simon. Ça me rend malade, ajouta-t-il d’une voix plus dure. 

— Qu’arrive-t-il à leur âme ? 

— J’ai posé la question au père Harrison, commença-t-il en la prenant par la taille. Il m’a répondu que l’Église n’en était pas certaine, mais qu’elle pensait que l’âme ne pouvait pas être totalement libre si le corps continuait de se balader un peu partout. Seuls les Nécros connaissent la vérité, et ils la gardent pour eux. 

— Et si les corps deviennent fous, qu’ils se mettent à manger les gens ? 

Simon rit doucement.

— Ça n’arrive que dans les films. Les Maccabs sont incapables de penser à quoi que ce soit et ne sont pas du tout des zombies. D’ailleurs, ils ne mangent pas. 

— Mais ils ne sont pas complètement décérébrés, rétorqua-t-elle en repensant à la femme qui portait la mallette de son propriétaire. 

— Non, pas tout à fait, répondit-il en la prenant encore par le bras. Viens. 

Comme ils s’éloignaient, elle remarqua qu’un homme l’observait depuis une tente où l’on vendait couteaux et autres objets pointus. Il tenait une épée. Il la tenait même avec une grande assurance, comme si elle lui appartenait. Ses cheveux noirs et luisants étaient coiffés en arrière et noués en queue de cheval avec un cordon en cuir. Un blouson en cuir noir couvrait ses épaules larges et ses bras musculeux. On aurait dit une couverture de roman d’amour. Il vint à sa rencontre et la salua de sa lame à la façon d’un chevalier s’inclinant devant sa reine.

La jeune femme faillit fondre sur place.

— Riley ? l’appela son compagnon. 

— Ah ! désolée…, s’excusa-t-elle, alors qu’elle ne l’était pas du tout. 

Lorsqu’elle releva les yeux, l’homme n’était plus là.

Qui était ce type ?

— La Cloche, le livre et le balai, annonça Simon, qui ne se rendait pas compte que l’esprit de Riley était ailleurs. 

La tente bleu nuit était constellée d’étoiles dorées et argentées. Devant elle se dressait une longue table encombrée d’amulettes, de sacs en velours et autres accessoires de sorcière.

Riley connaissait assez bien Simon pour savoir qu’elle ne devait pas utiliser ce mot en S. Tout ce qui était surnaturel le dérangeait beaucoup, et il s’était persuadé que les sorts contenus dans les sphères en cristal n’étaient pas vraiment de la magie. Peu importait le nom qu’on leur donnait, ces boules étaient vitales aux piégeurs.

Parfois même, elles ne suffisaient pas à assurer leur protection…

Derrière le comptoir se tenait une grande femme habillée dans un style Renaissance. Ses cheveux brun-roux étaient une masse de boucles sauvages. Son chemisier de paysanne vert foncé et légèrement ouvert laissait deviner un dragon multicolore tatoué sur son torse. Lorsqu’elle vit Simon, la femme se pencha sur le comptoir, exhibant un décolleté généreux.

— Eh ! comment va mon piégeur préféré ? commença la sorcière. 

Au ton qu’elle avait utilisé, Riley comprit qu’elle adorait jouer avec les nerfs de Simon.

Le petit ami de Riley nota le décolleté, mais il parvint à en détourner les yeux avec une facilité déconcertante.

— Plutôt bien. Ayden, je vous présente Riley. C’est une nouvelle apprentie. 

— La fille de Paul ? 

La jeune femme hocha la tête.

— Grande déesse… 

Elle sortit de derrière la table et serra Riley dans ses bras. Ses cheveux sentaient l’encens au patchouli.

— Il va beaucoup nous manquer, poursuivit la femme en s’écartant, le regard embrumé. 

Un silence maladroit s’installa. Riley se racla la gorge.

— Beck voudrait que vous me parliez des sphères. 

— Ah ! fit la sorcière en recouvrant son enthousiasme. Les Sphères pour les nuls, première partie, chapitre un. Ce sera avec plaisir. 

— J’attendrai ici, dit Simon, la main enfoncée dans la poche où il gardait son chapelet. 

— Je promets de ne pas vous changer en quelque chose qui gobe les mouches, le taquina Ayden. 

Simon se raidit, mais il ne bougea pas.

La sorcière attendit d’être sous la tente pour se pencher vers l’oreille de Riley :

— J’adore m’amuser un peu avec lui. C’est un garçon très gentil, mais il n’a pas encore compris que sa religion n’est pas en compétition contre les autres. 

— Lui aussi a eu droit à votre cours sur les sphères ? 

Elle opina de la tête.

— Il n’était pas très réceptif. 

Tandis qu’elles s’enfonçaient plus loin sous la tente, un doux parfum de jasmin les enveloppa. Des lanternes étaient suspendues à des poteaux et, dans un coin, quelqu’un lisait l’avenir d’un client dans des cartes de tarot. Ayden fit signe à Riley de la suivre et s’agenouilla devant un grand coffre en bois orné de symboles ésotériques. Riley reconnut une croix ankh et l’œil d’Horus. Pour le reste… Peut-être des runes celtiques.

— Nous les conservons dans ce coffre parce qu’elles sont fragiles, expliqua Ayden en soulevant le couvercle. 

Ne m’en parle pas

La sorcière sortit trois sphères et les posa dans les mains de Riley. Une rouge, une blanche et une bleue. Elles lui rappelèrent la vitrine de Roscoe's, ce qui n’était pas une bonne chose.

— Comment les fabriquez-vous ? demanda Riley. 

— Nous achetons des boules de verre, que nous remplissons de divers ingrédients grâce à un entonnoir que nous plaçons ici, répondit Ayden en désignant un petit bouchon en liège enfoncé dans une boule. Une fois remplies, nous les rebouchons. Alors nous nous rendons dans la forêt une nuit de pleine lune pour les charger de magie. 

— Vous dansez autour d’un feu ou quelque chose dans le genre ? 

— Ça dépend de la magie. Parfois, nous sommes dans le plus simple appareil. 

— Dans le plus simple… 

— À poil, comme disent les jeunes, ajouta Ayden avec un clin d’œil. 

— Les moustiques doivent vous faire vivre un Enfer. 

La sorcière éclata d’un rire riche.

— Vous devriez nous accompagner un de ces jours. 

Pas s’il faut que je me mette toute nue.

Riley fit doucement tourner les sphères dans ses mains.

— Il y a un tampon du service des impôts sur les bouteilles d’Eau bénite, mais pas sur les sphères… 

Ayden lâcha un grognement.

— L’État voudrait nous imposer ça dès l’année prochaine, mais notre lobbyiste fait tout pour qu’on n’en arrive jamais là. Ils veulent taxer tous les articles de magie. 

— Combien les vendez-vous ? demanda Riley, curieuse d’entendre si, pour une fois, on allait lui répondre sans détour. 

— Nous voulons juste couvrir nos frais. Nous n’imaginons pas prendre de l’argent à ceux qui nous protègent contre les monstres de l’Enfer. 

La sorcière monta dans l’estime de Riley.

— Bon, j’avoue que nous avons d’autres objectifs. Je veux dire, en dehors de l’amélioration de notre karma. Comme nous fournissons le matériel nécessaire au combat contre les forces du mal, certains groupes radicaux ont du mal à nous tomber dessus, comme ils en avaient l’habitude. 

C’était logique, en effet.

— La première chose que j’aime dire à propos des sphères, c’est qu’il ne faut pas rester bloqué sur leurs usages spécifiques. Les piégeurs aiment à penser qu’une sphère donnée ne peut être utilisée que contre un type de cible. Une Babel contre un Classe quatre, un globe de neige contre un Pyro. C’est une vision très limitée. 

— Pourquoi ? 

— Parce que la magie peut être utilisée de bien des façons. Il faut garder à l’esprit les propriétés de chaque sphère et déterminer l’effet que l’on souhaite produire. On peut combiner les sphères de façon à décupler leurs possibilités. Chaque fois que je répète ça à un piégeur, il me regarde comme si j’étais folle. 

— Même mon père ? demanda Riley, qui le savait particulièrement ouvert à la nouveauté. 

— Paul commençait à ouvrir les yeux, répondit la sorcière en écartant les bras, mais les vieilles habitudes sont difficiles à perdre. 

Le téléphone portable de Riley gazouilla. Elle le prit et l’éteignit. C’était sans doute Peter. Après qu’elle l’eut fourré dans son sac, Ayden lui montra une autre sphère. Des particules blanches tourbillonnaient à l’intérieur comme dans une vieille boule à neige. Ne manquait plus qu’une patineuse au milieu.

— Commençons par la blanche et nous verrons ensuite, dit la sorcière. 

Une demi-heure plus tard, Riley sortait de la tente l’esprit saturé de détails. Les sphères blanches étaient créées grâce aux magies de l’air et de l’eau. Les sphères de mise en terre combinaient les magies de l’air, de la terre et du feu, etc.

Je ne pourrai jamais tout retenir.

Simon faisait les cent pas devant la tente.

— Tu as fini ? demanda-t-il, pressé d’être ailleurs. 

Riley hocha la tête.

— On va boire un chocolat chaud ? proposa-t-elle. 

— Non, merci, je dois rentrer. 

Oh ! Tu parles d’une soirée en amoureux.

Riley ralluma son téléphone. Elle avait reçu trois appels. De Beck. Il n’avait pas laissé de message.

Je savais que c’était trop beau pour durer.