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Shakespeare dit à Carnivore : « Le moment approche, la vie s’en va rapidement, je peux la sentir s’écouler. Tu dois être prêt. Il faut que tes crocs percent la chair en ce petit instant qui précède la mort. Il ne faut pas me tuer, mais me dévorer pendant que je meurs. Et tu te rappelles sûrement tout le reste. Tu n’as pas oublié tout ce que je t’ai dit. Tu dois remplacer les êtres de ma race puisque aucun n’est ici avec nous. Tu es mon meilleur, mon seul ami, il ne faut pas que tu me couvres de honte quand je quitterai cette vie. »

Accroupi à côté de lui, Carnivore frissonna.

— Je n’ai pas demandé cela, dit-il. Ce n’est pas une chose que je choisirais de faire. Je n’ai pas pour habitude de tuer les vieux ni les mourants. Ma proie doit toujours être pleine de vie et de force. Mais, d’un être vivant à l’autre, d’intelligence à intelligence, je ne puis vous refuser ce que vous demandez. Vous me dites que c’est un acte sacré, que j’accomplis les fonctions d’un prêtre, et c’est là quelque chose devant quoi on ne peut reculer, bien que instinctivement, tout en moi se révolte à l’idée de manger un ami.

— J’espère, dit Shakespeare, que ma chair ne sera pas trop dure ni son goût trop prononcé. J’espère que la manger ne te fera pas vomir.

— Je ne vomirai pas, promit Carnivore. Je serai fort. J’accomplirai ce que j’ai à faire fidèlement, suivrai toutes vos instructions, ferai tout ce que vous demandez. Vous pouvez mourir en paix, dans la dignité, sachant que votre dernier et plus sincère ami célébrera l’office des morts. Vous me permettrez cependant cette observation que c’est la cérémonie la plus étrange et la plus odieuse dont j’aie jamais entendu parler au cours d’une longue vie bien mal employée.

— Je te le permets, fit Shakespeare, avec un faible ricanement.