—Rassurez-vous, répliqua le jeune président, je n'ai pas l'intention de vous faire traverser la baie de Marseille du cap Couronne au cap Croisette, ni même seulement le golfe de Fos. Non, nous suivrons la voie de terre en nous dirigeant sur Fos, Port-de-Bouc, et les Martigues. Nous suivrons ensuite l'arête septentrionale de la chaîne de l'Estaque jusqu'à Septèmes, et nous redescendrons ensuite directement vers le sud pour passer au-dessus, du chef-lieu des Bouches-dû-Rhône.

—Et où ferons-nous escale dans ce cas? questionna l'ingénieur Damblin.

—Au vélodrome du parc Borély, la place ne manquera pas, et au-moins nous serons dans une enceinte fermée qui nous préservera des manifestations de curiosité, souvent gênantes, du public. Cette après-midi, nous pourrons visiter Marseille à loisir.

—C'est convenu, président, claironna la voix perçante de Médrival. Au vélodrome Borély, au sud de Marseille. Les premiers arrivés attendront les autres!

Il se tassa sur son siège minuscule et mit son moteur en route. Trente secondes ne s'étaient pas écoulées que sa Demoiselle s'élançait dans l'espace à la poursuite du monoplan de Damblin qui venait de s'enlever.

L'un après l'autre les neuf aéroplanes qui restaient sur le sol s'envolèrent, laissant en tête à tête le Petit Biscuitier et l'ingénieur Garuel, qui avait fait démonter les pièces constituant son appareil pour les expédier aux ateliers Riplet de Vanves, qui avaient construit l'instrument et se chargeraient certainement de le radouber. De son côté, Claude Réviliod comptait se rendre, dès son arrivée, chez l'ingénieur Fruscou et lui demander d'envoyer immédiatement à Aix une équipe avec les pièces de rechange et le gaz comprimé nécessaire afin de remettre l'aéronat en mesure de continuer ses randonnées et vaincre les présomptueux qui l'avaient défié.

En prenant le rapide passant en gare d'Arles à deux heures et demie, les deux jeunes gens devaient arriver à Paris vers minuit. Ils devaient donc se hâter de gagner la gare de Saint-Martin, la plus voisine, pour arriver à temps à Arles, par le petit chemin de fer à voie étroite qui traverse la Crau en suivant la rive gauche du Rhône, et pour cela ils se firent conduire en voiture à la station, où Réviliod retrouva ses trois subordonnés qui venaient de terminer le chargement du ballon sur deux wagons plates-formes associés, de manière à supporter la nacelle dont la longueur était exactement celle de deux wagons placés à la suite l'un de l'autre.

L'armateur du yacht aérien donna ses instructions à son pilote, qui devait accompagner le matériel et se rendre directement à Aix-les-Bains.

Pendant que l'aéro-yachtman, en compagnie de Garruel, se dirigeait vers la cité arlésienne, la caravane des aviateurs atteignait Marseille, sans incident, après avoir longé le rivage méridional de l'étang de Berre et suivi la grande ligne de Paris-Marseille depuis le Pas de l'Encié (en provençal, encié signifie déjà pas, coupure), que les indicateurs de chemins de fer ont transformé en Pas-des-Lanciers, jusqu'à la gare de Saint-Charles. S'élevant à plus de 200 mètres au-dessus de la populeuse cité, les voyageurs purent l'admirer dans toute son étendue, depuis son faubourg de la Madrague au nord jusqu'au Roucas-blanc, au Rouet et à Sainte-Marguerite au sud, avec les immenses bassins où d'innombrables navires dressaient leurs mâtures et vomissaient par leurs cheminées massives des torrents de fumée noire. Arrivé a l'extrémité de la promenade du Prado, La Tour-Miranne reconnut les pistes du grand vélodrome marseillais; il dirigea sa course vers ce point et atterrit doucement sur le gazon, où déjà Médrival et Damblin s'étaient abattus.

—Arrivez donc, cria le facétieux jeune homme, voilà une demi-heure que nous vous attendons; la bouillabaisse va refroidir, tas de rampe-à-terre.

La caravane réduite à dix-huit personnes, consacra son après-midi à la visite de l'antique Massilia, la seconde ville de France pour la population, car le nombre de ses habitants atteint un demi-million. Guidés par Médouville, plus alerte et plus disert que jamais, les touristes parcoururent les principales artères de la cité: les cours Belzunce et Saint-Louis, la célèbre Canebière, l'avenue de Noailles et les allées de Meilhan, enfin ils firent l'ascension de Notre-Dame de la Garde et terminèrent par une promenade aux nouveaux bassins.

Marseille ne possède pas, à l'inverse de nombreuses villes de France, de monuments anciens remarquables. Ses vieilles églises n'étaient pas en rapport avec l'étendue qu'elle a fini par occuper, et il ne reste que la flèche élancée des Accoules, les souterrains et les tours de l'église Saint-Victor, les ruines de l'ancienne et pauvre cathédrale de la Mayor. Notre-Dame du Mont-Carmel et Sainte-Théodore datent du XVIIe siècle, et tous les autres édifices du culte catholique du XIXe siècle.

Ses monuments civils les plus anciens sont l'Hôtel de ville, du XVIe siècle, qui possède des sculptures de Puget et un double escalier en marbre blanc; la Consigne, où sont les bureaux de l'intendance. Le Palais de justice, la Préfecture, la Bourse, située sur la Canebière, le château du Pharo sont du siècle dernier. L'édifice le plus remarquable est encore le palais de Longchamp, bâti sur les plans d'Espérandieu, et qui a été terminé en 1869. Il contient le Musée où se trouvent des oeuvres remarquables de Lesueur, Mignard, Corot, Rubens, Courbet, ainsi que des galeries d'Histoire Naturelle.

Marseille a toujours été, et reste avant toute chose, un centre de commerce maritime. Sa partie la plus pittoresque et la plus animée c'est le port, le premier de France par son trafic. Le Vieux Port, auquel aboutit la Canebière, s'ouvre entre les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas. La passe, rétrécie par les roches du Pharo, est sûre; ce port complété par un bassin de radoub, est réservé aux remorqueurs et aux bâtiments à voiles. Le port de la Juliette, creusé en 1853, précédé de l'avant-port du sud, est réservé aux vapeurs faisant un service régulier dans la Méditerranée. Il communique au nord avec le bassin du Lazaret, d'Arène, le bassin National, dont les quais sont desservis par des voies ferrées reliées à la gare Saint-Charles. En avant du port se développe la rade, large et sûre, que protègent la chaîne de l'Étoile, les collines de Montredon, et les trois îlots d'If, de Pomègue et de Ratonneau.

Le lendemain, dès huit heures du matin, les aviateurs arrivaient au vélodrome et se préparaient à partir, car il avait été décidé d'un commun accord, la veille, qu'en raison de la chaleur qui allait sans cesse en augmentant, les étapes se feraient de bonne heure le matin et pas avant quatre heures de l'après-midi. Le signal du départ étant donné, l'escadrille aérienne s'envola dans le ciel bleu en prenant la direction de l'orient. Les 32 kilomètres de Marseille à la Ciotat furent parcourus en quarante minutes par les biplans, qui arrivèrent à dix heures précises à La Seyne où ils prirent terre à l'entrée de la rade de Toulon, au milieu de laquelle la flotte de la Méditerranée était à l'ancre.

Les touristes déjeunèrent hâtivement et se hâtèrent de visiter le port, les darses et l'arsenal, qu'ils parcoururent d'une extrémité à l'autre, en dépit d'une température qui commençait à devenir réellement accablante. Puis, comme La Tour-Miranne tenait à atteindre le soir même Saint-Tropez, le groupe des excursionnistes, accompagnés de nombreux officiers de marine, se hâta de revenir vers le terrain où les véhicules aériens étaient demeurés sous la garde habituelle des mécaniciens. Les pilotes prirent leur place à bord de chaque esquif, et les grands oiseaux mécaniques reprirent leur vol, franchissant la passe à la pointe du fort de l'Aiguillette et continuant à suivre le littoral au-dessus des forts de Lamalgue, Sainte-Marguerite et la Colle-Noire. A cinq heures, la caravane coupait la presqu'île de Giens et longeait la rade d'Hyères, dont les îles de Porquerolles, du Levant et Gros, apparaissaient au loin, sur la moire mouvante de la mer, comme de véritables bosquets de verdure. Une heure plus tard, les aviateurs apercevaient la coquette petite ville de Saint-Tropez, assise au bord du golfe de Grimaud, et prenaient terre sans difficulté dans un vallon entre la voie ferrée et la mer.

L'excursion à la Côte d'Azur devait s'effectuer sans le moindre incident digne d'être noté; les appareils, que ne contrariait nul vent défavorable, suivaient en se jouant les découpures du rivage de la grande mer bleue qu'incendiait un soleil ardent, et ils arrivèrent à dix heures et demie du matin à Nice la belle, qu'ils traversèrent dans toute sa largeur pour atterrir au pied du mont Boron. Les aviateurs visitèrent en premier lieu le magnifique observatoire édifié sur ce sommet grâce à la magnificence du banquier Bischofsheim, et qui contient, à l'intérieur de son immense coupole, édifiée par Eiffel, l'une des plus puissantes lunettes astronomiques du monde, car elle mesure 18 mètres de longueur avec un objectif de près de 80 centimètres d'ouverture. De là ils se rendirent à la ville dont ils eurent le temps de parcourir les divers quartiers et les magnifiques promenades ombreuses. Le soir, Médouville proposa à quelques amis de pousser jusqu'au rocher de Monaco et de passer la soirée au Palais des jeux de Monte-Carlo. Médrival, M. et Mme de l'Esclapade, les frères Bourdon acceptèrent avec empressement d'accompagner le secrétaire général, mais ils faisaient piteuse mine le lendemain, car la roulette les avait traités sans aménité. Seul, le jeune Médrival—la jeunesse a de ces prérogatives!—avait dompté l'inconstante déesse et réalisé un gain assez important.

La caravane était parvenue à l'extrémité du littoral français. De la frontière belge, elle était parvenue en trois semaines à la frontière italienne, après avoir suivi les rivages de la Manche, de l'Océan et de la Méditerranée et visité les villes les plus intéressantes de la Picardie, de la Flandre, de la Normandie, de la Bretagne, les îles de l'Océan, les grottes et les cavernes du Massif Central et des Cévennes. Il s'agissait maintenant de boucler le Tour de France par l'est, en remontant tout le long de la frontière par le Jura et les Vosges, ces régions que le Petit Biscuitier avait déjà parcourues avec son ballon dirigeable.

La flottille, réduite à onze appareils, quitta Nice le lundi 28 juillet, à huit heures et demie du matin, dans l'intention de se rendre à Puget-Théniers et à Digne. La Tour-Miranne commença par s'élever à près de trois cents mètres pour traverser la rade de Villefranche où étaient amarrés de nombreux bâtiments de guerre. Il vira au-dessus de Beaulieu et, après un dernier regard jeté à la Méditerranée que l'on ne devait plus revoir, il prit la route du nord pour gagner la vallée du Paillon, et un peu après, à la hauteur du village de Castagniers, la vallée du Var, de ce fleuve qui ne traverse plus le département auquel il a donné son nom.

Laissant à gauche le massif de la Tourette haut de 850 mètres, les aéros ne tardèrent pas à arriver au confluent de la Tinée et du Var qui, en cet endroit, traçait un angle brusque vers l'ouest. Ils continuèrent docilement à suivre le cours du fleuve et arrivèrent à dix heures à Puget-Théniers, après avoir aperçu les bourgades de Malaussène et Villars. La sous-préfecture des Alpes-Maritimes ne compte que douze cents habitants; c'est plutôt un gros village, aussi les aviateurs n'y séjournèrent-ils que le temps de vérifier leurs machines et faire le plein d'essence des réservoirs, et repartirent-ils sans tarder pour Digne, chef-lieu du département des Basses-Alpes, où ils parvinrent à midi et demi, après s'être élevés 1150 mètres de haut au moment de la traversée du col de la Chamatte, situé entre les communes d'Entrevaux et de Saint-André-de-Méouilles.

L'après-midi ayant été consacrée à la visite de la ville de Digne, de sa cathédrale et de son église romane, toutes deux du XIIe siècle, la journée du mardi fut employée par les aviateurs à la traversée du massif montagneux séparant Digne de Gap. Pour ne pas être obligé de s'élever à des altitudes invraisemblables, le président de l'Aéro-tourist-club préféra allonger quelque peu sa route et gagner la vallée de la Durance, en passant par Sisteron. L'escale fut prolongée le temps nécessaire à la visite des monuments de la ville, chef-lieu des Hautes-Alpes, puis les aviateurs, évitant le massif du Dévoluy, gagnèrent la vallée de la Drôme et couchèrent à Die, sous-préfecture de trois mille habitants.

Continuant, à évoluer à travers les Alpes, la caravane, qui comptait arriver le mercredi soir à Aix-les-Bains, n'y parvint que le jeudi, car ses membres avaient perdu une après-midi à visiter les usines hydro-électriques de Laffrey et du Vercors, qui avaient retenu son attention.

—Il faut voir les usages que l'on fait, dans la région, de la «houille blanche», avait déclaré l'ingénieur Damblin, et je vous engage à venir visiter quelques usines. C'est curieux.

Les touristes purent donc admirer les énormes turbines accouplées à des alternateurs de taille gigantesque, grâce auxquels la force vive de l'eau, captée dans les montagnes et amenée de quatre cents à huit cents mètres de hauteur par des conduites en acier, était transformée en énergie électrique, en courants triphasés envoyés à des centaines de kilomètres de distance par des fils de cuivre un peu plus gros que des fils télégraphiques ordinaires, jusqu'aux villes à éclairer ou à fournir de force motrice pour l'industrie.

—L'eau qui arrive aux turbines a une telle pression, en raison de la hauteur d'où elle vient, expliquait Damblin, qu'elle s'échappe en un jet aussi rigide qu'une barre de fer, et qui use à la longue les augets d'acier des roues Pelton des turbines. Il serait difficile à un homme, même très vigoureux, de couper ce jet d'eau avec une lame de sabre bien affilée et maniée à tour de bras.

—C'est curieux, en effet, fit Médouville intéressé; mais, dites-moi, qu'est-ce que c'est donc que ces espèces d'assiettes en fer empilées les unes au-dessus des autres et que j'aperçois là-bas?...

—Ce sont les «transformateurs statiques», mon cher ami. Ce sont des appareils composés d'enroulements de fil superposés, que traverse le courant engendré par les machines électriques. Par les phénomènes de l'induction, la tension de ce courant est augmentée dans des proportions considérables et faciles à déterminer, de mille à quarante mille volts par exemple. Il est alors possible, grâce à cette haute tension, de n'employer pour les lignes de transport, que des fils conducteurs de diamètre restreint, et partant moins coûteux, ce qui permet d'envoyer sans une dépense excessive de câbles, l'énergie électrique à de très grandes distances.

—Mais à l'arrivée, les lampes ne peuvent pas absorber ce courant de haute tension?...

—Non, certes, aussi est-on obligé de lui faire traverser d'abord les spires d'un autre transformateur, qui ramène la tension au chiffre convenable. Le premier appareil, placé à la station de départ, est un «survolteur», et celui disposé à l'arrivée un «dévolteur». Les hautes tensions sont localisées sur la ligne de transport dans un simple but d'économie de conducteurs.

Les touristes visitèrent ensuite une usine électrolytique, où le courant produit par la puissance vive de l'eau était utilisé pour fabriquer, dans des fours électriques, le carbure de calcium, qui permet d'obtenir simplement par sa dissolution dans l'eau, l'acétylène, ce gaz quinze fois plus éclairant que le gaz de houille, et l'aluminium. Damblin expliqua encore à ses camarades les procédés employés dans ces industries nouvelles basées sur les découvertes des chimistes Moissan, Bullier, Héroult et Minet. Pour obtenir le carbure, on mélange dans le four électrique, des proportions convenables de chaux vive et de coke pulvérisé, puis on fait passer dans la masse, entre deux plaques ou une plaque et un gros cylindre tous deux en charbon aggloméré à la presse hydraulique, un courant de faible tension mais d'une formidable intensité qui détermine l'incandescence du mélange ainsi porté à une température de trois mille degrés. Le carbure fondu est ensuite coulé, comme s'il s'agissait d'un métal, puis concassé et embarillé pour l'expédition.

L'aluminium est obtenu par un traitement analogue, par la réduction à haute température des terres appelées bauxite et cryolithe et qui contiennent une très forte proportion de ce métal, dont les applications se sont multipliées depuis que son prix s'est abaissé au point d'en faire un véritable métal usuel. L'ingénieur ajouta que le four électrique était encore employé, dans les pays pauvres en charbon mais possédant de nombreuses chutes d'eau, à la sidérurgie, c'est-à-dire à la fabrication du fer et surtout de l'acier, ainsi qu'à la préparation de nombreux alliages et à la fabrication d'une grande variété de produits chimiques que les nouvelles méthodes permettaient d'obtenir à bien meilleur marché qu'auparavant.

Mais le temps s'écoulait, et La Tour-Miranne ne voulait pas s'éterniser dans ces pays de montagnes, quelque intéressantes que fussent les industries que l'on pouvait y rencontrer. Le départ fut donc donné de bonne heure le lendemain, ce qui permit de visiter en détail le chef-lieu de l'Isère: Grenoble. En dépit d'un vent assez vif du nord-est, qui contrariait sensiblement le vol des aéroplanes, la flottille parvint à sortir du dédale des vallées, et à cinq heures du soir, elle prenait terre dans les «Prés-Hauts», au-dessus d'Aix-les-Bains où les aviateurs devaient se rencontrer avec le partisan de l'aéronautique opposée à l'aviation, Claude Réviliod.


CHAPITRE XXIII

LE RETOUR

LE NAPOLÉON DE L'AÉRONAUTIQUE.—«ON METTRA LES BOUCHÉES DOUBLES».—MAUVAISE HUMEUR DU SIEUR CHARLOT.—ARRIVÉE DE LA FLOTTILLE.—UNE NOUVELLE ALARMANTE.—MARTIN LANDOUX A LA RESCOUSSE!—UNE EXPLICATION NÉCESSAIRE.—EN ROUTE POUR PARIS.—UN MATCH DE VITESSE.—CATASTROPHE.

Le Petit Biscuitier n'avait pas perdu une minute, car il ne voulait pas que le dernier mot fût dit, dans la rivalité existant entre lui et Robert de La Tour-Miranne.

Ayant prévenu, par une dépêche lancée de Lyon, Fruscou de sa visite, il était le lendemain de son malencontreux atterrissage dans la plaine de la Crau, à l'Établissement Central d'aérostation, et expliquait au célèbre constructeur l'accident qui lui était survenu.

—Un coup de mistral, ça peut arriver à tout le monde; le meilleur des aéronautes peut se trouver tout d'un coup sur le trajet de cet ouragan, prononça l'ingénieur de sa voix tonitruante et autoritaire. C'est fâcheux, ce qui vous est arrivé, cependant tout peut se réparer.

—Je l'ai bien pensé, mais il faudrait agir très rapidement, car je tiens absolument à être en mesure de repartir au plus tard jeudi prochain et nous sommes aujourd'hui vendredi. Est-ce possible?...

Fruscou savait qu'il n'y avait pas à tergiverser avec son richissime client, qui entendait que ses ordres fussent exécutés, quoi qu'il en pût coûter.

—C'est bien simple, répliqua-t-il, après avoir réfléchi quelques secondes. Vous m'avez dit que l'hélice et son arbre sont brisés ainsi que les gouvernails, mais que tout le reste du matériel est en bon état. Je vais faire réunir ces pièces et donner en même temps l'ordre à l'Établissement des Moulineaux, qui possède son usine principale à Vizille à côté de Grenoble, de faire expédier de suite à Aix-les-Bains, cent bouteilles d'hydrogène pur.

—Croyez-vous que ce soit possible? Je veux dire, pensez-vous que cette usine pourra faire une pareille fourniture?...

—Sans la moindre difficulté, mon cher client, car l'établissement en question est fort important... D'ailleurs, je lui donnerai un délai de livraison de quatre jours, ce qui est grandement suffisant pour réunir cent récipients de cent vingt litres et les transporter de Vizille à Aix. Donc, voici un point d'élucidé. Je vais, d'autre part, faire le nécessaire pour l'hélice de rechange, les gouvernails, l'arbre, les accessoires. Tout sera prêt demain soir, et nous emporterons le tout à Aix par le rapide qui part de la gare de Lyon à cinq heures et arrive à minuit.

—Bien. Ensuite?...

—Dimanche et lundi, l'équipe que j'emmènerai, travaillera à la remise en état de l'arbre du propulseur et autres pièces; mardi tout sera terminé et mercredi on opérera le regonflement de l'enveloppe aérostatique. Cela peut-il aller ainsi, mon cher client?...

—Admirablement. Vous êtes décidément, laissez-moi vous le dire sans froisser votre modestie bien connue, mon cher Fruscou, le Napoléon de l'aéronautique.

—Vous êtes trop bon. J'essaie simplement de vous satisfaire, et c'est pourquoi nous mettrons les bouchées doubles afin d'arriver dans le délai fixé.

—Alors, c'est dit, à demain soir, à la gare de Lyon?...

—C'est dit. Vous m'y trouverez avec mes hommes. A propos, vous avez trouvé un endroit convenable pour loger l'aéronat pendant le travail de réfection et de gonflement?

—Oui, vous verrez cela.

Les deux hommes se serrèrent cordialement la main et le Petit Biscuitier regagna son automobile qui stationnait dans la cour de l'Établissement d'Aérostation.

Trois jours plus tard, on eût pu retrouver les deux interlocuteurs surveillant, à l'intérieur d'un immense magasin à fourrages vide, le travail de remise en état du dirigeable. Fruscou avait amené avec lui quatre de ses meilleurs ouvriers qui secondaient Neffodor et Charles Bader dans les opérations nécessitées par l'ajustage d'un nouvel arbre de couche avec son hélice, et des plans, en forme de lames de jalousie, du gouvernail de profondeur qui avait été pulvérisé pendant l'atterrissage dans la Crau.

Mons Charlot était furieux. Il comptait rentrer tranquillement au parc d'aérostation d'Écancourt, après l'accident survenu à l'arbre de couche, accident auquel il n'était pas tout à fait étranger, et pas du tout, il lui fallait travailler sans relâche, depuis qu'il était arrivé en compagnie du pilote Neffodor à Aix-les-Bains, où, à plus justement parler, au Tremblay, à une lieue d'Aix, où se trouvait le magasin à fourrages qui devait servir de garage et d'abri au matériel jusqu'au moment de sa remise debout. Décidément ses machinations n'avaient pas de succès, aussi rêvait-il de nouvelles traîtrises et cherchait-il un moyen de mettre l'appareil aérien dans une situation critique, d'où il ne l'en tirerait qu'à la condition que le Petit Biscuitier ouvrit son portefeuille pour en tirer un chèque sérieux. Mais, surveillé à la fois par Neffodor, par Fruscou et par les autres ouvriers mécaniciens, il ne pouvait rien tenter pour l'instant.

—Ah! si j'avais la même liberté qu'à l'aérodrome de Puiseux, songeait le misérable, comme ce serait vite agencé mon petit «truc», pour décider le patron à ne pas être envoyé instantanément dans le milieu de la semaine prochaine. Un simple éclateur à pointes, dissimulé dans la paroi intérieure du ballonnet compensateur et relié par deux fils fins, passant dans la manche à air, à la magnéto d'allumage du moteur. S'il refusait de me remettre un chèque de trente mille francs, qui m'indemniserait de ce que j'ai perdu, crac!... une chiquenaude sur la tige de l'interrupteur envoyant le courant de la magnéto dans l'éclateur, et le gaz s'allumerait, tout sauterait!...

C'était fort simple en effet, mais le sieur Charlot pensait que, s'il faisait sauter ainsi l'aéronat alors qu'il voguerait dans les airs, ne fût-ce qu'à trois cents mètres de haut, il lui faudrait faire la pirouette en compagnie du Petit Biscuitier et de Neffodor, et cette conséquence n'était pas sans le faire réfléchir. D'autre part, qui pouvait savoir, si, après avoir cédé à ses exigences et signé le chèque libérateur, le sportsman, redescendu à terre sain et sauf, ne reviendrait pas sur ses promesses et ne le ferait pas arrêter avant qu'il eût pu toucher la somme promise?... Toutes ces conséquences possibles se présentaient à l'esprit du sinistre personnage, qui passait ses nuits à échafauder les projets les plus insensés pour parvenir à ce qui était son idée fixe: extorquer, d'une manière ou d'une autre, une grosse somme à Claude Réviliod.

En trois jours, les travaux de réparation de l'aéronat furent terminés. Le salon bouleversé et dont le mobilier avait été détérioré par les heurts du traînage, reprit son aspect primitif; l'arbre d'acier, brisé en trois morceaux, fut remplacé par un neuf, muni d'une hélice à pales de bois, enfin toute trace de l'accident disparut. Un essai au point fixe de tout le mécanisme donna entièrement satisfaction à Fruscou qui déclara:

—Le plus fort est fait. Demain mercredi nous commencerons le gonflement.

Le «chemin de déchirure» du panneau de sûreté avait été recousu et recouvert de sa bandelette d'étanchéité. L'enveloppe fut à demi remplie d'air au moyen du ventilateur de la nacelle et Neffodor la visita minutieusement, à l'intérieur et à l'extérieur, pour boucher les trous microscopiques qui pouvaient s'y être produits. Cette vérification indispensable opérée, les bouteilles d'hydrogène comprimé à cent cinquante atmosphères furent disposées, par vingt, de chaque côté d'un tube central muni de tubulures à écrous sur lesquelles vient s'ajuster le col à vis des bouteilles, et le tube fut mis en relation par un tuyau de soie imperméable, avec la manche à gaz du ballon.

—Nous avons là plus de 700 mètres cubes d'hydrogène pur, déclara Fruscou.

—Combien d'heures seront nécessaires pour les emmagasiner dans l'aéronat? demanda Réviliod.

—Quatre heures tout au plus, car un débit de deux cents mètres à l'heure n'est pas exagéré.

L'opération fut commencée à huit heures du matin, et à midi les tubes étaient vides, ainsi que l'ingénieur l'avait prévu. Ils furent remplacés par des bouteilles pleines et, à six heures du soir, le ballon qui avait été amené sur une pelouse, le hangar ne présentant pas des dimensions suffisantes pour le contenir entièrement gonflé, se trouva avoir reçu sa provision complète d'hydrogène. Le travail de fixation de la nacelle et de réglage des suspensions et apparaux divers fut remis au lendemain.

—Espérons que nous serons favorisés encore d'un peu de beau temps, murmura le sportsman et que nous pourrons tenter une sortie aux environs du lac du Bourget.

Cette espérance ne devait pas se réaliser, car le vent, qui avait été presque nul depuis trois jours, se mit à souffler avec violence dans la nuit, obligeant les veilleurs à renforcer les attaches fixant le long fuseau de soie au sol. Heureusement, vers midi, une violente averse, accompagnée d'éclairs et de coups de tonnerre, abattit le vent, et l'atmosphère, redevenant d'une idéale pureté, Fruscou en profita pour exécuter le réglage des diverses commandes du dirigeable auquel la longue nacelle avait été suspendue. Ce fut l'affaire de quelques heures, après lesquelles une ascension fut exécutée, qui mena Réviliod jusqu'au lac d'Annecy, par-dessus le massif montagneux qui sépare cette étendue d'eau du lac du Bourget. Fruscou était au gouvernail, et un mécanicien de son équipe remplaçait Charlot au moteur. Les 35 kilomètres séparant les lacs l'un de l'autre furent parcourus en quarante-deux minutes à l'aller et cinquante-six minutes au retour.

Il fallut laisser échapper un peu de gaz par la soupape pour redescendre au niveau du lac du Bourget, l'altitude de 1350 mètres ayant été atteinte au cours de l'ascension. Les ouvriers qui avaient travaillé à la réfection du matériel attendaient le retour du yacht aérien, et ils saisirent les cordes traînantes pour le ramener au sol où il fut amarré solidement après que l'enveloppe imperméable eut été remise sous pression pour parer à tout événement pendant la nuit.

—Nous rentrerons à Paris demain, annonça le Petit Biscuitier au constructeur. Je vous offre volontiers une place à bord, bien qu'il soit évident que vous ne rentrerez pas aussi vite par la voie de l'air que par le rapide qui nous a amenés. Neffodor prendra, bien entendu, votre place au volant et, puisque vous êtes un maître au noble jeu de jacquet, je m'offre à être votre partenaire et à occuper nos heures de voyage à secouer le cornet. Et l'on ne bouchera le jeu qu'avec deux dames de retour!...

—C'est entendu, j'accepte votre aimable proposition, mon cher monsieur, claironna Fruscou riant à en faire tourner l'hélice du ballon. Apprêtez-vous à être brossé!...

—Eh! eh! on verra à se défendre, mon cher constructeur. On tâchera de se défendre!...

Le Petit Biscuitier ne fut que médiocrement surpris en rencontrant, le soir même, au Casino où il était allé comme chaque jour retrouver des amis et connaissances de Paris, villégiaturant dans ce site délicieux des Alpes, le marquis de La Tour-Miranne accompagné des membres de l'Aéro-tourist. Il fut frappé de l'expression de tristesse et d'accablement du promoteur du tourisme en aéroplane, et ne put s'empêcher de l'interpeller dans les termes suivants.

—Qu'avez-vous donc à affecter cet air funèbre, chevalier de la Triste-Figure?.. Serait-ce que vous auriez semé quelqu'un de votre Société dans un précipice?...

—Ne plaisantez-pas, Réviliod, répondit le sportsman. Je suis très affligé des nouvelles que j'ai reçu de Paris en arrivant à Aix...

—Quoi donc!... Votre père n'est pas subitement décédé, je pense!...

—Non, le duc de La Tour-Miranne est toujours vivant, mais une dépêche vient de m'apprendre qu'il vient encore d'être frappé d'un accès de goutte, et que la situation est grave.

—Bah! un accès de goutte, ce n'est pas mortel!... Rassurez-vous!

—Je connais la forte constitution du duc, mais je suis cependant inquiet, car j'ai remarqué certains symptômes qui augmentent mes craintes. J'ai donc décidé de regagner Paris au plus tôt, sans achever notre voyage de tourisme, déjà aux trois quarts accompli.

—Quoi, vous abandonnez la Société dont vous êtes président?...

—Pour ne pas me quitter, les membres de l'Aéro-tourist-club ont décidé, quoi que j'aie pu leur dire, à me suivre et à revenir au parc d'Aérovilla en même temps que moi. Nous essaierons donc d'exécuter de compagnie, dès demain, le plus long voyage qui ait été tenté jusqu'à présent à l'aide d'aéroplanes.

—Parfait! Dans ces circonstances, c'est le cas où jamais de vider notre vieux différend et de voir qui fera le mieux du plus lourd ou du plus léger que l'air.

L'aviateur ébaucha un faible sourire.

—Vous tenez donc toujours à me fournir cette démonstration de la supériorité de vos idées?

—Certes, et plus que jamais!

—Eh bien! dans l'intérêt général de la question de la navigation aérienne, j'accepte votre proposition, Réviliod, et je vais la communiquer à mes amis. Comme il s'agit rien moins que de six cents kilomètres à parcourir en ligne directe pour atteindre nos parcs respectifs d'Ecancourt et d'Aérovilla, il faudra partir de très bonne heure. Je propose donc de prendre le départ à six heures précises. Qu'en pensez-vous?...

—Je suis entièrement de votre avis et vais donner mes ordres en conséquence à mes hommes, Neffodor, mon aéronaute, et Charlot, mon mécanicien.

En entendant prononcer ce nom, le marquis eut un mouvement de surprise que remarqua Réviliod.

—Tiens!... Qu'avez-vous donc? interrogea-t-il.

La Tour-Miranne hésita un instant à répondre, mais sa franchise native l'emporta.

—Écoutez, Réviliod, articula-t-il enfin, il faut que nous ayons une explication définitive.

—Une explication!... siffla le Petit Biscuitier, et à quel sujet?...

—Au sujet de l'homme que vous venez de nommer, et que vous avez pris à votre service, après qu'il a dû quitter l'aérodrome à la suite de certains soupçons qui s'étaient portés sur lui.

—Quels soupçons?... Et en quoi cela me concerne-t-il?...

—Je vais vous le dire. Vous n'ignorez pas que j'ai failli ne pas pouvoir partir et suivre mes amis, lors de notre départ du champ d'aviation d'Aérovilla. Une main criminelle et expérimentée avait, dans la nuit précédant le départ de la caravane aérienne, détérioré les parties essentielles de la machine volante que je devais diriger. Sans le dévouement et la prévoyance de mon constructeur, M. Martin Landoux, le succès du tour de France en aéroplane était irrémédiablement compromis et j'étais forcé de rester à terre.

—Je ne vois pas jusqu'à présent....

—Vous allez comprendre. Une enquête très minutieuse a été immédiatement menée par Martin Landoux, qui est un homme fin et avisé, pour découvrir l'auteur de ce sabotage criminel et, bien que les preuves matérielles manquassent, tous les indices que l'on put relever accusaient cet ouvrier récemment embauché aux ateliers de Levallois, ce Charlot!...

Réviliod ébaucha un geste, mais son interlocuteur poursuivit sans le laisser l'interrompre de nouveau:

—La main qui avait exécuté étant connue, il s'agissait de déterminer le mobile qui l'avait conduite. On a cherché comment ce Charlot—qui ne devait avoir aucune animosité personnelle à satisfaire contre moi—était entré à notre service, et savez-vous ce que l'on à fini par trouver?...

Le Petit Biscuitier ne le laissa pas achever.

—Écoutez, La Tour-Miranne, fit-il d'un ton qu'il essaya de rendre détaché et insoucieux, cela ne m'intéresse pas du tout vos histoires d'ouvriers et de domestiques infidèles ou malveillants. Laissons cela, car vous n'allez pas insinuer, je pense, que c'est moi qui ai commandé à ce Charlot de détruire votre aéroplane?...

—Alors pourquoi l'avoir pris à votre service, après l'avoir placé chez Landoux par l'intermédiaire du commanditaire de celui-ci, notre ami commun, Médouville?...

Le président de l'Aéro-tourist tenait sous son regard franc et loyal le Petit Biscuitier qui, mal à l'aise, quoi qu'il en eût, affectait de ricaner. Il termina, pour achever de l'écraser.

—Des gens comme ce Charlot se vendent au plus offrant, risque à le trahir ensuite s'ils y trouvent le moindre avantage. J'ai simplement tenu à vous montrer le danger que vous courez maintenant avec un pareil misérable à votre bord. Ne s'est-il pas vanté—et le propos m'en a été rapporté—d'avoir causé la rupture de votre arbre d'hélice pour vous obliger à interrompre un voyage qui se prolongeait par trop à son gré!... Qui sait si, en ce moment même, il ne machine pas encore, pour le compte de l'un ou de l'autre, quelque embûche dont vous serez la victime!...

Pendant que parlait Robert de La Tour-Miranne, Claude Réviliod avait repassé dans son esprit toutes les solutions possibles lui permettant de se tirer de l'impasse où il s'était mis par suite de la collaboration qu'il avait acceptée du traître des ateliers Marius Gallet. Le meilleur parti lui parut être de jeter son complice par-dessus bord et de s'en débarrasser, même au prix d'un aveu humiliant. En agissant ainsi, il annulait les conséquences fâcheuses que pouvaient avoir pour lui les accusations que ne manquerait pas de porter contre lui Charles Bader s'il se voyait inquiété par la justice. C'était l'effet des assertions de ce complice, que l'on croirait s'il affirmait n'avoir été qu'un instrument entre ses mains, qu'il fallait détruire d'avance.

En conséquence de ces réflexions, qui avaient rapidement traversé son esprit, l'aéro-yachtman posa la main sur le bras de l'aviateur et l'attira à l'écart, puis à voix basse:

—Eh bien! oui, murmura-t-il, vous avez deviné. Le coup qui vous a atteint venait de moi, et c'est alléché par la promesse d'une récompense que le Charlot a détérioré votre aéroplane pour vous empêcher de partir et me laisser le champ libre. J'ai mal agi, je le reconnais, mais j'avais pour excuse mon désir excessif, exagéré, de supprimer un dangereux rival, et d'être seul à mettre en pratique le nouveau mode de voyage: le tourisme aérien. Heureusement, mes projets ont échoué, et maintenant j'en suis heureux parce que j'ai reconnu que l'émulation seule est féconde et sert le progrès. Je regrette donc ce stupide accès de jalousie qui eût pu avoir de graves conséquences et je vous prie de me le pardonner.

Le Petit Biscuitier savait bien ce qu'il faisait, en formulant ainsi un appel aux sentiments chevaleresques du marquis de La Tour-Miranne, et le résultat ne le surprit pas.

Le président de l'Aéro-tourist-club, d'un mouvement spontané, lui tendit la main.

—J'ai tout oublié, répondit-il, et de cette explication loyale il ne subsiste qu'un fait: luttons, mais à armes courtoises, et par les moyens qui nous conviendront le mieux à chacun, pour la science et pour le progrès!...

Une étreinte cordiale scella cette entente, et Réviliod conclut en poussant un long soupir de soulagement.

—Vive la paix!... Et demain, en route pour Paris par la voie des airs!... Nous verrons qui arrivera le premier du ballon ou de l'aéroplane!... Et vous êtes dix contre moi seul!...

La Tour-Miranne sourit.

—Entendu. Et à demain six heures précises le départ.

Les membres de l'Aéro-tourist-club n'eurent pas le temps de visiter les environs d'Aix-les-Bains qui présentent cependant de nombreux points intéressants, tels que le mont Revard, le pont de l'Abîme où l'on parvient par le moulin de Prime situé dans une vallée pittoresque, les rochers si curieux appelés les Tours Saint-Jacques, le pont et la grotte de Bange, l'abbaye de Hautecombe, construite en 1125, restaurée en 1843, et qui est l'ancien lieu de sépulture des princes de la maison de Savoie, enfin Marlioz avec son curieux château de Dugis, les gorges de Sierroz, la cascade de Grésy, les tours de César au col de Cessens, et les montagnes environnantes: le Salève, la Dent du Chat, haute de 1500 mètres et d'où l'on jouit d'une vue splendide sur le lac du Bourget. Les voyageurs durent se contenter d'examiner au passage l'Arc de Campanus, monument funèbre extrêmement ancien, car il remonte au IIIe siècle, l'Hôtel de ville d'Aix, qui est un château du VIe siècle, les débris du temple de Diane, et le parc-promenade du Gigot. Le président de l'Aéro avait fait part à ses compagnons du défi amical porté par le propriétaire du dirigeable, et ceux-ci furent unanimes à affirmer à leur chef leur désir de le seconder de leur mieux, de manière que la supériorité de l'aéroplane sur le ballon fût nettement démontrée aux plus incrédules.

Sur les ordres de La Tour-Miranne, des précautions minutieuses furent prises d'un commun accord pour assurer le voyage de retour dans le plus court délai possible. En conséquence, les appareils furent pourvus de réservoirs à essence supplémentaires, de façon à permettre aux biplans de voler pendant cinq heures sans avoir besoin de reprendre contact avec le sol. Les trois monoplans, dont la vitesse était sensiblement plus grande devaient partir, comme d'habitude, les premiers en éclaireurs, de façon à préparer aux lieux d'escale déterminés, les provisions d'essence nécessaires pour chaque période de vol. Ces escales, mûrement étudiées, devaient se faire à Autun et au Châtelet-en-Brie, un peu avant Melun.

—Nous devons pouvoir faire la route d'Aix au parc d'Aérovilla, c'est-à-dire exactement 580 kilomètres à vol d'oiseau, en douze heures, assura le jeune président. Dans tous les cas, puisqu'il s'agit d'une espèce de match avec le dirigeable de Réviliod, il faut faire tous nos efforts pour arriver. Qu'il soit donc convenu d'avance que ceux qui seront victimes d'une panne sérieuse pouvant entraîner un arrêt de plus d'une demi-heure, se considéreront comme hors de course. Qu'ils portent en ce cas tous leurs efforts pour seconder leurs amis plus favorisés par la chance.

Le promoteur du Tour de France en aéroplane, qui s'arrêtait ainsi, par suite de circonstances imprévues, aux trois quarts de son parcours, devait éprouver avant de quitter, le vendredi 30 juin, les Prés-Hauts d'Aix pour rentrer à Paris, une agréable surprise. La première personne qui se présenta à sa vue lorsqu'il pénétra dans le terrain transformé en aérodrome fut le constructeur de Levallois, qui était arrivé dans la nuit par l'express et s'était rendu directement à cet aérodrome improvisé dont l'emplacement lui avait été indiqué par le chef de gare.

—Martin Landoux!... s'écria joyeusement le sportsman. Quelle bonne surprise!... Les mains des deux hommes s'étreignirent, puis Robert mit l'industriel au courant de ses projets. Landoux secoua la tête.

—J'ai auparavant une opération de propreté à réaliser, exposa-t-il. J'ai toutes les preuves de la culpabilité de mon ex-ouvrier, Charles Bader, dans l'affaire du saccage de votre aéro, et puisqu'il est encore au service du sieur Réviliod, que je soupçonne fort d'avoir été l'instigateur de ce sabotage sans vergogne, je vais le faire arrêter illico.

—C'est inutile! répliqua La Tour-Miranne en secouant la tête dans un geste de dénégation. La chose est arrangée. Réviliod m'a fait spontanément l'aveu du rôle qu'il avait joué dans cette affaire, et nous nous sommes réconciliés. Quant à son complice, au Charlot en question, il a dû le congédier immédiatement, et toute démarche serait désormais inutile.

—N'en parlons plus, en ce cas, monsieur Robert, et ne perdons pas un instant. Je vais revoir chaque machine, car je veux que vous remportiez une éclatante victoire sur cet aéronaute de malheur, qui a sournoisement essayé de vous supprimer avant de commencer la lutte.

Martin Landoux promena l'oeil du maître sur chacun des appareils, sans omettre le plus petit détail, car c'est souvent d'un détail infime, négligé comme secondaire, que dépend le succès ou la défaite finale. Plusieurs défauts purent ainsi être corrigés, et, tous les aviateurs étant arrivés, les départs se succédèrent de minute en minute. Damblin et Médrival les premiers s'envolèrent dans l'air pur du matin.

—Dans trois heures je serai à Autun! cria Médrival avant de s'envoler.

—Pas d'imprudence, je vous en conjure! lui répondit le président de l'Aéro-tourist. Il faut que le Club arrive au complet ce soir à Aérovilla. Ne songez donc pas pour l'instant à battre aucun record de vitesse ou de distance!

Le tour était venu des biplans de s'envoler. La Tour-Miranne remarqua que Médouville était seul à bord du sien. Surpris, il en fit la remarque à son ami.

—André Lhier a trouvé hier soir, en arrivant à Aix, une dépêche urgente le mandant ce matin à Paris. Il a donc pris immédiatement le rapide avec sa femme en me chargeant de l'excuser auprès de vous de sa défection imprévue.

A ce moment Martin Landoux, le front soucieux, revint vers le président.

—Le biplan de M. de l'Esclapade a son hélice complètement faussée, et son moteur, sans doute encrassé, ne donne pas la moitié de sa force normale, annonça-t-il. Il va lui être impossible de s'enlever et de vous suivre!...

—Garruel, Le Clair, de l'Esclapade, cela nous fait trois camarades de moins, murmura le chef de l'expédition, hochant la tête d'un air chagrin.

—Bah! ne vous frappez pas!... Cela est même extraordinaire que nous n'ayons que trois éclopés pour un trajet pareil! D'abord, ce n'est pas un biplan Landoux qui est avarié; les miens tiennent toujours bon, et ils arriveront, soyez-en certain!...

—J'en accepte l'augure, mon cher constructeur, conclut le jeune homme rasséréné, tout en prenant sa place de pilote à côté de Landoux, qui s'était déjà casé. Maintenant, en route pour Autun et Paris, c'est-à-dire exactement au nord-ouest.

Au moment même où La Tour-Miranne prononçait ces paroles, le dirigeable de Réviliod passa à deux cents mètres au-dessus de sa tête, son hélice tournant à son maximum de vitesse. Le constructeur de Levallois le considéra un moment avec attention.

—Hé! hé! il avance bon train, murmura-t-il. La brise qui souffle des Alpes n'a pas l'air de trop le contrarier!... Enfin, nous allons bien voir.

Contrairement à ce que supposait La Tour-Miranne, Charlot était à bord du yacht aérien. Le Petit Biscuitier avait bien songé à lui signifier son congé, mais aucun des ouvriers amenés par Fruscou n'avait voulu accepter la mission de conduire le moteur, dont ils ne connaissaient qu'imparfaitement le mécanisme, et force avait été à l'armateur de conserver celui qui était, quoi qu'il fît, son complice. Réviliod s'était donc borné à signifier sèchement au mécanicien son renvoi dès le retour au parc d'Écancourt, et cette nouvelle n'avait fait qu'exaspérer la sourde hostilité du bossu.

—Quand je devrais incendier son ballon en l'air, je me vengerai!... grinça-t-il. C'est ma foi trop commode de se débarrasser de toute responsabilité! Lorsque l'affaire que l'on a commandée n'a pas réussi, on jette à la porte celui dont on s'est servi! Je serais encore tranquillement dans ma place si ce richard, que le diable étrangle, ne m'avait pas tenté en faisant miroiter devant mes yeux une récompense qui m'a ébloui! Et maintenant je serais seul à subir les conséquences? Non, non, ce n'est pas possible, il faut que je me venge et puisqu'une seule chose est capable de l'émouvoir: sa supériorité sur les hommes-volants, la seule manière de le punir est de l'empêcher d'arriver au but!...

Pendant que l'ouvrier monologuait et ressassait dans son esprit tous ses motifs de ressentiment contre Réviliod, l'aéronat, aidé d'une légère brise du sud-ouest, avançait avec célérité. En deux heures, il atteignit Bourg et revit le pays des Bombes qu'il avait déjà traversé dans son précédent voyage avant d'être emporté par le mistral, et à midi, alors que l'aéro-yachtman et son hôte, l'ingénieur Fruscou, allaient se mettre à table, Autun, où les aéroplanes avaient dû faire halte quelque temps auparavant, se perdait déjà dans l'éloignement à l'horizon du sud.

—Voilà déjà presque la moitié de la route de faite! claironna joyeusement Fruscou. Nous avons parcouru au moins 250 kilomètres depuis Aix. En continuant à cette allure, nous serons à Paris à six heures du soir.

—Mais nous n'aurons pas assez de pétrole et d'hydrogène pour naviguer pendant douze heures consécutives, fit observer le Petit Biscuitier.

—J'y ai songé, mon cher client, aussi ai-je ménagé une escale en route où nous trouverons tout ce qui est nécessaire au ravitaillement du navire aérien. Vous m'avez longuement parlé du château des Frênes, auprès d'Auxerre, où vous êtes allé, lors de votre première sortie, chercher des passagers que vous vouliez initier aux charmes de la navigation aérienne. J'ai donc pris la précaution, il y a plusieurs jours déjà, d'avertir l'Établissement des Moulineaux d'expédier sans retard huit tubes d'hydrogène comprimé à cette adresse, où je pensais bien que nous serions obligés de repasser dans notre voyage de retour. J'ai également prévenu le châtelain des Frênes par dépêche, de notre arrivée et de la nécessité de préparer des bidons d'essence, afin de réduire au minimum la durée de notre escale.

—Vous avez pensé à tout, et je ne saurais trop vous remercier de votre prévoyance, mon cher constructeur, répondit chaleureusement Réviliod.

Il était une heure et demie, lorsque le dirigeable arriva au-dessus du château des Frênes. Personne n'étant sur la pelouse à attendre son arrivée, Neffodor dut actionner à plusieurs reprises la sirène pour appeler l'attention des habitants, tout en décrivant à petite allure de longs circuits autour du terrain. Enfin le jardinier apparut, levant les bras au ciel, puis M. Corgival, et plusieurs domestiques. L'aéronaute donna alors un coup de soupape prolongé qui jeta l'aéronat à vingt mètres du sol, permettant aux personnes accourues de saisir les guides ropes et de faciliter l'atterrissage.

Le Petit Biscuitier prit à peine le temps d'échanger quelques paroles d'amitié avec son cousin.

—Vite!... dit-il, nous sommes pressés, et les minutes valent des heures; nous nous congratulerons plus tard quand nous aurons plus de loisir. Pour l'instant, il faut nous ravitailler afin de continuer notre voyage, sans quoi nos concurrents nous rattraperont et nous feront la nique, ce qui serait pour moi une suprême humiliation. Vite donc, l'hydrogène, le pétrole!...

Ahuri par ce flot de paroles, le châtelain demeurait comme hébété. Il finit enfin par donner les indications réclamées. Les bouteilles d'acier et les bidons d'essence étaient rangés dans la remise. Sur ses ordres on apporta le tout sur la pelouse, et les domestiques s'empressèrent de passer les bidons à l'aéronaute qui les transvida l'un après l'autre dans le vaste réservoir du moteur. Pendant ce temps, Charlot avait prestement sauté à terre et s'occupait d'envoyer le contenu des bonbonnes d'acier, où le gaz était emmagasiné sous une pression de cent cinquante atmosphères, dans l'enveloppe aérostatique, afin de remplacer l'hydrogène consommé par le moteur ou disparu par la dilatation solaire en cours de route. Cette opération commencée, il se redressa avec un rictus de mauvais aloi et se dirigea vers l'armateur du navire aérien, et entama avec lui un colloque rapide.

—Il est donc bien entendu, monsieur, commença-t-il d'une voix tremblante de colère concentrée, que vous me mettez à la porte?

—Je ne vous mets pas à la porte, répliqua ironiquement le Petit Biscuitier. Je vous remercie simplement de vos services, c'est bien différent!...

—Et sans la moindre indemnité, continua le mécanicien, les dents serrées.

—A quel titre vous en devrais-je une? prononça dédaigneusement Réviliod. Vous ai-je jamais promis quoi que ce soit?...

—Vous m'aviez promis dix mille francs pour ce que vous savez. Et si je parlais tout haut...

—Parlez!... Parlez!... Que m'importe maintenant! J'ai averti moi-même M. de La Tour-Miranne. Quel poids pourraient avoir vos insinuations malveillantes!...

—C'est là votre dernier mot?... Vous ne voulez rien comprendre, et rien m'accorder?... Réfléchissez bien!

Le jeune homme eut un mouvement d'impatience.

—En voilà assez, vous m'importunez, s'écria-t-il. Reprenez votre poste et partons!...

—Tant pis!... Dans ce cas, c'est vous qui l'aurez voulu!...

L'ouvrier, au comble de l'exaspération et poussé à bout par l'intransigeance de l'aéro-yachtman, courut aux tubes d'hydrogène comprimé et se pencha vers le robinet de dégagement du gaz qu'il ouvrit en grand d'un violent mouvement de torsion de la clé.

Un sifflement terrible retentit, suivi d'une effroyable détonation que répétèrent lugubrement les échos des futaies et des bâtiments voisins. Sous l'énorme pression subie par l'enveloppe par la détente du gaz comprimé, le long fuseau de soie avait éclaté comme un sac en papier que l'on écrase entre les mains, et ses débris en retombant recouvrirent comme d'un linceul la longue nacelle, ensevelissant sous ses plis l'infortuné Neffodor qui n'avait pas quitté son poste de pilote.

Un éclat de rire qui n'avait plus rien d'humain, et ressemblait plutôt au râle d'un insensé, suivit le bruit de l'explosion.

—Je suis vengé!... criait le bossu qui semblait avoir perdu la raison. Je suis vengé!...

Il nous faut revenir à la flottille des aéroplanes qui poursuivait, sans un instant d'arrêt, sa route en ligne droite vers la capitale.

A huit heures du matin, les biplans traversaient la ville de Bourg, avec six minutes à peine de retard sur le dirigeable, et ils atterrissaient presque ensemble à Autun à onze heures vingt. Damblin et Médrival étaient arrivés depuis plus d'une heure et avaient tout préparé pour le ravitaillement d'essence. Pendant que les mécaniciens, sous la direction de Martin Landoux, passaient fiévreusement la visite des mécanismes et remplissaient les réservoirs vides de carburant, les pilotes déjeunaient ainsi que l'on dit «sur le pouce». Il n'y avait plus une seule dame. Mesdemoiselles Outremécourt et Darmilly avaient préféré revenir à Paris en compagnie de M. et de Mme de l'Esclapade afin de laisser plus de liberté aux pilotes engagés dans ce match de vitesse et de distance avec le dirigeable de Réviliod.

Quarante minutes suffirent pour la remise en état des huit aéros. Les monoplans repartirent en tête, puis les biplans. Les mécaniciens, pour ne pas s'attarder, grignotèrent quelques sandwiches pendant le vol, qui fut repris à toute allure comme le matin. A une heure et demie, au moment où le haineux bossu anéantissait, en donnant trop brusquement issue au gaz comprimé, le yacht aérien du Petit Biscuitier, la flottille arrivait à Avallon, à trente kilomètres du château des Frênes. Elle était à Auxerre à deux heures et demie, à quatre heures à Villeneuve-la-Guyard et à cinq heures dix minutes au Châtelet-en-Brie, point d'étape convenu et où l'on retrouva encore les deux monoplans qui avaient précédé l'équipe des biplans. Celle-ci, toutefois, n'arrivait pas au complet: deux appareils manquaient encore à l'appel: celui du professeur Darmilly perdu de vue à Joigny et celui de Breuval disparu un peu avant Sens.

—Voilà les deux premiers aéros de la marque Landoux qui manquent l'étape, remarqua le constructeur. Mais cela ne doit pas être grave; nous les reverrons bientôt!

—Hâtons-nous malgré tout, observa La Tour-Miranne, en pressant les mécaniciens. Nous n'avons plus revu l'aéronat qui a sans doute pris une grande avance sur nous, grâce au vent favorable qui l'aidait dans sa marche. Si nous devons être vaincus, que ce ne soit pas sans avoir résisté de toute notre énergie. En route!...

Les machines volantes, réduites au nombre de huit, s'envolèrent l'une après l'autre et les prés, les bois, les villages, les villes, recommencèrent à défiler sous les pieds des intrépides aviateurs qui commençaient à sentir la fatigue les gagner. Melun, Lieusaint, Villeneuve-Saint-Georges, Alfort, Charenton, le bois de Vincennes furent successivement laissés en arrière. La Tour-Miranne ne voulut pas, par prudence, se risquer au-dessus des toits de Paris; il suivit le contour des fortifications, qu'il abandonna au Pré-Saint-Gervais pour pointer droit sur Saint-Denis dont la basilique se détachait sur l'horizon. Ce furent ensuite les stations de la ligne du Tréport: Écouen, Domont, Monsoult, Presles, Beaumont-sur-Oise, avec sa vieille église juchée au sommet du coteau. L'Oise fut traversée, et ce fut aussitôt Chambly, puis Bornel et Puiseux-le-Hauberger.

—Aérovilla!... murmura, non sans une secrète émotion, le jeune président et en dirigeant le vol de l'aéroplane vers la verte pelouse d'où, quatre semaines auparavant, il s'était envolé pour exécuter le tour de France interrompu à Aix.

Treize appareils s'étaient détachés du sol le dimanche 5 juin, sept seulement rentraient au port le vendredi 30 du même mois, mais les pilotes qui les montaient pouvaient se dire, non sans fierté, qu'eux premiers avaient réussi dans ce court laps de temps de vingt-quatre jours, plus de quatre mille kilomètres dont six cents au cours de la dernière journée seule, cette dernière randonnée en douze heures de vol continu, ce qui donnait une moyenne de 50 kilomètres à l'heure—et en ne brûlant que douze litres d'essence à l'heure!—fit remarquer Martin Landoux.

La Tour-Miranne, Médouville et leurs amis avaient donc bien mérité du sport par leur endurance, en même temps que par leur prudence et leur habileté. Mais le jeune président était surtout heureux d'avoir pu fournir l'exemple évident que le tourisme aérien par l'aéroplane, loin d'être une utopie, était parfaitement et dès à présent réalisable. Il suffisait de réunir les qualités déployées par les membres de l'Aéro-tourist-club au cours de leur mémorable randonnée, jusqu'alors sans précédent, et ces qualités n'étaient-elles pas justement celles de tous les jeunes Français?... Aussi pouvait-on escompter sans trop d'outrecuidance le prochain développement que ne devait pas tarder à prendre ce nouveau mode de locomotion si agréable et vraiment supérieur à tous les autres, qu'est la locomotion aérienne.

Il faut, avant de terminer, dire ce qu'il advint du Petit Biscuitier, l'adversaire du marquis de la Tour-Miranne après le désastre où disparut son magnifique yacht aérien.

La force de l'explosion avait été telle que les spectateurs furent projetés violemment à terre par l'ébranlement de l'air. Ils se relevèrent étourdis mais heureusement sans autres blessures que quelques contusions sans importance, et c'est alors que Réviliod constata la destruction complète de son magnifique yacht aéronautique dont il ne restait que la nacelle. La détente du gaz comprimé, produite par l'ouverture brusque et en grand du robinet, qui n'eût dû qu'être entr'ouvert pour un débit normal, avait causé une telle surpression que l'enveloppe avait été mise en lambeaux, dont l'aéronaute Neffodor avait eu grand peine à se dépêtrer.

Le Petit Biscuitier considéra d'un regard atone le désastre, puis se tournant vers Fruscou qui paraissait, ainsi que Corgival, changé en statue.

—Voilà qui n'arrivera jamais à une machine volante, murmura-t-il d'une voix blanche. Décidément l'avenir est au «plus lourd que l'air», et j'avais tort de fermer les yeux devant l'évidence.

—Bah!... conclut l'ingénieur reprenant ses esprits, ne vous désolez pas. Ce n'est qu'une «peau» neuve à refaire. Le Réviliod n° 1 est mort, vive le Réviliod n° 2!

Le sportsman secoua la tête d'un air navré, mais ne répondit pas. Il était certain que ses convictions les plus chères se trouvaient rudement ébranlées, et que son fanatisme pour l'aérostation avait reçu une sérieuse atteinte. De plus, il songeait que ce naufrage subit, presque au port, alors qu'il avait une grande avance sur ses concurrents les aviateurs, était une juste punition du mal qu'il avait essayé de leur faire. Cette pensée lui remit en mémoire l'auteur de la catastrophe, mais dans le désarroi des premiers instants, le dangereux bossu avait disparu, et l'on ne devait jamais savoir ce qu'il était devenu.

Telle fut la fin du dirigeable, et des aventures de l'aéro-yachtman qui renonça définitivement aux ascensions, laissant désormais le champ libre à La Tour-Miranne et à ses émules, les vrais fondateurs du tourisme aérien—le tourisme de l'avenir, on n'en saurait douter maintenant!

FIN

TABLES

TABLE DES GRAVURES

Frontispice

Tête de chapitre

La grande semaine d'aviation battait son plein depuis quatre jours

Au milieu d'un groupe d'auditeurs, Réviliod pérorait

Blériot sur son aéroplane monoplan

Derrière une table recouverte d'un tapis vert

Carte de l'itinéraire du tour de France en aéroplane

Destruction d'un ballon à Gonesse (d'après une gravure du temps)

Première ascension des frères Montgolfier, à Annonay, le 4 juin 1783

Santos-Dumont contourne la Tour Eiffel

Le dirigeable Ville de Paris

Le République aux manoeuvres de 1909

Le Parseval et le Zeppelin au-dessus de Berlin

Le serrurier Besnier, de Sablé, essaie de s'envoler du haut d'un toit

Henri Farman sur son premier biplan Voisin

L'appareil de Wilbur Wright

Les rares cheveux du valet de chambre se dressèrent sur son crâne dégarni

Martin Landoux atteignit une feuille qu'il déroula sous les yeux de ses interlocuteurs

Martin Landoux fit la présentation de l'aéroplane

Il suffit!... scanda M. de la Tour-Miranne d'un ton glacial

Graduellement le panorama s'élargit

Château de Chantilly

Deux aéroplanes atterrirent à quelques minutes d'intervalle

Le président suivit Martin Landoux qui venait de sauter à terre

Amiens.—La cathédrale

Une vaste agglomération hérissée de hautes cheminées apparut

Lille.—La grande place

Vue intérieure des usines de Fives-Lille

Un gamin conduisait une charrette attelée de deux chiens

La flottille traversa l'estuaire de la Somme

Ault.—La plage et les falaises

Dieppe.—Le château

Rouen.—Le portail des libraires

Rouen.—Le cloître Saint-Maclou

Rouen.—La grosse horloge

A côté de ces merveilles de l'art ancien, on apercevait les cheminées géantes des manufactures

Jumièges.—L'abbaye

Le Havre.—Bassin du Commerce

Paris.—Place de la Bastille: la colonne de juillet

Montereau.—Vue prise du coteau de Surville

Joigny.—Portail Saint-Jean

Auxerre.—Église Saint-Etienne et la Préfecture

Des paysans galopaient

Avallon.—Un coin de la vieille ville

Nevers.—Le palais ducal

Bourges.—Hôtel Jacques Coeur

Le yacht aérien arrivait devant le château

Château de Chenonceaux

Trouville.—La plage

Caen.—Église Saint-Pierre

Tapisserie de Bayeux

Coutances.—Vue générale

Le Mont Saint-Michel

Déjà les assaillants couronnaient la brèche

Le marquis de Tombelaine retomba dans les flots, perdit connaissance et se noya

Mont Saint-Michel.—Salle des Chevaliers

Saint-Malo.—La ville et ses remparts

Dinan.—Ancien château servant aujourd'hui de prison

Saint-Brieuc.—La cathédrale

Guingamp.—Église Notre-Dame de Bon-Secours

La pointe du Raz

Des hommes descendaient sur la roche munis de ceintures de sauvetage

Dolmen de Locmariaquer

Nantes.—Le château

Le canot se dirigea droit vers les naufragés

La Rochelle.—Entrée du port

Bordeaux.—Vue des quais

Toulouse.—Le Capitole

On finit par découvrir la source

Gouffre de Padirac

Le ballon ne tarda pas à dominer le massif des vapeurs

Nancy.—Porte de la Craffe

Belfort.—La citadelle

Lyon.—Le palais de Justice et le coteau de Fourvières

Le sportsman escalada les marches du perron

Marseille.—Palais de Longchamp

Marseille.—Le port de la Joliette

Nice.—La Promenade des Anglais

Autun.—Porte romaine de Saint-André

Le long fuseau de soie avait éclaté comme un sac en papier

Saint-Denis.—L'Abbaye

TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE PREMIER

A la grande semaine d'aviation de Champagne.

Aux expériences d'aviation de Bétheny.—Un groupe d'enthousiastes.—Le marquis de La Tour-Miranne et son ami Outremécourt.—Un jeune mécène des inventeurs.—Le «Petit Biscuitier» et ses idées sur la locomotion aérienne.—Un projet original.

CHAPITRE II

Fondation de l'Aéro-Tourist-Club.

M. de La Tour-Miranne prononce un discours.—Un nom difficile à trouver.—But poursuivi par la nouvelle société.—Le tourisme en aéroplane.—Les treize fondateurs.—Les étapes du tour de France.—Des paroles aux actes.

CHAPITRE III

Histoire de la navigation aérienne.

L'état de la question de la navigation aérienne en 1910.—Premières rêveries, premiers essais.—Depuis l'époque de l'invention des aérostats.—Moteurs et propulseurs.—Les ballons dirigeables, de Meusnier à Julliot.—Le plus lourd que l'air.—Nadar et la «sainte hélice».—Les machines volantes modernes.—Aéroplanes, hélicoptères et ornithoptères.

CHAPITRE IV

Un fanatique du «plus léger que l'air».

Le «Petit Biscuitier» et son domestique.—Les idées de Claude Réviliod.—Une conversation avec le constructeur Fruscou.—L'aéronat le «Réviliod n° 1».—Approbation des plans.—Le parc d'aérostation d'Écancourt.—Au 1er mai.

CHAPITRE V

Maître Martin Landoux l'inventeur.

Histoire de Martin Landoux.—Les avatars d'un graveur.—Roi du volant!—On discute ferme.—Une proposition inattendue.—Les idées d'un mécanicien au sujet des aéroplanes.—Six biplans en chantier.

CHAPITRE VI

Aérovilla.

Installation de l'aérodrome de Puiseux-le-Hauberger.—Une fête réussie.—.Les premiers vols de Martin Landoux.—Amateurs tirés au sort.—A bientôt le départ!

CHAPITRE VII

Un ennemi dans la place.

Un adversaire du progrès.—Le père et le fils.—Un duc chez un ouvrier.—Je ne suis pas un traître, monsieur!—Charles Bader dit Charlot.—Au parc d'aérostation d'Écancourt.—Gonflement du dirigeable.—.Les rancunes de M. Firmin.—Une mission mystérieuse.

CHAPITRE VIII

La première sortie du «Réviliod n° 1».

Premiers vols des hommes-oiseaux à Aérovilla.—Un accident de monoplan.—Au garage d'Écancourt.—Fruscou pilote.—Les grandes terreurs de ce bon M. Firmin.—Quarante kilomètres à l'heure contre le vent.—Au-dessus d'Aérovilla.—La rancune du «Petit Biscuitier».—Messieurs, la séance continue!

CHAPITRE IX

Le départ de la caravane.

A quand le départ?.—Une dernière épreuve s. v. p.!—Course au clocher.—Quatre-vingts kilomètres à l'heure.—Les mésaventures d'un biplaniste.—Les idées du cambouisard Charlot.—Visite au duc de La Tour-Miranne.—Tentative de chantage avortée.—Le jour de gloire est arrivé.—Départ impossible.

CHAPITRE X

La première étape.

Un acte évident de sabotage.—Quel en peut-être l'auteur.—Réparation instantanée.—Un tour de force de Martin Landoux.—La Tour-Miranne s'enlève enfin.—Réflexions en cours de route.—Dix minutes d'arrêt.—Un cycliste complaisant.—Le long de la route d'Amiens.—Arrivée à l'étape.—Retour de Landoux à Paris.

CHAPITRE XI

Au pays du phosphate.

Un monument historique: la cathédrale.—Les canaux du vieil Amiens.—Au-dessus des hortillonnages.—Halte à Orville.—Une folie d'un nouveau genre.—A quoi servent les phosphates.—Traversée d'Arras.

CHAPITRE XII

Le nord de la France.

Visite de Lille.—Médouville s'improvise conférencier.—L'itinéraire de la caravane. Arrivée à Boulogne.—Un atterrissage malencontreux.—En route pour le Crotoy et Saint-Valery-sur-Somme.—M. Dermilly, professeur de géologie.—Les grandes révolutions du globe.—Le Marquenterre.—Arrivée à Dieppe.

CHAPITRE XIII

Une rencontre imprévue.

Une visite à la ville souterraine de Naours.—Les curiosités architecturales et archéologiques de Rouen.—Médouville fait l'historique de Rouen.—En route pour le Havre.—Descente du cours de la Seine.—Quelques vers de Victor Hugo au sujet du dramatique accident de Caudebec en 1843.—Les changements séculaires de l'estuaire de la Seine.—L'avenir du port du Havre.—Dirigeable en vue.

CHAPITRE XIV

M. Réviliod voyage.

Départ du «Réviliod n° 1».—En route pour la Bourgogne.—Firmin aéronaute.—Le département de l'Yonne à vol d'oiseau.—Montereau.—Auxerre et ses monuments.—Le château des Frênes.—M. et Mme Corgival.—Le tourisme en ballon dirigeable.

CHAPITRE XV

Huit cents kilomètres en dirigeable.

Traversée du Morvan.—Découvertes paléontologiques.—Le Petit Biscuitier fait de l'esprit.—Nevers et Bourges.—Traversée de la Sologne.—A bout d'essence et de lest.—Visites aux châteaux historiques des bords de la Loire.—Les vieux donjons de France: Montbazon, Loches, Langeais.—Tempête menaçante.—Retour au hangar.—Deux cent cinquante kilomètres en trois heures et demie.

CHAPITRE XVI

La Normandie à vol d'oiseau.

Un entrefilet de l'Aéro-Sport.—La vallée de la Seine en dirigeable. —.Aéroplanes et aéronat.—Traversée de l'estuaire de la Seine,.—Au revoir, Réviliod!—Les monuments historiques de la Normandie.—Caen.—Saint-Lô.—Avranches.—Histoire du Mont Saint-Michel.

CHAPITRE XVII

Le Mont Saint-Michel et ses environs.

Visite au Mont Saint-Michel.—Les curiosités du Mont.—La Merveille.—Les cachots.—Le marquis de Tombelaine.—Traversée du golfe.—Le marais de Dol.—Le Groin de Cancale et la Provence Cancalaise.—Circuit autour de la ville de Saint-Malo.—Descente de la Rance.—Dinan la Jolie et ses environs.

CHAPITRE XVIII

Le pays d'Armor.

En route pour Saint-Brieuc et Guingamp.—Un vol ininterrompu de trois heures.—Excursion en automobile aux rochers du Raz.—Les côtes de Bretagne.—Visite au phare de Penmarch.—Quimper, Vannes, Lorient.—Les îles bretonnes: Sein, Groix, Hoédic.—Les mégalithes du Morbihan.—Arrivée à Nantes.

CHAPITRE XIX

De Nantes à Toulouse.

De Nantes à La Rochelle.—Excursion dans l'île de Ré.—Un bain de pieds forcé.—Les rivages de la France sur l'Atlantique.—Une défection.—Les marais salants.—Bordeaux.—Remontée de la Garonne.—Agen et Toulouse.

CHAPITRE XX

Le Massif central.

Toulouse et Rodez.—Les Causses et les plateaux du Tarn.—Marvéjols.—Garabit et le viaduc.—Sainte-Énimie.—Les grottes de Dargilan.—Le puits de Padirac.—La Grotte des Fées.—Bramabiau et l'Aigoual.—Alais, Uzès, Arles.—Un coup de mistral.

CHAPITRE XXI

A travers la France en dirigeable.

Où l'on retrouve des figures de connaissance.—Charlot retrouve une place.—En route pour l'Est.—Metz.—Poursuivis par le «Zeppelin».—Excelsior!—Nancy.—Un passager de marque.—Une nuit à Besançon.—Lyon vu à vol d'oiseau.—Le mistral.—L'aéronat désemparé.—Le traînage.

CHAPITRE XXII

Le long de la Côte d'Azur.

Les suites d'un traînage.—Singulière rencontre.—Un obstiné.—En longeant la Côte d'Azur.—Marseille, Toulon, Nice.—A travers les contreforts des Alpes.—La houille blanche.—Arrivée à Aix-les-Bains.

CHAPITRE XXIII

Le retour.

Le Napoléon de l'aéronautique.—«On mettra les bouchées doubles».—Mauvaise humeur du sieur Charlot.—Arrivée de la flottille.—Une nouvelle alarmante.—Martin Landoux à la rescousse!—Une explication nécessaire.—En route pour Paris.—Un match de vitesse.—Catastrophe.










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Henry de Graffigny

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