1987
Jeudi 1er janvier 1987
Au fort de Brégançon, François Mitterrand reçoit
des cheminots en grève. Ceux-ci lui offrent une gerbe de fleurs sur
laquelle il est écrit : Nos vœux pour
1987. Cheminots en grève demandent faire
intervenir négociations rapidement. La majorité critique
vigoureusement son attitude. Le Président
me dit au téléphone : Comment imaginer que je
puisse ne pas les recevoir ? Ils m'apportaient des vœux et des
fleurs. Je les ai écoutés. Je leur ai dit que c'était à
l'entreprise et au gouvernement de régler leur
problème.
Vendredi 2 janvier
1987
Les forces tchadiennes reprennent à la Libye la
palmeraie de Fada, dans le nord-est du Tchad.
Pour défendre le franc, la Banque de France fait
passer son taux d'intervention de 7,25 à 8 %. La crise sociale
menace de conduire à une dévaluation.
Jack Lang propose au Président la création d'un
Conseil des « sages » pour contrôler la télévision. Sa composition
devrait refléter l'ensemble des familles de pensée. Gardien du
pluralisme en matière d'information, il serait assisté d'un
véritable observatoire du pluralisme. Il publierait un rapport
mensuel. Par ailleurs, une commission juridique placée auprès du
Conseil des « sages » préparerait les recours devant la CNCL et le
Conseil d'État et mettrait au point une véritable stratégie
juridictionnelle. Cette commission aurait aussi pour mission de
contrôler les conditions de la privatisation des chaînes de
télévision (évaluation du prix, choix des bénéficiaires, cahier des
charges...). Dans chaque région, Jack Lang suggère aussi de créer
un observatoire du pluralisme. Il prône appel à l'opinion
internationale, recours devant la Commission européenne des droits
de l'homme, appel aux journalistes des autres pays (BBC, RAI...)
pour soutenir l'indépendance des rédactions de la télévision et de
la radio françaises, et recommande l'organisation de manifestations
d'intellectuels et de journalistes, voire un éventuel boycott de
toute chaîne qui violerait l'impératif du pluralisme.
Samedi 3 janvier
1987
Une lettre de Jacques Chirac parvient à l'Élysée à
16 heures. Il proteste contre les marques de soutien du Chef de
l'État et de son entourage à ceux qui s'opposent au gouvernement.
Il menace : en cas de réédition de tels « signes », il aurait à
regretter publiquement que les conditions de fonctionnement des
pouvoirs publics soient ainsi, à son avis, compromises ou
compliquées.
Nous transmettons cette lettre au Président, qui dit : C'est un
texte plutôt puéril, faisant preuve d'un certain manque de
maîtrise. Je n'y répondrai pas.
De Latché, François Mitterrand a plusieurs
conversations téléphoniques avec le Premier ministre à propos du
Tchad. C'est toujours le même scénario : dans un premier temps,
Jacques Chirac développe les arguments
d'André Giraud, partisan de l'action ; puis il écoute l'avis du
Président et finit immanquablement par conclure d'un ton aimable :
Vous avez raison ; aller plus au Nord, ce
serait tomber dans un piège à cons.
Dimanche 4 janvier
1987
Bombardement de deux villes tchadiennes, Arada et
Oum Chalouba, au sud du 16e parallèle,
par l'aviation libyenne.
La Libye reconnaît avoir franchi le 16e parallèle. Le colonel
Kadhafi affirme : Si les forces
libyennes ont dû franchir le 16e parallèle, c'est un acte exceptionnel de riposte qui ne se
reproduira plus, sauf en cas de nouvelle agression. Il
demande à la France de ne pas intervenir dans
la guerre du Tchad, de laisser les Tchadiens décider de leur propre
sort.
Il connaît pourtant depuis longtemps cette limite
fixée au 16e parallèle. Il sait à quelle
réaction il s'expose de notre part en tentant de la franchir.
Lundi 5 janvier
1987
Début des inévitables présentations de vœux.
Harassant, comme chaque année : dix-neuf cérémonies en trois jours
!
Premier sur la liste, Jacques Chirac présente les
vœux du gouvernement avec un petit sourire qui masque son trac. Il
s'en va très vite ensuite. Le Président
s'étonne : Vous nous quittez déjà, monsieur le
Premier ministre ?
Jacques Chirac :
Oui, mon géné... heu... oui, monsieur le Président. Fair-play, il éclate de
rire à son propre lapsus, que le Président feint de ne pas avoir
entendu. François Mitterrand me dira
ensuite : Vraiment ? Il a dit ça ? Vous
l'avez tous entendu ? Comme c'est curieux...
En fin de soirée, les Américains confirment à
l'état-major, à Paris, que le radar moyenne distance (Flat-Face)
mis en place par les Libyens à Ouadidoum est toujours en
fonctionnement (renseignement obtenu grâce à un satellite d'écoute
électromagnétique). On décide de le détruire. Accord complet de
l'Élysée et de Matignon.
Mardi 6 janvier
1987
Contre-attaque des forces gouvernementales au
Tchad. Une colonne libyenne est attaquée et défaite dans le Tibesti
par les FANT (Forces armées nationales tchadiennes).
Sur Europe 1,
Jacques Chirac dénonce la politisation
des grèves par la CGT communiste. Il affirme que le gouvernement ne
cédera pas aux revendications en matière de salaires, pour ne pas
entraîner une relance de l'inflation.
Interrogé sur le « soutien » du Président aux
grévistes, le Premier ministre répond : Je ne
pense pas que le Président de la République ait pour vocation, pour
intention de soutenir le gouvernement. J'ai plutôt globalement une
impression contraire. Mais, quand il dit que l'inflation est un
facteur de désordre, il dit quelque chose de vrai.
Sur les otages : J'ai essayé
d'apporter une petite contribution à la solution de ce problème
avant même d'être au gouvernement. Nul ne lui demande quoi
ni à quel titre.
Le mark atteint à Paris son cours plafond. La
Banque de France cesse de soutenir le franc. Édouard Balladur affirme pourtant : Le franc ne sera pas dévalué.
Il n'y a pas de crise du franc, il y a une crise du
mark.
Le Président, ayant
entendu Jacques Chirac à la radio, décide de lui répondre. Il
rappelle que, sur ce sujet, il n'a pas de leçon à recevoir. Lors de
ses derniers voeux à la télévision, il a désigné la lutte contre la
hausse des prix comme une grande cause nationale, mais,
soutient-il, elle n'interdit pas de promouvoir la justice sociale,
inséparable de toute politique économique.
François Mitterrand me
confie : Par égard pour sa fonction et pour la
mienne, je me refuserai à toute polémique. Cela peut me rendre
impopulaire. Tant pis. Tous les grands hommes d'État sont
impopulaires. Richelieu aurait pris un gadin dans les sondages.
Mazarin aussi, avec son accent italien. Quant à Bonaparte, on ne
comprenait rien à ce qu'il disait, ni en Italie, ni en
France...
Mercredi 7 janvier
1987
Deux Jaguar français doivent attaquer ce matin les
radars d'Ouadidoum. A 8 heures (heure de Paris), les appareils sont
en position de tir à 30 kilomètres d'Ouadidoum, à 3 000 mètres
d'altitude. Malheureusement, les radars libyens restent muets.
Impossible de tirer nos missiles, faute d'échos-radar. Il faut
reporter l'opération. Aucun incident n'est à déplorer. Les avions
rentrent sans encombres à N'Djamena.
Au cours de leur entretien avant le Conseil,
le Président dit à Jacques Chirac :
Si vous ne rendez pas publique votre lettre,
je ne le ferai pas pour la mienne. Le Premier ministre
répond qu'il vaut mieux, pour l'instant, que cet échange demeure
privé.
Ivan Barbot, préfet du Var, remplace Pierre
Verbrugghe à la tête de la Police nationale. Verbrugghe ira à la
Cour des comptes.
Au Conseil, intervention d'André Giraud à propos du Tchad : On assiste à la reconquête de la partie nord du pays par
le gouvernement légitime du Tchad. Hissène Habré a remporté à Fada
une victoire retentissante. Il avait préparé son coup de longue
date. Il a pu aligner 3 000 hommes, contre environ 1200 soldats
libyens. Le fait que les Libyens aient lâché à la sauvette quelques
bombes sur une ville déserte du Sud n'est pas très important. Mais
il faut surtout éviter de tomber dans le piège libyen qui voudrait
faire apparaître ce conflit comme une guerre entre la France et la
malheureuse petite Libye. D'où la prudence manifestée dans le choix
des mesures de rétorsion militaires. Puis, se tournant vers
eux : Monsieur le Président, monsieur le
Premier ministre, est-ce que cette présentation de notre position
correspond à ce que vous pensez ?
François Mitterrand propose à Jacques Chirac de
parler ; celui-ci décline d'un geste. Ce que vient de déclarer
Giraud est ce que le Président leur a dit lui-même il y a deux
jours.
Le Président :
Je n'ai pas d'observation. Mais il n'y a pas
que le gouvernement libyen qui souhaite attirer la France au nord
du Tchad. Nous devons apprécier où se trouve l'intérêt maximal pour
le Tchad, que nous défendons puissamment, et pour nous-mêmes. Nos
instruments de mesure sont assez bien ajustés. On doit
naturellement pouvoir riposter aussi coup sur coup. J'ai eu des
conversations assez nombreuses avec le Premier ministre et le
ministre de la Défense à ce sujet.
L'attaque contre le radar d'Ouadidoum est
relancée, cette fois avec succès. Le radar est atteint à 14
heures.
Le Président accepte la demande de Hissène Habré
d'envoyer un Transall à Fada pour évacuer une dizaine de blessés
graves.
L'élection de Michel Camdessus au FMI semble
acquise. Jacques de Larosière ira à la Banque de France dès la
semaine prochaine.
Jeudi 8 janvier
1987
La spéculation s'accélère en faveur du mark. Si
cela continue, la dévaluation deviendra vite inévitable, peut-être
même aura-t-elle lieu dès la fin de cette semaine. Le Président
verra Edouard Balladur demain après-midi.
A 18 heures, le Premier ministre fait passer au
Président le projet d'une lettre qu'il souhaite adresser à Hissène
Habré, lui annonçant l'envoi en mission du général Saulnier. La
lettre sera signée par le Président.
Le Président :
Le Premier ministre devrait comprendre que la
SNCF, c'est lui, et l'Armée, c'est moi. Définition un peu
rapide de la cohabitation...
Je m'entretiens, avec un ami de retour d'URSS, des
bouleversements en cours là-bas. Andreï Sakharov a retrouvé la
liberté, y compris de parole. Martchouk, connu comme libéral, vient
d'être nommé à la tête de l'Académie des Sciences. Une génération
nouvelle — celle de l'après-guerre — accède au pouvoir, plus
consciente que l'ancienne des problèmes économiques brûlants qui
entravent leur pays. Les Occidentaux devraient être davantage
conscients des progrès gigantesques que Gorbatchev vient de faire
accomplir à cette société figée: moralisation, transparence,
ouverture culturelle, droits de l'homme et, surtout, pour la
première fois, une avancée vers le désarmement. Il faudrait
l'aider.
D'autant qu'il est lui-même soumis à de fortes
influences contraires. L'assainissement du mode de fonctionnement
du PCUS se heurte évidemment à la résistance de la nomenklatura ;
l'ouverture vers l'Occident effraie l'ancienne génération, toujours
puissante ; parler de désarmement affole l'armée. Le réveil des
nationalismes, qui accompagne le retour à une relative liberté
d'expression, peut aussi tout bloquer. Gorbatchev a beaucoup de
monde contre lui : la bureaucratie, une grande partie de l'armée et
même la population, trop désenchantée pour se risquer à y croire.
Si l'Ouest ne le soutient pas — notamment en l'aidant
économiquement —, cela se terminera très mal.
Vendredi 9 janvier
1987
Le Président reçoit Taleb Ibrahimi, ministre
algérien des Affaires étrangères, venu lui parler du Tchad, du
Sahara et de l'affaire Malik Oussekine :
Taleb Ibrahimi :
Le Président Chadli m'a chargé de vous parler
de deux dossiers internationaux. Le Tchad, tout d'abord. La
position de l'Algérie n'a pas changé. Le conflit doit se régler
entre Tchadiens, sur la base de l'intégrité territoriale. La
solution passe par un retrait de toutes les troupes étrangères,
africaines ou extra-africaines. Nous n'avons cessé d'essayer de
convaincre les dirigeants libyens que tel était leur intérêt. Je
viens de voir Sassou N'Guesso, le Président congolais. En se
comportant ainsi, la Libye perd ses derniers amis en Afrique. Elle
est de plus en plus isolée. Les Africains sont convaincus que si la
rencontre de Brazzaville a échoué, c'est en raison de la position
libyenne. J'ai eu beaucoup d'entretiens téléphoniques avec le
Premier ministre français. Notre souhait est de voir privilégier le
dialogue sur l'affrontement. Nous tâchons d'en persuader la Libye.
Pour ce qui est de la bande d'Aouzou, il existe une sorte
d'unanimité pour occulter ce problème afin de permettre à Kadhafi
de ne pas perdre la face.
Le Président :
Je ne vois pas pourquoi la France serait
investie de la mission sacrée de s'enfoncer dans un immense désert
montagneux peu peuplé, dépourvu de ressources. Nous ne sommes pas
faits pour nous engager dans une guérilla qui apparaîtrait comme
une guerre coloniale. Lors de l'accord entre Cheysson et Triki en
1984, rendez-vous avait été pris en Crète avec Kadhafi pour
sanctionner cet accord. Huit jours avant d'y aller, je constate que
les troupes libyennes sont revenues. C'était déloyal. Il a manqué à
sa parole. Au lieu de dire à Kadhafi : « Bravo, nous avons fait la
paix ! », je lui ai dit : « Si vous touchez au 16` parallèle, ce
sera la guerre. » J'ai dû renvoyer un peu d'armée. De sa part,
envoyer six bombes dans le sable, la semaine dernière, était
ridicule. Il s'est agi d'une petite opération de propagande. Nous
avons, en guise de représailles, détruit le radar d'Ouadidoum. Nous
étions obligés de le faire. A l'origine de tout ça, il y a le
manquement à la parole donnée. Cela dit, ce n'est pas à moi de
régler un problème africain. L'unité des États africains repose sur
le respect des frontières originelles. Les remettre en cause, c'est
remettre en cause toutes les unités
nationales africaines. Regardez la Côte-d'Ivoire : trois cents
dialectes ! Ce n'est pas la peine de réveiller ça, de légitimer de
futures révoltes...
Taleb Ibrahimi :
Tout à fait d'accord. Kadhafi est très
imprévisible. Le premier froid entre lui et nous est venu de cette
question de l'intangibilité des frontières. Les pères fondateurs de
l'OUA ont fait preuve d'une grande sagesse en inscrivant ce
principe dans la charte de l'organisation.
Le Président :
Il y a, sur ce point, similitude d'intérêts
entre Hassan II et Kadhafi : ils ne tiennent pas compte de ce
principe du droit international.
Taleb Ibrahimi :
Mon deuxième point concerne le Sahara. Le
Président Chadli tient à vous faire part de la disponibilité de
l'Algérie à participer à quelque rencontre que ce soit. M. Perez de
Cuellar a tenu deux rounds de négociations indirectes. Il vient à
Alger fin janvier. Le Roi du Maroc a demandé à Jacques Chirac
d'insister auprès de vous pour qu'ait lieu une rencontre entre
Chadli et lui. Mais sur quelles bases ?
Le Président :
Un Sommet ?... Il faut être sûr qu'il
réussisse.
Taleb Ibrahimi :
C'est exactement notre position. Après
la rencontre d'Ifrane [entre Hassan II
et Shimon Pérès], l'opinion algérienne
pourrait difficilement le comprendre.
Mais nous sommes d'accord sur l'idée d'une rencontre entre le Roi
et moi-même dans les prochaines semaines. L'idée du Maghreb demeure
très puissante. Vous savez que Chadli a vu le Roi en 1983. Je l'ai
moi-même rencontré en 1985. Dernièrement, Hassan II a vu le
ministre tunisien des Affaires étrangères. Il lui aurait dit
: « J'accepte l'exécutif et le
législatif pour les Sahraoui. Mais la diplomatie, c'est trop. Cette
nouvelle entité ne saurait avoir d'ambassades. »
Nous allons travailler sur cette
base.
Le Président
: Nous vous sommes reconnaissants de vos bons
offices discrets sur certaines questions de
personnes...
Taleb Ibrahimi :
Sur le plan bilatéral, nous sommes préoccupés
par la recrudescence d'actes de racisme contre la communauté
algérienne. Mais nous sommes touchés par la manière dont vous-même
avez abordé le problème, par les gestes
dont vous avez pris l'initiative à l'égard de la famille Oussekine.
Le Président Chadli y a été très sensible.
Le Président :
Je ne pouvais pas accepter cela sans réagir.
J'ai tenu à marquer mes distances à l'égard du gouvernement... J'ai
rencontré, en allant les voir, des gens d'une qualité
remarquable...
Taleb Ibrahimi :
Sur le plan commercial, nous sommes revenus à
un déficit considérable, de l'ordre de 3 milliards. M. Balladur
vient à Alger au début de février. A cette occasion, nous allons
effacer de la liste des contentieux la question des biens
immobiliers français. Nous reparlerons du problème du gaz. Il faut
chercher un équilibre par le haut, en utilisant le
gaz.
Le Président:
Dites au Président Chadli que je serais
heureux de venir déjeuner avec lui. Nous allons chercher une date
après le 15 février.
Le Président relève deux
contradictions dans l'intervention de Raymond Barre à L'Heure de vérité, le 7 janvier. D'abord, une
mauvaise interprétation du Lièvre et la
Tortue, puisque, dans la fable, c'est la tortue qui part la
première. Ensuite, le fait que Raymond Barre se reconnaisse le
droit de recevoir les grévistes en tant que député, mais dénie ce
même droit au Président : Moi, je suis député de toute la France,
estime François Mitterrand.
Le Président confie aux
permanenciers de l'AFP à l'Élysée, deux professionnels impeccables
: Je ne veux pas précipiter les événements et
je n'ai pas encore pris ma décision. Mais si l'élection
avait lieu aujourd'hui et
si j'étais candidat, je serais élu les doigts
dans le nez !
Jacques Delors me téléphone de Bruxelles pour me
prévenir de la demande allemande d'une réunion des ministres des
Finances, ce week-end, en vue d'une réévaluation du mark, mais qui
ne serait pas supérieure à 3 %. Édouard Balladur se trouve alors
dans le bureau du Président. J'informe ce dernier, qui prévient le
ministre d'État. Édouard Balladur dit qu'il ne veut pas d'une
dévaluation du franc, mais laisse entendre que le Premier ministre
pourrait être tenté par une sortie du SME.
Devant le risque de voir détruire la construction
européenne, et pour éviter que, durant la négociation, Chirac
oblige Balladur à sortir du SME, le Président écrit au Premier
ministre pour demander que tout soit rapidement fait pour qu'une
discussion s'engage, dans la clarté, avec les partenaires sociaux,
notamment sur tout ce qui touche à la dignité des travailleurs en
grève et à leurs conditions de travail. A propos du réaménagement
monétaire, il confirme qu'il approuve la position prise par Jacques
Chirac comme par les précédents Premiers ministres, consistant à
exclure toute sortie du franc du système monétaire européen.
Samedi 10 janvier
1987
Maurice Ulrich appelle Michèle Gendreau-Massaloux
pour s'inquiéter d'une éventuelle publication de la lettre que le
Président vient de faire porter au Premier ministre sur la
dévaluation. Michèle Gendreau-Massaloux le rassure.
Dimanche 11 janvier
1987
Réunion des Douze ministres des Finances, qui
parviennent à un accord dans la nuit. Le mark et le florin
néerlandais sont réévalués de 3 %, et le franc belgo-luxembourgeois
de 2 %. Le franc français ne bouge pas. C'est la moins mauvaise
solution pour nous, même si la réévaluation du mark est trop faible
pour être sérieuse.
Lundi 12 janvier
1987
A l'appel de Jacques Toubon, manifestation
d'usagers de la RATP mécontents au Palais-Royal : 15 000 personnes.
Très chic.
Fin de la grève à la SNCF.
Gérard Longuet réduit le programme de câblage
prévu en 1982.
La réévaluation du mark est mal reçue par le
marché. Elle est jugée insuffisante.
Je vois Edouard Balladur à propos du prochain
Sommet des Sept. Toujours précis, efficace, soucieux de discuter du
fond, d'apprendre et d'informer le Président.
Denis Baudouin joint Michèle Gendreau-Massaloux
pour lui faire part de l'émotion de Jacques et Bernadette Chirac à
la suite d'un écho paru dans Le Journal du
dimanche selon lequel Bernadette Chirac aurait évoqué
l'amertume de Danielle Mitterrand en disant : Je la plains... J'en fais part au Président, qui me dit : Chirac
m'a appelé lui-même pour me dire combien il était
ennuyé.
Mardi 13 janvier
1987
Un chiite libanais, Mohamed Hamadé, est arrêté
avec une valise d'explosifs à l'aéroport de Francfort. Il est
recherché pour le détournement du Boeing de la TWA à Athènes en
1985.
Au Liban, enlèvement du journaliste Roger
Auque.
A Rome, Jean-Paul II reçoit Jaruzelski.
Le Président reçoit le général Saulnier, de retour
du Tchad. Il accepte que des Transall puissent atterrir au nord du
16e parallèle pour constituer une base
logistique destinée à alimenter les éléments qui soutiennent la
guérilla autour de Zouar et de Bardaï.
Mercredi 14 janvier
1987
Recevant le Premier ministre, le Président l'interroge à propos du Conseil
national des universités, dont la création est prévue au Conseil
des ministres d'aujourd'hui : Êtes-vous sûr
qu'il n'y a pas de piège ? J'ai appris à recommander
aux Premiers ministres à toucher à ces matières avec la plus grande prudence.
Au Conseil, après l'exposé de René Monory,
Le Président intervient sur le même sujet
: Vous savez que c'est une affaire inflammable. On avait déjà pu le constater avec
votre lointain prédécesseur, M. Savary. Il faut examiner l'affaire
dans tous ses recoins.
René Monory : J'espère l'avoir fait, monsieur le Président.
Edouard Balladur annonce
la nomination de Jacques de Larosière comme gouverneur de la Banque
de France à la place de Michel Camdessus : Cela ne doit pas être rendu public tout de suite, en
raison du mouvement au FMI. Jacques Chirac intervient à son
tour pour insister sur la nécessité du secret.
Le Président
: Je veux bien, mais j'ai entendu toutes les
radios l'annoncer ce matin [rires]. C'est un fonctionnaire remarquable et un excellent
choix...
Edouard Balladur propose
la nomination de M. Cahart à la direction des Monnaies et Médailles
: C'est un homme de culture remarquable, qui a
écrit de très bons romans, un spécialiste des religions
proche-orientales...
Le Président :
J'espère qu'il sera capable surtout d'examiner
de près le modèle des pièces [sourires de
l'assistance].
François Léotard propose des nomiriations dans
l'audiovisuel : Janine Langlois-Gandier à la présidence de l'INA ;
Jacques Pomonti comme directeur délégué à la SOFIRAD.
Le Conseil entend ensuite un exposé très terne de
Jean-Bernard Raimond sur la politique étrangère. Camille Cabana
évoque la simplification administrative : considérations
habituelles, mais aucune mesure originale. Jacques Chirac avait
réuni dix-neuf ministres sur ce sujet, mais la montagne a accouché
d'une souris...
Édouard Balladur lit un
exposé emphatique sur le réaménagement monétaire. Selon lui, tout
va très bien. L'économie française va même mieux que l'économie
allemande, puisque la masse monétaire croît moins vite chez nous et
que les coûts unitaires de production évoluent au même rythme. Il
fait part de ses inquiétudes à la suite des propos de Karl Otto
Pôhl, gouverneur de la Bundesbank, qui a déclaré que la Banque
centrale allemande pourrait ne plus intervenir sur les marchés à
l'avenir. Édouard Balladur conclut : Cela me
conduit à réfléchir de façon plus longue et approfondie sur le
statut de la Banque de France. Autrement dit, son
indépendance n'est pas pour demain...
Le Président reçoit Silvio Berlusconi. Nul ne sait
ce qu'ils se disent.
Jeudi 15 janvier
1987
Si l'on en croit les rumeurs, l'ambiance dans la
majorité est tendue. Jacques Chirac semble convaincu que rien ne
lui réussit, que tout se ligue contre lui. Toujours pas de
remplaçant d'Alain Devaquet comme ministre délégué à l'Enseignement
supérieur et à la Recherche.
Albin Chalandon annonce un réexamen et une
consultation à propos du Code de la nationalité. Le Président commente : Ils
n'épargneront rien !
François Mitterrand se rend à Londres où il
prononce un discours devant le Royal Institute for International
Affairs. Il y affirme l'importance du renforcement de la
coordination en matière de défense. Il se dit favorable à l'idée
d'une Présidence communautaire permanente.
Ronald Reagan souhaite conclure son mandat par un
accord avec l'URSS de nature à le camper en « homme de paix », mais
pas au prix de concessions sur l'IDS.
On nous rapporte que René
Monory aurait déclaré à des journalistes, à propos des
sondages donnant François Mitterrand réélu en 1988 : Il aura soixante-dix-neuf ans en 1995...
Le Président hausse les épaules :
Ce bon M. Monory n'a vraiment pas le sens de
la communication. Il aurait dû dire : François Mitterrand aura 100
ans en 2016...
Vendredi 16 janvier
1987
Déjeuner avec François Bujon de
l'Estang. Il se montre très conciliant : J'en ai assez d'être présenté comme un dur. Moi, je veux
que la cohabitation marche. C'est vrai, au début, nous n'avons pas
été corrects : mais Chirac pensait que cela ne durerait pas et il
voulait être en position de force dans la crise. Il est très
choquant que les messages diplomatiques confidentiels ne soient pas
adressés à l'Elysée. Je ne pense pas que ce soit le fait de
Jean-Bernard Raimond. C'est sùrement son directeur de cabinet, M.
Desmarest...
Samedi 17 janvier
1987
Je pars pour deux jours à Jérusalem à l'invitation
de Shimon Pérès. Le ministre des Affaires étrangères israélien me
fait rencontrer plusieurs ministres (Finances, Immigration), le
responsable de l'analyse stratégique de l'armée, l'administrateur
des territoires occupés, les principaux économistes et les
dirigeants du Parti travailliste. Pour Shimon Pérès, la négociation
actuelle constitue la dernière chance de paix avec le Roi Hussein.
Il rêve d'organiser une conférence internationale où siégeraient
les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, Israël, le
Maroc, l'Égypte et la Jordanie. Pour y parvenir, il y a deux
problèmes très difficiles à régler : celui de la participation de
l'URSS et celui du statut des Palestiniens dans la délégation
jordanienne.
Si la négociation avec Hussein réussit, il
proposera à la Jordanie un grand projet économique : un canal
Eilat-Akaba-mer Morte. Si la négociation échoue — Pérès pense que
c'est très probable —, il tentera une stratégie plus directe avec
les Palestiniens, en essayant de susciter une élite, dans les
territoires occupés, avec laquelle appliquer quelque chose comme le
statut d'autonomie prévu à Camp David.
Sur l'Irangate, Shimon
Pérès se sent très tranquille : Tout
sera publié et on verra que les Israéliens n'ont joué aucun rôle,
sinon passif. Mais nous ne répondrons pas, pour ne pas nuire aux
Américains.
Il est très inquiet de la prise éventuelle de
Bassora par les Iraniens. L'insécurité dans les territoires occupés
et la Vieille Ville devient considérable. L'Iran constitue
désormais une réelle menace militaire. (Montazeri, dit-il, est le
seul à avoir le fil avec les otages.)
Sur le plan interne, le gouvernement d'Union
nationale est stable et nul n'a les moyens de provoquer une crise.
Pour les prochaines élections, Pérès songe à proposer de mobiliser
les énergies du pays autour de la mise en valeur du Néguev.
Israël est en bien meilleure position qu'il y a
quelques mois : le pays n'a plus de complexe de culpabilité. Le
gouvernement, du fait de sa stabilité, peut prendre des initiatives
de paix. Aucun pays arabe n'a les moyens d'être militairement
menaçant. Pour autant, à terme, des nuages s'amoncellent et la
crise sociale s'accélère (grève dans les hôpitaux...). Le Parti
travailliste traverse une crise d'identité, il n'a pas de programme
et on ne voit émerger de ses rangs aucun jeune dirigeant de
qualité. Surtout prévaut le sentiment que l'Union nationale sert
davantage la droite, même si Shimon Pérès est l'homme politique le
plus populaire du pays, ce qui est nouveau pour lui.
Lundi 19 janvier
1987
Nous recevons de plus en plus irrégulièrement les
feuilles de change indiquant les interventions quotidiennes de la
Banque de France sur les marchés.
Alain Devaquet n'est toujours pas remplacé. Un
remaniement ministériel s'annonce. Il semble poser quelques
problèmes : Maurice Ulrich devait en parler en début d'après-midi à
Renaud Denoix de Saint Marc. Il ne l'a pas fait.
Régis Debray revient d'un colloque en Inde où il a
rencontré Raymond Barre et Simone Veil : virulents contre le
gouvernement, très corrects à l'égard du Président.
Privatisation de Paribas : ouverture de la
souscription.
Jean-Louis Bianco reçoit longuement Jean-François Deniau, qui rentre du Liban. Comme
toujours, le point de vue libre et lucide d'un homme de courage et
de sagesse : Beaucoup de Libanais, en
particulier à Beyrouth, souffrent de la faim. La France et la
Communauté pourraient prendre l'initiative d'une aide alimentaire
d'urgence. Il aurait été bien d'essayer d'étendre, au moins par un
accord tacite, le mandat de la FINUL à la zone de Jezzine, pour
montrer qu'elle peut efficacement protéger une zone
multiconfessionnelle où il n'y a pas de graves
problèmes. Un des éléments de l'influence de la Syrie au Liban est
le contrôle qu'elle exerce sur la drogue [culture du pavot].
En ce qui concerne les otages, la seule
solution serait le silence. La France ne devrait pas apparaître
comme demandeuse. Elle devrait au contraire fixer à l'Iran et à la
Syrie, de manière non publique, des délais limites pour la
libération des otages, au-delà desquels elle reconsidérerait sa
politique à l'égard de la Syrie, en montrant que celle-ci n'est pas
un État respectable. Le Quai d'Orsay a la preuve que les Syriens
ont commandité la tentative d'attentat dont j'ai été victime au
cours d'un vol en hélicoptère avec une délégation du Parlement
français. A l'égard de l'Iran, il faut refuser de payer les sommes
dues pour Eurodif. Hussein Moussawi travaille pour la Syrie et
l'Iran. De la même manière, la famille Abdallah travaille pour la
Syrie et pour l'Algérie.
Le numéro un afghan actuel
est un « dur » formé par le KGB et spécialiste des divisions
tribales. Il ne faut pas oublier que, lors de l'invasion de
l'Afghanistan, une dépêche Tass a fait état d'un objectif
d'annexion. Au-delà de l'Afghanistan, ce que vise l'URSS, c'est la
déstabilisation du Pakistan. La hiérarchie des objectifs de l'URSS
en Afghanistan est la suivante : d'abord l'annexion ; comme
celle-ci n'est manifestement pas possible aujourd'hui, elle
viserait plutôt un statut comme celui de la Mongolie-Extérieure ou,
à défaut, comme celui de la Finlande. Si l'Occident joue bien, on
peut sans doute aller un cran en-deçà et obtenir un statut de type
autrichien. Un élément susceptible de peser sur l'Union soviétique
serait que certains pays occidentaux accordent à la résistance
afghane un statut analogue à celui de l'OLP. Les Pays-Bas, le
Luxembourg, la Suède y seraient peut-être prêts si on leur disait
qu'il n'y a pas d'obstacle.
On néglige beaucoup trop les
conflits régionaux: Cambodge, Afghanistan, Afrique australe,
Éthiopie... En Afrique australe, l'émergence de régimes modérés
capables d'une certaine réussite économique, en Angola et au
Mozambique, pourrait contribuer à faire évoluer l'Afrique du Sud.
Rien de pire pour elle que d'avoir à sa porte des Africains noirs
qui réussissent.
Dans un article très bien documenté, Le Matin
décrit comment Jacques Chirac aurait fait échouer, avant mars 1986,
les négociations de libération des otages. Le journal publie le
télégramme qu'Éric Rouleau a envoyé au Quai à cette occasion.
Chirac est furieux : il fait démentir par Matignon.
Mardi 20 janvier
1987
Sur l'affaire du « vrai-faux » passeport, Charles
Pasqua se retranche derrière le secret défense.
Le juge d'instruction Michau, chargé de l'affaire
Carrefour du Développement, transmet le dossier Nucci au
Parquet.
Toujours pas de remplaçant d'Alain Devaquet
!
Séminaire gouvernemental à Matignon. 2 574 000
chômeurs.
Le Président :
Jacques Chirac s'occupe toujours de
l'immédiat, il saute tout de suite sur ce qui brille... Il a un
tonus formidable !
Jean-Louis Bianco reçoit un coup de téléphone de
Maurice Ulrich : A
la demande de Jean-Bernard Raimond, le Premier ministre a décidé de
faire recevoir M. Ahani, le chargé de mission iranien venu à Paris,
par moi.
Le Premier ministre appelle le Président à ce
sujet.
Le Conseil des ministres dissout le Mouvement
corse pour l'autodétermination, vitrine légale du FLNC.
Le Premier ministre
parle de Saint-Pierre-et-Miquelon, dont il revient : Tout va bien, sauf la pêche...
Le Président :
Il est difficile de dissocier le droit et le
fait. En droit, il est indiscutable que le Canada a tort. En fait,
il est incontestable que nos pêcheurs ne remplissent pas toujours
leurs obligations.
Incroyable récit ! Maurice Ulrich a donc reçu
l'envoyé de Téhéran, M. Ahani : trois quarts d'heure de
conversation sans intérêt. Il ne voulait transmettre le message
dont il était chargé qu'au seul Premier ministre. Il voulait un
tête-à-tête avec Jacques Chirac. Et Jacques Chirac a fini par
accepter : il a reçu l'Iranien seul, en tête à tête !
Ulrich vient raconter ce qu'il en sait à Bianco.
Ahani aurait formulé oralement à Chirac quatre propositions : on
reprend les négociations financières amorcées par Jean-Claude
Trichet, avec la volonté de conclure un accord ; quarante-huit
heures après la conclusion de cet accord, la France rembourse
l'Iran ; la France libère Naccache ; après, tous les otages
français au Liban sont libérés. Réponse du Premier ministre :
Ce n'est absolument pas acceptable pour la
France. On peut envisager: une
reprise des négociations financières ;
un échange parallèle Naccache/otages
français...
Jean-Louis Bianco
interrompt Maurice Ulrich : Échange n'est pas
le mot correct. La libération de Naccache ne peut qu'être une
mesure humanitaire décidée par le Président, pas l'objet d'un
échange.
Maurice Ulrich se
reprend : Je suis sûr que le Premier ministre
a bien expliqué à son interlocuteur iranien ce qu'il en est, et lui
a précisé que le gouvernement serait prêt à proposer au Président
une mesure de grâce au cas où... Troisième point, a ajouté Jacques
Chirac : un échange d'ambassadeurs entre la France et l'Iran, si
les deux premiers points sont remplis. L'émissaire iranien n'a fait
aucun commentaire sur cette contre-proposition.
Incroyable imprudence ou insigne courage : le
Premier ministre a négocié seul, dans son bureau, la libération des
otages !
De retour du Conseil d'État où il a présidé une
cérémonie, le Président me dit : C'est vrai
qu'ils sont bien, les gens du Conseil d'État. S'il n'y avait pas eu
la guerre, j'aurais voulu être conseiller d'État. Il
poursuit : J'ai été ministre pour la première
fois il y a quarante ans... Et puis, pendant vingt-quatre ans, je
n'ai pas été au gouvernement, je n'ai pas remis les pieds dans un
palais officiel. Alors, quand on me taxe d'opportunisme... Si j'ai
été ministre sept ans et demi, cela ne peut évidemment être dû qu'à
mon habileté!
Le remaniement est décidé. Jacques Valade devient
ministre délégué à la Recherche et à l'Enseignement supérieur. Jean
Arthuis devient secrétaire d'État à la Consommation et à la
Concurrence.
Le juge Michau fait placer le commissaire Delebois
sous contrôle judiciaire : il a reçu du Parquet l'ordre de ne pas
l'incarcérer !
Le Président écrit à Charles Pasqua à propos de
l'invocation du secret défense dans l'affaire du « vrai-faux »
passeport délivré à Yves Chalier par la DST. Il souhaite marquer un
coup : ou Pasqua ne lui donne aucune information, et cela lui
permet ultérieurement d'en faire état ; ou Pasqua répond, et cela
peut lui permettre de répliquer que la conception qu'a le ministre
du secret défense n'est pas fondée.
La Lettre de la Nation
relance la polémique à propos des otages : Qui
pourrait faire grief [à Jacques Chirac
d'avoir], avant le 16 mars 1986, multiplié ses efforts pour
parvenir à leur libération ? D'ailleurs, ajoute le rédacteur
RPR, les Iraniens jugeaient sûrement plus
crédibles les responsables de l'opposition d'alors que les membres
du gouvernement Fabius. Curieux démenti en forme
d'aveu...
Jeudi 22 janvier
1987
Shimon Pérès est à
Paris. Il s'inquiète d'une éventuelle débâcle iranienne face à
l'Irak : Khomeyni est atteint d'un cancer. Il
en a pour moins de deux ans. Il est paralysé des pieds. Deux
successeurs possibles : Montazeri, le dur, ou Rafsandjani,
l'opportuniste.
François Mitterrand :
Personne ne veut bouger et rien ne se
passera.
Sur le rôle de l'OLP dans l'affaire des otages :
un Palestinien important me dit que Yasser Arafat et Abou Iyad ont
contribué à la libération d'Aurel Cornea. En utilisant les
antagonismes entre Amal et le Hezbollah, Arafat a réussi à
reprendre pied au Liban en obtenant la neutralité des divers
groupes armés à son égard. Grâce aux ressources financières de
l'OLP, il serait parvenu à influencer certains groupes proches des
ravisseurs. Mon interlocuteur suggère d'encourager Yasser Arafat à
poursuivre son action en faveur de nos otages, d'autant plus qu'il
ne réclame rien en échange. Une bonne façon de l'y inciter serait
de demander au Président Abdou Diouf, avec qui Arafat est très lié
et en qui il a grande confiance, de lui dire, à l'occasion du
Sommet islamique qui doit se réunir à Koweït à partir du 26
janvier, que le Président et le gouvernement français le remercient
de ce qu'il a déjà fait et lui seraient reconnaissants de
poursuivre ses efforts.
Jacques Delors est à Paris. Il fait une tournée
des capitales pour présenter son programme de réforme de la
Communauté. Il soumettra ses conclusions à la Commission le 15
février, et au Parlement européen le 18. Pour assurer la cohésion
de la Communauté, prévue par l'Acte unique, Delors propose le
doublement des crédits affectés aux fonds structurels, en les
concentrant sur les régions prioritaires. En quatre ans, de 1988 à
1992, 60 milliards d'écus y seraient affectés. Mais la part de
l'agriculture dans le budget diminuerait de 65 à 50 %, tandis que
les mécanismes de soutien aux prix — souvent dénoncés comme
absurdes — laisseraient progressivement la place à l'aide directe
aux petits agriculteurs.
Il demeure un énorme problème : le déficit
budgétaire prévisible évalué à 4 milliards d'écus. Jacques Delors
propose donc d'affecter un pourcentage du PIB aux ressources
propres (jusqu'ici plafonnées par un taux de TVA).
Jacques Chirac est violemment contre le plan
Delors. Et il a déjà affirmé être sur la même longueur d'ondes, en
la matière, que Londres et Bonn. Ses collaborateurs prétendent que
Delors ne recueillera que le soutien des nouveaux adhérents et des
pays du Sud.
Delors dîne avec Chirac. Un des participants me
raconte par le menu cette rencontre et les propos échangés. Le
Premier ministre est ferme, brutal. La discussion est quelquefois
très vive. Jacques Chirac parle d'abord des programmes intégrés
méditerranéens (PIM), subventions de Bruxelles aux régions du sud
de l'Europe : Les Conseils régionaux menacent
de ne pas signer les PIM si la Commission ne débloque pas des
crédits supplémentaires.
Jacques Delors :
J'ai refusé catégoriquement. On n'est pas au
bazar d'Istanbul !
Jacques Chirac
: Pour l'implantation de l'Office des marques,
Strasbourg était candidate. La Commission n'a pas retenu Strasbourg
dans la première liste des quatre noms qui ont été sélectionnés.
Cela me met dans une situation épouvantable ! On dit que c'est ma
faute... comme tout ce qui arrive en ce moment. Même le froid,
c'est ma faute !
Jacques Delors, sur la
PAC : Il ne faut plus produire d'excédents. Il
faut diminuer les stocks, pratiquer une politique de prix plus
sélective, et aider les petits producteurs. Je suis le seul à
penser aux petits producteurs, car personne ne les soutient à la
Commission. Mais il faut quand même faire quelque chose pour
réduire les déficits, et il est essentiel de protéger les
restitutions.
Jacques Chirac :
Il n'y a aucune raison de se culpabiliser.
Nous sommes engagés dans un processus de réforme difficile. La PAC
est un pilier essentiel de la construction de l'Europe. Ce n'est
pas la peine de faire l'Europe si l'on détruit la PAC. Maintenant
qu'on a réformé les marchés du lait et de la viande bovine, il faut
s'attaquer aux matières grasses. La mollesse de l'Europe face aux
États-Unis est inadmissible.
Jacques Delors :
Je ne veux pas que l'on remette en cause les
mécanismes actuels de la PAC. Une
politique d'aide directe serait coûteuse et irréaliste. Si l'on
veut faire de l'aide directe, alors qu'on renationalise la PAC,
qu'on le dise, et on fera une autre Europe !
Jacques Chirac :
Ce que vous avez fait sur la viande et sur le
lait était courageux, mais vous risquez de voir disparaître les
deux tiers des agriculteurs français. Que ferez-vous ?
Jacques Delors :
C'est un autre problème. Il s'agit de voir ce
que l'on peut faire comme politique sociale en France pour les
agriculteurs... [Sur le système financier :] Aujourd'hui, le budget de la Communauté est de 37
milliards d'écus. Il en faudrait 42 pour financer ce qui a été
décidé, et il en faudra 52 en 1992. La Commission veut 57
milliards, mais je tiendrai sur 52 milliards. Je propose que l'on
plafonne les ressources à 1,4 % du PIB, soit un prélèvement de 2 %
sur la TVA.
Jacques Chirac :
Ceci n'est pas raisonnable. On marche sur la
tète ! Je peux aller jusqu'à 1,6 % de TVA, pas plus. Il n'est pas
possible d'augmenter le budget de la Conrnrcrnauté de la sorte.
Passer de 37 à 52 milliards, c'est une augmentation de 25 %. Aucun
budget national n 'augmente à cette allure ! La France ne peut
verser davantage. Ce n'est pas possible. Il faut diminuer les
prélèvements obligatoires. Les fonds structurels sont une pompe à
finances pour les pays en voie de développement de l'Europe. Je
préfère donner des fonds au Sahel et aux pays vraiment pauvres
!
Jacques Delors :
On ne fera pas l'Europe sans une augmentation
des ressources et sans financer les pays du Sud. Vous allez
au-devant d'une crise.
Jacques Chirac
: Eh bien, il faudra attacher sa ceinture
!
Jacques Delors :
Neuf pays sont favorables à mes propositions,
contre trois. Vous provoquerez une crise par l'alliance
franco-britannique. Les Allemands, qui vous soutiendront dans un
premier temps, se désolidariseront ensuite, et, au bout du compte,
les Anglais vous laisseront tomber.
Jacques Chirac :
Je tiendrai compte de cela.
Jacques Delors :
Ça peut être une crise très grave. Nous
n'hésiterons pas à faire des coupes de 20 % dans les dépenses du
budget 1987, y compris les dépenses agricoles. J'en ai le droit ;
la Cour de justice me l'a confirmé. Je ne veux pas recourir à des
expédients, comme mes prédécesseurs. Et je ne laisserai pas un
budget en déficit.
Coup de téléphone, cet après-midi, de Charles Pasqua : Cette affaire
de Police judiciaire, ça ne peut plus durer! [Le Président
bloque, depuis plusieurs semaines, la nomination du commissaire
Leclerc à la direction de la Police judiciaire.] Je suis d'avis que l'on nomme directeur le sous-directeur.
Il est inodore, incolore et sans saveur. Il n'a pas tout à fait le
niveau. Il est apprécié à la PJ. Ça ne devrait pas poser de
problème, tout au moins je le pense...
Vendredi 23 janvier
1987
Édouard Balladur ne confirme pas à Jacques Delors
la décision annoncée par Jacques Chirac d'accepter de voir passer
le plafond de ressources communautaires de 1,4 à 1,6 %.
Édouard Balladur : J'hésite encore... Pourtant, le Premier ministre a
déjà rendu son arbitrage.
A la suite d'un conseil d'administration de
TV6, Publicis, Gaumont et NRJ annoncent
qu'ils se portent (sans les autres actionnaires) candidats à leur
propre succession pour TV6. Virgin et
Polygram rallient le projet d'UGC.
Dimanche 25 janvier
1987
La coalition dirigée par le Chancelier Helmut Kohl
conserve le pouvoir en Allemagne fédérale en dépit du recul des
chrétiens-démocrates et des démocrates-sociaux. La CDU-CSU passe de
244 à 223 sièges, le Parti libéral progresse de 34 à 46 sièges ; le
Parti social-démocrate en obtient 186. Les Verts, avec 42 élus,
gagnent 15 sièges.
Lundi 26 janvier
1987
Lors de la réunion du Comité central du PCF,
Claude Poperen et Marcel Rigout démissionnent des instances
dirigeantes.
Jacques Chirac s'effondre dans les sondages.
Raymond Barre grimpe. Au second tour, ce serait le candidat le plus
difficile à battre pour François Mitterrand.
Je fais à nouveau part au Président de mon
hostilité à sa nouvelle candidature : Vous
avez pour ainsi dire réalisé tout votre programme. Rien à faire de
plus. Un second mandat se tenninera nécessairement mal. Vous serez
un homme sans pouvoirs dans une seconde cohabitation. Et l'opinion
sera pressée de vous voir partir.
Il semble partager mon point de vue : Il n'est pas question que je me représente.
Mardi 27 janvier
1987
Le Président reçoit André Giraud. Ils parlent
surtout du Tchad.
Maurice Ulrich :
Est-ce que Gérard Colé ne pourrait pas
s'occuper un peu de l'image du Premier ministre, qui en a bien
besoin ?
Renaud Denoix de Saint Marc se plaint d'avoir du
mal à obtenir la signature du Président pour la nomination d'un
sous-préfet. Il est vrai qu'il s'agit d'un sous-préfet de la Nièvre
et qu'on a omis de lui demander son avis !
Concernant la vente d'Airbus à l'Afrique du Sud,
il semble qu'on ne puisse plus
l'empêcher, dit Maurice
Ulrich.
Dans un discours prononcé devant le Conseil de
l'Europe, à Strasbourg, Jacques Chirac présente la Recherche comme
une priorité pour la France et l'Europe. Quel culot !
Mercredi 28 janvier
1987
Avant le Conseil, le Président s'entretient en
tête à tête de la Nouvelle-Calédonie avec le Premier ministre. Je
ne sais pas ce qu'ils se disent. Peu après, le
Président me confiera : J'ai trouvé
Chirac extrêmement conciliant.
Puis, échange de vues détendu sur le voyage en
Alsace.
Le Président :
Un de mes mauvais souvenirs de ce voyage en
Alsace, c'est que, grâce à la sollicitude de mes collaborateurs,
j'ai été privé de choucroute.
Le Premier ministre :
Moi, je m'étais méfié. On m'en a
servi.
Au Conseil, échange sec entre le Premier ministre
et le ministre de la Défense, une fois encore sur la Guyane. A
Jacques Chirac, qui se dit inquiet de la protection insuffisante de
Kourou, André Giraud réplique :
Cela a déjà été étudié, monsieur le Premier
ministre.
A propos des négociations entre la CEE et les USA,
le Premier ministre : J'ai été très choqué par l'attitude américaine, qui
n'était justifiée ni par des arguments justes ni par un minimum de
ce que l'on pourrait attendre d'une concertation entre pays alliés.
Mais l'accord était inévitable. Il faut bien savoir que nous avons
mangé notre chapeau.
Jean-Bernard Raimond me
souffle après le Conseil : Ce genre de
consignes, je n'en ai plus rien à faire...
Jeudi 29 janvier
1987
Le Président au sujet de
L'Heure de vérité de Michel Delebarre :
C'est le meilleur socialiste que j'aie vu
depuis longtemps.
Dans l'affaire Apap (le procureur de la République
de Valence qu'Albin Chalandon veut sanctionner parce qu'il a
critiqué sa politique de lutte contre la toxicomanie), le Président
refuse de signer la mutation-sanction. Il faut que Chalandon trouve
une solution qui ne soit pas défavorable au procureur.
Un banquier évincé par Chirac nous explique :
Bien avant le 16 mars, il avait été décidé par
Balladur et Chirac de procéder à une épuration. Le terme a été
employé par eux visant les « collaborateurs », autrement dit les
hauts fonctionnaires non socialistes qui avaient collaboré de 1981
à 1986, de façon à ce que si, par malheur, les socialistes
revenaient un jour, ils ne trouvent plus de collaborateurs chez les
non-socialistes. Il avait été décidé de faire cinq exemples:
Peyrelevade, Mayoux, Haberer, Pebereau et Fauroux.
Vendredi 30 janvier
1987
Le Président reçoit le Premier ministre portugais,
Cavaco Silva. On parle du budget européen.
Jacques Chirac déjeune
ensuite avec Cavaco Silva. Un des participants me rapporte les
propos du Premier ministre français : Un
Conseil européen en mars ? Cela ne me paraît pas une bonne idée. Je
crains que les Anglais et les Allemands ne renâclent et que
l'opposition au passage à 1,6 % ne se manifeste trop
tôt.
Sur Timor : Nous n'aurons pas
la même attitude que le gouvernement précédent, qui
avait adopté une position de totale fermeture
pour ne pas déplaire à l'Indonésie.
Sur le Nicaragua : La
Communauté européenne est beaucoup trop
compréhensive à l'égard de Managua. D'ailleurs, c'est un problème
qui intéresse les Américains et doit être traité par
eux.
Sur la Nouvelle-Calédonie : Le gouvernement précédent a eu une attitude
irresponsable.
Sur l'Afrique du Sud : Je ne
crois pas du tout à l'efficacité des sanctions. C'est une façon,
pour les protestants hollandais, de se donner bonne conscience. Si
Botha n'était pas venu deux jours avant le Sommet de Lomé, je
l'aurais accueilli d'une autre manière.
Sur la Turquie : Les Turcs
immigrés en France sont de gros travailleurs. Là où un Français
gagne 5 000 francs, ils en gagnent 15 000. Ils valent beaucoup
mieux que les Grecs. D'ailleurs, ce socialo et ce démagogue de
Papandréou n'apprécie pas ma politique de rapprochement avec les
Turcs. Mais, de là à les faire entrer dans la Communauté, c'est un
autre problème, ça prendra du temps.
Samedi 31 janvier
1987
Privatisation de Paribas : fin de la
souscription.
François Bujon s'est
montré très hostile à ma présence demain avec lui à Bonn, en
invoquant un prétexte stupéfiant : On ne va
pas aller à Bonn étaler nos différences de points de vue sur la
dissuasion... Je lui ai répliqué que, s'il avait un point de
vue différent du nôtre à défendre devant les Allemands, on pourrait
en effet s'interroger sur l'utilité de son voyage ! Nous en sommes
restés là. Jean-Louis Bianco doit en parler avec Maurice Ulrich. Le
mieux serait sûrement que Bujon annule son voyage (il a prévu de
partir demain avec quatre autres personnes de Matignon !) et
renvoie tout à une discussion entre Jean-Bernard Raimond et
Hans-Dietrich Genscher.
Dimanche 1er février 1987
Je réunis chez moi les quatre sherpas européens pour faire le point sur les
questions communes avant la réunion, au milieu de la semaine
prochaine à Florence, des sept sherpas.
Une faille s'est produite dans la solidarité européenne. Un G5 se
prépare sans que les Italiens en soient informés. Les Italiens, qui
se doutent de quelque chose, seraient furieux si un prochain G5
venait à annoncer des décisions monétaires, même s'il était suivi
d'un G7. Pour eux, le Sommet de Tokyo a remplacé le G5 par le G7.
Ce n'est pas le point de vue des Allemands et des Britanniques. Les
membres du G5 présents à cette réunion n'ont donc pas voulu dire à
l'Italien que la réunion à Cinq (sans les Canadiens et eux) est
imminente et sera déterminante.
L'Allemand nous détaille le programme budgétaire
du nouveau gouvernement qui, fin février, fera des économies de
l'ordre de 40 milliards de marks (sur l'Agriculture, Airbus et la
Recherche...).
Chacun est pessimiste sur la capacité des
Américains de réduire leur déficit budgétaire.
Nous nous sommes entendus pour défendre les
positions communes suivantes : il faut un accord à Sept pour
stabiliser le dollar et, à cette fin, les États-Unis doivent
réduire leur déficit budgétaire sans augmenter leurs taxes à
l'importation ; les pays européens doivent être solidaires sur
l'agriculture et éviter la mise en accusation de l'un d'entre eux ;
enfin, ils doivent demander une ouverture sensible du marché
japonais avant avril.
Renato Ruggiero me dit que Giulio Andreotti
remplacera dans un mois Bettino Craxi à la présidence du Conseil.
C'est donc Andreotti qui présidera le Sommet de Venise.
Lundi 2 février
1987
Comme prévu depuis dix jours, pour préparer la
prochaine réunion des sherpas, je
réunis les collaborateurs du Premier ministre, du ministre des
Affaires étrangères et de celui des Finances. Jean-Claude Trichet,
directeur de cabinet d'Édouard Balladur, m'avait donné son accord
pour venir, mais, cinq minutes avant la réunion, il me téléphone
pour me dire que le ministre d'État a demandé au directeur du
Trésor et au directeur de la DREE de ne pas y participer, parce
qu'on ne l'avait pas prévenu. Sont
venus François Bujon de l'Estang et Emmanuel Rodocanachi, du
cabinet du Premier ministre, un membre du cabinet de Jean-Bernard
Raimond et Jean Vidal, directeur général des Affaires économiques
au Quai d'Orsay. Un directeur aux Finances, Philippe Jurgensen, à
qui j'ai annoncé que son ministre ne souhaitait pas qu'il assistât
à la réunion, est reparti.
Bujon me dit
être choqué de la décision du ministre d'État,
qui ne s'explique que par un malentendu. Il me confirme que
Jacques Chirac ne se rendra pas à Venise. Tokyo lui a suffi.
Mardi 3 février
1987
Jean-Claude Trichet me téléphone : Édouard
Balladur veut me voir en tête à tête. D'ordinaire, ces réunions
avec lui, très agréables, ont lieu en présence de François Bujon de
l'Estang et de Daniel Lebègue.
Balladur s'excuse pour
le malentendu d'hier. Il fulmine contre
Raymond Barre qui a critiqué la dévaluation : Irresponsable, surtout quand on a exercé, comme lui, de
grandes responsabilités. Et qu'on a envie d'en avoir à
nouveau...
Le Président demande à Jean-Bernard Raimond qu'on
vienne en aide aux camps de réfugiés palestiniens affamés en y
parachutant des vivres.
Vu le sherpa américain
Alan Wallis. Je le sens très sensible aux exigences sur le
terrorisme. Il souhaite une réunion spéciale à Sept sur les otages.
Je refuse.
François Mitterrand visite les sites du plateau
d'Albion avec André Giraud. Étrange lieu que cette cathédrale de
mort. Première cible et première frappe...
Le Président plaide pour la poursuite des essais
nucléaires à Mururoa.
La nomination de Marceau Long comme successeur de
Pierre Nicolaÿ à la vice-présidence du Conseil d'État paraît
acquise.
Mercredi 4 février
1987
Au Conseil, le Président
annonce qu'il se rendra en visite d'État au Portugal les 6 et 7
avril : Malgré la faiblesse de l'économie, le
sous-développement évident, ce pays est bien géré, le Premier
ministre est très européen. Il y a toujours eu une influence
anglaise sur la politique du Portugal, mais, psychologiquement,
elle est beaucoup plus proche de la France que de la
Grande-Bretagne.
Jacques Chirac souligne que l'immigration
portugaise en France ne pose aucun problème, ce que le Président
confirme.
Après l'exposé d'Alain Carignon sur la pollution,
le Président : C'est
un exposé très probant et complet, mais qui manque peut-être d'une
certaine dimension internationale.
D'un commun accord entre l'Élysée et Matignon, la
France refuse de participer à une réunion convoquée par les
États-Unis sur le problème des otages.
Notre ambassade à Washington nous prévient qu'un
de nos correspondants, chargé de hautes fonctions au Département
d'État, précise, à titre très confidentiel, que la détention de
Terry Waite et celle du correspondant du Wall
Street Journal, M. Seib, aggrave la situation des autres
otages. L'Administration américaine, dit-il, n'acceptera pas d'être
réduite à l'impuissance. Elle se prépare à toute éventualité et
s'efforce de reprendre l'initiative face au terrorisme. Toutes les
options sont envisagées, y compris une intervention militaire.
D'après cette source, si un fait nouveau se produit comme, par
exemple, l'exécution d'un ou plusieurs otages, les États-Unis
essaieraient de libérer par la force les otages restants, ou de
porter un coup aux terroristes en frappant un camp d'entraînement
au Liban ou l'aéroport de Beyrouth. En tentant une telle opération,
Washington prendrait le risque de faire tuer tous les otages
américains. Si les États-Unis étaient amenés à prendre une telle
décision, ils se concerteraient avec leurs alliés.
Faut-il le croire ? S'agit-il de propos de
cocktail ? Que faire de ce genre d'information ?
Jeudi 5 février
1987
La réunion des sherpas
à Florence est très peu conflictuelle, mais néanmoins pleine
d'enseignements. Le Sommet se déroulera exactement comme celui de
Tokyo : le premier dîner, la première séance de travail et le
premier déjeuner réuniront les seuls chefs de délégation.
Les Italiens n'entendent pas proposer de
déclaration politique générale. Il est convenu que nous verrons
lors de notre prochaine réunion, fin avril, si un pays souhaite un
tel texte.
Les Italiens annoncent que, conformément à ce qui
a été décidé à Tokyo, les directeurs politiques des ministères des
Affaires étrangères vont mettre noir sur blanc les règles
juridiques permettant l'extension à l'ensemble du terrorisme aérien
des procédures prévues par le Sommet de Bonn en 1978. Pour eux, ce
texte servirait de base, à Venise, à une déclaration générale sur
le terrorisme. Je suis réservé.
Américains, Italiens et Anglais proposent
d'élaborer une déclaration sur le problème des otages — voire plus
généralement, pour les Américains, sur l'état
de droit international. Nul ne reparle de la demande
américaine de réunion à Sept sur les otages, sauf pour constater
qu'elle était bien maladroite.
Les Américains reconnaissent la faiblesse de leur
exécutif et leur difficulté à empêcher des mesures
protectionnistes. Ils s'attendent à une réduction très faible de
leur déficit extérieur en 1987 et 1988, puis à une aggravation de
celui-ci. Ils sont ouvertement très amers à l'égard des Japonais,
qui parlent et ne font jamais rien, et
qui refusent de relancer leur économie.
Chacun voit les prochains G5 et G7 comme une
réunion de la dernière chance avant l'effondrement du dollar. Cette
réunion semble se confirmer pour le week-end des 14 et 15 février à
Paris. Une réunion secrète des cinq directeurs du Trésor a lieu le
week-end prochain pour tout organiser. Les Italiens n'en savent
rien. Les Américains sont donc prêts à participer à une opération
concertée du G5 de stabilisation du dollar. Les Allemands
annonceront les grandes lignes de leur politique générale, et
probablement une accélération de leur calendrier de baisse des
impôts. Les Japonais feront part de leur intention de réduire leurs
taux d'intérêt et de mettre en œuvre une réforme générale
comportant baisse de l'impôt sur le revenu et instauration de la
TVA.
Un tel « paquet » ne rassurera les marchés que
s'il est appliqué.
Sur l'agriculture, conformément à l'accord passé
dimanche dernier chez moi entre sherpas
européens, nous avons évité toutes critiques entre nous. L'attaque
américaine a d'ailleurs été étonnamment modérée : les États-Unis
sentent peut-être que les Européens disposent maintenant de
beaucoup d'arguments à leur opposer sur leur propre protectionnisme
agricole et leurs subventions à l'exportation. On est tombé
d'accord pour dire qu'il convient de diminuer graduellement les
aides directes et indirectes en tenant compte des conséquences
écologiques, et pour critiquer les mesures protectionnistes, d'où
qu'elles viennent.
Pour la première fois, il est question du rôle des
pays de l'Est dans l'économie mondiale. L'entrée de la Chine au
GATT, les demandes de la Pologne, de la Hongrie et de l'URSS
d'entrer au FMI, sont évoquées. Les Japonais font part de leur
perplexité devant les avances
soviétiques. Le sherpa allemand se
propose de faire un rapport sur ce sujet à notre prochaine réunion,
en avril. Kohl n'est pas le seul, en Allemagne, à suivre en détail
ce qui se passe à l'Est.
A Florence, nous avons maintenant en face de nous
une toute nouvelle génération de très hauts fonctionnaires
japonais. Les Japonais sont neuf, dont trois vice-ministres, très
compétents, très ouverts et parlant anglais et/ou français sans
accent. Ils acceptent pour la première fois de discuter de leur
protectionnisme et de leur politique de défense.
Le prix de TF1 (4,5
milliards, soit 3 milliards pour l'acheteur de la majorité de
contrôle) est rendu public.
Mort accidentelle de Michel Baroin. La GMF est
l'un des partenaires potentiels de Francis Bouygues pour
l'acquisition de TF1.
Le Matin réitère ses
accusations contre Jacques Chirac à propos des otages. A la suite
de son premier article sur les manoeuvres de Chirac antérieures au
16 mars pour retarder la libération des otages, Kathleen Evin est
allée voir le Dr Raad. Elle raconte dans un autre article ce que
celui-ci lui a dit. Il affirme avoir reçu, pendant qu'il négociait
avec les islamistes, la visite des deux députés RPR de l'Orne qui
lui ont tenu le langage suivant : Arrête de
servir les socialistes. Si tu les aides à sortir les otages avant
le 16 mars, tu peux porter la responsabilité de l'échec de Jacques
Chirac. Le Dr Raad a également raconté que, tandis qu'Éric
Rouleau négociait à Téhéran, lui-même devait se rendre à Damas. Il
était à Beyrouth quand son voyage a été brusquement annulé. Un
homme lié de très près aux ravisseurs lui a dit : On a mieux. Vous nous proposez 10 francs, l'opposition
nous propose 100 francs. Revenez nous voir après le 16
mars.
Les documents publiés sont embarrassants pour le
Premier ministre. Pourtant, le reste de la presse observe une
réserve prudente.
Vendredi 6 février
1987
Visite à Paris de Hans-Dietritch Genscher.
Échec des négociations salariales dans la fonction
publique : les sept fédérations de fonctionnaires refusent les
propositions du gouvernement.
Dimanche 8 février
1987
Le retrait d'Havas du dossier TF1 est rendu public à 22 h 30, après un
Club de la presse de Jacques Chirac. Y
aurait-il eu un quelconque « signal » dans les déclarations du
Premier ministre ?
Lundi 9 février
1987
Reprise des négociations frontalières
sino-soviétiques, interrompues depuis huit ans.
Durant notre habituelle partie de golf à
Saint-Cloud, François Mitterrand raconte
l'élection de René Coty, le 22 décembre 1953, à Versailles :
Il a fallu attendre le treizième tour. Mais,
pour la première fois, la télévision était là. Environ 300 000
personnes ont suivi les débats, les votes. Mais, comme cela n'en
finissait plus, les journalistes ont dû innover : ils ont filmé
dans les couloirs, suscité des confidences, croqué les visages, les
conciliabules, raconté les à-côté de ce petit monde jusque-là
préservé de la curiosité des citoyens. Pensez, cela a duré sept
jours ! C'était le premier vrai reportage politique télévisé. Cela
m'avait tellement frappé, à l'époque, que j'en avais fait un
article pour L'Express.
Mardi 10 février
1987
Les réunions du G5 et du G7 auront lieu ce
week-end. Y sera annoncé un progrès sensible dans la stabilisation
des taux de change autour de l'idée de zones de référence. Ce sera
le plus grand progrès dans le système
monétaire international depuis Bretton Woods. L'idée en fut
lancée dans un discours de François Mitterrand, en mai 1983, devant
l'OCDE. Belle continuité...
A un collaborateur de François Mitterrand,
Marie-France Garaud tient des propos très
durs sur Jacques Chirac : Un homme
profondément angoissé, anxieux, soumis aux influences
contradictoires de divers clans. Il est comme un cheval; s'il a
pris Matignon, c'est qu'il connaît déjà Matignon: cela le rassure.
Il répugne au coup de force et au saut dans l'inconnu. Il faut
qu'on le pousse. Il est fasciné par François Mitterrand; il l'était
déjà par Valéry Giscard d'Estaing.
Hubert Védrine est en contact avec André Giraud et
Éric Desmarest, directeur de cabinet de Jean-Bernard Raimond. André
Giraud est toujours très critique envers Jacques Chirac.
Michel Charasse a vu récemment Charles Pasqua,
fort aimable : On me dit que c'est Colliard et
toi qui déclenchez les coups contre moi. Je ne le crois pas. Tu
sais que je ne ferai rien contre le Président. Je le pourrais,
pourtant...
Mercredi 11 février
1987
A l'Assemblée, Robert Hersant met en garde les
députés RPR contre la création d'une sixième chaîne généraliste. La
majorité prendra-t-elle le risque de le mécontenter ?
Avant le Conseil, Jacques
Chirac s'excuse pour l'incident avec Édouard Balladur. Il
évoque sa fatigue : Il négocie sans arrêt avec
Stoltenberg et Baker. Édouard
Balladur me raconte les difficultés de la préparation de
l'accord à Cinq : Les Allemands n'en veulent
pas. Nous voulons un fonds d'intervention plus important. Je suis
de nouveau inquiet sur l'avenir du système monétaire
européen.
Au Conseil, Jean-Bernard
Raimond indique que le nouvel
ambassadeur de Grande-Bretagne, dans sa jeunesse, mesurait deux
mètres et pesait cent kilos.
A-t-il rapetissé ou maigri ?
Dans un exposé de politique étrangère,
André Giraud explique : Je signale deux mauvaises nouvelles, cette semaine. Les
États-Unis veulent une option zéro en Europe, et M. Genscher se
lance dans une Ostpolitik très dangereuse.
Incorrigible entêtement — ou provocation ?
Le Président :
Il est vrai que beaucoup se sont interrogés au
lendemain de Reykjavik. Mais les pays de l'Alliance, dont nous
sommes membres, ont adopté un communiqué reconnaissant le
bien-fondé d'une démarche de désarmement tendant vers l'option
zéro. Nous, Français, avons évité de prendre des positions
publiques qui n'étaient pas nécessaires et qui nous auraient
enfermés. Avant d'aller plus loin, il faut enlever les armes à
courte portée et s'assurer d'un contrôle effectif. [A propos
de Genscher :] C'est un des Allemands les plus
favorables à la Communauté européenne et à la France. Que les
Allemands aient un jeu particulier par rapport aux Russes, comme les Russes en ont un par rapport
aux Allemands, c'est évident, et c'est la conséquence de la guerre
de 1939-1945. Est-ce que nous sommes capables d'offrir aux
Allemands une perspective de grande puissance ? Il n 'y a que la
construction européenne. Sinon, l'Allemagne jouera entre l'Est et
l'Ouest. Sans progrès de la construrction europénne, nous n'y
échapperons pas. L'année 1987 est lourde de risques d'échecs pour
l'Europe... [Il attire à nouveau l'attention du ministre des
Affaires étrangères sur les camps palestiniens :] Il faut que la France prenne une initiative publique. On
ne peut pas laisser les Palestiniens à la merci d'un siège qui les conduit à la famine. Les grandes
organisations humanitaires devraient pouvoir
pénétrer dans les camps. Nous aurons peut-être à fourmir des vivres
et des moyens de transport. Ce peuple qui n'a plus de patrie,
persécuté par les uns et par les autres, ne dispose plus que de la
révolte. L'Europe ne doit pas rester indifférente.
Jean-Bernard Raimond
: Je ferai des propositions au gouvernement
enfin de matinée.
A la suite d'une intervention de François Léotard
sur l'enseignement de la musique, le Premier
ministre : On a fait pendant longtemps
une politique de coups de cymbales qui
n'a rien changé. Le seul moyen, c'est
de progresser à la base avec les petits enfants, comme nous le
faisons à Paris. Pour récolter, il faut semer, et pour semer, il
faut labourer. Le problème n'est point de savoir ce que l'on fera à
l'Opéra-Bastille.
Le Président
: Je pense que vous avez tout à fait raison :
c'est une chaîne qui commence par les enfants et qui finit à
l'Opéra-Bastille.
Nous ne sommes absolument pas garantis contre une
attaque américaine imminente contre Airbus. Ce qui inquiète les
Américains, c'est l'Airbus transatlantique A340, et surtout son
moteur révolutionnaire à hélice, le PROPFAN. Airbus, au grand dam
de Boeing et de MacDonnell, dit à toutes les compagnies que, grâce
aux subventions gouvernementales, cet avion sera prêt dans trois
ans, à un coût de 15 à 20 % inférieur à celui de ses concurrents
américains. Or, les gouvernements français, allemand, anglais,
italien et espagnol n'ont pas encore fait savoir s'ils
subventionnaient ce projet. Airbus n'a donc aucune garantie. Le
Président écrit aux dirigeants d'Airbus pour leur affirmer son
soutien.
Jeudi 12 février
1987
François Mitterrand, à
propos de la proposition de quinquennat lancée par Valéry Giscard
d'Estaing : VGE gêne Barre et Chirac plus que
moi. Je ne fais rien, je laisse venir.
Dans la privatisation de Paribas, les membres du «
noyau dur », qui ont obtenu 930 000 actions chacun, gagnent 80
millions dans la journée.
Nous apprenons de notre ambassade à Washington que
se réunit demain à la Maison Blanche, sous la présidence de Donald
Regan, secrétaire général de la Présidence, la commission chargée
d'examiner le contentieux commercial entre les États-Unis et la
Communauté européenne. La décison est déjà connue : le conflit
Airbus est mis entre parenthèses. La décision de la Maison Blanche
ne sera rendue publique que samedi. Sagement, les Américains
reportent leur attaque en attendant de savoir si les Européens vont
vraiment financer ce projet extrêmement onéreux.
Vendredi 13 février
1987
Sachant que les Américains ont cédé, Jacques Chirac décide d'intervenir publiquement, à la
veille de son voyage à Toulouse, dans l'affaire d'Airbus. Il
accorde une interview à La Dépêche de Toulouse
: L'attitude américaine est inamicale et infondée... Mais jamais
l'Europe n'acceptera la remise en cause de l'industrie aéronautique
forte, compétitive et indépendante dont elle se dote. Je ne pense
pas que les Américains prennent le risque de provoquer à nouveau
l'Europe (...). L'Europe saura résister à des pressions américaines
qui ne reposent en outre sur aucun fondement.
Samedi 14 février
1987
Discours de Mikhaïl Gorbatchev devant le forum
Pour un monde sans armes nucléaires,
auquel assiste Andreï Sakharov. Il
insiste sur la nécessité d'une vaste démocratisation de la vie
sociale et affirme que les transformations révolutionnaires en
cours en URSS revêtent une importance capitale pour le monde
entier.
Dimanche 15 février
1987
Audition à huis clos, par la CNCL, des candidats à
la reprise de la Cinq et de TV6.
Mardi 17 février
1987
Le Président reçoit André Giraud. Il lui est
revenu que le Conseil interministériel de Défense réuni par le
Premier ministre était à la limite de l'admissible. Cette instance
ne peut en aucun cas se substituer au Conseil de Défense. Giraud
répond qu'il en prend bonne note.
À propos du Tchad, le ministre demande s'il ne
faudrait pas faire monter des troupes à Fada et remplacer le
16e parallèle par le 17e. Cela peut s'étudier, répond le Président.
Interview de Bernard Pons dans Le Quotidien de Paris, mettant le Président au défi
d'intervenir sur la Nouvelle-Calédonie. Toute intervention
présidentielle, affirme le ministre, serait comprise comme un
encouragement aux éléments
révolutionnaires.
Furieux, le Président
écrit au Premier ministre pour s'inquiéter du climat dans lequel
survient l'inscription à l'ordre du jour du prochain Conseil des
ministres du projet de loi organisant un référendum en
Nouvelle-Calédonie. Il avertit que, pour lui, même si la majorité
des suffrages qu'exprimeront les populations intéressées peut
d'ores et déjà être considérée comme acquise au oui; ce scrutin ne changera rien à la réalité. Il
provoquera, prévoit-il, un isolement des Canaques, qui engendrera
de nouveaux drames. Pour lui, réduire le débat à un simple
affrontement électoral serait commettre une grave erreur historique
et politique.
Amine Gemayel est en visite officielle en
France.
Un informateur livre à la police le nom du chef
des terroristes auteurs des attentats de septembre dernier, un
Tunisien nommé Fouad Ali Saleh.
Mercredi 18 février
1987
Auditions publiques à la CNCL des candidats à la
reprise de la Cinq.
Avant le Conseil, Jacques Chirac, tendu, ne
profère pas un mot.
Le Conseil des ministres commence par un exposé on
ne peut plus plat de Bernard Pons sur la Nouvelle-Calédonie et les
modalités du référendum d'autodétermination. Il y aura une durée de
séjour requise des résidents pour qu'ils puissent voter.
Le Premier ministre
prend la parole : C'est la stricte application
de la loi du 17 juillet 1986. Nous avons retenu trois ans de
résidence pour couper court aux polémiques. Puis il reprend des
éléments qui figurent dans la lettre du Président :
La Nouvelle-Calédonie, chacun le sait bien,
est un problème délicat qui doit être abordé avec beaucoup de
prudence. La politique du gouvernement vise au dialogue et à la
coexistence des communautés. Le FLNKS a rompu unilatéralement le
dialogue. Les présidents des trois régions indépendantistes m'ont
écrit à propos de l'insuffisance des moyens dont ils disposent.
J'examine moi-même le dossier. J'entends que les régions exercent
normalement leurs compétences.
Le Conseil demeure silencieux. Le Président, sur un ton grave : Les positions de la majorité, que vous exprimez, et les
miennes sont extrêmement différentes et parfois opposées. Il faut
faire avec ce que l'on a. Le pays s'est prononcé ; une majorité est
en place. Il appartient au gouvernement de proposer ses projets au
Parlement, c'est la loi de la République. Le contenu des lois est
soumis à l'appréciation de tous les citoyens et particulièrement à
l'appréciation du Président de la République. Chacun peut
s'exprimer en conscience. Le débat ne porte pas sur la notion de
référendum. La bonne date, on peut en discuter. La question est de
savoir à quoi sert le référendum. Le problème de la
Nouvelle-Calédonie, ce n'est pas vous qui l'avez inventé, ni moi.
C'est un problème historique. Je crains qu'il ne dure plus que
nous. Je crains aussi que la politique menée ne puisse le résoudre.
C'est un problème extrêmement difficile. La Nouvelle-Calédonie est
la seule colonie qui a vu le peuplement d'origine française devenir
aussi important que le peuplement autochtone. D'autres ethnies se
sont ajoutées ; comme elles craignent la domination canaque, elles
ont tendance à faire bloc avec les Calédoniens d'origine française.
Donc, le peuplement d'origine française réunit autour de lui une
majorité, au moins pour les années qui viennent. C'est un problème
différent des autres problèmes coloniaux. Mais il n'est pas
possible d'ignorer la population mélanésienne. La revendication
canaque sur la composition du corps électoral est plus d'ordre
moral que juridique. Elle a naturellement été repoussée par tous
les gouvernements. Le référendum, en soi, est une solution confonne
à nos institutions ; son résultat est connu d'avance. Les
mouvements individuels sont contenus dans des mouvements
collectifs. Il n'y a pas beaucoup de fantaisie. Il n'y a pas
beaucoup de marginaux. Il est probable que la fraction la plus
importante des indépendantistes ne participera pas au scrutin, ce
qui atténuera un peu ou beaucoup, selon le nombre des votants, son
résultat...
Comment aborder les échéances
pour éviter les affrontements ? A qualité égale d'information (car
il serait étrange de croire qu'il y ait d'un côté ceux qui savent,
et de l'autre les ignorants : cela prête à sourire plus qu'à
irriter, je le dis sans volonté de froisser), cette politique
conduit à de nouveaux affrontements et non à l'apaisement. Des
réflexes joueront des deux côtés, qui s'apparentent aux réflexes
coloniaux. Des affrontements ont déjà eu lieu. Je pense qu'il y en
aura de nouveaux. Je ne les appelle pas de mes vœux. Je ne les
encourage pas...
Le Président se met alors à lire un texte
manuscrit (à peu de choses près celui de sa lettre d'hier), ce qui
est tout à fait inhabituel de sa part. Il souligne qu'une procédure
démocratique n'a de chances de s'imposer qu'au sein d'une société
elle-même démocratique où les citoyens sont également respectés et
les communautés également écoutées. Il note que l'évolution de la
pratique régionale, les orientations de la réforme foncière et de
l'Office culturel, la rupture du dialogue entre le gouvernement et
une importante fraction de la communauté mélanésienne ne peuvent
qu'ajouter aux tensions et retarder l'heure des
réconciliations.
Puis il reprend : Voilà, j'en
suis si intimement convaincu que je ne peux pas taire ma conviction
devant le Conseil des ministres. C'est par la manière dont les
choses se passeront dans les semaines et les mois qui viennent que
l'Histoire apportera son verdict. C'est la responsabilité du
gouvernement et de sa majorité. Je dois exprimer ici, non pas,
comme on l'a dit, mes extrêmes réserves, mais vraiment mon
désaccord avec la politique menée. Fasse le Ciel que les points de
vue les plus optimistes l'emportent, et souhaitons bonne chance à
la France dans cette affaire délicate.
Un long silence suit.
Le Président donne ensuite la parole à
Hervé de Charette pour une communication
sur la fonction publique : Monsieur le
Président, si je puis me permettre respectueusement, vous avez
évoqué le Ciel. La fonction publique, ce n'est pas tout à fait le
Paradis ni tout à fait l'Enfer...
Le Président sourit :
Je l'ai évoqué, mais je ne compte pas trop
dessus. Faites comme moi.
Vient ensuite un exposé de François Guillaume sur
la forêt.
Le Président
: Vous avez traité d'une question
fondamentale. L'une des difficultés majeures provient de la
parcellisation et de l'éloignement des propriétaires. Dans le
canton du Morvan, que j'ai longtemps représenté, il y avait, sur 5
000 habitants, 2 500 propriétaires, dont la plupart habitaient
Paris ou Dijon. La plupart ne s'intéressent à la forêt que pour
ramasser du bois de chauffage. Il faut savoir que seule une forêt
civilisée par l'homme peut se développer. C'est comme pour la
monnaie, monsieur le ministre d'État...
Édouard Balladur sursaute, manifestement
inquiet.
Le Président reprend :
Comme pour la monnaie, en effet... Les mauvais
arbres chassent les bons : le chêne et
le hêtre laissent la place au charme et au bouleau.
Plus tard, dans l'après-midi, François Mitterrand me dit : Je
suis furieux du mauvais procès qu'on me fait à propos de ces grâces
que les socialistes auraient trop généreusement accordées en 1981.
Ceux d'Action directe étaient alors condamnés à de petites peines.
Impossible de ne pas les relâcher. J'ai d'ailleurs refusé beaucoup
des grâces que Jacques Chirac m'a demandées depuis mars
1986.
Jeudi 19 février
1987
Auditions publiques de la CNCL pour la reprise de
TV6.
Les dernières sanctions américaines contre la
Pologne sont levées.
Denis Baudouin déclare à la presse que le
Président ne recevra que les représentants du FLNKS, alors qu'après
le Conseil des ministres, Jean-Louis Bianco a téléphoné à Bernard
Pons pour lui indiquer que le Président recevrait tous les
responsables de Nouvelle-Calédonie qui le lui demanderaient, y
compris Dick Ukeiwé, du RPR.
Le Président est
exaspéré : Je sens que l'overdose approche !
Jamais Mme Gendreau-Massaloux ne fait de commentaires sur les
activités du Premier ministre. M. Baudouin en fait pratiquement
chaque semaine sur moi. Il faut noter que, pour les chaînes de
télévision, la Deux, la Trois et
RFO ont déjà été attribuées à des militants du
RPR ; la Cinq va l'être à un député de
la majorité, et la Six à l'ancien
secrétaire général du RPR. La CNCL choisit le mieux-disant
politique !
Dîner en tête à tête avec Édouard Balladur au
Louvre. Il est courtois, soucieux d'informer en détail le Président
par mon intermédiaire. Nous travaillons sur le texte qui deviendra
l'« accord du Louvre ». La réunion du Groupe des Cinq aura bien
lieu samedi et celle des Sept, dimanche. Elles déboucheront sur un
programme concerté : le Japon lancera en octobre un programme
global de stimulation de la demande interne et réduira le taux
d'escompte de sa Banque centrale ; la République fédérale
augmentera les réductions d'impôt déjà envisagées et suivra une
politique monétaire permettant d'augmenter la croissance sans nuire
à la stabilité des prix ; les États-Unis accepteront de ramener
leur déficit budgétaire à 2,5 % du PNB en 1988, soit 108 milliards
de dollars, comme prévu par la loi Gramm-Rudman.
Dimanche, les Sept feront conjointement part de
leur engagement de défendre la stabilité des taux de change dans
des « plages de référence » floues et par la création d'un fonds
d'intervention sur les marchés de l'ordre de 20 à 40 milliards de
dollars (montant gardé secret).
Ce programme serait alléchant s'il était pris au
sérieux par les marchés, ce qui est loin d'être sûr. Il n'y a là
rien de bien nouveau, hormis le fonds d'intervention, dont je doute
qu'il soit réellement mis en place (et que son montant soit
suffisant).
Au surplus, cette réunion a lieu dans un contexte
de très grave crise financière internationale. La vraie décision
sera prise vendredi à Cinq, puis un « habillage » sera organisé
dimanche à Sept.
Édouard Balladur :
Il est probable mais, bien entendu, non acquis
d'avance que cette réunion conclura à l'annonce de la volonté des
États participants de mettre un terme à la baisse du dollar, le cas
échéant par des interventions sur les marchés des changes. Un
protocole secret est mis au point entre les cinq pays dont la
monnaie figure dans les DTS. Il comprendra l'engagement de
maintenir ces devises à l'intérieur de bandes de fluctuation tenues
secrètes, grâce à des règles souples d'intervention fixées entre
autorités monétaires et assorties de moyens qui devraient être
supérieurs à ceux qui avaient été employés lors [de
l'accord] du Plazza. La France s'efforcera,
dans cette discussion, de défendre une grille de parités réaliste
par rapport aux anticipations du marché, et compatible avec les
grandeurs économiques fondamentales. Il conviendra néanmoins de
veiller à ce que les intérêts commerciaux de l'Europe ne soient pas
lésés, notamment par rapport au Japon.
Les discussions devraient également conduire à
examiner les progrès accomplis en matière de surveillance
internationale depuis le Sommet de Tokyo, notamment à travers
l'usage d'une batterie d'indicateurs économiques comprenant la
croissance, l'inflation, les soldes commerciaux et courants, le
budget, les conditions monétaires et les taux de change. Les
ministres pourraient convenir de se réunir régulièrement pour fixer
des objectifs et des projections au regard desquels seraient
évaluées les performances de chaque pays ; à cette occasion, ils
s'assureraient de la cohérence des politiques menées et de la
nécessité éventuelle d'adopter des mesures correctrices.
Près d'un an après Tokyo, l'équilibre est très
difficile à trouver entre, d'une part, la France et les États-Unis,
soucieux de jeter les bases d'un système comportant une certaine
automaticité, et la République fédérale d'autre part, sceptique
vis-à-vis des propositions de ses partenaires.
Samedi 21 février
1987
Les quatre principaux responsables d'Action
directe, Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron et
Georges Cipriani, sont arrêtés dans une ferme isolée à
Vitry-aux-Loges.
Les Italiens, prévenus, acceptent que se tienne
sans eux un dîner à Cinq ce soir. Mais la presse annonce ce matin
que le Groupe des Cinq se réunit aussi dans l'après-midi pour
préparer le communiqué qui sera soumis demain aux Sept. Les
Italiens sont furieux. Édouard Balladur suggère d'inviter au dîner
M. Goria, ministre des Finances italien, son homologue canadien
n'arrivant à Paris que demain matin. Mais le ministre d'État, comme
ses collègues des Finances du G5, est bien décidé à préserver les
prérogatives de ce club très fermé et à maintenir la réunion à Cinq
de cet après-midi.
Bettino Craxi ordonne par téléphone à Goria de ne
pas rester à Paris et de ne pas assister à la réunion de ce
dimanche. Il n'a rien à perdre à un esclandre.
La réunion à Cinq se tient. Elle confirme les
travaux préparatoires.
Dimanche 22 février
1987
Comme convenu, mais sans les Italiens, les six
ministres des Finances du G7 déclarent que le processus de
surveillance a conduit leurs monnaies dans des
bandes de fluctuation globalement compatibles avec les données
économiques fondamentales. Ils sont convenus de coopérer
étroitement pour promouvoir la stabilité des taux de change autour
des niveaux actuels. Le communiqué ajoute :
Nous regrettons que la
délégation italienne n'ait pas estimé possible de participer à
notre réunion. Nous espérons tous que l'Italie continuera de jouer
un rôle actif dans le groupe des Sept ministres des Finances et
qu'elle participera à notre réunion de printemps à
Washington.
Lundi 23 février
1987
Renato Ruggiero me téléphone. Bettino Craxi veut
remettre en cause la tenue du Sommet de Venise ! Il essaie de le
calmer.
La CNCL attribue la Cinq à Hersant-Berlusconi-Seydoux, M6 à la CLT et à
la Lyonnaise des Eaux.
Apprenant cette nouvelle, le
Président me dit dans son bureau : Ils
vont se partager tous les fromages de la République !
Date limite de dépôt des dossiers de candidature
pour la reprise de TF1. Le dossier
d'Hachette est déposé à 23 h 40 après que le tour de table a été
bouclé avec l'aide des banques nationalisées (dont la BNP).
Deux concurrents sont prêts à verser 3 milliards
de francs pour acquérir le contrôle de la chaîne.
Mardi 24 février
1987
Michèle Barzach présente un programme de lutte
contre le sida, déclaré « grande cause nationale » pour 1987.
Mercredi 25 février
1987
Au Conseil des ministres, François Mitterrand commente l'accord du Louvre :
Depuis 1981, j'ai proposé qu'on s'engage vers
un nouveau SMI. Nous n'avions eu que des réponses sarcastiques des
Américains. Il y eut alors un petit groupe de travail créé autour
de cette idée. C'est la première fois que, de façon concrète, on
aperçoit à l'horizon l'idée de zones de référence. C'est un accord
important, s'il est suivi d'effet. Nous irions vers le début d'une
nouvelle époque. Le franc se trouve ballotté entre le dollar et le
mark. Cet accord peut conduire à mettre à l'abri notre monnaie.
L'incident avec les Italiens prouve les difficultés du passage
d'une procédure à une autre. Il a été décidé à Tokyo le maintien du
G5 et de son rôle dans la réforme du SMI. Mais il est difficile au
G5 de se réunir sans qu'on en parle. Il y a là un problème de
forme, de procédure — rien d'un
complot. M. le ministre d'État s'est trouvé dans une situation
difficile. Les Italiens ont tendance à se fâcher contre la France;
il faut changer cela.
Le texte des déclarations est rendu public avant
le départ pour Rome où François Mitterrand doit rencontrer le
Président de la République, Francisco Cossiga, le président du
Conseil, Bettino Craxi, et le ministre des Affaires étrangères,
Giulio Andreotti.
Francisco Cossiga, Giulio Andreotti et François
Mitterrand abordent d'abord le malentendu franco-italien :
Le Président :
Il n'y a pas de difficultés franco-italiennes
; il se trouve seulement que les réunions ont eu lieu à Paris. Il
faut revenir à ce dont nous sommes convenus à Tokyo et dont M.
Andreotti se souvient : le Groupe des Sept se réunit chaque fois
qu'il est question de la gestion et de la réforme du SMI. Le Groupe
des Cinq traite de la surveillance multilatérale. Il y a donc une
réalité du G5 et une autre du G7. Mais nous avons un système
qui n'est pas rodé. Le G7 doit entrer dans les
mœurs. D'ailleurs, beaucoup de précautions ont été prises pour
associer M. Goria aux travaux.
Giulio Andreotti :
Le G5 existe. Il a le droit de se réunir. Mais
la frontière est floue.
François Mitterrand :
Dans le vocabulaire, la frontière est claire ;
mais, dans la réalité, beaucoup moins.
Giulio Andreotti :
M. Baker doit organiser une nouvelle réunion
des Sept en avril. Nous saurons dans deux ou trois jours ce qu'il
en est. L'affaire devrait être réglée à ce moment-là.
Personnellement, je ne pense pas qu'il faille faire du bruit sur
cette question. Le G5 est composé des pays dont les monnaies
forment les DTS. C'est normal. Il traite donc de la surweillance
multilatérale. Évidemment, si l'on parle de la balance des
paiements...
François Mitterrand :
Vous ne pouvez empêcher les Cinq de parler de
ces questions entre eux.
Giulio Andreotti :
C'est vrai qu'il y a eu des réunions à deux
entre les Japonais et les Américains...
François Mitterrand :
Oui, et à Paris les Américains et les
Allemands aussi se sont concertés.
Giulio Andreotti :
Moins on donne de publicité à cette affaire,
mieux c'est. Nous espérons des résultats favorables de ces
réunions.
François Mitterrand :
Cet accord est une bonne chose, nous ne sommes
pas au bout de nos peines. Il faut que le G7 devienne une habitude
et que cela se normalise... Je suis préoccupé par les problèmes
européens. 1987 s'annonce mal. Il faut que nous tirions la sonnette
d'alarme. Pour les ressources propres, vous connaissez ma position.
La Communauté a un petit budget. A Fontainebleau, nous avons porté
les ressources propres à 1,4 % de l'assiette TVA. L'Italie avait
demandé 2 % et moi, je souhaitais 1,8 %. Je crains que les Anglais
ne veuillent pas accepter le relèvement du plafond. Or, c'est
indispensable ; sinon, nous n'aurons pas assez de ressources
pourfaire tout à la fois. Chacun de nous a des exigences. La France
veut que la Politique agricole commune soit financée correctement.
Vous, et quelques autres, voulez que les fonds structurels
augmentent. Et puis, il faut pouvoir financer la Recherche
européenne.
Il nous faudra du temps pour
faire comprendre cela aux Anglais. Les Allemands aussi sont
réticents, mais ils comprendront mieux. Je crains que les intérêts
particuliers de chaque pays ne soient en train de prendre le
dessus. Or, nous ne pouvons perdre de temps si nous voulons tenir
l'échéance de 1992.
Ces questions étaient à
l'origine de ma demande de rencontre. Je voulais à la fois vous
saluer et vous parler de cela. Il faut que nos pays fassent bloc. A
Luxembourg, l'Allemagne était de notre côté ; aujourd'hui, elle est
moins ferme...
Le Président rencontre ensuite Bettino Craxi, qui
est encore pour quelques jours président du Conseil.
François Mitterrand :
Je voulais maintenant vous parler de l'Europe.
J'ai peur que 1987 ne soit une mauvaise année, une année perdue
vis-à-vis de l'échéance de 1992.
Bettino Craxi :
Mme Thatcher ne veut pas augmenter les
ressources propres avant de résoudre le problème agricole. Sur le
plan des principes, elle a tort.
François Mitterrand
: La France ne peut accepter que la PAC soit
remise en cause. C'est un élément fondamental du traité de Rome.
Mais, bien sûr, il faut réduire les excédents.
Bettino Craxi
: Je me demande s'il ne faudra pas une crise
pour résoudre tout cela !
François Mitterrand
: Je voulais vous parler du Sommet des Sept à
Venise et de cet incident sur le G5 et le G7. Ma position est
simple. Vous m'aviez saisi de votre demande d'élargir le Groupe des
Cinq à sept pays en janvier 1986. J'ai répondu que j'y étais
favorable et j'ai plaidé en ce sens. A Tokyo, on a décidé de créer
le G7. On n'a pas décidé de supprimer le G5, qui rassemble les pays
dont les monnaies composent les DTS. Les décisions de dimanche
étaient évidemment du ressort du G7. L'Italie devait en être. Y
a-t-il eu des maladresses ? Je ne sais. En tout cas, aucune
mauvaise volonté de la part du gouvernement français. Le problème
est de créer des usages. M. Goria a d'ailleurs été constamment
associé à la préparation de ces réunions.
Bettino Craxi, boudeur :
M. Goria ne devait pas aller à Paris. Je le
lui avais dit.
François Mitterrand :
Il faut organiser cela autrement. Sinon, ce
sera toujours la confusion. Il faut qu'il soit bien clair que,
lorsqu'on parle de gestion et de réforme du SMI, le Canada et
l'Italie sont automatiquement présents. Il y a peut-être eu des
maladresses, mais il ne faut pas exagérer la chose. Qu'advient-il
du futur Sommet des Sept à Venise ?
Bettino Craxi, sombre :
Je ne sais pas.
Long silence. On passe à autre chose.
Jeudi 26 février
1987
Une expérience nucléaire soviétique met fin au
moratoire unilatéral auquel l'URSS s'est conformée depuis août
1985. Moscou avait prévenu que ses essais reprendraient dès la
première explosion américaine survenant après le 1 -janvier. Or,
les États-Unis ont procédé à deux essais, les 3 et 11
février.
Vendredi 27 février
1987
Au cours d'une de nos promenades-évasions,
François Mitterrand me parle de ses
précédentes candidatures : Dès que de Gaulle a
annoncé que l'élection du Président de la République aurait lieu au
suffrage universel, j'ai su que je serais candidat. Pourtant, je
n'avais pas d'appui, pas de soutien, pas d'argent et j'avais plus
d'adversaires que d'amis. Mais je le voulais. En 1965, j'ai annoncé
ma candidature deux mois seulement avant l'élection. Il faut savoir
forcer son destin, sinon on n'en devient jamais le
maître.
Samedi 28 février
1987
La cour d'assises de Paris, spécialement composée
de sept magistrats professionnels, condamne Georges Ibrahim
Abdallah, chef présumé des Fractions armées révolutionnaires
libanaises (FARL), à la réclusion criminelle à perpétuité.
A minuit, fin des émissions de TV6. Manifestations de jeunes.
Mikhaïl Gorbatchev, à
Moscou, fait une concession majeure pour sortir du blocage de
Reykjavik : il ne fait plus de l'abandon de l'IDS un préalable à
l'option zéro. Il déclare : Dès qu'un accord
de démantèlement des missiles soviétiques et américains de moyenne
portée en Europe sera signé, l'Union soviétique retirera de RDA et
de Tchécoslovaquie, en accord avec les gouvernements de ces pays,
les missiles opérationnels tactiques de longue portée qui y ont été
installés dans le cadre des mesures prises en réponse au
redéploiement en Europe occidentale des Pershing II et des missiles
de croisière. Pour ce qui est des autres missiles opérationnels
tactiques, nous sommes prêts à engager séance tenante des
négociations en vue de leur réduction et de leur liquidation
totale.
A Reykjavik, l'accord s'était fait sur le retrait
des Pershing II et des missiles de croisière d'un côté, des seuls
SS 20 de l'autre. La plupart des gouvernements européens ont
regretté que le Président Reagan n'ait pas demandé également le
retrait des missiles nucléaires soviétiques à plus courte portée.
Si les missiles que vise Gorbatchev par l'expression missiles
opérationnels tactiques de longue
portée sont les SS 22 et 23, sa déclaration marque un net
progrès.
Si l'Administration américaine actuelle n'a pas
reculé par rapport à ses positions de Reykjavik, elle n'a pas de
raisons de ne pas accepter cette proposition.
Dimanche 1er mars 1987
M6 commence à émettre
ce matin à 11 h 15.
Surprise : le Quai d'Orsay publie un communiqué
sur les euromissiles, sans nous prévenir :
Compte tenu du déséquilihre
conventionnel et chimique en Europe, l'objectif doit être d'éviter
une dénucléarisation de l'Europe occidentale.
Stupide ! Il n'a jamais été question de cela, mais
seulement de se débarrasser des armes tactiques américaines.
Grotesque contresens !
Lundi 2 mars
1987
François Mitterrand est
mécontent : Ce communiqué du Quai d'Orsay
aurait dû m'être soumis. Sa tonalité ne convient pas.
Maurice Ulrich,
interrogé par Jean-Louis Bianco, répond : C'est évident, mais il n'a pas été soumis non plus à
Matignon...
Je lance l'idée d'une annulation de la dette des
pays africains les plus pauvres. Le Trésor et Édouard Balladur
coopèrent parfaitement. Il serait utile de lancer cette initiative
avant le Sommet de Venise.
Un tract du RPR accuse le Président de favoriser
le développement de la toxicomanie, sous prétexte qu'il a refusé de
signer la mutation-sanction visant le procureur de la République de
Valence.
Helmut Kohl écrit à
François Mitterrand à propos de la déclaration de Mikhaïl
Gorbatchev de samedi, déclarant qu'il est disposé à envisager un
accord séparé sur les armes intermédiaires. Il estime nécessaire de
convenir, parallèlement à un traité sur les armes intermédiaires,
d'un engagement sur l'ouverture de négociations dans un délai
maximum de six mois après la signature du traité, et sous une forme
ayant valeur d'engagement en droit international, en vue de réduire
le nombre total des engins à plus courte portée, afin de le porter
à un bas niveau et en l'assortissant des mêmes plafonds. Autrement
dit, il est d'accord pour l'option zéro simple, mais pas double.
Triple, encore moins.
Déjeuner avec Ibrahim Souss. Rendez-vous pris de
longue date. Il craint que la situation ne dégénère du fait de ceux
qui, dans les deux camps, ont intérêt à bloquer tout dialogue et
toute évolution. La tentation d'une véritable répression du côté
israélien, une euphorie trompeuse du côté de l'OLP constituent
autant de signes inquiétants.
Longtemps confisqué par les seuls États arabes, le
conflit réapparaît comme purement israélo-palestinien. Les
dirigeants de l'OLP sont prêts à parler à n'importe quel
responsable israélien, si possible Shamir, car ils n'attendent plus
rien de Shimon Pérès.
A mon sens, deux évolutions de l'OLP
débloqueraient peut-être la situation : la création d'un
gouvernement en exil et la reconnaissance du droit à l'existence de
l'État d'Israël. Mais les organisations extrémistes palestiniennes,
la Jordanie, la Ligue arabe et ceux des responsables de l'OLP
actuelle qui ne seraient pas assurés de trouver place dans ce
gouvernement s'opposent à sa création. Yasser Arafat se grandirait
en acceptant l'existence côte à côte de deux États, israélien et
palestinien ; il faudrait pour cela que cette proposition émane de
tout le noyau dirigeant et qu'il soit assuré d'obtenir quelque
chose de tangible en retour.
L'OLP, sans doute parce qu'elle croit avoir le
vent en poupe, insiste moins sur la conférence internationale, sauf
comme ombrelle (le même mot qu'a employé Shimon Pérès !) pour les
contacts bilatéraux. Mais la présence de l'URSS sera déterminante
pour contraindre la Syrie.
Il conviendrait de distinguer la revendication de
l'ensemble des Palestiniens d'avoir un État centré sur la
Cisjordanie, et celle des Palestiniens installés avant 1948 dans
l'actuel État d'Israël, portant sur leur indemnisation. Ibrahim
Souss m'explique que la maison de sa mère à Jérusalem sera, à sa
mort, déclarée « bien vacant ».
Vu l'ambassadeur Paul Nitze, conseiller du
Président des États-Unis pour les négociations de désarmement à
Genève, et le secrétaire adjoint à la Défense, Richard Pearl. Ils
font état de progrès techniques très importants dans la « guerre
des étoiles », permettant l'identification des différentes cibles
(fusées, têtes, leurres, etc.). Mais, en dépit de ces progrès, il
n'y aura pas, sous la présidence de Reagan, de déploiement de ces
matériels, si ce n'est pour accroître le nombre de silos de fusées
protégés par une défense terminale.
Il m'explique que le Président Reagan a évidemment
tranché en faveur de l'interprétation large du traité ABM, qui
permet de se livrer aux expériences de l'IDS. Cette interprétation
est reconnue justifiée par les juristes du Département d'État comme
par ceux du Pentagone et du ministère de la Justice.
Pour sa part, Richard Pearl se déclare très
mécontent de l'attitude de la France dans les négociations sur le
désarmement conventionnel, où nous refusons une négociation
alliance contre alliance, afin de ne pas dépendre du diktat
américain pour l'avenir de nos armées. A les entendre, il semble
donc que, partisans de l'annonce précipitée d'un déploiement
précoce de l'IDS pour des raisons politiques et non pas
scientifiques, Weinberger et Pearl ont été battus par George
Shultz. En échange, ils espèrent que nous ne critiquerons pas leur
interprétation « large » du traité ABM.
Nous n'avons pas intérêt à prendre parti sur
l'interprétation complexe d'un traité américano-soviétique. Il vaut
mieux que l'Administration Reagan s'estime en droit de poursuivre
ses expérimentations IDS dans le cadre du traité ABM plutôt que de
la voir s'acharner à le torpiller, comme elle l'a fait du traité
SALT 2. Il sera bien temps, pour le successeur de Ronald Reagan,
d'apprécier si des progrès réels — et non pas simplement allégués —
de l'IDS justifient ou non un aménagement du traité pour pouvoir
déployer les armes correspondantes.
Dans une lettre commune, François Guillaume et
Édouard Balladur demandent à Jacques Chirac de s'opposer par tous
les moyens, y compris en invoquant le compromis de Luxembourg —
c'est-à-dire en usant du droit de veto —, aux mesures socio-structurelles proposées par la
Commission, laquelle accorderait aux agriculteurs ayant dépassé un
certain âge une indemnité de départ à la condition que leur
exploitation s'arrête de produire. Ces mesures seraient
obligatoires pour toutes les productions et dans tous les États
membres de la Communauté.
A mon avis, il serait tout à fait excessif
d'invoquer le compromis de Luxembourg pour s'y opposer. Nous
offririons un prétexte aux Allemands pour repousser de la même
façon les propositions de baisse des prix des céréales, qu'ils
jugent intolérables.
Mardi 3 mars
1987
Comme prévu, démission de Bettino Craxi. Giulio
Andreotti le remplace. Il espère, m'explique Renato Ruggiero, que
c'est pour lui la dernière étape avant la Présidence de la
République.
Pour des raisons qui tiennent au retour progressif
des Soviétiques dans cette région, au contexte régional, mais aussi
à la politique intérieure israélienne, Shimon Pérès cherche à
relancer, contre Itzhak Shamir, l'idée d'une conférence
internationale sur le Proche-Orient.
A l'approche de l'anniversaire de la proclamation
de la République arabe sahraoui démocratique, le Polisario lance
une attaque contre le « mur » marocain en face de Tindouf. Les
Algériens laissent entendre que d'autres attaques sont possibles.
Les Marocains ont demandé au Premier ministre des équipements
permettant la surveillance et le tir de nuit. Nous n'en avons pas
été officiellement informés.
Selon l'ambassadeur de France à Damas, le
Président Assad est malade, de plus en plus coupé de la population,
et dispose d'encore moins atouts qu'il y a dix ans pour réussir
l'opération militaire qu'il a actuellement amorcée au Liban.
Le Président s'oppose à la vente au Chili de six
lance-missiles et de douze missiles Exocet destinés à équiper sa
marine. Pour Matignon, cette vente ne contrevient pas à notre
doctrine, qui n'interdit que les livraisons de matériel utilisable
pour la répression intérieure. Notre ambassade confirme que cette
vente est souhaitée par les démocrates-chrétiens et les socialistes
chiliens. Elle représenterait néanmoins un saut qualitatif qui ne
passerait pas inaperçu : entre 1981 et 1986, nous n'avons livré que
des pièces de rechange, pas de matériel neuf.
Les discussions sur les contentieux financiers
franco-iraniens entre MM. Trichet et Nawab, les 25 et 26 février,
n'ont produit aucun résultat nouveau. Selon M.
Lafrance, notre représentant à Téhéran, les Iraniens
veulent aboutir mais s'y prennent mal.
Un règlement séparé sur l'affaire Framatome pourrait cependant
intervenir rapidement à Vienne.
Iouri Vorontsov,
vice-ministre soviétique des Affaires étrangères, est à Paris. Reçu
par François Mitterrand, il déclare : Pour la
limite inférieure du nombre de SRINF, la position soviétique n'est
pas arrêtée. Il y a matière à négociation avec les États-Unis et à
consultation avec les Européens dont les forces armées peuvent être
directement concernées. A ses yeux, le gel est la meilleure
solution. Pour Moscou, un plafond égal, avec droit de compensation,
est inacceptable. Il refuse toute conversion des Pershing II en
Pershing 1B, pour les maintenir hors de l'option zéro concernant
les armes intermédiaires : Si les Américains
persistent dans ce sale jeu, il ne pourra pas y avoir d'accord sur
les armes intermédiaires. Les Soviétiques porteront alors le débat
sur la place publique.
François Mitterrand
: Le vœu de la France était que l'ensemble des
problèmes du nucléaire et de l'espace soient traités d'un bloc.
C'est pourquoi nous avons espéré une réduction de 50 % des
armements stratégiques. Une réduction sensible des armes
intermédiaires avec extension à celles de courte et moyenne portées
nous semble utile. Nous ne souhaitons pas qu'il y ait de
développement de l'IDS. A l'intérieur de cette discussion, nous ne
prenons pas parti pour les arguments des uns ou des autres. Ce qui
nous intéresse, ce sont les résultats. Puisque cet accord global
n'est naturellement pas pour demain, en raison de l'IDS, pour nous,
tout armement soviétique est un euromissile. Vous et nous n'avons
que des euromissiles. Abandonnons donc ce vocabulaire, cherchons un
désarmement intelligent !
M. Gorbatchev a été sage de
faire des propositions sur les armes intermédiaires. On peut parler
d'option zéro en Europe. Vous pouvez informer M. Gorbatchev que je
suis — et donc que la France est — favorable à cette option
zéro-là. Beaucoup de bruits contradictoires ont couru ; beaucoup de
positions irresponsables, prises par des gens n'en ayant ni la
charge ni la responsabilité, se sont exprimées. C'est l'un des
rares inconvénients d'un pays démocratique... J'attends le Conseil
des ministres de demain pour faire connaître une position qui ne
peut être contredite. Il y aura des débats, mais la position du
gouvernement de la France est fixée par moi. Nous cherchons
l'équilibre, n'allons pas plus vite que la musique ! C'est vous
l'orchestre... Nous n'avons pas à exprimer d'avis sur les
négociations entre l'URSS et les États-Unis. Sur le sujet précis
abordé par M. Gorbatchev, vous avez notre réponse.
Iouri Vorontsov me
précise en sortant ce qu'il a laissé entendre au Président :
Dans la négociation sur les armes nucléaires à
très courte portée, il faudra tenir compte des armements de ce
type, français et britanniques. C'est un retour tout à fait
inédit à la prise en compte des forces françaises. Il faudrait
marquer un point d'arrêt pour éviter les malentendus ultérieurs ;
sinon, ce sera l'Hadès contre les SS 23, ou plutôt contre les SS
21. Lorsque je rapporte ces propos au Président, il me répond : Il est
inévitable que nos armes soient amenées dans la négociation par les
Soviétiques. A nous de refuser, c'est tout.
Mercredi 4 mars
1987
Au Conseil des ministres, Jean-Bernard Raimond
fait un exposé très équilibré sur les propositions de Mikhaïl
Gorbatchev.
André Giraud, d'un geste
véhément, demande alors la parole : M.
Gorbatchev obtient pour un prix extrêmement modique le changement
complet de l'équilibre nucléaire en Europe. La situation est d'une
gravité extrême. Nous assistons à une sorte de Munich
européen.
François Mitterrand
ménage un petit silence, puis s'exprime pendant une demi-heure. Ses
propos sont écoutés avec une rare attention :
Je souhaite vous dire l'état
de mes réflexions sur ce difficile sujet. Il y a manifestement une
division des esprits qui n'est pas anormale. Dans une affaire
allssi compliquée, il faut partir de quelques principes
:
• La négociation sur le
désarmement nucléaire se tient entre l'URSS et les États-Unis. J'ai
entendu regretter que la France ne soit pas présente à Reykjavik ou
autour de la table des négociations sur les forces nucléaires
intermédiaires. Ce n'est pas mon avis. Je me réjouis que la France
n'y soit pas. Il faut résister à la tentation de dire : « Nous
sommes offensés parce que nous n'y sommes pas. » C'est le contraire
; il faut dire : « Nous sommes à l'abri si nous n'y sommes pas. »
Si nous étions à la table des négociations, de quoi pourrions-nous
parler, sinon de mêler les forces françaises à la négociation sur
les forces nucléaires intermédiaires ?
Il faut toujours se rappeler
la disproportion des forces, de l'ordre de 10 000 têtes nucléaires
au moins pour les deux plus grandes puissances, de l'ordre de 500
pour la France à l'issue de son effort actuel. Il faut que les deux
plus grandes puissances fassent un effort considérable de réduction
de leurs armes nucléaires avant que nous puissions envisager de
participer au désarmement.
D'autres disent que
l'Europe [le Président vise ici Valéry Giscard d'Estaing et
Michel Rocard] doit être présente, mais
qu'est-ce qu'elle dirait, l'Europe ? Il n'y a que la France et la
Grande-Bretagne qui aient l'arme nucléaire !
• Pour les Américains et les
Soviétiques, les armes stratégiques sont celles qui peuvent
traverser l'Atlantique. C'est leur langage, ce n'est pas le nôtre.
Nous n'avons pas à accepter leur définition. Nous avons un système
central de caractère stratégique et notre stratégie est une
stratégie de dissuasion : dissuasion du faible au fort, où le
faible use de sa faiblesse pour se faire craindre du plus fort,
comme depuis l'origine des temps.
• La France n'est pas partie
à la négociation, mais elle a naturellement intérêt à s'en
informer. Elle est en droit, comme les autres alliés, de donner son
avis, d'abord aux États-Unis, et aussi à la face du monde.
D'ailleurs, les États-Unis devraient consulter réellement leurs
alliés avant de prendre position sur ce sujet.
• Que peut-on penser des
propositions de M. Gorbatchev ? Elles ne sont pas nouvelles, comme
le communiqué du Quai l'a noté. Mais ce n'est pas nouveau non plus
que la France ait pris position en acceptant ce que l'on appelle
l'option zéro et en disant qu'elle n'acceptera pas d'y voir
décompter ses propres forces.
C'est une proposition que
l'Alliance a prise, notamment en 1979, en 1981 et en 1986, à
Bruxelles. Il faut se rappeler qu'en 1986, nous y avons souscrit
sans réserve. M. le ministre des Affaires étrangères m'avait soumis
le texte et j'avais donné mon accord comme l'avait fait, je le
suppose, M. le Premier ministre.
J'examine donc la proposition
de M. Gorbatchev avec un réel intérêt ; mais cela n'ôte rien à
certaines inquiétudes et aux conditions nécessaires. Ces conditions
sont : la simultanéité ; l'équilibre ; la prise en compte des armes
de courte portée, ce qui pose le problème délicat de la
dénucléarisation de l'Europe ; enfin et surtout, le contrôle et la
vérification.
Il faut marquer notre intérêt
et, dans le même mouvement, dire quelles conditions nous paraissent
indispensables. Il ne serait d'ailleurs pas tenable, devant les
opinions européennes, de refuser purement et simplement les
propositions de M. Gorbatchev.
Le danger principal, c'est le
rêve et la folie de M. Reagan, qui a accepté à Reykjavik la
suppression intégrale des forces nucléaires. Nous avons frôlé la
catastrophe. A ce moment-là, le déséquilibre conventionnel et
chimique aurait été dramatique.
Si l'on va vers un accord, je
ne me dissimule pas qu'on se tournera vers nous pour la prise en
compte de nos forces ; mais j'ai dit et redit à MM. Reagan et
Gorbatchev qu'il ne saurait en être question.
Il est indispensable que nous
réalisions d'abord l'unité de vues, puis l'unité d'action avec la
RFA et avec la Grande-Bretagne. Il faut que les Européens parlent
d'une voix à peu près unique. Je m'y emploierai.
En tout cas, les responsables
de la France ont besoin d'une très grande union de pensée. C'est le
problème de la patrie avant tout autre.
Jacques Chirac demande
la parole: Je partage tout à fait le point de
vue que le Président vient d'exprimer.
Pendant que le Président parlait, il a fait passer
un mot à Philippe Séguin pour lui reprocher d'avoir accordé douze
lits à Pierre Bérégovoy pour l'hôpital de Nevers ! Je le sais
d'autant mieux que, sans crainte de se faire voir, Philippe Séguin
a fait passer ce mot jusqu'à ma table...
Petit incident après le Conseil : selon une
dépêche de l'AFP, Alain Juppé,
porte-parole du gouvernement, a mis dans la bouche du Premier
ministre les propos exprimés par le Président sur la Défense.
Jean-Louis Bianco le lui fait remarquer. Il assure que c'est une
erreur de l'AFP. Il prétend avoir dit : Le
Président a fait un exposé, ce n'est pas à moi qu'il convient d'en
parler. Le Premier ministre a approuvé et l'accord s'est fait entre
eux. Juppé promet de demander un rectificatif à l'AFP. Ce
qu'il fait.
L'Élysée publie une déclaration du Président confirmant ses propos au Conseil :
La perspective de
l'élimination ou de la réduction des forces nucléaires
intermédiaires américaines et soviétiques est conforme à l'intérêt de la France et de la
paix.
Comme prévu après les déclarations de Mikhail
Gorbatchev, les Soviétiques déposent à Genève un projet de traité
proposant l'option zéro, sans rétablir de lien avec la négociation
stratégique ni avec l'IDS (deux fois par le passé ce lien a été
dénoué puis rétabli), et en précisant les conditions qu'ils posent
pour le retrait des missiles SS 21, 22, 23 à plus courte
portée.
Ronald Reagan promet de collaborer avec le Congrès
dans l'affaire de l' Irangate.
J'apprends que Jean-Bernard Raimond a adressé
lundi dernier au Premier ministre une note demandant son accord à
trois nouvelles nominations aux postes de secrétaire général,
directeur général des Relations culturelles et directeur des
Affaires économiques. Trois postes clés du Quai vont donc changer
de titulaires. Au départ des titulaires actuels, le Président ne
pourra pas s'opposer, même s'il pourra influer sur le choix de
leurs successeurs.
Jeudi 5 mars
1987
Margaret Thatcher
applaudit à l'option zéro : C'est une idée
avancée par Washington en 1981 et reprise à son compte par
Gorbatchev le 28 février 1987. Le Foreign Office exprime
néanmoins les mêmes réserves que le Quai d'Orsay : En l'absence de ces missiles intermédiaires, plus aucune
dissuasion nucléaire américaine à l'échelle du Vieux Continent ne
viendrait équilibrer la menace que font peser les missiles
soviétiques à courte portée.
Le problème des forces nucléaires intermédiaires
de portée inférieure à 1 000 kilomètres prend donc une place
croissante dans les négociations américano-soviétiques et dans les
discussions intra-atlantiques. Il pourrait compromettre une
signature rapide de l'accord d'option zéro sur les forces
intermédiaires.
Vendredi 6 mars
1987
Francis Bouygues rend publics ses doutes sur la
loyauté de la candidature d'Hachette au
rachat de TF1, en raison de la présence
de la BNP, banque publique, dans son tour de table.
François Mitterrand reçoit Hervé de Charette. Ils
parlent sans doute encore de la Nièvre...
Samedi 7 mars
1987
Jacques Chirac reçoit Francis Bouygues.
Le projet d'annulation de la dette africaine est
prêt. Le Président pourrait en annoncer le principe. Édouard
Balladur est d'accord.
Dimanche 8 mars
1987
Le Président m'entraîne
pour une promenade d'une heure sur les Champs-Élysées : Il faut en finir avec les armes tactiques. Elles sont
inutiles et dangereuses. Il est donc pour l'option zéro sur
les armes à courte et très courte portée, la double et la triple.
Le Quai et la Défense sont contre. Jacques Chirac aussi. Cela
promet !
Sur le trottoir, les gens, étonnés, le
reconnaissent. Quand ils lui font signe, il les salue avec
cordialité, ôtant son chapeau pour les dames. Il me lance :
Je ne suis pas si impopulaire que vous voulez
me le faire croire...
Lundi 9 mars
1987
La CNCL demande à Hachette de reconsidérer son
tour de table en en excluant la BNP. Hachette obtempère.
Accord Renault-Chrysler sur la vente d'American
Motors.
Le Président, lisant un télégramme sur le récent
voyage de François Bujon de l'Estang à Washington, remarque qu'il a
tenu devant un diplomate américain, M. Armacost, secrétaire d'État
adjoint, des propos très hostiles au Nicaragua d'Ortega.
A propos de l'achat éventuel d'avions Awacs, André
Giraud s'obstine à dire qu'il a l'accord du Président et que le
général Forray ne comprend rien à cette question. En fait, l'accord
du Président n'est pas encore donné, ce que le ministre s'obstine,
lui, à ne pas comprendre.
Mardi 10 mars 1987
Francis Bouygues dépose un recours devant la CNCL,
affirmant que le retrait de la BNP ne change rien aux informations
dont Hachette a pu bénéficier.
François Mitterrand,
reçu par la presse diplomatique, déclare que la France n'entend pas
traiter avec le terrorisme. Il annonce
aussi l'initiative d'annulation de la dette des pays les plus
pauvres d'Afrique.
Mercredi 11 mars
1987
Avant le Conseil des ministres, le Président demande à Jacques Chirac de réexaminer
une candidature à la direction d'un établissement public. Il ne
veut pas du postulant qu'on lui propose, un extrémiste de droite :
Il a proposé la suppression de l'organisme
qu'il veut diriger aujourd'hui !
Jacques Chirac, très
énervé, déclare : C'est un savant unanimement
reconnu. Si c'est d'un délit d'opinion qu'on l'accuse, il faut le
dire ! Mais alors, il n'y aura pas de président et on saura
pourquoi.
Toujours avant le Conseil, pendant que les
ministres prennent le café avec les collaborateurs du Président,
des propos très vifs sont échangés entre Michel Noir et Édouard
Balladur, le second reprochant au premier d'avoir divulgué les
indices du commerce extérieur à sa place.
Échange également peu amène entre Robert Pandraud
et Claude Malhuret sur les étrangers.
Au Conseil, le Président
intervient à propos d'une réforme du Code de la route (aggravation
des peines frappant les conducteurs au taux d'alcoolémie trop
élevé) : Me substituant à la voix générale, je
dirai simplement au Conseil que ceci est à mes yeux une excellente
réforme.
A propos de la réforme du service national,
retardée à la demande d'André Giraud, le
Président interroge ce dernier avec une grande douceur :
Monsieur le ministre de la Défense, tout va
bien ?
André Giraud :
Oui, oui, monsieur le Président. Une
disposition s'était glissée, qui aurait
pu faire penser qu'on voulait remanier tout le service national,
mais cela a été réparé. Tout va bien.
Claude Malhuret parle du projet de loi modifiant
l'autorité parentale.
François Mitterrand :
L'économie générale du projet est tout à fait
satisfaisante, mais je voudrais vous poser une question. Le Conseil
d'État avait suggéré que la garde conjointe ne soit possible que si
les parents étaient d'accord pour la demander. Pourquoi n'est-ce
pas dans le texte ?
Claude Malhuret :
C'est effectivement un point très important.
Mais j'ai pensé que c'était ajouter une complication de procédure.
C'est aux juges de décider, et je pense qu'en pratique ils
décideront seulement s'il y a l'accord des parents.
François Mitterrand :
L'objectif, c'est que l'enfant soit autant que
possible à l'écart des déchirements.
Jean-Bernard Raimond prend la parole pour son
exposé traditionnel de politique étrangère. Il est effroyablement
enroué, peut à peine parler.
François Mitterrand,
aimable : Mais prenez votre temps. Cela arrive
à tout le monde. Reprenez votre souffle... Et il donne la
parole à Jacques Chirac, qui se réjouit des résultats des
négociations agricoles européennes.
Jean-Bernard Raimond peut ensuite achever sa
communication que personne n'écoute.
Départ pour un Sommet franco-espagnol à
Madrid.
A l'issue du dîner chez le Roi d'Espagne,
Jacques Chirac reçoit des journalistes
français dans les salons du Ritz. Il critique l'extrême légèreté de ses prédécesseurs à propos des
conditions d'entrée de l'Espagne dans le Marché commun et de
l'extradition des Basques. Il affirme que les relations franco-espagnoles se sont améliorées depuis
mars 1986.
Ultimatum : l'OJR (Organisation de la justice
révolutionnaire) menace publiquement d'exécuter un otage,
Jean-Louis Normandin, si le Premier ministre ne clarifie pas les
propos tenus par le Président devant la presse diplomatique sur le
terrorisme.
Maurice Ulrich pense que cet ultimatum est lié à
la condamnation à perpétuité de Georges Ibrahim Abdallah. Il ajoute
que la déclaration du Président peut être interprétée comme un
durcissement de la position française. En fait, le Président n'a
fait que répéter la position constante de la France, à savoir que
l'on ne négocie pas avec les terroristes. Oui, concède Maurice Ulrich. D'ailleurs, ce
n'est pas la première fois que l'OJR menace.
Vendredi 13 mars
1987
Le porte-parole du Premier ministre, Denis Baudouin, répond à l'ultimatum de l'OJR :
La France entend poursuivre avec ténacité et
fermeté sa lutte contre le terrorisme. C'est, précise-t-il,
la position du gouvernement, arrêtée en
liaison avec la Présidence de la République.
Le communiqué a été effectivement reçu par le
Président, après un coup de téléphone de Jacques Chirac.
Sur l'ultimatum de l'OJR, chaque expert a son
interprétation. Le sentiment du Président est qu'il est plutôt
d'influence iranienne, qu'il s'agit surtout d'un signal à la Syrie
pour la mettre en garde avant une entrée dans Beyrouth-Sud.
Samedi 14 mars 1987
Le Quai d'Orsay publie à son tour un communiqué,
nettement plus conciliant, appelant l'OJR à la clémence et
rappelant que la France souhaite poursuivre
avec l'Iran le processus de normalisation engagé il y a onze
mois.
Le Président :
Mais qui les a autorisés ?... C'est très
maladroit, aujourd'hui !
Dimanche 15 mars
1987
Maurice Ulrich dit à Jean-Louis Bianco que Jacques
Chirac souhaite avoir le Président au téléphone. À 13 heures, le
Président informe Bianco qu'il appellera Chirac. L'a-t-il fait ?
Sûrement à propos de l'OJR...
Il est fort probable qu'il y a eu des engagements
du gouvernement français qui n'ont pas été tenus. Est-ce à propos
d'Abdallah ? Est-ce de ne plus vendre des armes à l'Irak ? Est-ce
d'en vendre à l'Iran ? Qu'a vraiment dit le Premier ministre à
l'émissaire iranien qu'il a reçu en tête à tête ?
Jacques Chirac semble très soucieux qu'en la
matière il y ait une information et une coopération parfaites entre
la Présidence et Matignon.
Lundi 16 mars
1987
Renaud est reçu à
l'Élysée afin de recueillir pour Globe
une interview du Président : Mitterrand, il
est cool. D'abord physiquement, il
ressemble un peu à mon père que j'aime beaucoup, et déjà ça aide.
Et puis il est intelligent, mais ça, personne n'en doute, ou alors
les cons, et c'est vrai qu'il y en a. Mais, surtout, il est plein
d'humour, de répartie, et c'est un puits de culture. Et ça, moi, ça
m'épate. Enfin bref, pendant plus d'une heure, je n'ai rien dit
(...). Je l'écouterais bien parler encore un septennat. En partant,
super à la bourre, j'ai regretté de n'avoir pas osé lui raconter
que le matin même, je demandais à ma fille qui a cinq
ans « Aurais-tu une question à poser au
roi de France ? » et qu'elle m'a répondu
: « Demande-lui si c'est lui qui a mis le feu à
l'appartement, et ceci, cela... » Bien sûr que
non, que c'est pas lui, Lolita ; c'est les autres...
Faut-il inviter formellement Mikhaïl Gorbatchev à
revenir en France ? Ce serait le plus logique. Ce serait « son »
tour. Une nouvelle visite d'État ne serait pas forcément souhaitée.
Nous pourrions lui proposer de trente-six à quarante-huit heures de
conversations et de travail hors de Paris.
Je suis à Washington pour faire la connaissance du
nouveau conseiller à la Sécurité du Président, Franck Carlucci.
J'en profite pour rencontrer Richard Darman, directeur du Budget,
Paul Volker, président de la Banque fédérale, Clar Yeutter,
ministre du Commerce, et Fred Ikle, numéro deux du Pentagone.
L'ambiance à Washington est délétère. On gère le
quotidien, dans l'inquiétude des révélations de la presse sur
l'affaire des contras. On donne comme
probable un affrontement entre Dole et Hart en novembre 1988, avec
un large avantage, pour l'instant, au candidat démocrate. On se
méfie de Gorbatchev, considérant avec une sorte de jalousie son
administration, qui, elle, pense-t-on, a le temps de faire des
projets. On souhaite un accord avec les Soviétiques sur les forces
nucléaires intermédiaires, sans rien engager d'autre sur le
désarmement, afin de protéger la « guerre des étoiles ».
Les Américains sont décidés à arriver cette année
à un accord de retrait total des armes nucléaires intermédiaires en
Europe. Toutes les autres armes soviétiques à moyenne et à très
courte portée (SS 21, 22, 23) seront évoquées dans une autre
négociation dont on souhaite qu'elle soit « assez avancée » quand
la négociation sur les armes intermédiaires sera conclue, mais rien
de plus. On reconnaît qu'on n'a rien à proposer aux Soviétiques en
échange de ces fusées-là — les Américains n'en ont pas en Europe —,
et qu'il serait plus efficace de proposer en échange le déploiement
de Pershing I, mais on s'y refuse. Et cela pour trois raisons,
évoquées assez crûment à la Maison Blanche et au Pentagone : cela
retarderait par trop la conclusion de l'accord sur les armes
intermédiaires ; cela pourrait conduire, pour équilibrer les SS 22
et 23, à déployer en Europe, ailleurs qu'en RFA, des Pershing IA,
reposant ainsi tous les problèmes du déploiement ; cela «
indisposerait » les Allemands, demandeurs d'un retrait rapide des
Pershing II. Le seul lien entre les deux négociations sera établi
par le biais de la vérification de l'accord d'option zéro, laquelle
devra veiller à ce que les missiles à plus courte portée ne soient
pas, en fait, des armes intermédiaires déguisées.
On ne veut pas nous inclure dans les négociations,
même sur les fusées à courte portée. Mais, en échange, on nous
demande poliment de ne pas nous mêler de la négociation sur les
armes intermédiaires.
L'obsession de l'Administration est de permettre à
l'IDS de perdurer après Reagan, et, pour cela, de programmer dès
maintenant des expérimentations d'armes spatiales requérant une
interprétation élargie du traité ABM, même si ces tests n'ont lieu
qu'en 1989 ou 1990. Bien que le Sénat ait pris très nettement
position contre, on ne désespère pas d'y parvenir.
Les propositions américaines sur les armes à plus
courte portée (plafonnement au niveau soviétique actuel et droit à
un déploiement équivalent du côté américain, notamment par la
transformation des Pershing II en Pershing I) sont, on le sait ici,
irréalistes, car inacceptables pour Moscou. Sur le reste, les
Américains restent divisés, hésitants.
Comme, par ailleurs, me dit Franck Carlucci, les
autres Européens font pression pour une conclusion rapide de
l'accord sur les armes intermédiaires, la logique américaine et la
logique européenne vont dans le même sens.
Dans son esprit, la négociation SRINF apparaît
comme quelque chose de flou, à l'aboutissement lointain : du côté
américain, il n'y aurait rien à mettre dans la balance.
Franck Carlucci précise
qu'il est en tout cas hors de question de discuter des armes
françaises tactiques, ajoutant que, d'ailleurs, les Soviétiques ne l'ont pas demandé.
Il conclut sur la nécessité de travailler en
commun et d'améliorer la concertation, car la
position européenne sur les questions de défense n'est pas toujours
claire.
Ce qui domine à Washington et à la Maison Blanche,
c'est l'obsession de l'accord, même si,
dans le même temps, Carlucci semble avoir pris quelque peu
conscience de l'intérêt qu'il pouvait y avoir à exploiter au mieux
le levier des Pershing pour obtenir le maximum de concessions
soviétiques.
Carlucci me déclare d'autre part : Des troupes libyennes sont descendues en masse vers Fada
samedi et dimanche. Il faut continuer à aider les contras, sinon
ils vont tous mourir par notre faute. La conférence sur le
Moyen-Orient est une absurdité, car elle ferait entrer les
Soviétiques dans la région.
Au Trésor, l'accord monétaire du Louvre est
considéré comme peu durable en raison
du refus du Japon de relancer son économie, alors qu'il l'avait
promis. En conséquence, le dollar baissera de 20 % dans l'année.
Reste à savoir si ce sera dans le cadre d'une nouvelle « zone de
référence », comme on le souhaite au Trésor, ou par la renonciation
à toute ligne de défense, comme le veut Paul Volker.
Mardi 17 mars
1987
Conversation au Pentagone avec Fred Ikle, sous-secrétaire à la Défense, l'homme clé
de la négociation avec les Soviétiques, le stratège américain de
cette partie d'échecs planétaire : Plus
personne en Amérique, sauf quelques représentants de l'extrême
gauche, ne s'oppose aux recherches sur l'IDS, explique-t-il.
On discute surtout de leur rythme, de leur
ampleur et des domaines prioritaires. Même s'il y avait
ralentissement, le programme survivrait à l'Administration Reagan.
Cela ne veut pas dire que l'on pourra un jour se dispenser
totalement des armes nucléaires offensives : il y aura toujours des
moyens, pour les Soviétiques, de contourner les défenses
antibalistiques et les défenses anti-aériennes dont il faudra
également se doter, une fois les recherches sur l'IDS menées à
bien.
Sur les négociations en cours en vue d'une
interdiction des armes chimiques : Je suis de
plus en plus sceptique sur la négociation de Genève, car je suis
convaincu que la vérification n'est pas possible.
Pour nous, les armes chimiques ont cessé d'être un
tabou ; en France, on a désormais une conscience très vive du
déséquilibre existant au profit des Soviétiques. Nous nous laissons
gagner nous aussi par le scepticisme vis-à-vis d'une interdiction
négociée.
Message de Horst Teltschik
: le gouvernement fédéral accepte l'extension de l'option
zéro sur les forces nucléaires intermédiaires de longue portée aux
armes à plus courte portée. Ni la position américaine ni la
position soviétique ne sont claires ; l'allemande l'est encore
moins.
Sur l'UEO, le Chancelier, le 13 janvier dernier, a
souscrit à l'initiative du Premier ministre français. Il reste que
l'organisation elle-même n'est pas en mesure de fonctionner. La
question du transfert du siège à Bruxelles,
ou, pourquoi pas, à Paris, est posée. La République fédérale peut se prononcer en faveur de
Paris. L'organisation doit permettre de s'accorder sur les
intérêts européens.
Dans son discours prononcé à Berlin le 30 avril
prochain à l'occasion du sept cent cinquantième anniversaire de la
ville, le Chancelier rappellera que la volonté fédérale de dépasser
les divisions de l'Europe fait écho à sa volonté de dépasser les
divisions de l'Allemagne : Nous ne voulons pas
d'une voie particulière. La question allemande est insoluble
indépendamment de la question européenne. Le discours du 30
avril constituera une ouverture vers l'idée d'« Europe dans son
ensemble » (Gesamteuropa).
Horst Teltschik me dit qu'il a appris de Burt,
l'ambassadeur des États-Unis à Bonn, que le Président Reagan
prononcera le 12 juin un discours politique à la porte de
Brandebourg, présentée comme le symbole de la
porte qui devrait être ouverte aux échanges entre les idées et les
hommes des deux parties de l'Europe.
Mercredi 18 mars
1987
Avant le Conseil des ministres, le Président
attire l'attention de Jacques Chirac sur le projet de loi Séguin
relatif à l'aménagement du temps de travail, lequel permet de
déroger à l'interdiction du travail de nuit des femmes.
Le Premier ministre, qui
n'est visiblement pas au courant, répond : Je
vais regarder.
Pendant le Conseil, André Giraud reçoit un message
urgent : nos radars ont détecté un avion libyen qui se dirige vers
Abéché, au Tchad, et s'apprête à franchir le 16e parallèle. Il en informe le Président.
François Mitterrand lui
fait passer une note : Il faut faire
des sommations scrupuleuses, mais, s'il ne les
écoute pas, s'il ne fait pas demi-tour, il faut
l'abattre.
Le Premier ministre, informé, est tout à fait
d'accord.
En réalité — nous ne le saurons que quelques
heures plus tard —, l'information reçue par André Giraud était
fausse. Elle est le résultat d'une énorme erreur de transmission
qui devrait justifier des sanctions militaires : l'avion libyen qui
était censé devoir franchir le 16e
parallèle était en réalité posé au sol... au Soudan ! Les appareils
français qui l'avaient repéré avaient en fait pénétré dans l'espace
aérien soudanais sans s'en rendre compte...
Philippe Séguin expose très brièvement son projet
de loi sur l'aménagement du temps de travail.
Le Président :
Le débat a déjà eu lieu. Vous connaissez le
fond de mes réserves. Les répéter serait une redite
inutile.
A propos de la nomination de Jean-Pierre Angrémy à
la direction des Relations culturelles : C'est un homme distingué,
certainernent capable de remplir cette mission.
François Léotard, à
propos de Thierry de Beaucé, démis de cette même direction :
Il aura des fonctions importantes.
Le Président : Je
crois qu'il ne les acceptera pas.
François Mitterrand, à
la sortie du Conseil des ministres, à propos des chiraquiens :
On peut dire que c'est un clan si l'on veut
être aimable, un gang si l'on est désagréable.
Le Président me demande de noter scrupuleusement
les variations du Premier ministre à propos de l'option zéro :
Jacques Chirac lui a dit à Madrid, le 12 mars, qu'il était
pour ; ce matin, avant le Conseil, il a
déclaré qu'il était personnellement contre, mais qu'il n'en ferait
pas état, car il est attaché au consensus.
François Mitterrand :
Comment gouverner dans ces conditions
?
Le Président reçoit Charles Pasqua et Robert
Pandraud. Pasqua réclame toujours le départ de Jean Reille,
directeur des voyages officiels, pour le remplacer par Raymond
Sassia, dit « le Gorille ». François Mitterrand répond que si Jean
Reille s'en va, il refusera désormais toute protection du
gouvernement et le fera savoir publiquement.
Charles Pasqua soutient que le service des voyages
officiels est inefficace, que les gens n'y sont pas assez bien
formés, que ce sont plus des adjoints du protocole ou des
porte-serviettes que de véritables préposés à la sécurité.
Le Président :
On a en effet confondu les fonctions. La
moyenne est médiocre. Il faut distinguer la fonction protocole et
la fonction protection.
Le Président évoque le fait — que Pasqua et
Pandraud semblent connaître — que Gaston Defferre et Pierre Joxe
lui avaient proposé de nommer Raymond Sassia comme chef de sa
sécurité personnelle, qu'il avait accepté, mais que Sassia avait
refusé sous prétexte que le GSPR dépossédait la Police. Le Président ne peut donc
accepter maintenant que le même Sassia ait la responsabilité des
voyages officiels.
François Mitterrand
ajoute : Le Premier ministre m'a dit d'un ton
significatif : « C'est le danger terroriste qui est en cause. »
J'ai l'oreille assez fine pour entendre que, s'il y a une flambée
terroriste, on pourra dire que c'est la faute du Président de la
République qui a refusé de réformer les voyages officiels.
[Pasqua esquisse un sourire. Pandraud est cramoisi.] C'est stupide de toujours vouloir des lois nouvelles et
réformer les structures... Dans une note à Jean-Louis Bianco,
Maurice Ulrich a rappelé poliment, comme il le fait toujours, et
discrètement, comme il le fait toujours, que l'on peut fort bien se
passer de moi pour réformer également cette direction-là ! Écoutez,
les choses sont très simples : ou bien je serai d'accord, ou bien
je ne serai pas d'accord. Si je ne le suis pas, je me débrouillerai
tout seul: je n'accepterai pas que ma sécurité soit assurée par le
gouvernement et j'assumerai publiquement cette décision. Je vous
signale par ailleurs que l'un des policiers que nous avions
révoqués, pour avoir voué à la pendaison le ministre de la Justice
et menacé de coups le ministre de l'Intérieur, est aujourd'hui
affecté à la sécurité des personnalités...
Charles Pasqua :
La tâche principale de ce monsieur consiste à
prendre des billets d'avion !
François Mitterrand :
Moi, je n'ai rien contre lui. Il peut très
bien prendre les places d'avion de M. Malhuret. Mais je vois
apparaître toute une série de gens qui m'inspirent le contraire de
la confiance.
Vous savez, monsieur le
ministre de l'Intérieur, il y a aussi tout ce qui est affiché dans
certains commissariats [des tracts très hostiles au
Président]. Bien entendu, tout ceci n'implique
de ma part aucune méfiance à votre égard. Il n'y aucun caractère
personnel dans mes propos. Je n'ai eu qu'à me louer d'un ancien
directeur général de la Police qui s'appelait Robert Pandraud... En
tout cas, comme directeur général... Comme ministre, on verra. Vous
serez jugé, comme moi, à la fin!
En Tchécoslovaquie, Gustav Husak présente un
programme de réformes et de démocratisation de la société inspiré
des principes de restructuration et de
transparence mis en avant en
URSS.
Faut-il que la France demande que les SS 22 soient
pris en compte dans les négociations sur les forces nucléaires
intermédiaires et qu'un lien strict soit établi avec la négociation
des armes à plus courte portée ?
Je suis convaincu que, sauf instruction contraire
du Président, le Premier ministre, poussé par François Bujon de
l'Estang, va s'exprimer publiquement à ce sujet lors de son voyage
à Washington.
Nous apprenons que Jacques Chirac a écrit à
Hissène Habré pour lui donner des informations sur l'état d'esprit de Goukouni
Oueddeï — informations que Hissène Habré connaissait sûrement et
que nous-mêmes possédions — sans que l'Élysée ait été prévenu de
cette correspondance.
Nous apprenons aussi que Jacques Chirac — toujours
sans que l'Élysée ait été avisé ni consulté — aurait écrit à Saddam
Hussein pour lui annoncer un revirement favorable de notre
politique de vente d'armes à l'Irak. En fait, ce changement paraît
très limité. Il s'agirait simplement de faciliter les ventes à
crédit. Mais le procédé, s'il est avéré, est inadmissible, d'autant
plus qu'une note de Jean-Louis Bianco du 13 février 1987 rappelait
à Maurice Ulrich que le Président devait être consulté sur toutes
les décisions relatives à la livraison éventuelle de nouvelles
armes à l'Irak. Sans compter qu'un tel message n'est pas très
opportun en ce moment !
Nous n'avons pas encore protesté, car il faut
d'abord que nous puissions expliquer comment nous avons obtenu ces
renseignements. Ce qui n'est pas facile...
Décidément, les réseaux de l'Élysée fonctionnent
de mieux en mieux. Chaque collaborateur, dans son secteur, reçoit
de plus en plus d'informations. Un nombre croissant de hauts
fonctionnaires prennent le risque de se montrer à l'Élysée.
Jeudi 19 mars
1987
François Léotard prend ses distances avec la
campagne anti-pornographie lancée par Charles Pasqua, notamment
avec cette ridicule exposition des « objets du délit » où ne se
pressent que des journalistes rigolards. Il s'agit là d'une
initiative d'un proche de Pasqua, Dominique Latournerie, directeur
des Libertés publiques.
Une réunion des ministres de l'Intérieur des Sept
est prévue à Paris. Ni François Bujon, ni le Quai d'Orsay, ni le
directeur de cabinet de Charles Pasqua ne sont au courant. Par
contre, Maurice Ulrich confirme que cette réunion est bel et bien
prévue ! Il en avait été question il y a un an, avant Tokyo. Depuis
lors, personne n'en avait plus reparlé. Bujon téléphone au ministre
de l'Intérieur pour lui dire que cette réunion est contraire à la
politique de la France et qu'elle ne doit pas avoir lieu. Pasqua,
lui, semble y tenir beaucoup.
Vendredi 20 mars
1987
En Afrique du Sud, le coopérant français,
Pierre-André Albertini, est condamné à quatre ans de prison pour
refus de témoigner dans un procès intenté à quatre militants de
l'ANC accusés de terrorisme.
Édouard Balladur s'apprête à annoncer au FMI, au
plus tard le 13 avril, une proposition sur la dette africaine, qui
pourrait aller jusqu'à l'annulation de trois annuités d'intérêts
dus par les plus pauvres.
Le principe d'une telle initiative a été annoncé
par le Président devant la presse diplomatique et à Madrid. Elle
est le résultat d'un travail entrepris depuis six mois. C'est le
ministre d'État qui en exposera le détail.
Interrogé par des journalistes à l'occasion du
premier anniversaire de l'entrée en fonctions du gouvernement,
Jacques Toubon déclare : Pour tout ce qui va mieux, François Mitterrand dit
: « Ça vient de moi. » Pour ce qui ne
va pas, il dit: « Je n'y suis pour rien. » Et quand quelque chose
va bien, il invoque la continuité, même si la politique a changé du
tout au tout depuis le 16 mars.
Samedi 21 mars
1987
A Villeurbanne où il se trouve aujourd'hui, la
foule crie à François Mitterrand: Représentez-vous ! Représentez-vous ! Le Président répond : Je vous
entends ; cela ne veut pas dire que je vous écoute !
Dimanche 22 mars
1987
François Léotard
qualifie de faute politique la campagne
de Charles Pasqua contre la pornographie.
L'armée tchadienne reprend aux Libyens la base
d'Ouadidoum. Violents combats.
Lundi 23 mars
1987
Rencontre entre Margaret Thatcher et François
Mitterrand en Normandie au château de Bénouville. L'endroit a été
choisi par Michel d'Ornano, à qui j'ai demandé conseil et qui a été
très heureux de se rendre utile. Sa discrétion et son souci du
détail ont fait merveille dans cette affaire. Il nous accompagne
toute la journée, sans autre plaisir que celui de jouer ainsi un
bon tour à Jacques Chirac.
Maurice Ulrich nous informe de la découverte par
la DST d'explosifs et de l'arrestation des terroristes tunisiens
qui les détenaient. D'après la nature des explosifs, il semble
qu'il s'agisse d'une filière iranienne liée à des gens de
l'ambassade à Paris.
Joseph Rovan, le grand expert des questions
allemandes, nous prévient que les dossiers les plus novateurs
préparés sous sa supervision pour le Sommet culturel de Francfort
ont été étouffés par les Affaires étrangères. Il va nous les
transmettre.
Mardi 24 mars
1987
Vu le professeur Willy Rosenbaum, spécialiste du
sida, avec Ségolène Royal et Jean-Louis Bianco. Il nous parle d'un
accord franco-américain sur le sida dont je n'ai pas du tout
entendu parler. Or Jacques Chirac doit le cosigner la semaine
prochaine avec Ronald Reagan ! Un traité international qui est de
la compétence expresse du Président !...
François Léotard est reçu par François Mitterrand,
qui le félicite d'avoir tenu tête à Édouard Balladur sur le Louvre
et d'avoir maintenu l'avancement des travaux, malgré l'opposition
de ce dernier.
Le contrat prévoyant l'implantation à
Marne-la-Vallée d'Euro Disney, qui veut être le plus grand parc de
loisirs européen, est signé par Jacques Chirac.
François Mitterrand
écrit à Ronald Reagan pour faire le point sur le désarmement et
acquiescer au lien entre l'option zéro sur les forces nucléaires
intermédiaires et l'équilibre à bas niveau des armes à plus courte
portée. Il rappelle que, depuis huit ans, il a exprimé son accord
sur le principe de l'option zéro, tout en estimant que cette
réduction devrait être équilibrée et contrôlable. En premier lieu,
explique-t-il, il serait préférable qu'elle inclue non seulement
les SS 20 soviétiques, mais aussi, autant que faire se peut, les
plus menaçantes des armes nucléaires soviétiques à courte portée.
Une négociation ultérieure sur les forces nucléaires intermédiaires
à courte portée et sur les armes nucléaires à très courte portée
est attendue, souligne-t-il, par la plupart des pays européens de
l'Alliance, en raison des déséquilibres en ce domaine. Pour éviter
qu'elle ne s'engage dans de mauvaises conditions, il lui semblerait
sage d'essayer d'introduire dans l'accord sur les forces nucléaires
intermédiaires le principe de la parité sur les armes nucléaires à
courte portée, sans en remettre l'affirmation à une négociation
ultérieure. Les contraintes qui en découleraient devraient
interdire la modernisation ultérieure des armes nucléaires
soviétiques à courte portée et les plafonner à leur niveau actuel,
voire les ramener à un niveau inférieur... Il conclut en exhortant
à explorer toutes les chances d'accords mutuellement bénéfiques
avec l'URSS, comme toutes les actions susceptibles d'assurer à la
paix des fondements plus solides.
Les six Tunisiens et le Français arrêtés dimanche
préparaient, sous contrôle de l'ambassade iranienne, des attentats
à Paris avec des explosifs comparables à ceux de la rue de
Rennes.
Vu Bujon de l'Estang. Il m'annonce, sous le sceau
du secret, que le gouvernement rapatrie par petits paquets les
soixante-dix Français de Téhéran pour éviter qu'ils ne soient pris
en otages. Il me demande une totale discrétion à ce propos, et je
l'étonne beaucoup en lui apprenant qu'Europe 1 en a parlé ce matin
même.
Je l'interroge sur l'accord franco-américain sur
le sida qui devrait être signé par Jacques Chirac à Washington. Il
reconnaît qu'il existe. Visiblement, il aurait préféré que je ne le
sache pas.
Enfin, ayant reçu hier soir copie de la lettre
adressée par François Mitterrand au Président Reagan, il me dit
qu'il aurait préféré qu'on lui en parlât avant. Je lui ai répondu
que nous aussi, nous avions découvert dans les télégrammes
diplomatiques — mais après leur départ — les lettres de Jacques
Chirac aux onze chefs de gouvernement d'Europe, dont une, très
détaillée, au Chancelier Kohl, sur la Défense.
Avant son intervention télévisée prévue pour le 29
à 7 sur 7, François Mitterrand demande
à Pierre Bérégovoy de dire du bien de Michel Rocard. Ce n'est pas
si facile à obtenir...
Mercredi 25 mars
1987
Avant le Conseil, François Mitterrand interroge
Jacques Chirac sur cet accord franco-américain sur le sida dont il
n'a pas été saisi. Jacques Chirac :
Ce n'est pas un accord intergouvernemental.
Cela concerne seulement quelques chercheurs, pour des affaires de
brevet... Ce n'est pas un accord international au sens de l'article
52 de la Constitution. Cela n'a pas d'importance...
Pendant le Conseil, Alain Carignon rend hommage à
Haroun Tazieff qui l'a aidé pour son étude sur les risques
majeurs.
André Giraud rend un vibrant hommage à R. Payen...
qu'il est pourtant en train de « virer » de la direction de la
Gendarmerie !
Lucette Michaux-Chevry
doit faire un exposé sur la francophonie. Comme le Président, en
raison de la cérémonie commémorant le trentième anniversaire du
traité de Rome, doit quitter la capitale tout de suite après le
Conseil, il lui demande de se montrer assez brève. Elle l'est et
termine en disant : Je me suis efforcée de
résumer au maximum.
Le Président :
La langue française permet aussi
cela.
A la sortie, nous réglons avec Hervé de Charette
la question du sous-préfet de Cosne, qui tracassait le
Président.
On apprend par la radio que le gouvernement
s'apprête à expulser des diplomates soviétiques à la suite d'une
tentative d'espionnage concernant la fusée Ariane. De quoi
s'agit-il ?
Par ailleurs, Gilles Ménage apprend par un
journaliste que deux Tchécoslovaques ont été expulsés pour
espionnage à une date non précisée. La Présidence de la République
n'en a pas été davantage informée par le gouvernement.
Maurice Ulrich demande quelle est la position du
Président sur une éventuelle intervention au Surinam.
Jacques Chirac
à L'Heure de vérité : Le déménagement des
Finances à Bercy n'est pas d'actualité.
Interrogé sur les réserves émises par François
Léotard à propos de l'ordre moral pasquaïen, le Premier ministre
répond : Je n'ai rien entendu.
Jeudi 26 mars 1987
Bouygues et Hachette déposent leur dossier
d'exploitation respectif pour TF1 à la
CNCL. Francis Bouygues laisse entendre qu'il envisage un recours
contre Hachette pour modification de son tour de table après le
dépôt des candidatures.
Philippe Séguin me
téléphone : Est-il vrai que le Président va
parler de Sécurité sociale à la télévision ? Si c'est le cas, je
répondrai!
Le Président pense que le gouvernement français a
fait des promesses imprudentes aux Iraniens dans l'affaire des
otages.
Vendredi 27 mars
1987
Sur instruction du Président, Jean-Louis Bianco
écrit à Jean-Bernard Raimond pour l'interroger à propos du message
de Hissène Habré qui ne nous est pas parvenu.
Le Président a eu connaissance d'une lettre
d'Édouard Balladur à Jacques Chirac soulignant les dangers d'une
vente d'avions Mirage au Maroc. François Mitterrand interroge par
écrit Jacques Chirac à propos de cette opération dont nous n'avons
jamais été informés officiellement.
L'annonce de la signature prochaine d'un accord
franco-américain sur le sida tombe à l'AFP. Il est présenté comme
un grand accord international. Le Président est indigné : Chirac
est vraiment impossible ! Il m'a dit hier que cela n'avait aucune
importance. Ces gens-là mentent tout le temps et sont vraiment trop
mesquins !
Il envisage un instant d'écrire au Premier
ministre. Mais, finalement, la protestation part sous la forme
d'une note de Jean-Louis Bianco à Maurice Ulrich.
Au même moment, Maurice Ulrich transmet une note
sur les terroristes tunisiens entendus par la DST et consulte
Jean-Louis Bianco sur la conduite à tenir à propos de l'Iran.
Malheureusement, Denis Baudouin,
interrogé sur la réaction de la France à ces projets d'attentats
déjoués, répond : On ne fera rien dans
l'immédiat. L'erreur est double : ne rien faire donne le
sentiment que l'on accepte tout, et, dans le même temps,
l'expression dans l'immédiat implique une vague menace.
La ligne de conduite que le Président préconise
est la suivante : il appartient au juge chargé de l'affaire, Gilles
Boulouque, de clarifier les responsabilités intérieures et
extérieures. Le gouvernement en tirera ensuite les conséquences
diplomatiques.
Il est décidé de convoquer au Quai d'Orsay le
chargé d'affaires iranien pour lui indiquer que de graves
présomptions pèsent sur des ressortissants iraniens et mettent en
cause son gouvernement. Rien de plus pour l'instant.
Le gouvernement s'apprête à limoger Roger
Fajardie, vice-président du Comité consultatif pour la langue
française à la Francophonie.
L'armée tchadienne reprend Faya-Largeau, cette
fois sans combats.
Déjeunant avec Jean-Claude Paye, secrétaire
général de l'OCDE, je le préviens, comme chaque année, que le
Président recevra les ministres des Affaires étrangères et des
Finances de l'OCDE lors de la session plénière, en mai. Il
m'apprend que le ministre des Affaires étrangères l'a déjà approché
en vue de préparer une réception par Jacques Chirac.
Samedi 28 mars
1987
François Mitterrand rencontre Helmut Kohl au
château de Chambord. Discussion sur la sécurité et la défense en
Europe. Ils se déclarent favorables à une détente contrôlée.
Helmut Kohl :
Je suggère que pendant les dix mois qui
viennent, nous abordions deux grands sujets, la sécurité et
l'Europe, et que nous établissions à leur propos une coopération
très étroite. Mon idée est que Jacques Attali et Horst Teltschik en
discutent de façon approfondie et totalement secrète, en
s'adjoignant des spécialistes, si nécessaire, pour que le lien
franco-allemand soit plus resserré que jamais. Ce doit être notre
affaire à tous les deux. La relation franco-allemande est pour moi
plus importante que l'Europe. Je ne sais pas si c'est bien compris
en France. Maintenant que le train est sur la bonne voie, je veux
influer sur sa vitesse, et non plus sur sa direction.
Si Gorbatchev reste, ce que
personne ne peut prévoir, il aura l'idée de venir
parler de neutralisation en Allemagne. La
meilleure façon de résister à cette tentation pacifiste sera un
accord franco-allemand, car les intellectuels allemands sont pour
la neutralisation. Die Zeit, le grand journal allemand, penche pour
le neutralisme. Il y a beaucoup de gens qui optent pour cette
direction : une gauche intellectuelle hantée par le neutralisme,
des professeurs qui commencent à s'exprimer dans ce sens — ils
commencent même à évoquer le préambule de notre
Constitution...
Sur le problème de l'unité
allemande, de toute façon, l'Allemagne de Bismarck ne reviendra
jamais. C'est une erreur que l'Allemagne commet depuis cent ans !
Cela demande beaucoup de force d'y résister, car c'est le plus
simple. Nous allons donc nous retrouver entre deux
chaises.
J'ai dit au Président
américain : « Je regarde Gorbatchev avec une sympathie sceptique,
j'attends. Il n'y a pour l'instant de sa part que des mots, pas des
actes. » Beaucoup, en Allemagne, pensent que Gorbatchev va créer
une république démocratique, alors qu'il ne veut en fait, à mon
avis, que mettre en place un communisme efficace.
Chaque semaine, il y a des
Soviétiques qui viennent à Bonn pour nous séduire. Ils invitent
tout le monde à Moscou en déroulant le tapis rouge.
Les Allemands ont toujours été réputés pour leur
efficacité économique et leur bêtise
politique. De surcroît, il y a une situation trouble dans l'Église
évangélique. Elle s'est engagée avec force contre Hitler. Elle a
ensuite beaucoup fait, mais, maintenant, il y a plus de catholiques
que de protestants, et l'écart se creuse. L'Église
évangélique est partout en chute libre, y compris en RDA : sur 100 personnes nées à Leipzig, 22 sont baptistes
et 14 catholiques. Or, Leipzig est la grande citadelle de
l'évangélisme. Je suis très demandé là-bas...
La discussion sur le
désarmement n'a pas encore commencé. L'Église fait croire à
beaucoup de monde que nous n'avons plus besoin d'année allemande
dans la mesure où Gorbatchev est candidat au prix Nobel de la paix.
Moi, je dis : je veux dix-huit mois de service militaire, plus des
réservistes. Hier, j'ai parlé avec Henry Kissinger. Il a déclaré
qu'à son avis les Allemands ne se battraient jamais. Je lui ai
répondu : « Demandez à mon fils. Il n'est pas militariste, mais il
a rencontré des parachutistes qui sont à 95 % bacheliers, à la
différence des États-Unis où les élites ne sont pas dans l'armée.
Au suiplus, les parachutistes allemands sont tous des volontaires.
Ce sont des gens efficaces. » Il y a du mouvement dans notre
société : si nous sommes intelligents, sereins et stables, le temps
travaille pour nous.
François Mitterrand :
Ce que vous venez de dire m'a beaucoup
intéressé.
Ceux qui ne croient pas que
la RFA est en Europe ne le sont pas non plus. Il y a une certaine
hypocrisie à se dire « européen » aujourd'hui. La majorité
politique parlementaire en France est moins européenne qu'avant.
Mais les électeurs sont plus européens. Les paysans sont européens,
le langage politique est européen, mais pas la réalité : c'est ça,
la difficulté !
Sur les problèmes difficiles
de l'Europe, la pression de l'opinion publique française et ma
pression personnelle permettent de faire des progrès.
Sur les crédits à la
Recherche, le gouvernement français avait proposé récemment 3,5
milliards d'écus ; on tourne autour de 6, il y a donc progrès. Le
point fixe, l'abcès, c'est la démagogie agricole des Français.
Jefais défendre les intérêts des paysans français, mais il faut
être raisonnable. C'est une difficulté sans fin.
Je serais très heureux que
Teltschik et Attali puissent se voir pour parler de défense. Il
faudra que les SS 20 se retirent. Il y en a 270 en Europe, avec
trois fois plus de têtes nucléaires, face à 108 Pershing II; en
plus, il y a les armes soviétiques à courte portée. Si les
Soviétiques obtiennent le départ des Pershing
II, ils obtiendront le découplage entre l'Europe et les États-Unis.
Ce serait un danger, disent les adversaires de l'option zéro. Mais
c'est faux ! Dire non à l'option zéro, c'est être contre le
désarmement. Pour vous comme pour moi, c'est impossible. Moi, je
suis contre tous les missiles intermédiaires à courte et à moyenne
portée, ils n'ajoutent rien à l'armement français ni à l'armement
américain. Il n'y aura pas de guerre nucléaire par petits morceaux.
Toute guerre nucléaire sera complète.
Pouvez-vous vraiment croire
que, pour défendre Hambourg, je vais tuer deux millions d'Allemands
et qu'au surplus j'attendrai des remerciements de l'Allemagne pour
cela ? C'est une imbécillité ! Cela mettrait la panique et la
révolution partout.
Supposons que Hambourg soit
menacée et que les Français doivent la bombarder pour défendre les
Allemands. Dans ce cas, les Soviétiques se disent : les Français
exagèrent ! — et ils détruisent Lille,
Strasbourg et Le Havre. Et moi, je réunirais alors tranquillement
le Premier ministre et le chef d'état-major et je leur dirais : «
Bien, maintenant, je vais déclarer la guerre aux Soviétiques » ?...
C'est un raisonnement complètement idiot ! C'était le raisonnement
de 1914 : au bout de quatre jours, il ne reste rien. Mais on ne
peut empêcher les gens de raisonner avec leur
imbécillité...
J'ai dit aux dirigeants
français que j'étais contre les forces nucléaires intermédiaires
parce qu'elles ne sont pas intermédiaires. Même si nous en avons,
nous ne nous en servirons pas, ou alors c'est la guerre nucléaire
totale. Si la guerre nucléaire éclate, c'est que la dissuasion aura
échoué ; si celle-ci réussit, il n'y aura pas de guerre nucléaire,
et les armes nucléaires intermédiaires ne serviront à rien. Notre
stratégie n'est pas de faire la guerre, mais d'empêcher la guerre.
S'il y a la guerre, elle sera totale, uniquement dirigée contre
l'URSS, et c'est la seule façon de l'empêcher. J'ai donc dit : je
suis pour l'option zéro.
Notre force nucléaire, ce
sont nos sous-marins. Ils voyagent dans toutes les mers. C'est
notre système central, auquel il faut ajouter les dix-huit fusées
d'Albion qui peuvent toucher l'URSS.
Je ne sais pas ce que veut
dire euromissile. C'est un mot pour les Américains. Eux ont une
possibilité de fisir : c'est-à-dire de voir à distance ce qui se
passe en Europe. Ce sont des étrangers. Nous n'avons pas cette
flexibilité. Je tiens beaucoup à ce raisonnement.
Les systèmes centraux
soviétique, français, britannique, américain doivent être
considérés comme la sécurité de ces quatre pays. Mais il y a une
grande différence entre eux : les Américains ont 13 000 têtes, les
Soviétiques 11 000, les Britanniques 90, nous autres, Français,
150. Les forces nucléaires intermédiaires à longue portée
n'ajoutent rien à la défense de l'Europe. Les Soviétiques ont plus
à perdre à l'option zéro que nous. S'ils sont pourtant pour
l'option zéro, c'est pour deux raisons : d'abord, ils veulent
augmenter leur pouvoir d'achat — Gorbatchev joue son avenir là-dessus ; ensuite, ils
veulent un avantage réel : ne plus pouvoir être atteints en une
heure par les fusées américaines. C'est pour ça qu'ils veulent se
débarrasser des fusées américaines en Europe. Cela constitue un
avantage pour les États-Unis, mais pas pour nous, car la
possibilité de faire une première frappe depuis l'Allemagne n'est
pas du tout intéressante, ni pour vous, ni pour nous. Nous voulons
que personne — ni les États-Unis, ni
l'URSS — n'ait la possibilité de
frapper en premier. Si aucun — ni les États-Unis, ni
l'URSS — ne peut tirer plus vite que
l'autre, alors ils ne peuvent faire la
guerre.
Helmut Kohl : Pour moi,
cela veut dire ceci : si un accord
entre Reagan et Gorbatchev, cette année, en septembre, aboutit,
la ratification par les États-Unis prendra un
an. L'accord devra faire l'objet d'un
contrôle. Il faut cinq ans, disent les experts. Il sera très important qu'un traité où il sera question des armes
à courte portée soit signé en même temps, pour qu'on sache où on va. Car on ne peut pas
avoir, à la fin, une supériorité
conventionnelle des Soviétiques sans
rétablir l'équilibre par ailleurs. Je
suis sûr que Gorbatchev va proposer aussi l'option zéro sur les armes à courte
portée.
François Mitterrand :
Je le crois, et cela sera bien
ainsi.
Helmut Kohl :
Oui, il va essayer de se débrouiller avec les
armes chimiques.
François Mitterrand :
On ne peut s'interdire les armes dont
disposent nos adversaires. Le véritable équilibre tient au système
central de forces comparable des États-Unis et de l'URSS.
C'est l'équilibre des forces stratégiques qui
fait l'équilibre. Le découplage est dans la tête du peuple et du
gouvernement américains, pas dans les systèmes
d'armes.
Helmut Kohl :
Sans compter qu'ils sont là, en
Europe.
François Mitterrand :
Oui et non. Il faut qu'ils restent là, c'est
vrai, mais le découplage ne tient pas à
leur présence en Europe. Il faut des armes atomiques de l'OTAN en
Europe, mais il y en a d'autres que les Pershing II; et, en plus,
il y a les avions. Il nous faut par ailleurs vingt ans pour
organiser l'Europe. Il faut avoir l'esprit dur, ces vingt
prochaines années, et avoir une politique
intelligente.
Helmut Kohl : Dans les
six mois à venir, Margaret Thatcher,
vous et moi devons coopérer très
étroitement.
François Mitterrand :
Si les États-Unis disaient : si un soldat
soviétique menace l'Allemagne, notre arme nucléaire, où qu'elle
soit, sera utilisée, tout serait réglé. Mais il y a quelque chose
qui manque dans la volonté américaine : ils ne disent pas
cela.
Helmut Kohl :
Il faut nous réserver la possibilité d'un traité sur les armes à courte portée, et réduire de 20 % les armes
intermédiaires à plus longue portée, chaque année pendant cinq ans,
pour garantir qu'on arrivera à un tel accord.
François Mitterrand :
En résumé, vous souhaitez que l'option zéro
réussisse, qu'il y ait ensuite un accord sur les armes à courte et
moyenne portée, qu'il reste après des armes nucléaires américaines
en Europe, et que l'Europe s'organise.
Helmut Kohl : Oui. Si on
supprimait toutes les armes nucléaires
américaines en Europe, on reviendrait au statu
quo ante. Or, mon idée est que cette négociation ne passera pas par
les administrations. Il faut qu'Attali, Teltschik et Powel
coopèrent pour mettre au point une position commune
franco-anglo-allemande face aux Américains. A Washington, ils ont
besoin d'un succès là-dessus. Reagan et Baker accordent beaucoup
d'importance à ce que nous voulons tous les trois.
François Mitterrand : Je
suis d'accord sur tout ça. Nous essaierons de
nous mettre d'accord entre nous...
[Cette conversation est très importante : elle
lance une discussion entre Charles Powel, Horst Teltschik et moi,
qui aboutira progressivement à l'acceptation par les Britanniques
et les Allemands de l'option zéro, puis double et triple zéro —
alors qu'ils étaient contre — , et qui va donc contribuer à nous
aligner tous sur cette option triple zéro (sans qu'en soit informé
le gouvernement français, qui, lui, est contre) —, ouvrant du même
coup la voie à une véritable conversation franco-allemande sur la
sécurité.]
A Chambord, après la conférence de presse,
François Mitterrand fait de longs commentaires sur des écrivains
régionaux.
Au retour, le Président
: Kohl est un homme remarquable. Les
médias le sous-estiment. C'est le meilleur Chancelier possible pour
construire l'Europe. Sur les présidentielles : Je sais que vous êtes contre le fait que je me représente.
Pour l'instant, je suis encore de votre avis.
Margaret Thatcher est au Kremlin.
Dimanche 29 mars
1987
François Mitterrand à 7
sur 7 : Je n'ai pas l'intention de me
représenter... J'aviserai.
Début du voyage de Jacques Chirac aux
États-Unis.
Lundi 30 mars
1987
Je déjeune avec Alain
Devaquet. L'ancien ministre délégué à l'Enseignement
supérieur, toujours sous l'effet de la crise universitaire, me dit
: Je suis au RPR, mais je souhaite que
François Mitterrand soit réélu.
Dans la crise, Monory a
manqué d'autorité ; Chirac ne pensait qu'à mouiller Monory, et
Balladur a été nul.
Je suis à la disposition du
Président. S'il le désire, j'adhère au PS.
En Pologne, d'importantes hausses de prix, de 20 à
51,9 %, entraînent le déclenchement de grèves et de
manifestations.
Un problème se pose à propos du Tchad. Hissène
Habré nous demande de faire intervenir l'aviation française contre
l'aviation libyenne qui harcèle les troupes tchadiennes.
Le général Forray apprend qu'André Giraud aurait dit à ses collaborateurs à
propos du Tchad : A quoi bon consulter
Matignon ? Ce n'est pas la
peine. Le ministre est partisan d'une intervention de
l'aviation française contre les Libyens. Le
Président lui a dit : Je veux en
parler au Premier ministre.
François Mitterrand est en voyage en
Franche-Comté. L'accueil y est extraordinairement chaleureux. On me
rapporte des anecdotes amusantes.
Edgar Faure dit à
François Mitterrand devant Christian Bergelin et Charles Pasqua :
Au fond, s'il y a un deuxième
tour entre Barre et toi, je vote pour
toi. Puis il réfléchit : D'ailleurs,
dans toutes les hypothèses, je pense que
je voterai pour toi.
Yves Galland, ministre délégué chargé des
Collectivités locales, confie à Jean-Pierre Chevènement et Jean
Glavany : Même dans mes rêves les plus fous, jamais je n'aurais imaginé que je ferais la campagne de
François Mitterrand.
Vesoul, ville de droite, réserve un accueil
enthousiaste au Président. Christian Bergelin, l'homme fort du
département, confie : J'aurai bien du mal à
remonter tout cela.
Sur l'organisation des voyages présidentiels, ce
mot de Charles Pasqua à Jean-Michel
Gaillard : Vous faites du bon travail, je
pourrais bien embaucher quelques-uns d'entre vous...
Jacques Chirac est reçu par Ronald Reagan. Il
signe avec lui l'accord franco-américain sur le sida. On espère que
cet accord mettra fin à la guerre larvée entre les laboratoires de
recherche des deux pays.
Mardi 31 mars
1987
Vu Mme Ridgway, principal collaborateur de George
Shultz sur les questions de défense. Elle considère que les
Allemands vont continuer à demander la non-inclusion des Pershing
IA, poussant les forces françaises et britanniques dans la
négociation ; qu'eux, Américains, ne pourront pas, à la fin,
refuser aux Soviétiques l'élimination des Pershing IA allemands ;
et que les Soviétiques entendent garder les 100 missiles d'Asie
pour les négocier avec les Chinois.
Comme je l'exhorte une fois encore à ne pas
briguer le renouvellement de son mandat en lui dépeignant tout ce
qui l'attend hors de l'Élysée et qu'il délaisse pour une vie de
contraintes dont il a pu mesurer la lourdeur, François Mitterrand me coupe, agacé: Les
responsabilités nous envahissent, c'est vrai. Mais, sans elles,
qu'est-ce qu'on s'ennuie ! Vous le savez bien, d'ailleurs
!
Mercredi 1er avril 1987
Le Président et le Premier ministre évoquent le
Tchad avant le Conseil. Ils en reparlent après avec André
Giraud.
Finalement, ils tombent d'accord pour ne rien
faire dans l'immédiat, tout au moins jusqu'à ce que Hissène Habré
ait fait venir, comme il en a l'intention, les journalistes sur le
site de Ouadidoum... (Il ne faut donc pas que le ministre de la
Défense dise publiquement que cela ne peut plus continuer ainsi ou
laisse entendre aux Libyens qu'une intervention de notre part n'est
pas exclue !)
La DST ayant accumulé des preuves contre des «
diplomates » soviétiques se livrant en France à des activités
d'espionnage économique, Jacques Chirac consulte François
Mitterrand sur ce qu'il convient de faire. Il est décidé que le
Quai d'Orsay annoncera l'expulsion de trois d'entre eux ; on dira
en outre aux Soviétiques, sans rendre la chose publique, que trois
autres expulsions sont prononcées, mais qu'on leur laissse le soin
de procéder dans les délais qui leur conviendront au remplacement
des personnes visées.
Comme figure à l'ordre du jour du Conseil
l'autorisation pour le gouvernement de recourir à l'application de
l'article 49-1, le Président lance au
Premier ministre : Surtout, ne vous trompez
pas... D'habitude, c'est le 49-3. Ne confondez pas ! Jacques
Chirac rit à gorge déployée.
Avant de descendre au salon Murat, François
Mitterrand reproche à Jacques Chirac de lui avoir menti à propos de
l'accord sur le sida. Jacques Chirac le rassure d'un large sourire
: Ce texte est sans importance. La presse dit
n'importe quoi.
Quelques instants plus tard, le Premier ministre
raconte au Conseil son voyage à Washington. Il déclare avoir signé
à propos du sida un texte... de la plus haute
importance, le plus important de mon voyage aux États-Unis
!
François Mitterrand est sidéré.
Jacques Chirac : Nous
avons été reçus
avec des égards tout à fait particuliers, dans un climat tout à fait sympathique. J'ai trouvé
un Président parfaitement décontracté, sûr de sa position, au clair
sur les affaires. Il m'a donné l'impression d'avoir surmonté
l'Irangate. La thèse d'un manque de fenneté de Reagan ne tient pas.
Sur le protectionnisme, je n'ai naturellement pas abandonné notre
position, mais je n'ai pas voulu jeter de l'huile sur le
feu.
(Coïncidence : l'éditorial du Figaro de ce matin
oppose l'habileté de Jacques Chirac à la maladresse de François
Mitterrand, jetant de l'huile sur le feu en
matière agricole.)
Jean-Bernard Raimond poursuit le compte rendu du
voyage. Chirac est tellement content de lui qu'il lui coupe à deux
reprises la parole.
Le Président ne dit pas un mot. Il donne le
sentiment de trouver que cela n'a pas grand intérêt.
Édouard Balladur rend
compte ensuite de son entretien avec M. Stoltenberg, ministre des
Finances de RFA. Il ne résiste pas au désir de citer une phrase de
ce dernier : Les questions agricoles
sont tellement importantes qu'on ne peut pas
les laisser aux mains des seuls ministres de l'Agriculture.
Tête de François Guillaume...
François Léotard parle
des métiers d'art et de la politique menée depuis plusieurs
années.
Le Président évoque la manufacture de Sèvres, qui
manque de personnel.
François Léotard : Cette année, j'ai prévu la
création de dix emplois pour la manufacture de Sèvres.
Le Président le félicite : Les autres ministres des Finances n'avaient pas voulu céder...
Sourire gracieux d'Édouard Balladur.
Le Président reprend la parole : M. le Premier ministre a une communication originale à vous faire : il s'agit de
l'article 49-1, et non 49-3.
Le Conseil se termine dans une atmosphère
détendue.
Contrordre. Le directeur du Trésor, Daniel
Lebègue, vient m'informer discrètement qu'Édouard Balladur, aux
réunions de Washington, la semaine prochaine, refusera, pour des
raisons budgétaires, d'annuler les dettes des pays les plus pauvres
d'Afrique, comme nous en avions longuement parlé ensemble. Cela
coûterait au budget français 15 milliards de francs la première
année, et 2 milliards pour chacune des années suivantes. Il
proposera en échange l'allongement des délais de remboursement, de
dix à quinze ou vingt ans pour les pays très pauvres et très
endettés qui auraient clairement démontré leur volonté et leur
capacité de redresser leur économie, ainsi que des prêts à taux
privilégié pour compenser les pertes des recettes d'exportation
(dues notamment à la baisse des cours des matières grasses).
Pourtant, cette annulation, certes fort coûteuse,
devrait être possible : cela a été fait en 1978. Et il n'est pas
impossible de trouver des critères permettant que cette mesure ne
soit pas trop onéreuse. Sans aller jusqu'à une annulation totale,
on pourrait imaginer de la réserver à quelques pays très pauvres,
ou, comme me le suggère Michel Camdessus, qu'elle porte sur les
seuls intérêts, pendant plusieurs années (trois à cinq ans), pour
l'ensemble des pays africains.
François Mitterrand travaille sur le texte d'un
message destiné au congrès du Parti socialiste, après-demain à
Lille.
Jeudi 2 avril
1987
Comme prévu, le Quai d'Orsay annonce l'expulsion
des trois diplomates soviétiques accusés d'espionnage, qui
s'intéressaient de trop près à Ariane Espace.
Les sondages sont excellents pour François
Mitterrand. Denis Baudouin explique à tout un chacun que c'était le
cas pour Valéry Giscard d'Estaing en 1981 au début de sa
campagne.
François Mitterrand :
Il y a quelque chose de vrai dans
l'argumentation de M. Baudouin, mais, en même temps, la situation
ne serait pas tout à fait la même si je me représentais. De Gaulle
et Giscard d'Estaing faisaient dans l'unanimisme, ce qui n'est pas
mon cas. Je suis plus « typé ». En revanche, en ce qui concerne
Barre et Rocard, il est vraisemblable qu'ils baisseront dans les
sondages dès qu'on sera en campagne. Mais tout cela ne me
concerne pas...
On parle élections sans parler projet. Je
m'inquiète d'une candidature sans projet. Je le lui redis. Il a un
geste agacé : Les Français sont las des
promesses, des projets, des programmes... Finalement, « le
changement dans la continuité », voilà ce qui
me plaît.
Vendredi 3 avril 1987
Trois autres diplomates soviétiques sont déclarés
personae non gratae.
Le Président apprend par une lettre de Margaret
Thatcher que Jacques Chirac a décidé de la rencontrer. Quand? On ne
sait pas. Où ? Pas davantage.
François Mitterrand est à Amiens où il célèbre, en
compagnie du comte de Paris, le millénaire capétien.
Le Président :
L'hypothèse monarchiste pourrait un jour
retrouver une actualité. Les Capétiens sont la colonne vertébrale
de notre Histoire.
Est-il sérieux ? Le prétendant au trône a l'air de
le croire. De Gaulle l'avait bercé de la même illusion...
Auditions publiques de la CNCL pour la reprise de
TFI : Hachette à 10 heures ; Bouygues à
15 heures.
Au Congrès du PS, à Lille, Pierre Mauroy lit le
message de François Mitterrand, qui est ovationné.
Puis Mauroy précise :
Si, pour des raisons personnelles, François
Mitterrand décidait de ne pas se représenter (...), nous devrions
pouvoir nous rassembler sans difficulté derrière celui des nôtres
qui apparaîtra comme le mieux placé. Et vous savez bien qu'il ne
sera guère difficile de le distinguer.
Michel Rocard est clairement désigné.
A Paris, François
Mitterrand reçoit les représentants du FLNKS, Jean-Marie
Tjibaou accompagné de Yeiwéné Yeiwéné et Léopold Jorédié :
Faites ce que vous devez faire. Vous êtes les
représentants authentiques du peuple canaque. Vous n'êtes pas
encore l'ethnie majoritaire, mais la situation va changer. En
revanche, votre revendication d'être les seuls à déterminer
l'avenir de cette terre est illusoire. Certains Européens sont là
depuis plus de cent ans. Vous ne pouvez pas jeter les gens à la
mer. L'indépendance du peuple canaque, on peut y parvenir ; son
principe ne me choque pas, mais la Nouvelle-Calédonie est un cas à
part. De multiples systèmes intermédiaires sont
possibles.
Jean-Marie Tjibaou :
La politique de Bernard Pons débouche
nécessairement sur des tensions et peut-être des troubles, car elle
conduit à la marginalisation des indépendantistes et de la
communauté mélanésienne. Le FLNKS ne participera pas au
référendum.
François Mitterrand : Je sais
comment établir une paix déftnitive en Nouvelle-Calédonie. Le
problème sera réglé non pas avec le référendum de cet été, mais
dans l'année qui suivra. D'ici là, je ferai tout pour dénoncer ce
qui est une injustice, sans toutefois épouser vos
thèses.
C'est maintenant au Parlement
de décider. Je ne peux intervenir dans ce processus. Mais cela ne
m'empêche pas de parler; et je parlerai, si
nécessaire.
Les Français ne s'en
préoccupent pas aujourd'hui, mais ce n'est pas une question mineure
pour la France. On s'en apercevra tôt ou tard.
Avec l'accord du Président, Jean-Louis Bianco fait
transmettre à Raymond Barre, via son collaborateur, Bernard
Steinmetz, la substance des propos qu'il a tenus à Jean-Marie
Tjibaou.
Samedi 4 avril
1987
Expulsion de six diplomates français d'Union
soviétique en guise de représailles.
La CNCL attribue TFl
au groupe mené par Francis Bouygues. Pour nous, c'est une surprise.
Le Président était convaincu que la chaîne irait au groupe
Hachette, qu'il croit très lié à Chirac.
Dimanche 5 avril
1987
Le congrès du Parti socialiste s'achève à Lille
par un discours de Lionel Jospin récusant toute alliance avec le
centre en cas de victoire du candidat socialiste en 1988. Jean
Poperen est le seul exclu de la « synthèse ».
Lundi 6 avril
1987
A l'aéroport, avant le départ du Président, invité
en visite d'État au Portugal, Jacques
Chirac dit à Jean-Bernard Raimond et au général Forray : Il
n'est pas question pour le gouvernement
d'accepter une option zéro sur les armes à très courte
portée. Puis, s'adressant plus particulièrement au général
Forray, il précise : Je dis cela pour éviter
toute déclaration intempestive...
Le sous-secrétaire d'État américain à la Défense,
Richard Pearl, me fait savoir qu'un
accord va être trouvé rapidement avec les Soviétiques sur deux
options zéro : l'une sur les armes intermédiaires à longue portée,
impliquant la disparition des 100 missiles en Asie (ce qui rendra
plus facile la vérification) ; l'autre sur les armes de 500 à 1 000
kilomètres de portée.
Les seules fusées nucléaires américaines restant
en Europe seront les Lance, dont la portée pourrait être accrue
jusqu'à 150 kilomètres, et les F 111 basées en Grande-Bretagne,
ainsi que les missiles de croisière sur bateaux et sous-marins (2
500 kilomètres de portée). Mais les Soviétiques n'accepteront jamais que nous disions offrciellement que
ces armes sur sous-marins sont intégrées au commandement de l'OTAN
en Europe.
Selon Richard Pearl, Jacques Chirac a déclaré à
Caspar Weinberger, secrétaire d'État à la Défense, que le Président
français entendait revenir sur un accord donné par la France pour
qu'à Vienne la négociation sur le désarmement conventionnel ait
lieu alliance contre alliance, alors que lui-même, Jacques Chirac,
trouvait cette procédure excellente ! C'est absurde : nous avons
toujours refusé de négocier bloc contre bloc, afin de préserver
l'autonomie de la France. Il est difficile de croire que Jacques
Chirac l'ait accepté. Mais il convient de se méfier : les
Américains ont intérêt à semer la zizanie entre Français. Or la
cohabitation leur ouvre un boulevard... Ils doivent dire à Matignon
que l'Élysée est tenté d'accepter !
Pour Pearl, si l'on reste dans le seul cadre de la
conférence à Trente-cinq, les neutres vont
pousser à un accord désastreux pour vous et pour nous. Nous ne
souhaitons pas une négociation sous le chapeau de l'OTAN, mais
seulement sortir de la pression des neutres, en discutant alliance
contre alliance lorsque cela s'impose. Et, de ce point de vue, le
double forum convient très bien.
Je pars pour Bonn rencontrer Horst Teltschik après
le mandat que nous avons reçu à Chambord. Il me rapporte ses
entretiens à Moscou avec Dobrynine et Iouri Vorontsov :
La négociation avec les
Américains, lui a déclaré Dobrynine, n'achoppera ni sur la
vérifrcation, ni sur les Pershing d'Asie (que nous abandonnerons),
mais sur les armes intermédiaires à plus courte
portée.
Nous, Soviétiques,
accepterons que soit négocié, sitôt après l'accord sur les armes
intermédiaires, une option zéro sur les armes à courte portée (de
plus de 500 kilomètres), et peut-être même de le faire figurer dans
l'accord sur les armes intermédiaires lui-même. Mais nous ne
considérons pas les 72 Pershing IA comme faisant partie de cette
négociation, même si leur portée est de 750 kilomètres, car ce sont
pour nous des missiles allemands.
Les missiles américains de
portée inférieure à 500 kilomètres (très courte portée) devront
être négociés dans le cadre de la négociation sur les armements
conventionnels, on intégrant les armements français et
britanniques.
Teltschik jubile :
C'est la première fois que les Soviétiques
considèrent les Pershing IA comme des missiles allemands ! Pour
nous, Allemands, c'est une grande victoire politique que d'être
considérés comme « propriétaires de missiles » ! L'option zéro sur
les armes à courte portée, dans ce contexte, serait acceptée par
tous les partis allemands, hormis une fraction de la
démocratie chrétienne et l'armée.
Mais cette concession
soviétique est illusoire, car les missiles Pershing IA ne peuvent
être utilisables sans pièces détachées américaines. Or, en cas
d'option zéro sur les armes intennédiaires à courte portée, les
Américains ne fabriqueraient plus ni Pershing, ni pièces détachées,
et nos Pershing IA deviendraient inutilisables dans quatre ans,
même sans avoir été négociés.
Nous autres Allemands sommes
donc contre la seconde option zéro sur ces armes à courte portée.
Elle est très dangereuse, car il n'y aurait plus, en dehors de nos
Pershing, de fusées américaines de plus de 130 kilomètres de portée
en Europe, alors que les Soviétiques disposeraient encore des Scud.
Cela signifierait que l'OTAN ne pourrait plus livrer de bataille
nucléaire en Europe.
Nous autres Allemands voulons
une réduction équilibrée des armes intermédiaires à courte portée.
Cela exigera, pour l'Amérique, de déployer de nouvelles armes de
500 à 1 000 kilomètres de portée en Allemagne.
Il ajoute : Il faut obtenir
la réaffirmation de l'engagement américain d'utiliser son système
central en cas d'attaque conventionnelle de la RFA, et il faut
étudier des mesures concrètes d'intégration et de division du
travail entre les armées française et allemande.
Nous y voilà : une proposition de coopération
militaire franco-allemande ! Teltschik propose que l'armée
française se spécialise dans l'action rapide et que la RFA assume
la charge des équipements très lourds (chars et autres), y compris
pour la défense de la France. Nous nous promettons d'entrer dans
plus de détails lors de notre prochaine rencontre.
Teltschik voudrait aussi que l'on reparle d'une
action diplomatique conjointe, telle une rencontre en commun avec
Gorbatchev, ou avec Reagan, ou avec des dirigeants du Tiers
Monde.
Les Soviétiques vont donc tenter de diviser la
France et la RFA en faisant entrer les Pershing allemands (nouveau concept !) en rivalité
avec les Hadès français. La proposition allemande de fixer des
plafonds en nombre de têtes sur les armes de moins de 1 000
kilomètres de portée ferait entrer tout de suite les armes
françaises à courte portée dans la négociation sur les armes
intermédiaires. Les Allemands reconnaissent que l'idée de lien
entre longue et courte portée (c'est-à-dire le maintien d'armes de
courte portée), si imprudemment mise en avant par eux (et par
Jacques Chirac), pousse les Soviétiques et les Américains vers ce
qu'ils redoutent le plus, c'est-à-dire vers la disparition des
armes nucléaires américaines en Europe (option zéro double et
triple).
Le gouvernement
allemand, dit-il, en arrive à
penser que pour éviter l'engrenage de la dénucléarisation de
l'Europe, il vaut mieux ne pas verser dans le perfectionnisme, mais
accepter l'option zéro sur les
armes intermédiaires, sans fixer de
plancher pour les armes de portée inférieure, afin d'arrêter là le désarmement.
Tout cela fait voler en éclats la doctrine de la
riposte graduée de l'OTAN, d'ailleurs d'autant plus absurde qu'il
suffirait qu'un sous-marin américain, patrouillant dans
l'Atlantique-Nord, remplisse le rôle dévolu jusqu'ici aux armes
intermédiaires, pour que le prétendu « équilibre des armes
intermédiaires » soit rompu. C'est dire le caractère théologique de
cette négociation sur les armes intermédiaires !
La négociation va s'engager avec les Britanniques.
Horst Teltschik et moi décidons de nous revoir à Paris vendredi
pour déjeuner avec Charles Powel.
Helmut Kohl fait savoir aux Américains qu'il
renonce au lien entre l'option zéro sur les armes intermédiaires et
le maintien d'un minimum de forces à plus courte portée (SRINF), et
accepte la discussion séparée sur ces
armes. Il transmet à François Mitterrand copie de sa lettre à
Ronald Reagan : elle reprend l'essentiel de leur discussion
récente. Les Américains s'affolent : ils s'attendent à la
proposition d'une deuxième option zéro.
George Shultz écrit à Jean-Bernard Raimond, avant
de se rendre à Moscou, en pestant contre la nouvelle position
allemande. Pour lui, elle reviendrait à abandonner la position
soutenue par les Américains à la table de négociations de Genève
depuis 1981, et à admettre un accord de réduction des armes
intermédiaires sans protéger les fusées à très courte portée. A
Moscou, il dira aux Soviétiques que les équilibres sur ces fusées
doivent répondre aux critères mis au point avec les Européens :
égalité de leur nombre entre l'URSS et les États-Unis ; approche
globale ; intégration de l'accord dans un traité INF ; cet accord
ne doit concerner que les armements américains et soviétiques et
doit enfin être vérifiable.
Il redoute que les Soviétiques ne proposent un
nouvel équilibre, conforme à ces critères, mais à un niveau
inférieur à l'actuel, c'est-à-dire tendant vers l'option zéro. En
effet, certains officiels soviétiques ont laissé entendre qu'ils
étaient en train de réfléchir à la proposition d'une option zéro
sur les SRINF. Une telle offre, dit Shultz, aurait l'avantage de
supprimer la menace que représentent ces armes soviétiques, mais
elle nous interdirait d'en déployer. En tout cas, si les
Soviétiques lui faisaient une telle offre à Moscou la semaine
prochaine, il ne l'accepterait pas, sans la rejeter non plus, mais
il en ferait préciser les détails et nous consulterait
ensuite.
Autrement dit, les Américains sont très tentés
d'accepter cette nouvelle option double, mais ils veulent obtenir
quelque chose en échange des Soviétiques et ont très peur que les
Européens en déduisent qu'ils souhaitent se retirer d'Europe.
Mardi 7 avril
1987
Sur sa déclaration de politique générale, Jacques
Chirac obtient la confiance des députés par 294 voix contre 282. Il
a lancé un ferme appel à la solidarité de la majorité pour un
nouveau contrat.
Jean-Bernard Raimond nous fait passer un projet de
réponse à George Shultz. Il rappelle les conditions posées au
maintien du principe de globalité d'un éventuel accord sur les
forces nucléaires intermédiaires, son caractère strictement
bilatéral et la nécessité d'y inclure des dispositions appropriées
en matière de vérification et de non-contournement. Il explique que
l'équilibre russe américain ne peut être un gel de la situation
existante, ainsi que le proposent les Soviétiques, car cela
aboutirait à reconnaître la supériorité de l'URSS dans cette
catégorie d'armes... Il explique en outre, qu'en cas d'option zéro,
les opinions occidentales s'inquiéteraient de la dénucléarisation
de la présence terrestre américaine en Europe.
Exactement ce que le Président ne veut pas voir
écrit ! Ce projet de lettre révèle un véritable désaccord de fond
entre le gouvernement et le Président. Jacques Chirac ne veut
toujours pas accepter l'option zéro et multiplie les objections sur
les armes de plus courte portée. Or, nous ne possédons pas de
telles armes et n'avons donc pas d'objections à formuler à une
seconde option zéro.
Le Président refuse le projet.
Mercredi 8 avril
1987
Dans son bureau, le
Président regarde la retransmission d'une séance — un peu
morne — de l'Assemblée nationale : Parfois, tout cela me manque. Les parlementaires, aujourd'hui, semblent s'ennuyer. Ils
saisissent toutes les occasions pour s'absenter. Il est vrai que,
paradoxalement, plus ils font partie d'une majorité écrasante,
moins ils ont de pouvoir. De vrai pouvoir... Moi, j'ai connu ce
pouvoir, cette sorte d'ivresse, sous la IVe République, d'être à même, chaque semaine, de renverser le
gouvernement. Les alliances surprenantes, les suspenses haletants,
les discours décisifs... Je reconnais que, maintenant, tout cela
manque un peu d'intérêt. Je ne le regrette pas, mais il faudrait
donner un peu plus de pouvoir, ou ne serait-ce que d'initiative, au
Parlement...
Jeudi 9 avril
1987
A la demande du gouvernement se tient un Conseil
de Défense restreint dans le PC Jupiter de l'Élysée. Cette réunion
a pour but d'arrêter les plans de frappe stratégiques rendus
possibles par la mise en service des nouveaux armements, et de
dissocier l'exécution d'un plan stratégique de celle d'un plan
préstratégique. Le plan de frappe « réel » est à approuver en temps
de guerre, le moment venu, par le Président, qui prendra en
principe sa décision au cours d'un Conseil de Défense. On évoque
pour la première fois la possibilité d'une frappe stratégique aux
côtés des Alliés, alors que, jusqu'ici, seule était envisagée une
coordination des frappes stratégiques.
Jacques Chirac tient
absolument à faire enregistrer sa désapprobation de la seconde
option zéro, comme de la première. Il écrit à François Mitterrand
(c'est fou ce qu'on écrit, pendant cette cohabitation, comme si
chacun travaillait davantage pour l'Histoire que pour le quotidien
!). Pour lui, la France doit combattre l'idée d'une seconde option
zéro, qui risquerait d'être entérinée à la hâte et sans négociation
sérieuse, sur les systèmes de portée comprise entre 500 et 1 000
kilomètres. À son avis, l'adoption précipitée de deux options zéro
créerait en faveur de la dénucléarisation de l'Europe occidentale
(souhait des Soviétiques) une dynamique qu'il deviendrait peut-être
impossible à nos alliés de contrôler.
Le Président hausse les épaules : Il n'y comprend rien ! Comment
peut-on parler de « dénucléarisation »
de l'Europe occidentale ? Mais
il y a nos propre armes ! Et les sous-marins américains ! Où y a-t-il
dénucléarisation ? Sa position nous aligne sur celle des
Américains. C'est la moins gaulliste des attitudes
possibles.
L'Assemblée adopte la loi de programmation
militaire 1987-1991. Le PS a voté pour, le PC contre.
Indice significatif : Tokyo devient la première
place boursière mondiale. L'économie-monde bascule du côté de
l'Asie.
Adoption par le Sénat du projet de loi relatif au
service public pénitentiaire. Les prisons privées ont été
abandonnées. Le budget financera 15 000 places supplémentaires en
trois ans.
Mikhaïl Gorbatchev est à
Prague. Il vante l'expérience soviétique et insiste sur le
nécessaire élargissement de la démocratie socialiste. Il propose la
seconde option zéro : Nous sommes pour une
action en faveur d'une réduction radicale et, finalement, de la
liquidation complète des missiles tactiques opérationnels en
Europe, en estimant qu'il est superflu d'inclure dans le nouvel
accord toutes sortes de tolérances concernant leur accumulation et
leur perfectionnement.
Si Mikhaïl Gorbatchev confirme sa proposition de
seconde option zéro sur les SRINF de 500 à 1 000 kilomètres de
portée, mais que les États-Unis l'écartent, le débat tournera
court. Si, en revanche, les États-Unis l'acceptent (parce qu'ils
possèdent moins d'armes de ce genre), comme cela semble possible,
il y aura un vif débat au sein de l'Alliance — et en France.
Jacques Chirac adoptera une position hostile, qui sera
difficilement tenable. Des accords de réduction des armements sont
toujours très populaires. Or, si cet accord est limité aux armes de
portée supérieure à 500 kilomètres, il restera un certain nombre de
missiles et d'armes nucléaires à plus courte portée : Chirac ne
pourra pas parler de dénucléarisation et de découplage.
Évidemment, si Gorbatchev triple la mise et
propose une troisième option zéro sur toutes les armes de portée
inférieure à 500 kilomètres, on risque de voir exposer toutes les
contradictions entre Alliés et à l'intérieur de chaque pays à
propos de la stratégie de l'Alliance et de la présence nucléaire
américaine en Europe. Il faudrait clairement poser la question de
l'engagement américain, indépendamment de la présence d'armes
nucléaires en Europe.
François Mitterrand : Il
ne faut pas craindre d'aller vers
la disparition des missiles
américains basés en Europe dès lors que
les accords seraient équilibrés et
vérifiables. Ni même d'aller plus
loin.
Vendredi 10 avril
1987
Nous apprenons que la Libye est en négociation
avec le Soudan pour la construction d'une piste d'aviation qui
remplacerait l'aérodrome de Ouadidoum et lui servirait de base pour
ses attaques au Tchad. Nous faisons savoir aux Soudanais qu'il ne
saurait en être question.
Vu Horst Teltschik et Charles Powel. J'apprends
que Jacques Chirac rencontrera le Chancelier Kohl le 3 mai
prochain, ce dont il n'a pas prévenu le Président. De même,
j'apprends qu'il y a des discussions très poussées sur une révision
de la charte de l'UEO ; nous n'en étions pas informés.
Hervé de Charette me dit
: Si le Président est réélu et s'il prend l'engagement de ne pas dissoudre l'Assemblée nationale, je me fais
fort de rallier à lui soixante-dix députés.
Le Président, à qui je fais part de cette
conversation, me répond : Dans l'hypothèse où je serais candidat,
il est exclu que je prenne un tel
engagement. Un gouvernement dépendrait de leur bon vouloir. Ce
serait un piège.
François Mitterrand reçoit les représentants du
RPCR.
Jacques Lafleur : Le
référendum est souhaitable pour faire la preuve que chacun de nous
respecte les autres. Nous voulons qu'il apporte la paix dans le
cadre du maintien dans la République.
François Mitterrand : Il
faudrait que cette paix intervienne avant le référendum, et pas seulement après.
Jacques Lafleur : Nous essayons d'intervenir dans
ce sens.
François Mitterrand :
C'est vous qui êtes les plus forts, vous avez
le pouvoir économique et
l'appui des forces de l'ordre. C'est à
vous de faire le
nécessaire.
Jacques Lafleur :
On veut garder la nationalité
française.