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Une semaine après les événements qui avaient marqué le retour d’Akhénaton devant son peuple, lui permettant de jouir d’un nouveau prestige, Akhésa fut conduite, sur l’ordre de son père, dans le quartier sud de la cité du soleil.

Après l’entretien dont chaque mot demeurait inscrit dans sa mémoire, Akhésa ne doutait point que Pharaon eût décidé de lui attribuer l’un des palais féminins auxquels était donné le nom d'« éventail de la Lumière ». Cette étrange dénomination rappelait le rôle symbolique des éventails en plume d’autruche qui avaient pour fonction de filtrer la clarté solaire et de donner le souffle de vie. Trois « éventails » avaient été construits, le premier pour la reine mère Téyé[3], le second pour la reine Néfertiti, le troisième pour sa fille aînée, héritière de la dynastie, Méritaton. Ils étaient orientés selon un axe nord-sud, afin de mieux capter la douce brise du septentrion qui rafraîchissait les êtres après une journée torride. Aux appartements privés était accolé un petit temple dans lequel chacune des trois grandes dames célébrait un culte en l’honneur de la lumière du couchant. La reine mère, résidant le plus souvent à Thèbes, était absente. Néfertiti vivait, recluse, dans un autre palais depuis plusieurs mois et n’accordait plus d’audience. Méritaton, la fille aînée, s’était installée avec faste dans son domaine, se préparant avec ostentation à son futur métier de reine.

Quelle réaction aurait-elle en voyant sa sœur Akhésa occuper à son tour un « éventail » ? Cette dernière n’éprouvait aucune haine envers Méritaton, mais elle lui reprochait son arrogance et son dédain pour les petites gens. L’aînée des filles du roi avait une telle foi en sa supériorité et une telle confiance en ses droits qu’elle n’accordait plus le moindre intérêt à l’existence de ses cadettes. En tant que gardienne du sang royal, elle n’avait plus rien de commun avec les autres humains.

L’escorte commandée par Mahou, le chef de la police, passa devant les trois « éventails » sans s’arrêter. Akhésa s’attendait à découvrir un nouveau bâtiment, celui qui lui était désormais réservé. Les ouvriers de Pharaon n’étaient-ils pas capables de l’édifier en moins d’un mois ? Sur le seuil devaient l’attendre serviteurs et servantes. Comment allait-elle célébrer le culte ? Aucune instruction ne lui avait été donnée ! Son père serait sans doute présent pour le premier rituel qu’elle aurait à diriger. Ensuite, il lui faudrait agir seule.

L’escorte continua à progresser dans un paysage familier à Akhésa. Celui du palais d’enfance où elle avait été élevée avec ses sœurs. Protégé par de hauts murs, l’édifice se trouvait au cœur d’un grand jardin planté de sycomores et d’acacias. Plusieurs pièces d’eau, au bord desquelles étaient édifiés des pavillons en bois, offraient une douce fraîcheur lors des fortes chaleurs. Des centaines d’oiseaux jouaient dans les haies et les bordures fleuries. Des ponts aux arcades couvertes de plantes grimpantes joignaient les rives de ce labyrinthe d’eau et de végétation.

C’était cet endroit qu’avait fui Akhésa. Elle n’aimait plus ce paradis où elle était condamnée à un bonheur qu’elle n’avait pas choisi. Quand la porte de bronze du palais s’ouvrit devant elle, son corps entier se raidit.

— Je ne veux pas entrer ici.

— Ce sont les ordres de Pharaon, indiqua Mahou, gêné.

— Impossible.

— C’est pourtant ainsi, princesse.

— Jurez-le sur le nom d’Aton.

Un serment engageait la vie de celui qui le prononçait. Nul ne le prêtait donc à la légère.

— Je le jure, princesse. Ma mission consiste à exécuter les ordres de Pharaon.

Akhésa, effondrée, accepta de franchir le seuil du palais d’enfance. Son père s’était moqué d’elle. Il l’avait abusée avec ses paroles d’espoir. Il l’avait jugée comme une enfant insupportable à laquelle il infligeait la pire des punitions : la renvoyer dans la prison dorée d’où elle s’était évadée.

Chaque pas devenait plus difficile. Au prix d’intenses efforts, elle parvint à suivre Mahou. Bientôt, elle ne se contrôlerait plus. Elle s’enfuirait à toutes jambes pour ne pas retrouver ses jeunes sœurs, sa gouvernante, les jeux interminables, les journées trop bien réglées.

Mahou dépassa le bâtiment principal où habitaient les petites princesses. Le cœur d’Akhésa battit plus vite. Quelle détestable surprise lui réservait-on ?

L’escorte se dirigea vers une aile récemment achevée où la jeune femme n’était jamais entrée. Les parterres de fleurs venaient d’être plantés. Le plâtre n’avait pas encore été posé sur les briques. On terminait à peine les terrasses.

— Veuillez entrer, princesse, demanda le chef de la police.

— Pour quelle raison ? Qui habite ici ?

— Je l’ignore, princesse. Mes gardes seront disposés autour de ce bâtiment. Vous échapper est impossible. Veuillez entrer.

Mahou avait raison. Toute tentative de fuite semblait vouée à l’échec. Mais la curiosité l’emportait sur la crainte. Akhésa traversa un vestibule à colonnes où des peintres travaillaient avec application. Une servante la guida vers une grande pièce dont elle referma la porte. La jeune femme découvrit un somptueux mobilier : un fauteuil d’ébène dont les panneaux étaient recouverts de feuilles d’or, une chaise en bois massif décorée de vautours aux ailes éployées, un tabouret à trois pieds avec des incrustations d’ivoire, des coussins de jonc tressé doublé de toile. C’étaient là objets parfaits, créés par d’habiles menuisiers, mais leur taille réduite prouvait qu’ils appartenaient… à un enfant !

Akhésa s’installa sur le fauteuil, se demandant de qui il s’agissait. Quelqu’un de suffisamment influent pour être accueilli auprès des filles de Pharaon et bénéficier d’une luxueuse installation. Mais pourquoi Akhésa avait-elle été conduite en ces lieux et pourquoi son père ne lui avait-il rien dit sur cette étrange décision ? L’angoisse la reprit. N’était-ce point pour elle que ces appartements avaient été rapidement construits ? Oui, c’était la bonne explication. Connaissant son caractère rebelle et son goût pour l’indépendance, Pharaon reléguait Akhésa dans une partie isolée du palais d’enfance. On l’y oublierait. Sa conduite n’importunerait plus personne.

Des larmes montèrent aux yeux de la jeune femme. Elle se reprocha aussitôt cette faiblesse. Ce n’était pas en se conduisant ainsi qu’elle sortirait du piège où l’on tentait de l’enfermer. Alors qu’elle commençait à élaborer un plan d’évasion, une porte dérobée s’ouvrit, livrant passage à un jeune garçon d’aspect frêle, fort compassé, engoncé dans une lourde robe dorée qui le gênait pour marcher. Des pendants d’oreilles en or massif, des anneaux de cheville en ivoire, des bracelets ornaient le jeune prince. Ces bijoux comportaient un décor de gazelles, de lièvres et d’autruches qui présentaient leur propriétaire comme un grand chasseur.

Akhésa éclata de rire, au grand dam du jeune garçon qui se mit en colère.

— De quel droit osez-vous vous moquer ainsi de moi ?

— Vous… vous êtes ridicule !

Akhésa s’approcha de lui et décrocha prestement un pendant d’oreille formé de deux petits tubes en or s’emboîtant l’un dans l’autre, chaque extrémité étant fixée à un disque en or incrusté de cornaline et de pâte de verre.

— Vos bijoux sont splendides, apprécia la jeune femme. Mais pourquoi être si lourdement paré ? Iriez-vous à une grande cérémonie ?

— Votre insolence est inacceptable. Savez-vous au moins à qui vous parlez ?

L’adolescent s’était redressé avec toute la dignité dont il était capable. Akhésa reconnut qu’il ne manquait pas de prestance. L’éducation de la cour avait fait de lui un prince aux manières accomplies, marqué par une pratique intransigeante de l’étiquette.

— Je n’ai pas l’honneur de vous connaître, avoua Akhésa, amusée.

L’enfant trop vite grandi prit un air supérieur.

— Je suis le fils d’Aménophis III, le prince Toutankhaton.

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