CHAPITRE DEUX

L’équipage permanent d’Omen provenait du même groupe d’humains que Korsin : les débris d’une maison noble, lancés des siècles auparavant à travers les étoiles, dans le cyclone qu’était l’Empire Tapani. Les Sith les avaient trouvés, et les avaient jugés utiles. Ils étaient doués pour le commerce et l’industrie, toutes les choses dont les Seigneurs Sith avaient grand besoin mais pour lesquelles ils n’avaient pas le temps car ils étaient trop occupés par leur entreprise de création et de destructions de mondes. Ses ancêtres avaient opéré à bord de vaisseaux et d’usines, et ils l’avaient fait avec succès. Et très vite, leur sang se mélangeant avec celui des Jedi Noirs, la Force était entrée dans la vie des siens.

Ils étaient le futur. Ils ne pouvaient pas le reconnaître, mais c’était évident. De nombreux Seigneurs Sith étaient encore issus de l’espèce à peau rouge qui avait longtemps formé le noyau de leurs adeptes. Mais les chiffres étaient en train de changer, et si Naga Sadow voulait diriger la galaxie, ils devaient changer.

Naga Sadow.

Un visage tentaculaire ; le Seigneur Noir et héritier du pouvoir des anciens. C’était Naga Sadow qui avait envoyé Omen et Harbinger à la recherche des cristaux Lignan ; c’était Naga Sadow qui avait besoin des cristaux de Kirrek pour vaincre la République et ses Jedi.

Ou était-ce les Jedi et leur République ? Peu importe. Naga Sadow tuerait le commandant Korsin pour avoir perdu son vaisseau. Seelah avait raison là-dessus.

Et pourtant Sadow ne perdrait pas nécessairement la guerre, de ce que Korsin en savait. Il avait encore un atout dans sa manche. Les cristaux.

Mais les cristaux n’étaient pas accessibles à ce moment.

La nuit avait été horrible. Il avait fallu faire descendre trois-cent cinquante-cinq personnes depuis les hauts plateaux. Seize blessés étaient morts en chemin, et cinq autres étaient tombés dans les abîmes obscurs qui creusaient le terrain. Mais aucun parmi eux ne désapprouvait l’ordre d’évacuation. Ils ne pouvaient pas rester là-haut, alors que les feux brûlaient encore et que le vaisseau était dangereusement perché sur un sommet. Le dernier à quitter le vaisseau, Korsin avait failli se faire dessus lorsque l’une des torpilles à proton avait jaillit d’un tube de lancement, basculant par-dessus le rebord pour disparaître dans les profondeurs.

Au lever du soleil, ils trouvèrent une clairière, à mi-hauteur de la montagne, recouverte d’herbes sauvages. La vie était présente partout dans la galaxie, même ici. C’était bon signe. Au-dessus, Omen continuait d’être ravagé par les flammes. Ce n’était pas la peine de se demander à quelle hauteur se trouvait Omen, pensa Korsin. Il suffisait de suivre la fumée.

Rejoignant désormais la foule de rescapés – un rassemblement plus qu’un campement – Korsin comprit qu’il n’aurait plus jamais à se demander où se trouvait son peuple. Pas tant que son instinct le guidait.

— Maintenant, je sais pourquoi on a maintenu les Massassi à l’écart, dit-il en pensant que personne ne pouvait l’entendre.

— Charmant, répondit quelqu’un derrière lui. Ils ne vous apprécient pas tellement non plus, vous savez.

Ravilan était un Sith rouge pur-sang. C’était un quartier-maître, et le gardien des Massassi, ces bipèdes vicieux au pas lourd que les Sith utilisaient comme instruments de terreur sur le champ de bataille. À ce moment, les Massassi ne semblaient pas tellement impressionnants. Korsin suivit Ravilan au milieu du groupe de guerriers, qui étaient encore plus difficiles à supporter dans cette odeur de vomi. Les monstres rougeauds, hauts de deux ou trois mètres étaient étalés au sol, haletant et toussant.

— C’est peut-être une sorte d’œdème pulmonaire, dit Seelah en faisant passer des bombonnes d’air purifié qu’elle avait récupéré dans un compartiment d’urgence.

Avant de rencontrer Devore et d’obtenir une place dans son équipe, elle avait occupé la fonction d’infirmière militaire – bien que ça ne sautait pas aux yeux de Korsin, du moins à en juger par la manière dont elle s’occupait des Massassi. Elle effleurait à peine les géants.

— Nous ne sommes plus en altitude, alors les symptômes devraient se calmer. C’est peut-être normal.

À sa gauche, un autre Massassi s’énerva brusquement en frappant un rocher avoisinant et découvrit en silence le résultat : un morceau de peau ruisselant. Korsin se tourna vers le quartier-maître et demanda d’un ton sec :

— Est-ce que c’est normal ?

— Vous savez bien que non, répondit Ravilan d’un ton hargneux.

Venant de l’autre côté de la clairière, Devore Korsin décida d’intervenir, posant son fils dans les bras de Seelah avant même qu’elle ait eu le temps de les essuyer. Il saisit le large poignet de la brute et adressa un regard sévère à son frère.

— Mais les Massassi sont plus forts que tout !

— Quand qu’il s’agit de frapper, d’écraser ou d’étrangler, dit Korsin.

Cependant, une planète étrangère était une planète étrangère. Ils n’avaient pas eu le temps d’effectuer un scanner biologique. Et tout l’équipement était resté là-haut. Devore suivit Seelah, s’éloignant des Massassi indisposés.

Quatre-vingts des créatures avaient survécu au crash. Korsin apprit que les assistants de Ravilan étaient déjà en train de brûler un tiers de ces survivants sur le flanc de la colline. Quelle que soit la nature de la chose qui était en train de tuer les Massassi, les cadavres s’amoncelaient à un rythme effrayant. Ravilan lui montra le bûcher nauséabond.

— Ils ne sont pas assez éloignés, dit Korsin.

— De qui ? rétorqua Ravilan. Va-t-on installer un campement permanent dans ce trou ? Ou devrions-nous nous retirer vers une autre montagne ?

— Ça suffit, Rav.

— Pas de réponse cinglante ? Je suis surpris. Vous en avez toujours une en réserve d’habitude.

Korsin s’était déjà frotté à Ravilan par le passé, mais là, ce n’était pas le moment.

— J’ai dit ça suffit. Nous avons déjà sondé les profondeurs. Vous étiez là. Il n’y a nulle part où aller.

Au pied de la falaise se trouvait une plage, mais cette dernière se terminait contre les falaises qui jonchaient le pied de la montagne suivante. Et s’enfoncer dans la chaîne de montagne signifiait traverser des enchevêtrements de ronces aussi coupantes que des lames de rasoir.

— Nous n’avons pas besoin d’une expédition, reprit Korsin. Nous n’allons pas rester ici.

— Je l’espère, dit Ravilan, lui-même indisposé par l’odeur fétide de bûcher. Mais votre frère… pardon, l’autre fils du capitaine Korsin pense que nous ne devrions pas attendre plus longtemps pour rentrer.

Yaru Korsin marqua une pause.

— J’ai les codes du transmetteur. C’est à moi de prendre la décision.

Il leva les yeux pour observer les volutes de fumées grandissantes.

— Attendons que les flammes se dissipent.

— Oui, absolument. Attendons.

Le commandant n’avait pas voulu de Devore pour cette mission. Plusieurs années auparavant, il avait été soulagé d’apprendre que son demi-frère avait abandonné sa carrière dans la marine pour finir dans les services minéralogiques des Sith. Il était plus facile d’acquérir le pouvoir et la richesse en recherchant des gemmes et des cristaux de Force. Avec le soutien de leur père, Devore était devenu un spécialiste des armes à plasma et des scanners de balayage. Le conflit récent avec les Jedi l’avait rendu indispensable et l’avait amené, lui et son équipe, à être assigné à bord d’Omen. Korsin se demandait qui il avait bien pu froisser pour mériter ça. On lui avait dit que Devore serait placé sous son autorité, mais c’aurait été une première. Aucun Seigneur Sith n’aurait eu assez de pouvoir pour qu’une telle chose arrive.

— Vous auriez dû nous maintenir en orbite !

— Nous ne nous sommes jamais positionnés en orbite !

Korsin reconnut la voix du navigateur, Marcom, provenant de l’autre côté de la colline. Il savait déjà à qui appartenait l’autre.

Le vieil homme tentait de sortir de la foule lorsque Korsin se tint au sommet de la colline. Les mineurs de Devore refusaient de laisser passer Boyle.

— Vous ne savez rien de mon métier ! hurla-t-il. J’ai fait tout ce que j’ai pu ! Oh, à quoi bon.

Alors que Korsin atteignait la clairière, la foule se pressa, comme tirée par une force invisible. Un craquement familier en suivit un autre.

— Non !

Korsin vit un sabre-laser rouler jusqu’à ses pieds tandis qu’il arrivait au niveau de la foule. Le vieux timonier de son père gisait à quelques mètres, éventré. À côté de Seelah et de Jariad se tenait Devore, chassant l’obscurité grandissante avec la lame pourpre de son sabre-laser.

— Le navigateur nous a attaqués en premier, dit Seelah.

Le commandant prit un air stupéfait.

— Et alors ?

Korsin força son chemin au centre de la foule, ramassant le sabre-laser grâce à la Force. Devore tint sa position, esquissant un doux sourire tandis que la lame de son sabre-laser continuait de bourdonner. Ses yeux noirs brillaient d’une sauvagerie certaine, une sauvagerie familière. Il tremblait légèrement, mais pas de peur. Ce n’était pas de la peur que Yaru Korsin sentait. Le commandant savait que c’était autre chose, quelque chose de bien plus dangereux. Il pointa le faisceau émetteur de l’arme de Marcom vers le sol et la secoua nerveusement.

— C’était notre navigateur, Devore ! Et si les cartes stellaires ne fonctionnent pas ? Tu as pensé à ça ?

— Moi, je peux nous ramener chez nous, dit sèchement Devore.

— Tu as intérêt ! hurla une voix dans la foule.

Korsin prit soudain conscience des personnes qui l’entouraient. Des mineurs en uniforme doré, certes, mais également l’équipage du pont. Un sith au visage rouge – pas Ravilan, mais l’un de ses petits copains. Il était résolu.

— Ça ne nous aura rien apporté. Nous allons attendre que les choses se calment et ensuite, nous retournerons au vaisseau. C’est tout.

Seelah se raidit, enhardi par la foule de partisans.

— Et combien de temps va-t-on devoir attendre ? Des jours ? Des semaines ?

Son enfant se mit à gémir.

— Combien de temps devrons-nous tenir avant que les choses se calment ?

Korsin la fixa du regard et prit une profonde inspiration. Il jeta le sabre-laser de Marcom au sol.

— Dites à Ravilan que nous en avons un autre pour le bûcher.

Tandis que la foule lui ouvrait un passage avec réticence, Korsin dit :

— Nous partirons quand je le dirai. Si ce vaisseau explose, ou bascule dans l’océan, nous aurons un problème. Nous partirons quand je le dirai.

Le monde tourna soudainement. Tandis que Korsin s’éloignait, Gloyd le rejoignit tout en gardant un œil sur la foule de grincheux. Il avait raté la fête.

— Commandant.

Ils regardèrent tout autour.

— Ce n’est pas vraiment la joie ici, Gloyd.

— Dans ce cas, vous voudrez entendre ça, rétorqua l’imposant Houk. De la manière dont je vois les choses, nous avons trois possibilités. Nous emmenons ces gens loin de ce caillou à bord du premier vaisseau capable de voler. Ou nous nous mettons à l’abri pendant qu’ils s’entretuent.

— Et la troisième possibilité ?

Gloyd esquissa une grimace.

— Il n’y en a pas. Mais je me suis dit que ça vous ferait plaisir de penser qu’il y en avait une.

— Je te déteste.

— Gardez ça pour un éventuel apprenti.

Korsin connaissait Gloyd depuis sa première mission. Le Houk était le genre d’officier de pont que chaque capitaine Sith voulait avoir : trop intéressé par son propre travail pour empiéter sur les plates-bandes d’un autre. Gloyd était assez intelligent pour s’épargner cette peine. Ou peut-être qu’il aimait trop les explosions pour quitter la station tactique.

Bien évidemment, sa station se trouvant à tout juste un kilomètre dans la montagne, Korsin ignorait à quel point son vieil allié s’avérerait utile. Mais Gloyd faisait toujours cinquante kilos de plus que les autres membres d’équipage. Personne ne leur ferait obstacle tant qu’ils restaient ensemble.

Personne n’agirait seul, du moins.

Korsin se retourna pour observer la foule rassemblée dans la clairière. Ravilan était là, près de Devore et Seelah et d’un duo de jeunes officiers. Devore aperçut son frère en train de les observer et détourna le regard ; Seelah regarda le commandant sans se déconcerter. Korsin cracha une épithète.

— Gloyd, la mort nous guette. Je ne les comprends pas !

— Bien sûr que vous les comprenez, dit Gloyd. Vous savez ce qu’on dit : pour vous et moi, il n’y a que le devoir qui compte. Les autres Sith se soucient davantage de ce qui les attend dans l’avenir proche.

Le Houk arracha une racine écailleuse du sol et la renifla.

— Le problème, c’est que tout cet endroit nous oblige à nous soucier de ce qui nous attend. Vous essayez de les maintenir ensemble, alors que ce que vous devez vraiment faire, c’est leur montrer qu’il y a quelque chose qui les attend après ce caillou. Ce n’est pas le moment de faire campagne. Vous choisissez une route. Personne ne l’empruntera.

— Et si je les y forçais ? demanda Korsin en esquissant un sourire.

Ce n’était pas du tout son style. Gloyd lui rendit son sourire et croqua la racine. Esquissant une grimace rigolote, le chef d’artillerie s’excusa. Ils ne survivraient pas en cultivant la terre – du moins, pas celle-là.

Se retournant vers l’assemblée, Korsin laissa son regard dériver vers les volutes de fumée qui s’échappaient des sommets.

Au-dessus. Gloyd avait raison. C’était le seul moyen.