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- Vous avez été en tout point remarquables, les félicita Vicino lorsqu’ils furent seuls : vous les avez impressionnés.

- C’était l’unique moyen d’avoir barre sur eux. Cela dit, il est évident qu’ils m’ont écouté parce que je leur étais présenté par vous, Don Vicino.

- C’est la première fois que vous m’appelez ainsi, fit le vieil homme.

- Sans doute parce que je me sens pleinement sous votre tutelle.

- Quel dommage que tu ne sois pas napolitain ! murmura Gian Franco.

- Je le deviens ! fit Adolf dans le dialecte du pays.

Le Parrain étendit la main afin de caresser la joue de son jeune interlocuteur.

- Peut-être est-ce San Gennaro qui t’envoie ? murmura-t-il.

- Qui sait ? répondit Hitler.

Il prit la dextre fripée et la porta à ses lèvres. Après quoi il présenta à Don Vicino les feuillets laissés par les Israéliens.

- Il vous appartient d’en prendre connaissance d’abord, déclara-t-il.

- Non, garde-les, mon garçon : c’est « ton » affaire. Et puis, ajouta-t-il avec un sourire malicieux, je lis trop mal l’anglais.

Adolf coula les documents dans la poche intérieure de son veston.

- Je vous les transcrirai en italien, promit-il.

Le couple raccompagna le Parrain jusqu’à sa voiture, au milieu de ses gardes du corps.

Avant de le quitter, Gian Franco embrassa Hitler sur la bouche.

Puis il prit Maria contre lui et chuchota ::

- Sois heureuse, ma fille : tu as trouvé un homme d’exception.

Ils regagnèrent leur appartement et Adolf se colla à la traduction. Il lisait l’anglais presque aussi rapidement que l’allemand. Lorsqu’il avait terminé un feuillet, il le tendait à sa maîtresse.

Maria épluchait à grand-peine le document car elle n’avait de cette langue que des rudiments scolaires. Hitler finit sa lecture bien avant la jeune femme.

- Tu me résumes ? implora-t-elle.

- Un instant, si tu permets.

Il avança le bras, déboutonna son chemisier, le lui ôta ainsi que son soutien-gorge.

- C’est à tes seins que je veux raconter cette histoire, dit-il en la poussant dans un fauteuil.

S’étant agenouillé devant elle, il électrisa l’extrémité de ses exquises mamelles du plat de la main, en un geste circulaire, doux et régulier.

- Je ne vais pas pouvoir t’écouter longtemps, assura Maria en souriant.

- Eh bien, je reprendrai autant de fois qu’il le faudra.
Il attaqua son résumé, sur le mode plaisant, compatible avec les gestes qui le ponctuaient.

- Ces sacrés Juifs sont accrocheurs comme des poux de corps, commença l’Autrichien. Plus de quarante années ont passé depuis la chute du national-socialisme, et ils continuent d’enquêter ! Il leur faut « la vérité, toute la vérité, sans la moindre faille » ! Ainsi, concernant la fin du Führer dans le bunker de la Chancellerie, sont-ils parvenus à questionner les survivants. Le temps les décimant, ils s’en prennent à leurs proches. Souvent ces confidences du « deuxième rang » sont plus poussées, les narrateurs étant moins impliqués.

« Nos enquêteurs ont ainsi établi qu’au moment où le corps du Führer brûlait, deux hommes parvinrent à quitter le bunker par un conduit menant aux égouts. Ces types, l’un et l’autre sous-officiers de la Wehrmacht, se nommaient : Karl Hubber et Frantz Morawsky. Ils ont emporté avec eux le fameux sac tyrolien en peau. »

- On ne les a jamais revus ? demanda Maria, dont le garçon continuait de lui flatter les seins du bout de ses doigts humectés de salive.

- Jamais.

- Leurs familles ?

- A notre connaissance, le dénommé Frantz Morawsky ne possédait qu’une sœur anormale ; quant à Hubber, tous les siens ont été anéantis par le bombardement de Brème, l’un des plus terrifiants de la guerre.

Les attouchements élaborés de son compagnon excitaient Maria, laquelle avait de plus en plus de peine à suivre son récit.

Parvenant à refréner les ondes ardentes qui l’investissaient, elle demanda d’une voix mourante :

- Pourquoi l’Italie ?

Adolf interrompit ses manœuvres épidermiques.

- En effet, pourquoi « nos » clients se sont-ils orientés sur le Vésuve ? Pour une raison simple, mon amour. Récemment, une femme de Saviano a vendu un fond de grenier à un brocanteur itinérant. Dans le bric-à-brac se trouvait un sac tyrolien vert, passablement moisi, dont l’une des poches contenait les papiers militaires allemands de Frantz Morawsky, ainsi qu’une enveloppe au nom de la Chancellerie, marquée d’un tampon indiquant « Destiné au Führer. Strictement confidentiel ». 

« Le videur de galetas pensa que cet embryon de pièces pourrait intéresser quelque collectionneur et proposa « le lot » à un marchand de documents historiques, qui les lui racheta un prix dérisoire. La filière mystérieuse du hasard conduisit jusqu’à ce bouquiniste une personne en cheville avec nos nouveaux amis ; le destin est tissé de coïncidences, ce qu’en Italie vous appelez « La Providence ». »

Hitler avait poussé trop loin ses caresses : Maria n’était plus en mesure de suivre le fil du rapport.

Ils prirent l’heureuse décision de remettre sa lecture à plus tard et ce fut, dans la chambre du ténor disparu, le plus charmant des remue-ménage, comme l’a écrit un poète français.

Chacune de leurs étreintes différait de la précédente, à croire qu’elle se trouvait interprétée par d’autres protagonistes.

Ils se lançaient dans le tumulte des sens, tels des plongeurs émérites dans la frénésie d’un torrent. L’acte charnel comportait peu de périodes languissantes.

Chaque fois, ils se confrontaient à une démesure indéfiniment réinventée.

Harassés, ils s’endormirent enfin.

L’écriteau Do not Disturb restait presque en permanence accroché au pommeau de la porte.

Ils ne se réveillèrent qu’au milieu de la nuit, affamés et flottants. Le room service étant fermé, ils s’alimentèrent des nourritures d’attente, proposées par le petit réfrigérateur de leur suite.

Nus sur le tapis, ils poursuivaient au sol leurs ébats d’animaux. Grignotèrent des biscuits salés, puis des sucrés, croquèrent les chocolats et vidèrent chacun une demi-bouteille de Champagne.

Seule la lampe de chevet les éclairait. Adolf la déposa sur la moquette et, à plat ventre, poursuivit l’examen des documents laissés par leurs sponsors (il avait choisi ce terme pour parler d’eux).

Maria restait assise en tailleur devant lui, l’admirant. Elle guettait les plus légers tressaillements de son visage et cherchait à les déchiffrer.

Sa lecture terminée, il se mit sur son séant, dos au lit.

- Je comprends pourquoi « ils » n’ont pas souhaité que nous parlions de ce rapport, fît-il : il ressemble à un filet de pêche plein de trous.

Patiente comme l’éternité, elle attendit qu’il s’explique. Mais il se souciait avant tout de ravauder le filet percé. Il réfléchissait, le regard fixe, les lèvres crispées ; parfois un imperceptible hochement de tête révélait sa perplexité; elle le retrouvait « habité », comme il l’avait été chez la signora Salarmi à Venise.

Adolf parut brusquement réaliser la présence de sa compagne :

- Pardon : je suis en plein décodage. Elle sourit, murmura :

- Continue.

- Inutile : mes pensées tournent en rond. Reprenons : l’apocalypse à Berlin. Hitler brûle, comme sa ville. Pendant qu’il part en fumée, les sous-officiers Hubber et Morawsky fuient, lestés d’un sac à dos. Ils se sont probablement habillés en civils, ou ont usé de quelque déguisement. Toujours est-il qu’ils parviennent à quitter la capitale.

« De leurs tribulations, nous ne savons rien ; seule indication : ils atteignent l’Italie avec leur foutu sac. Au bout de combien de temps ? Mystère. Comment échouent-ils à Saviano ? Ce pays constituait-il le but de leurs pérégrinations ou ne représentait-il qu’une étape accidentelle ? Je ne trouve aucune réponse à ces questions dans ce document. Il faut dire que presque un demi-siècle a passé. C’est peu pour les pyramides, mais c’est beaucoup pour une durée humaine. La femme ayant vendu le sac n’habite la maison que depuis deux ans : un viager !

« De leur propre aveu, les Israéliens ont été incapables de retrouver la trace des Allemands après la halte de Saviano, à croire que le Vésuve les a engloutis ! Ils ont tout mis en œuvre pour « recoller » aux fugitifs. Les documents qu’ils trimbalaient leur ont-ils permis de négocier leur salut auprès des Alliés en pleine reconquête ? Ont-ils été arrêtés et fusillés ? Les a-t-on jetés dans un cul-de-basse-fosse jusqu’à leur mort ? Énigme ! Il y en eut beaucoup pendant cette guerre ; peu furent résolues. »

Maria suivait la digression de son bien-aimé avec attention.

- S’ils avaient été arrêtés et fusillés, tu penses bien que nos sponsors l’auraient su ! Ils ne remueraient pas ciel et terre pour découvrir ce qu’ils sont devenus !

- Juste ! apprécia Adolf.

- Conclusion, enchaîna la fille du Parrain, les évadés du bunker savaient où se réfugier.

- Dans ce cas, pourquoi se sont-ils arrêtés dans ce petit patelin italien ?

Maria réfléchit :

- Sans doute s’agissait-il d’un détour incontournable. Ils avaient besoin de rencontrer quelqu’un, voire de prendre quelque chose, je ne sais pas… Ayant obtenu ce qu’ils voulaient, ils ont continué leur route.

Hitler tressaillit.

- Naples est un port, pourquoi n’y seraient-ils pas venus afin de s’embarquer ?

- Dans ce village situé à des kilomètres de la mer ?

-

On devait y être plus en sécurité qu’en ville pour attendre le départ d’un navire.

L’objection l’ébranla.

- Tu as raison, admit-elle. Un bateau…

Le dragon de Cracovie
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