CHAPITRE UN
— Lohjoy ! Donne-moi quelque chose ! (Se redressant brusquement dans l’obscurité, le commandant Korsin tendit le cou pour trouver l’hologramme.) Moteurs, contrôle d’attitude… je me contenterai des réacteurs de contre-poussée, s’il le faut !
Un vaisseau spatial est une arme, mais c’est son équipage qui le rend mortel. Un vieux dicton de pilote : banal, mais suffisamment éloquent pour acquérir un peu d’autorité. Korsin s’en était lui-même servit à plusieurs occasions. Mais pas aujourd’hui. Son vaisseau était devenu mortel de son propre chef – et son équipage n’avait pas d’autre choix que de le suivre.
— Ça ne donne rien, commandant ! (L’ingénieur aux cheveux serpentins se matérialisa devant lui, voûté et apparemment désorienté. Korsin savait très bien que si le génie Ho’Din, une femme coincée et droite, était autant ébranlé, la situation sur le pont inférieur devait être mauvaise.) Les réacteurs sont coupés ! Et nous avons des brèches dans la coque, aussi bien à l’arrière qu’à…
Lohjoy poussa un cri d’agonie. Ses mèches folles avaient pris feu et la Ho’Din disparut du champ visuel de l’holoprojecteur. Korsin parvint à peine à réprimer son fou rire. En des temps plus sereins – c’est-à-dire une demi-heure standard plus tôt – il avait fait une plaisanterie en disant que Ho’Din ressemblait à un arbre. Mais c’était peu approprié lorsque tout le niveau d’ingénierie partait en fumée. La coque s’était brisée. À nouveau.
L’hologramme disparut, et tout autour du commandant trapu, des alarmes se mirent à danser et à clignoter avant de s’évanouir. Korsin se laissa tomber sur son siège, agrippant les accoudoirs pour contrôler sa chute.
Au moins, le siège fonctionne toujours.
— Au rapport. N’importe lequel d’entre vous ?
Le silence, et le crissement distant du métal.
— Donnez-moi simplement quelque chose à abattre. (C’était Gloyd, l’officier d’artillerie de Korsin, dont les dents brillaient dans l’obscurité. Son demi-sourire était un souvenir laissé par la lame d’un sabre-laser plusieurs années auparavant et qui avait manqué de lui couper la tête. En réponse, Gloyd avait cultivé un esprit aussi acerbe que celui du commandant – mais l’artilleur n’avait pas matière à rire aujourd’hui. Korsin pouvait le lire dans le regard de la brute).
Il en faut peu.
Korsin ne se donna pas la peine de regarder de l’autre côté du pont. Les regards froids ne laissaient aucune place au doute. Même alors que l’Omen était sinistré et hors de contrôle.
— Quelqu’un d’autre ?
Même à ce moment.
Il prit un air renfrogné et sinistre. Qu’est-ce qui n’allait pas chez eux ? L’adage disait vrai : un vaisseau avait besoin d’un équipage uni dans un seul et même but. Seul le désir d’être un Sith apportait l’exaltation personnelle. Chaque enseigne un empereur. Chaque faux pas d’un rival, une opportunité.
Eh bien, la voilà votre opportunité, se dit-il. Quiconque résoudra la situation aura le droit de s’installer sur ce fichu siège.
Les jeux de pouvoir des Sith. Ils n’avaient plus grande importance maintenant, pas contre l’imposante force de gravité qui les attirait vers le bas. Korsin leva à nouveau les yeux en direction de la verrière de proue. Le vaste orbe couleur azur, et jadis visible, avait disparu, remplacé par de la lumière, du gaz, et des grains de poussière jaillissant dans un mouvement ascendant. Les deux derniers, il le savait, venaient des entrailles de son propre vaisseau qui cédait sous l’atmosphère de la planète étrangère. Quelle que soit sa nature, la planète était maintenant maîtresse de l’Omen. Une secousse, puis d’autres cris. Cela ne durerait pas longtemps.
— Souvenez-vous, hurla-t-il en les regardant pour la première fois depuis que tout ça avait commencé. Vous vouliez être là !
Et il avait raison. Du moins, pour la plupart d’entre eux. L’Omen avait été le vaisseau le plus important de la flottille minière lorsque les Sith s’étaient rassemblés à Primus Goluud. Les troupes de choc Massassi installées dans la coque ne se souciaient guère de leur destination ; qui pouvait bien savoir ce que les Massassi pensaient la moitié du temps ? En supposant qu’ils pouvaient penser. Mais plusieurs personnes avaient sciemment choisis d’embarquer sur l’Omen.
Saes, capitaine du Harbinger, était un Jedi déchu : une donnée inconnue. On ne pouvait pas faire confiance à une personne dont les Jedi se méfiaient, et ils se méfiaient de quasiment tout le monde. Un capitaine Sith souriant était une chose assez rare et toujours suspecte. Mais Korsin faisait ça depuis vingt années standard, une période suffisamment longue pour que ceux qui avaient servi sous ses ordres fassent passer le mot. Un vaisseau Korsin, c’était la promenade de santé assurée.
Mais pas aujourd’hui. Lourdement chargés de cristaux Lignan, le Harbinger et l’Omen s’étaient préparés à quitter Phaegon III pour rejoindre le front lorsqu’un chasseur stellaire Jedi mit à l’épreuve les mines défensives de la flotte. Tandis que les chasseurs Lames en forme de croissant se frottaient à l’intrus, l’équipage de Korsin effectua les préparatifs en vue d’un saut en hyperespace. Protéger la cargaison était crucial ; et s’ils arrivaient à effectuer la livraison avant que le Jedi renégat n’effectue la sienne, eh bien, c’était juste un bonus. Les pilotes des Lames purent retourner au Harbinger.
Mais quelque chose avait mal tourné. Une secousse le long de la coque du Harbinger, puis une autre. Les relevés des capteurs du vaisseau jumeau se turent – et le Harbinger fit une embardée dangereuse vers Omen. Avant que l’alarme de collision puisse retentir, le navigateur de Korsin engagea automatiquement l’hyperdrive. C’était moins une…
… ou peut-être pas. En tout cas, pas de la manière dont Omen était en train de perdre ses systèmes critiques.
Ils nous ont bel et bien heurtés, se dit Korsin.
La télémétrie aurait pu le leur révéler, si le vaisseau en avait été équipé. Le choc avait altéré leur trajectoire d’un cheveu astronomique, mais c’était déjà trop.
Le commandant Korsin n’avait jamais rencontré un puits de gravité en hyperespace, pas plus que les membres de son équipage. Ceux qui rencontraient des puits de gravité n’y survivaient pas. Et sans survivant, pas d’histoire à raconter. Mais c’était comme si l’espace s’était ouvert tout près de la trajectoire d’Omen, pétrissant la superstructure en alliage du vaisseau comme du mastic. Ça ne dura qu’une fraction de seconde – encore fallait-il que le temps existe là-dehors. La fuite était pire que le contact. Un craquement inquiétant, et les boucliers tombèrent. Les compartiments de stockage cédèrent. Et ensuite, l’armurerie.
L’armurerie avait explosé – ce qui était simple à deviner à en juger par le trou béant dans le ventre du vaisseau. Le fait qu’il ait explosé en hyperespace impliquait une chose : ils étaient toujours en vie. Les grenades, les bombes, et tous les autres jouets que son second chargement – les Massassi – emmenait à Kirrek auraient explosé dans un feu d’artifice spectaculaire, emportant le vaisseau dans un tonnerre de flammes. Mais au lieu de ça, l’armurerie avait simplement disparue, ainsi qu’un morceau considérable du pont arrière d’Omen. Les phénomènes physiques en hyperespace étaient, par définition, imprévisibles ; au lieu d’exploser vers l’extérieur, le morceau arraché avait simplement quitté le vaisseau dans une secousse sismique. Korsin pouvait imaginer les munitions surgir d’hyperespace à des années-lumière derrière Omen. Quelqu’un allait avoir une mauvaise surprise !
En parlant de surprise.
L’Omen était retourné en espace réel après avoir entamé une décélération folle et foncé vers un rideau bleu flottant devant une étoile vibrante. Était-ce là la source de la masse obscure qui avait interrompu leur voyage ? De toute façon, qui s’en souciait ? Cette chose était sur le point d’y mettre un terme. Pris au piège, l’Omen avait traversé tant bien que mal l’océan d’air cristallin avant d’entamer sa descente pour de bon. Les ingénieurs – probablement tous les ingénieurs – étaient morts, mais la passerelle de commandement était toujours debout. Korsin était sidéré.
Manufacture Tapani.
Ils étaient en chute libre, mais pour le moment, ils étaient toujours en vie.
— Pourquoi est-ce qu’il n’est pas mort ?
À moitié hypnotisé par les colonnes de feu jaillissant à l’extérieur – pour ce rebond, l’Omen était sur le ventre – Korsin prêta à peine attention aux paroles sévères qu’on lui adressait.
— Vous n’auriez jamais dû faire ce saut ! s’écria le jeune homme. Pourquoi est-ce qu’il n’est pas mort ?
Le commandant Korsin se raidit et jeta à son demi-frère un regard incrédule.
— J’ose espérer que ce n’est pas de moi que tu parles.
Devore Korsin pointa un doigt ganté vers un homme frêle qui était encore en train de pianoter inutilement sur sa console.
— Ce navigateur ! Pourquoi est-ce qu’il n’est pas mort ?
— Il est peut-être sur le mauvais pont ?
— Yaru !
Bien sûr, ce n’était pas une blague. Boyle Marcom avait opéré à bord de vaisseaux Sith à travers l’étrangeté de l’hyperespace depuis le milieu du règne de Marka Ragnos. Ça faisait des années qu’il n’était plus au meilleur de ses capacités, mais Yaru Korsin savait qu’un ancien timonier de son père était un atout considérable. Mais pas aujourd’hui. Quoi qu’il se soit passé là-bas, la faute serait rejetée sur le navigateur.
Mais lancer des blâmes en plein milieu d’une tempête de feu ? C’était du Devore tout craché.
— Pas maintenant, dit Korsin depuis le siège de commandement. Si jamais il y a un plus tard.
Le regard de Devore étincelait de colère. Yaru ne se souvenait pas avoir jamais vu quoi que ce soit dans ce regard. Pâle, grand et maigre, Devore n’avait pas sa carrure – celle de leur père. Mais ces yeux, et ce regard ? On aurait juré qu’on les lui avait greffés.
Leur père. Il n’avait jamais eu à vivre ça. Le vieux pilote n’avait jamais perdu un vaisseau pour les Seigneurs Sith. Apprenant à son contact, le jeune Yaru avait forgé son propre avenir ; jusqu’au jour où il se désintéressa de la carrière de son père. Le jour où Devore arriva. Devore était moitié moins âgé que Yaru. Il était le fils d’une mère issue d’une autre planète, et le vieil amiral l’avait adopté sur le champ. Au lieu de chercher à savoir combien d’autres enfants – des enfants que son père avait faits – attendaient leur chance d’opérer sur le pont d’un vaisseau, le cadet Korsin s’était présenté aux Seigneurs Sith eux-mêmes pour qu’ils lui donnent une mission d’un autre genre. Cette décision avait été salutaire. En cinq ans, il était devenu capitaine. En dix, on lui avait offert le commandement d’un Omen flambant neuf, au détriment d’un capitaine bien plus âgé.
Son père n’avait jamais approuvé. Il n’avait jamais perdu de vaisseau en travaillant pour les Seigneurs Sith. Mais son fils en avait perdu un.
Mais aujourd’hui, perdre l’Omen avait des airs de tradition familiale. L’équipage du pont en entier – même Devore – expira bruyamment lorsque des ruisselets d’humidité remplacèrent les flammes qui recouvraient la verrière. Omen avait pénétré la stratosphère sans se transformer en boule de feu, et désormais le vaisseau fonçait en spirales à travers une couverture nuageuse chargée de pluie. Korsin plissa les yeux. De l’eau ?
Est-ce qu’il y a au moins une terre ici ?
Cette pensée terrifiante se répercuta à travers les sept esprits présents sur le pont, tandis qu’ils regardaient tous la verrière en transparacier se bomber et se déformer.
Une géante gazeuse !
Il en fallait du temps pour s’écraser depuis l’orbite, en supposant qu’ils survivent à l’entrée. Encore combien de temps cela durerait-il, s’il n’y avait pas de surface sur laquelle s’écraser ? Korsin tâtonna les touches de la télécommande fixée à son accoudoir. Omen se fissurerait et se briserait, noyé sous une montagne de vapeurs. Ils partagèrent la même pensée – et en réponse, la verrière déformée s’assombrit.
— Baissez-vous tous ! hurla-t-il. Et accrochez-vous à quelque chose… maintenant !
Cette fois, ils obéirent aux ordres. Il savait comment ça fonctionnait : faites appel à l’instinct de préservation d’un Sith et il fera n’importe quoi pour s’en sortir. Son équipage y compris. Korsin s’agrippa à son siège, le regard fixé sur la verrière de proue et sur la pénombre qui s’abattait rapidement à sa surface.
Une masse humide heurta la coque. Sa forme allongée apparut au-delà de la paroi en transparacier, s’attardant un instant avant de disparaître. Le commandant cligna des yeux à deux reprises. La chose avait surgit de nulle part avant de s’éclipser, mais elle ne venait pas de son vaisseau.
La chose avait des ailes.
Surpris, Korsin bondit hors de son siège et chancela jusqu’à la verrière. Cette fois, il commit bel et bien une erreur. Déjà déformée par la violence de la descente, la paroi en transparacier céda. Des éclats s’échappèrent du vaisseau comme des larmes scintillantes. Un violent courant d’air fuyant projeta Korsin contre la paroi de la coque. Le vieux Marcom tomba d’un côté, ayant perdu la prise qu’il avait sur sa station d’opération. Des sirènes retentirent – comment pouvaient-elles encore fonctionner ? – mais le tumulte cessa bientôt. Sans s’en rendre compte, Korsin respirait.
— De l’air. Il y a de l’air !
Devore se redressa en premier, mettant tout son poids dans chacun de ses pas pour ne pas basculer. Un autre coup de chance. La plus grande partie de la verrière avait explosé – pas implosé – et alors que la cabine avait perdu en pression, un vent pluvieux et salé balaya lentement l’intérieur. Ne bénéficiant d’aucune aide, le commandant Korsin se fraya un chemin jusqu’à sa station.
Merci du coup de main, mon frère.
— Ce n’est qu’un sursis, dit Gloyd.
Ils étaient toujours aveugles à ce qui se trouvait en-dessous. Korsin avait déjà effectué un plongeon suicide auparavant, mais c’était dans un bombardier, et il savait à quel niveau se trouvait le sol. Et qu’il y avait un sol.
Des doutes jadis réprimés s’emparèrent de l’esprit de Korsin, et Devore répondit.
— Ça suffit, aboya le chasseur de cristal en luttant contre le plancher incliné pour rejoindre son frère près du siège de commandement. Laisse-moi les commandes !
— Elles ne fonctionnent pas avec moi, elles ne fonctionneront pas avec toi !
— C’est ce que qu’on va voir !
Devore tenta de s’emparer de l’accoudoir mais Korsin l’en empêcha. Le commandant serra les dents.
Ne fais pas ça. Pas maintenant.
Un bébé se mit à hurler. Korsin regarda Devore pendant un moment avant de voir que Seelah se tenait dans l’encadrement du sas d’accès, serrant une petite chose pourpre dans ses bras. L’enfant pleurait.
D’une couleur de peau plus foncée que la leur, Seelah était une employée de l’équipe minière de Devore. Korsin ne la connaissait que comme la femelle de Devore – c’était la plus belle façon de le dire. Il ignorait lequel des deux rôles était prépondérant. La silhouette élancée avait maintenant l’air exténuée tandis qu’elle s’effondrait contre la paroi du sas. Son enfant, soigneusement enveloppé dans un linge, avait montré un bras et s’agrippait aux cheveux auburn de sa mère. Elle ne sembla pas le remarquer.
De la surprise – ou était-ce de l’agacement ? – se dessina sur le visage de Devore.
— Je t’avais dit de monter dans une capsule de sauvetage !
Korsin hésita. Les capsules de sauvetage étaient hors-course – littéralement. Ils l’avaient compris dans l’espace lorsque la première était restée accrochée à ses pinces d’amarrage et avait explosé à l’intérieur de la coque du vaisseau. Il ne savait pas ce qui était arrivé aux autres capsules, mais le vaisseau avait subi tellement de dégâts qu’il ne pensait pas en retrouver une seule intacte.
— La soute, dit-elle, haletant tandis que Devore l’attrapait et la prenait dans ses bras. Près de nos quartiers.
Devore jeta un œil le long du couloir.
— Devore, tu ne peux pas aller aux capsules de sauvetage.
— La ferme, Yaru !
— Écoutez-moi, dit-elle. Il y a une terre.
Lorsque Devore lui adressa un regard absent, elle expira et lança un regard au commandant.
— Une terre ! répéta-t-elle.
Korsin fit le rapprochement.
— La soute, mais c’est bien sûr !
Les cristaux étaient rangés dans un coffre situé suffisamment à l’écart des avaries – dans un endroit duquel on pouvait voir sous le ventre du vaisseau. Après tout, il y avait bien quelque chose sous tout ce bleu. Quelque chose qui leur donnerait une chance.
— Nous pourrions nous servir du réacteur tribord pour éclairer les alentours, ajouta-t-elle.
— Non, on ne peut pas, dit Korsin.
En tout cas, pas depuis les commandes du pont.
— Nous allons devoir faire ça à la main, pour ainsi dire.
Il passa près du vieux Marcom pour rejoindre la verrière tribord, qui permettait d’observer la partie bombée de la poupe renversée. De chaque côté du vaisseau se trouvaient quatre tubes lance-torpilles, quatre panneaux mobiles sphériques qui pivotaient au-dessus ou en-dessous du vaisseau selon sa position. Ils n’ouvraient jamais ces panneaux en atmosphère, par peur de laisser une traînée dans leur sillage. Ce défaut de conception pourrait les sauver.
— Gloyd, est-ce qu’ils fonctionnent ?
— Ils peuvent encore pivoter. Une fois. Mais sans alimentation, nous allons devoir armer les missiles pour pouvoir ouvrir les tubes.
Devore prit un air ahuri.
— Personne n’ira là-bas !
Ils fonçaient toujours à pleine vitesse. Mais Korsin était en mouvement, lui aussi, croisant son frère pour rejoindre la verrière bâbord.
— Mettez-vous près des parois !
Seelah et un autre membre d’équipage se replièrent vers la verrière de droite. Devore, l’air furieux, les rejoignit à contrecœur. Étant le seul à être à gauche, Yaru Korsin posa une main sur la paroi glaciale de la verrière bâbord. Dehors, à plusieurs mètres, il repéra l’un des panneaux circulaires, ainsi que le boîtier installé à côté, pas plus grand qu’un comlink. Il avait l’air plus petit que dans ses souvenirs.
Où est ce foutu mécanisme ? Là !
Il fit appel à la Force.
Doucement…
— Armez les torpilles supérieures, maintenant !
Mettant toute sa détermination dans son effort mental, Korsin déclencha la goupille de la torpille. Un large verrou se détacha violemment, propulsant la torpille, et le panneau du gigantesque tube pivota sur son unique charnière. Le vaisseau, déjà tremblant, gémit bruyamment tandis que la capsule atteignait sa position finale, perchée au sommet de la structure d’Omen comme un aileron de fortune. Korsin regarda derrière lui dans l’expectative. Il devina alors à l’expression de Seelah que la manœuvre avait également réussi de l’autre côté. Pendant un moment, il se demanda si ça avait marché.
Omen pencha davantage, victime de secousses dévastatrices qui souleva l’équipage du pont. La manœuvre ne ralentit pas le vaisseau autant que Korsin l’aurait souhaité, mais c’était déjà ça. Au moins, maintenant, ils pouvaient voir où ils allaient et ce qui se trouvait à la surface.
Si seulement ces satanés nuages pouvaient se dissiper…
C’est alors qu’il la vit. La surface ; une terre, et beaucoup d’eau. Beaucoup plus. Des pics déchiquetés se dressaient au-dessus du ressac verdâtre ; un squelette de roche éclairé par le soleil couchant de la planète, à peine visible à l’horizon. Ils tombaient à pleine vitesse. Korsin devrait prendre une décision rapidement…
… mais il savait déjà qu’il n’avait pas le choix. Même si la majorité de l’équipage survivait à l’amerrissage, ils ne vivraient pas longtemps une fois que leurs supérieurs auraient appris que leur précieuse cargaison gisait au fond d’un océan inconnu.
Je préférerai autant qu’ils ramassent les cristaux parmi nos cadavres.
Se renfrognant, il ordonna aux hommes situés à tribord d’activer l’ouverture des lance-torpilles inférieurs.
De nouveau pris de violentes secousses, Omen fit une embardée vers la gauche, fonçant en direction d’une grande chaîne de montagnes. À l’arrière, une capsule de sauvetage s’échappa du vaisseau et s’écrasa sur une crête. La volute de fumée incandescente disparut de leur champ de vision en moins d’une seconde. L’équipe d’artillerie de Gloyd serait jalouse, se dit Korsin, secouant la tête et poussant un long soupir. Des gens étaient encore en vie là-bas.
Ils essaient encore de s’en sortir.
Omen passa à moins d’une centaine de mètres d’un pic couvert de neige. Une eau obscure s’écoulait vers la surface. Une autre correction de trajectoire – Omen était à court de tubes lance-torpilles. Une autre capsule de sauvetage se lança, décrivant une trajectoire en courbe. Et ce n’est que lorsque l’engin s’approcha du ressac que son pilote – s’il y en avait un – démarra les moteurs. Les réacteurs de poussée propulsèrent la capsule dans l’océan à pleine vitesse.
Plissant les yeux pour retenir l’écoulement de sueur qui provenait de son front, Korsin se retourna pour regarder son équipage.
— Grenade sous-marine ! Ce n’est pas vraiment le meilleur moment pour se baigner !
Même Gloyd n’osa pas rire cette fois. Mais ce n’était pas de la décence que le commandant vit en se retournant. C’était ce qui se trouvait droit devant. D’autres pics montagneux s’élevant au-dessus de l’eau, y compris une montagne qui leur était destinée. Korsin tituba jusqu’à son siège.
— Tous à vos postes !
Seelah céda à la panique, manquant de faire tomber Jariad. Elle n’avait aucun poste, aucune position défensive. Elle marcha en direction de Devore, qui était figé devant son terminal. Leur temps était écoulé. Quelqu’un tendit une main vers elle. Yaru la tira jusqu’à lui, la forçant à s’accroupir derrière le siège de commandement.
Cet acte lui coûta.
Omen s’écrasa contre une crête de granite, perdant définitivement le combat – ainsi qu’un morceau de sa coque. L’impact projeta le commandant Korsin contre une paroi, et faillit l’empaler sur les éclats de transparacier de la verrière brisée. Gloyd et Marcom luttèrent pour le rejoindre, mais Omen était toujours en mouvement, heurtant un autre sommet rocheux avant de tomber en spirales. Il y eut une explosion qui projeta des débris enflammés dans le sillage du vaisseau.
En pleine agonie, Omen pivota de nouveau car les tubes de lance-torpilles qui avaient servis d’aérofreins de fortune cédèrent comme du bois flotté. Le panneau mobile dégringola le long d’une paroi rocheuse inclinée, projetant du gravier dans toutes les directions. Korsin, le front ensanglanté, leva les yeux et vit…
… le néant. Omen glissait toujours vers les abîmes. Les montagnes avaient laissé place aux profondeurs obscures.
Stop. Stop !
— Stop !
Le silence. Korsin toussa et ouvrit les yeux.
Ils étaient toujours en vie, pensa-t-il.
— Non, dit Seelah, s’agenouillant et tenant fermement Jariad. Nous sommes déjà morts.
Grâce à toi, omit-elle de dire – mais Korsin sentait les mots ruisseler vers lui à travers la Force. Il n’avait pas besoin d’aide. Son regard en disait suffisamment long.