•5•
Une lumière à la fenêtre
Encore en sueur au sortir du cours de gym, Becky et moi passâmes devant le manoir sur le chemin de la maison. Je remarquai quelque chose que je n’avais encore jamais vu : une lumière. Les fenêtres ! Elles n’étaient plus condamnées !
— Becky, regarde ! m’écriai-je, tout excitée.
C’était le plus beau de tous les cadeaux d’anniversaire ! Une silhouette se découpait derrière une lucarne. Elle regardait les étoiles.
— Oh ! non ! Alors c’était vrai, Raven. Des fantômes ! cria-t-elle en s’accrochant à mon bras.
— Ce fantôme-ci conduit une Mercedes noire ! dis-je en désignant une luxueuse voiture garée dans l’allée.
— Allons-nous-en ! supplia-t-elle.
Soudain, la lumière des combles s’éteignit.
Nous sursautâmes toutes les deux. Becky enfonça ses ongles dans mon sweat-shirt d’occasion. Nous attendîmes, les yeux écarquillés, sans voix.
— S’il te plaît, partons ! insista Becky. (Je refusai de bouger.) Raven, je suis déjà en retard pour le dîner et on le sera carrément plus pour la fête de Matt.
— Il te plaît Mattie, pas vrai ? la taquinai-je sans lâcher le manoir des yeux.
Comme elle ne réagissait pas, je me tournai vers elle. Les joues de Becky étaient toutes rouges.
— Mais c’est vrai, en plus ! Et c’est moi qui suis bizarre ? lançai-je en secouant la tête.
— Raven, il faut que j’y aille !
J’aurais bien attendu jusqu’au matin, mais les gens à l’intérieur ne semblaient pas disposés à sortir.
La lumière, derrière la lucarne, avait allumé un feu dans mon âme.
— Il y a une Mercedes garée devant le manoir ! informai-je ma famille au dîner.
J’étais en retard, comme d’habitude, sauf que c’était le soir de mon anniversaire.
— On dit qu’ils ressemblent à la famille Adams, commença Nerd Boy.
— Peut-être qu’ils ont une fille de ton âge, quelqu’un qui sait éviter les ennuis, ajouta ma mère.
— Elle me servirait à quoi, alors ?
— Peut-être que je pourrai jouer au tennis avec le père, intervint mon père, plein d’espoir.
— En tout cas, ils vont avoir un sacré boulot, parce que pour se débarrasser de toutes ces caisses et de tous ces miroirs…, ajoutai-je sans me rendre compte de ce que je disais.
Ils fixèrent tous leur regard sur moi.
— Quelles caisses ? demanda maman. Ne me dis pas que tu es entrée là-bas !
— C’est ce qu’on m’a dit, c’est tout.
— Raven ! tonna ma mère d’un ton désapprobateur.
Personne à Dullsville n’avait encore vu les nouveaux propriétaires du manoir. C’était génial d’avoir un mystère dans cette ville, pour changer. Tout le monde savait toujours tout ce qui se passait à Dullsville, et il ne s’y passait pas grand-chose d’intéressant.
Matt Wells habitait du bon côté de la ville, en bordure de la forêt d’Oakley. Becky et moi arrivâmes tard et fîmes une entrée digne de stars de cinéma à une première. Enfin, moi en tout cas. La pauvre Becky s’accrochait à mon bras comme si je la conduisais chez le dentiste.
— Tout se passera bien, la rassurai-je. C’est une fête !
Je savais pourquoi elle était nerveuse. Nous prenions le risque d’être ridiculisées alors que nous aurions pu rester tranquillement à la maison à regarder la télé, comme l’avait suggéré Trevor. Pourquoi les snobs auraient-ils le droit de s’amuser et pas nous ? Uniquement parce que la chambre de Matt était plus grande que mon salon, ou parce que nous ne portions pas des vêtements à la mode ? J’aurais peut-être dû rester chez moi le soir de mon anniversaire…
À notre arrivée, les snobs s’écartèrent comme la mer Rouge devant Moïse. Mes camarades de classe me regardèrent avec des yeux ronds, avisant mes vêtements gothiques habituels. Et dire que Tommy Hilfiger ratait ça… Dommage, car il aurait été flatté. Tout le monde portait ses créations comme un uniforme d’écolier. La musique d’Aerosmith résonnait dans le salon de Matt. Un épais nuage de fumée flottait au-dessus des canapés, et l’atmosphère était saturée d’une odeur de bière pareille à celle d’un encens bon marché. Les couples qui ne nous dévisageaient pas en fronçant les sourcils se regardaient amoureusement dans les yeux. Apparemment, essayer d’engager la conversation avec quiconque serait une perte de temps.
— Je n’arrive pas à croire que vous soyez venues, lança Matt en venant à notre rencontre dans l’entrée. Cela mériterait une photo, mais je ne suis pas sûr que vous impressionneriez la pellicule ! (Matt était un fanfaron, mais il n’était pas aussi cruel que Trevor.) La bière est là-bas ; vous voulez que je vous montre le chemin ?
Becky était très impressionnée par Matt. Elle secoua la tête et alla s’enfermer dans la salle de bains. Matt éclata de rire et se dirigea vers la cuisine. J’attendis dans le salon à côté d’une enceinte digne d’une salle de concert et jetai un coup d’œil aux CD. Michael Bolton, Céline Dion et quelques comédies musicales. Cela ne m’étonna pas.
Je retournai chercher Becky et trouvai la porte de la salle de bains ouverte. Comme elle n’était pas dans le couloir, je me faufilai entre mes camarades de classe bourrés et me rendis dans la cuisine. Un groupe de filles qui venaient de dépenser 100 dollars par tête chez le coiffeur me regardèrent de travers et s’éclipsèrent, me laissant toute seule. Du moins, je le crus.
— Salut, Petit Monstre. Tu es sexy ce soir, résonna une voix derrière moi.
C’était Trevor, bien sûr.
— Tu ressors la même phrase à chaque fête ?
Il eut un sourire de séducteur.
— Je n’ai encore jamais embrassé une fille avec les lèvres noires.
— Alors tu ne connais rien à la vie, répondis-je avant de passer devant lui pour me défiler.
Il m’attrapa par le bras et m’attira contre lui. Il fixa sur moi son regard vert et m’embrassa sur la bouche. Je dois avouer qu’il se débrouillait bien, et en plus il était très beau, ce qui ne gâchait rien.
Trevor Mitchell ne m’avait jamais touchée et encore moins embrassée. Enfin, sauf lorsqu’il m’avait mordu la main à la maternelle. Au mieux, j’avais eu droit à quelques tapes sur la tête en passant trop près de lui. Il devait être soûl. Ou alors c’était une plaisanterie. Oui, il devait se moquer de moi. Mais ses lèvres contre les miennes… On aurait dit qu’il avait apprécié autant que moi. Je ne sus trop quoi penser lorsqu’il m’entraîna par la porte de derrière. Nous passâmes devant un couple ivre affalé sur les marches, devant des poubelles et une fontaine, sous de grands arbres, dans les ténèbres.
— Tu as peur du noir, Petit Monstre ?
Les feuillages laissaient passer si peu de lumière que je distinguais à peine les rayures rouges de son sweat-shirt.
— Non, j’aime bien.
Il me plaqua contre un tronc et commença à m’embrasser pour de vrai. Ses mains se baladaient partout, sur moi, sur l’arbre…
— J’ai toujours voulu embrasser un vampire, dit-il en reprenant sa respiration.
— Et moi, j’ai toujours eu envie d’embrasser un homme de Néandertal.
Il rit et m’embrassa encore.
— Est-ce que ça veut dire qu’on sort ensemble ? demandai-je.
C’était mon tour de reprendre ma respiration.
— Quoi ?
— On ira en cours ensemble, on se donnera la main dans les couloirs, on déjeunera ensemble ? On regardera des films ensemble le week-end ?
— Ouais, si tu veux.
— On sort vraiment ensemble ?
— Ouais. (Il rit.) Tu me regarderas jouer au football, et moi, je te regarderai te transformer en chauve-souris. (Il me mordilla doucement le cou.) Je parie que tu aimes, pas vrai Petit Monstre ?
Mon cœur chavira. Bien sûr, je ne voulais pas vraiment devenir la petite amie de Trevor. Il n’était pas Mars, et moi, je n’étais pas Vénus. Nous n’appartenions pas au même univers ! D’ailleurs, je ne l’appréciais pas vraiment. Je savais pourquoi il m’avait entraînée dans cet endroit, je savais ce qu’il voulait faire et à qui il comptait le raconter. À la fin, ses copains lui donneraient 10 dollars parce qu’il aurait réussi à se faire la gothique de la classe. J’aurais voulu qu’il me démontre le contraire, mais…
Il était temps d’en avoir le cœur net.
— Tu veux que je te montre pourquoi je ne porte jamais de blanc ? Tu veux t’envoler avec moi ?
— Ouais ! s’exclama-t-il, un peu étonné mais enthousiaste. Je parie que tu voles comme Supergirl !
Je l’entraînai par-dessus une clôture de
bois et nous nous enfonçâmes dans la
forêt. J’y voyais manifestement plus clair que lui.
Mes habitudes de noctambule avaient fait
de moi un véritable animal nocturne. Je ne
voyais pas aussi bien que les chats, évidemment,
mais je me débrouillais. Je me sentais en
sécurité sous la lune lumineuse et magnifique.
Je levai les yeux et remarquai plusieurs
chauves-souris qui voletaient entre les
arbres. Je n’en avais jamais vu à
Dullsville. Il est vrai que je ne me rendais pas
à beaucoup de fêtes de
ce genre.
— Je ne vois rien, se plaignit Trevor en retirant une brindille de ses cheveux.
Il avançait les bras tendus devant lui comme s’il craignait de heurter quelque chose. Certaines personnes faisaient des ivrognes violents, d’autres des ivrognes pleurnichards. Trevor était du genre soûl et terrifié. Et je le trouvai déjà un peu moins beau.
— Arrêtons-nous ici, dit-il.
— Non, allons un peu plus loin, répondis-je en suivant les chauves-souris qui s’enfonçaient dans les bois. C’est mon seizième anniversaire. Je veux que cette nuit soit inoubliable ! Et très intime.
— L’ambiance est assez intime pour moi, rétorqua-t-il en essayant de m’attraper pour m’embrasser.
— On y est presque.
Je le tirai par la main. On ne voyait plus les lumières de la maison et on ne pouvait pas faire cinq pas sans heurter un arbre.
— Voilà, ici, c’est parfait, annonçai-je enfin.
Il me serra fort, pas parce qu’il m’aimait, mais parce qu’il avait peur. C’était pathétique.
Une brise légère soufflait entre les arbres, charriant un parfum de feuilles d’automne. J’entendis les chauves-souris couiner très haut au-dessus de ma tête. La pleine lune illuminait leurs ailes. La scène aurait pu être vraiment romantique si j’avais eu un vrai petit ami avec moi.
Trevor était complètement aveugle dans l’obscurité ; il touchait tout avec les mains et les lèvres. Il m’embrassa sur tout le visage et me caressa la taille. Même sans les yeux, il ne mit pas bien longtemps à trouver les boutons de ma chemise.
— Non, toi d’abord, lui dis-je.
Je soulevai son sweat-shirt d’un geste aussi assuré que possible. Je n’avais encore jamais fait ce genre de chose. En dessous, il portait un tee-shirt avec un col en V et un débardeur. Cela va prendre une éternité, pensai-je.
Je touchai son torse nu. Et pourquoi pas ? Il était juste devant moi. Doux, lisse et musclé.
Il m’attira contre lui, et mon chemisier soyeux et brodé toucha son torse dénudé.
— À toi maintenant, chérie. J’ai trop envie de toi, dit-il comme si on était dans un porno passant sur le câble.
— Moi aussi, lâchai-je dans un soupir en levant les yeux au ciel.
Je le fis asseoir sur la terre humide, lui retirai ses mocassins et ses chaussettes. Il se chargea tout seul du reste.
Il était allongé par terre, appuyé sur les coudes, complètement nu. Je le contemplai à la faible lumière de la lune, savourant ce moment. Combien de filles M. Beau-Gosse avait-il allongées sous un arbre avant de les jeter le lendemain ? Je n’étais pas la première et je ne serais pas la dernière. Toutefois, je me révélerais un peu différente des autres.
— Dépêche-toi, viens, me pressa-t-il. J’ai froid !
— Juste une minute. Je ne veux pas que tu me voies me déshabiller.
— Mais je ne vois rien du tout ! Même pas mes propres mains !
— Attends un peu.
J’avais les vêtements de Trevor Mitchell dans les mains. Son sweat-shirt, son tee-shirt, son maillot de corps, son treillis, ses chaussettes, ses mocassins et son caleçon. Autant dire toute sa puissance. Son masque. Sa vie. Qu’allais-je faire de tout cela ?
Eh bien, je pris mes jambes à mon cou. Jamais je n’avais couru si vite. On aurait dit que je m’étais entraînée tous les jours en cours de sport. Si M. Harris avait pu me voir, il m’aurait sûrement sélectionnée dans son équipe d’athlétisme.
Les chauves-souris s’éparpillèrent aussi, comme si elles suivaient mon exemple. J’atteignis rapidement la maison, les habits de Trevor coincés sous le bras. Les snobs qui buvaient sur la terrasse de derrière étaient trop occupés à parler de leur vie creuse pour me voir vider à moitié un sac-poubelle empli de canettes de bière et y fourrer les vêtements.
J’emportai le sac à l’intérieur et saisis une Becky surprise par le bras. Elle était en train de servir des bouteilles de bière à des joueurs de poker.
— Où étais-tu passée ? cria-t-elle. Je t’ai cherchée partout ! Je n’ai pas arrêté de servir ces tordus ! Bière, chips, bière, chips. Et maintenant ils veulent des cigares ! Tu sais, toi, où je peux trouver des cigares ?
— Oublie les cigares ! Faut se tirer vite fait !
— Eh ! ma poule, ils viennent, ces bretzels ? demanda un macho ivre.
— Le bar est fermé ! lui rétorquai-je. On ne t’a jamais appris à laisser un pourboire à la serveuse ? (J’attrapai ses gains et les fourrai dans le sac de Becky.) Allez, on y va ! lançai-je en l’entraînant avec moi.
— Il y a quoi dans ce sac ? voulut savoir Becky.
— Des ordures, quoi d’autre ?
Je la poussai par la porte d’entrée. Ce qu’il y a de bien quand on n’a pas d’amis, c’est qu’on ne doit dire au revoir à personne.
— Que s’est-il passé ? ne cessait-elle de demander tandis que je la tirais par la main et que nous traversions la cour. (Son pick-up vieux de dix ans nous attendait à l’autre bout de la rue comme une base arrière.) Où étais-tu, Raven ? Tu as des feuilles dans les cheveux.
J’attendis d’avoir parcouru la moitié du chemin qui nous séparait de la maison pour me tourner vers elle et m’écrier avec un grand sourire :
— J’ai baisé Trevor Mitchell !
— Tu as fait quoi ? cria-t-elle en retour, ce qui lui fit presque perdre le contrôle de la voiture. Et avec qui ?
— J’ai baisé Trevor Mitchell.
— Non ! C’est pas possible ! Tu n’aurais pas fait ça !
— Mais non, je parle au figuré. Je l’ai baisé jusqu’à l’os, et j’ai ses vêtements pour le prouver !
Je les sortis un par un du sac-poubelle. Nous rîmes et hurlâmes de joie comme Becky prenait un virage près de Benson Hill.
Trevor finirait par trouver le chemin de la maison, mais il n’aurait pas ses beaux habits pour se cacher. Il serait nu, frigorifié, seul. Sa véritable personnalité serait exposée au grand jour.
Je me rappellerais mon seizième anniversaire toute ma vie. Et Trevor Mitchell aussi.
Tandis que nous roulions sur la route de campagne déserte qui contournait Benson Hill, les phares éclairaient les arbres effrayants. Des papillons de nuit venaient frapper le pare-brise comme pour nous mettre en garde et nous pousser à rebrousser chemin.
— Le manoir est plongé dans le noir, remarquai-je. On s’arrête pour regarder un peu ?
— Ta fête d’anniversaire est terminée, répondit Becky d’une voix lasse en appuyant sur l’accélérateur. On ira l’année prochaine.
Soudain, les faisceaux des phares se posèrent sur une silhouette qui se tenait au milieu de la chaussée.
— Attention ! hurlai-je.
Un type à la peau blanche comme la lune et aux longs cheveux noirs, vêtu d’un manteau noir, d’un jean noir et de Doc Martens noires leva rapidement le bras pour protéger ses yeux de la lumière et non pour se préparer à être percuté par le pick-up.
Becky freina de toutes ses forces. Nous entendîmes un bruit mat.
— Tu n’as rien ? cria-t-elle.
— Non. Et toi ?
— Je l’ai percuté ? paniqua-t-elle.
— Je ne sais pas.
— Je n’ose pas regarder ! Je ne peux pas !
Elle se plaqua le visage contre le volant et fondit en larmes. Je descendis du véhicule, pris mon courage à deux mains et regardai autour du capot, effrayée par ce que je risquais de découvrir sur la chaussée.
Il n’y avait rien.
Je vérifiai sous le pick-up, cherchai des traces d’impact. Finalement, en y regardant de plus près, je remarquai des traces de sang sur la calandre.
— Vous êtes blessé ? demandai-je.
Il n’y eut pas de réponse.
Je pris une lampe torche dans la boîte à gants.
— Qu’est-ce que tu fais ? s’inquiéta Becky.
— Je cherche.
— Tu cherches quoi ?
— Il y a du sang sur…
— Du sang ? J’ai tué quelqu’un !
— Calme-toi. C’était peut-être une biche.
— Tu as déjà vu une biche avec un jean noir ? J’appelle les secours !
— Et le corps, tu y as pensé ? la raisonnai-je. Tu ne roulais pas assez vite pour le catapulter dans la forêt.
— Peut-être qu’il est sous la voiture !
— J’ai vérifié. À mon avis, tu l’as touché légèrement et il est parti, mais je veux en être sûre.
Becky m’attrapa par le bras, enfonça ses ongles dans ma chair.
— N’y va pas, Raven ! Partons d’ici ! J’appelle les secours !
— Verrouille les portières si tu veux, repris-je en me libérant de son étreinte, mais laisse le moteur tourner et les phares allumés.
— Raven, dis-moi…, commença Becky, le souffle court, en fixant sur moi son regard terrifié. Quel type normal se promènerait au beau milieu de la nuit sur une route non éclairée ? Est-ce que tu crois que c’était un… ?
Mes poils se dressèrent agréablement sur
mes avant-
bras.
— Becky, ne me donne pas de faux espoirs !
Je fouillai les buissons qui descendaient jusqu’au ruisseau, puis commençai à examiner le flanc de la colline sur laquelle était juché le manoir.
Je laissai échapper un cri.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Becky en abaissant sa vitre.
Du sang ! Des flaques épaisses dans l’herbe ! Mais pas de corps ! Je suivis les taches, craignant que son corps n’ait été réduit en morceaux et éparpillé partout. Alors je butai contre quelque chose de dur. Je baissai les yeux, m’attendant presque à découvrir une tête. La peur au ventre, je braquai le faisceau de ma lampe vers le bas. C’était un pot de peinture abîmé.
— Il est mort ? demanda Becky comme je la rejoignais.
— Non, mais je crois bien que tu as tué sa boîte de conserve, répondis-je en agitant le seau. Quelle idée de peindre au milieu de la nuit ! Et où allait-il comme ça ?
— C’était juste de la peinture ?
(Soulagée, Becky rangea son téléphone portable et
appuya sur l’accélérateur.) Allons-
nous-en !
— Que faisait donc ce débile au milieu de la rue en pleine nuit ? me demandai-je à voix haute. Il allait peut-être peindre des graffitis ou un truc de ce genre.
— D’où venait-il ? Où a-t-il pu disparaître si vite ? marmonna-t-elle lorsque je l’eus rejointe.
Tandis que je regardais la silhouette noire du manoir dans le rétroviseur, je vis une lumière s’allumer derrière une lucarne.