Chapitre XVI
Rendre le pouvoir à ceux qui font
Un désir profond de politique et d’engagement citoyen anime depuis longtemps notre pays. Pourtant, une fatigue démocratique s’est installée, qui ne supporte plus ce qu’il est convenu d’appeler le « système », l’inefficacité de l’action publique, la prise en otage de notre destinée par quelques-uns. Cela n’est pas propre à la France. Nombre de démocraties en particulier occidentales, vivent cela. La peur du déclassement, l’effroi devant un monde qui s’effondre, la fascination pour les extrêmes ou les démagogues, se nourrissent de ce ressentiment.
Dans ce contexte on m’opposera deux arguments : vous êtes du système, quelle leçon allez-vous nous donner ? Pourquoi réussiriez-vous à agir et à transformer le pays là où tant d’autres ont échoué ?
J’aurai deux réponses tout aussi directes : je suis le produit du système méritocratique français, j’y ai réussi, mais je n’ai jamais adhéré au système politique traditionnel. Si je pense réussir, c’est justement parce que je ne vais pas chercher à tout faire, je veux clairement exposer un dessein, vous en convaincre. Ce que je ferai, je le ferai avec vous.
Ce qui alimente la colère ou le rejet de nos concitoyens, c’est la certitude que le pouvoir est aux mains de dirigeants qui ne leur ressemblent plus, ne les comprennent plus, ne s’occupent plus d’eux. Tout notre malheur vient de là.
De ce fait, nombre de personnalités politiques se persuadent qu’il nous faut de nouvelles règles, de nouvelles lois, et pour certains, une nouvelle Constitution. Pourtant notre pays a pu avancer, il y a longtemps, avec cette même Constitution, et sans que la colère gronde.
L’essentiel est, avant tout, le bois dont les hommes sont faits. Lorsque les responsables politiques et les hauts fonctionnaires de ce pays avaient pris le maquis pendant la Seconde Guerre mondiale, ou passé plusieurs mois à la tête d’unités de blindés, ils ne se comportaient pas de la même manière. Mais il est évident que la morale publique, le sens de l’Histoire, la qualité humaine des dirigeants ne sont plus les mêmes qu’autrefois, et nos concitoyens le ressentent.
Dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, le général de Gaulle disait, dans une formule restée célèbre, qu’une Constitution, « c’est un esprit, des institutions, une pratique ». L’esprit des institutions de la Ve République ajoutait-il, procédait de la nécessité « d’assurer aux pouvoirs publics l’efficacité, la stabilité et la responsabilité ». Ce sont des objectifs que je souhaite reprendre à mon compte et qui sont aujourd’hui admis comme des atouts historiques pour notre pays.
Ma conviction est que les Français sont lassés des promesses qu’on leur fait régulièrement de réviser les institutions, soit pour « les ajuster », soit pour « les adapter aux nécessités du temps », soit encore pour constituer une « VIe République ». Je ne crois pas que les Français fassent de cette réécriture une priorité. Ce n’est pas cela qui apportera des réponses concrètes à leurs problèmes. Je ne nie pas que sur certains sujets – comme la durée du mandat présidentiel, la réduction du nombre de parlementaires ou la réforme de telle ou telle assemblée –, une révision de nos institutions puisse s’avérer utile, mais je pense d’une façon générale qu’on ne doit réformer le cœur de nos institutions ou s’approcher de la loi fondamentale que la main tremblante. Nous le ferons en temps voulu.
C’est dans la pratique, à mon avis, que réside l’essentiel des changements à opérer. Modifier les conditions de la représentativité, faire évoluer les modes de scrutin lorsque c’est souhaitable, prendre des dispositions permettant de lutter efficacement contre le bavardage législatif et l’instabilité des règles, voilà le type de mesures qui permettra à la politique de se décentrer d’elle-même, et de servir un peu plus, un peu mieux, la France et les Français.
L’enjeu est de savoir comment notre pays peut se doter de dirigeants publics qui puissent le représenter davantage, et qui soient à la hauteur du moment. Les Français, à juste titre, considèrent que leurs représentants ne leur ressemblent pas. Un quart seulement des parlementaires, et ce malgré la loi sur la parité, sont des femmes. Trente-trois sont avocats et cinquante-quatre sont des cadres de la fonction publique. Leur poids à l’Assemblée est démesuré par rapport à leur poids dans la société. À l’inverse, une seule parlementaire est issue de l’artisanat, alors que les artisans sont plus de trois millions dans notre pays, et tout juste une douzaine à peine de parlementaires sont issus de la diversité.
Il ne s’agit pas de comptabiliser les parlementaires selon la couleur de leur peau ou l’origine de leur nom. Mais comment ne pas être frappé par la différence qui s’est accentuée entre le visage de la France et celui de ses représentants ? Introduire davantage de proportionnelle, sans nuire à l’efficacité de notre système démocratique, est d’évidence une solution. Bien sûr, je mesure les conséquences d’un tel changement : davantage d’élus du Front national entreraient sans doute au Parlement. Mais comment peut-on justifier que presque 30 % des électeurs déclarent voter pour ce parti et que le Front national n’ait que très peu de représentants ? Ce qu’il faut, c’est combattre ses idées plutôt que de l’empêcher d’être représenté.
Nous prendrons garde cependant à ne pas passer d’un défaut à un autre. D’abord je crois profondément que les Français se soucient moins de représentation que d’action. Ils demandent aux hommes politiques d’être efficaces, voilà tout. C’est à nous de les convaincre que le renouvellement du monde politique y aidera. Et c’est aussi pour cela que nous devrons veiller à ce que toute réforme du mode de scrutin n’affaiblisse pas notre efficacité, favorise un vrai renouvellement et non les acteurs dévoués aux partis et aux structures.
Pour renouveler la classe politique, le non-cumul des mandats est aussi une voie. On le sait, dès 2017, la loi actuelle interdira de cumuler une fonction de député ou de sénateur et un mandat exécutif local. C’est une bonne chose, même si à mes yeux le non-cumul des indemnités eut été suffisant et que la question de permettre une représentation des territoires au Sénat doit être posée. Mais cela ne permet pas d’encourager suffisamment le renouvellement. C’est pourquoi je suis favorable au non-cumul des mandats de parlementaires dans le temps. Le but n’est pas de sanctionner les élus qui ont de l’expérience : car la politique, comme tout le reste, nécessite un savoir-faire et des compétences. Toutefois, quand la politique n’est plus une mission mais une profession, les responsables politiques ne sont plus des engagés mais des intéressés.
Pour que la politique serve de nouveau les Français, je crois plus à l’engagement qu’aux interdits. L’enjeu est moins d’empêcher les élus de le rester que d’encourager de nouvelles personnes à se lancer, en particulier ceux qui ne sont ni fonctionnaires, ni collaborateurs d’élus ou salariés d’un parti, ni professionnels libéraux. Et c’est pourquoi, il faut surtout s’occuper de ce qu’il se passe avant d’être élu, et travailler directement avec les représentants des salariés et des employeurs pour accompagner ceux qui prennent des risques, ceux qui font campagne, ceux qui veulent s’engager pour notre pays !
Plusieurs entreprises ont mis en place des organisations qui permettent à leurs salariés d’aller se présenter aux élections – Michelin par exemple – et, s’ils sont élus, de pouvoir retrouver leur poste à la fin du mandat avec le même avancement que s’ils étaient restés dans l’entreprise.
Il faut aussi accompagner les élus qui quittent leur fonction : si tant d’élus veulent rester en place, c’est parce que, bien souvent, ils ne savent pas quoi faire après. Des dispositifs devraient être mis en place pour les aider à se reconvertir. Notre société le leur doit, car eux-mêmes ont passé du temps à se battre pour elle.
Dans le même temps, il faut revivifier nos appareils sclérosés. Ce point-là est un angle mort du débat démocratique. De nos jours, les partis ont renoncé à leurs missions d’intérêt général. Ils se sont concentrés sur leur intérêt particulier, qui est de subsister coûte que coûte. Cette dérive n’est pas de gauche ou de droite, car elle est aussi bien à gauche qu’à droite ; elle n’est pas démagogue ou républicaine, car elle est aussi bien représentée aux extrêmes qu’au sein des partis républicains. Elle nourrit la cooptation, les petits arrangements, et transforme des gens qui s’engagent en apparatchiks.
Si les partis ne se transforment pas, la représentativité au Parlement ne servira à rien : nous ne ferons que remplacer des apparatchiks par d’autres apparatchiks. Or la clef, c’est justement de faire en sorte que la société s’empare de la politique ! Pour revivifier les partis, il faut qu’ils retrouvent leur raison d’être : former, réfléchir et proposer. Former, pour faire émerger de nouveaux talents, par exemple en créant des académies accompagnant les jeunes qui veulent apprendre à s’exprimer en public, à faire de la politique. Le mouvement que nous avons lancé, En Marche !, doit, à ce titre, donner l’exemple. C’est pour cela que j’ai tenu à ce que des femmes et des hommes venant de la société civile puissent acquérir des responsabilités. Ils sont largement majoritaires dans nos rangs ; plus de 60 % de nos délégués nationaux et de nos référents territoriaux ne sont pas élus et ne l’ont jamais été. Nous veillerons aussi à limiter dans le temps les responsabilités au sein de ce nouveau mouvement.
Cette meilleure représentation est tout aussi essentielle dans le monde syndical. Nous n’aurons un syndicalisme fort, lequel est indispensable, que si nous l’encourageons par la mise à disposition des ressources humaines, en fonction des préférences des salariés, que si nous lui donnons plus de responsabilité réelle dans les branches et les entreprises, que si les syndicats eux-mêmes savent se renouveler. Cela veut dire construire des carrières où les représentants nationaux ne sont pas des cumulards de mandats qui les éloignent du quotidien des salariés mais où, là aussi, l’engagement est pris en compte et avec une durée déterminée.
Il n’est pas question de tomber dans un discours de stigmatisation des élus, politiques et syndicaux. Ce qui n’est pas acceptable, c’est lorsqu’une caste se constitue, repliée sur elle et qui impose ses propres règles. Et cela est bien plus le fait des partis et des structures que des élus eux-mêmes. Songeons que lorsque nous parlons des élus, nous visons aussi les 375 000 Français qui œuvrent bénévolement dans les 36 500 conseils municipaux. Et n’oublions pas que les représentants syndicaux ne comptent ni leur temps ni leur dévouement.
La haute fonction publique ne doit pas non plus être exempte d’une plus grande exigence. Si les hauts fonctionnaires se sont constitués en caste et donnent le sentiment de diriger dans l’ombre les affaires du pays, ils sont sélectionnés par un concours et ne font pas l’objet d’une cooptation de complaisance comme nombre de cadres de partis. Dans les postes de commandement, et il y en a près de 300, ils sont nommés chaque mercredi en conseil des ministres. Je suis à cet égard favorable à ce que nous maintenions le concours, celui de l’ENA, comme les autres. Car c’est une sélection sur le mérite. Sans doute peut-on améliorer les études et la nature des épreuves mais ce n’est pas là le sujet d’une élection présidentielle.
En revanche, nous devons moderniser cette haute fonction publique de deux façons. D’abord en ouvrant bien davantage les postes de direction à des non-fonctionnaires. Mais cela exige que l’État sache être un employeur qui attire les talents, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas : il les paye mal et il est bien souvent ingrat, les dirigeants politiques utilisant plus souvent cette voie pour le « copinage » que pour le recrutement de profils d’exception. Ensuite, il n’est plus acceptable que les hauts fonctionnaires continuent à jouir de protections hors du temps. L’appartenance à un corps, le droit au retour, sont des protections qui ne correspondent plus, ni à l’époque ni aux pratiques dans le reste de la société. Lorsqu’on appartient à l’encadrement supérieur de l’État il est normal d’être protégé, c’est le gage de la neutralité et de l’indépendance. Mais celle-ci doit aller avec un risque, une évaluation plus rigoureuse et, surtout, elle ne doit pas être une protection acquise pour toujours. Cela doit être attaché à une fonction et non à un corps administratif qui protège toute la vie durant.
C’est d’ailleurs pour cela que j’ai décidé de démissionner de la fonction publique en me présentant à l’élection présidentielle. Non que je considère que tout fonctionnaire doive démissionner pour être candidat. Mais je souhaite être cohérent avec le discours de prise de risque et de responsabilité que je porte pour le reste de la société.
La responsabilité est précisément ce qui, me semble-t-il, peut contribuer à restaurer un peu de cette morale collective dont nous avons tant besoin.
La responsabilité, c’est d’abord celle du Gouvernement devant le peuple, c’est-à-dire devant le Parlement. Actuellement, notre système rend possible l’irresponsabilité. Les exemples sont nombreux. Sur l’intervention militaire en Libye, par exemple, les Britanniques ont mis en place une commission d’enquête pour déterminer si, oui ou non, les dirigeants britanniques ont eu raison de lancer cette intervention franco-britannique, malgré les conséquences géopolitiques qu’elle a entraînées : l’avons-nous fait et avec un niveau d’exigence satisfaisant ? Tout événement ayant un impact d’ampleur sur notre sécurité nationale devrait pouvoir entraîner naturellement la constitution de commissions d’enquêtes parlementaires.
En parallèle, doit être favorisée la responsabilité des ministres. Ce qui importe, c’est de vérifier, en transparence, la probité et l’intégrité de celle ou celui qui est nommé ministre. C’est pourquoi il faudrait subordonner l’accès aux fonctions ministérielles à l’absence d’inscription au casier judiciaire B2, comme c’est déjà le cas pour la fonction publique. Et c’est d’ailleurs ce que nous avons fait pour les postes à responsabilités au sein d’En Marche !. Il faudrait également examiner l’expertise ou le potentiel d’une personne nommée dans le cadre d’une audition par les commissions compétentes du Parlement. Un ministre, sitôt nommé, doit s’imposer à une administration, à des interlocuteurs, à un secteur d’activité.
L’ultime responsabilité, enfin, est politique. Elle exige une révolution de pratiques devenues inadaptées. Nul ne quitte, par exemple, le champ politique, même après les défaites ou après les sanctions démocratiques. La responsabilité politique, c’est aussi accepter de jouer les règles du jeu et avoir la dignité d’en tirer les conséquences quand on s’est égaré. Peut-on imaginer sérieusement présider aux destinées du pays, ou même simplement se présenter aux suffrages des Français, alors que sa probité personnelle a été mise en cause ? Je ne le pense pas. Mais sur cette question, il faut être précis. Nous pouvons tous commettre des erreurs dans la vie. C’est humain. Nous avons tous le droit de nous racheter des fautes que nous avons pu commettre dans le passé. C’est justice. Mais lorsqu’on est responsable politique, qu’on se propose d’accéder aux plus hautes fonctions électives et de représenter le pays, je crois que toutes les fautes ne se valent pas. Il en est certaines qui vous disqualifient radicalement lorsqu’il s’agit, par exemple, d’« atteintes à l’administration publique », « d’atteintes à l’autorité de l’État » ou de financement politique. Dans de tels cas, il faut avoir la décence de s’effacer. C’est en tout cas ma conception de l’engagement et de la responsabilité politique. Car avant de demander qu’on vous confie des responsabilités, il faut d’abord savoir prendre les siennes.
Alors pourquoi serions-nous plus efficaces ? Pourquoi devrions-nous y arriver là où tant d’autres ont échoué ?
Je ne crois pas d’abord qu’il y ait une fatalité à l’échec. Si nous voulons que la politique serve de nouveau les Français, il faut s’atteler à la rendre efficace.
Aujourd’hui, les Français ont l’impression que leur Gouvernement ne gouverne plus : l’Europe, les partis, les marchés, les sondages, la rue, il existe une confusion sur le détenteur du pouvoir. Il faut donc que le Gouvernement se réapproprie l’action, en l’expliquant. Car l’expliquer, c’est ce qui permet à la société de l’accepter. Quand il n’y a pas de clarté des gouvernements, le peuple se cabre. Pourquoi les réformes de 1995 ont-elles été bloquées par la société ? Parce que ni le président de la République, dans son programme, ni le Premier ministre, dans l’exercice de son pouvoir, n’avaient pris la peine d’expliquer. Pourquoi la loi Travail a-t-elle suscité autant d’indignations ? Pour la même raison : parce que ni le président de la République, ni le Premier ministre, n’avaient pris le temps de la clarté. Il faut savoir communiquer, expliquer, plutôt que faire de la communication. Or aujourd’hui, les gouvernements du tweet ou de la dépêche se substituent aux gouvernements de l’explication et du temps long. Il faut donc faire émerger les conditions qui permettent au Gouvernement de communiquer avec clarté. Et il faut dire, aussi, pour gouverner clairement, ce sur quoi on n’a pas prise. Il faut dire ce sur quoi on n’a pas les moyens d’agir. Elle est là, l’exigence de clarté.
Être efficace, c’est en finir avec le bavardage législatif. Avec la surtransposition des textes communautaires. Avec les lois de circonstance. Ce vieux réflexe français, qui consiste à faire de tout sujet une affaire de règle ou de droit, est devenu insupportable. Plus de cinquante réformes du marché du travail se sont succédées en quinze ans ! Et, pendant ce temps, le chômage n’a cessé d’augmenter. C’est bien la preuve que la loi n’est pas la panacée !
Avant de préparer une règle nouvelle, il faut commencer par une véritable évaluation des situations concernées. Plus généralement, il conviendra, en modifiant l’organisation, le recrutement et les méthodes de l’administration, d’en finir avec cette conception héritée du xixe siècle, qui fait de la rédaction d’un texte la finalité de l’action administrative. Le but de celle-ci doit être la réalisation d’un projet, non l’édiction d’une norme. Et ceci suppose une véritable « conversion » des acteurs publics. Les politiques publiques sont plus efficaces lorsqu’elles sont construites avec les concitoyens auxquels elles sont destinées. Il en est ainsi de la lutte contre la pauvreté, comme de la politique scolaire et de tant d’autres actions.
La discussion des textes, ensuite, devra être plus rapide. Car il est urgent de réconcilier le temps démocratique et le temps de la décision avec celui de la vie réelle et économique. Je l’ai vécu lors de l’examen de la loi pour la croissance et l’activité, où j’ai passé plusieurs centaines d’heures, d’abord en commission, puis en séance, à débattre des mêmes articles avec les mêmes personnes, une première fois, puis une deuxième, puis une troisième, puis une quatrième ! Aujourd’hui, on sait qu’il faut plus d’un an en moyenne pour voter une loi et, au moins autant, sauf exception, pour prendre les décrets d’application. Il faut donc revoir la procédure d’adoption des lois.
Dans le même temps, il faut accroître l’évaluation des politiques encore en œuvre et augmenter les contrôles de l’action publique. L’évaluation doit devenir systématique. Car aujourd’hui, combien de lois votées ne sont pas appliquées ? Et combien de lois appliquées ne remplissent pas leurs objectifs initiaux ? Chaque fois qu’un texte est voté, il devrait donc être obligatoire d’évaluer son efficacité, deux ans après son application. Chaque texte important devrait contenir une clause d’abrogation automatique en l’absence d’une évaluation probante.
Être efficace, enfin, c’est garantir la stabilité des lois et des textes que l’on prend. On ne peut pas, durant une même mandature, modifier la structure d’un impôt ou d’une politique publique chaque année ou chaque semestre. La procédure d’évaluation que je viens d’évoquer est un bon garde-fou mais elle ne suffit pas. Je souhaite que l’engagement soit pris de ne modifier un impôt ou de réformer une politique publique qu’une seule fois dans la durée du quinquennat. C’est un élément d’efficacité indispensable.
Tout ceci bien entendu va de pair avec une refonte de l’organisation de l’État. Là aussi il faut de la sobriété et de la stabilité. Peu de ministres et des périmètres stables. La loi, le règlement, la circulaire ministérielle doivent définir un cadre, mais l’autonomie sur le terrain est aujourd’hui indispensable. Au niveau de l’État, il s’agira de rendre le pouvoir à ceux qui connaissent le mieux les réalités et de faire confiance aux agents. Ils sont dans les hôpitaux, dans les lycées, dans les collèges, dans les commissariats, dans les prisons. Et il faut leur donner plus d’autonomie, parce que chacun d’eux est confronté à des problématiques spécifiques, qui ne peuvent pas être réglées par l’État central.
Une nouvelle étape de ce qu’on appelle la déconcentration est, à cet égard, nécessaire. Cela signifie transférer le pouvoir et des responsabilités de l’administration centrale vers l’administration de terrain – celle qui est en prise directe avec la population. Car sur le terrain, les responsables connaissent les solutions et sont bien souvent en capacité de trouver des accords pragmatiques avec les autres acteurs, là où les logiques des directions centrales et des ministères prennent plus de temps, sont plus rigides et éloignées des réalités locales.
La refonte de l’organisation de l’État suppose logiquement de revoir la manière de gérer l’administration et les fonctionnaires. Nous devons bâtir un système plus ouvert et plus mobile. Plus ouvert en facilitant les recrutements de profils diversifiés dans le secteur privé, et cela à toutes les étapes de la carrière, et à tous les étages de la fonction publique. Plus mobile afin de mieux répondre aux usagers pour que les fonctionnaires soient plus nombreux là où les besoins sont les plus importants, et d’offrir des opportunités de carrière nouvelles aux fonctionnaires.
On le voit, l’actuel statut de la fonction publique ne répond plus aux attentes de nos concitoyens et aux réalités de l’État, de l’hôpital et des collectivités locales. Ce n’est pas la faute des fonctionnaires et je veux ici rappeler leur dévouement et leur sens du service. Mais nous devons pour eux et pour les Français regarder en face nos propres insuffisances actuelles.
J’ai conscience que cette refonte de l’organisation de l’État viendra heurter des habitudes mais cette révolution est essentielle pour gagner en efficacité et libérer les initiatives des fonctionnaires.
Plus largement, je crois dans un nouveau partage démocratique. Je crois que nous pouvons réussir justement en faisant confiance et en donnant plus de pouvoir à ceux qui font. Ce nouveau partage démocratique doit donner les moyens d’agir à tous ceux qui sont le mieux placés pour le faire.
C’est le fondement de la République contractuelle dont nous avons besoin, de la République qui fait confiance aux territoires, à la société et aux acteurs pour se transformer. Cela implique une discipline à laquelle nous ne sommes pas accoutumés : donner plus d’autonomie à ceux qui sont chargés d’agir ; oser l’expérimentation, pour voir ce qui fonctionne, ce qui vaut la peine d’être mis en place, ce qu’il est urgent de retirer ; regarder tout ce que la société fait mieux que l’État et lui en confier la responsabilité.
L’idée que je me fais de la démocratie, ce ne sont pas des citoyens passifs qui délèguent à leurs responsables politiques la gestion de la nation. Une démocratie saine et moderne, c’est un régime composé de citoyens actifs, qui prennent leur part dans la transformation du pays.
L’État a évidemment toujours vocation à jouer un rôle central. Ce rôle devra même être renforcé car dans de nombreux domaines, il faut plus d’État. Pour l’exercice des missions régaliennes, l’État doit pouvoir disposer de l’ensemble des moyens nécessaires. Pour la protection contre les grands risques de la vie, il faut aussi que l’État reprenne la main. Pour assurer un bon fonctionnement de notre économie, il doit demeurer le garant de l’ordre public économique.
Les collectivités locales et leurs élus doivent jouer un rôle accru. Disposer de compétences et de libertés au plus près du terrain. C’est une nouvelle étape de transfert des pouvoirs vers ces collectivités que nous devons décider durant les prochaines années. Cette décentralisation devra s’accompagner d’un grand pragmatisme qui a parfois manqué.
Les partenaires sociaux doivent disposer d’une responsabilité accrue pour pouvoir définir les conditions de travail au niveau des branches et des entreprises.
Les associations doivent prendre une place plus importante, comme elles le font déjà, dans des domaines comme la santé, l’éducation, l’action sociale, l’intégration…
Les citoyens eux-mêmes doivent désormais être considérés davantage comme des acteurs des politiques publiques que comme des administrés. Ma volonté est de définir l’espace des responsabilités de chacun, mais de rendre le pouvoir à ceux qui font.
Nous avons une chance formidable : les Français ne veulent pas subir. Ils veulent s’engager. Ils s’engagent déjà, et de plus en plus ! Il faut donc mieux les considérer, mieux les accompagner. Car ce sont eux, nos héros d’aujourd’hui et de chaque jour.
Ils sont nos héros, parce que des actions essentielles sont portées par nombre d’entre eux. Ceux qui s’engagent de façon bienveillante, désintéressée et pour les autres. Qu’ils militent, qu’ils exercent un mandat ou qu’ils soient bénévoles dans une ONG, nombreux sont ceux qui prennent du temps sur leur vie de famille, sur leurs soirées. Les millions de Français qui s’impliquent dans nos associations, les 200 000 sapeurs-pompiers volontaires qui s’engagent pour assurer notre sécurité civile… La volonté de servir est là, partout sur le territoire. Dans les entreprises, dans les associations, dans les ONG, dans les syndicats, dans les collectivités territoriales, partout. La puissance publique doit continuer de les soutenir pour faire fructifier cette énergie. Elle doit les accompagner, leur donner plus de souplesse, leur faire confiance. Cet engagement, partout, est le dernier maillon de la chaîne de l’action. C’est ce qui tient notre pays. C’est ce qui garantit notre unité, notre cohésion. C’est ce qui conditionne l’efficacité, sur le terrain, de notre action collective. C’est ce qui fait que la solidarité, l’égalité, la liberté, ne sont pas de vains mots. Les Français ont la passion de leur pays et des autres : ils veulent servir plutôt que subir ! Donnons-leur les moyens de le faire.
J’ai la conviction farouche que nous pouvons oser l’avenir, et façonner de nos mains notre destin. Qu’il suffit pour cela de nous réconcilier avec nous-mêmes. Toutes les pages qui précèdent en sont, je l’espère, la démonstration. C’est cette même conviction qui m’a conduit à écrire.
À l’origine de cette aventure se trouvent des femmes et des hommes qui veulent avant tout faire avancer le progrès. Tous avec moi sont convaincus que pour y parvenir nous devons faire confiance à nos concitoyens et ne jamais perdre de vue la réalité.
J’aime la simplicité désintéressée de ces Français qui, pour beaucoup, n’avaient jamais connu d’engagement politique et qui décident, chaque jour, de participer avec nous à cette initiative inédite. J’admire aussi la facilité avec laquelle des femmes et des hommes, de tous horizons, réussissent, de manière éclatante, à dépasser les clivages du passé pour se retrouver dans un même projet.
Ils renouent avec ce que la politique a de plus noble : transformer le réel, déployer l’action, restituer le pouvoir à ceux qui font.