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Sur le parking des profs, en plein soleil, il fait chaud. Un vent léger emporte les pétales des cerisiers qui constellent le ciel bleu.
J’attends près de la voiture de M. Rossi. Lorsqu’il arrive enfin, je remonte l’allée vers lui.
— Pardon de vous harceler…
— Je t’en prie. Que puis-je pour toi ?
— J’ai cherché à vous apercevoir en salle des profs mais vous n’y étiez pas et ce midi vous n’êtes pas venu à notre rendez-vous…
Il sourit :
— Je pensais que l’hospitalisation de Léa avait changé la donne. Ses parents ont téléphoné pour dire qu’elle ne pourra pas revenir en cours avant la fin de l’année. Je suppose que tu es déjà au courant.
— Oui, mais je pensais…
Il ouvre son coffre et y dépose sa sacoche.
— Dois-je comprendre que tu voudrais que nous poursuivions nos rencontres ?
— On peut le faire dans un cadre moins formel, autour d’un café par exemple…
— Toi et moi n’avons plus besoin de code pour nous parler. Et je vais prendre un risque de plus en te confiant mon numéro de portable. Mais en échange, tu devras me signer un document de cinq cents pages stipulant que je n’ai jamais eu le moindre sous-entendu ambigu vis-à-vis de toi, ni aucun attouchement.
Sans doute à cause de la tête que je dois faire, il précise :
— Je plaisante, Camille. Tout va bien.
Il écrit son numéro sur un vieux ticket de caisse et me le tend.
— Tu as vu Léa ? Comment va-t-elle ?
— Mieux, mais ils hésitent encore à la sortir des soins intensifs.
— Je vais certainement passer la saluer. Il faut que je lui parle.
— Ça lui fera plaisir. Elle vous aime beaucoup.
Il ne répond pas et contourne sa voiture pour rejoindre le côté conducteur.
— Je dois te laisser, dit-il en ouvrant la portière. Essaie de te détendre. Consacre-toi aussi à tes révisions. Cette histoire prend une très grande place en toi. Tu te poses beaucoup de questions…
— Vous ne vous en posez pas ?
— Si, sans doute autant que toi, mais j’essaie de les affronter les unes après les autres. Alors que toi…
Je n’avais pas imaginé lui parler de ça, debout, dehors, avec une voiture entre nous.
— Tout le monde se pose autant de questions ?
— Je ne crois pas. Mais je n’ai aucune certitude.
Le vent souffle. Il neige des pétales.
— Y a-t-il un âge auquel on arrête de s’en poser ?
— Si cet âge existe, je ne l’ai pas encore atteint, parce que je peux t’assurer que ça ne se calme pas.
— Et vous trouvez les réponses ?
Il regarde vers le ciel et soupire. Puis lentement il revient vers moi. Je crois que nous n’avons jamais été aussi proches.
— Tu sais, Camille, trouver les réponses n’est pas le plus difficile. La vie te les apporte, tôt ou tard. Le plus dur, c’est de continuer à vivre en les connaissant.