LE DESTIN LUMINEUX ET TRAGIQUE D’AKHÉSA

C’est à la découverte d’une femme exceptionnelle, la Reine Soleil que vous convie ce roman. Fille d’un couple célèbre, Akhénaton et Néfertiti, mon héroïne, Akhésa, fut une compagne douce et passionnée qui, sortant peu à peu des ténèbres de l’histoire, s’imposa comme une grande figure illuminant une époque mystérieuse, riche en énigmes.

Voici plus de vingt ans que je parcours l’Égypte. Ses paysages sont enchantement perpétuel, ses temples, ses tombeaux, ses papyrus content l’aventure d’une prodigieuse civilisation dont nous sommes les héritiers.

Le voyageur va d’émerveillement en émerveillement, l’historien ne cesse de se poser des questions. Ce que l’on croit bien connaître mérite d’être examiné avec davantage d’attention, comme ce fameux règne de Toutankhamon, le plus célèbre et le plus inconnu des pharaons d’Égypte.

Celui qui deviendra l’époux de la Reine Soleil vécut au milieu du quatorzième siècle avant Jésus-Christ. Il doit sa célébrité à une trouvaille archéologique qui fit grand bruit, celle de sa tombe, creusée dans la Vallée des rois, sur la rive occidentale de Thèbes, en face de la cité moderne de Louxor. C’est en 1922 qu’Howard Carter, aventurier de l’égyptologie et un mécène, Lord Carnarvon, pénétrèrent dans la « demeure d’éternité » de Toutankhamon abritant un extraordinaire trésor composé de plusieurs centaines d’objets. Du plus modeste, une coupe d’albâtre gravée à la mémoire du roi, au plus vaste, une chapelle recouverte d’or, tous sont des pièces inestimables et des chefs-d’œuvre. Cette sépulture, modeste par sa taille, nous offrait ainsi une véritable encyclopédie de l’art égyptien.

L’étude de ce matériel n’est pas encore terminée. Il nous renseigne sur les rituels célébrés, le très haut niveau de la philosophie égyptienne, les techniques utilisées pour travailler l’or ou le bois. Parmi les chefs-d’œuvre du trésor de Toutankhamon, il y a le fameux trône royal où apparaissent les figures fragiles et élégantes du souverain et de sa jeune épouse, Akhésa.

L’antique cité du soleil

Akhésa, la femme de ce roi au visage universellement connu par son masque d’or aux yeux ouverts sur l’éternité, Akhésa si belle, si séduisante… qui s’en était soucié ? Qui avait tenté de connaître la fulgurante destinée d’une adolescente appelée à régner sur le pays le plus puissant du monde ?

Akhésa est l’abréviation d’un nom égyptien compliqué, « Celle qui plaît à Aton ». Aton, le dieu d’Akhénaton et de Néfertiti, le soleil aux rayons se terminant par des mains porteuses de vie, me renvoyait à Amarna, la capitale créée par le roi « hérétique » sur un site désertique de Moyenne Égypte. Je me suis donc rendu dans l’antique cité du soleil où Akhénaton priait le dieu unique afin qu’il inondât son peuple d’une bienfaisante lumière et perpétuât la vie sur terre.

De la somptueuse capitale aux blanches demeures, au grand temple à ciel ouvert, aux palais couronnés de terrasses fleuries, aux nombreux jardins et aux bassins d’eau fraîche, ne subsistent que quelques pauvres vestiges. Ils permettent pourtant de lire le plan des édifices et des maisons et d’en imaginer l’architecture. Mais la cité d’Aton fut rasée sur l’ordre de Ramsès II, environ soixante ans après la mort d’Akhénaton.

Amarna fut un rêve solaire, une parenthèse éblouissante de l’histoire égyptienne pendant laquelle s’affirmèrent des caractères inoubliables. Comment Akhésa n’aurait-elle pas été fascinée par la beauté et l’intelligence de sa mère Néfertiti, comment n’aurait-elle pas été sensible à l’enseignement dispensé par son père ? Akhénaton transmettait sa mystique de la manière la plus simple et la plus directe, s’adressant à ses disciples lors d’entretiens privés. Attachant une importance particulière à la vie familiale, il exposait ses filles, dont Akhésa, aux rayons du soleil divin et les associait à la célébration des rites sacrés. Akhésa fut illuminée par la grâce qui marque d’un sceau indélébile les êtres d’exception. Elle se montra digne du destin qui, telle une vague magique, s’empara d’elle.

Akhésa, silhouette aérienne nimbée de l’immense lumière d’Égypte, jouit de l’éternelle présence qu’ont su transmettre les artisans égyptiens. Grâce à eux, nous possédons plusieurs portraits de la Reine Soleil. Sa jeunesse, devenue impérissable par la magie du ciseau d’un sculpteur, devint pour moi une clarté quotidienne dont je devais élucider le mystère.

Commença la quête des documents. L’histoire égyptienne est un vaste livre ouvert. Encore faut-il apprendre à déchiffrer les hiéroglyphes, cette écriture des dieux qui figure sur les murs des temples, les stèles, les papyrus. Le trésor de Toutankhamon, les archives d’Amarna, les scènes des tombeaux fournissaient de multiples témoignages épars que je rassemblai peu à peu, précisant le portrait de cette jeune femme, née à Thèbes, lorsque son père s’appelait encore Aménophis IV, mais éduquée à Amarna lorsqu’il changea de nom pour devenir Akhénaton, le serviteur d’Aton, expression solaire du dieu unique.

 

 

Akhésa, troisième fille du couple royal, n’était pas destinée à régner. L’ordre de succession au trône le lui interdisait. Mais le destin en avait décidé autrement. Au feu qui brûlait en elle, il offrit le vaste champ du pouvoir. Comment une adolescente parvint-elle à supporter un tel poids ? En Orient, la jeune fille est vite proche de la femme. Une princesse d’Égypte, bénéficiant d’une culture approfondie, rompue aux règles du protocole, avait la capacité de participer de manière plus ou moins directe aux affaires de l’État. Depuis l’Ancien Empire existait une lignée de femmes influentes qui, aux côtés du Pharaon, occupaient des positions déterminantes et jouaient d’une influence reconnue et admise. Le niveau d’une civilisation, pensait Jean-François Champollion, se mesure à la place qu’elle accorde à la femme. L’Égypte, dans cette perspective, atteignit un sommet. C’est un couple qui gouverne, roi et reine étant indissociables dans l’art de régner.

L’amour fou d’un jeune prince

Le modèle d’Akhésa était fort proche : sa mère Néfertiti, dont on sait à présent qu’elle ne fut pas une femme soumise à Akhénaton, mais une « grande épouse royale » très active, remplissant une fonction véritablement pharaonique, à la manière de la célèbre reine Hatchepsout. Lorsqu’Akhésa est appelée à devenir, à son tour, l’épouse d’un monarque, elle suit le même chemin.

Surgit l’amour. Un amour fou, exclusif, proclamé par un jeune prince, Toutankhaton. L’amour d’un enfant que la politique ennuie et à qui le pouvoir fait peur, mais un enfant-roi qui doit porter la double couronne, symbole de l’union de la Haute et de la Basse Égypte, et assurer la transition entre le monde condamné d’el-Amarna et l’univers ressuscité de Thèbes, domaine du dieu Amon. Seul, il en est incapable. Mais Akhésa se trouve à ses côtés. Parce qu’il est roi, elle se force à l’aimer. Sa tendresse, sa passion éveilleront en elle un amour dont elle se croyait incapable. De l’enfant, elle fera un homme et un chef d’État. De l’écervelé, un responsable. Du papillon, un aigle. Et ce jeu des métamorphoses les unira dans un amour plus fort que la mort, comme le prouvent les représentations du couple où, avec la délicatesse incomparable de l’art égyptien, est évoquée la plus complice des affections.

Comme furent délicieuses, leurs promenades en barque sur les canaux, les randonnées dans la campagne aux épis d’or ! Comme furent exaltants, leurs voyages dans les provinces qui les acclamaient ! Comme furent enivrantes, ces nuits d’amour où leurs corps enfiévrés étaient bénis par la déesse des étoiles !

L’aventure d’Akhésa est nourrie par cette volonté d’un amour total, l’exaltation de l’âme et du corps, un enthousiasme qui, au-delà des drames et des obstacles, emporte tout sur son passage. Le bonheur qu’elle construit n’est pas seulement le sien, mais aussi celui d’un peuple entier. Car Akhésa est avant tout, follement éprise de l’Égypte, de la terre aimée des dieux, de la plus brillante et de la plus accomplie des civilisations.

Un affrontement féroce

De plus, elle est décidée à lutter afin que le message solaire de son père Akhénaton ne soit pas perdu. Mais ses adversaires sont puissants et redoutables : les prêtres d’Amon de Thèbes d’une part, le général Horemheb de l’autre. Ce dernier personnage a été bien malmené par le cinéma américain. On l’a montré comme un soudard, un ivrogne, une bête brutale. La vérité est exactement inverse. Bien que porteur du titre de « général », Horemheb était un scribe et un lettré épris de droit. Fidèle serviteur d’Akhénaton, il était incapable de trahir. Pourtant, chacun reconnaissait qu’il avait la stature d’un pharaon. En lui se livrait un combat entre l’ambitieux et le légaliste, entre le désir de régner et celui d’obéir.

Entre lui et le trône se dressait Akhésa, une jeune femme sans expérience qu’il croyait pouvoir manipuler sans difficulté. Mais comme Akhésa était belle ! Comme son intelligence rayonnait, comme son caractère farouche forçait le respect ! Lui, un homme mûr ; elle, une jeune fille. Lui, marié ; elle, l’épouse de Pharaon. Rêve impossible d’un amour partagé, rêve splendide d’un couple parfait, de deux êtres nés pour le pouvoir qui feraient de l’Égypte un pays sans égal !

L’affrontement sera féroce. Akhésa apprend à connaître les rouages de l’État. Elle contrecarre le système mis en place par Horemheb, elle déjoue ses assauts, utilise la ruse. Le temps joue pour elle. Plus Toutankhamon mûrit, plus il prend conscience de ses devoirs et de son rôle. Le petit roi qu’Horemheb méprisait va bientôt lui tenir tête.

Mais la mort guette. Ce sont d’autres épreuves, en apparence insurmontables, qui attendent Akhésa. En elle, l’adversité suscite une volonté nouvelle. S’amplifie encore son amour pour l’Égypte, à présent menacée par l’invasion hittite. À la lumière douce des jours heureux a succédé le spectre de la guerre. Une guerre qu’elle seule peut empêcher.

Que l’on me permette d’arrêter ici un récit qui ne rappelle que quelques passages de La Reine Soleil, je voulais faire simplement ressentir la chance que j’avais eue de vivre plusieurs mois en compagnie de cette femme au cœur de feu, à l’intelligence supérieure, à la beauté souveraine. Excessive, passionnée, imprudente mais tellement généreuse, tellement amoureuse d’un idéal de grandeur et de noblesse.

Vous faire découvrir Akhésa est une joie sans mélange. Dans un monde de soleil et de ciel sans limite, sur une terre où se font face désert et cultures verdoyantes, au gré d’un fleuve divin, le Nil, la Reine Soleil vous entraînera dans les temples et dans les palais, sur les chemins de campagne et dans la montagne thébaine.

L’Égypte d’Akhésa n’appartient pas au passé. Elle est si proche de nous, avec ces paysages hors du temps et ces personnages dont l’existence aux mille couleurs perce les brumes de l’histoire !

Les anciens Égyptiens avaient la certitude que les êtres survivaient à jamais par l’écriture. Les générations s’évanouissent, mais demeure le lien privilégié entre la main du scribe qui rédige et l’œil du lecteur qui lit. Puissé-je avoir rempli sans trop faillir cette fonction de scribe d’une épopée, de ce destin lumineux et tragique d’Akhésa qui, en s’en allant au loin, a semé l’émeraude et la turquoise pour en créer des étoiles qui resplendissent à jamais.

Christian JACQ



[1] Le nom égyptien de la capitale fondée par Akhénaton, « Celui qui rayonne pour Aton », était Akhétaton, littéralement « La contrée de lumière du dieu Aton ». Elle est souvent citée par son nom arabe, Amarna, El-Amarna ou Tell el-Amarna et se situait en Moyenne Égypte. L’ancienne capitale, vouée au dieu Amon, était Thèbes, plus au sud. Les deux villes sont distantes d’environ 300 km. Nous sommes au XIVe siècle avant J.-C., pendant cette période qu’il est convenu d’appeler le « Nouvel Empire ». Le maître de l’Égypte est le pharaon Akhénaton, monté sur le trône vers 1364.

[2] Pour la commodité de la lecture, nous avons adopté Akhésa comme nom de l’héroïne de ce roman. Son nom égyptien était Ankhes-en-pa-Aton, « Elle vit pour Aton ». L’âge exact des protagonistes est impossible à préciser de manière formelle d’après les sources historiques. On suppose, en ce qui concerne Akhésa et Toutankhamon, que la première avait entre douze et quinze ans et le second de dix à treize ans lorsque cette histoire commence.

[3] Nom orthographié de diverses manières : Ti, Tii, Tiyi, etc., selon les historiens.

[4] Dieu à tête d’ibis, patron des scribes et détenteur des sciences.

[5] Le royaume des Hittites.

[6] Les colosses de Memnon, qui sont le seul vestige de ce sanctuaire.

[7] Sur le site connu sous le nom de Malqatta, « le lieu où des choses ont été trouvées ». Il n’en subsiste que de pauvres traces.

[8] Le temple de Deir el-Bahari.

[9] Traduction du nom d’Amon.

[10] Référence au nom Amon-hotep, « Celui qui est caché est en paix », que portaient le père d’Akhénaton, Aménophis III et Aménophis IV lui-même avant de transformer son nom en Akhénaton, « esprit efficace du dieu Aton ». Maya fait donc allusion à l’époque précédant la révolution atonienne.

[11] Hor-em-heb : Horus est en fête.

[12] Expression égyptienne.

[13] Ovales plus ou moins allongés contenant le nom du pharaon.

[14] Ancêtre du jeu d’échecs.

[15] On appelle « nomes » les provinces d’Égypte d’après la terminologie grecque.

[16] L'actuel Soleb. au Soudan.

[17] Le temple de Deir el-Bahari.

[18] La planète Mars.

[19] Connue sous le nom grec d’Hermopolis et le nom arabe d’Ashmounein. Sa nécropole est el-Bersheh.

[20] Toutes ces données, ainsi que les décisions prises par le général, proviennent d’un texte égyptien intitulé Le décret de Horemheb, récemment publié, étudié et traduit par J.M. Kruchten (Bruxelles).

[21] Pour l’étude de cette époque, voir notre ouvrage à paraître à la Librairie Académique Perrin, Néfertiti et Akhénaton, le couple solitaire.

[22] Voir notamment E. Edel, Ein neugefundes Brieffragment der Witwe des Tutancha-mun aus Boghazköy, Orientalistika 2, 1978, p. 33-35, et les Lettres d’el-Amarna, Paris, 1987.

[23] Voir À. Kadry, Annales du Service des antiquités égyptiennes 68, p. 191-194.

[24] Voir R. Hari, Mélanges Gutbub, p. 95-102.

[25] Revue d'égyptologie 34, p. 148-149.

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