TOR HANNES, Interview

Q. Pour une partie de la population de Vieille Terre, Monteori était devenu un symbole…

R. Je vous arrête tout de suite. Mademoiselle L. est un symbole, Monteori n’a jamais été qu’un artiste.

Q. Certes, mais il était l’artiste du peuple ! Ses équilibres parlaient de révolte et d’oppression, ses liens avec les mouvements extrémistes de Vieille Terre étaient bien connus. Et soudain, le silence… Un silence rempli d’œuvres sans messages, un artiste devenu insaisissable. Comment l’expliquez-vous ?

R. La pression qui pesait sur ses épaules à ce moment-là était énorme… Nous changeons tous.

Q. On a parlé de censure.

R. C’est un mot que je n’aime pas et que je récuse. Vous confondez censure et conscience personnelle. L’artiste étant un être névrotique par essence, toute forme de contrôle qu’il s’impose peut être considéré comme un pas vers la guérison…

Q. J’ai peur de ne pas vous suivre…

R. Prenez le cas du peintre Van Gogh. Les deux dernières années de sa production se caractérisent par une explosion des couleurs, un décalage vers les teintes les plus vives du spectre. Or, ceci était essentiellement dû à sa tumeur cérébrale. Les zones sensorielles étaient touchées, il y avait exacerbation des perceptions lumineuses et colorées. Il peignait simplement comme il voyait, mais sa vision était faussée. Ce n’est pas pour autant qu’il faudrait mettre des toiles vierges et des tubes de gouache dans les salles d’attente des neurologues.

Q. Mais ne pensez-vous pas que l’art puisse agir en tant que révélateur des malaises d’une société ?

R. Révélateur, oui, mais aussi amplificateur, ce qui est plus gênant. Nos artistes doivent apprendre à ne pas tout dire. Il ne faut pas que leur art devienne un facteur aggravant…

 

(Tiré de TOR HANNES, Interview)