Mardi 11 août
1987
Interrogé par la presse, André
Giraud déclare : Il faut que Kadhafi en
fasse plus au sud du 16e parallèle pour qu'on
réplique.
François Mitterrand est furieux. C'est exactement
ce qu'il a, hier, très expressément recommandé à Chirac de ne pas
dire : c'est une incitation à agir lancée au colonel Kadhafi.
Découverte de nouvelles mines en mer d'Oman. André
Giraud appelle Jean-Louis Bianco vers 16 h 30. Il veut annoncer
l'envoi de dragueurs pour deux motifs : parce que les Britanniques
ont annoncé l'envoi des leurs ; parce qu'on a la preuve de la
présence de mines posées intentionnellement dans le golfe d'Oman.
Or, si nos navires ne doivent pas pénétrer en principe dans le
détroit d'Ormuz, ils iront dans le Golfe ou en mer d'Oman.
Le Président donne aussitôt son accord. Il insiste
sur le fait qu'en aucun cas nos bateaux ne doivent se rendre dans
le détroit d'Ormuz, et qu'il ne s'agit pas d'une opération de
coopération internationale. André Giraud est très satisfait de la
rapidité avec laquelle il a reçu l'agrément du Président.
Paris et Londres annoncent séparément qu'ils vont
envoyer dans le Golfe des dragueurs de mines pour protéger leurs
navires, mais ils réaffirment leur refus de toute opération
internationale de déminage souhaitée par Washington.
Mercredi 12 août
1987
Dans une allocution télévisée, Ronald Reagan fait
son mea culpa à propos de
l'Irangate.
Provocation : l'aviation libyenne bombarde
plusieurs localités au nord du Tchad, dont Kouba-Oulamba, située au
sud du 16e parallèle.
Gaffe sur gaffe : André
Giraud, pour corriger ce qu'il a dit hier, déclare
La France ne s'interdit aucun moyen
militaire.
Il va maintenant trop loin dans l'autre sens !
François Mitterrand en est fort irrité.
Sans en référer au Président, le ministre de la
Défense se corrige encore ! Pour rectifier son nouveau dérapage, il
fait une troisième déclaration. Il évoque maintenant les missions
humanitaires de la France dans le Nord. Comme le Président lui a
dit de ne pas faire allusion au 16e
parallèle, il en parle pour dire qu'il ne faut pas en parler !
Bonne volonté et lourde maladresse...
Sur le fond, deux positions se font jour au sein
du gouvernement depuis aujourd'hui :
André Giraud est partisan de faire décoller des
Mirage F1, avec pour instructions d'intercepter et éventuellement
détruire les avions libyens qui bombardent le Tchad, car bien que
ces bombardements libyens ne soient pas très efficaces (les bombes
sont lancées de très haut), une bombe est tombée sur Faya-Largeau,
à 300 mètres des démineurs français.
Jacques Chirac, en revanche, est très hostile à
toute intervention de ce genre, car, pour lui, il ne faut surtout
pas affronter directement les Libyens. Il déclare qu'il faut
disperser nos 150 démineurs (sur quoi il n'a peut-être pas tort) et
se demande s'il ne faudrait pas les rapatrier au sud de Faya. Mais
cela reviendrait, pense François Mitterrand, à donner carte blanche
au colonel Kadhafi...
Jeudi 13 août
1987
Le Président :
On ne peut tout de même pas les laisser
indéfiniment bombarder le Tchad !
Il serait plutôt partisan de la ligne Giraud, mais
il n'a pas encore pris sa décision. La coopération avec Jacques
Chirac s'est notablement améliorée.
Un détail : l'Élysée reçoit un hebdomadaire avant
sa mise en vente. La couverture du numéro reçu cette semaine montre
une photo du prince Charles et de Lady Diana. Or, les exemplaires
mis en vente dans les kiosques présentent en couverture Jacques
Chirac et sa fille ! Quelles pressions derrière ce changement
?...
Lundi 17 août
1987
Dans un entretien publié par Libération et consacré à la morale en politique,
Michel Rocard parle de fautes et de
bavures du septennat. Il cite le
Rainbow Warrior, Carrefour du
Développement, et estime que, faute de ressources publiques, les
partis politiques restent voués à la
fraude ou à la mendicité.
Jacques Toubon saute sur l'occasion pour affirmer
que les socialistes sont disqualifiés pour donner des leçons de morale.
Mercredi 19 août 1987
Les troupes tchadiennes repoussent quatre attaques
libyennes lancées successivement contre Aouzou : 300 morts du côté
libyen.
Jeudi 20 août
1987
A l'université d'été des Jeunesses socialistes,
Laurent Fabius trace le portrait idéal du
candidat socialiste à l'élection présidentielle : Sûreté de jugement, esprit d'unité, expérience, capacité à
refuser les exclusions et à saisir les nouvelles
chances.
Mais à qui songe-t-il ? Sûrement pas à Michel
Rocard.
François Mitterrand a lu
les comptes rendus dans la presse. Il soupire : Si seulement je n'étais pas le seul, au Parti socialiste,
à pouvoir battre la droite, les choses seraient plus faciles
!
Plus faciles ? Pour qui ?
Samedi 22 août
1987
A Nouméa, dispersion brutale d'un rassemblement
pacifique d'indépendantistes canaques, interdit par le
gouvernement.
Dimanche 23 août
1987
Sur M6, Jean-Marie Tjibaou en appelle à François Mitterrand
afin qu'il s'inquiète de la répression qui
s'organise en Nouvelle-Calédonie.
Lundi 24 août
1987
François Mitterrand songe à intervenir à la
télévision sur la Nouvelle-Calédonie.
Mardi 25 août
1987
De Mexico, Carlos Salinas m'appelle pour
m'informer que les résultats des élections présidentielles publiés
demain lui donneront 55 %, contre 28 % à Cardenas. Il a tout fait,
me dit-il, pour empêcher la fraude. Je ferai
tout pour aller vers un régime démocratique à l'européenne, contre
mon parti.
A mon avis, la fraude a été encore très
importante, mais sa victoire — il lui suffit d'une majorité
relative — est indiscutable.
Mercredi 26 août
1987
Conseil des ministres tendu sur la
Nouvelle-Calédonie. Le Président se dit choqué par la violence de
la charge des policiers. Jacques Chirac
se dit, lui, choqué par l'importance
donnée à cet incident. François
Mitterrand le met en garde contre l'enchaînement de la violence et rappelle chacun à
son devoir.
A la sortie du Conseil, Alain
Juppé affirme n'avoir senti aucun climat de crise entre l'Élysée et Matignon à propos
du dossier calédonien.
Je propose à Jean Picq, conseiller pour la Défense
du Premier ministre, d'assister à la réunion que je tiens avec les
Allemands, demain, pour avancer sur le Conseil de Défense et le
Conseil monétaire. Maurice Ulrich lui
interdit de venir. Usant de son vocabulaire toujours élégant, il
pense inutile que des hauts fonctionnaires
assistent aux entretiens entre l'Élysée et la Chancellerie, et il
suffit que Jean Picq en soit informé pour que le Premier ministre
puisse en parler avec le Président.
Jeudi 27 août
1987
Horst Teltschik, accompagné d'autres
collaborateurs du Chancelier et des ministres des Affaires
étrangères et de la Défense allemandes, vient donc à Paris
travailler sur le projet de Conseil de Défense. Je leur précise mon
idée d'un Conseil économique et monétaire franco-allemand
réunissant à son plus haut niveau le Président et le Chancelier, au
niveau intermédiaire les ministres des Finances et les gouverneurs
des deux Banques centrales et, au niveau inférieur, des experts
choisis d'un commun accord. Un tel Conseil aurait pour mission
:
- d'assurer la
consultation la plus étroite en matière économique et monétaire
;
- d'accélérer
l'ouverture réciproque des frontières et la réduction des barrières
de toute nature ;
- de hâter le
processus de coopération monétaire dans le cadre de la constitution
de l'Écu et du renforcement du Système monétaire européen.
Sur la base des propositions allemandes, nous
travaillons aussi au Conseil de Défense. Il institutionnaliserait
les réunions qui se tiennent autour du Sommet franco-allemand.
Composé du Chancelier et du Président, il se réunirait à
intervalles réguliers. Il serait doté d'un secrétariat permanent et
aurait pour mission d'harmoniser les analyses de la sécurité en
Europe en vue de faire converger, dans les limites du possible, les
conclusions que chacun en tire pour sa propre sécurité, de diriger
et approfondir la coopération en matière de sécurité, de défense,
de recherche, de développement et de production de matériel
militaire, d'harmoniser les positions dans le domaine du
désarmement, de prendre les décisions de principe relatives à
l'organisation et à l'emploi des futures brigades
franco-allemandes.
Il est prévu que nous nous reverrons à Bonn le 17
septembre pour mettre au point le projet d'une déclaration commune
du Chancelier et du Président, le 24 septembre à Ingolstadt.
J'en informe le Président qui ne fait pas de
commentaire.
Le Président reçoit Felipe Gonzalez à Latché. Il
lui propose d'élargir à l'Espagne la coopération militaire
franco-allemande.
Felipe Gonzalez :
Je suis préoccupé à propos de la réalisation
du marché intérieur: chez nous, il y aura des répercussions
sociales, il y aura un coût économique et social de ce marché
intérieur. Il faudra bien que ce coût soit réglé, soit dans les
budgets nationaux, soit dans le budget communautaire. Nous ne
pourrons pas résister au choc si, parallèlement, on ne met pas en
place des actions complémentaires de développement. Le marché
intérieur va provoquer une dualisation des économies européennes,
et cela, je ne peux l'accepter.
Il y a deux conceptions de
l'Europe : celle d'une zone de libre-échange, et ce n'est pas la
mienne ; celle de l'Union européenne, pas seulement sur le plan
économique, mais aussi sur les plans de la politique et de la
défense. C'est la France qui peut être le moteur politique de
l'Europe, et l'Allemagne son moteur économique. Si tel est le cas,
nous nous en réjouissons, car cela renforce le pilier européen et
nous met d'ailleurs en meilleure position vis-à-vis des
Américains.
Le Président :
Il faut aller vers une monnaie commune. Le
développement de l'écu est capital. Bien sûr, les Allemands
résistent. Je suis arrivé à la conviction que, parce qu'ils n'ont
pas une puissance diplomatique et militaire à la hauteur de leur
économie, ils transposent leur domination sur l'économie avec sa
traduction la plus évidente, la monnaie. Le mark est ce qui
manifeste la puissance de l'Allemagne. C'est un ressort très
profond qui dépasse les réflexes des banquiers, et même le réflexe
politique. C'est très profondément ancré et presque psychologique.
Sur la défense, quel est votre point de vue ?
Felipe Gonzalez
: Mon pays appartient à tous les organes de
l'Alliance atlantique, sauf le commandement intégré. Je souhaite
que l'Espagne devienne membre de l'UEO, mais ma demande suscite
celle d'autres pays (Grèce, Portugal). Nous ne sommes pas pressés.
C'est davantage une satisfaction psychologique pour
nous.
Le Président:
Sur une année européenne, voyons d'abord notre
objectif. On ne peut conclure d'accord véritable que sur les armes
classiques. Sur le nucléaire, rien n'est possible. J'ai dit à M.
Kohl : « Je suis d'accord sur le premier noyau, mais je ne vois pas
de solution sur le nucléaire. »
Le 24 septembre, je vais à
Ingolstadt, rencontrer le Chancelier Kohl pour des manœuvres
communes. Je considère comme très important que les Français et les
Allemands soient dans une même armée, mais pas sous le commandement
intégré de l'OTAN. Je voudrais pouvoir associer l'Espagne et aussi
l'Italie, mais celle-ci est moins libre. Elle aurait la force
intellectuelle, mais pas la force morale. Si la France, la RFA et
l'Espagne agissent ensemble, alors nous avons une vraie force.
C'est pourquoi j'ai recherché l'alliance avec l'Espagne en faisant
sauter les verrous du terrorisme et de l'élargissement. Il faut que
nous fassions un embryon d'armée commune à trois. Il y a des
difficultés théoriques, mais, en pratique, c'est assez facile. Je
trouverai les moyens de résorber les difficultés qui se posent à
nous, car il faut avancer. Aujourd'hui, la RFA désire cet accord,
mais demain ?
Il y a une autre façon de
progresser, c'est la coopération sur les armes. Je reste convaincu
que l'on aurait pu s'y prendre autrement pour faire l'avion de
combat européen. Je crois que les industriels ont une grande
responsabilité là-dedans. Je considère toujours qu'il faut
travailler encore à harmoniser les calendriers de production,
sinon, dans cinquante ans, nous en serons toujours au même
point.
Il ne peut y avoir davantage
d'unité militaire s'il n'y a pas d'unité politique. Tout est
parallèle. Il faut progresser petit à petit. Si nous arrivons à
faire avec vous et les Allemands un embryon d'année commune, les
autres suivront. C'est important d'offrir une perspective
européenne à la RFA. Mon objectif est d'en finir avec ce que
j'appelle l'Europe de Yalta. Cela dure depuis quarante-trois
ans ! Cela va durer encore vingt-cinq ans ! Il
faut prévoir au-delà. Il faut marcher sur nos deux jambes :
d'une part, l'Alliance atlantique, d'autre
part, le pilier européen. Nous aurons beaucoup de difficultés avec
le Royaume-Uni. Notre objectif final doit être un pilier européen
et un pilier américain. Comme il y a déjà un pilier américain,
comment faire monter les pierres du pilier européen ? Ce qui est
important, c'est que l'on progresse.
Vendredi 28 août
1987
Je fais à Jean Picq, François Bujon et
Jean-Bernard Raimond un compte rendu de mes conversations avec les
Allemands. Ils ne veulent toujours pas s'y associer. Un piège
?
Aouzou est reprise par les Libyens après de
violents combats. L'aviation de Kadhafi a écrasé les Tchadiens sous
les bombes.
Samedi 29 août
1987
Jean-Pierre Chevènement annonce que si François
Mitterrand ne brigue pas un second mandat, il sera lui-même
candidat en 1988.
Lundi 31 août
1987
Désastre : alors que tout est négocié avec les
Allemands, que tout est prêt pour que puissent être annoncés le 24
septembre le projet de Conseil monétaire et celui du Conseil de
Défense, François Mitterrand fait machine
arrière ! Quand je lui demande l'autorisation de transmettre à
Matignon les deux documents établis lors de mes réunions avec les
Allemands, il me rétorque : Ces textes n'ont
pas mon accord. Pour discuter, oui. Mais il y a bien des choses à
revoir. Ces textes n'ont qu'une valeur indicative. Je réserve
entièrement mon choix. Le dire expressément aux Allemands et aux
dirigeants français.
Tout ça pour rien ? Parce qu'il n'a rien lu de ce
que je lui ai fait passer là-dessus depuis deux mois ? Je n'imagine
pas d'autre raison...
Jacques Chirac répond à
François Mitterrand, qui s'est inquiété du rôle que l'armée sera
appelée à jouer lors des élections en Nouvelle-Calédonie :
Les armées seront tenues à l'écart du maintien
de l'ordre le jour du scrutin.
Mardi 1er septembre 1987
François Mitterrand :
Tout le monde évoque mon âge ! Ça me donnerait
plutôt envie de me représenter !
Départ pour Québec.
Mercredi 2 septembre
1987
Ouverture du 2e Sommet
de la francophonie à Québec, dix-huit mois après la première
rencontre de Versailles, en février 1986. Seize chefs d'État, douze
chefs de gouvernement et quarante-trois délégations représentant
trente-sept pays. Le Canada ambitionne d'en disputer subtilement la
direction à la France : dès l'ouverture, Brian Mulroney annonce que
son pays va effacer la dette de sept pays africains, représentant
324 millions de dollars canadiens.
Le ministre de la Culture, François Léotard, n'est
pas venu à ce Sommet de la francophonie. Le Président en est
furieux.
François Mitterrand sur
Édouard Balladur : Je n'ai jamais eu
l'occasion de parler avec Georges Pompidou, si ce n'est dans les
débats parlementaires. C'est vous dire ce qu'était la démocratie
d'alors. De ce point de vue, la cohabitation est un grand progrès.
Mais quand je parle avec Balladur, j'ai l'impression de parler avec
le fantôme de Pompidou : la même onction ; la même culture
vaguement moderniste pour masquer un conservatisme
impitoyable...
Jeudi 3 septembre
1987
Matignon annonce une baisse de la TVA sur les
automobiles de 33,3 à 28 %.
Le Président s'interroge
tout haut : Retarder ma décision, si elle est
négative, est-ce nuire à l'éventuel candidat de la gauche, comme le
dit la presse ?
Vendredi 4 septembre
1987
Discussion avec Élisabeth Guigou : quelles
suggestions pour faire progresser l'Europe économique ? Peut-on
avancer des propositions conjointes avec les Allemands ?
Il faut commencer par la mise en place d'un
embryon de Banque centrale européenne plutôt que par la création
d'une monnaie européenne, chiffon rouge pour les Allemands aux yeux
de qui le mark reste le symbole de leur réussite : ils ne sont pas
près de s'en défaire.
Les textes de 1978, qui ont institué le SME,
prévoyaient en 1981 la transformation de l'actuel Fonds européen de
coopération monétaire (FECOM) en Fonds monétaire européen (FME),
véritable embryon d'une Banque centrale européenne.
Nous tombons d'accord pour proposer, avec
prudence, une double avancée : d'abord parvenir à la mise en commun
d'une partie des réserves des banques centrales des États membres,
puis envisager un abandon progressif des réserves en or et en
devises. Ainsi, au terme du processus, ces réserves, devenues
communes, permettraient au FME d'intervenir au nom de l'Europe
entière vis-à-vis du dollar. Infiniment préférable au désordre
d'aujourd'hui où chacun joue pour son propre compte.
Par ailleurs, la Banque de France et la Bundesbank
émettraient des pièces de 1 et 5 écus qui pourraient être utilisées
au même titre que les monnaies nationales. Le gouvernement belge a
pris cette décision il y a quelques mois. Cette initiative ne
menacerait en rien l'équilibre monétaire dans les deux pays.
Comment présenter ces propositions, et selon quel
calendrier ?
La France et la RFA pourraient d'abord annoncer
leur intention de travailler ensemble à la création d'un Fonds
monétaire européen tout en manifestant, dès le départ, leur
intention d'associer les autres États membres du SME.
Samedi 5 septembre
1987
Les Tchadiens détruisent la base aérienne de
Maaten-es-Sara, au sud de la Libye. Commentaire de Jacques Chirac : Les Américains
poussent Hissène Habré à faire des bêtises.
Lundi 7 septembre
1987
Le contingent français au Tchad abat un bombardier
libyen qui s'apprêtait à attaquer N'Djamena.
Jacques Chirac appelle le Président. Ils décident
d'envoyer le général Fleury chez Hissène Habré, lui dire que nous
ne pouvons pas l'aider s'il continue à mener des actions sans nous
en informer à l'avance, actions pour lesquelles nous n'avons pas
donné notre assentiment, en tout cas pour tout ce qui touche aux
territoires extérieurs au Tchad ou contestés, comme Aouzou. En
conséquence, s'il veut que l'on puisse répondre favorablement à ses
demandes, il faut qu'il accepte la présence d'un officier français
auprès de son chef d'état-major.
Comme prévu, première visite d'un chef d'État
est-allemand, Erich Honecker, en RFA.
Pierre-André Albertini est libéré dans de
curieuses conditions : un échange de prisonniers entre l'Afrique du
Sud et l'Angola.
Les sondages sont encore mauvais pour Jacques
Chirac. Ils le deviennent pour Raymond Barre.
Le référendum se prépare en Nouvelle-Calédonie. Le
résultat sera sans surprise. Les indépendantistes appellent au
boycott.
Jack Lang demande au Président de recevoir Stewie
Wonder à l'Élysée. François Mitterrand refuse. Il a tort, à mon
avis : c'est un grand artiste et un homme intéressant, qui a une
analyse crue de l'Amérique.
Recevant Renaud Denoix de Saint Marc, comme chaque
lundi, François Mitterrand refuse l'inscription à l'ordre du jour
du prochain Conseil des ministres de la nomination comme
commissaire au Plan d'un ancien collaborateur de Simone Veil,
aucune proposition de reclassement n'ayant été faite à l'ancien
collaborateur de Pierre Mauroy qu'il remplacerait. Ses trois
prédécesseurs au commissariat au Plan ont tous obtenu des fonctions
importantes : l'un est devenu numéro deux à l'ONU, un autre
président des AGF, le troisième a été nommé à la Cour des comptes.
Le commissaire au Plan est un personnage éminent et le Président
estime qu'il convient de ne pas dévaluer la fonction : Je ne demande pas pour Henri Guillaume une compagnie
d'assurances, encore que je pourrais le faire...
Mardi 8 septembre
1987
Le Premier ministre fait du forcing pour passer au
plus vite au journal télévisé de TF1
depuis qu'il a été annoncé que le Président participerait à une
émission le 17 septembre. François Mitterrand se montre de plus en
plus critique envers Chirac. Il évoque sa mesquinerie.
Le Président à propos de Raymond Barre :
Lui, au moins, est républicain. Je n'ai
plus le moindre doute : il va se représenter. Par goût du combat
contre les gaullistes. La volonté de battre cette clique, comme il
dit, aura décidément été le moteur de sa vie publique. Il me le
confie d'ailleurs clairement : Je n'ai pas
envie de m'incruster. Mais savoir que c'est le plus grand plaisir
que je pourrais leur faire me gâcherait ma retraite !
Mercredi 9 septembre
1987
Avant le Conseil des ministres, le Président déclare au Premier ministre qu'il
n'acceptera pas la nomination d'un nouveau commissaire au Plan tant
qu'un poste convenable n'aura pas été proposé à Henri Guillaume :
Il y va de la dignité de la
fonction.
Il me dit peu après : Le
Premier ministre a été spécialement aimable, tout miel, mais il m'a
menti d'une manière stupide et médiocre, une fois de plus, en
m'expliquant qu'il irait au journal télévisé de TFI uniquement pour
parler de la baisse de la TVA.
Au Conseil, Philippe Séguin rend un hommage
vibrant à Martine Aubry, qu'il vient d'évincer du poste qu'elle
occupait au ministère du Travail. Il parle de son sens du service
public, de sa compétence, de son dévouement, de sa loyauté à
l'égard des quatre ministres successifs qu'elle a servis. Le plus
étonnant est qu'il a l'air sincère...
Lucette Michaux-Chevry ânonne un texte qu'on lui a
écrit sur la francophonie, sans même respecter la ponctuation. Les
ministres semblent souffrir. Volant à son secours, le Premier
ministre juge utile de rappeler que le Sommet de la francophonie a
été un succès.
Le Président a été tenu totalement à l'écart des
négociations pour la libération de Pierre Albertini. Il ne veut
émettre aucune réflexion à ce sujet, mais le procédé n'en est pas
moins choquant.
Jeudi 10 septembre
1987
Jacques Chirac est aux Antilles.
Vendredi 11 septembre
1987
Jean-Louis Bianco reçoit le général Imbot.
Sur l'affaire Albertini, le directeur de la DGSE
lui dit : Je pense que pour la libération
d'Albertini, vous êtes au courant de ce qui s'est passé ?
Bianco répond que oui (ce qui est faux), mais ajoute qu'il ne l'a
pas appris par les voies gouvernementales. Le général Imbot suggère
alors à Bianco de lui donner ses informations afin de confronter
les sources. Bianco, embarrassé, répond :
Donnez-moi les vôtres, je vous dirai si elles
correspondent aux miennes !
— Comme vous le savez, tout a
reposé sur Jean-Louis Ollivier, lui dit alors Imbot.
Or, Bianco ignore de qui il s'agit !...
Le général fait état des aller-retour de
Jean-Louis Ollivier entre Pretoria et Paris, le Mozambique,
l'Angola, le tout couronné par une visite à Jonas Savimbi, chef de
l' UNITA (mouvement de résistance angolais), et de pourparlers avec
les responsables sud-africains pour obtenir la libération de cent
cinquante prisonniers. Savimbi a accepté le marché sous la pression
de l'Afrique du Sud et contre la promesse faite par Ollivier, au
nom du Premier ministre, que la France le remercierait
publiquement, ce qui n'a pas été fait. D'où son mécontentement, qui
s'est traduit par une dépêche de l'UNITA.
Par Chatelais, directeur d'Afrique, Jean-Louis
Bianco apprend que Fernand Wibaux, conseiller diplomatique, se
serait pour sa part rendu au Ciskei et aurait remis un message
écrit de Jacques Chirac au chef de ce bantoustan afin de régler
cette affaire. Il portait — nous dit-on, mais sans preuves — un
faux passeport, un faux nom, une carte d'identité donnée par Michel
Roussin, sans doute grâce à l'un de ses amis au sein de la DGSE.
(Le général Imbot n'était peut-être pas au courant ; maintenant, il
l'est.) Wibaux se serait également rendu en Angola avec les gens
d'Afrique du Sud. Il ne nous en a rien dit. Toute l'opération était
top secret, un nom de code avait été donné à Chirac, Roussin et
Ollivier. Jean-Bernard Raimond n'était au courant de rien.
Sur le projet de Conseil de Défense
franco-allemand que j'ai mis au point avec Horst Teltschik,
le Premier ministre nous fait dire par
François Bujon qu'il donnera au Président la
position du gouvernement mercredi matin. C'est la dernière
limite, car je dois conclure, jeudi 17, avec les Allemands. Sinon,
à la réunion de l'Internationale libérale, Jacques Chirac
communiquera sa position aux Allemands, court-circuitant ainsi, sur
le fond et sur la forme, le Président, qui doit en faire l'annonce
lors des manœuvres communes du 24 septembre.
Il est probable que Jacques Chirac essaiera de
torpiller l'ensemble d'un projet dont il n'est pas l'auteur,
prétextant qu'on ne peut décider de quelque chose d'aussi important
à quelques mois des élections présidentielles.
Affaire Prouteau : Paul-André
Sadon, directeur de cabinet d'Albin Chalandon, a appelé
Jean-Louis Chambon, de permanence à l'Élysée cette nuit, pour lui
signaler que Le Figaro de ce matin publie un article annonçant la
prochaine inculpation du lieutenant-colonel Prouteau : J'ai été très étonné par cet article. Savez-vous que M.
Chalandon passe demain au Forum RMC? Il
est à craindre qu'une question lui soit posée à ce sujet. M.
Chalandon me dit avoir été reçu par le Président en juillet, lequel
lui aurait donné alors son accord sur l'inculpation. Bien entendu,
il n'est pas question de faire état de cette conversation
publiquement. Voici ce que le garde des Sceaux se propose de dire,
il voudrait savoir si le secrétaire général de la Présidence de la
République en serait d'accord. Il voudrait dire : « Il s'agit d'une
affaire judiciaire en cours d'instruction, sur laquelle le garde
des Sceaux n'a aucun commentaire à faire. »
Avec l'accord du Président, Jean-Louis Bianco fait répondre par Jean-Louis
Chambon à Paul-André Sadon : Le secrétaire
général de l'Elysée n'a pas à se mêler des déclarations du garde
des Sceaux. Le garde des Sceaux dit ce qu'il veut.
Samedi 12 septembre
1987
François Mitterrand prend connaissance de la
protestation signée par les trois syndicats de journalistes de
l'AFP contre les procédés brutaux d'une unité de parachutistes en
Nouvelle-Calédonie.
Le Président :
La liberté de la presse est en cause.
Il envisage le rapatriement en métropole de l'unité
incriminée.
André Giraud répond à la presse avant même
d'adresser une explication écrite au Président : ces journalistes
menaçaient un secret d'État. On peut se demander quelle était la
nature du secret d'État qui pouvait être menacé par les
journalistes alors que ceux-ci ne se trouvaient ni dans une base
interdite ni sur un territoire protégé.
Un journaliste français, Alain Guillo, est capturé
en Afghanistan.
Dans son émission Droit de
réponse, Michel Polac met en cause la CNCL à propos de
l'attribution des fréquences de la bande FM. Gabriel de Broglie
exige un rectificatif auprès de Francis Bouygues.
Inculpation de Christian Prouteau dans l'affaire
des « Irlandais de Vincennes », ainsi que l'annonçait Le Figaro d'hier.
Dimanche 13 septembre
1987
En Nouvelle-Calédonie, malgré le boycottage du
scrutin par le mouvement indépendantiste, 59,10 % des électeurs
participent au référendum d'autodétermination et votent à 98,30 %
pour le maintien du territoire dans la République française.
Les camps de concentration nazis, déclare
Jean-Marie Le Pen au Grand Jury RTL-Le Monde, sont un point de détail de l'histoire
de la Seconde Guerre mondiale. Il ajoute que des historiens
débattent à ce sujet, et qu'il se pose lui-même des questions.
Lundi 14 septembre
1987
Catherine Tasca démissionne d'un groupe de travail
à la CNCL afin de protester contre l'attitude immobiliste de la
Commission en Nouvelle-Calédonie : aucune sanction n'est en effet
envisagée contre Radio Rythme bleue, la
radio du RPR qui a implanté un émetteur illégal et dont la
propagande avant le référendum a été très active.
Mardi 15 septembre
1987
Le Président apprend que Jacques Chirac va
s'entretenir avec Helmut Kohl samedi prochain, en marge de
l'Internationale libérale, sur les problèmes de défense. Il
considère qu'il s'agit là d'un procédé inélégant de la part du
Chancelier, qui sait fort bien que ces sujets relèvent de sa
compétence exclusive. Il me demande d'annuler la réunion que je
dois avoir après-demain avec Horst Teltschik. Quand j'en fais part
à ce dernier, je n'ai nul besoin de lui dire pourquoi. Il me répond
qu'il a tout fait pour empêcher la rencontre de samedi ; qu'il n'y
aura aucune conversation réelle en matière de défense ; qu'il a
lui-même refusé de recevoir Bujon de l'Estang, qui voulait venir à
Bonn discuter de ces choses cette semaine ; qu'il a de nombreuses
propositions concrètes à nous faire en matière de coopération
économique et monétaire. Il me précise aussi qu'Édouard Balladur a
fait part à Stoltenberg, dimanche dernier, de son hostilité au
projet d'un pendant économique au Conseil de Défense
franco-allemand, les affaires économiques devant à ses yeux
continuer d'être traitées au niveau des ministres des Finances.
Stoltenberg a été stupéfait d'entendre parler de cela, car il
n'était pas au courant du projet.
Teltschik me propose de venir quand même le voir
la semaine prochaine après la rencontre entre le Premier ministre
et le Chancelier.
Je pense qu'il ne faut pas rompre le fil avec
quelqu'un qui est pour le moins très embarrassé des mauvaises
manières de Matignon.
Mercredi 16 septembre
1987
Avant le Conseil des ministres, le Président
aborde la question des Malouines, qui doit venir en débat aux
Nations-Unies. Le Premier ministre souhaite que la France vote un
amendement convenant aux Britanniques, qui contredit notre position
des années précédentes sur les conditions de reconnaissance de la
reconquête.
François Mitterrand :
Il n'en est pas question. Nous maintiendrons
notre vote.
Jacques Chirac s'incline.
Après le Conseil, le Président me dit que
l'attitude du Premier ministre sur les Malouines s'explique par la
Nouvelle-Calédonie : aux Malouines, les Britanniques sont dans une
situation analogue à la nôtre en Nouvelle-Calédonie ; en échange de
notre vote, Chirac espère obtenir leur soutien.
Surprise : le Premier ministre informe le
Président que Chadli Bendjedid lui propose de lui faire rencontrer
à Alger le colonel Jalloud, numéro deux libyen. Jacques Chirac
souhaite s'y rendre.
Le Président :
Ce serait de la folie ! Il faut n'y envoyer
que le secrétaire général du Quai.
(Commentaire du Président, peu après :
Il faut sans cesse corriger ses bêtises
!)
Le Président s'étonne que la cinquième étoile
n'ait pas encore été accordée au général Fleury. Renaud Denoix de Saint Marc : Le ministre de la
Défense aurait souhaité que vous lui en
parliez.
Le Président, agacé :
Il n'y a aucune raison pour que je lui en
parle. C'est une décision automatique. [De fait, le chef
d'état-major particulier du Président de la République se voit
automatiquement promu lors de sa nomination à l'Élysée.]
Jacques Chirac, encore
plus ulcéré que le Président : Mais j'avais
donné des instructions à M. Giraud. Il n'a qu'à le faire, ce sont
des questions qui ne se discutent pas ! [Cela passera au
prochain Conseil.]
Il est encore question du problème posé par la
nomination, en Corrèze, d'un protégé de Jacques Chirac, qui suscite
de très nombreuses protestations parmi les responsables du corps
préfectoral.
Le Président à Jacques
Chirac : Ce n'est pas bien, mais je ne vais
pas vous embêter avec cela, parce que c'est la
Corrèze.
Il est enfin question du Transall français envoyé
à Sassou N'Guesso. Au détour d'un télégramme, nous avons appris que
l'envoi avait été convenu directement entre Sassou N'Guesso et
Jacques Chirac. L'appareil, avec ses cocardes maquillées, a été mis
à la disposition des militaires congolais pour briser une
opposition intérieure ! Jamais le Président n'en a été avisé.
L'information a été vérifiée par Jean-Christophe Mitterrand, Jean
Audibert et le général Fleury.
Jacques Chirac au
Président : Mais votre état-major était tenu
au courant par l'état-major de Matignon ! En présence de
Chirac, le Président demande à Jean-Louis Bianco de vérifier.
Bianco se rend dans son bureau pour appeler le général Fleury, puis
rappelle le Président : le général Fleury lui a répété que jamais
Matignon n'a prévenu l'état-major particulier. Chirac ne cille
pas.
Contrairement à ce qu'il a annoncé, Jacques Chirac
ne donne pas sa réponse sur les deux projets franco-allemands. Il
dit au Président qu'il lui écrira à ce sujet.
Conseil des ministres : le projet de budget pour
1988 est à l'ordre du jour. Édouard
Balladur commence par une critique en règle de la gestion
socialiste. Il parle du cercle vicieux des dépenses et des
impôts.
Le Président :
Je n'engagerai pas un débat sur le budget. Ce
débat aura lieu devant le Parlement, c'est son rôle. Je rappellerai
seulement quelques données. Quand j'étais parlementaire, j'avais
entendu M. Barre dénoncer avec une très grande vigueur la gestion
précédente... [Jacques Chirac se crispe, Alain Madelin et
Gérard Longuet sourient.] Ensuite, j'ai
entendu M. Delors, avec une grande rigueur, dénoncer la gestion
précédente. A la limite, j'aurais pu entendre M. Bérégovoy... Je
viens d'entendre le ministre d'État dénoncer la précédente gestion.
C'est une situation tout à fait classique.
Édouard Balladur sourit et semble ravi de la
pique.
L'exposé de René Monory
sur la rentrée scolaire s'achève par cette conclusion :
Il faut rester modeste.
Le Président :
Voilà une excellente
recommandation.
Là, c'est l'éclat de rire, vite réprimé devant
l'air outragé du ministre.
Le Président reçoit Charles Pasqua et Robert
Pandraud à 11 h 30. Ces derniers viennent à nouveau répéter :
Nous souhaitons pouvoir réformer le service
des voyages officiels.
François Mitterrand :
Je sais, je sais. Vous m'en avez souvent
parlé. Mais laissons nos successeurs régler tout cela. Vous savez,
on est maintenant en septembre, on va surtout expédier les affaires
courantes.
Charles Pasqua,
résigné : Comme vous voudrez, monsieur le
Président.
Jeudi 17 septembre
1987
En voyage à Nouméa, Jacques Chirac annonce un
nouveau projet de statut d'autonomie interne calqué sur celui de la
Polynésie française.
Entrée en vigueur de la baisse de la TVA sur les
automobiles.
Sur TFI, où il est
venu parler de la Nouvelle-Calédonie, François
Mitterrand affirme sa pleine confiance en Christian
Prouteau.
Vendredi 18 septembre 1987
Jacques Chirac écrit à François Mitterrand à
propos de mes négociations avec Horst Teltschik... pour se plaindre
d'avoir été tenu à l'écart ! Il s'offusque qu'on ait accepté un
accord sur la défense sans rien demander sur la monnaie. Toute sa
lettre tend à dire : il est urgent d'attendre. Incroyable !
Lui-même a refusé que ses collaborateurs assistent aux pourparlers
et il a été tenu informé par le
Président... qui trouve, lui, la lettre de Chirac
très raisonnable !
Je suggère au Président une solution qui
permettrait d'annoncer un accord monétaire sans l'assentiment
préalable du gouvernement ; il suffirait d'ajouter au communiqué de
presse sur la défense le paragraphe suivant :
Le Président de la
République française et le Chancelier de la République fédérale
d'Allemagne sont convenus d'intensifier leur coopération dans le
domaine monétaire afin de continuer à faire progresser le Système
monétaire européen.
Pour cela, chaque sommet
bilatéral franco-allemand sera l'occasion d'une réunion au niveau
des chefs d'État et de gouvernement avec les ministres des Finances
et les gouverneurs des Banques centrales.
Une réunion de ce type aura
lieu sous la présidence du Président de la République française et
du Chancelier de la République fédérale d'Allemagne dès le prochain
Sommet franco-allemand qui se tiendra à Karlsruhe les 12 et 13
novembre prochains.
Le Président de la
République française et le Chancelier de la République fédérale
d'Allemagne informeront aussitôt les États membres du SME et le
Président de la Commission de la teneur des
conversations.
C'est moins que le Conseil monétaire, mais cela
aurait cependant le mérite d'exister...
Mais le Président veut
davantage : il souhaite l'accord de Jacques Chirac sur l'ensemble.
Il écrit donc d'abord à Helmut Kohl pour panser les plaies que va
causer le retard pris par l'annonce de la création du Conseil de
Défense. Il lui propose de célébrer à Paris, le 22 janvier
prochain, à l'Élysée, le vingt-cinquième anniversaire du traité du
même nom.
Pour le reste, il en reparlera à Jacques
Chirac.
Samedi 19 septembre
1987
Au cours de l'émission de Michel Polac consacrée
au pont de l'île de Ré, le caricaturiste Wiaz exhibe un dessin
mettant en cause Francis Bouygues. Polac est licencié. La CNCL se
tait.
Dans un entretien que publie Le Point,
François Mitterrand déclare à propos de
la CNCL : La CNCL n'a rien fait jusqu'ici qui
puisse inspirer le respect. Pour moi, il ajoute :
Ce sont des domestiques
liberticides.
Lundi 21 septembre
1987
François Mitterrand me
confie : Avec moi, Jacques Chirac a un ton de
plus en plus « cohabitant », mais au-dehors il lâche de plus en
plus ses chiens.
Le Président donne son accord à un petit
remaniement ministériel concernant Camille Cabana et André Santini.
Il accepte que celui-ci devienne ministre délégué dans la mesure où
il a écrit à Raymond Courrière une lettre d'excuses confessant
qu'il avait cru faire un trait d'humour
en l'attaquant à propos de l'ONASEC. Courrière en a fait part au
Président,
Roger Bouzinac (l'un des
membres de la CNCL) revient de Nouvelle-Calédonie et parle de
scandale, non seulement à propos de l'émetteur de Radio Rythme bleue, mais aussi des listes truquées
(des fonctionnaires qui se sont fait réinscrire). Il dit avoir
assisté à des bourrages d'urnes lors du référendum.
Les Nouvelles
calédoniennes (du groupe Hersant) ont publié un article
signé de l'éditorialiste attitré, dont voici un court extrait :
C'est une œuvre de salut public que de
tabasser les journalistes.
Mardi 22 septembre
1987
Yves Chalier est remis en liberté.
L'accord entre Américains et Soviétiques sur les
forces nucléaires intermédiaires est réalisé ; il ne reste que
quelques menus détails à régler.
Les Soviétiques veulent signer rapidement
(avant le 15 novembre) un autre accord,
cette fois de désarmement stratégique, de sorte que ce traité soit
ratifié avant l'expiration du mandat de Ronald Reagan. Dans cette
négociation, deux problèmes sont liés : celui de l'IDS et celui des
sous-plafonds par catégorie d'armes (sous-marines, aériennes et
terrestres, dont mobiles).
Selon le conseiller pour la Sécurité de Ronald
Reagan, Franck Carlucci, de passage à Paris, les Soviétiques
admettent (en privé) le fait que le
Président Reagan ne renoncera pas à l'IDS. En échange, ils
proposent des sous-plafonds préservant leur supériorité en missiles
terrestres, réduisant celle des États-Unis en missiles sous-marins,
et leur permettant de développer leurs missiles mobiles (SS 24 et
25) dont le Pentagone a très peur (ils jouent un rôle voisin de
l'IDS, mais à terre).
André Giraud :
Je ne suis pas de ceux qui se félicitent de la
prochaine signature de l'accord FNI. La sécurité de l'Europe de
l'Ouest ne sort pas renforcée de cette affaire.
Mercredi 23 septembre
1987
Au début du Conseil, aparté entre le Président et
Charles Pasqua, assis à côté de lui. Tous deux sourient. Le
Président a dû faire à Pasqua un compliment ironique sur sa phrase
rapportée par la presse : En Conseil, le Président s'ennuie.
André Giraud rend compte de ses contacts avec les
Italiens, qui souhaiteraient participer à la brigade
franco-allemande.
Le Président rappelle
qu'il a rencontré Felipe Gonzalez et que l'Espagne souhaite elle
aussi y prendre part : C'est un mouvement très
intéressant. Bien entendu, il faut être très précis et
très rigoureux sur ce que l'on fera ; il est
fort probable que d'autres pays manifesteront les mêmes intentions
que l'Italie et l'Espagne.
Le Président approuve l'accord de désarmement
entre États-Unis et URSS.
Henri Guillaume n'est pas remplacé au commissariat
au Plan : le Président s'est opposé à son départ, puisqu'il n'y a
toujours pas de proposition précise du Premier ministre pour son
reclassement.
Hachemi Rasfandjani renouvelle ses attaques contre
Jacques Chirac à propos des négociations sur les otages d'avant
mars 1986. Il paraît vraisemblable que les Iraniens ont des preuves
de ce qu'ils avancent.
Longue conversation téléphonique avec Horst
Teltschik. Jacques Chirac ne s'est pas opposé, samedi, aux Conseils
franco-allemands. On peut donc les annoncer demain.
Jeudi 24 septembre
1987
François Mitterrand et Helmut Kohl assistent aux
manoeuvres militaires franco-allemandes « Moineau hardi ». Ils
annoncent l'existence d'un projet de Conseil de Défense
franco-allemand : Il faut qu'il y
ait à la tête de tout cela un échelon
responsable, dit François Mitterrand. Il
propose la participation d'autres pays comme l'Italie ou
l'Espagne.
André Giraud demande au
général Saulnier ce qu'il souhaite faire après la fin de ses
fonctions, alors qu'il était entendu entre le Président et le
Premier ministre que le général serait prolongé au-delà de la
limite d'âge, jusqu'à l'élection présidentielle.
Maurice Ulrich à
Jean-Louis Bianco : Je crains qu'il n'y ait là
un problème.
Bianco lui répète la position du Président : ou
bien le général Saulnier est prolongé, ou bien le Président ne
signera aucune nomination, et le poste de chef d'état-major général
des Armées restera vacant jusqu'à la fin du septennat.
Ulrich ne fait aucun commentaire.
Édouard Balladur répond
aux critiques des socialistes sur les « noyaux durs» : Il ne pouvait être question de laisser les entreprises
privatisées émiettées et sans défense dans le monde des marchés
internationaux.
François Mitterrand
commente ironiquement : Il appelle cela une
politique économique. Moi, j'appelle cela faire de la politique
avec l'économie.
Vendredi 25 septembre
1987
Les Canadiens souhaitent annoncer la date du
prochain Sommet de Toronto, qui se déroulera après les prochaines
élections présidentielles. Ils me proposent le communiqué suivant
:
Le Premier ministre, le très
honorable Brian Mulroney, a annoncé aujourd'hui que le prochain
sommet économique des Sept principaux pays industrialisés et des
représentants de la Communauté européenne aura lieu à Toronto du 19
au 21 juin 1988.
Les chefs d'État et de
gouvernement qui ont participé cette année au Sommet de Venise sont
convenus de tenir leur prochaine rencontre à Toronto en 1988 et ont
accepté les dates proposées par le Premier ministre pour cette
rencontre.
Ce Sommet économique sera le
deuxième Sommet à avoir lieu au Canada, le premier s'étant déroulé
à Ottawa et à Montebello en 1981.
J'en parle au Président. Il approuve sans hésiter.
J'en déduis la confirmation qu'il sera candidat.
Samedi 26 septembre
1987
Le vice-président George Bush est en
Pologne.
Les ministres des Finances des sept pays
occidentaux les plus industrialisés, réunis à Washington,
réaffirment leur engagement de stabiliser le dollar autour
de son niveau actuel, soit 6 francs et
1,70 deutsche mark.
Lundi 28 septembre
1987
François Mitterrand me
parle de la campagne à venir : Si je suis
candidat, ils ne vont pas m'épargner. Ils seront orduriers.
Après un temps, il ajoute : Si je ne suis pas
candidat, ils ne m'épargneront pas davantage.
Mardi 29 septembre 1987
François Mitterrand :
Parfois, à un regard ou à un mot au Conseil,
j'ai le sentiment que Balladur nourrit un mépris infini pour
Chirac. A moins que cela ne soit un mépris de la politique. Puis il
se reprend : Cet homme est un
formidable dissimulateur. Plaise au Ciel qu'il n'ait jamais le
pouvoir !
Mercredi 30 septembre
1987
En Nouvelle-Calédonie, deux gendarmes sont tués de
plusieurs coups de feu dans la tribu de Tiaoué.
Entretien Mitterrand-Chirac avant le Conseil des
ministres.
Jacques Chirac :
Il y a trois nominations qui semblent
suspendues : pour le commissariat au Plan, pour l'ambassade au
Vatican et pour la Villette.
François Mitterrand :
Au sujet de votre candidat pour le Vatican, je
vous ai dit non. Quant à celui pour la Villette, c'est aussi non.
Vous imaginez l'incongruité de votre proposition ! On n'ajamais vu
l'auteur d'un rapport contre la gestion d'un organisme être nommé à
la tête de cet organisme. C'est contraire aux traditions de
l'inspection des Finances. Quant au Plan, je vous ai déjà dit les
conditions préalables au remplacement de l'actuel
titulaire.
Jacques Chirac : Mais nous
avons déjà engagé les conversations avec le Vatican. Il approuve
cette idée !
François Mitterrand :
Il sera ravi de n'importe quel bon catholique
qu'on lui enverra.
A propos du général Saulnier et de sa prorogation
à l'état-major général, blocage total d'André
Giraud, qui refuse absolument de proposer son maintien
au-delà de la limite d'âge : Je le supporte
depuis dix-huit mois, je ne le proposerai pas !
François Mitterrand à
Jacques Chirac : Vous imaginez un chef
d'état-major général des armées qui n'aurait pas l'aval du
Président de la République ? Il n'y aura donc pas de chef
d'état-major général des armées jusqu'à la fin du
septennat.
Le Président interroge par écrit le Premier
ministre à propos de la mise à disposition du Congo, par le
gouvernement français, au mois d'août dernier, d'un avion Transall
C 160. Il note que son cabinet n'a pas été tenu au courant.
S'agissant de coopération militaire avec un pays étranger, il eût
été normal qu'il fût pour le moins informé préalablement. Il
insiste pour savoir dans quelles conditions exactes cette décision
a été prise, et quelle utilisation a été faite de l'appareil
français.
Nous connaissons les réponses à toutes ces
questions, mais cette lettre vise à pouvoir être produite au cas
où, quelque jour, on voudrait laisser croire que cette opération a
été décidée avec l'accord du Président. Tel est d'ailleurs
l'objectif de cette incessante correspondance faite pour les
archives, pour l'Histoire, voire, si nécessaire pour la prochaine
campagne, de façon à empêcher l'autre de nier l'existence et le
contenu d'une conversation.
Jeudi 1er octobre 1987
Le Président regrette de ne pas avoir mentionné
dans sa lettre d'hier ce que nous avons appris depuis son envoi, à
savoir que l'accord de coopération technique entre la France et le
Congo, signé en 1974 par Jean-François Deniau, interdit
l'utilisation de matériel ou de personnel français dans des
opérations internes. (Article III de l'annexe : Les personnels militaires français (...) ne peuvent
prendre part à la préparation ou à l'exécution d'opérations de
guerre et de maintien ou de rétablissement de l'ordre ou de la
légalité.)
Ce qu'a fait Chirac était non seulement discutable
politiquement, mais encore contraire aux engagements internationaux
de la France.
Vendredi 2 octobre
1987
Retournement d'un haut fonctionnaire : Jean-Louis
Bianco voit ce matin, à sa demande, un policier important, un des
responsables de la lutte antiterroriste, nommé par Charles Pasqua.
Il est extrêmement choqué de constater que nombre d'informations
importantes nous ont été cachées. Il est très laudateur sur
l'action des ministres de l'Intérieur socialistes, Franceschi,
Defferre et Joxe : C'est grdce à leurs
initiatives que nombre de résultats actuels ont été obtenus,
dit-il. La grande force du Président, dans l'affaire des otages,
est d'avoir défini dès le début sa ligne de force [Naccache contre
tous les otages] et de ne jamais en avoir changé. La DGSE est
nulle, et l'idéal serait de la fusionner avec la DST, mais ce
serait très difficile. Il conviendrait au moins de la
civiliser [d'y nommer des civils]. Il faudrait
rattacherDGSE et DSTau
Premier ministre, et il est indispensable que
l'instance politique puisse exercer une autorité très ferme sur les
services de renseignement. A propos de l'action antiterroriste, il
faut développer la coopération bilatérale ou trilatérale entre
pays, plutôt que de grands forums. Il serait bon [comme le
Président l'a évoqué lors de son entretien avec Margaret Thatcher]
qu'en cas de détournement d'avion et de prise
d'otages, lorsque l'avion se pose sur un aérodrome dans un pays
ami, il ne puisse pas repartir, quels que soient les risques à
prendre.
A propos des attentats de septembre, il sait que
la piste Abdallah est formidablement fragile
depuis le départ, car fondée seulement sur la reconnaissance des
photographies par des témoins en état de choc. Mais le gouvernement
s'est engouffré dans cette brèche pour rassurer l'opinion. Je suis
convaincu que les Iraniens sont les responsables de ces attentats.
Les enquêteurs policiers sont convaincus que Gordji est bien le
responsable terroriste qui a donné des ordres pour les attentats de
septembre, mais il n'y a pas de vrais éléments de preuve à mettre
dans le dossier du juge [car les principaux éléments sont
des écoutes téléphoniques].
Je crains que les choses ne
se détériorent en Corse. Je crains aussi que l'ETA militaire, très
touchée, réagisse brutalement. Enfin, à tout moment, il y a une
menace libyenne très forte du fait d'Abou Nidal, et, bien sûr, la
menace iranienne est constante.
Joëlle Kauffmann et Michel Cantal-Dupart,
inlassables soutiens des otages, viennent suggérer de rencontrer M.
Wichnewski, qui a négocié la libération des otages allemands.
Samedi 3 octobre
1987
Le Président donne un coup d'arrêt à toute
négociation franco-allemande sur l'usage du nucléaire. Le ministre
de la Défense, par lettre du 10 août 1987, l'a informé des
conversations en cours entre le général Saulnier et son homologue
allemand, l'amiral Wellershoff. Une lettre à Jacques Chirac est
nécessaire, puisque l'avoir dit à André Giraud ne paraît pas avoir
suffi.
Il rappelle que les échanges de vues préliminaires
sur l'emploi éventuel des armes préstratégiques devront se limiter
à la forme de consultations, sans aborder les questions de fond
(critères politiques et militaires, zones de frappe, etc.). Il
approuve le principe d'une grande unité franco-allemande composée
d'éléments d'active, à qui serait confiée une mission de sécurité
en retrait de ce qu'il est convenu d'appeler la bataille de
l'avant. Il n'exclut pas la possibilité d'engager, selon les
circonstances, l'unité franco-allemande au-delà de cette ligne. En
tout cas, ordonne-t-il, les conversations avec les autorités
allemandes ne devront en aucun cas traiter des conditions d'emploi
de nos armes nucléaires, qui sont, répète-t-il, du seul ressort de
la décision française.
Recevant des instructions écrites, Jean Saulnier
ne se fait pas prier pour y obtempérer. André Giraud non
plus.
Autre lettre du Président au Premier ministre,
concernant les otages. Il lui répète son désir de voir confier à
une personnalité qualifiée le soin d'avoir à connaître, au nom des
autorités françaises, de l'ensemble des aspects du problème des
otages au Liban, et d'assurer le meilleur suivi possible des
démarches entreprises. Il évoque à ce propos le nom de Fernand
Wibaux.
Lundi 5 octobre 1987
La Compagnie de Suez est privatisée. Action
proposée à 317 francs.
Réunion du groupe de coopération militaire
franco-allemand. Le problème posé est celui de la posture de la
future brigade franco-allemande vis-à-vis de sa couverture
nucléaire. On doit définir le mandat qui sera le sien. Dans le
projet, l'expression améliorer les capacités
de défense conventionnelle de l'OTAN en Centre-Europe
implique que la force nucléaire soit engagée. En effet, nous avons
bien obtenu que cette brigade soit placée dans la même position que
le 2e corps français. Mais l'engagement
de cette troupe à demi allemande ne pourra pas être refusé si le
gouvernement allemand le demande pour la défense de son territoire.
L'enverra-t-on alors sans couverture nucléaire ? C'est évidemment
l'objectif des Allemands.
Comme la brigade est un prototype, il s'agit de
savoir si nous nous engageons dans un processus de renforcement de
la capacité de défense conventionnelle de l'OTAN. C'est une
décision majeure, à laquelle le Président est très opposé.
Comme le suggérait Joëlle Kauffmann, Jean-Louis
Bianco et moi recevons M. Wichnewski, le
« M. Otages » allemand. Celui-ci dit des choses intéressantes sur
la situation en Iran et sur la manière dont ils ont eux-mêmes
procédé, mais rien de bien précis sur les otages français. En
revanche, il raconte une anecdote amusante sur les relations entre
le Chancelier Schmidt et François Mitterrand :
Avant 1981, elles étaient
très mauvaises en raison de l'amitié entre Schmidt et le Président
Giscard d'Estaing. Quand le Président Mitterrand a été élu, j'ai
tout fait pour qu'ils se rapprochent. J'ai téléphoné au Chancelier
Schmidt, qui était à Washington, pour lui suggérer de passer par
Paris à son retour des États-Unis. Il était plus que réticent. Or,
ce genre de communication est écouté par tous les services secrets
de la planète. J'ai ajouté : « Comme convenu, j'ai prévenu nos
voisins que tu iras les voir à ton retour de Washington. » Schmidt
a protesté : « Espèce de salaud, tu n'as pas le droit de dire cela
! » Mais il a été obligé de venir à Paris, puisque tout le monde
avait entendu... L'entretien avec le Président Mitterrand se passa
très bien et, à son retour à Bonn, Schmidt confia à des
journalistes qu'il était content de cette visite, précisant :
«Heureusement que j'ai lutté contre la bureaucratie qui voulait
m'en empêcher... »
Combien d'histoires de ce genre n'ai-je pas
connues... ?
Mardi 6 octobre
1987
François Mitterrand part pour un voyage d'État en
Argentine. Contrairement aux usages et au protocole, le Premier
ministre n'est pas venu à Roissy le saluer à son départ. Il n'en a
pas prévenu le Président. Le secrétaire général du gouvernement a
simplement dit à Henri de Coignac, chef du protocole : Le Premier ministre ne viendra pas, M. Giraud le remplacera, sans indiquer le motif de
cette absence.
Parmi les propos qu'André
Giraud tient aux uns et aux autres en attendant le
Président, deux réflexions significatives :
- Il y a un truc qu'on n'aura pas fait, et c'est vraiment
dommage, c'est l'amortissement à la discrétion des
entreprises.
- Il faut désespérer Billancourt...
Dans l'avion, François Mitterrand invite à
déjeuner les ministres qui l'accompagnent, dont Gérard Longuet et
Alain Juppé.
La conversation, au début un peu guindée, se
détend. Le Président déploie toutes les facettes de son charme. Il
les interroge sur leurs goûts, leurs envies, leurs regrets.
Alain Juppé finit par reconnaître que la
vie politique dévore la vie tout court et qu'il souffre de n'avoir
plus le temps pour rien.
François Mitterrand
compatit : Ah, sous la IVe, on savait encore prendre le
temps de vivre ! Si on ratait un gouvernement, eh bien, on prenait
le suivant ! Les opportunités ne manquaient pas. Mais, sous la
Ve, chacun songe à la
présidentielle et a peur, s'il rate un tour, d'être dépassé la fois
d'après. Sept ans, c'est très long !
Mercredi 7 octobre
1987
A Buenos Aires, à propos du soutien apporté par la
France au général pakistanais Yacoub Khan, candidat à la direction
générale de l'UNESCO, le Président dit à
Jean-Bernard Raimond : Cela ne m'enthousiasme
pas, mais c'est vrai que le choix est difficile. On verra ce que
l'on fait au deuxième ou au troisième tour.
Le porte-parole du Quai d'Orsay fait savoir que la
France soutient Yacoub Khan avec l'accord total du Président.
Réception à l'ambassade de France. François Mitterrand lance aux ministres qui
l'accompagnent : Ce que mes amis ne
parviennent pas à me décider de faire, vous, vous l'obtiendrez de
moi sans difficulté. Vos divisions assurent ma réélection. Chacun
de vos candidats préférera me voir élu plutôt que son rival
!
Jeudi 8 octobre
1987
Robert Hersant menace d'interrompre les émissions
de la Cinq si le réseau de diffusion ne s'étend pas
rapidement.
L'Assemblée vote la mise en accusation de
Christian Nucci devant la Haute Cour.
Trois heures avant de quitter Buenos Aires,
Jean-Bernard Raimond prévient le Président qu'il va devoir quitter
le voyage officiel en raison de son entretien avec le ministre
sud-africain Piet Botha, de passage à Paris sans que l'Élysée en
ait été informé. Le Président :
Heureusement que tout cela se termine bientôt
! Ces méthodes sont lâches et fourbes.
A Paris, Laurent Fabius
commente : Le Président de la République est
en Argentine pour saluer une jeune démocratie ; un membre du
gouvernement revient pour saluer une vieille dictature. Tout le
monde fera la différence.
Jolie formule ; Laurent a ce talent-là, parmi
d'autres.
Vendredi 9 octobre
1987
A l'UNESCO, après le retrait du candidat
pakistanais, Jacques Chirac est très tenté par un vote en faveur de
M'Bow, le directeur général sortant, si décrié. La préférence du
Président va au ministre uruguayen des Affaires étrangères, Enrique
Iglesias, mais il ne veut pas faire de drame à ce sujet. Le
Premier ministre téléphone à Jean-Louis
Bianco : Voter pour M'Bow est une
nécessité, tous les Africains le demandent
avec insistance, et refuser provoquerait une crise avec eux.
Le Président donne son accord à condition que l'on vote pour M'Bow
un seul tour.
Jacques Chirac reçoit Piet Botha, ministre
sud-africain des Affaires étrangères.
Incidents à l'Assemblée durant l'examen du projet
de loi contre le trafic des stupéfiants : les députés du Front
national mettent en cause l'absentéisme de ceux de la majorité et
obligent le ministre à recourir à de fréquents scrutins publics.
Lors d'un vote, ils bousculent Françoise de Panafieu, député RPR.
Des insultes sont échangées.
Lundi 12 octobre
1987
Le Monde révèle
qu'Albin Chalandon aurait disposé d'un compte courant alimenté par
des dépôts de capitaux et générateur d'intérêts chez Chaumet, ce
qui serait illégal.
Pierre Juquin annonce sa candidature aux
présidentielles de 1988.
Le Président dit à Renaud Denoix de Saint Marc
qu'il n'est pas enthousiaste pour la nomination de Philippe Massoni
comme préfet « hors sol ». Charles Pasqua argumente beaucoup, fait
valoir des précédents d'ailleurs discutables. Le Président finit
par accepter.
Le gouvernement souhaite nommer Emmanuel Le Roy
Ladurie à la tête de la Bibliothèque nationale. Le Président pense qu'un grand administrateur serait
mieux adapté qu'un grand historien, puis accepte : Ce n'est pas un domaine où je peux leur discuter le droit
de nomination. Mais il faut dire que ce choix est bien
malheureux.
Pour les Houillères, comme le gouvernement
maintient à leurs postes les précédents titulaires, le Président a ce mot : Ce sont
des miraculés.
Mardi 13 octobre
1987
Le cabinet de Jean-Bernard Raimond m'informe du
projet du ministre d'abroger l'article 15 d'un décret du 27 mars
1985 stipulant qu'un diplomate doit avoir servi deux ans à un poste
difficile ou rigoureux pour pouvoir être nommé conseiller de
première classe. Préparé par Claude Cheysson, signé par Roland
Dumas, ce texte répondait à une vieille revendication de la CFDT du
Quai visant à répartir plus équitablement entre les différents
corps les moments ingrats de la carrière auxquels se soustraient
généralement les diplomates issus de l'ENA. Il devait entrer en
vigueur en 1990. Son abrogation sera une satisfaction donnée au
lobby de l'ENA, qui entend protéger les privilèges de ses
membres.
Mercredi 14 octobre
1987
André Giraud n'a plus très envie d'accompagner le
Président, la semaine prochaine, dans son voyage d'État en RFA,
comme il était prévu. Jacques Chirac veut insister. Le Président l'arrête : Cela
m'est absolument égal. Je serai aussi bien sans lui.
Pierre Juquin est exclu du PCF par le Comité
central.
Chute record de la Bourse de New York (4 %),
entraînant des baisses sur les autres places financières. Phénomène
d'autant plus inquiétant qu'il n'existe pas de volonté politique de
réduire le déficit budgétaire aux États-Unis, alors que la forte
demande intérieure continue de peser sur le déficit extérieur :
15,7 milliards de dollars en août !
Jeudi 15 octobre
1987
Dans une interview au Figaro, André Giraud développe la doctrine de la riposte
graduée : Les pays européens devraient
reconstituer les échelons intermédiaires de la dissuasion
nucléaire. Il se déclare contre tout désarmement. Étonnant !
Comment un haut fonctionnaire peut-il, devenu ministre, perdre
ainsi tout sens de la discipline ?
François Mitterrand est
excédé : C'est absurde, il expose la doctrine
américaine !
Vendredi 16 octobre
1987
Déjeuner avec Michel
Rocard : Je serai candidat, quoi qu'il
arrive. Je ne serai évidemment pas en position d'être élu, mais
j'apporterai mes voix au second tour à François
Mitterrand.
Le Président, à qui je
rapporte ces propos, hausse les épaules : Rocard est en campagne depuis deux ans. Cette fois-ci, il
ne pourra pas dire que je l'ai gêné. Mais, si je ne me présente
pas, il sera battu. C'est un fait. Et c'est dommage.
Panique à Wall Street : le Dow Jones perd 108,36
points dans la journée. Les plus optimistes se rassurent en
relevant que la baisse n'est que de 4,6 % en volume, alors qu'elle
avait été de 12,9 % lors du célèbre « jeudi noir » de 1929. A la
clôture, la chute paraît enrayée.
C'est la plus violente crise boursière depuis la
Grande Dépression. Pas du tout inattendue. On va voir si l'accord
du Louvre fonctionne. Il a été conçu exactement pour ce genre de
situation.
Samedi 17 octobre
1987
Avec quelques collaborateurs, le Président met au
point sa conception de l'« ultime avertissement » en matière d'arme
préstratégique, conception qu'il souhaite exposer à plusieurs
reprises au cours de sa visite d'État en RFA, à partir de lundi. Il
est entendu qu'on ne parlera pas en public du Conseil monétaire ni
du Conseil de Défense. Maintenant que Jacques Chirac a donné son
accord, on en réserve l'annonce pour les consultations
franco-allemandes de novembre.
François Mitterrand nous
confie : En matière de défense, M. Chirac ne
pense rien, ou plutôt ses convictions varient suivant le moment. M.
Giraud, lui, c'est plutôt la tendance MRP des années 50. Il parle
de la notion de protection nucléaire des soldats français, donc du
sol allemand, et il en arrive à une double clé franco-allemande sur
nos armes, ce qui n'a aucun sens. Il ne peut pas y avoir d'arme
commune sans stratégie commune. Or les stratégies française et
allemande sont différentes, parce que notre statut nucléaire est
différent. C'est la même erreur que pour la CED. Elle devait suivre
un acte politique au lieu de le précéder.
A propos de l'ultime avertissement tactique :
C'est l'agresseur qu'il faut avertir, et cela
passe par le téléphone, pas par une arme lancée sur
l'Allemagne.
A New York, James Baker, secrétaire d'État au
Trésor, accuse la RFA de ne pas respecter les accords du Louvre en
laissant monter excessivement ses taux d'intérêt. Il menace de
relever les taux américains et de laisser dériver le dollar. C'est
la panique.
Lundi 19 octobre
1987
« Lundi noir » à Wall Street. Le Dow Jones baisse
de 22,6 %. La chute des grandes places mondiales est vertigineuse.
C'est le krach le plus important de l' Histoire. Londres : -10,1 %
; Francfort : -13 % ; Zurich : -15 % ; Tokyo : -14,9%;
Paris:-9,7%.
C'en est bien fini des accords du Louvre ; faute
de moyens financiers suffisants, le dollar est en chute libre. Les
Bourses asiatiques sont toutes à la baisse. Et maintenant, on va
ouvrir les vannes ! Cette crise va provoquer une relance de
l'économie réelle contre l'économie financière.
Federico Mayor est élu directeur du Conseil
exécutif de l'UNESCO. La France a voté pour lui.
Avant de quitter Paris pour sa visite d'État en
RFA, François Mitterrand voit Jacques Chirac à l'aéroport et lui
dit ce qu'il pense de déclarations d'André Giraud au Figaro
reprenant son idée d'ultime avertissement nucléaire.
François Mitterrand :
C'est une hérésie.
Jacques Chirac :
Je le lui ai dit.
Les deux hommes s'apprécient davantage. Jacques
Chirac a appris à parler au Président. Et François Mitterrand à
l'écouter.
La marine américaine attaque deux plates-formes
pétrolières iraniennes dans le golfe Persique.
Dans l'avion, le Président
: L'ultime avertissement est un concept
idiot. L'arme nucléaire n'est pas un avertissement.
Arrivée à Bonn. Rencontre avec Helmut Kohl :
François Mitterrand :
Nous sommes placés devant une menace
stratégique, nous devons donc menacer avec des armes stratégiques,
c'est-à-dire menacer le territoire soviétique. En France, certains
veulent toujours croire que la guerre nucléaire ressemblerait à une
guerre classique. On ne peut empêcher les gens d'être bêtes. L'arme
nucléaire n'est pas faite pour gagner la guerre, mais pour
l'empêcher. Les Soviétiques ne feront jamais la guerre en Europe,
sauf si leur territoire est menacé. Ils n'ont pas intérêt à
conquérir une Europe qui serait ruinée par un désastre. Il n'y a
pas assez de place en Europe pour des bombes et pour des hommes.
Quant aux Américains, ils n'ont pas envie d'une guerre générale qui
menacerait New York et Chicago. Chaque fois qu'ils auront un
prétexte pour ne pas s'engager pleinement à nos côtés, ils
prendront ce prétexte. C'est pourquoi je désapprouve la riposte
graduée, car il faut que la responsabilité des États-Unis soit
entièrement engagée à nos côtés dès le début.
Helmut Kohl : Malheureusement, Mme Thatcher est d'un autre
avis.
François Mitterrand :
Elle est en effet favorable à la doctrine
officielle de l'OTAN. Je considère que c'est une
faute.
Je vous rappelle que Mme
Thatcher m'a demandé, lors du dîner du premier soir, à Venise : «
Si les Soviétiques arrivent à Bonn, que faites-vous ? » Question
idiote ! Il faut se poser la question avant : comment empêcher les
Soviétiques d'espérer tirer de la guerre un avantage quelconque ?
La guerre doit présenter plus de dangers que d'avantages. Les
Alliés doivent faire savoir qu'en cas de menace grave, toutes leurs
armes sont dirigées sur l'URSS. Tout est stratégique. La valeur des
armes intermédiaires ou tactiques est modeste. Toutes les armes
soviétiques sont stratégiques pour nous. Elles ne sont
intermédiaires que du point de vue soviéto-américain. Elles
traversent toute la Pologne et la RDA.
Nous devons pouvoir menacer
l'Union soviétique avec des armes stratégiques. C'est ce que fait
la France. C'est ce que doivent faire les États-Unis et le
Royaume-Uni. Mme Thatcher préfère la riposte graduée de l'OTAN.
C'est une faute. Ce n'est pas une façon d'engager les Américains
peu à peu à nos côtés, mais au contraire de les dégager peu à peu.
Il faut leur donner une responsabilité entière dès le début. Alors
seulement il n'y aura pas de guerre ! Pour moi, les armes tactiques
n'ont que peu d'importance. Si elles interviennent, c'est déjà
perdu. On sera déjà en guerre nucléaire. La France, pour l'instant,
a trois cents armes à courte portée pointées sur la RFA. C'est
absurde, on va allonger leur portée !
Helmut Kohl :
Nous sommes les premiers concernés par les
fusées ayant une portée inférieure à 500 kilomètres. Nous voulons
un plafond identique pour les Américains et les Soviétiques, par la
baisse du nombre de celles dont disposent les Soviétiques. Il y
aurait un danger de guerre si l'URSS n'était plus menacée sur son
territoire.
François Mitterrand :
La riposte graduée est pour moi une chose
imaginaire. Si j'avais la liberté et le temps d'écrire, j'écrirais
un livre dont le titre serait : Le Canon de Coblence
(une arme inutile et bloquée pour décrire la
défense de l'OTAN). Les Soviétiques n'ont pas d'intérêt à pousser
l'Europe au désastre, car il n'y a pas de place en Europe
occidentale pour l'usage de la bombe nucléaire.
Dans la soirée, François
Mitterrand réfléchit tout haut devant moi sur la stratégie
de défense de la France : La France ne va pas
déclarer la guerre nucléaire parce qu'un bataillon allemand serait
enfoncé. Jamais je ne donnerai l'ordre de tirer une bombe sur le
territoire allemand. La dissuasion devra jouer avant, et c'est la
dissuasion de l'Alliance tout entière qui est en jeu.
Mardi 20 octobre
1987
Helmut Kohl propose de consacrer le prochain
Sommet franco-allemand, dans quelques jours, à la brigade commune
et au TGV Paris-Cologne. Il insiste aussi beaucoup pour que l'on
approuve les négociations que je mène avec Horst Teltschik depuis
six mois sur le Conseil de Défense et le Conseil économique. C'est
d'accord : on les annoncera aussi au prochain Sommet
franco-allemand.
Le Président se montre
très sévère à l'égard du Parti socialiste, qui ne fait rien pour
critiquer le gouvernement : Des imbéciles
doublés de paresseux. Il est
furieux des critiques feutrées
des socialistes qu'on lui rapporte :
Ils me reprochent de ne pas tout chambouler ?
Mais moi, je suis un partisan d'Épictète : ce sur quoi je peux
agir, j'agis. Ce sur quoi je ne peux pas agir, je n'agis pas.
Permettez-moi de trouver cela plus efficace que de lutter contre
des moulins à vent.
Le rapport des « sages » sur la Sécurité sociale
est remis à Jacques Chirac.
Les transferts de capitaux enregistrés à New York
ces derniers jours ont atteint 1 000 milliards de dollars ! Rien à
voir avec les quelques centaines de millions qui nous
déstabilisaient en 1983. La globalisation des marchés a fait
changer de nature la spéculation.
Mercredi 21 octobre
1987
L'affaire Gordji est au point mort. L'Iranien se
trouve toujours à son ambassade. Rien ne permet de penser qu'il en
sortira rapidement.
Le Président est à
Aix-la-Chapelle ; dans un discours, il révèle publiquement ce qu'il
dit en privé au Chancelier depuis trois mois : Il ne faut pas partir du postulat selon lequel la France
aurait pour objectif d'adresser un avertissement à l'adversaire sur
le territoire allemand. La stratégie de la France (...), c'est tout
simplement d'atteindre directement le sol de l'agresseur, et il est
devenu hors de question que la RFA puisse être le pays
agresseur.
Vous, Allemands, ne devez pas
vous tourner vers la France pour lui dire : « C'est à vous
d'assurer notre couverture. » Vous devez dire : « C'est à
l'Alliance de jouer. » Elle seule a la dimension de le faire dans
le premier quart d'heure. Elle doit agir en amont de la guerre pour
l'interdire, et non pas en aval pour la gagner, car il ne resterait
rien à gagner. Si l'adversaire éventuel est persuadé de cette
vérité, il n'y aura pas de guerre. Cessons de vouloir gagner la
guerre, dépêchons-nous de l'interdire !
Dans la soirée, au dîner offert par M. Albrecht
dans le magnifique château de Herrenhausen, François Mitterrand
improvise une longue fresque des relations franco-allemandes au
XXe siècle. J'attends une remarque sur
le nazisme. Elle ne vient pas.
Le Président
: Je suis né pendant la Première Guerre
mondiale et j'avais l'âge d'être soldat lors de la Deuxième Guerre
mondiale. J'ai été prisonnier de guerre en Allemagne, c'est comme
cela que j'ai connu votre pays. Je vous ai quittés sans vous
demander votre permission. Cependant, vous m'aviez donné le temps
de réfléchir...
Je me souviens, alors que je
venais d'être arrêté après une évasion manquée, j'étais entouré de
quelques soldats qui m'amenaient à nouveau en prison. Une vieille
dame allemande a écarté les soldats, m'a donné du pain et une
saucisse. C'était au mois d'avril 1941, elle m'a dit : « Monsieur,
j'espère que cela vous fera aimer l'Allemagne. »
Je dois dire que beaucoup de
faits m'ont permis d'aimer l'Allemagne tout en accomplissant mon
devoir à l'égard de mon propre pays. Au fond, c'est une histoire
banale. Elle a été partagée par des millions d'hommes en Europe,
les hommes de ma génération. Les plus jeunes ont vécu d'autres
expériences, c'est leur vie, ce n'est
pas la même. Peut-être n'ont-ils pas pu éprouver à ce point la
nécessité d'en finir avec un état de crise permanent, l'animosité
entretenue, le nationalisme affronté. Bref, il fallait changer le
cours des choses.
Précisément, dans cette
Allemagne où j'ai vécu les quelques événements que je vous
racontais, j'étais étonné de rencontrer des Allemands qui ne
correspondaient pas au schéma que je m'étais fait d'eux dans ma
jeunesse. Je me disais : mais les Allemands ne nous détestent pas !
ll doit bien y avoir quelques Allemands qui ont vécu la même
expérience et qui ont découvert que les Français ne les détestaient
pas. Il fallait donc changer le cours des choses. Passer par-dessus
les deuils, les blessures de toutes sortes, les
ruptures...
« Les Allemands ne nous
détestent pas !... » Ce discours sonne à mes oreilles comme
une justification de la Collaboration. Pas un mot sur la
spécificité du nazisme, sur le caractère spécifique de la lutte
pour la démocratie. Pas un mot pour différencier la Première Guerre
mondiale de la Seconde, comme chez Céline. Maladresse ? Volonté de
ne pas indisposer nos hôtes ? Je crains en tout cas que la presse,
présente, ne le relève et que cela ne fasse demain scandale à
Paris.
(Il n'en sera rien...)
Jeudi 22 octobre
1987
Édouard Balladur écrit à
James Baker, secrétaire au Trésor américain, à propos de la crise
boursière. Il propose que les suppléants des ministres, en liaison
avec les Banques centrales, soumettent rapidement aux ministres une
analyse conjointe des événements survenus récemment sur les
marchés. Il suggère de progresser dans la mise en œuvre
opérationnelle de la surveillance et son perfectionnement en
retenant, en particulier, un index d'inflation mondiale clair et
crédible, la diversification des avoirs de réserve de chacun des
partenaires, le renforcement de la coopération entre Banques
centrales, l'amélioration du « système du Louvre », c'est-à-dire
l'augmentation des moyens d'intervention mis en commun pour faire
face à la crise.
Lettre très sage. Demande raisonnable.
Édouard Balladur annonce le report de la
privatisation de Matra en raison des problèmes boursiers.
A Hanovre, François Mitterrand
: On ne peut pas découper les
avertissements nucléaires en petits morceaux. Toute interprétation
qui tendrait à dire que l'on fait un presque ultime avertissement
le lundi, un deuxième un peu plus ultime le mardi, un troisième qui
le serait encore plus le mercredi, pour lancer l'ultime le
samedi..., eh bien, entre le lundi et le samedi, il se serait passé
beaucoup de choses qui ne permettraient sans doute pas d'arriver à
l'ultime !
Samedi 24 octobre
1987
A Papeete, affrontements entre dockers et forces
de l'ordre, puis émeute dans le centre-ville. L'état d'urgence et
le couvre-feu sont décrétés.
Tarek Aziz, ministre irakien des Affaires
étrangères, est venu à Paris sans que l'Élysée en sache rien. Nous
sommes toujours privés de télégrammes essentiels.
Lundi 26 octobre
1987
François Mitterrand :
Chacun de mes anniversaires est une victoire
contre le temps. J'ai le sentiment d'avoir gagné une petite
bataille contre un ennemi imaginaire qui, de toute façon, gagnera
la guerre.
La danse au bord de la falaise se poursuit :
nouveau « lundi noir » sur les places boursières. Les opérateurs
s'inquiètent du retard apporté à la réduction du déficit budgétaire
américain et anticipent sur une révision à la baisse des « bandes
de fluctuation » par le G7.
Le Président, à Renaud
Denoix de Saint Marc : J'ai été un peu froissé
de voir que M. Madelin a annoncé sur Europe 1, ce matin,
c'est-à-dire deux jours avant le Conseil, les mesures proposées par
le gouvernement à propos de la Régie Renault. Je ne suis pas un
maniaque de la forme, mais je considère que j'ai encore la maîtrise
de l'ordre du jour du Conseil des ministres.
Renaud Denoix de Saint Marc
: Oui, oui, monsieur le Président. Vous
avez absolument raison.
Le Président :
Vous avez le sens de l'État, j'aimerais que
vous le disiez aux ministres.
A propos d'Henri Guillaume, qui quitte le
commissariat au Plan, François Mitterrand
: Dès lors qu'une sortie honorable lui
est trouvée, je n'ai aucune raison d'être désagréable envers M. de
Charette. D'autant que l'on me dit que M. Fragonard [son
successeur] est quelqu'un de
bien.
Le Président s'étonne que l'on n'ait pas prévu de
parler en Conseil des ministres des problèmes de la
Polynésie.
Mardi 27 octobre
1987
Michel Droit, membre de la CNCL, est inculpé de
forfaiture dans le cadre de l'enquête sur les conditions
d'autorisation des radios privées parisiennes. On le soupçonne
d'avoir favorisé l'une d'entre elles.
Mercredi 28 octobre
1987
Avant le Conseil, François Mitterrand s'entretient
avec Jacques Chirac à propos du projet de Conseil de Défense
franco-allemand. Le Président insiste
pour obtenir que l'annonce en soit faite dans trois semaines :
Il nous faut déterminer la méthode pour suivre
l'embryon de négociations engagées sur l'initiative du Chancelier
Kohl. Sur le fond, monsieur le Premier ministre, je crois que nous
sommes bien d'accord. Les initiatives allemandes sont bonnes. Elles
méritent d'être soigneusement étudiées pour ne pas nous entraîner
là où nous ne voulons pas aller. L'objectif est clair: c'est une
défense commune européenne commençant par un bon accord
franco-allemand. C'est évidemment un objectif difficile à
atteindre. Je pense que c'est maintenant aux ministres des Affaires
étrangères de reprendre la négociation sur la voie qui a été
tracée.
Jacques Chirac :
Je suis tout à fait d'accord. La campagne
électorale est un moment privilégié pour les polémiques. Nous avons
la chance d'avoir tenu jusqu'ici les questions de défense à l'écart
des polémiques ; il faut continuer.
Lisant une note de François Bujon, le Premier
ministre propose de lier ce Conseil de défense à un Conseil
économique, comme si c'était là une idée nouvelle. Il s'emballe :
Il nefallait rien lâcher sur la défense sans
obtenir quelque chose sur le monétaire ! C'est exactement ce
à quoi je m'emploie depuis des mois. Le Président m'empêche
d'intervenir alors que je m'apprête à répondre. Il dit à Jacques
Chirac : Je vous écrirai
là-dessus.
Les choses sont trop sérieuses pour être seulement
dites. Il veut une trace pour l'Histoire. Ou pour la campagne
électorale...
Le Président aborde ensuite un autre sujet : la
nomination du chef d'état-major des armées. Quand s'est posée la
question du choix du secrétaire général de la Défense nationale, et
dans la mesure où le général Forray faisait un candidat tout à fait
valable au poste de chef d'état-major général, il avait été convenu
entre le Président et le Premier ministre que le général Saulnier
serait maintenu à son poste jusqu'à l'élection présidentielle. Le
général Forray a pu ainsi prendre le poste de secrétaire général de
la Défense nationale tout en conservant ses chances de succéder
ultérieurement au général Saulnier. Là-dessus existait un
engagement tout à fait formel et réitéré du Premier ministre. Mais,
brusquement, le Président s'incline :
Je reviens sur le souhait que j'avais formé:
ne pas nommer un nouveau chef d'état-major des armées peu de temps
avant l'élection présidentielle. Cela me paraissait préférable du
point de vue du prochain Président de la République. Le ministre de
la Défense s'y refuse. Je n'y peux rien. Il y a trois candidats qui
me paraissent tous avoir les qualités requises: l'amiral Louzeau,
le général Schmitt et le général Forray. On ne peut pas faire
partir le général Forray du poste de secrétaire général de la
Défense nationale où il vient d'être nommé. Je pense donc que le
meilleur choix est le général Schmitt.
Jacques Chirac :
Je suis d'accord.
Le Premier ministre jubile. Il a fait plier le
Président sur une nomination essentielle. L'entêtement d'André
Giraud a payé.
Au cours du Conseil, remontrance du Président à
propos de la déclaration d'Alain Madelin sur Renault.
Édouard Balladur présente le changement de statut
de la Régie. François Mitterrand
: Vous estimez qu'il faut le faire. C'est
l'affaire du gouvernement. Après la guerre, on pouvait s'interroger
sur la nationalisation, elle a été faite. Je ne ferai pas d'autre
observation.
Bernard Pons parle de la Polynésie et des
événements qui viennent de s'y dérouler.
François Mitterrand :
Sur une matière aussi sensible que celle-ci,
il faut aller un peu plus loin que l'explication immédiate. Comment
peut-on restaurer le dialogue social ? C'est l'affaire du
gouvernement et des forces en présence. Il faut respecter la
dignité de toutes les populations en cause et veiller à ce que cela
ne déborde pas en revendication par rapport à la France elle-même.
Le président du gouvernement du territoire devait venir me voir. Il
a retardé cette visite et m'a écrit avant les événements pour me
faire part de son inquiétude. Je vous demanderai d'être
vigilant.
Dans l'après-midi, le Président me dit qu'en
répondant à Jacques Chirac sur le projet de coopération
franco-allemande, il compte lui rappeler qu'au cours de mes
conversations avec Horst Teltschik, j'ai toujours lié la discussion
sur la création d'un Conseil de Défense à celle touchant l'avenir
du Système monétaire européen et le renforcement de la coopération
économique. Il lui citera en guise de preuve ses propres
déclarations publiques en RFA de la semaine dernière, en
particulier ce passage-ci :
Le Conseil de Défense est
une très bonne initiative et doit répondre à un certain nombre de
conditions dont il faut débattre. Il faut que cela fasse partie
d'un tout. Une armée n'est pas seule au monde. Deux années ne
manœuvrent pas isolément, une armée est composée de soldats, ces
soldats doivent avoir des ordres, ces ordres doivent correspondre à
des desseins, la définition de ces desseins est forcément
politique. Si on veut faire avancer l'Europe, il faut la faire
avancer en même temps sur le terrain de la défense, sur le terrain
de la monnaie, sur le terrain de la technologie, etc. C'est une
discussion très importante. Je souhaite qu'elle aboutisse, vous
l'avez tous compris, et nous n'en sommes pas au point où je puisse
vous répondre comme si on en avait terminé avec les conversations.
Nous n'en sommes qu'au début.
Les choses sont ainsi établies. Pas question pour
Chirac de se prétendre l'inventeur du lien entre économie et
défense. Ni de prétendre que la France a bradé l'arme nucléaire en
échange de rien.
Jeudi 29 octobre
1987
Pas question pour moi de boucler la négociation
avec Horst Teltschik sans y associer les ministères des Affaires
étrangères et de la Défense. Mais Teltschik m'apprend que François
Bujon veut le voir à ce sujet. Matignon souhaite négocier seul. Je
propose donc à Bujon de le rencontrer ensemble. Il refuse et
préfère annuler son voyage à Bonn plutôt que d'y aller avec moi
!
Scandale : les sept auteurs de l'embuscade de
Hienghène qui, le 5 décembre 1984, a entraîné la mort de dix
Mélanésiens indépendantistes, sont acquittés par la cour d'assises
de Nouméa. Tjibaou (dont deux frères figurent parmi les victimes)
et Yeiwéné protestent violemment.
Le juge d'instruction Alain Verleene confirme
l'inculpation du commandant Prouteau pour subornation de témoins
dans l'affaire des « Irlandais de Vincennes ».
Stabilisation des cours boursiers internationaux.
La panique semble enrayée. Pas trop tôt !
Vendredi 30 octobre
1987
Près de 200 tonnes d'armes et de munitions qui
proviendraient de Libye et seraient destinées à l'IRA sont saisies
sur un navire au large de l'île de Batz.
Lundi 2 novembre 1987
6 milliards de dollars sont sortis la semaine
dernière pour défendre le franc.
François Mitterrand me
confie : Je déciderai de ma candidature avant
la fin de l'année.
Mercredi 4 novembre
1987
Publication par Le
Figaro du rapport Barba sur l'affaire Luchaire. Il y est
écrit que Charles Hernu et Jean-François Dubos ont couvert des
exportations illicites d'armes vers l'Iran par Luchaire. Le patron
de la Gendarmerie n'exclut pas que le Parti socialiste ait reçu des
commissions. Luchaire aurait vendu 400 000 obus à l'Iran.
François Mitterrand est furieux que le général
Warin ait pu faire une déclaration pareille à Barba. André Giraud
annonce que le rapport va être déclassifié, c'est-à-dire rendu public.
Juste avant le Conseil, François Mitterrand met en garde Jacques Chirac à
propos de l'affaire Luchaire : Vous avez eu
tort de la déclencher.
Le Conseil des ministres adopte le statut proposé
par Bernard Pons pour la Nouvelle-Calédonie. François Mitterrand exprime de sérieuses réserves :
Indépendamment du contenu du texte, beaucoup
tient au climat. Je ne suis pas sûr que le climat soit à
l'apaisement. Je crains que ces mesures, dont certaines sont
discutables, ne deviennent intolérables pour une large fraction de
la population.
Dans son compte rendu, évoquant l'affaire
Luchaire, Alain Juppé met en cause
les plus hautes autorités de l'État,
qui, selon lui, ne pouvaient pas ne pas être au courant de ce
trafic. Honteux !
Le Président reçoit à déjeuner Pierre Joxe, Louis
Mermaz, Gilles Ménage et Jean-Louis Bianco. Ils abordent l'affaire
Luchaire. François Mitterrand :
J'ai toujours été hostile aux livraisons
d'armement à l'Irak et à l'Iran. Vous vous rappelez, quand Mauroy
et Hernu ont renouvelé certains contrats avec l'Irak, je suis
entré, ce qui m'arrive rarement, dans une grande colère. Je leur ai
dit: « C'est une responsabilité écrasante que vous n'auriez pas dû
assumer. » Cela dit, il y avait une justification d'ordre
géostratégique à poursuivre au moins une certaine forme d'aide à
l'Irak dès lors qu'elle avait été engagée avant nous. De la même
manière, je me suis toujours opposé aux livraisons d'armes à l'Iran
chaque fois que la question était soulevée.
François Mitterrand raconte ensuite ses entretiens
avec l'amiral Lacoste, ses consultations avec Charles Hernu et
Claude Cheysson sur l'opportunité de livrer officiellement des
armes à l'Iran. Il rappelle qu'il a alors tranché par la négative,
suivant en cela l'avis de Claude Cheysson.
Le Président :
C'est moi qui ai demandé à Quilès de faire une
enquête sur l'affaire Luchaire et de porter plainte au nom de
l'État. J'ai refusé au gouvernement Chirac toute démarche
permettant de s'entendre avec l'Iran au prix que l'Iran demandait,
c'est-à-dire la livraison d'armes. Les Iraniens connaissent bien ma
position, ce qui rend ridicule la tentative de m'impliquer dans
l'affaire Luchaire. De qui ont-ils souhaité le succès en mars 1986
? Qui ont-ils choisi comme partenaires politiques privilégiés ? Si
c'était nécessaire, je peux vous rassurer, tout est limpide du côté
de l'Élysée. Le problème, pour Giraud, c'est qu'il voudrait
compromettre les socialistes sans compromettre les
militaires.
Pour ce qui concerne ma
propre défense, j'en fais mon affaire. Je n'ai pas d'inquiétudes
!
Toute affaire est comme la
vie : elle naît, elle se développe, elle meurt. Dans le cas
présent, on est encore dans la période de croissance, on ne voit
pas le vieillard près de la tombe, on voit le jeune homme musclé.
Si je vous ai donné tous ces détails, c'est pour que vous ayez une
certitude morale. Dans les débats que nous aurons à affronter, la
conviction intérieure compte par-dessus tout.
Cinq Irlandais sont inculpés par le juge Bruguière
après la saisie de la cargaison d'armes et de munitions au large de
l'île de Batz.
Jeudi 5 novembre
1987
Au cours du déjeuner, le
Président me dit : La France ne peut
être lancée dans une guerre nucléaire sans l'avoir voulue. C'est
quelque chose que l'on ne peut pas partager; on ne peut pas laisser
le sort du pays dépendre d'une mouche qui piquerait M. Reagan ou
Mme Thatcher!
Vendredi 6 novembre
1987
Très grande nervosité en Nouvelle-Calédonie : un
jeune Canaque est tué par des gendarmes près de Nouméa au cours
d'une opération de police judiciaire.
François Mitterrand
s'inquiète : Hernu a-t-il été impliqué dans
l'affaire Luchaire ? Je ne crois pas. C'est une affaire montée de
toutes pièces à Matignon.
Le rapport Barba affirme que le cabinet de Charles
Hernu a été averti du trafic dès le 25 janvier 1984 par la Sécurité
militaire. Des collaborateurs d'Hernu à Villeurbanne auraient
touché des commissions.
Le Président :
S'il y a des gens malhonnêtes, ils devront
payer. Mais il ne faut pas que la sévérité soit sélective. Autour
de la politique, il y a toujours des gens douteux : c'est un milieu
que j'évite d'approcher depuis quarante ans.
Samedi 7 novembre
1987
Nouvelle lettre du Président au Premier ministre.
Il demande qu'on lui communique la liste des autorisations
d'exportation d'armement et de matériel de guerre qui auraient été
éventuellement accordées à la société Luchaire depuis mars
1986.
En Tunisie, destitution d'Habib Bourguiba par Zine
El Abidine Ben Ali, son Premier ministre.
Réunion des sherpas à
Vancouver, ou plutôt dans une île au large de Vancouver, la pointe
extrême-occidentale de l'Occident. Superbe auberge en bois.
Première discussion sérieuse des responsables du G7 sur la crise
financière qui vient de secouer le monde. Aucune réunion publique
n'a pu jusqu'ici être organisée par crainte d'affoler davantage
encore les marchés.
Consensus sur les conséquences : la baisse du
dollar devrait se poursuivre sans qu'on puisse lui fixer de limite
; la croissance devrait se réduire d'au moins 2 % aux États-Unis et
de 1 % en Europe ; devraient s'ajouter aux États-Unis une hausse de
l'inflation, une aggravation du déficit extérieur et, à terme, une
hausse des taux d'intérêt. On ne peut exclure un accord minimal
entre le Président américain et le Congrès pour réduire le déficit
budgétaire de 20 milliards de dollars. Mais cela sera sans
effet.
En revanche, l'analyse des causes est très
variée.
Pour le sherpa
américain, la crise résulte d'une crainte de l'élection, en
novembre, d'un Président démocrate qui augmenterait les impôts. Les
accords du Louvre ont tout aggravé, car la stabilisation des taux
de change, en poussant les taux d'intérêt à la hausse, ont fait
chuter la Bourse, alors que l'économie
américaine est saine. Ce point de vue, qui est celui du
Président américain, révèle l'isolement, au sein de
l'Administration américaine, de James Baker et David Mulford, qui
ont négocié les accords du Louvre.
Les Européens protestent contre cette analyse: la
crise provient au contraire du déficit budgétaire américain :
sans les accords du Louvre, on serait déjà en
récession. Hans Titmeyer se lance dans un impitoyable
réquisitoire contre la démagogie budgétaire américaine.
Pour le sherpa
japonais, la crise boursière est un premier signe de désastre qui
sera suivi d'autres si les Américains ne réduisent pas leurs
déficits. À ses yeux, réunir les ministres des Finances des Sept ne
servirait à rien, car il n'y a rien à discuter de concret et de
consensuel. Il ajoute joliment : Je ne joue
pas au poker quand je n'ai pas de cartes.
Au total, chacun se prépare à expliquer à sa façon
la déroute de la coopération internationale à laquelle tous
assistent impuissants.
Dans la nuit, je regarde à la télévision un
talk-show sur une chaîne locale : une
conversation en direct réunissant un public aimable et un condamné
à mort mineur attendant avec terreur son exécution. Puis
l'animateur enjoué passe à un autre sujet : faut-il que les
propriétaires de chiens testent eux-mêmes la nourriture de leurs
animaux ?
Lundi 9 novembre
1987
Li Xiannian effectue en France la première visite
d'État d'un Président chinois. Rien de significatif.
Conséquence en France de la crise mondiale : la
première cotation de l'action Suez s'établit à 17,6 % au-dessous de
son cours de privatisation, à 261 francs contre 317 le jour de
l'OPV. Consternation au ministère des Finances.
Petite querelle d'antériorité : Jacques Chirac
envoie une lettre à François Mitterrand l'informant qu'il a écrit à
Helmut Kohl pour approuver le Conseil de Défense et le Conseil
monétaire. Cette négociation a été entièrement menée de l'Élysée.
Matignon a tout fait depuis des mois pour la ralentir. Et voilà que
le Premier ministre éprouve le besoin de l'approuver auprès de
Bonn, sans doute pour se préparer à dire au prochain Sommet
franco-allemand que tout cela s'est fait grâce à lui !
En fait, les Allemands ont bien d'autres soucis
que ces enfantillages français : Jacques Delors me prévient qu'ils
vont demander la réunion, dimanche prochain, du Conseil des
ministres des Finances. La crise monétaire internationale fait des
ravages. La pression à la réévaluation du mark est aussi une
pression à la dévaluation du franc.
Mardi 10 novembre
1987
Avant le Conseil des ministres, au cours de son
entretien avec Jacques Chirac, comme il est question de signer un
accord international avec les Comores, François
Mitterrand lâche : Comores, Trinidad,
Tobago prennent une importance... Comme si cela suffisait à
justifier nos réunions !
Au Conseil, rien de particulier à signaler.
Tout est prêt avec Horst Teltschik. Notre double
architecture est au point. Malheureusement, le Conseil monétaire
restera au niveau ministériel. Édouard Balladur tient en effet à ce
que cette instance demeure au niveau des ministres : les Finances
ne sont pour rien dans ces négociations, mais elles s'imposent afin
que la monnaie ne leur échappe pas. Cet enjeu n'est pas dérisoire :
réussira-ton, dans la construction européenne, à faire de la
monnaie l'instrument d'une politique, ou bien celle-ci ne
sera-t-elle que l'instrument de la politique monétaire ? Ce débat,
je le devine, va nous poursuivre longtemps.
Annonce publique dans deux jours.
Mercredi 11 novembre
1987
Un tableau de Van Gogh, Les
Iris, est vendu 49 millions de dollars.
Jeudi 12 novembre
1987
50e Sommet
franco-allemand à Karlsruhe. On y confirme la volonté commune
d'élargir la coopération des deux pays en matière de défense et de
monnaie.
Mesquinerie de Matignon qui prétend avoir inventé
le Conseil franco-allemand pour la monnaie et l'économie !
À juste titre, la presse trouve nos petites
batailles absurdes.
États généraux de la Sécurité sociale.
Invité de Questions à
domicile, sur TFl, Jacques
Delors n'exclut pas de devenir, le cas échéant, Premier ministre de
Raymond Barre !
Au château de Bruchsal. Même rituel. Dîner
ennuyeux. Deux toasts en fin de dîner. Sans importance.
Vendredi 13 novembre
1987
On signe la déclaration sur la Sécurité et la
Défense :
Nous poursuivrons les
travaux engagés sur la création d'une grande unité militaire
franco-allemande de l'armée de terre. Nous avons approuvé les
premiers résultats de ces travaux. La mission, les structures de
commandement et l'entraînement en commun de cette unité devraient
permettre de donner à la coopération militaire franco-allemande une
impulsion nouvelle.
Nous poursuivrons l'étude
des modalités de mise en œuvre d'un Conseil de sécurité et de
défense conjoint, qui serait chargé d'orienter la coopération entre
les deux pays en matière de sécurité.
Un paragraphe est ajouté à la toute dernière
seconde :
Ce Conseil de sécurité et de
défense sera créé lors du vingt-cinquième anniversaire du traité
d'amitié franco-allemand, le 22 janvier 1988.
Une déclaration sur la coopération économique et
financière est publiée, plus vague :
Nous examinerons ensemble
les modalités de constitution d'une Commission de coordination
franco-allemande dans le domaine économique et financier. Cette
Commission sera créée lors du vingt-cinquième anniversaire du
traité d'amitié franco-allemand, le 22 janvier 1988.
Les ministres français et ouest-allemand des
Finances signent un autre texte sur la crise mondiale :
M. Balladur et M.
Stoltenberg ont évoqué la situation monétaire internationale et les
moyens de la stabiliser. Ils souhaitent qu'à Washington soient
prises sans attendre les décisions sur la réduction du déficit
budgétaire.
François Bujon explique aux journalistes que c'est
lui qui a négocié ces textes !...
François Mitterrand en
est furieux. Il déclare au cours de la conférence de presse :
Lorsque le Chancelier et moi avons, il y a
quelques mois, songé à développer les liens sur le plan de la
défense et de la sécurité, nos représentants, qui ont préparé ces
discussions, avaient déjà, surtout à l'instigation des délégués
français, pensé qu'il convenait d'insérer les problèmes militaires
dans le cadre d'une action politique. On ne fera pas l'Europe sur
le plan technique, ou plutôt on la préparera, mais elle n'existera
qu'autant que tout cela sera cimenté par une volonté politique
traduite par des structures. C'est ainsi qu'il nous a semblé qu'un
développement parallèle pouvait avoir lieu sur les plans économique
et financier. Parallèle, mais pas forcément identique. C'est
pourquoi M. le Premier ministre français et moi-même, nous en avons
discuté au cours des jours précédents, et lui comme moi avons pensé
que c'était une donnée importante de ce qu'il convenait de faire à
Karlsruhe. Et c'est ainsi que la question a été posée et
résolue.
Voilà racontés, avec pudeur et précision, trois
mois de sourdes batailles dans le cadre de la cohabitation.
Samedi 14 novembre
1987
Vu Agan Aganbegyan,
principal conseiller économique de Mikhaïl Gorbatchev. Il cite
Youri Andropov, qui lui disait : Nous ne
connaissons pas notre société. Il nous faut la comprendre pour la
changer radicalement. Rappelant une phrase bien connue de
Lénine : La science doit reposer sur les
faits, pas sur les hommes, il donne une interprétation
plutôt restrictive de la loi de juin 1987 sur la propriété
individuelle et indique que lorsqu'il fait des conférences en Union
soviétique à ce sujet, les gens expriment la crainte que les «
privés » ne profitent de la nouvelle loi pour s'enrichir :
Chez nous, on ne veut pas que l'autre soit
riche. C'est le pilier de la société russe. Il place
beaucoup d'espoirs, dans la propriété coopérative par opposition à
la propriété d'État. Pour lui, le critère du socialisme est
l'absence de l'exploitation du travail du personnel salarié, ce qui
est compatible avec la coopérative : L'ambition principale de la réforme économique est de
passer d'une économie dominée par les producteurs à une économie
dominée par les consommateurs. Il faut en finir avec les ordres
donnés par le centre aux entreprises. La réforme des prix qui est
prévue ne laissera que très peu de prix centralisés : seulement
l'énergie, le pain, le lait et peut-être les loyers.
Dimanche 15 novembre
1987
François Mitterrand reçoit Charles Hernu à Cluny.
Hernu est fou de rage contre Laurent
Fabius, qui, dit-il, l'a lâché encore une
fois dans l'affaire Luchaire. Il jure au Président qu'il n'y
est pour rien.
Lundi 16 novembre
1987
Sur RTL, François Mitterrand plaide la bonne foi dans
l'affaire Luchaire. Il condamne l'escroquerie
morale dont a été victime le PS, qui, affirme-t-il, n'a
jamais perçu de commissions là-dessus. Il dénonce les exploiteurs de scandales et encourage le
gouvernement à proposer un mode de financement clair des partis et
des campagnes politiques.
Matignon nous informe que l'accord est sur le
point de se nouer avec les Iraniens. On échangera Wahid Gordji
contre Paul Torri, notre diplomate retenu en otage à Téhéran ;
l'échange aura lieu à Karachi. Quid de
nos otages au Liban ? Seront-ils libérés en même temps ?
Mardi 17 novembre
1987
François Mitterrand sur
Édouard Balladur : Cet homme est décidément
étrange. Il devient compétent ; il a une certaine culture et un
sens de l'humour. Pourquoi en a-t-il si peu à l'égard de lui-même
?
Mercredi 18 novembre
1987
Dans Le Figaro,
Jacques Chirac affirme qu'il fera tout pour faciliter un accord sur le mode de financement des
partis politiques. Il appelle les partis à la concertation à ce
sujet.
Le Conseil des ministres adopte le projet de
réforme de l'instruction judiciaire présenté par Albin Chalandon,
relatif aux garanties individuelles en matière de placement en
détention provisoire. François Mitterrand
: C'est un texte
important.
À la sortie du Conseil, dialogue très aimable
entre le Président et François Léotard. Panser les plaies, en
ouvrir d'autres...
Publication aux États-Unis du rapport de la
commission d'enquête sur l'Irangate : très sévère pour Ronald
Reagan.
Jeudi 19 novembre
1987
Matignon nous transmet un projet de lettre que
Jacques Chirac souhaite envoyer à Ronald Reagan pour le prier
d'accélérer la réduction des déficits américains. Il souhaite lui
dire combien il est préoccupé par l'insécurité existant sur les
marchés et par l'évolution de la coopération financière
internationale décidée lors des Sommets de Tokyo et de Venise et
concrétisée par l'accord des cinq ministres des Finances au Louvre.
Il demande notamment que le gouvernement américain précise comment
il pourra réduire son déficit budgétaire en 1988, ainsi que cela a
été annoncé dans l'accord du Louvre. Il ajoute même une prière
instante à Ronald Reagan pour que celui-ci mette en œuvre toute son
influence personnelle afin de conclure rapidement les négociations
budgétaires en cours avec le Congrès.
François Mitterrand
estime que ce genre de lettre doit rester au niveau des ministres
des Finances. Sinon, elle risque d'apparaître comme une ingérence
maladroite dans les affaires intérieures américaines : Ils font de cet accord du Louvre le texte majeur de
l'économie mondiale. C'est grotesque! Ce n'est qu'un morceau de
papier que tout le monde a oublié, comme le montre la crise. Je me
demande si Balladur ne fait pas tout cela seulement pour justifier
le maintien du ministère dans le musée !
Vendredi 20 novembre
1987
Michel Hannoun, député RPR de l'Isère, remet au
gouvernement son rapport sur le racisme et les discriminations en
France. Courageux.
Trois responsables de Radio
Nostalgie sont inculpés et écroués, à Lyon, dans le cadre
d'une affaire de fausses factures.
Lundi 23 novembre
1987
La crise continue de faire des ravages sur les
places boursières. Les actions des entreprises privatisées
s'effondrent.
Mardi 24 novembre
1987
François Mitterrand déjeune au Grand-Quevilly avec
Laurent Fabius. Le Président :
Michel Rocard est soutenu par l'opinion, mais
pas par le Parti socialiste. Les autres le sont par le Parti
socialiste, mais pas par l'opinion.
Jack Lang me suggère de provoquer une rencontre
entre le Président et Yves Montand, appelé à participer à plusieurs
émissions importantes au cours des prochaines semaines.
Jeudi 26 novembre
1987
Sommet franco-italien à Naples. Les Italiens
s'agacent de la prééminence du couple franco-allemand en
Europe.
Réunion à Matignon sur le financement des partis
autour de Jacques Chirac, avec Jean-Marie Le Pen, Jean-Claude
Gaudin, Lionel Jospin, Jacques Toubon et Georges Marchais.
L'affaire Gordji se débloque. L'Iranien accepte
d'être entendu par le juge Boulouque. En échange, il obtient
l'assurance d'être expulsé. Cela pourrait donc se terminer en
douceur. Qu'a obtenu le gouvernement en échange ? Quid des otages retenus à Beyrouth ?
Vendredi 27 novembre
1987
Au Liban, libération de Jean-Louis Normandin et
Roger Auque. Est-ce la réponse à ma question d'hier : le prix payé
pour le prochain départ de Wahid Gordji ? Je ne sais. Si c'est le
cas, c'est ce que refusait François Mitterrand en juillet. Il
voulait tous les otages, ou rien.
À moins que les trois autres ne suivent ?...
Arrestation de Max Frérot, d'Action directe, à
Lyon.
Dimanche 29 novembre
1987
Wahid Gordji quitte l'ambassade d'Iran à Paris
pour le Palais de Justice. Il y est entendu par le juge Boulouque,
lequel estime qu'il n'existe pas de charges
devant entraîner son inculpation. Aussitôt conduit au
Bourget, il s'envole pour Karachi. Où sont passées les preuves dont
parlait Charles Pasqua en juillet ?
Face-à-face télévisé Rocard-Balladur sur
TFI. Le ministre de l'Économie
interroge deux fois son vis-à-vis sur ses intentions. Les deux
fois, Michel Rocard confirme : il est bien candidat à la
présidentielle.
Référendum en Pologne sur les réformes économiques
et la démocratisation de la vie politique : le oui l'emporte dans les deux cas. Mais l'abstention
a été de 43 %.
Lundi 30 novembre
1987
Comme prévu, Gordji est échangé à Karachi contre
Paul Torri. L'échange partiel refusé par François Mitterrand en
juillet a donc eu lieu : Gordji contre deux seulement de nos six
otages.
Sur TF1, à l'occasion
de l'inauguration de l'Institut du monde arabe, le Président
proteste contre les négociations avec les preneurs d'otages.
François Mitterrand
reçoit Renaud Denoix de Saint Marc : Demandez
au Premier ministre de modérer les changements de hauts
fonctionnaires. Nous sommes dans une phase préélectorale. Je n'ai
pas fait beaucoup de difficultés jusqu'ici. Je serai désormais plus
strict.
Le Président finit par accepter la promotion dans
l'ordre de la Légion d'honneur d'un général qui s'était signalé, il
y a quelques années, par une prise de position désagréable à
l'égard du ministre de la Défense. Il l'avait longtemps refusée,
mais, comme cet officier s'est excusé depuis lors auprès de Charles
Hernu, il lève sa réserve.
Mardi 1er décembre 1987
Je reçois le père
Wresinski, fondateur de l'association ATD-Quart Monde :
Hier, au centre de promotion familiale de
Noisy-le-Grand, on attendait Michèle Barzach. C'était un événement.
Tous les gens de la cité s'y étaient longuement préparés ; ils
avaient tenu réunion sur réunion pour lui poser les bonnes
questions. Mme Barzach n'est pas venue ; elle s'est décommandée la
veille : Jacques Chirac la réclamait à cette même heure,
précisément. C'est toujours ainsi que l'on raye les pauvres de son
agenda. Avec désinvolture...
Mercredi 2 décembre
1987
Avant le Conseil des ministres, dans le bureau de
François Mitterrand.
Le Président :
On nous propose de ratifier une convention qui
est rédigée en anglais. Il faut refuser.
Le Premier ministre :
C'est tout à fait mon avis.
Aucun commentaire, du moins en ma présence, sur le
dénouement de l'af faire Gordji.
Pendant le Conseil, Jean-Bernard Raimond indique
comment se présente le prochain Conseil européen de Copenhague :
une opposition britannique prévisible sur l'accord
budgétaire.
François Mitterrand :
Mme Thatcher a toujours tendance à oublier les
conditions dans lesquelles elle obtient les compromis. Il a
toujours été convenu que la compensation britannique serait limitée
dans le temps et dégressive. On ne peut pas s'installer dans la
situation d'une compensation permanente. Mme Thatcher est toujours
favorable à une très grande rigueur pour le budget communautaire.
Elle devrait appliquer cet excellent principe à sa propre demande
de compensation.
On a peut-être imprudemment
admis la Grande-Bretagne en 1972, mais, puisqu'elle s'y trouve, il
faut s'en accommoder.
Mme Thatcher a dû rogner sur
ses ambitions en 1984. Il lui faudra rogner sur elles à nouveau en
1987 ou 1988.
Jacques Chirac :
Le Sommet de Copenhague peut réussir si la
volonté est présente. Cette volonté, le gouvernement l'a. Bien sûr,
il est très conscient des limites à ce qu'il peut accepter, en
particulier du point de vue de nos agriculteurs qui ont déjà
beaucoup souffert. Je ne suis pas vraiment pessimiste.
François Mitterrand :
C'est votre nature. Elle rejoint la mienne,
mais, objectivement, je suis préoccupé. Tous nos intérêts qui
méritent d'être défendus le seront. Aucun des problèmes en
discussion ne vaut que l'Europe patine ou se déchire. L'accord
entre MM. Reagan et Gorbatchev va souligner notre chance ou notre
carence. S'il y a une crise, elle devra être surmontée. L'Europe
n'est pas en mesure de supporter pendant longtemps des hésitations
ou des reculs. La France devra se montrer imaginative dans cette
discussion.
Le Président s'exprime
ensuite sur Haïti, où l'on a dû annuler les élections législatives
et présidentielles en raison des troubles graves causés par les
duvaliéristes : La France doit condamner les
graves atteintes au processus démocratique et en tirer les
conséquences dans nos relations avec Haiti. Même les États-Unis
apparaissent comme de meilleurs défenseurs des droits de l'homme
que nous. Je souhaite une action diplomatique marquée.
Charles Pasqua :
Mais nous avons M. Duvalier en France
!
François Mitterrand :
Et alors ?
Charles Pasqua :
Nous en avons hérité.
François Mitterrand :
Moi aussi, j'en ai hérité des Américains. Cela
dit, je ne tiens pas spécialement à sa présence. On peut tout
examiner. Si vous avez des propositions à me faire, je les
examinerai !
Revenons maintenant à la
politique intérieure, l'un de vos sujets favoris [il s'adresse à
Jacques Chirac], avec tout de même une variante... [Le
Président fait allusion à l'utilisation de l'article 49-1 ; la
variante concerne l'article 49-3.]
Jacques Chirac, souriant
: Il ne fallait pas le laisser tomber en
désuétude !
François Mitterrand :
Il appartient au Premier ministre de faire
cette proposition, au Président de la République d'accepter ou de
ne pas accepter. Je n'ai jamais refusé cette possibilité au
gouvernement. Je ne le ferai pas davantage cette fois-ci. Vous
pourrez clore cette période de la même façon que vous avez
commencé: en vous adressant à votre majorité.
François Mitterrand reçoit Valéry Giscard
d'Estaing. À la sortie, comme presque chaque fois que son
prédécesseur vient à l'Élysée, il lui fait admirer le portrait du
général de Gaulle et celui de Pompidou, et lui demande quand il
fixera son choix pour le sien propre. Même refus pincé.
Séance consacrée aux questions orales à
l'Assemblée nationale. Alain Peyrefitte met de nouveau en cause le
Président à propos de l'affaire Luchaire.
Dans l'après-midi, François
Mitterrand appelle Jacques Chirac au téléphone :
Trop c'est trop ! Cela se gâte
sérieusement.
Jacques Chirac lui
répond, embarrassé : Je vous assure que je
n'étais pas au courant. Vous savez, M. Peyrefitte est très excité
sur cette histoire...
Jeudi 3 décembre
1987
26e Congrès du PCF :
Marchais est réélu secrétaire général avec seulement 99,05 % des
voix !
Déclaration de politique générale de Jacques
Chirac à l'Assemblée.
Vendredi 4 décembre
1987
Sommet européen de Copenhague. On doit y discuter
budget et prix agricoles. Jacques Chirac s'y rend avec François
Mitterrand.
Dans l'avion, le
Président, à propos des « affaires » : Je ne me fais pas d'illusions. Les socialistes font comme
les autres, et sans doute en moins malin.
Sur les lieux du Sommet, Jean-Bernard Raimond, qui
ne dispose pas d'une place dans la salle, à la différence des
autres ministres des Affaires étrangères, boude dans le couloir.
Jacques Chirac est délicieux, il vient faire aux collaborateurs du
Président des comptes rendus des discussions en cours et de ce que
dit le Président. Il raconte cet échange avec Margaret Thatcher
:
François Mitterrand
: Si l'Europe est en crise, la France trouvera
sa voie à deux ou à trois.
Margaret Thatcher:
Il n'y aura pas de crise. Je suis optimiste.
Cela réussira.
François Mitterrand :
Cela marche mal quand vous dites non. Si vous
êtes optimiste, c'est que vous direz oui à Bruxelles la prochaine
fois.
À l'Assemblée, la confiance est votée par 295 voix
contre 282. Dans son intervention au nom de l'UDF, Jean-Claude Gaudin a précisé : Nous voterons la confiance, car nous savons qu'elle aura
son juste retour.
L'Assemblée générale de l'ONU réaffirme le droit à
l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie.
Samedi 5 décembre
1987
Le Conseil européen se passe mal. Les désaccords
s'accumulent sur les dépenses agricoles, les ressources
budgétaires, les crédits aux régions défavorisées et la ristourne
britannique. Le ton monte. En séance, Jacques
Chirac traite Mme Thatcher d'épicière.
François Mitterrand et le Premier ministre forment
un bon duo. Jacques Chirac vient à nouveau voir la délégation.
Rejoint par le Président, il le félicite devant les fonctionnaires
pour son intervention ferme sur l'agriculture. François Mitterrand ne demeure pas en reste : il
réplique que le Premier ministre a bien
travaillé lui aussi et montré beaucoup d'énergie.
Échec du Sommet européen : aucun accord sur
l'augmentation des ressources communautaires ni sur la discipline
agricole. Cette réforme est pourtant nécessaire pour l'entrée en
vigueur de l'Acte Unique.
La négociation détaillée sur le Conseil de défense
franco-allemand se précise : les représentants des ministres des
Affaires étrangères et de la Défense des deux pays se sont réunis
par deux fois et doivent se revoir le 22 décembre.
Dans le projet de traité, l'exposé des motifs
énumère les textes existants (y compris la déclaration sur l'UEO,
qui n'a rien à voir). Les trois premiers articles définissent le
Conseil sans dire s'il sera doté d'un secrétariat permanent, ce qui
en réduit singulièrement la portée. L'article 4, le plus important,
qui définit les missions, reprend ce que Horst Teltschick et moi
avions arrêté, mais va plus loin dans son premier alinéa en
reprenant hors de son contexte une phrase du traité de l'Élysée sur
le concept de potentiel équilibré.
Voilà qui me paraît dangereux dans la mesure où cela pourrait
pousser des « observateurs » à y voir notre réintégration de fait
dans le dispositif militaire de l'Alliance.
Les Allemands souhaiteraient que l'article 5,
organisant le secrétariat, soit complété par un échange de lettres
entre les deux ministres des Affaires étrangères, précisant la
formule, qu'ils ont acceptée, d'un secrétariat assuré par des hauts fonctionnaires des deux pays désignés
au sein de la Commission permanente de sécurité et de
défense. Cette dernière, mise en place en 1982, verrait son
existence confirmée.
On achoppe donc sur trois points :
- Les missions
couvriront-elles le nucléaire ?
- Le caractère
permanent du secrétariat (Jean-Bernard Raimond est très contre,
pour vider l'initiative de tout contenu. Jacques Chirac
hésite).
- Le lien
(strict ou non) entre son institution et celle du Conseil
économique et financier.
Je n' apprends tout cela que par bribes et par des
confidences de hasard. Nous n'avons pas eu connaissance des projets
en cours de négociation.
Dimanche 6 décembre
1987
À l'aéroport de Fort-de-France, des manifestants
empêchent Jean-Marie Le Pen d'atterrir. Sympathique, mais à quoi
bon ?
Lundi 7 décembre
1987
Après avoir rencontré Margaret Thatcher lors d'une
brève escale près de Londres, Mikhail Gorbatchev se rend à
Washington pour sa première visite officielle aux États-Unis et son
troisième Sommet avec Ronald Reagan.
Une vingtaine de sympathisants des Moudjahidin du
peuple sont interpellés en France.
Mardi 8 décembre
1987
Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan signent à la
Maison Blanche le traité de démantèlement des missiles nucléaires
intermédiaires soviétiques et américains en Europe. Bien qu'il ne
porte que sur 4 % des arsenaux nucléaires, cet accord d'option zéro
est historique : c'est le premier véritable accord de désarmement
de l'ère nucléaire. La déclaration finale en envisage d'autres et
prévoit un quatrième Sommet au printemps 1988 à Moscou.
En visite au Creusot, le
Président commente la nouvelle : Je
m'en réjouis et je ne comprends pas cette sorte de refus qui s'est
inscrit dans les cerveaux. Si l'on ne désarme pas, on armera, et,
de cette façon, on ruinera les économies sans garantir davantage la
sécurité, mais, au contraire, en la mettant davantage en péril. Mon
choix est fait : il faut désarmer et refuser la proposition de ceux
qui vous disent non.
Adoption définitive de la loi sur la mutualisation
du Crédit Agricole.
Douze Iraniens et trois Turcs interpellés hier
sont expulsés vers le Gabon. Certains ont le statut de réfugiés
politiques. Protestations et polémiques.
Mercredi 9 décembre
1987
Au Conseil des ministres, à propos de l'expulsion
des Iraniens, hier, vers le Gabon, le
Président : J'ai été saisi par les
défenseurs des Iraniens expulsés d'un dossier et de différentes
procédures. Le haut-commissaire des Nations-Unies aux réfugiés a
également demandé des précisions. M. le ministre de l'Intérieur
voudra bien compléter mon information pour que je puisse répondre
en connaissance de cause aux défenseurs des Iraniens. Je souhaite
également être informé de la réponse qui sera faite au
haut-commissaire des Nations-Unies, de façon à ce que la France ne
se trouve pas en position d'accusée. Le droit d'asile est un droit
constitutionnel. La France a approuvé la convention de Genève de
1951. Un certain nombre de ces personnes expulsées semblent relever
de ces dispositions.
Il y a beaucoup de personnes
en France qui se réclament du droit d'asile (environ 200 000),
surtout venues d'Asie du Sud-Est. Le statut de réfugié entraîne
naturellement certaines obligations, en particulier celles de ne
pas se mêler d'actions terroristes et de ne pas interférer dans la
politique extérieure de la France.
Pour l'application de la
convention de Genève, la Commission de recours des réfugiés et le
Conseil d'État ont rappelé que les droits des réfugiés, en
particulier le délai de huit jours avant l'expulsion, devaient être
respectés, sauf si des raisons impérieuses de sécurité intérieure
s'y opposaient, avec des menaces précises à l'ordre public établies
comme émanant de personnes déterminées.
Le droit, il faut s'y tenir.
L'exception doit être soigneusement justifiée. Il faut que soit
présentée au haut-commissaire la meilleure défense possible.
J'espère qu'elle s'expliquera d'elle-même.
Margaret Thatcher écrit
à François Mitterrand pour lui raconter ses entretiens d'avant-hier
avec Mikhaïl Gorbatchev. Elle a trouvé celui-ci confiant et plein
d'entrain. Les négociations sur la réduction des forces
conventionnelles et chimiques sont, d'après elle, en très bonne
place sur la liste de ses priorités. Elle a été frappée par son
approche des négociations sur le contrôle des armements, plus
pragmatique et moins marquée qu'autrefois, estime-t-elle, par
l'esprit de propagande.
Deuxième consultation de Jacques Chirac avec les
chefs des cinq grands partis à propos du financement de la vie
politique. Chirac annonce un projet de loi et une session
extraordinaire pour le début de 1988.
Jeudi 10 décembre
1987
Mikhail Gorbatchev annonce son intention d'évacuer
tous les soldats soviétiques d'Afghanistan.
Véronique Colucci souhaite être reçue par le
Président pour le lancement de la nouvelle saison des Restaurants
du Cœur. Le gouvernement leur a mis beaucoup de bâtons dans les roues, ce qui rend très difficile
leur fonctionnement.
L'amendement Coluche (possibilité de déduire les
dons aux « Restos » de ses revenus déclarés) a été refusé par le
ministre du Budget.
Samedi 12 décembre
1987
Jacques Chirac devant
l'Institut des hautes études de défense nationale : Il ne faudrait pas que la dynamique de désarmement
nucléaire soit confinée d l'Europe, car on ne répétera jamais assez
que c'est la dissuasion nucléaire qui a maintenu la paix sur notre
continent. C'est pour cette raison que j'ai souligné le danger
qu'il y aurait à se situer dans la logique soviétique, qui, en
proposant des options zéro successives, pourrait compromettre et
même éliminer la présence nucléaire américaine en Europe, que nous
croyons tous indispensable.
« Tous ? » Pas
François Mitterrand, en tout cas.
Lundi 14 décembre
1987
Présentation au Sénat par Bernard Pons d'un
nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie.
On apprend par la presse que Jacques Chirac
souhaite convoquer une session extraordinaire du Parlement sur la
modification du statut de la Régie Renault. Le Président fait dire
à Maurice Ulrich, par Jean-Louis Bianco, qu'il refusera de
convoquer le Parlement sur cette question.
Discret retour en France d'Alain Mafart, l'un des
« époux Turenge » de l'affaire Greenpeace.
François Mitterrand
reçoit Jean Daniel pour une interview, puis il en retravaille le
texte. Il écrit d'abord : Je ne délivrerai pas
d'ultime avertissement sur le sol allemand. Hubert Védrine
et Jean-Louis Bianco le convainquent de ne pas se montrer aussi
précis, de ne pas s'engager à ne pas tirer d'armes nucléaires sur
la RFA : cela pourrait se révéler nécessaire pour défendre la
France si tout le reste avait échoué. Hypothèse que le Président
refuse... J'imagine qu'il ne voit pas, dans ce cas, d'autre
hypothèse que la capitulation ? En tout cas, il ne veut pas
répondre à une question à ce sujet.
Mardi 15 décembre
1987
Ce matin, au cours de son entretien avec le
Premier ministre, François Mitterrand parle longuement de l'affaire
des Iraniens expulsés. Jacques Chirac est
très ferme : S'ils continuent à nous
enquiquiner, on en expulsera encore plus.
François Mitterrand :
Si le gouvernement ne fait rien pour les faire
revenir, je serai obligé de prendre position de façon
publique.
Promenade rive gauche. François
Mitterrand : Je n'ai pas envie de me
représenter. Mais aucun socialiste ne peut gagner. Rocard n'aura
pas la confiance de la gauche.
(...) Il y a parmi ces
gens [de la majorité] des voyous
vulgaires et versatiles.
(...) La droite m'énerve de
plus en plus.
Réunion du Conseil de Défense. À propos de
l'ultime avertissement, le Président
insiste : L'objectif prioritaire est le
territoire adverse, c'est-à-dire soviétique, ou les forces
adverses.
André Giraud demande la parole et se lance dans un
cours sur ce qu'il convient que le Président pense. Le Président
l'écoute, laissant percer une irritation croissante.
André Giraud :
Moins nous parlerons des Pluton, mieux cela
vaudra. Nous n'avons, en effet, aucune raison de changer notre
conception de la dissuasion. Nous avons plusieurs formes pour
délivrer l'ultime avertissement. L'ultime avertissement doit avoir,
comme le dit la loi de programmation militaire, une efficacité
militaire propre, ce qu'il nefaut pas confondre avec un emploi dans
la bataille. L'armée doit fournir au Président un catalogue
d'objectifs dont certains pourront être approuvés par avance et
d'autres pourront être décidés à un certain stade du conflit. Le
problème d'un ultime avertissement sur le territoire soviétique,
c'est qu'il risque d'être interprété par les Soviétiques comme une
frappe stratégique.
Il y a un ultime
avertissement et un seul. Le Président de la République ne doit
rien s'interdire. Et même s'il s'interdisait quelque chose dans son
for intérieur, il ne doit le faire savoir ni à ses alliés, ni à ses
agresseurs éventuels. Pour ce qui est des armes à courte portée,
l'éventualité qu'elles soient tirées depuis la RFA dépendrait du
gouvernement allemand.
François Mitterrand hausse les épaules sans
répondre.
Le général Schmitt insiste sur l'intérêt d'une
frappe préstratégique sur une concentration de troupes pour
dissuader l'adversaire d'attaquer.
Le général Forray insiste pour sa part sur
l'utilité des Hadès.
Le Président, irrité par
ces scénarios qu'il considère comme absurdes, bougonne :
Le Conseil de Défense a pour charge de donner
son avis. J'ai pour charge, en liaison avec les autorités
compétentes — le Premier ministre, le ministre de la Défense
—, de fixer les directives.
On passe au point suivant.
Le Président demande au Premier ministre si la
création de la brigade franco-allemande implique son passage devant
le Parlement.
Le Premier ministre :
Je ne sais pas.
Le Président :
Il a pourtant suffi que j'évoque l'hypothèse
d'un Conseil de Défense franco-allemand à Keckerplatz, lors des
manœuvres, en réponse à la question d'un journaliste, pour que deux
parlementaires demandent publiquement comment je pouvais oser en
parler alors que le Parlement n'avait pas été saisi.
La création de la brigade,
c'est d'abord un geste politique. Il faut nous méfier de
l'engrenage qui pourrait, par petites touches, nous entraîner dans
la bataille de l'avant.
La « couverture nucléaire »
est une notion qui a été employée avec beaucoup d'imprudence par un
certain nombre de responsables politiques. Ce qui reste à
déterminer, c'est l'emploi de la force nucléaire française, qui ne
peut être prédéterminée. Je sais, monsieur le Premier ministre, que
vous en êtes d'accord, et c'est pourquoi j'ai tout à fait accepté
votre formule heureuse.
François Mitterrand fait ici allusion aux propos
tenus par Jacques Chirac à l'Institut des hautes études de défense
nationale il y a trois jours (« Il ne peut pas
y avoir de bataille de France sans bataille d'Allemagne. Cela
devrait aller de soi, puisque nous sommes alliés, mais il n'est pas
inutile de le répéter. »)
Jacques Chirac sourit. André
Giraud, qui fait la tête, rend compte de ses conversations
avec son homologue britannique. Il indique que le Conseil de
Défense franco-allemand met les Britanniques
dans un état second. C'est surtout l'élargissement de ce Conseil de
Défense à d'autres pays qui les inquiète. Ils y voient l'embryon de
quelque chose qui pourrait un jour remplacer l'OTAN.
Édouard Balladur :
En ce qui concerne les liens entre la défense
d'une part, l'économie et la monnaie d'autre part, il ne s'est plus
rien passé depuis le Sommet de Karlsruhe. Souhaitez-vous, monsieur
le Président, que j'établisse un projet ?
Le Président :
Monsieur le ministre d'État, vous le devez...
L'aspiration en RFA sera nécessairement de plus en plus grande pour
que tout le territoire' allemand soit dénucléarisé. En ce qui
concerne le désarmement chimique, nous avons enfoncé un coin. C'est
intéressant.
Je confirme au Président qu'il est très difficile
d'espérer obtenir, sur l'accord monétaire franco-allemand, que le
Conseil soit constitué au niveau des chefs d'État ou de
gouvernement. Il n'y aura pas non plus de secrétariat permanent, et
il n'y aura pas de traduction concrète immédiate (comme l'est la
brigade).
Le Président :
Il faut tenter d'obtenir mieux sans faire
capoter l'accord de défense !
Par suite de l'obstruction des députés
communistes, Jacques Chirac refuse d'engager la responsabilité du
gouvernement sur le projet de modification du statut de
Renault.
René Monory annonce un
plan pour l'avenir de l'Éducation. Les dépenses nouvelles
envisagées seraient de l'ordre de 25 à 28
milliards sur cinq à sept ans !
Le Président travaille
jusqu'à 1 heure du matin à son interview pour Le Nouvel Observateur. Il y écrit clairement :
Pas de frappe nucléaire sur
l'Allemagne, contrairement à ce que souhaitaient ses
collaborateurs.
Mercredi 16 décembre
1987
Dans le bureau du Président, avant le Conseil
:
François Mitterrand à
Jacques Chirac : J'ai appris par un communiqué
de M. Juppé que vous envisagiez une session extraordinaire pour
faire voter un nouveau statut de la Régie Renault !
Jacques Chirac corrige :
... que je vous demanderai une session
extraordinaire, monsieur le Président.
François Mitterrand :
M. Juppé a été beaucoup plus carré ce matin
encore sur Europe 1. Vous savez,
j'avais fait prévenir M. Ulrich dès lundi après-midi, par M.
Bianco, que ce n'était pas possible. Je vous le redis : il n'en est
pas question.
Jacques Chirac :
Monsieur le Président, le gouvernement
n'ignore pas que c'est vous qui convoquez les sessions
extraordinaires.
François Mitterrand :
Comme je vous refuserai l'inscription du
statut de Renault à une session extraordinaire, j'ai voulu vous
prévenir avant le Conseil pour le cas où vous envisageriez le
recours à l'article 49-3, que, naturellement,
j'accepterais.
Chirac ne dit rien sur ses intentions. En réalité,
il ne demandera pas le 49-3. Le gouvernement soutient pourtant
publiquement qu'il ne connaissait pas jusqu'à aujourd'hui la
position du Président sur l'ordre du jour de la session
extraordinaire, la dernière avant l'élection présidentielle.
Denis Baudouin va même jusqu'à esquisser
devant quelques journalistes une sorte de chantage médiocre :
Si le Président n'inscrit pas Renault, il
n'aura pas le projet sur la moralisation de la vie
publique.
Le Président écrit à Jacques Chirac pour lui
demander de reconsidérer les mesures d'expulsion prises la semaine
dernière contre des Turcs et des Iraniens, en particulier pour deux
d'entre eux dont l'état de santé est alarmant.
Jeudi 17 décembre
1987
François Mitterrand
prend son petit déjeuner avec Harlem Désir et Julien Dray. A propos
du Code de la nationalité, il s'élève contre les intentions de la
commission présidée par Marceau Long, qui veut restreindre le droit
de devenir français et revenir sur le principe du droit du sol :
À la différence des États-Unis, nous ne sommes
pas un peuple d'immigrés. Le droit du sol doit demeurer
prédominant. On monte en épingle un problème qui, en réalité,
concerne chaque année peu de gens. D'un problème circonstanciel,
posé par le Front National, on veut faire un problème
existentiel.
Si des gens commettent des
crimes ou des délits — terrorisme, proxénétisme, drogue [ce sont
les trois cas que la commission Long envisage comme pouvant
justifier le refus de l'octroi de la
nationalité] —, ils doivent être jugés
et condamnés sur la base des textes qui répriment ces délits ou ces
crimes, mais cela n'a rien à voir avec la nationalité. Il ne faut
pas rentrer dans l'engrenage. Le combat sera difficile, mais il
faut le mener. Le monde du troisième millénaire sera un monde
ouvert.
Sur le statut de Renault : Le
gouvernement a fait exprès de déposer très tard le projet de statut
au Parlement. Il n'avait, en réalité, pas l'intention de le faire
voter, et il préfère probablement laisser à son successeur la
charge finaneière d'une subvention nécessaire de 9
milliards.
Sur la lutte des classes : La
lutte des classes est une réalité ; mais la société dirigeante
réussit, par un renversement idéologique, à faire apparaître les
classes dominées comme l'agresseur.
Sur la télévision, le Président congratule
chaleureusement Harlem Désir pour son passage à une émission et
ajoute : J'ai mis longtemps, moi, à m'y
adapter. La télévision trahit immédiatement tout manquement à la
vérité de soi-même.
D'une manière générale, François Mitterrand
félicite Harlem Désir et Julien Dray pour leur action et leur dit
qu'ils seront parmi le tout petit groupe de personnes informées de
sa décision d'être ou non candidat avant qu'il ne la rende
publique.
Déjeuner chaleureux avec le dirigeant
social-démocrate allemand Hans Vogel :
Hans Vogel : Pour faire progresser la coopération en matière de
défense, il n'y a que trois solutions : ou bien la France réintègre
le commandement de l'OTAN...
Le Président
l'interrompt : Tant que j'aurai la
responsabilité de la France, il n'en sera pas
question.
Hans Vogel : ...
Ou bien la RFA et les autres pays européens
quittent le commandement intégré de l'OTAN; ou bien nous construisons
une nouvelle structure dans le cadre de
l'OTAN.
François Mitterrand :
Il y a deux obstacles à l'intégration
franco-allemande en matière de défense : le statut de la RFA par
rapport à l'arme nucléaire et le commandement intégré de
l'OTAN.
Le Président ne répond pas clairement à la
question majeure ici posée : comment faire une défense européenne
sans la soumettre aux États-Unis par le truchement de l'OTAN
?
Autres remarques du Président au cours de ce déjeuner : En fait, je ne crois pas du tout à l'utilité des armes
préstratégiques. J'ai voulu faire une évolution en trois temps
:
Premier temps en 1983 : j'ai
fait introduire le terme « préstratégique », au lieu de « tactique
», pour écarter l'idée que ces armes puissent être le complément du
conventionnel dans une bataille nucléaire.
Deuxième temps : lors de mon
récent voyage d'État en RFA, j'ai indiqué que l'ultime
avertissement ne serait pas nécessairement délivré sur le
territoire allemand. L'idée s'en était en effet peu à peu répandue
à cause du développement des armes nucléaires à courte portée, ce
qui risquait d'affoler l'opinion publique allemande.
Troisième temps, dans mon
interview au Nouvel Observateur, j'ai dit : « Il n'y aura pas lieu
de délivrer l'ultime avertissement sur le sol allemand.
»
Mais je ne veux pas
abandonner gratuitement cette contrepartie. Il y aura donc
probablement une quatrième étape.
À vrai dire, dans l'idée qui
s'était répandue en matière d'ultime avertissement, il aurait fallu
qualifier ces armes nucléaires de « post-stratégiques », car leur
emploi dans cette acception signifierait nécessairement que les
Soviétiques sont déjà en RFA et qu'on est au-delà du moment où la
dissuasion stratégique aurait dû jouer.
Le Président établit une
comparaison qui fait beaucoup rire ses interlocuteurs :
C'est un peu comme si, la France étant en
train d'être envahie, l'ennemi arrivant en vue des Pyrénées, je
faisais jouer les armes préstratégiques... pour protéger la
circonscription de Jospin à Toulouse ! Pour moi, l'ultime
avertissement doit viser le territoire soviétique, la flotte
soviétique ou les concentrations militaires
soviétiques.
Hans Vogel cite Helmut Schmidt, selon lequel tout
mouvement de troupes s'arrêterait le jour où la première bombe
atomique tomberait sur l'Allemagne.
Le Président répond :
J'en suis tout à fait convaincu.
Samedi 19 décembre
1987
Le projet de loi sur le statut de la
Nouvelle-Calédonie est définitivement adopté par le
Parlement.
Le Président écrit au Premier ministre pour
limiter la session extraordinaire du Parlement, demandée par ce
dernier pour trois jours à compter de lundi 21 décembre. Il lui
demande d'alléger l'ordre du jour, car, de toute façon, les textes
soumis à cette session et dont l'examen n'aura pas été achevé ne
seront pas inscrits à l'ordre du jour de l'éventuelle session de
janvier, qui sera réservée exclusivement — le Président y tient —
aux textes tendant à moraliser la vie publique. Autrement dit, pas
question de laisser la majorité profiter de la surcharge de
décembre pour ne pas voter, en janvier, ces textes-ci.
Dimanche 20 décembre
1987
Jacques Chirac annonce le report de l'examen du
projet de modification du statut de Renault à la session de
printemps, François Mitterrand ayant refusé de l'inscrire à l'ordre
du jour de la session extraordinaire.
Lundi 21 décembre
1987
François Mitterrand sur
Édouard Balladur : Pourquoi s'obstine-t-il à
vouloir rester au Louvre ? C'est ridicule ! Il aura coûté très cher
à la République d'y revenir, alors que la décision d'en partir est
irrévocable. C'est inquiétant. À croire qu'il ne conçoit pas la
Ve
République sans les ors de la
IIIe...
Au Conseil supérieur de la magistrature, violent
accrochage sur la nomination d'un juge à Nouméa. Albin Chalandon
veut absolument s'opposer (parce qu'il est de gauche) au magistrat
que l'unanimité du Conseil souhaite voir nommer.
Pierre Mauroy veut prendre la direction du Parti
socialiste. J'en fais part à François
Mitterrand, qui me répond : Ils se
préparent déjà à l'après-mai 1988. Cela ne sera pas triste
!
Charles Pasqua appelle Jean-Louis Bianco pour
demander l'accord du Président sur un mouvement préfectoral.
Inculpation de Jean-François Dubos, ancien
collaborateur de Charles Hernu, dans l'affaire Luchaire.
Mardi 22 décembre
1987
Avant le Conseil des ministres, dans le bureau de
François Mitterrand, le Président se préoccupe du sort d'un
ambassadeur, Pierre de Boisdeffre, que Jean-Bernard Raimond
souhaite révoquer. Jacques Chirac n'est pas à même de
répondre.
À propos du mouvement préfectoral, François
Mitterrand fait remarquer à Jacques Chirac que le ministre de
l'Intérieur s'est vivement préoccupé du sort d'un de ses
collaborateurs. Le Président :
Je lui ai dit [à Charles Pasqua]
que je comprenais que c'était en quelque sorte
un testament, et que, dans ces conditions, j'acceptais cette
nomination au poste de préfet.
Pendant le Conseil, le Président accepte trois
grand-croix de la Légion d'honneur (au lieu d'une prévue sur les
deux du contingent annuel) : Henri Frenay, le colonel Passy et le
grand rabbin Kaplan (pour lequel Jacques Chirac insiste
beaucoup).
Le Président :
Le Premier ministre et moi sommes d'accord
Bien sûr, nous privons ainsi de toute possibilité de nomination de
grand-croix le Président et le Premier ministre qui seront en place
le 14 Juillet prochain...
François Mitterrand
alerte Jean-Bernard Raimond sur les débats en cours au Conseil de
sécurité à propos de la situation en Israël et dans les territoires
occupés : Il faut que nous votions un texte
qui marque notre sévère réprobation, sans nous laisser entraîner
dans des philippiques inutiles.
Départ du Président pour un voyage officiel à
Djibouti.
Mercredi 23 décembre
1987
Arrestation du commando qui posait des écoutes
téléphoniques dans les locaux du Conseil supérieur de la
magistrature.
Jeudi 24 décembre
1987
En provenance de Djibouti, François Mitterrand
arrive en Égypte en voyage privé.
Lundi 28 décembre
1987
Dans le Sinaï, en présence de quelques amis, le
Président entraîne sa suite dans l'ascension du mont Moïse, très
pénible, notamment en raison de la chaleur. Le Président souhaite
tester sa propre résistance physique. C'est au sommet de ce lieu
qu'il acquiert la conviction qu'il est encore capable de tenir
physiquement le coup. Avant de prendre sa décision définitive, il
demandera à son médecin personnel, le Dr Gubler, de lui donner
l'assurance que la machine est en état
et de lui promettre de l'alerter si, un jour, il constate que sa
santé ne lui permet plus d'exercer normalement ses fonctions.
Mardi 29 décembre
1987
Le Trésor américain propose un plan d'allègement
de la dette extérieure du Mexique, qui s'élève à 105 milliards de
dollars ; les banques internationales créditrices qui accepteraient
une dépréciation d'environ 50 % de leurs créances pourraient les
échanger contre des obligations mexicaines d'une durée de vingt
ans, gagées sur le Trésor des États-Unis.
Mercredi 30 décembre
1987
Le Conseil constitutionnel annule un article de la
loi de finances de 1988 prévoyant, contre toute personne publiant
les revenus d'un contribuable, une amende égale aux revenus
divulgués.
Le patronat et les syndicats (sauf la CGT)
concluent un accord sur l'UNEDIC.
Jeudi 31 décembre
1987
François Mitterrand
prononce ses vœux à la télévision. Ce sont officiellement les
derniers de son septennat. Ils ne sonnent pas comme des vœux
d'adieu : J'ai voulu que la France fût
défendue, écoutée, respectée. Elle l'est. C'était mon devoir aussi
que de la prémunir contre ses divisions (...). Pendant les mois qui
viennent et dont on peut prévoir qu'ils connaîtront des
turbulences, votre confiance m'aidera.