60
DWIGHT passa avec précaution du quai à l’arrière de son bateau, un cruiser de douze mètres parfait pour de courtes sorties en mer. Une sensation de calme le pénétra aussitôt qu’il sentit le balancement du bateau sur l’eau. Les vagues qui frappaient doucement la coque en fibre de verre lui faisaient l’effet d’une berceuse. Dès l’arrivée de son partenaire de plongée, il gagnerait Shaw’s Cove et s’enfoncerait dans l’obscurité. Il ne connaissait pas de plus grand plaisir que la solitude de la plongée nocturne.
Mais avant de pouvoir profiter pleinement de cette exploration sous-marine, il avait une tâche à terminer. Il descendit dans la cabine, sortit son ordinateur portable de sa sacoche et cliqua sur la vidéo de la caméra de surveillance de Bel Air. Deux jours s’étaient écoulés depuis qu’il avait décidé de ne pas remettre à la police la vidéo de l’horrible agression dont Jerry avait été victime. Il espérait qu’en surveillant la maison en continu, il trouverait des explications à la mort de Susan et peut-être à l’agression de Jerry.
Il fit défiler rapidement l’enregistrement, ralentissant lorsqu’un détail retenait son attention. Quand il arriva à la fin, il repassa la séquence qui l’avait fasciné, l’interview croisée de Madison Meyer, Nicole Hunter et Keith Ratner.
Alex Buckley avait repéré quelques incohérences chez Madison, mais elles étaient mineures. Elle continuait à soutenir Frank Parker. La plus grande révélation était que Susan avait eu une altercation avec Nicole ce soir-là, après laquelle elle était sortie en trombe de la résidence.
Dwight savait avec quelle impatience Susan attendait son audition. Elle ne l’aurait pas manquée pour un empire.
Il revint en arrière une fois de plus, repassant sans cesse la question finale d’Alex Buckley : Où avait-elle pu aller ?
Il ferma les yeux et se souvint de Susan le soir où il s’était dit qu’il l’aimait vraiment. Ils avaient travaillé si tard au laboratoire que l’aube pointait. Ils avaient alors décidé d’aller en voiture jusqu’à l’observatoire Griffith, le meilleur endroit d’où assister au lever du soleil. Tandis qu’ils étaient assis sur l’herbe, dans la semi-obscurité, elle avait meublé le silence en racontant à quel point les filles pouvaient être mesquines les unes envers les autres, que la classe d’art dramatique était remplie d’actrices aussi talentueuses qu’elle, mais deux fois plus ambitieuses. Elle lui avait confié que beaucoup de ses camarades accordaient plus d’importance à leurs petits copains qu’à leurs amies. Qu’elle-même passait son temps à encourager Keith. Elle disait qu’il n’y avait qu’un endroit où elle pouvait se retrouver elle-même.
Où avait-elle pu aller ?
Dwight était pratiquement certain de le savoir.
Il afficha sur son ordinateur un calendrier de 1994 et se rafraîchit la mémoire. Le 6 mai, il y avait déjà plusieurs semaines qu’Hathaway l’avait surpris en train de pirater le système informatique de l’université. Dwight se souvenait de la date parce qu’il comptait les jours avant la fin du semestre. Il voulait aller à La Jolla faire de la plongée.
Pendant tout ce temps, il n’avait pas fait le lien entre la mort de Susan et un autre événement qui avait changé le cours de son existence.
Il ferma les yeux et se souvint de l’excitation de Susan à la perspective de son audition avec Frank Parker. Elle disait toujours qu’elle s’appliquait à être calme et concentrée avant de jouer une scène pour se focaliser sur son personnage. Si la dispute avec Nicole lui avait fait quitter la résidence à six heures, il lui restait trois quarts d’heure pour retrouver son calme. Si elle avait cherché un endroit où se sentir au calme et en sécurité, Dwight savait exactement où il était. Et il savait exactement ce qu’elle avait entendu quand elle y était arrivée.
Il se sentait fiévreux. Il se leva et se mit à marcher de long en large dans la cabine du bateau. Il avait du mal à contrôler sa respiration. Il avait besoin de retrouver son refuge à présent. Il avait besoin de se trouver dans l’eau.
Mais il voulait aussi révéler le résultat de ses réflexions. Son plan avait réussi : il pensait savoir qui avait tué Susan.
Il chercha le numéro de Laurie sur son téléphone et appuya sur la touche : Vous êtes sur la boîte vocale de Laurie Moran…
« Rappelez-moi dès que possible, dit-il après le signal sonore. Il faut que je vous parle. »
Il était tellement concentré sur son message qu’il n’entendit pas les pas sur le pont.