Chapitre 4
Arrivée devant la voiture, Riley donna un coup de pied dans le pneu le plus proche, en imaginant la tête de Beck. C’était stupide, car son pied était une des rares parties de son corps qui ne la faisaient pas souffrir. Il ne servait à rien de se mettre en colère. Si Harper harcelait les autres suffisamment longtemps, on mettrait un terme à son contrat d’apprentissage. Un vote à main levée, et c’en serait terminé de sa carrière. Définitivement.
Et après ? Elle devrait trouver un boulot de serveuse ou autre. Vraiment pas pour moi…
Des couinements aigus attirèrent son regard. Elle leva la tête et avisa une volée de chauves-souris ; elles étaient sorties de la toiture du Tabernacle. Elle les regarda disparaître dans le crépuscule, jalousant leur liberté. Au loin retentit un chœur de hurlements. Les coyotes. Ils chassaient toutes les nuits dans les rues de la ville, attendant qu’une proie isolée croise leur route. Lentement, la ville se soumettait à la loi de la jungle.
Elle examina la voiture de Beck. Elle lui ressemblait tellement. Qui d’autre que lui voudrait rouler dans une Ford F-250 couleur rouille avec un autocollant de l’État de Géorgie sur la lunette arrière ? À côté, elle reconnut l’emblème officiel de la Guilde des piégeurs et, en dessous, sa devise officieuse : « Botter le cul de l’Enfer, un démon à la fois. » Le coffre était plein de bouteilles de bière vides qui roulaient dans tous les sens dès que Beck prenait un tournant. Très bientôt, d’autres viendraient les rejoindre.
Elle déverrouilla la portière et monta à bord, pressée d’échapper au froid. L’habitacle avait la même odeur que la veste en cuir de son propriétaire. Elle fourra la main sous son siège et attrapa le démon, qu’elle rangea dans son sac. Elle n’écouta pas sa énième tentative de corruption et ne vit même pas son majeur dressé. Il lui arrivait de regretter que les gobelets pour bébé aient des parois transparentes.
Combien de temps cela prendra-t-il ?
— Foutez-moi dehors, qu’on en finisse, marmonna-t-elle.
Si cela durait trop longtemps, elle serait obligée de démarrer la voiture pour faire tourner le moteur et avoir du chauffage, mais ce serait gâcher de l’essence.
Pour penser à autre chose, elle fouilla la boîte à gants. Comme les armoires à pharmacie, les boîtes à gants révélaient énormément de choses sur leurs propriétaires. Elle y trouva un pistolet, ce qui ne la surprit guère. Les piégeurs s’aventuraient souvent dans des quartiers louches. Elle l’écarta avec circonspection. Puis elle trouva une lampe torche. Elle l’alluma et vit des préservatifs. Il y en avait trois. Des « grande taille ».
Riley renifla avec mépris.
— Dans tes rêves.
Et puis, le gros lot : le Manuel du piégeur du chaud lapin.
Les apprentis recevaient leur manuel chapitre par chapitre pour les empêcher de s’attaquer à des démons trop puissants avant d’avoir terminé leur formation. Jusque-là, elle n’avait pu lire que le chapitre sur les Classe un, tels que les Biblios. Denver Beck avait le grade de compagnon. Au-dessus de lui, il n’y avait que les maîtres. Dans ce manuel, il y avait tous les trucs intéressants, sauf ce qui concernait les monstres de premier plan et les Archidémons.
Riley hésita. Ils allaient la mettre dehors, alors à quoi bon ?
Et si jamais ils me gardaient… Une occasion telle que celle-ci ne se représenterait peut-être plus jamais.
Elle tira mentalement à pile ou face, et sa curiosité gagna. Comme chaque fois.
Riley s’assura que les portières étaient bien fermées, se pencha sur le livre et braqua le faisceau de la torche sur les pages. Elle était aussi excitée que le jour où elle était tombée sur les romans érotiques de sa mère.
— « Les démons de Classe trois sont des monstres territoriaux particulièrement connus pour leur aptitude à dévorer un homme en moins de quinze minutes. »
Ce n’est peut-être pas une si bonne idée.
Elle venait de commencer le paragraphe qui expliquait comment capturer les Classe trois lorsque quelqu’un toqua à la vitre de la portière. Riley sursauta, fourra précipitamment le manuel et la lampe dans la boîte à gants et releva la tête. C’était Simon, l’apprenti de Harper. Gênée de s’être fait surprendre, elle descendit, honteuse, de la voiture.
— Désolé de t’avoir fait peur, commença-t-il en reculant un peu.
Il avait compris qu’elle avait besoin d’espace, semblait-il. C’était étonnant, pour un garçon.
— Je voulais voir où tu en étais, comment tu te sentais, ajouta-t-il.
Pourquoi faut-il que je sois couverte d’urine de démon quand un type sexy vient me parler ? L’univers me déteste !
Elle voulut se passer la main dans les cheveux, mais renonça vite à cause de son bandage. Se sentant obligée de dire quelque chose, Riley balbutia :
— Je… je lisais.
Un grand sourire éclaira lentement le visage de Simon tandis qu’il remettait la sacoche de son ordinateur sur son épaule.
— Oui, le manuel. J’ai vu. Mais ce n’était pas le tien ; il était trop épais.
Chopée en flagrant délit ! Elle s’affaissa contre le pick-up.
— C’est celui de Beck. Tu ne diras rien, hein ?
Simon secoua la tête et se rembrunit.
— J’ai fait pareil avec celui de Harper, et c’est lui qui m’a surpris, expliqua-t-il.
— Mon père ne me dit rien. Ça m’énerve.
A peine s’était-elle confiée quelle se demanda si elle n’avait pas gaffé. Pouvait-elle avoir confiance en Simon ?
— C’est comme avec Harper. Après, il gueule quand je ne sais pas un truc que je suis censé savoir. (Il fronça les sourcils.) Je deviendrai compagnon uniquement pour lui prouver qu’il avait tort.
— Je n’aurai pas cette chance. Ils vont me foutre dehors.
— On ne sait jamais. Tu en as impressionné quelques-uns.
II fit une pause, puis ajouta :
— En tout cas, moi, je t’ai trouvée super.
Elle ne s’attendait pas à cela. Il m’a trouvée super ?
— Ah… Merci !
Simon sourit et, soudain, elle n’eut plus froid.
Ils entendirent des voix. Beck et son père arrivaient dans leur direction en discutant de façon animée. Ils avaient l’air contrariés. Beck faisait de grands gestes, et elle crut même discerner un ou deux jurons.
Simon s’écarta.
— Je ferais mieux d’y aller. Heureux de t’avoir parlé, Riley.
— Moi aussi, Simon.
Juste avant de traverser la rue, il se retourna. Elle lui fit un signe de la main. Le sourire du garçon s’élargit.
Il est vraiment sexy.
Riley sauta dans la voiture pour attraper le Biblio qui était la cause de tous ses ennuis. La boîte à gants était entourée d’un halo de lumière. La lampe torche était allumée à l’intérieur. Elle régla vite ce problème et attrapa son sac de coursier.
— Je vois que Simon t’a tenu compagnie, dit son père en arrivant à sa hauteur. Je suis content qu’il se soit soucié de toi.
En entendant son père, elle se sentit encore mieux. Si son père appréciait l’apprenti, c’est qu’elle pouvait avoir confiance en lui.
— Alors ? le verdict ? demanda-t-elle en serrant les poings pour encaisser la mauvaise nouvelle.
La douleur de sa main blessée se réveilla aussitôt.
— Ils m’ont virée, c’est ça ?
— Pour l’instant, tu restes apprentie, annonça son père. La vidéo a confirmé qu’il y avait un autre démon dans la salle, un démon que tu n’étais pas capable de capturer. Mais à la prochaine bourde, ce sera la porte.
Mais encore… ?
— Et ?
Son père et Beck échangèrent un regard.
— Ils ont décidé de me sanctionner, ajouta Paul. Si tu perds ton permis, je serai interdit d’apprenti pendant un an.
— C’est Harper qui a imposé cette saleté, grommela Beck. Quel fumier !
Riley était abasourdie. Son père avait l’enseignement dans le sang ; il était aussi bon professeur d’histoire que tuteur d’apprentis piégeurs. Non seulement il risquait de perdre ce qui était une grande source de satisfaction personnelle, mais également l’allocation qui lui était versée pour former des jeunes. Cet argent leur servait à payer leurs factures d’épicerie. Pas d’apprenti, pas de nourriture. C’était aussi simple que cela.
— Pour résumer, tu es toujours membre de la Guilde. On s’inquiétera du reste plus tard, dit son père en la prenant par l’épaule. Rentrons à la maison.
— Ouais, j’ai entendu dire quelle avait des devoirs à faire, la taquina Beck.
Elle lui lança un regard noir, mais elle ne se donna pas la peine de répondre. Beck était le moindre de ses soucis.
Ils sortaient du Grounds Zéro Drive, et le chocolat chaud de Riley fumait contre sa vitre, adoucissant sensiblement cette journée difficile. Le délicieux et chaud breuvage n’expliquait pas à lui seul l’humeur positive de la jeune femme. Elle était en compagnie de son père, et cela lui faisait toujours du bien. Malheureusement, cela ne durerait pas. Dès qu’ils seraient à la maison, il repartirait avec Beck pour une nouvelle nuit de travail. Cela faisait un bout de temps qu’ils essayaient d’attraper un démon de Classe trois dans le quartier de Five Points. C’était devenu une question d’amour-propre, d’honneur.
Riley savait qu’elle n’avait pas le droit d’en vouloir à son père d’être tout le temps absent, qu’ils avaient besoin de cet argent. Elle rêvait de passer plus de temps avec lui, et pourquoi pas en traquant les démons, ce qui n’arriverait pas tant qu’elle ne serait pas capable de piéger des Classe trois. Son père et elle pourraient alors travailler en tandem, et Beck devrait trouver un autre binôme. Elle se demandait si super péquenaud avait déjà envisagé cette éventualité.
Riley triturait la déchirure de son jean d’un air absent. Elle la réparerait. Cela ne la gênait pas de porter un jean rafistolé ; l’urine de démon, en revanche, était plus ennuyeuse, car elle laissait des taches blanches, et elle n’était pas près d’avoir les moyens de se racheter un nouveau pantalon.
Elle posa son chocolat au milieu du tableau de bord et avisa un CD-Rom au milieu d’une multitude d’emballages de chewing-gums. Sans doute les résultats des recherches de son père sur la guerre civile. Pendant son temps libre, c’est-à-dire très rarement, il se rendait à la bibliothèque pour effectuer des recherches sur un de leurs ordinateurs, bien plus rapides que celui qu’ils avaient à la maison.
— De quoi s’agit-il, cette fois ? demanda-t-elle en montrant le disque. La bataille d’Antietam ou celle de Kennesaw ?
Il parut surpris par sa question et rangea rapidement le CD dans sa poche.
— J’ai quelque chose à te proposer, dit-il. Je récupère l’argent, je prends ma nuit et je t’emmène manger une pizza quelque part. Peut-être même qu’on ira au cinéma.
Elle hocha la tête avec enthousiasme.
— Super ! Ce serait génial !
Ce serait encore plus génial tous les soirs. Alors, une pensée lui vint.
— Juste nous. Sans Beck.
— Tu ne l’aimes vraiment pas, pas vrai ?
— Ouais. En venant à la réunion, il m’a dit qu’il m’aiderait, mais il n’a rien fait. C’est un lâche.
— Tu ne le connais pas assez bien, rétorqua son père en secouant la tête.
— Tu crois ? Il est resté assis à boire sa bière comme si nous étions à un pique-nique. Si j’ai bien compris, sa mère est une ivrogne, et il est en train de suivre son exemple. Je me demande vraiment pourquoi tu perds ton temps avec lui.
Son père ne dit rien et, le front plissé, se perdit dans ses pensées. Riley jura en elle-même. Pourquoi devaient-ils toujours se disputer à cause de ce type ?
Comme elle se sentait coupable, elle bredouilla :
— Qu’est-ce que tu penses de Simon ?
Paul parut heureux de pouvoir changer de sujet.
— C’est un garçon calme et réfléchi. Un piégeur très méthodique. Il fera une belle carrière, à condition que Harper accepte de signer sa carte de compagnon.
— Je l’aime bien.
— Je crois qu’il t’aime bien aussi. Mais méfie-toi de Harper ; il est très dur avec Simon.
Le téléphone de Riley émit des stridulations de criquets.
elle regarda le petit écran et sourit. C’était son meilleur ami.
— Hé ! Peter, ça roule ?
— Riley ! J’ai vu la vidéo ! Waouh ! Tu as tout déchiré ! les statistiques explosent, tu te propages comme un virus.
Riley lâcha un grognement. C’était exactement ce dont elle avait toujours rêvé : être la risée de millions de personnes.
Elle entendait le bruit d’un clavier d’ordinateur. Peter faisait toujours plusieurs trucs à la fois. Il était probablement en train d’échanger des messages avec plusieurs de ses amis pendant qu’il lui parlait au téléphone.
— C’était beaucoup moins sympa en vrai, lui assura-t-elle.
— Ouais, mais tu l’as eu, cet enfoiré. Putain, avec tous ces trucs qui volaient partout, on se serait cru dans Harry Potter !
Peter adorait Harry Potter. Il collectionnait tous les livres, tous les films.
— Attends une seconde…
Elle entendit une voix lointaine. Probablement la mère de Peter qui voulait savoir à qui il parlait.
— Voilà, je suis de retour. C’était juste la gardienne. Elle voulait voir si je ne m’étais pas évadé.
Riley se tourna vers son père et sourit. Elle aimait beaucoup discuter avec Peter, mais son père ne serait pas là toute la soirée.
— Écoute, Pete, je pourrais te rappeler plus tard ? Je suis avec mon père, et comme il va bientôt devoir partir…
— Pas de problème. Appelle quand tu auras le temps. En tout cas, tu déchires grave.
Et il raccrocha.
Son père s’arrêta à un stop, tandis qu’un vieil homme traversait péniblement l’intersection. Attaché à son Caddie, un chien miteux trottinait en tenant quelque chose dans la gueule.
— Tu vois ça ? lui demanda son père.
— Quoi ? le vieux ?
— Tu ne remarques rien autour de lui ? Comme des contours blancs…
Elle ne voyait qu’un vieillard avec son chien.
— C’est un ange, expliqua son père.
— Tu rigoles !
Riley examina l’homme. Il ressemblait à tous les autres sans-abri de la ville.
— Je croyais que les anges avaient des ailes et qu’ils portaient un genre de robe.
— C’est le cas, mais ceux qui s’occupent des nécessiteux peuvent nous ressembler, à moins de décider de nous révéler leur forme véritable.
L’homme-ange monta sur le trottoir, caressa son chien et se remit en route.
— Ils sont de plus en plus nombreux à Atlanta, observa son père.
Quelque chose, dans sa voix, piqua la curiosité de Riley.
— Ils gardent un œil sur les démons. C’est une bonne chose, non ?
— Je ne sais pas, répondit son père dans un haussement d’épaules.
— Ils font vraiment des trucs d’anges, des miracles, tout ça ?
— C’est ce qu’on dit.
Il redevint silencieux pendant quelque temps avant de demander subitement :
— Peter et toi, vous comptez sortir ensemble, un de ces quatre ?
Surprise, elle cligna des yeux. Où est-il allé chercher ça ?
— Euh… non.
— Pourquoi ? C’est un bon petit gars.
— Eh bien, parce que… parce que c’est Peter. Je veux dire… (Elle ne savait pas comment expliquer ce qui lui paraissait évident.) C’est mon ami, quoi.
Son père eut un sourire entendu.
— D’accord, d’accord. J’ai connu une fille comme toi quand j’étais au lycée. Il ne me serait pas venu à l’idée d’aller plus loin avec elle.
Son père parlait si peu de son passé ; elle ne put résister.
— C’était qui ?
— Ta mère.
Il haussa plusieurs fois les sourcils comme elle lâchait un grognement incrédule.
— Il m’appelle juste parce qu’il est seul, expliqua-t-elle.
— Ou parce qu’il t’aime beaucoup.
— Bien essayé, papa, mais tu te plantes complètement. Il est amoureux de Simi.
— La serveuse punk du café ? demanda Paul. Celle qui a des cheveux fluo ?
Riley opina du chef.
— Tu aurais dû la voir le mois dernier. Elle avait des rayures noires et blanches et des pointes violettes. Impressionnant, vraiment.
— N’y pense même pas, répliqua son père en haussant un sourcil.
— Aucun risque.
Elle avait suffisamment de problèmes pour éviter, en plus, de se donner des airs de costume d’Halloween raté.
— Comment ça marche, à l’école ? Toujours installée à côté du rayon des produits laitiers ?
— Plutôt bien, répondit-elle en plissant le nez. La boutique pue le fromage moisi, et il y a plein de vieilles publicités accrochées au plafond. Disons que c’est un peu dégueu. Il y a des cafards morts et des souris partout, expliqua-t-elle en mimant les pattes des rongeurs avec les doigts.
Avant que son père perde son travail, avant qu’il se mette à piéger les démons, Peter et elle fréquentaient une école normale.
Par manque d’argent, ils étaient désormais contraints d’aller aux cours du soir trois fois par semaine dans une épicerie désaffectée. La plupart des professeurs avaient un second métier ; certains ramassaient les ordures, d’autres vendaient des hot-dogs dans des supérettes.
— Des collègues enseignants m’ont dit qu’ils risquent de réorganiser les classes, la prévint son père. Il se pourrait qu’on te place ailleurs.
Ce n’était pas une bonne nouvelle.
— Du moment que Peter change de classe avec moi, ça ne me dérange pas.
— Cette fois-ci, tu as eu de la chance de tomber dans une épicerie. Imagine si ç’avait été un vieux boui-boui mexicain. Tes vêtements seraient imprégnés d’une odeur de burritos rances.
— Beurk !
— Moi qui m’étais imaginé que j’aurais un boulot d’enseignant toute ma vie. Je n’ai même pas protesté quand la municipalité a vendu les écoles à Bartwell. Je rêvais de subventions… (Il secoua la tête.) Qu’est-ce que j’ai été naïf.
Riley connaissait cette histoire par cœur. Bartwell Industries louaient les bâtiments des écoles à la Ville et ne cessaient d’augmenter le montant des loyers. En pleine crise budgétaire, incapable de payer, Atlanta avait cédé les baux de certaines écoles à des entreprises non solvables, espérant ainsi faire baisser les exigences du propriétaire. Bartwell s’était rapidement retrouvé en faillite. Les bâtiments s’étaient très vite détériorés et les écoles installées dans des épiceries abandonnées. De nombreux professeurs avaient perdu leur emploi.
— Au moins je peux piéger des démons, ajouta son père d’un ton de regret.
— Moi aussi.
Il hocha la tête. Sans enthousiasme, se dit-elle.
Normalement, Paul était toujours pressé de repartir, de piéger d’autres démons. Ce soir-là, cependant, ils prirent leur temps et traversèrent tranquillement le parking de leur immeuble.
— Le fait que je sois dans la partie ne t’oblige pas à devenir piégeuse, remarqua son père.
Riley réfléchit en zigzaguant entre des motos et des scooters rouillés.
— Je veux vraiment faire ce boulot, papa, finit-elle par dire en prenant sa main et en la serrant. Je ne veux pas me retrouver derrière un bar ou un truc comme ça. Je ne suis pas faite pour ça.
Paul prit un air résigné.
— J’ai longtemps espéré que tu changerais d’avis, mais j’ai compris ce soir que ça n’arriverait pas. Tu as tenu tête à Harper, et ça demande du cran.
— Quel connard, celui-là. On dirait qu’il déteste tout le monde.
— Il a subi de grandes pertes, il a beaucoup souffert. On a tous un point de rupture, et lui a dépassé le sien il y a longtemps.
— Toi, non.
Il sourit et serra la main de sa fille.
— Parce que je t’ai, toi.
Il lui passa le bras autour de la taille et, ensemble, ils montèrent l’escalier.
Un jour, il restera tout le temps à la maison. Alors la vie sera vraiment parfaite.