CHAPITRE VI
— En général, on m’offre des fleurs ! dit une voix étonnamment jeune en provenance d’un haut-parleur, tandis que je m’extrais de la nacelle, l’éolienne à la main.
Une exclamation étouffée à la vue de ma tenue, puis le silence lorsque Marika se sépare de moi.
— Vous avez d’autres surprises en réserve ? interroge le haut-parleur.
— Il y a un chat dans le sac. Sinon, je crois que c’est tout.
Je jette un coup d’œil autour de moi, dans la soute vide, et repère une caméra à laquelle j’adresse un profond salut.
— On retourne au vaisseau ! décide la voix. Il faut que j’aie une conversation avec Falstaff.
— J’ai peur qu’il ne soit débordé de problèmes en ce moment, ne puis-je m’empêcher de rétorquer.
— On verra bien. Accrochez-vous !
Un virage sec, la navette se cabre et je suis projeté dans la nacelle. L’épaule endolorie, je détache le sac à dos raide de sang coagulé. Ombre se réfugie dans mes bras.
— Faites un peu attention ! grogné-je en le réconfortant de mon mieux.
— Désolée, je n’ai jamais prétendu conduire bien. Vite, à la rigueur… Vous n’êtes pas blessé ?
— Comparée aux dernières vingt-quatre heures, vous êtes un ange de douceur ! Je vous présente Ombre, c’est le chat, et Marika. Je suis Monteori, l’artiste.
— Je vous imaginais autrement…
— Habillé, peut-être ? Écoutez… (Je cherche un mensonge plausible, me rabats sur la vérité en désespoir de cause.) Mes habits ont été mangés par le piano de Falstaff, même si ça a l’air absurde. On a la totalité des forces de la planète aux fesses et il se prépare une révolution dont vous n’avez pas idée. J’ai un plan pour dénouer tout ça mais j’ai besoin de vous. En plus, j’ai toujours rêvé de vous rencontrer. Vous êtes une de mes légendes préférées…
— Vous, au moins, vous savez parler aux filles ! Cramponnez-vous, on va s’encastrer dans la cale.
Marika a repris son expression boudeuse des grands jours. C’est peut-être la rareté qui rend son sourire si précieux. Agrippé à un longeron, la tête martelée par un fracas métallique, je tente de la convaincre de me rejoindre. Elle n’écoute même pas.
Le fond de la soute bascule. Nous suivons une coursive étroite qui débouche sur un salon meublé d’un empilement incongru de coussins. Un peignoir de soie orné d’un dragon rouge est plié sur le sommet de la pile. Je l’enfile sous l’œil réprobateur de Marika. Le contact de la soie sur mes écorchures est apaisant, presque irréel à force de douceur. Un discret parfum monte jusqu’à mes narines. Je m’affale parmi les coussins et rabats les pans du peignoir sur mes jambes. Ombre, très digne, s’installe sur mon ventre.
— Vous êtes décent ? interroge une voix invisible.
— Ridicule serait plus juste, soupiré-je. En tout cas, vous pouvez entrer.
Un instant plus tard, elle est debout près de moi. Un petit bout de femme au visage lisse, sans âge, coiffée d’un chignon sommaire surmonté d’un papillon de verroterie. Ses yeux gris acier me détaillent de la tête aux pieds, elle a une moue qui pourrait passer pour de l’approbation. Je me relèverais bien mais Ombre n’apprécierait pas.
— Falstaff est injoignable et la Ville est en état de siège. J’ignore même si j’obtiendrai l’autorisation de décoller. C’est vous qui êtes responsable de ce bordel ? À vous voir comme ça, j’ai du mal à le croire.
— C’est à cause de votre peignoir…
Je hausse les épaules, fatigué d’avance des palabres qui nous attendent. Mon mutisme la désarme.
— Et vous, quel est votre rôle là-dedans ? lance-t-elle à Marika. Le fantôme de service ?
Leurs regards se jaugent et je sens cliqueter l’acier des épées. Ombre se hérisse, j’emprisonne sa tête dans mes doigts.
— Je vous promets une belle histoire, mais pas ici. Dès que nous aurons quitté l’orbite terrestre, je vous raconterai tout.
— Les décollages sont suspendus, jeune homme. Mon tas de ferraille est vissé au sol pour un bon moment.
C’est le moment de jouer mon va-tout. Je vrille mon regard dans le sien.
— Je croyais que personne ne retenait Mademoiselle L… Le feu follet du cosmos, l’aventurière sans amarres. C’est censé être vous, non ?
— C’est juste une tenue de scène, soupire-t-elle. L’envers du décor est beaucoup plus poussiéreux. Ce vieux clou est incapable de dépasser la banlieue solaire, la climatisation a des ratés et la réserve d’alcool est au plus bas.
— Nous avons l’habitude de voyager à la dure, dis-je en m’étirant. Emmenez-nous vers un endroit calme, hors de l’atmosphère. S’il vous plaît.
Elle secoue la tête. J’abats ma dernière carte :
— Pour une fois, montrez-vous à la hauteur de votre légende ! Ne me décevez pas, Léonora… Mon récit en vaut la peine.
Au bout d’un long moment, elle détourne les yeux et lance à Marika :
— Vous arrivez à le supporter ? Vous êtes une sorte de sainte, ma petite. Je vais faire chauffer les moteurs. Vous avez gagné une visite guidée dans le dépotoir de l’espace. Ne venez pas vous plaindre après.
Deux minutes plus tard, un vrombissement sourd monte des entrailles de la coque. Ombre relève la tête et, rassuré, se recouche. Les yeux mi-clos, je souris à Marika.
— Il paraît que je sais parler aux filles ?
— Referme ton peignoir, réplique-t-elle avec effort.
Tous les détails du décor sont visibles à travers elle, à peine brouillés par l’aura qu’elle dégage. Seule sa rage de vivre l’empêche de se dissiper comme une fumée. Je me relève d’un bond et l’enveloppe de mes bras. Épuisée, elle se réfugie en moi et se love dans ma poitrine.
Je m’allonge sur le dos, paupières serrées. Ombre reprend sa place sur mon ventre. L’accélération me plaque contre les coussins.
Nous avons décollé. Le plus dur reste à faire.
— Vous savez, je suppose, que votre histoire est invraisemblable ?
Je repose l’éolienne miniature avec laquelle je jouais et hoche la tête.
— J’étais sûr qu’elle vous plairait. Vous êtes plutôt… improbable, vous aussi.
Je ne lui ai presque rien caché de nos péripéties. À quoi bon mentir, la vérité est un masque suffisant. Une étrange complicité est en train de s’installer entre nous, dans ce réduit encombré d’écrans verdâtres qu’est le poste de pilotage. Léonora, pelotonnée sur un siège baquet, manipule les commandes et le vaisseau, docile, redresse sa course. Rencogné sur un tabouret, je l’observe sans me cacher. Elle ressemble si peu à ce qu’elle aurait dû être qu’elle en devient fascinante.
— Je me demande…, soliloque-t-elle. Je devine quelles sont les forces en présence, le rôle des Villes paraît clair, même si je suis sûre que vous ne m’avez pas tout raconté…
— Je vous ai dit tout ce qui était exprimable par des mots.
— Mais les autres, ceux qui tirent les ficelles, poursuit-elle en négligeant l’interruption. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ?
— Je le leur demanderai bientôt…
— Oui, je le suppose. Vous semblez avoir cru que j’étais de votre côté, vous m’avez fait confiance. En réalité, vous n’avez pas échappé au piège. (Elle désigne l’écran principal, ouvert sur la phosphorescence du vide, d’où monte un murmure de parasites.) Il faudra bientôt redescendre. Ils vous attendent, la radio l’a confirmé, et je n’ai aucun moyen de leur désobéir.
— En avez-vous seulement envie ?
— Je suis heureuse de ne pas avoir à me poser la question.
Je lui lance un baiser du bout des doigts. Sa réponse me rassure.
— Y a-t-il à bord une réserve de pièces métalliques ? Du fil de cuivre, des tiges chromées, ce genre de choses. Je voudrais créer un ultime équilibre, à partir de ça. (J’agite l’éolienne.) Ce sera mon cadeau d’adieu.
— Ensuite, vous vous rendrez ? Ne me mentez pas…
J’hésite à répondre. Elle a une moue désabusée en montrant les écrans.
— Je passe l’essentiel de ma vie ici, dans le noir extérieur. J’ai appris à écouter, je sais reconnaître les voix qui dialoguent le long des courants de l’espace. Je suis incapable de les comprendre, mais vous si. Ne le niez pas…
« Je n’ai pas l’intention de vous trahir, poursuit-elle avec véhémence. Depuis vingt ans, je respire un air recyclé et je tourne sans fin autour de la lune, en attendant que ce soit mon tour de me poser pour une nouvelle série de réjouissances forcées. Je hais les fêtes encore plus que le vide. Les feux d’artifice ont presque réussi à me cacher les étoiles. »
— Presque ?
— Mon stock de pièces détachées est dans la cale, près de la navette, réplique-t-elle. Fouillez, servez-vous. Je vous demande une seule chose : quand vous aurez transmis votre message, parlez-leur de moi. Je ne suis l’ennemie de personne.
— Si ce que je projette réussit, dis-je en me levant, vous ne serez plus jamais seule.
Je sens son regard dans mon dos tandis que je descends le long des coursives au revêtement griffé de milliers de coups d’ongle. Ombre suit sur mes talons. Marika s’est endormie au creux de ma poitrine et sa respiration s’en va comme une marée. Un poids invisible courbe mes épaules.
Autour de nous, le vide. Enfin.
Il y a du tissu de fils d’or chatoyants, des câbles de verre soyeux, du mercure et du plomb. L’éolienne tourne sur son socle, enveloppée d’une carapace dorée d’où jaillissent les étincelles colorées des fibres optiques. J’ai rajouté des diodes multicolores, pour l’esthétique, et tordu les lames d’acier du mécanisme jusqu’à ce que leurs plaintes soient à la hauteur voulue. J’y ai tout mis, pêle-mêle, les volutes de l’escalier-coquillage du Beffroi, le froid aigu des orgues de glace de Nivôse, les souvenirs imparfaitement rendus qui hantent mes doigts, un peu de la beauté de Marika. Toutes choses impossibles à énumérer mais qui prennent naturellement leur place dans l’équilibre.
Je l’appellerai Coquillage Solaire.
J’ai fignolé l’assemblage jusqu’à l’absurde afin de me permettre de me concentrer. Il aurait fallu que je dorme, que je reprenne des forces. Le temps est ce qui me manque le plus. À deux reprises, Léonora m’a conseillé de me presser. Les écrans montrent un transporteur de troupes en train de décoller en ce moment même, un monstre si gros que le Vaisseau Ivre tiendrait à l’aise dans sa cale…
Dans les yeux d’Ombre se lit une assurance un peu dédaigneuse que j’envie. Allongé comme un sphinx d’obsidienne, il attend patiemment que je me décide à plonger. Mais l’espace est si froid, et je suis terriblement seul.
— Je suis là…(Marika, dans un souffle.)
— Je suis là… (Ombre, griffes rentrées.)
— Nous sommes là… (Aigue-Marine, Nivôse, Paranamanco, une foule tiède, anxieuse de plaire.)
Ma main se pose sur le socle de l’équilibre et les vibrations me traversent. Je ferme les paupières, me mords les lèvres. Un museau humide se niche contre mon cou.
Je dessine la toile dans mon esprit et la projette vers le vide.
Saut.
Je suis une Ville.
Les fils qui me relient à mes sœurs s’embrouillent en un écheveau que je défais avec patience. La toile, relayée par l’antenne-éolienne, se déploie à travers les vagues congelées de l’espace. Il n’y a pas de directions, pas de centre, juste un ensemble de choix. Diverses catégories de silence… Un univers feuilleté, dont chaque couche est en même temps un univers en réduction… Un labyrinthe en forme de porte s’ouvrant sur elle-même…
— Je suis perdu. Je suis là. Répondez-moi.
Enfermé dans la bouteille de mon cri, le message dérive et disparaît.
Ombre a démesurément grandi. De ses yeux de tigre émane une chaleur multicolore, sa fourrure m’enveloppe d’une forêt sombre, odorante. J’avance, en écartant les brins qui se balancent sous l’effet de l’excitation. Je descends les collines de son dos, traverse ses pattes jusqu’aux extrémités de chair nue, hérissées de maigres buissons de poils. En équilibre au-dessus du vide, je regarde mon reflet se perdre dans les profondeurs, sans le moindre écho en retour.
Devant mes yeux, une luciole fatiguée jette ses derniers feux. Marika qui danse ses adieux à la face du monde. Je ne peux plus l’aider. Nous sommes seuls, elle a choisi de s’en aller…
Les Villes souffrent de ma peine et la toile vire au rouge sombre. Le message palpite avec une intensité désespérée. Personne ne nous répond.
— Trouve-les, petit chat, l’imploré-je. Attire-les, séduis-les s’il le faut… Je ne peux pas y arriver seul.
Les accrocs de la toile sont nettement visibles. Nivôse, au Beffroi pris par les glaces, Aigue-Marine mutilée… Dégâts irréparables. Je les réconforte de ma chaleur, les mobilise. Ombre s’étire et se prépare à bondir. Je recrée autour de nous l’image de Coquillage Solaire qui flamboie dans un équilibre imparfait et rassemble mes forces pour un ultime cri.
— Écoutez ! hurlé-je dans le silence. Voici ce que nous sommes…
Soudain, l’espace s’emplit de présences et de voix. Autour de nous gravitent de lourdes masses striées d’ocre et de brun, aux dômes renflés. Belles comme une poignée de gemmes sur un écrin de velours. Rubis, grenats, béryls. Les édifices taillés dans la masse, enchâssés dans l’or cuivré de l’épiderme, ont des architectures bizarres, arêtes tordues, façades concaves. Les brins translucides de leur chevelure, répartis en couronne, s’entremêlent en crépitant dans un jaillissement de lumière blanche.
Ombre a repris sa taille normale et se lèche consciencieusement. La toile n’est plus sous mon contrôle. D’autres manipulateurs sont venus s’y greffer et les fils bourdonnent d’énergie, dans un brouhaha incompréhensible et joyeux. Tout à l’excitation des retrouvailles, les Villes m’ignorent…
— Aidez-nous, murmuré-je en contemplant Marika posée au creux de ma main, les ailes repliées, tandis qu’Ombre ronronne en écho.
Une voix se détache du tumulte et je me sens baigné d’une tendresse impossible à décrire :
— Nous souhaitons la bienvenue à chacune de vos espèces…
Cette AnimalVille n’a jamais rencontré d’homme et cela lui confère une étrangeté profonde. Nous nous goûtons mutuellement. Elle a la saveur de la poussière d’étoile, de la neige d’hydrogène. Je perçois sa masse qui dérive vers nous, en tête du reste de la horde. Des milliers de Villes sauvages, libres de toute attache, qui célèbrent bruyamment les retrouvailles avec leurs compagnes perdues.
— Grâce à toi !
Le rayonnement qui m’envahit manque de me consumer de l’intérieur. Je sanglote, suffoqué. Elles sont si… vastes. Une terreur sacrée jaillit du fond de ma mémoire ancestrale à la vue de ces créatures dont nous avions autrefois fait des Dieux. Quelque chose qui ressemble à un rire m’enveloppe.
— Nous sommes prêtes à porter ta marque, si cela peut contribuer à diminuer notre dette. Commande-nous !
J’élève mes deux mains en coupe, au creux desquelles Marika jette ses derniers feux. La gorge nouée, je leur parle d’elle sans le secours des mots, j’évoque les harmoniques de son rire, la pureté de ses silences, je raconte la lumière qui restait accrochée à sa silhouette et sa façon d’onduler sous la caresse d’un violoncelle. Je leur dis tout ce qui se perdrait avec elle, et c’est beaucoup.
La toile, attentive, réagit à mes paroles. Nivôse renchérit, Aigue-Marine confirme… Un trait de feu jaillit des ténèbres et vient enflammer le creuset de mes doigts. Marika palpite sous l’afflux d’énergie. Elle se redresse, déplie peu à peu ses ailes. Sans oser bouger, je la regarde grandir, rayonner, s’embraser.
Prendre enfin son vol.
J’ai fermé les yeux. Ombre danse sur les fils, il joue à exciter les Villes sauvages qui se dérobent sous ses assauts. Heureux comme un chaton dans un rayon de lumière. Marika virevolte et tisse ses propres figures au-dessus de la toile.
Je laisse retomber mes bras. Desserre les doigts tandis qu’un grand vide m’envahit. C’est fini…
— Plus tard, tu me donneras un nom, murmure l’AnimalVille.
— Vous connaissez mes intentions ?
— Nos sœurs ont parlé. La toile t’est ouverte, nous t’obéirons.
— Puis-je sauter vers une des Villes que je connais ?
Un acquiescement muet. Un bref remords me vient en songeant à Léonora qui risque d’avoir des ennuis si je disparais ainsi. Le vaisseau qui la menace est tout proche, il faudrait la prévenir, lui dire de gagner du temps…
— Nous transmettrons le message.
— Elle sera ravie de vous connaître. (Je souris en pensant à sa stupeur quand elle pénétrera dans la cale déserte.) Dites-lui que Coquillage Solaire est mon cadeau pour elle et remerciez-la. Son aide nous a été précieuse.
« Et maintenant, emportez-nous à travers la toile. Vers Deserade. Ensuite, voici ce que j’ai imaginé… »
J’émerge debout sur une terrasse, à l’endroit précis où je le souhaitais, et manque m’effondrer sous le choc. La transition est brutale. Des filets de pluie ruissellent dans mon cou et une saute de vent soulève les pans du peignoir. Je suis rapidement trempé. À mes pieds, Ombre frissonne et me jette un regard indigné. Désolé, petit chat, on ne peut pas penser à tout. De toute façon, je n’ai pas l’intention de m’attarder, rassure-toi.
Malgré le contrecoup du saut, je me sens l’esprit étonnamment clair. À la lueur de l’orage, je scrute les alentours à la recherche de présences hostiles. Nous sommes seuls. Qui irait se balader sur les toits de la ville, à l’aube, si ce n’est un cinglé dans mon genre ?
— On était vraiment obligés de revenir ici ? lance une voix dans mon dos.
Sans répondre, je me retourne et ouvre les bras. Marika se dresse à quelques pas, crépitante d’étincelles, traversée de gouttelettes que son aura transforme en météores. Belle comme aux premiers temps de notre rencontre, intacte. Vivante.
Elle doit lire dans mes yeux ce que je pense.
— Je n’ai jamais très bien su dire merci…, commence-t-elle.
Je l’interromps de la tête. Elle se rapproche en glissant sur la chair luisante de pluie.
— Regarde-moi ça. (Elle montre ses mains, qui dessinent dans l’air des trajectoires de feu.) Je n’ose plus caresser Ombre, de peur de l’électrocuter.
Je referme mes bras sur elle et elle enfouit son visage dans le mien, lèvres tendues. Les mots qu’elle murmure sont étouffés par l’orage. Un éclair nous traverse, nous fusionnons dans une étreinte interminable.
Une éternité plus tard, un éternuement d’Ombre nous rappelle à l’ordre. Le peignoir, transformé en serpillière, m’enveloppe d’une caresse glacée. Je m’ébroue, frissonne. Ce n’est pas le moment d’attraper une pneumonie !
Je m’agenouille, effleure du plat de la main la terrasse brûlée par la peinture. Dans l’obscurité, trouver ce que je cherche risque d’être ardu.
— J’étais près de ce pilier quand il l’a arraché, soliloqué-je. Il l’a jeté par là…
— Ton cristal-mémoire ? Tu n’en as plus besoin !
— Exact. (Je souris férocement.) C’est pour offrir.
Deserade se plisse pour me guider. Je suis du doigt une longue rainure jusqu’à une dépression où repose le cristal, au bout de sa chaîne brisée. J’enfouis le tout dans une poche et me relève.
— Parfait. Rassemblement tout le monde, on repart ! J’ai un rendez-vous sur Supérieure que je ne tiens pas à manquer.
— Avec Tor Hannes ? C’est Falstaff qui l’a organisé !
— Justement…
J’ancre mes pieds nus dans la chair, tends mon esprit vers le ciel. Étirement.
Saut.
Ça ne deviendra jamais aussi ennuyeux qu’une habitude.
Le soleil qui brille sur Supérieure caresse mon visage tandis que je marche à travers les rues vides, vers le musée. Nous avons fait halte à mon ancien appartement, le temps de nous sécher et de nous vêtir. Du fond de l’espace, nos troupes s’avancent… Marika, dont le rayonnement est à peine voilé par un suaire neuf, danse une chorégraphie guerrière à laquelle Ombre participe en bondissant.
Sous la plante de mes pieds nus, la ville frissonne de plaisir anticipé. Dans son humeur folâtre, elle joue à étirer ses rues et à gonfler ses dômes. Marika rit. Du bout de l’orteil, je tapote mes ultimes instructions, plus par envie de faire quelque chose que par réelle nécessité. Tout est déjà joué…
Je n’ai pris aucune précaution lors du saut et notre présence doit déjà être signalée. Tant mieux, nous ne perdrons pas de temps. L’enseigne du musée est éteinte, une pancarte « Fermé » barre la porte. Je pousse le battant qui cède sous mes doigts avec un déclic neutre.
— Tu vas voir, dis-je à Marika. Les plus beaux Monteori sont là.
— Je visiterai une autre fois ! rétorque-t-elle. En ce moment, notre avenir m’intéresse beaucoup plus que ton passé…
Nous franchissons le sas sans nous attarder, indifférents à la sérénité factice du décor. De l’autre côté, dans la pénombre, les équilibres bruissent doucement. La Madone Insaisissable n’est qu’un amas de taches brouillées, sans signification. Marika ne lui accorde même pas un coup d’œil.
La salle paraît déserte. Je m’avance vers la rotonde et me retourne, les mains en porte-voix.
— Où êtes-vous ? Le jeu est terminé. Montrez-vous !
Un, puis deux, puis trois Vorst surgissent de derrière les tentures du mur. Un mouvement circulaire exécuté avec précision. Je les regarde approcher, Marika et Ombre à mes côtés. Ils sont armés.
— Le musée est fermé, ironise le plus proche, en qui je reconnais l’original.
Les coups de griffe d’Ombre ont tatoué ses joues de manière indélébile. Lui aussi porte notre marque.
— J’ai rendez-vous avec Tor Hannes, répliqué-je. Vous devez être au courant. C’est bien lui qui vous emploie, non ?
Une expression de contrariété glisse sur son visage.
— Tu n’as pas l’air surpris de nous voir ici, dit-il d’une voix lente.
— Les musées sont le dernier refuge des mercenaires de l’art !
Il paraît savourer ma réponse. Je lui souris.
— En route pour la visite guidée ?
Les deux autres Vorst me saisissent chacun un bras. Je me raidis, Ombre crache.
— Nous n’en sommes plus là ! les réprimande l’original.
Ils me lâchent à regret et s’écartent.
— Pas très professionnel mais tellement plus agréable, le remercié-je en me frottant les poignets. Nous vous suivons.
— Je crois que je commence à te comprendre, rétorque-t-il.
— C’est une chance que je n’ai jamais eue en ce qui vous concerne. Non que ça m’ait jamais intéressé, d’ailleurs…
Il hausse les épaules et se détourne. Une encoche de plus sur le bâton où sont comptabilisées mes dettes. Petite satisfaction mesquine que j’aurais eu tort de ne pas m’offrir.
Vorst nous guide sans un mot jusqu’à une porte marquée « Direction ». Il frappe, me fait signe d’entrer et s’efface. Je pose une main sur son épaule :
— Venez avec nous. Plus on est de fous…
Il hoche la tête et dégaine son arme. Ses doubles se placent de part et d’autre de l’ouverture. Marika entre la première, je la suis, le canon pressé contre mon dos. Mes pieds raclent le plancher de bois verni. Le contact avec Supérieure est rompu, je dois désormais agir sans protection.
Vorst verrouille la porte derrière nous.
— Je vous les ai amenés, monsieur Hannes. Comme prévu.
L’homme repose le vase de terre cuite qu’il examinait et se retourne vers nous. Il est grand, maigre, mortellement sérieux. Il porte un costume anthracite, des chaussures trop pointues pour être confortables et ses cheveux sont teints. Une armure trop bien taillée, qui ne révèle rien. Comparé à lui, Vorst fait pâle figure. Ce n’est qu’un exécutant sans imagination, un pantin qui s’agite sur commande. Tor Hannes est infiniment plus dangereux.
Tandis que son regard nous évalue, j’examine la pièce, meublée dans les tons acajou. Enfermées dans des vitrines, des porcelaines translucides voisinent avec des statuettes anciennes et des bronzes patinés. Une frise de stuc, dorée à la feuille, borde l’écran du terminal.
Incrustée dans le plafond, une fenêtre ovale répand une lumière teintée de rose. Du coin de l’œil, j’observe le ciel vide. Trop tôt.
Tor Hannes toussote et sa bouche se fend. Éclair de dents blanches, sans doute fausses.
— Heureux de vous revoir, Monteori. Vous avez fini par retrouver le chemin de mon bureau…
Dans sa bouche, mon nom sonne comme un tintement de monnaie. Je plonge une main dans ma poche et sors le cristal qui se balance au bout de sa chaîne brisée.
— Un cadeau pour vous. Les éoliennes, version originale.
Le cube rebondit sur le bureau. Il le ramasse entre le pouce et l’index.
— Aucune valeur, sinon sentimentale, j’en ai peur… L’équilibre est déjà en cours de réalisation et j’ai plusieurs acheteurs potentiels. Pour le moment, je laisse monter les enchères. Votre cote est restée stable.
« J’ai aussi récupéré les œuvres que vous aviez semées derrière vous avec votre désinvolture coutumière, y compris les cerfs-volants de Paranamanco. Nous avons effacé vos traces. »
— Et voilà ! ironisé-je. Plus de Monteori. Mort de l’artiste en pleine gloire et fin d’une époque.
— Au contraire ! (Son regard s’emplit d’un étonnement qui paraît sincère.) Vous êtes un artiste trop précieux pour que je renonce à vous malgré vos… incartades. La situation est loin d’être irréparable, croyez-moi. Les dégâts seront nettoyés, à vos frais bien entendu, et nous étendrons un voile de silence sur les divers… incidents que vous avez provoqués. Je peux au moins compter sur mes subordonnés pour ce genre de détails.
Vorst se racle la gorge mais ne dit rien. Je l’interroge avec affabilité :
— Comment évolue le conflit sur Vieille Terre ?
— On a utilisé des gaz, répond-il, avec un coup d’œil oblique vers Tor Hannes. Dès que le calme sera revenu, nous nous occuperons de Guanadi. Une bonne fois pour toute !
— À votre place, j’attendrais un peu. Vous avez retrouvé la bombe ?
— Falstaff nous a assuré que la Ville l’avait digérée.
— Vous devriez peut-être vérifier, non ? Les barmen ont trop d’imagination, c’est bien connu. Songez à ce qui se passerait si…
Désemparé, il agite nerveusement son arme. Les rôles se sont inversés ; à présent, c’est moi qui lui fais peur. Réjouissant !
— Ça suffit, Monteori ! me réprimande Tor Hannes, d’un ton à peine agacé. Cessez de tourmenter ce pauvre Vorst et revenons à ce qui nous occupe. Je souhaiterais dresser un premier bilan de notre… collaboration et régler divers détails en suspens. Mais d’abord, j’aimerais que vous regardiez ceci…
Il allume l’écran du terminal, s’absorbe dans les réglages. Une image surgit en vacillant : une douzaine d’hommes, installés autour d’une table, le visage masqué par des incrustations de couleur en surimpression.
— … est donc clos ! (L’apparition brutale du son me fait sursauter.) Quel est le point suivant ?
— Monteori. Avez-vous lu le mémo que j’ai préparé ?
— Encore lui ! s’exclame une voix de femme. Je croyais qu’il était surveillé en permanence ?
— Il semblerait qu’il y ait eu des… négligences. (Je reconnais la voix de Tor Hannes, malgré le brouillage.) Vorst a pris des initiatives malheureuses en mon absence. La situation mérite d’être réexaminée.
— Est-ce en rapport avec les désordres récents du système d’échange ? Il ne faudrait pas que cela s’amplifie, nous deviendrions vulnérables… Je suggère une action immédiate, sécurité renforcée, sans limitation de moyens. Hannes, vous vous chargez de tout nettoyer ?
— Si vous le souhaitez. Je vous ferai un rapport d’ici quelques jours.
— Pas d’objection ? Parfait, résolution adoptée. Point suivant ?
— C’est un extrait en différé, vous vous en doutez, dit Tor Hannes en éteignant le terminal d’un geste négligent. La réunion a eu lieu avant-hier. Vous êtes donc de nouveau sous ma responsabilité, ce qui simplifie les choses. L’accord que nous avons signé tient toujours. Quant au problème de votre compagne, sur lequel nous butions, je le crois sur le point d’être réglé…
Il adresse à Marika ce qu’il estime être un sourire. Ombre et elle se hérissent de concert. Face à cet adversaire imperturbable, mon assurance est en train de fondre. Le tour que prend la conversation me déroute et cela doit se voir sur mon visage. Contrairement à ce que je croyais, je ne suis pas le seul à garder des atouts en réserve.
Hannes s’installe à son bureau, dans un large fauteuil de cuir, et nous fait signe de nous asseoir. J’obéis machinalement. Il me tend un épais dossier.
— Tenez. Si vous voulez vous rafraîchir la mémoire, tout est là.
— Racontez-moi plutôt, murmuré-je. J’adore les contes de fée.
— Les miens sont à jour, rétorque-t-il sans la moindre trace d’humour. Ne lisez que la première page, ça suffira.
Je prends le temps de m’installer confortablement avant d’ouvrir le dossier. Le document du dessus est enveloppé d’une protection transparente, scellée. Un coup d’œil me suffit pour reconnaître mon écriture. Marika, qui lit par-dessus mon épaule, laisse échapper une exclamation consternée. Il s’agit d’un contrat aux termes sans équivoque, par lequel je renonce à l’ensemble de mes œuvres, présentes et à venir…
— En échange d’une totale liberté d’esprit ! achève Marika derrière moi. Qu’est-ce que c’est censé signifier ?
— Monteori m’a chargé de gérer son passé à sa place, déclare Tor Hannes d’un air satisfait en s’enfonçant un peu plus dans son fauteuil. La vie qu’il menait l’avait conduit au bord de l’effondrement nerveux. Trop d’équilibres dispersés aux quatre coins de l’univers, trop de convergences qui se succédaient à un rythme impossible et, surtout, trop de conflits idéologiques avec ses riches acheteurs… Tiraillé entre son art et ses convictions, il a choisi de tout remettre entre mes mains, afin d’avoir l’esprit libre pour créer à nouveau.
« Ce papier m’autorise à le surveiller en permanence pour le délivrer du souvenir de ses œuvres, au fur et à mesure de leur achèvement. C’est une décision inhabituelle, mais le Cartel a été ravi de se débarrasser ainsi d’un artiste un peu trop turbulent. Avec l’aide d’une équipe d’Aléateurs, nous avons mis en place des procédures d’effacement automatique de mémoire, qui se déclenchent lors des échanges lorsqu’un équilibre est archivé sur le terminal. Et le plus beau de l’histoire, c’est que c’est Monteori en personne qui en a décidé ainsi. Le contrat est inattaquable.
— Je ne vois pas pourquoi ça vous amuse, dis-je en reposant la feuille sur le bureau. La situation a changé, vous avez réagi trop tard.
— Le début de votre… escapade ne m’a pas inquiété, déclare-t-il d’un ton suffisant. Au contraire. Une histoire d’amour tragique, l’angoisse du hors-la-loi, l’impression délicieuse d’échapper à la routine, tout cela ne pouvait que stimuler votre créativité. Vous tourniez un peu à vide depuis six mois. À l’image de vos éoliennes. On oublie parfois que les artistes sont des êtres humains comme les autres, même si la plupart ne s’en vantent pas.
— Vous devez avoir un succès fou dans les vernissages avec ce genre de remarques !
Il balaye l’ironie d’un geste de la main et referme le dossier. Cet homme est inaccessible.
La lumière change, une altération subtile que je surveille à travers les reflets sur le tapis. Tout est joué, les cartes sont retournées sur la table même si je suis le seul à les voir. Si j’avais appris plus tôt l’existence de ce contrat, aurais-je agi différemment ?
Ombre vient se frotter contre mon genou et je grimace. Le temps des questions est passé. Comparé à ce qu’a vécu Marika, aux souffrances de Nivôse, mon aventure est dérisoire à pleurer. Il n’y a que pour les équilibres que je sais voir grand. Le reste de ma vie est entaché de mesquinerie.
— Alors, pour vous, tout repose sur une simple histoire de vol d’œuvres d’art ? dis-je sans parvenir à y croire. Pourquoi ?
— L’argent, Monteori, l’argent. Ce qui reste de l’art quand on a tout enlevé. Vous êtes un de nos créateurs les plus cotés, et vous avez abandonné au cours de vos errances quelques splendeurs qui ont fait ma fortune. Personnellement, les équilibres ne m’intéressent pas, je leur préfère de loin les poteries méditerranéennes comme celle-ci. (Il désigne le vase qu’il examinait à notre arrivée.) Toutefois, je sais reconnaître un artiste de valeur quand j’en vois un, et mes acheteurs aussi.
— Puisque nous sommes entre connaisseurs, dis-je, racontez-moi ce que vous avez prévu pour la suite.
— Du silence, beaucoup de silence ! répond-il d’un ton pénétré. Une retraite tranquille, le temps pour Vorst de nettoyer votre désordre et de régler le sort de votre amie. Un mois ou deux, trois peut-être. Ensuite, effacement et retour à la situation antérieure. Vous avez entendu mes collègues du Cartel. Sur Supérieure, nous nous efforçons de cultiver une certaine stabilité…
Je ne l’écoute plus. Des taches noires dansent devant mes yeux et le dos d’Ombre se hérisse imperceptiblement sous mes doigts. Je peux décoder sur sa peau la progression des événements. L’alarme sera bientôt donnée, ce n’est qu’une question de minutes avant que l’information ne parvienne jusqu’à ce bureau. Je tourne la tête vers Marika, dont la silhouette crépite d’énergie contenue, et lève un doigt vers le plafond.
Tor Hannes s’interrompt. J’ai la satisfaction de voir Vorst blêmir et lâcher son arme avec un cri étranglé, avant de plonger sous le bureau. Une forme gigantesque traverse le ciel avec lenteur, suivie d’une demi-douzaine d’autres, un troupeau assez dense pour occulter le soleil… Je secoue la tête.
— Vous avez oublié les Villes.
Une plaine de chair brune ondule au-dessus de nos têtes, dans une perspective inversée, hallucinante. Des météorites d’un noir de jais sont incrustées dans la chair de l’AnimalVille et scintillent sous le soleil. À la périphérie palpite une chevelure de méduse aux filaments déployés, impatients de se vriller dans le sol. Une ombre gigantesque envahit les toits et nous emprisonne. Le ciel s’obscurcit. Tor Hannes a un hoquet en serrant d’un geste convulsif la poterie contre sa poitrine.
Le choc du premier atterrissage a renversé le bureau et culbuté les bibliothèques. L’œil de verre du plafond s’est émietté en pluie de poignards qui ont lacéré le tapis. Le dos de Vorst est en sang. Tor Hannes, le visage agité de tics, contemple ses collections détruites avec un regard d’incompréhension douloureuse. La poterie se brise entre ses doigts.
Instinctivement, je me suis recroquevillé dans le fauteuil et j’ai protégé Ombre de mes bras repliés. Des éclats ont rebondi sur mes jambes sans me blesser. Je me relève avec prudence et me dirige vers la porte. Une colonie de fourmis nettoyeuses jaillit de derrière les plinthes et m’emboîte le pas, en abandonnant le terrain dévasté.
Le deuxième atterrissage, plus lointain, manque m’envoyer bouler sur le sol. Je me cramponne à la poignée jusqu’à ce que le sol ait fini de se trémousser. De l’autre côté de la porte, une succession de fracas me renseigne sur le sort de mes œuvres. Au son, j’ai reconnu l’écroulement de la Madone Insaisissable.
— Vous allez payer pour cette folie, Monteori ! grince une voix dans mon dos.
Tor Hannes, les yeux exorbités, braque sur moi l’arme de Vorst. Son poignet ruisselle de multiple coupures et des gouttes de sang s’écrasent à ses pieds, en plein sur mon contrat. Je hausse les épaules.
— L’équilibre est brisé… Tirez, si vous voulez. Vous me manquerez probablement, ou l’arme s’enrayera. Gardez-la pour vous protéger des pillards. D’ici quelques heures, des milliers d’immigrants vont débarquer de Vieille Terre, avec une faim que vous ne soupçonnez pas. Et le flot n’est pas prêt de se tarir…
— Pourquoi avez-vous fait ça ? gémit-il en lâchant l’arme qui tinte sur les débris. Vous êtes un artiste, vous ne devez rien à ces gens.
— Je suis du côté des fourmis. Et des chats.
Je lui tourne le dos et m’éloigne en vacillant à travers la galerie, Ombre et Marika sur mes talons. Les doubles de Vorst se sont évanouis dans des poses grotesques, au milieu des appareillages brisés. Dans son alcôve, la Princesse Carnivore ne se réveillera plus jamais. Un haut-parleur invisible égrène des arpèges mélancoliques de piano et de violoncelle, qui s’estompent peu à peu. Dans le sas silencieux, la source s’est tarie.
L’air sent l’huile de machine.