Réflexion faite, j’aurais mieux fait de me décider à enlever mes lunettes. J’aurais sûrement nagé plus vite. Mais en pleine course, troublé comme je l’étais alors, je n’ai pas eu cette présence d’esprit. Dans ces conditions, l’épreuve de natation du triathlon a été pour moi pleine de confusion, mon temps a été bien plus mauvais que celui que j’avais escompté. En termes de capacités physiques – étant donné l’entraînement sévère auquel je m’étais soumis –, j’aurais été capable de nager avec un bien meilleur temps. Néanmoins, je n’étais pas disqualifié, je n’avais pas été trop largement distancé et, surtout, j’avais pu nager jusqu’au bout. Et au moins, me suis-je dit, quand je m’étais débrouillé pour nager en ligne droite, je m’en étais plutôt bien tiré.

Une fois sorti de l’eau, je me suis rué vers l’endroit où sont garés les vélos (ce qui semble facile, mais franchement ne l’est pas), je me suis débarrassé de ma combinaison collante, j’ai enfilé mes chaussures de vélo, mis mon casque, chaussé mes lunettes de soleil spéciales anti-vent, bu en vitesse un peu d’eau et je me suis élancé sur la route. Toute cette série d’actions, je les ai accomplies mécaniquement. Et j’ai pris brusquement conscience qu’à peine un bref instant plus tôt je barbotais dans l’eau, alors qu’à présent je filais sur mon vélo à trente kilomètres par heure. J’ai beau avoir souvent expérimenté ce passage brutal, la sensation reste curieuse. Le poids, la vitesse, les réactions, les muscles qui travaillent, tout se ressent différemment. Comme une salamandre qui, en une évolution éclair, se serait transformée en autruche. Ma tête avait du mal à négocier une transition aussi soudaine, et mon corps ne réagissait pas mieux. Je ne parvenais pas à trouver le bon rythme et, très vite, sept coureurs m’ont dépassé. « Ça ne va pas du tout ! » ai-je pensé et, jusqu’au point du demi-tour, je n’ai doublé personne.