Où il est question de finir le ménage et de se dire adieu
Il était presque 3 heures du matin quand le Premier ministre revint à Sjölida après s’être rendu sur le chemin vicinal en cyclomoteur, celui de la comtesse Virtanen. Là, en quelques brefs appels, Fredrik Reinfeldt avait pu informer son équipe, ainsi que celle du roi et le chef de la police de sécurité (le plus soulagé au monde), que la situation était sous contrôle, qu’il escomptait regagner le ministère à l’aube et souhaitait que son assistante l’y attende avec un costume et des chaussures de rechange.
La phase la plus critique de la crise semblait passée et personne n’avait été blessé, hormis Holger 2, atteint par accident au bras et qui désormais lançait juron sur juron dans la chambre jouxtant la cuisine de la comtesse. L’éraflure était conséquente, mais à l’aide du breuvage du maréchal Mannerheim (à la double propriété désinfectante et anesthésiante) et de bandages, il y avait des raisons de croire que Holger 2 serait rétabli dans quelques semaines. Nombeko sentit un regain d’amour en notant que son Holger ne s’était absolument pas plaint. Allongé sur le lit, il préférait s’entraîner sur un oreiller à l’art d’étrangler une personne d’une seule main.
La victime potentielle se trouvait à une distance sûre. Célestine et lui s’étaient couchés sous une couverture sur le ponton. L’ex-agent B, lui, poursuivait son somme dans la cuisine. Pour plus de sécurité, Nombeko avait récupéré sans encombre son pistolet.
Le roi, la comtesse Virtanen, Nombeko et le Premier ministre s’étaient réunis dans la cuisine, auprès de l’agent endormi. Le roi avait demandé sur un ton joyeux quelle était la prochaine activité au programme. Le Premier ministre était trop fatigué pour s’irriter davantage contre son souverain. Au lieu de ça, il se tourna vers Nombeko et lui suggéra qu’ils aient une discussion en privé.
— Et si nous nous installions dans la cabine du camion de pommes de terre ? proposa-t-elle.
Le Premier ministre acquiesça.
Le chef du gouvernement suédois se révéla aussi intelligent qu’il était doué pour la vaisselle. Il reconnut d’abord qu’il aimerait beaucoup dénoncer toutes les personnes présentes à Sjölida à la police, y compris le roi, pour négligence.
Mais à y regarder de plus près, le Premier ministre considérait l’affaire d’un point de vue plutôt pragmatique. Pour commencer, il était impossible de traduire un roi en justice. Par ailleurs, il ne serait peut-être pas très juste de faire incarcérer Holger 2 et Nombeko, alors qu’ils avaient fait de leur mieux pour restaurer l’ordre au milieu du chaos. Pour l’essentiel, la comtesse ne s’était rendue coupable de rien non plus, raisonnait le Premier ministre. Surtout si on se gardait de vérifier si elle possédait un port d’arme valide pour le fusil à élan qu’elle avait agité plus tôt.
Il restait l’agent des services secrets d’une nation étrangère. Plus, bien sûr, l’idiot et sa petite amie. Ces deux derniers méritaient sans doute de passer cent ans dans une prison aussi hermétique que possible, mais peut-être valait-il mieux que la nation s’abstienne de cette douce vengeance. Tout procès requiert qu’un procureur pose des questions, et dans ce cas les réponses, quelle que soit leur formulation, risquaient de causer un traumatisme à vie à des dizaines de milliers de citoyens. Une bombe atomique en vadrouille. Au beau milieu de la Suède. Pendant vingt ans.
Le Premier ministre frissonna avant de poursuivre son raisonnement. De fait, il avait trouvé une autre raison de s’abstenir de prendre des mesures judiciaires. Lorsqu’il s’était rendu sur le chemin vicinal en cyclomoteur, il avait d’abord appelé le chef de la Säpo pour le rassurer, puis son assistante pour évoquer une question plus pratique.
Mais il n’avait pas donné l’alerte.
Un procureur zélé, encouragé par l’opposition, pourrait très bien l’accuser d’avoir prolongé la crise et de s’être rendu complice d’actes illicites.
— Hum, répondit Nombeko, songeuse. Comme, par exemple, mise en danger de la vie d’autrui, selon le chapitre III, paragraphe 9 du code pénal.
— Passible de deux ans d’emprisonnement, c’est ça ? demanda le Premier ministre, qui commençait à soupçonner Nombeko d’être omnisciente.
— Oui, confirma Nombeko. Vu les dégâts potentiels, vous ne pouvez espérer écoper d’un jour de moins. Par ailleurs, vous avez conduit un cyclomoteur sans casque. Si je connais bien les lois suédoises, cela pourrait vous valoir quinze ans supplémentaires.
Le Premier ministre poursuivit sa réflexion. Il espérait prendre la présidence de l’Union européenne à l’été 2009. Un séjour en prison jusqu’à cette date n’était pas la meilleure des mises en condition. Sans compter qu’il serait viré de son poste de Premier ministre comme de celui de chef de parti.
Il sollicita donc l’avis de la brillante Nombeko sur la manière dont ils pouvaient se sortir de tout cela, sachant que le but était de reléguer la plus grande partie possible des événements des dernières vingt-quatre heures aux oubliettes.
Nombeko répondit qu’elle ne connaissait personne aussi doué que le Premier ministre pour le ménage. La cuisine était d’une propreté éclatante après la fricassée de poulet, la bière, le schnaps, le café et tout le reste. La seule tache qu’il restait à faire partir… était sans doute l’agent endormi, non ?
Le Premier ministre fronça les sourcils.
Pendant ce temps, Nombeko se disait que le plus urgent était d’éloigner l’idiot et sa petite amie de la bombe, puis d’enfermer cette dernière dans une grotte.
Le chef du gouvernement suédois était fatigué. Il était si tard qu’on pouvait à présent dire qu’il était tôt. Il admit qu’il avait du mal à réfléchir et à formuler ses pensées. Cependant, il avait eu le temps de songer à l’hypothèse de la grotte pendant que son cerveau fonctionnait encore. Dans laquelle on désarmerait la bombe ou au moins l’emmurerait, pour refouler le souvenir de son existence.
Le soleil ne brille pas plus pour les Premiers ministres que pour les autres. Parfois, ce serait plutôt le contraire. L’obligation la plus immédiate sur l’agenda officiel de Fredrik Reinfeldt était une rencontre avec le président Hu à la chancellerie, à 10 heures, suivie d’un déjeuner à la Sagerska Huset. Avant cela, il voulait prendre une douche pour éviter de sentir la pomme de terre et enfiler des vêtements et des chaussures qui ne soient pas couverts de boue.
Si le groupe parvenait à se mettre en branle rapidement, c’était faisable. Le plus difficile : localiser une grotte profonde et reculée pour y oublier la bombe, chemin faisant. Cette affaire – malgré son importance – devrait attendre jusqu’à l’après-midi.
Au quotidien, le Premier ministre était un homme d’écoute, qui parlait rarement trop. A cet instant, il s’étonna lui-même de s’ouvrir autant à Nombeko Mayeki. Même si ce n’était peut-être pas si étonnant que ça. Nous avons tous besoin de partager nos soucis les plus intimes avec quelqu’un… Et qui était accessible en dehors de la femme sud-africaine et éventuellement son petit ami, pour discuter du problème des trois mégatonnes qu’ils traînaient derrière eux ?
Le Premier ministre comprit qu’il lui faudrait élargir le cercle des personnes au courant du plus grand des secrets. Il songea d’abord au chef d’état-major, qui aurait la responsabilité ultime de cette grotte, où qu’elle puisse se trouver. Comme ce dernier ne pourrait vraisemblablement pas désarmer la bombe ou l’emmurer seul, il faudrait mettre dans la confidence quelques autres personnes. Dans le meilleur des cas, les personnes suivantes apprendraient ce qu’elles n’auraient pas dû apprendre : 1) le chef d’état-major, 2) le démineur, 3) le maçon, 4) Nombeko Mayeki, la clandestine, 5) Holger Qvist, l’inexistant, 6) son frère bien trop existant, 7) la petite amie colérique du frère, 8) une ancienne cultivatrice de pommes de terre, désormais comtesse, 9) Sa Majesté le roi insouciant et, enfin, 10) un agent du Mossad à la retraite.
— Cela ne peut que mal finir, conclut-il.
— Au contraire, objecta Nombeko. La plupart des personnes que vous venez d’énumérer ont toutes les raisons au monde de garder bouche cousue. Par ailleurs, certaines sont si dérangées que personne ne les croirait si elles se mettaient à table.
— Vous songez au roi ?
Le Premier ministre et Hu Jintao étaient censés savourer le repas à la Sagerska Huset en compagnie de plusieurs importants acteurs économiques suédois. Puis le président Hu serait conduit à l’aéroport d’Arlanda, où son Boeing 767 personnel l’attendait pour le ramener à Pékin. Ensuite seulement, le chef d’état-major pourrait être convoqué à la chancellerie.
— Oserai-je confier la bombe à mademoiselle Nombeko pendant que je serai avec Hu et que je mettrai le chef d’état-major au courant ?
— Monsieur le Premier ministre sait mieux que moi ce qu’il osera ou pas, mais j’ai déjà été coresponsable de cet engin pendant plus de vingt ans sans qu’il explose. Je pense être capable de le gérer quelques heures de plus.
A cet instant, Nombeko vit le roi et la comtesse quitter la cuisine et se diriger vers le ponton. Des âneries se tramaient peut-être. Nombeko réfléchit à toute allure.
— Cher monsieur le Premier ministre… Allez chercher le retraité du Mossad à la cuisine en faisant preuve du bon sens que j’ai cru déceler en vous. Pendant ce temps, je vais me rendre au ponton et veiller à ce que le roi et sa comtesse ne fassent pas de bêtise.
Fredrik Reinfeldt comprit ce que Nombeko avait en tête. Tout son être lui disait qu’on ne pouvait pas faire ça.
Il soupira, et obtempéra.
— Debout !
Le Premier ministre secoua l’ex-agent B jusqu’à ce qu’il ait ouvert les yeux et se soit rappelé avec horreur où il se trouvait.
Quand Fredrik Reinfeldt vit que l’agent était prêt à entendre son message, il planta son regard dans le sien et lui déclara :
— Je vois que la voiture de l’agent est dehors. Je suggère – au nom de la fraternité entre les peuples suédois et israéliens – que vous sautiez dedans, que vous partiez sur-le-champ et quittiez le pays dans la foulée. Par ailleurs, je suggère que nous soyons bien d’accord que vous n’êtes jamais venu ici et n’y remettrez jamais les pieds.
Le Premier ministre, si droit, avait la nausée en pensant qu’en l’espace de quelques heures il avait non seulement volé des pommes de terre, mais également enjoint à un homme ivre de prendre le volant. Sans compter le reste.
— Et le Premier ministre Olmert ? demanda l’agent.
— Je n’ai aucune raison de l’appeler, puisque vous n’êtes jamais venu ici. Pas vrai ?
L’ex-agent B n’était pas sobre et il s’était réveillé en sursaut. Il comprit néanmoins qu’il venait de récupérer le droit de vivre. Et qu’il y avait urgence. Au cas où le chef du gouvernement suédois changerait d’avis.
Fredrik Reinfeldt était l’une des personnes les plus probes de Suède, de celles qui s’acquittent de leur redevance télévision depuis leur tout premier logement étudiant. Encore enfant, il avait proposé une facture à son voisin, lorsqu’il lui avait vendu une botte de poireaux.
Pas étonnant qu’il éprouvât ce qu’il éprouvait après avoir laissé filer l’ex-agent B. Et pris la décision que tout le reste serait tu. Enterré. La bombe aussi. Dans une grotte. Si c’était possible, du moins.
Nombeko revint, une rame sous le bras, et expliqua qu’elle venait d’empêcher la comtesse et le roi de partir pour une partie de pêche illégale. Comme le Premier ministre ne réagissait pas et qu’elle avait vu les feux arrière de la voiture de location de l’ex-agent B s’éloigner de Sjölida, elle ajouta :
— Parfois, monsieur le Premier ministre, il n’est pas possible de bien agir. Juste plus ou moins mal. Achever le ménage de la cuisine de la comtesse était dans l’intérêt national. Pour cette raison, vous ne devez pas avoir mauvaise conscience.
Le Premier ministre garda le silence quelques minutes supplémentaires, puis il répondit :
— Merci, mademoiselle Nombeko.
Nombeko et le Premier ministre gagnèrent le ponton pour avoir une discussion sérieuse avec Holger 1 et Célestine. Ils s’étaient endormis sous leur couverture et à côté d’eux, bien alignés, le roi et la comtesse avaient entrepris la même activité.
— Debout, l’idiot, sinon je te mets à l’eau à coups de pied ! lança Nombeko en enfonçant le bout d’une chaussure dans son flanc (elle ressentait une frustration qu’elle ne pourrait évacuer que si elle avait la possibilité de lui tordre au moins le nez).
Les deux ex-kidnappeurs s’assirent sur le ponton, tandis que les deux autres dormeurs se réveillaient aussi. Le Premier ministre commença par déclarer qu’il pensait s’abstenir de lancer des poursuites judiciaires pour enlèvement, menaces et tout le reste, à condition que Holger 1 et Célestine collaborent pleinement à compter de cette minute.
Ils acquiescèrent l’un et l’autre.
— Que va-t-il se passer maintenant, Nombeko ? s’enquit Holger 1. Nous n’avons nulle part où vivre. Mon studio de Blackeberg ne convient pas, car Célestine veut emmener sa grand-mère loin d’ici et c’est également le souhait de Gertrud.
— Ne devions-nous pas braconner quelques poissons ? demanda la comtesse, tout juste réveillée.
— Non, nous allons avant tout nous employer à survivre à la nuit dernière, répliqua le Premier ministre.
— Bonne ambition, commenta le roi. Pas très conquérante, mais bonne.
Puis il ajouta que c’était peut-être tout aussi bien que la comtesse et lui ne soient pas montés dans cette barque. « Le roi surpris en train de braconner » serait sans doute un titre auquel des journalistes malveillants ne pourraient résister.
Le Premier ministre se dit qu’aucun journaliste, malveillant ou pas, ne s’abstiendrait de son plein gré d’un pareil titre, aussi longtemps qu’il était pertinent. Il préféra cependant féliciter Sa Majesté d’avoir abandonné toute idée d’agissements criminels, car le nombre de délits commis la nuit précédente aurait déjà suffi à occuper tout un palais de justice.
Le roi, lui, se dit qu’en sa qualité il pouvait se livrer à toutes les parties de pêche illégale qu’il voulait, mais eut suffisamment de jugeote pour ne pas exprimer cette réflexion à haute voix devant son Premier ministre.
Fredrik Reinfeldt put donc continuer le sauvetage conjoint de la situation et de la nation. Il se tourna vers la comtesse Virtanen et la pria de lui confirmer avec concision et clarté qu’elle voulait bien quitter Sjölida en compagnie de sa petite-fille et de son copain.
Oui, car la comtesse avait retrouvé goût à la vie. Cela était sans doute dû à la présence prolongée de sa Célestine adorée et au roi, qui s’était révélé si fin connaisseur de l’histoire finno-suédoise et de ses traditions. De toute façon, les champs de pommes de terre étaient déjà vendus, et en toute franchise, être rédactrice en chef d’un journal était une activité franchement ennuyeuse, même à toute petite dose.
— Et puis, j’en ai marre d’être célibataire. Le roi ne connaîtrait-il pas un baron de seconde main qu’il pourrait me présenter ? Je n’exige pas un Adonis.
Le roi commença à lui expliquer qu’il y avait pénurie de barons, mais le Premier ministre l’interrompit en affirmant que ce n’était pas le moment de discuter de la disponibilité des barons de seconde main, disgracieux ou non, car il était temps de se mettre en route. La comtesse avait donc l’intention de les accompagner ?
Oui, elle en avait l’intention. Mais où logeraient-ils ? Une vieille dame pouvait être hébergée dans la première masure venue, mais une comtesse se devait de soigner sa réputation.
Nombeko se dit que ce problème ne tarderait pas à être résolu. De fait, il restait une bonne partie de l’argent de la vente de l’entreprise de pommes de terre, assez pour acquérir une résidence digne de la comtesse et de sa cour. Et plus encore.
— En attendant qu’un château se libère, nous allons devoir loger dans un établissement respectable. Une suite au Grand Hôtel de Stockholm vous conviendrait-elle ?
— Pour une période de transition, cela fera l’affaire, répondit la comtesse tandis que l’ancienne rebelle Célestine étreignait la main de son petit ami grimaçant de toutes ses forces.
Il était déjà six heures du matin quand le camion de pommes de terre avec son chargement explosif s’ébranla à nouveau. Seul titulaire du permis et assez sobre pour conduire, le Premier ministre avait pris le volant. A sa droite étaient assis Holger 2, le bras en écharpe, et Nombeko.
Dans la remorque, le roi et la comtesse continuaient à converser. Le roi avait de nombreuses suggestions à lui offrir concernant son futur logis. Le château de style classique Pöckstein, non loin de Straßburg, en Autriche, était à vendre et pourrait être digne de la comtesse. Hélas, il se trouvait un peu trop loin de Drottningholm pour pouvoir prendre le thé ensemble. Mieux vaudrait donc acquérir le château médiéval de Södertuna, à proximité de Gnesta. Peut-être était-il un brin trop modeste ?
La comtesse ne pouvait répondre avec certitude. Il lui faudrait sans doute visiter tous les logements disponibles pour sentir ce qui était trop modeste ou pas.
Le roi se proposa de l’accompagner en compagnie de sa reine, qui serait à même de conseiller la comtesse quant aux caractéristiques d’un parc digne de ce nom.
La comtesse était d’accord. Il serait plaisant de rencontrer la souveraine dans un contexte autre que celui des latrines, où l’on se rendait pour un besoin pressant.
A sept heures et demie, on déposa le roi devant le château de Drottningholm. Il sonna et dut argumenter un moment pour justifier son identité avant qu’un chef des gardes, rouge de confusion, ne le fasse finalement entrer. Quand le roi passa devant lui, il remarqua les taches vermillon sur sa chemise.
— Sa Majesté est-elle blessée ?
— Non, c’est du sang de poulet. Et un peu d’huile de moteur.
L’arrêt suivant fut le Grand Hôtel. Là, la logistique s’enraya. A la suite du coup de feu de son frère, Holger 2 avait de la fièvre. Il aurait eu besoin de s’aliter et de prendre des antalgiques, étant donné que la bouteille de Mannerheim était vide.
— Tu imagines vraiment que je vais prendre une chambre à l’hôtel et me laisser dorloter par le fou qui a failli me tuer ? protesta Holger 2. Je préfère encore m’allonger sur un banc et me vider de mon sang.
Nombeko l’amadoua en lui promettant qu’il pourrait étrangler son frère ou du moins lui tordre le nez (si elle ne lui grillait pas la politesse), mais que cela ne serait possible que lorsque son bras serait guéri. Se vider de son sang le jour précis où ils allaient enfin être débarrassés de la bombe serait quand même le comble de l’ironie, non ?
Holger 2 était trop fatigué pour s’opposer à de tels arguments. A 8 h 40, il était couché et on lui avait donné deux comprimés contre la fièvre et la douleur. Il s’endormit en quinze secondes chrono. Holger 1 s’étendit dans le canapé pour l’imiter, tandis que la comtesse Virtanen entreprenait d’explorer le minibar de la chambre de la suite.
— Allez-y, je peux me débrouiller toute seule.
Devant l’entrée de l’hôtel, le Premier ministre, Nombeko et Célestine réglèrent les derniers détails de l’organisation des prochaines heures.
Reinfeldt devait regagner la chancellerie pour sa rencontre avec Hu Jintao. Pendant ce temps, Nombeko et Célestine devaient circuler avec la bombe et autant de précaution que possible dans le centre de Stockholm.
Célestine prendrait le volant, puisqu’il n’y avait pas d’autre chauffeur disponible. Holger 2 était alité et le Premier ministre ne pouvait pas continuer à se balader avec cette arme diabolique en même temps qu’il rencontrait le président chinois.
Il ne restait donc que cette personne imprévisible, plus si jeune, mais peut-être toujours aussi colérique. Surveillée par Nombeko, mais bon.
Tandis que le trio stationnait toujours devant l’hôtel, l’assistante du Premier ministre l’appela pour le prévenir que son costume et ses chaussures de rechange l’attendaient à la chancellerie. Il se trouvait, par ailleurs, que le président chinois avait un problème. La veille au soir, son interprète s’était blessé, quatre doigts cassés et un pouce broyé, et se trouvait à présent à l’hôpital Karolinska, où on l’avait opéré. Via l’un de ses collaborateurs, le président avait suggéré que le Premier ministre disposait peut-être de la solution au problème d’interprétation lors de leur rencontre et du déjeuner, qui devait lui faire suite. L’assistante avait deviné qu’il faisait référence à la femme noire qu’elle avait brièvement rencontrée devant le château. Se trompait-elle ? Le Premier ministre savait-il où la joindre ?
Oui, le Premier ministre le savait. Il pria son assistante d’attendre une seconde, puis il se tourna vers Nombeko.
— Mademoiselle Nombeko accepterait-elle d’assister à ma rencontre avec le président de la République populaire de Chine, car l’interprète du président se trouve à l’hôpital ?
— Se plaint-il d’être sur le point de mourir ? s’enquit Nombeko.
Avant que le Premier ministre ait eu le temps de lui demander ce qu’elle voulait dire, elle ajouta :
— Bien sûr. Mais qu’allons-nous faire du camion, de la bombe et de Célestine pendant ce temps ?
Laisser Célestine seule avec le camion et la bombe pendant plusieurs heures ne leur semblait pas très… judicieux. La première solution imaginée par Nombeko consistait à la menotter au volant. Son idée suivante fut meilleure. Elle remonta dans la suite et revint quelques instants plus tard se planter devant Célestine.
— Ton petit ami est à présent attaché au canapé sur lequel il ronfle. Si tu fais des bêtises avec le camion et la bombe pendant que le Premier ministre et moi rencontrons le président chinois, je te promets de jeter les clés des menottes dans la baie de Nybroviken.
Célestine répondit par un grognement.
Fredrik Reinfeldt ordonna que deux de ses gardes du corps viennent les chercher, Nombeko et lui, au Grand Hôtel, dans une voiture aux vitres aussi teintées que possible. Célestine reçut pour instructions de chercher la première place de parking disponible et d’y rester garée jusqu’à ce que Nombeko ou lui-même l’appelle.
Impatient que ce problème apparu la veille soit résolu, le Premier ministre lui promit que ce n’était l’affaire que de quelques heures.