CHAPITRE PREMIER

Au milieu des plages surpeuplées de l’île Hawaii, il est encore possible de tomber sur une bande de sable offrant une relative solitude. Kaena Point, formant saillie au bout du canal de Kauai tel le direct du gauche d’un boxeur, est l’un de ces endroits secrets où l’on peut se détendre et profiter d’une côte déserte. La plage est magnifique, mais elle est aussi trompeuse. Trop souvent, son rivage est fouetté par des courants turbulents extrêmement dangereux, même pour les nageurs les plus prudents. Chaque année, comme pour se conformer à de morbides prévisions, un baigneur non identifié, attiré par cette bande sablonneuse abandonnée et par le doux bercement des vagues, s’avance dans l’eau et est emporté vers le large en quelques minutes.

C’est sur cette plage qu’un homme au teint fortement bronzé, vêtu d’un court slip de bain de couleur blanche, étalait son mètre quatre-vingt-dix sur une natte de plage en bambou. Sa poitrine, velue et musclée, se soulevait légèrement à chacune de ses respirations, et était parsemée de gouttelettes de sueur qui roulaient sur sa peau en lignes sinueuses avant de s’écraser sur le sable. Son bras, posé devant ses yeux pour les abriter du violent éclat du soleil des Tropiques, était musclé lui aussi, mais sans les gonflements grotesques qui sont généralement l’apanage des souleveurs de fonte. Ses cheveux étaient noirs, épais et hirsutes, et ils couvraient à moitié un front surplombant un visage aux traits rudes, mais agréables.

Dirk Pitt sortit de son demi-sommeil et, prenant appui sur les coudes, promena sur les flots son regard d’un vert profond et brillant. Pitt n’était pas un simple adorateur du soleil ; à ses yeux, une plage était une chose remuante et vivante, dont la forme et la personnalité changeaient au gré du perpétuel assaut des vagues et du vent. Il observa les lames qui roulaient vers le rivage depuis l’endroit où elles prenaient naissance, à plusieurs kilomètres dans la mer, enflant et acquérant de la vitesse lorsque leurs creux rencontraient le fond marin. Se changeant alors en brisants, elles gonflaient encore et encore – jusqu’à près de deux mètres de haut, estima Pitt, du creux à la crête –, avant de s’effondrer et de se fracasser, se transformant en une masse rugissante d’écume et d’embruns. À la suite de quoi, elles venaient mourir en petits remous sur le rivage.

Brusquement, le regard de Pitt fut attiré par un éclair de couleur derrière les brisants, à environ neuf cents mètres de la plage. Cela ne dura qu’un bref  instant, avant de disparaître derrière la crête des vagues. Les yeux de Pitt restèrent braqués, avec une curiosité intense, sur l’endroit où il avait aperçu la tache colorée. Lorsque la vague suivante eut enflé et roulé, il put à nouveau la voir briller dans l’éclat du soleil. Il était impossible de distinguer de quoi il s’agissait, à cette distance, mais il était impossible de ne pas voir l’éclair de couleur d’un jaune fluorescent.

L’attitude la plus intelligente, songea Pitt, serait de demeurer tranquillement sur la plage, et d’attendre que la force du courant porte cet objet inconnu vers lui ; mais il repoussa ces pensées raisonnables hors de son esprit, se mit debout, et s’avança lentement dans les flots. Lorsque les vagues vinrent lui lécher les genoux, il baissa la tête, avant de plonger au milieu de la vague qui approchait, calculant ses gestes de telle manière qu’il ne sentit que légèrement la déferlante qui s’écrasait à ses pieds. L’eau était à la température de celle d’un bain tiède, entre vingt-trois et vingt-cinq degrés. Dès que sa tête vint crever la surface, il se mit à battre des bras dans les tourbillons d’écume, nageant avec aisance, profitant de la force du contre-courant pour filer vers le large.

Après quelques minutes, il s’arrêta et nagea sur place, à la recherche d’un point de couleur jaune. Il finit par le repérer à une vingtaine de mètres sur la gauche. Il garda les yeux fixés sur cet étrange débris flottant, tandis qu’il longeait le bord des vagues, ne le perdant momentanément de vue que lorsqu’il disparut dans le creux d’une déferlante. Il se rendit compte que le courant le faisait dériver trop loin sur la droite, si bien qu’il compensa ce mouvement en nageant de biais, et accéléra lentement son rythme de battement pour ne pas que la fatigue ne vienne le menacer.

Il finit par atteindre son but, et ses doigts rencontrèrent une surface lisse et cylindrique, d’une soixantaine de centimètres de long et d’une vingtaine de large, pesant dans les trois kilos, ou un peu moins. L’objet était enveloppé d’un film plastique étanche de couleur jaune, dont les deux extrémités étaient porteuses de la mention U.S. NAVY en lettres majuscules. Pitt coinça l’objet sous son bras et laissa flotter son corps à la surface, pour étudier sa position pour le moins précaire, à quelque distance des rouleaux naissant des vagues.

Il scruta la plage, à la recherche d’une personne qui l’aurait vu entrer dans l’eau, mais le sable était désert sur des kilomètres dans toutes les directions. Pitt ne perdit pas de temps à examiner les falaises escarpées au-delà de la bande sablonneuse ; inutile d’espérer que quelqu’un soit en train d’escalader ces rochers au beau milieu de la semaine.

Il se demanda pourquoi il avait pris un risque si stupide et téméraire. Le mystérieux bout d’épave jaune lui avait fourni une excuse pour relever un défi, et une fois lancé, il ne lui était jamais venu à l’idée de rebrousser chemin. À présent, la mer impitoyable le tenait en son sein.

Un bref instant, il fut tenté de nager en ligne droite vers le rivage. Mais un bref instant seulement. Mark Spitz aurait pu réussir cela, mais Pitt était persuadé que Spitz n’aurait certainement pas remporté toutes ces médailles d’or aux Jeux Olympiques s’il avait fumé un paquet de cigarettes par jour et avalé quelques verres de bourbon Cutty Sark chaque soir. Pitt décida de réfléchir, au lieu d’essayer de battre Mère Nature sur son propre terrain.

Pitt possédait une expérience certaine des contre-courants et des remous sous-marins. Il avait fait du surf pendant des années, et connaissait la plupart des pièges tendus par la mer. Un homme pouvait parfaitement être emporté vers le large en un endroit précis du rivage, tandis qu’à une centaine de mètres de là, des enfants barbotaient dans les vagues sans être le moins du monde inquiétés par le courant. La force implacable d’un courant de retour naissait quand le flux des vagues retournait vers le large en empruntant les étroites bandes de sables cannelées des fonds marins. À cet endroit, le courant qui filait vers le rivage changeait brusquement de direction, pour repartir vers le large, en atteignant parfois la vitesse de six kilomètres à l’heure. Il s’arrêtait alors, ayant complètement épuisé ses forces. Pitt était certain qu’il lui fallait nager parallèlement à la plage, jusqu’à ce qu’il ait dépassé la barre sablonneuse, et piquer alors vers le rivage pour aborder en un endroit différent.

La menace des requins était sa seule inquiétude. Ces meurtrières machines de la mer ne signalent pas toujours leur présence en venant fendre la surface des eaux de leur aileron. Ils pouvaient tout aussi bien attaquer en restant sous l’eau, sans aucun avertissement. Sans masque de plongée, Pitt ne pourrait pas savoir à quel moment la morsure allait lacérer sa chair, ni même de quelle direction elle allait provenir. Il pouvait seulement espérer atteindre la partie moins dangereuse du ressac avant d’être inscrit au menu du jour. Les requins, il le savait, ne s’aventurent que rarement à proximité du rivage, parce que les turbulences et les remous causés par le va-et-vient des vagues leur projettent du sable dans les ouïes ; ce qui décourage même les plus affamés de venir chercher là une petite collation.

Il n’était plus temps de songer à épargner ses forces, à présent ; il se mit à battre l’eau avec énergie comme si tous les mangeurs d’homme du Pacifique étaient à ses trousses. Cette nage vigoureuse dura près de quinze minutes avant que la première vague ne l’emporte en direction de la plage. Neuf autres brisants suivirent celui-là ; le dixième profita de la flottabilité du cylindre pour l’emporter, emmenant du même coup Pitt à moins de quatre mètres du rivage. À l’instant où ses genoux touchèrent à nouveau le fond sablonneux, il se dressa en titubant, tel un marin épuisé par un naufrage, et chancela pour sortir de l’eau, tirant son butin derrière lui. Il s’affala ensuite avec reconnaissance sur le sable chauffé par les rayons du soleil.

Avec circonspection, Pitt porta son attention sur le cylindre. Sous l’enveloppe de plastique, on apercevait une étrange boîte d’aluminium. Les flancs étaient ornés de petites baguettes qui rappelaient une voie de chemin de fer miniature. Une des extrémités comportait un couvercle pourvu d’un pas de vis, si bien que Pitt se mit à le faire tourner. Après un nombre de tours si important que cela finit par intriguer Pitt, le couvercle lui tomba enfin dans la main. À l’intérieur du cylindre se trouvait un rouleau de papier serré, et rien d’autre. Il les fit délicatement sortir pour les amener dans la lumière du jour, et commença à examiner les notes manuscrites rédigées avec un soin extrême, partagées par des lignes et des colonnes.

À la lecture de ces pages, ce fut comme si une main glacée se posait sur sa peau, et en dépit de la température de trente-deux degrés, tout son corps se couvrit de chair de poule. À plus d’une reprise, il tenta d’écarter les yeux pour cesser sa lecture, mais en vain, frappé de stupeur par l’énormité de ce qu’il tenait entre les mains.

Pitt s’assit enfin et laissa errer son regard sur l’océan pendant dix bonnes minutes après avoir lu la dernière phrase du document. Il se terminait par le nom de l’amiral Leigh Hunter. Alors, très lentement, Pitt replaça les papiers dans le cylindre, revissa le couvercle, et enveloppa à nouveau précautionneusement le tout dans le film plastique.

Un voile de silence, sinistre et mystérieux, venait de choir sur Kaena Point. Même si les déferlantes continuaient de rouler, leur grondement semblait avoir disparu. Pitt se leva et se débarrassa du sable qui s’était collé à son corps mouillé, coinça le cylindre sous l’un de ses bras, et traversa la plage au petit trot. Lorsqu’il eut retrouvé sa natte, il l’enroula rapidement autour de l’objet qu’il tenait dans les mains. Puis il s’engagea sans attendre sur le sentier menant à la route qui longeait la plage.

La Ford Cobra d’un rouge rutilant semblait abandonnée au milieu de la chaussée. Sans perdre un instant, Pitt déposa son fardeau sur le siège du passager et alla aussitôt se placer au volant, sa main cherchant déjà la clé de contact.

Il fila en direction de l’autoroute 99, dépassa Waialua, et emprunta la longue rampe qui longe le Kaukomahua, ruisseau pittoresque, mais ordinairement à sec. Lorsque les bâtiments de la Réserve militaire Schofield eurent disparu de son rétroviseur, Pitt prit la bretelle de Wahiawa et fonça alors à toute vitesse vers Pearl City, sans prendre garde à la menace que pouvait constituer un agent de police motorisé en maraude.

La chaîne des Koolau se dressa sur sa gauche, dont les pics étaient perpétuellement cachés par de sombres nuages de pluie roulant autour d’eux. À leur pied, les champs verts et soignés des plantations d’ananas contrastaient de la manière la plus vive avec le sol, fait d’une riche matière volcanique de couleur rouge. Pitt rencontra soudain une averse et alluma les essuie-glaces d’un geste automatique.

Finalement, l’entrée principale de la base de Pearl Harbor apparut. Pitt ralentit son allure, alors qu’un gardien en uniforme sortait du bureau d’accueil. Pitt sortit son permis de conduire et ses papiers d’identité de son portefeuille pour les présenter, puis apposa sa signature sur le registre des visiteurs. Le jeune soldat salua simplement et fit signe à Pitt de passer.

Pitt lui demanda alors la direction du quartier général de l’amiral Hunter. Le garde sortit un bloc de papier et un stylo de sa poche de poitrine et dessina poliment un plan qu’il tendit à Pitt. Il le salua ensuite une nouvelle fois.

Pitt repartit, pour aller s’arrêter face à un bâtiment de béton à l’aspect anodin, à proximité des quais. Il l’aurait ignoré s’il n’avait lu ces mots, inscrits sur une petite inscription soigneusement tracée au pochoir : QUARTIER GÉNÉRAL, 101e FLOTTE DE SAUVETAGE. Il coupa alors son moteur, s’empara de son paquet humide, et quitta la voiture. En franchissant la porte d’entrée, Pitt pensa qu’il aurait dû avoir la bonne idée d’emporter une chemise de sport et un pantalon pour aller à la plage, ce qui n’était pas le cas. Il se dirigea vers un bureau, derrière lequel un matelot de la Navy, vêtu de l’uniforme blanc réservé aux mois d’été, martelait une machine à écrire d’un air mécanique. Un écriteau sur le bureau annonçait : QUARTIER-MAITRE G. YAGER.

— Excusez-moi, murmura Pitt d’un ton timide, j’aimerais parler à l’amiral Hunter.

Le dactylo leva négligemment la tête, à la suite de quoi ses yeux jaillirent quasiment de leurs orbites.

— Seigneur, mon vieux, t’es hors de tes pompes ou quoi ? Qu’est-ce que t’as dans l’idée ? T’amener ici avec rien qu’un slip de bain sur toi ? Si le vieux t’aperçoit dans cette tenue, t’es un homme mort. Et maintenant, dégage en vitesse, sinon tu vas filer immédiatement au trou.

— Je sais que je ne suis pas habillé pour une réunion mondaine, déclara Pitt d’un ton calme et plaisant, mais il est sacrément urgent que je voie l’amiral.

Le marin se dressa derrière son bureau, la face empourprée.

— Arrête tes singeries, dit-il d’une voix puissante. Ou tu retournes dans tes quartiers pour y faire un petit somme, ou bien j’appelle la patrouille côtière.

— Eh bien, appelle-les ! s’écria brusquement Pitt d’un ton tranchant.

— Écoute, mec, reprit le marin avec une expression de colère contenue. Rends-toi un petit service. Remonte sur ton navire et si tu veux rencontrer l’amiral, rentre une demande formelle, en suivant la voie hiérarchique.

— Cela ne sera pas nécessaire, Yager, déclara une voix derrière eux, avec la finesse d’un bulldozer s’attaquant à un pont d’autoroute.

Pitt fit volte-face et se retrouva les yeux dans les yeux avec un personnage grand et sec, qui se tenait raide devant une porte menant vers l’intérieur du bâtiment. Il était habillé de blanc, des pieds à la tête, et arborait des galons dorés qui partaient du haut de ses bras pour remonter en rangs serrés jusqu’à ses épaules. Ses cheveux étaient touffus et blancs eux aussi, d’une couleur presque équivalente au teint cadavérique du visage qu’ils ornaient. Seuls les yeux semblaient vivants, et ils observaient d’un air curieux le caisson dans les mains de Pitt.

— Je suis l’amiral Hunter, et je vous accorde cinq minutes, pas une de plus, mon grand, vous feriez donc mieux de ne pas perdre de temps. Et amenez ce machin avec vous, ajouta-t-il, en montrant le caisson du doigt.

— Oui, sir, fut tout ce que Pitt parvint à répliquer.

Hunter avait déjà fait demi-tour, et était retourné dans son bureau. Pitt le suivit, et s’il n’avait encore éprouvé aucune gêne avant de pénétrer dans le bureau de l’amiral, il n’y eut plus aucun doute sur son embarras lorsqu’il se retrouva à l’intérieur. Il y avait là trois autres officiers de la marine, installés en compagnie de Hunter autour d’une antique table de conférence à la surface étincelante et immaculée. Leurs visages trahirent leur étonnement à la vue de Pitt, à demi nu et tenant sous le bras un paquet à l’aspect étrange.

Hunter se chargea des présentations de routine, mais cette courtoisie de façade ne parvint pas à abuser Pitt. L’amiral essayait par cette attitude de l’intimider, en citant les grades de ces hommes, tout en gardant l’œil sur Pitt pour guetter sa réaction. Pitt apprit ainsi que le grand capitaine de corvette blond au visage rappelant celui de John Kennedy s’appelait Paul Boland, et était le commandant en second de la 101e Flotte. L’imposant capitaine qui transpirait abondamment portait le nom plutôt bizarre de Orl Cinana et était l’officier commandant la petite flotte de navires de sauvetage de Hunter. Le petit personnage, dont la taille était presque celle d’un gnome, qui se leva d’un bond pour venir serrer la main de Pitt se présenta lui-même comme le capitaine Burdette Denver, aide de camp de l’amiral. Il laissa son regard fixé sur Pitt, comme s’il essayait de se rappeler ses traits.

— Alors, mon grand, reprit Hunter en utilisant à nouveau cette expression.

Pitt aurait donné un mois de salaire pour écraser son poing sur les dents de Hunter. La voix de l’amiral suintait de sarcasme.

— Et maintenant, si vous aviez la gentillesse de nous dire qui vous êtes et à quoi rime cette interruption, nous vous en serions éternellement reconnaissants.

— Vous êtes plutôt agressif pour quelqu’un de si anxieux de savoir ce que je transporte dans ce caisson, rétorqua Pitt, en s’installant confortablement sur une chaise libre, guettant leur réaction.

Cinana lui jeta un regard de l’autre côté de la table, les traits tordus en un masque sombre et empreint de malveillance.

— Espèce de salaud ! Comment pouvez-vous avoir l’audace de débarquer ici et d’insulter un officier !

— Cet homme est fou, lança Boland.

Il se pencha vers Pitt, le visage grave et tendu, avant d’ajouter :

— Vous n’êtes qu’un fichu imbécile. Est-ce que vous savez à qui vous parlez ?

— Vu que nous venons d’être présentés, dit Pitt d’un ton désinvolte, la réponse est « affirmatif ».

Le poing moite de Cinana s’abattit sur la table.

— La police côtière, nom de Dieu ! Je vais dire à Yager d’appeler la police côtière et de l’envoyer au trou.

Hunter alluma une longue cigarette, envoya l’allumette en direction d’un cendrier, le manquant de dix centimètres, avant d’observer Pitt d’un air pensif.

— Vous ne me laissez pas le choix, mon grand.

Il se tourna vers Boland.

— Capitaine, demandez au quartier-maître Yager de faire appel à la police côtière.

— Si j’étais vous, je n’en ferais rien, déclara Denver en quittant son siège, avec sur le visage une expression qui indiquait qu’il venait de trouver ce qu’il avait cherché jusque-là. L’individu que certains d’entre vous ont traité d’imbécile et de salaud, et que vous vouliez flanquer au cachot, est en réalité Dirk Pitt, le directeur des projets spéciaux de la NUMA, l’Agence Nationale de Recherches Océanographiques, et dont le père n’est autre que le sénateur de Californie George Pitt, président de la Commission des finances de la marine.

Cinana étouffa un juron des plus gratinés.

Boland fut le premier à recouvrer ses esprits.

— Vous en êtes sûr ?

— Oui, Paul, presque tout à fait.

Il longea la table pour aller se placer face à Pitt.

— Je l’ai vu il y a quelques années de cela, en compagnie de son père, lors d’une conférence à la NUMA. C’est également un ami de mon cousin, qui fait partie lui aussi de la NUMA. Le capitaine Rudi Gunn.

Un sourire réjoui éclaira le visage de Pitt.

— Bien sûr. Rudi et moi avons travaillé ensemble sur plusieurs projets. Je remarque la ressemblance, maintenant que vous le dites. La seule différence notable tient au fait que Rudi porte des lunettes à monture d’écaille.

— J’avais l’habitude de l’appeler le Castor, ajouta Denver en riant, quand nous étions gamins.

— Je lui balancerai ça à la tête, la prochaine fois que je le verrai, dit Pitt dans un sourire.

— J’espère que... Vous ne prendrez pas comme une offense... Ce que nous avons pu dire, bégaya Boland.

Pitt le gratifia de son regard le plus cynique et répondit simplement :

— Non.

Hunter et Cinana échangèrent alors un regard que Pitt n’eut aucune peine à déchiffrer. S’ils avaient eu l’intention de dissimuler leur embarras de se trouver dans la même pièce que le fils d’un sénateur des États-Unis, leur manœuvre échoua lamentablement.

— O.K., monsieur Pitt, vous êtes ici chez vous. Vous vouliez nous voir, je présume, pour nous parler du caisson que vous transportez. Pourriez-vous nous expliquer où vous l’avez trouvé ?

— Je ne suis que le garçon de courses, dit Pitt d’un ton tranquille. Je l’ai découvert alors que je me trouvais sur la plage cet après-midi, il flottait dans l’eau. Mais il vous appartient.

— Bien, bien, déclara Hunter d’une voix puissante. Je suis très honoré. Mais pourquoi moi ?

Pitt observa les trois hommes avec une expression pensive, avant de poser le cylindre sur la table, toujours emballé dans la natte de plage en bambou.

— Là-dedans, vous allez trouver des papiers. Et l’un de ces papiers porte votre nom.

Hunter ne sourcilla pas et pas le moindre signe de curiosité ne passa dans ses traits.

— Où avez-vous trouvé cet objet ?

— Près de la pointe de Kaena Point.

Hunter se pencha en avant.

— Échoué sur la plage ?

Pitt remua la tête.

— Non. J’ai dû nager au-delà des brisants et le tirer jusqu’au rivage.

Denver eut l’air étonné.

— Vous avez nagé au-delà des brisants de Kaena Point ? Je n’aurais jamais cru que c’était possible.

Hunter accorda à Pitt un long regard pensif, avant de réagir.

— Pouvons-nous voir ce qui se trouve à l’intérieur ?

Pitt acquiesça de la tête avant de dévisser la tête du cylindre, prenant à peine garde au sable humide qui se répandait sur la table de conférence. À la suite de quoi, il tendit l’objet à Hunter.

— C’est cet emballage de plastique jaune qui a attiré mon regard.

Hunter s’empara du cylindre et le présenta aux autres pour qu’ils l’examinent.

— Vous reconnaissez ceci, Messieurs ?

Les autres hochèrent la tête.

— Vous n’avez certainement jamais servi à bord d’un sous-marin, monsieur Pitt, ou bien vous sauriez à quoi ressemble une capsule de communications.

Hunter déposa l’objet sur la table avant de le tapoter légèrement de la main.

— Lorsqu’un sous-marin désire rester en plongée tout en voulant communiquer avec le navire de surface qui suit son sillage, un message est inséré dans une capsule d’aluminium.

Tout en parlant, il dégageait délicatement le caisson de son enveloppe de plastique jaune.

— La capsule, munie d’une cartouche d’encre rouge, est alors éjectée du sous-marin à l’aide d’un tube pneumatique. Lorsqu’elle arrive à la surface, l’encre est libérée, et colore plusieurs centaines de mètres carrés d’eau, ce qui la rend visible pour le navire suiveur.

— Le filetage très fin sur le couvercle, dit Pitt lentement. Il a été conçu pour empêcher les fuites, même sous des pressions extrêmes.

Dans l’expectative, Hunter porta son regard sur Pitt.

— Avez-vous lu ce que contient la capsule ?

Pitt hocha la tête.

— Oui, sir.

Ni Boland, ni Cinana, ni même Denver ne saisirent l’expression de malaise et de désespoir qui passa alors dans le regard de Hunter, et sans doute ne la virent-ils même pas.

— Cela vous ennuierait-il de nous décrire ce que vous y avez découvert ? demanda Hunter, sachant avec une redoutable certitude quelle allait être la réponse.

Plusieurs secondes passèrent, au cours desquelles Pitt forma le vœu muet de n’être jamais tombé sur cette maudite capsule. Mais il n’avait aucune chance d’y échapper. Il allait prononcer une dernière phrase, et il serait débarrassé de toute cette affaire, et de tous ses aspects désagréables. Il prit une longue respiration, avant de se mettre à parler lentement.

— À l’intérieur, vous allez trouver une note qui vous est adressée, amiral. En plus de trente-six pages arrachées au journal de bord du Starbuck, le sous-marin nucléaire.