Résumé

« Tamani regarda gravement Laurel et il tendit la main pour repousser une mèche de cheveux derrière son oreille.

Il hésita un instant, puis ses mains trouvèrent les côtés de son visage, l’attirant vers lui. Il ne l’embrassa pas, se contenta de garder son visage près du sien, leurs fronts appuyés l’un sur l’autre, leurs nez se frôlant.

Elle n’aima pas l’impression d’adieu que cela lui laissait. »

Laurel connaît maintenant la vérité : Yuki est une des fées les plus puissantes et mortelles, une rare fée d’hiver, et Klea a l’intention de se servir d’elle pour conquérir et détruire Avalon. Cependant, l’ampleur du pouvoir de Klea s’étend bien au-delà d’une unique fée d’hiver sauvage.

Avec Tamani, David et Chelsea à ses côtés, Laurel se prépare à faire face à ce qui pourrait bien être les derniers jours d’Avalon au cours de l’étonnante conclusion de la série Ailes.

DESTINÉE

Aprilynne Pike

Traduit de l’anglais par

Lynda Leith

ADA éditions

Copyright © 2012 Aprilynne Pike

Titre original anglais : Destined

Copyright © 2012 Éditions AdA Inc. pour la traduction française Cette publication est publiée en accord avec HarperCollins Publishers.

Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

Éditeur : François Doucet

Traduction : Lynda Leith

Révision linguistique : Isabelle Veillette Correction d’épreuves : Nancy Coulombe, Carine Paradis Montage de la couverture : Matthieu Fortin Illustration de la couverture : © 2012 Mark Tucker/ Merge Left Reps, Inc.

Mise en pages : Sébastien Michaud

ISBN papier 978-2-89667-593-7

ISBN PDF numérique 978-2-89683-410-5

ISBN ePub 978-2-89683-411-2

Première impression : 2012

Dépôt légal : 2012

Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque Nationale du Canada

Éditions AdA Inc.

1385, boul. Lionel-Boulet

Varennes, Québec, Canada, J3X 1P7

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Imprimé au Canada

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Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Pike, Aprilynne

Destinée

Traduction de : Destined.

Pour les jeunes de 13 ans et plus.

ISBN 978-2-89667-593-7

I. Leith, Lynda. II. Titre.

PZ23. P5549De 2012

j813’. 6

C2012-940561-2

Dédicace

À Neil Gleichman, qui m’a enseigné

à terminer en force.

J’espère avoir réussi.

Merci, coach.

UN

TAMANI PRESSA LE FRONT CONTRE LE CARREAU FROID DE LA fenêtre, combattant une vague de fatigue intense. Le sommeil n’était pas une option, pas aussi longtemps que la seule chose entre lui et une fée d’hiver en colère serait une mince ligne de sel de table.

Ce soir, il était doublement Fear-gleidhidh.

Il portait normalement ce vieux titre avec fierté. Il le désignait comme le gardien de Laurel, son protecteur.

Cependant, il revêtait également une signification plus profonde, qui allait au-delà du plus traditionnel Am Fear-faire. Fear-gleidhidh signifiait « gardien », et Tamani n’avait pas seulement la responsabilité de protéger Laurel, mais aussi celle de s’assurer qu’elle remplissait la mission que lui avait confiée Avalon lorsqu’elle était enfant.

Aujourd’hui, il devenait aussi gardien de prison.

Il regarda sa prisonnière. La chaise de Yuki était installée sur le linoléum éraflé au milieu d’un large cercle de sel blanc et granuleux. Elle dormait, une joue appuyée sur ses genoux, les mains lâchement menottées dans le dos. Elle semblait inconfortable. Vaincue.

Inoffensive.

— J’aurais tout abandonné pour toi.

Sa voix était étouffée mais claire.

Tamani sentit Shar se raidir au son de sa voix brisant le lourd silence.

Elle ne dort pas en fin de compte. Et elle ne pourrait jamais être inoffensive, se rappela-t-il à lui-même. La petite fleur blanche s’épanouissant au milieu de son dos, la marque des fées d’hiver, constituait une preuve suffisante de ce fait. Il s’était écoulé une heure depuis que David l’avait menottée à la chaise – une heure que Chelsea avait exposé la confirmation irréfutable qu’elle était en fait une fée d’hiver –, et Tamani n’avait toujours pas apprivoisé ce spectacle. Il le remplissait d’une peur glaciale qu’il avait rarement ressentie auparavant.

— J’étais prête. Voilà pourquoi je t’ai arrêté avant que tu me fasses entrer.

Yuki leva les yeux et décroisa les jambes, les allongeant autant que possible dans les circonstances.

— Mais tu le savais, n’est-ce pas ?

Tamani garda le silence. Il s’en était rendu compte.

Pendant un instant, il avait été tenté de la laisser se confesser. Toutefois, cela ne se serait pas bien terminé.

Yuki aurait fini par découvrir que son affection était une fiction, et il se serait retrouvé à la merci du mépris d’une fée d’hiver. Mieux avait valu mettre fin immédiatement à cette comédie.

Il espérait qu’il ne se faisait pas d’illusion à ce propos.

Elle constituait une menace ; au départ, il n’aurait même pas dû éprouver de la culpabilité à lui mentir, encore moins maintenant qu’il savait qu’elle aussi mentait. Le pouvoir des fées d’hiver sur les plantes leur permettait de sentir la présence d’une vie végétale de loin, de sorte que Yuki avait su qu’il était une fée dès l’instant de leur première rencontre. Elle avait su pour Laurel également.

Elle les avait tous trompés.

Alors, pourquoi se demandait-il encore s’il avait bien agi ?

— Nous aurions pu être tellement bons ensemble, Tam, poursuivit Yuki, sa voix aussi suave que la beauté de sa

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robe argentée froissée. Laurel ne va pas le quitter pour toi.

Elle est peut-être une fée à l’extérieur, mais à l’intérieur, elle est entièrement humaine. Avec David ou sans David, sa place est ici, et tu le sais.

Évitant le regard de son capitaine, Tamani se retourna vers la fenêtre et scruta l’obscurité en prétendant regarder… quelque chose. N’importe quoi. La vie d’une sentinelle était remplie de méchanceté, et Tamani et Shar s’étaient vus prendre chacun des mesures extrêmes pour protéger leur terre natale. Mais toujours contre une menace évidente, un agresseur brutal : une fée qui avait fait ses preuves. L’ennemi, c’était les trolls – depuis toujours. Les fées d’hiver étaient les souveraines d’Avalon, et même si Yuki les avait trompés, dans les faits, elle ne leur avait pas fait de mal. Il ne savait pourquoi, mais la mettre aux fers lui paraissait pire que tuer une centaine de trolls.

— Toi et moi, Tam, nous sommes pareils, continua Yuki. Nous sommes utilisés par des gens qui ne se soucient pas de ce que nous voulons ou de ce qui nous rend heureux. Nous ne leur appartenons pas ; notre place est ensemble.

À contrecœur, Tamani lui jeta un coup d’œil. Il fut étonné de constater qu’elle ne le regardait pas en s’adressant à lui – elle fixait un point derrière lui, par la fenêtre, vers un avenir plus brillant qu’elle imaginait encore possible. Tamani était avisé.

— Aucune porte dans ce monde ne peut nous être fermée, Tam. Si tu te portes garant de moi, nous pourrions même entrer en paix à Avalon. Nous pourrions demeurer là ensemble et vivre au palais.

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— Comment es-tu au courant pour le palais ? s’enquit Tamani par réflexe, sachant en posant la question qu’il mordait à son hameçon.

Shar lâcha un soupir à peine audible, et Tamani se demanda s’il était dirigé contre la stupidité de Yuki ou la sienne.

— Ou bien nous pourrions rester ici, poursuivit-elle calmement, comme si Tamani n’avait rien dit. Peu importe l’endroit où nous voulons aller ou nos désirs, tout est possible pour nous. Grâce à ton pouvoir sur les animaux et le mien sur les plantes, le monde nous appartiendrait. Tu sais, le jumelage du printemps avec l’hiver fonctionnerait très bien. Nos talents se complètent parfaitement.

Tamani se demanda si elle savait à quel point elle avait raison – ou si elle savait que cela ne le tentait pas du tout.

— Je t’aurais aimé pour toujours, murmura-t-elle en baissant la tête.

Sa chevelure sombre lustrée tomba devant elle, voilant son visage, et elle renifla doucement. Pleurait-elle ou réprimait-elle un rire ?

Tamani sursauta lorsqu’un coup retentit à la porte.

Avant qu’il ne puisse esquisser un pas, Shar se rendit en silence au judas.

Couteau en main, Tamani se tendit – prêt. S’agissait-il de Klea ? Tout ceci – le cercle, Yuki menottée – avait un but : élaborer un piège pour partager la fée d’automne qui avait peut-être l’intention de les tuer.

Et peut-être pas.

Si seulement ils pouvaient en avoir la certitude.

Jusque-là,

Tamani devait supposer qu’elles

représentaient une menace – mortelle.

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Cependant, Shar ouvrit la porte avec une ombre de grimace et Laurel pénétra dans la pièce, Chelsea sur ses talons.

— Laurel, fut tout ce que réussit à dire Tamani, ses doigts s’écartant du couteau.

Même s’il aimait Laurel depuis aussi longtemps qu’il s’en souvenait et que dernièrement, le sentiment s’était…

intensifié, son cœur bondissait encore de joie chaque fois qu’il la voyait.

Elle avait retiré sa robe de bal bleu foncé – celle qu’elle portait lorsqu’il l’avait tenue dans ses bras au festival Samhain il y avait plus d’un an, quand il l’avait embrassée si passionnément. Cela semblait tellement loin.

Laurel ne le regardait pas maintenant ; elle n’avait d’yeux que pour Yuki.

— Tu ne devrais pas être ici, murmura Tamani.

Laurel arqua un sourcil en guise de réponse.

— Je voulais voir cela de mes propres yeux.

Tamani serra les dents. En vérité, il voulait qu’elle soit ici, mais ses propres désirs égoïstes entraient en contradiction avec son inquiétude pour sa sécurité. Ne serait-il jamais capable de satisfaire les deux sentiments ?

— Je pensais que tu étais partie à la recherche de David, dit Tamani à Chelsea, qui portait encore sa robe de soirée d’un rouge profond.

Elle avait abandonné ses talons hauts quelque part, de sorte que la jupe de sa robe formait une flaque autour de ses pieds, comme du sang.

— Je ne l’ai pas trouvé, répondit Chelsea, sa lèvre tremblant d’une manière presque imperceptible.

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Elle regarda Laurel, qui observait toujours leur prisonnière silencieuse.

— Yuki ? commença timidement Laurel. Est-ce que ça va ?

Yuki leva la tête, posant sur Laurel un regard d’acier rempli de colère.

— Ai-je l’air de bien aller ? On m’a kidnappée ! Je suis menottée à une chaise en métal ! Comment irais-tu, toi ?

Le ton vénéneux de la fée d’hiver sembla frapper Laurel comme une vague déferlante ; elle recula d’un pas.

— Je suis venue voir ce que tu faisais.

Laurel jeta un coup d’œil à Tamani, mais ce dernier ne savait pas trop ce qu’elle voulait. Des encouragements ?

Une permission ? Il lui offrit une grimace peinée et un minuscule haussement d’épaules impuissant.

Laurel reporta son attention sur Yuki ; l’expression de la fée d’hiver était impassible, son menton levé haut.

— Qu’est-ce que Klea veut de moi ? demanda Laurel.

Tamani ne s’attendait pas à ce qu’elle réponde, mais Yuki rencontra le regard de Laurel, puis elle dit simplement :

— Rien.

— Alors, pourquoi es-tu venue ?

Yuki souriait à présent, un sourire tordu, malicieux.

— Je n’ai pas dit qu’elle n’a jamais voulu quoi que ce soit. Toutefois, elle n’a plus besoin de toi.

Les yeux de Laurel passèrent nerveusement de Tamani à Shar avant de revenir sur Yuki.

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— Laurel, écoute, dit Yuki d’une voix basse et apaisante. Toute cette comédie ne sert absolument à rien.

Je vais te parler si tu me fais sortir d’ici.

— Ça suffit, intervint Tamani.

— Entre ici et viens me faire taire, dit Yuki en lançant un regard noir à Tamani avant de le poser de nouveau sur Laurel. Je n’ai jamais rien fait pour te nuire et tu sais que j’aurais pu. J’aurais pu te tuer un million de fois, mais je ne l’ai pas fait. Cela ne compte-t-il pas ?

Tamani ouvrit la bouche, mais Laurel mit une main sur son torse, le réduisant au silence.

— Tu as raison. Cependant, tu es une fée d’hiver. Tu as caché ce fait, même si toi-même devais savoir qui nous étions. Pourquoi ?

— Selon toi ? Dès que tes amis soldats ont découvert ce que je suis, ils ont désamorcé mon pouvoir et m’ont enchaînée à une chaise !

Tamani n’aimait pas qu’elle ait raison – que Laurel ne soit pas en mesure de le nier.

— D’accord, bien, nous devons peut-être simplement tout reprendre du début, dit Laurel. Si nous pouvons démêler tout ceci avant que Klea revienne, encore mieux.

Si tu pouvais seulement nous dire…

— Tamani garde les clés, dit Yuki en regardant de son côté, les yeux brillants de méchanceté. Fais-moi sortir d’ici et je vais t’apprendre tout ce que tu veux savoir.

— Pas question, lança Tamani, faisant de son mieux pour avoir l’air de s’ennuyer.

Laurel s’adressa de nouveau à Yuki, leur coupant la parole.

— C’est probablement plus sûr pour tout le monde si…

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— Non ! cria Yuki. Je ne peux pas croire que tu participes à cela ! Après ce qu’ils t’ont fait ? Et à tes parents ?

Tamani fronça les sourcils ; qu’est-ce que les parents de Laurel avaient à voir là-dedans ?

Cependant, Laurel secouait déjà la tête.

— Yuki, je n’aime pas le fait qu’ils aient effacé mes souvenirs. Mais je ne peux pas changer le passé…

— Tes souvenirs ? Je ne parle pas des élixirs de mémoire. Qu’en est-il du poison ?

— Oh, je t’en prie… lâcha Tamani.

Laurel le fit taire.

— Yuki, sais-tu qui a empoisonné mon père ? Tamani était assez certain de la réponse et il savait que Laurel l’était aussi – Klea devait être la coupable. Toutefois, si Laurel pouvait convaincre Yuki de confirmer leurs soupçons…

— Ton père ?

Yuki parut déconcertée.

— Pourquoi empoisonneraient-ils ton père ? Je parle de ta mère.

Encore une fois, Laurel regarda Tamani et il secoua la tête avec un petit haussement d’épaules. À quoi jouait Yuki ?

— Tu ignores tout, n’est-ce pas ? Quelle énorme coïncidence qu’il se trouve que le couple propriétaire de la terre autour du portail est par hasard sans enfant – qu’il attende qu’un bébé blond surgisse dans leur vie. Comme c’est… pratique. N’est-ce pas ton avis ?

— Ça suffit, intervint sèchement Tamani.

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Il aurait dû deviner ; encore des ruses. Yuki cherchait seulement des moyens de leur faire douter d’eux-mêmes, ainsi que l’un de l’autre.

— Ils l’ont fait, reprit Yuki. Quinze ans avant que tu apparaisses sur le pas de leur porte, les fées se sont assurées que ta mère avait suffisamment envie d’un bébé pour t’adopter sans poser de questions. Ils l’ont abîmée, Laurel. Ils ont fait en sorte qu’elle ne puisse pas enfanter.

Ils ont gâché sa vie, et tu te ranges de leur côté.

— Ne l’écoute pas, Laurel. Ce n’est pas vrai, dit Tamani.

Elle essaie seulement de t’influencer.

— Est-ce vraiment ce que j’essaie de faire ? Pourquoi ne pas le lui demander ?

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DEUX

LAUREL SUIVIT LES YEUX DE YUKI JUSQU’À SHAR, QUI ÉTAIT

debout et aussi immobile qu’une statue, son visage ne trahissant rien.

Ce ne pouvait pas être vrai. Impossible. Pas Shar, qui avait été son gardien invisible depuis qu’elle avait quitté Avalon la première fois.

Alors, pourquoi ne le nie-t-il pas ?

Dis-le-lui, reprit Yuki en se tendant fortement sur sa chaise. Révèle-lui ce que tu as fait à sa mère.

Shar n’ouvrit pas la bouche.

— Shar, le supplia Laurel à voix basse.

Elle voulait l’entendre contester. Elle avait besoin qu’il le fasse.

— S’il te plaît.

— C’était nécessaire, répondit enfin Shar. Nous ne les avons pas choisis. Il se trouvait qu’ils vivaient là. Le plan devait fonctionner, Laurel. Nous n’avions pas le choix.

— Il y a toujours un choix, chuchota Laurel, la bouche sèche tout à coup, le menton tremblotant de colère.

Shar avait empoisonné sa mère. Shar, qui la protégeait depuis plus longtemps même que Tamani, avait empoisonné sa mère.

J’ai un foyer et une famille à protéger. Et je ferai tout ce qu’il faut pour assurer la sécurité d’Avalon.

Laurel se hérissa.

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— Tu n’avais pas besoin de…

— Oui, je le devais, déclara Shar. Je dois faire beaucoup de choses dont je n’ai pas envie, Laurel. Penses-tu que je désirais saboter la vie de tes parents humains ? Que je voulais te faire oublier ? J’obéis aux ordres. C’est pourquoi je t’ai surveillée tous les jours avant l’arrivée de Tamani.

La raison pour laquelle je connais tout sur toi. Le bol de famille que tu as cassé et au sujet duquel tu as menti. Le chien que tu as enterré juste sous ta fenêtre parce que tu ne supportais pas qu’il soit plus loin de toi. Le temps que tu as passé avec Tamani, dans la cabane en bois ronds en octobre.

— Shar, dit Tamani d’une voix contenant un avertissement clair.

— Je t’ai laissé l’intimité que je pouvais, reprit Shar d’une voix basse trahissant enfin une note de remords.

Mais la minuscule expression de regret était manifestement adressée à Tamani et non à Laurel ; l’envie soudaine de traverser la pièce d’une longue enjambée et de gifler Shar ne fut contrée que par la rage qui la paralysait.

Le sourire de Yuki s’évanouit.

— C’est la force avec laquelle tu t’es alliée, Laurel ? Je n’ai peut-être pas toujours été honnête avec toi, mais moi-même, j’ai cru que tu valais mieux que ces monstres.

Elle baissa le regard sur le sel encerclant sa chaise.

— Un petit coup de ton pied et je pourrai arrêter tout cela. Je vais t’amener avec moi et te montrer à quel point Avalon a tort. Et tu peux m’aider à y rétablir la justice.

Laurel fixa le sel. Une partie d’elle souhaitait obéir, uniquement pour s’en prendre à Shar.

— Comment sais-tu pour Avalon ?

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— Est-ce important ? demanda Yuki, le visage impassible.

— Peut-être.

— Libère-moi. Je te fournirai les réponses qu’ils te cachent.

— Ne le fais pas, Laurel, dit doucement Tamani. Je n’aime pas cela non plus, mais sa libération n’améliorera rien.

— Ne crois-tu pas que je le sais ? lança sèchement Laurel ; mais elle était incapable de détourner son regard du cercle blanc à ses pieds.

Tamani recula, silencieux.

Laurel voulait donner un coup de pied dans le sel –

vraiment. Il s’agissait d’une envie irrationnelle qu’elle ne réaliserait pas, elle le savait, mais des larmes chaudes s’accumulèrent dans ses yeux alors que sa gorge brûlait de ce désir.

— Laurel.

Une main délicate lui toucha le bras, la ramenant à la réalité. Elle se tourna vers une Chelsea au visage blême.

— Viens avec moi. Nous allons en discuter, aller en voiture quelque part, tout ce qu’il faut pour te calmer.

Laurel fixa son amie, se concentrant sur la seule personne dans la pièce qui ne l’avait jamais blessée, jamais trompée. Elle hocha la tête sans regarder personne d’autre.

— Partons, dit-elle. Je ne veux plus être ici.

Une fois dehors, Chelsea referma la porte, puis elle s’arrêta.

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— Merde, jura-t-elle doucement. J’ai déposé mes clés quelque part. Stupide robe sans poche, marmonna-t-elle en relevant l’ourlet pour ne pas trébucher dessus. Je reviens tout de suite.

Elle se retourna, et la porte s’ouvrit avant qu’elle ne puisse en toucher la poignée.

— Mes clés, expliqua Chelsea en passant devant Tamani.

Il ferma la porte derrière lui, restant seul avec Laurel sur le porche. Elle fixa son regard sur l’escalier, tout à coup réticente à le regarder.

— Je l’ignorais, murmura Tamani après une longue pause. Je le jure.

— Je le sais, chuchota-t-elle.

Elle appuya son dos contre le mur et se laissa glisser au sol, puis elle étreignit ses genoux. Sa voix était atone, même à ses propres oreilles.

— Ma mère est enfant unique. Son père est parti lorsqu’elle était enfant. Il ne restait qu’elle et sa mère.

Puis, grand-mère est morte aussi. Maman a toujours désiré une famille nombreuse. Cinq enfants, m’a-t-elle dit un jour. Elle voulait cinq enfants. Mais cela ne s’est jamais réalisé.

Elle ignorait pourquoi elle lui racontait tout cela, mais d’une certaine façon, ça lui faisait du bien de parler, alors elle poursuivit.

— Ils ont consulté un tas de médecins et personne ne comprenait ce qui clochait. Aucun d’eux. C’est essentiellement cela qui a raffermi sa méfiance envers les docteurs. Cela a aussi grugé toutes leurs économies pendant longtemps. Et ça n’a pas d’importance, car maman m’aurait accueillie même si elle avait eu d’autres

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enfants, déclara fermement Laurel. Je le sais. Shar n’avait pas du tout besoin d’agir ainsi.

Elle se tut un moment.

— Sais-tu ce qui me rend réellement furieuse ?

Tamani eut la grâce de secouer sa tête en silence.

— J’ai un secret maintenant. Je leur raconte tout. Tout.

Cela n’a pas été facile, mais me montrer ouverte et honnête avec eux a fait de cette dernière année environ la partie la plus merveilleuse de ma vie. Aujourd’hui, je sais ceci : cette chose que je ne peux pas leur révéler parce qu’ils ne me verraient plus jamais de la même façon, ni les fées.

Sa colère s’enflamma, brûlante.

— Et je le déteste pour cela, murmura-t-elle.

— Je suis désolé, dit Tamani. Je sais à quel point tu les aimes et… et je suis désolé qu’ils aient été blessés.

— Merci, répondit Laurel.

Tamani baissa les yeux sur ses mains, une ébauche d’émotion sur son visage que Laurel n’arrivait pas à déchiffrer.

— Je suis contrarié de ne pas l’avoir su, déclara-t-il enfin. Il y a tellement de choses que j’ignore. Et je ne crois pas que Yuki va nous révéler quoi que ce soit. La moitié de ses propos contredit l’autre. J’avais pensé que peut-être, une fois que nous l’aurions piégée, nous recevrions finalement les réponses que nous cherchions, mais… s’il ne se passe pas quelque chose bientôt… je ne sais pas comment Shar réagira.

— Shar…

Que lui avait-il dit, déjà ? Je ferai tout ce qu’il faut pour assurer la sécurité d’Avalon.

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Il ne lui fera pas de mal, n’est-ce pas ? Pour obtenir plus d’information ?

— Il ne le peut pas. Même s’il penchait de ce côté, il ne peut pas pénétrer dans le cercle.

— Il y a des choses qu’il pourrait faire sans entrer dans le cercle, commença Laurel. Il pourrait…

— Je ne le laisserai pas faire, répliqua fermement Tamani. Je le promets. Je vais la protéger. Mensonges ou pas, elle était mon amie. Elle l’est peut-être toujours, je l’ignore. D’ailleurs, Shar lui-même ne risquerait pas les peines encourues… pour avoir torturé une fée d’hiver.

Laurel n’était pas certaine de croire cela.

— Ce n’est pas un monstre, continua Tamani. Il fait ce qui doit l’être, mais cela ne signifie pas qu’il aime cela. Je comprends que tu ne peux pas lui faire confiance en ce moment, mais je t’en prie, aie confiance en moi.

Laurel hocha la tête d’un air sombre. Comme si elle avait le choix.

— Merci, dit-il.

— Peut-il vraiment la retenir, Tam ? Le cercle ?

Il resta un moment silencieux.

— Je le pense.

— Ce n’est que du sel, dit Laurel à voix basse. Tu étais avec moi au palais d’hiver ; tu as senti le pouvoir dans les salles supérieures. Contenir ce genre de magie avec une substance actuellement sur la table de ma salle à manger ne me semble pas possible.

— Elle y est entrée de son plein gré. Shar dit que c’est de là que vient son pouvoir.

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Ses cils se levèrent et ses pâles yeux verts croisèrent les yeux de Laurel.

— Ne sous-estime jamais le pouvoir d’une situation dans laquelle tu t’es toi-même placée.

Elle savait qu’il faisait référence à plus que le cercle de sel.

Après un moment d’hésitation, Tamani la rejoignit sur le sol, posant un bras réconfortant autour des épaules de sa compagne.

— Je suis désolé pour tout, chuchota-t-il, ses mots lourds de regret.

Elle tourna le visage et se pencha vers lui, souhaitant se perdre en lui, oublier tout le reste, juste un instant.

Tamani expira en tremblant et rapprocha son visage du sien. Laurel leva une main vers sa joue et l’attira à elle.

Leurs lèvres venaient à peine de se toucher lorsque la porte s’ouvrit et que Chelsea sortit en trombe, les clés cliquetant dans sa main.

— C’est Shar qui les avait tout ce temps, se plaignit-elle bruyamment. Il est resté là à me regarder les chercher partout et ensuite…

Son regard se dirigea droit sur le bras de Tamani autour des épaules de Laurel.

— Oh, bien voyons ! dit Chelsea, réalisant clairement maintenant l’intention de Shar.

Puis, doucement, elle ajouta :

— Désolée.

Laurel baissa sa vitre, laissant le vent caresser son visage pendant que Chelsea roulait dans les rues désertes

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et sombres. Pendant presque une demi-heure, Chelsea ne dit rien de plus à propos de leur courte expédition dans l’appartement ou de son apparition inopportune, et Laurel apprécia l’effort que son amie avait dû mettre pour se taire. Le silence ne venait certainement pas naturellement à Chelsea. Elle se mourait : probablement de reparler de leur visite à Yuki, mais tout ce que Laurel voulait, c’était de repousser tout cela au fond de son esprit et prétendre que ce n’était jamais arrivé.

— Hé, est-ce…

Chelsea se rangeait déjà quand Laurel réalisa que le grand gars marchant sur le côté de la route, silhouette découpée par le lampadaire, était David. Ses yeux –

prudents sous la lueur des phares – luirent de soulagement en reconnaissant la voiture de la mère de Chelsea lorsqu’elle se gara le long du trottoir.

— Où étais-tu ? demanda Chelsea quand David s’accroupit pour regarder par la vitre du passager. J’ai roulé partout à ta recherche.

David fixa le sol.

— Je suis resté hors de vue, admit-il. Je ne voulais pas être trouvé.

Chelsea regarda par-dessus son épaule dans la direction où il marchait avant. Vers l’appartement.

— Où vas-tu ?

— J’y retourne, gronda David. Pour redresser les choses.

— Elle va bien, dit Chelsea, le regard sérieux.

— Mais c’est moi qui l’ai mise là.

— Elle a compris le cercle, insista Chelsea. Ce n’est pas comme c’était. Elle ne se blesse plus elle-même

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maintenant. Elle reste assise, simplement. Bien, elle reste assise et elle parle, ajouta Chelsea.

Cependant, David secouait la tête.

— J’ai essayé de fuir ma responsabilité dans ceci et j’en ai assez. J’y retourne pour m’assurer que tout reste humain. Ou, tu sais, l’équivalent en ce qui concerne les plantes.

— Tamani a dit qu’il allait s’assurer qu’elle reste en sécurité, dit Laurel.

— Mais sa définition – et celle de Shar – de la sécurité n’est pas tout à fait pareille à la mienne. À la nôtre.

Il fit courir son regard de l’une à l’autre.

Nous l’avons mise là. Nous tous. Et je pense encore que c’était la bonne décision, mais sinon… je ne veux pas rester là les bras croisés et laisser la situation se dégrader.

— Que sommes-nous censés faire ? demanda Laurel, ne souhaitant pas admettre qu’elle ne désirait pas non plus y retourner.

Chelsea roula les yeux.

— Quelqu’un devrait rester toute la nuit, dit Laurel. Ce que mes parents me permettraient probablement, mais…

— Rester debout toute la nuit, ce n’est pas vraiment ton truc, déclara David, exprimant l’inquiétude de Laurel.

— Je peux envoyer un message texte à ma mère, offrit Chelsea. Je lui ai dit que je passerais sûrement la nuit chez toi de toute façon – c’est totalement logique après une danse importante. Et elle ne vérifie jamais mes dires.

Laurel et Chelsea se tournèrent vers David.

— Je vais penser à quelque chose, grommela-t-il. Qu’en est-il de Ryan ?

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— Quoi ? s’enquit Chelsea, trouvant quelque chose d’intéressant à examiner sur le volant.

— Il va se demander pourquoi tu n’arrêtes pas de courir partout à des heures étranges. Tu ne peux pas toujours te servir de Laurel comme prétexte.

— Je ne pense pas qu’il va le remarquer, dit Chelsea.

— Tu ne peux pas te contenter de le supposer, rétorqua David. Ne le sous-estime pas. Tu le sous-estimes toujours.

Ce n’est pas vrai !

— Bien, il va finir par remarquer quelque chose si tu commences brusquement à être tout le temps « occupée ».

Et il voudra passer du temps avec toi pendant le congé scolaire. Particulièrement parce que tu l’as plaqué presque tous les jours la semaine dernière pour étudier pour les examens finaux, affirma David.

— Je ne sais pas pourquoi, mais je ne crois pas que cela se produira, déclara Chelsea avec regret en s’appuyant sur son siège et en croisant enfin son regard.

David se contenta de secouer la tête.

— Je ne te comprends pas. Tu éprouvais une telle inquiétude pour lui quand Yuki ou Klea ou je ne sais qui lui a filé cet élixir de mémoire, et à présent on dirait que tu t’en fous complètement.

Il fouetta l’air avec son pied.

— Pourquoi ne romps-tu pas avec lui, tout simplement ?

— Je l’ai fait, dit Chelsea à voix basse.

Les yeux de David filèrent de Chelsea à Laurel, puis de nouveau à Chelsea.

— Tu as quoi ?

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— Comment aurais-je pu autrement justifier ma fuite au milieu d’une danse… avec toi ? ajouta-t-elle en grommelant.

— Je plaisantais !

— Pas moi. J’allais le faire de toute façon.

David regarda Laurel.

— Étais-tu au courant ?

Laurel jeta un coup d’œil à Chelsea avant d’opiner.

— Pourquoi ? demanda David. Qu’est-ce qui a mal tourné ?

Chelsea ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit.

— Il était temps, tout simplement, dit Laurel en venant à son secours.

Ce n’était assurément pas un sujet que quiconque devait aborder encore. Certainement pas maintenant.

David haussa les épaules, son visage un masque de nonchalance.

— Peu importe. Nous devons retourner là-bas. La nuit sera longue.

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TROIS

— DONC, TOUT CE QUE TU FAIS, C’EST RESTER ASSIS ICI ?

demanda Chelsea à Tamani, sa voix se cassant un peu alors qu’elle tentait de dissimuler un bâillement.

L’appartement était sombre et silencieux. Shar avait saisi l’occasion pour appuyer sa tête contre le mur et il s’octroyait un peu du sommeil dont il avait grandement besoin. Ne restait que Tamani pour bavarder à voix basse avec Chelsea, qui avait insisté pour prendre le premier quart.

— À peu près, répondit Tamani. Tu peux dormir un peu si tu le souhaites ; le tapis est doux. Désolé si l’ameublement est aussi…

— Inexistant ? proposa Chelsea, se redressant sur la simple chaise en bois habituellement posée à côté de la table de cuisine inutilisée. Ça va, je ne suis pas tellement fatiguée. Je m’ennuie un peu, c’est tout.

Elle marqua une pause avant de se pencher vers Tamani.

— Ne parle-t-elle jamais ?

— Oui, je parle, siffla Yuki avant que Tamani puisse répondre. Ce n’est pas comme si tu ne m’avais pas entendue un million de fois auparavant. Souviens-toi un peu plus tôt aujourd’hui, alors que nous nous sommes rendues ensemble à l’école ? Je sais que la semaine dernière doit te paraître comme de l’histoire ancienne maintenant, mais je pensais que vous autres, les humains, pouviez au moins vous rappeler le passé récent.

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Chelsea resta immobile avec la bouche entrouverte avant de la refermer d’un coup et de marmonner :

— Bien, désooolée !

— Ne me prends pas en pitié, déclara Yuki, s’agitant sur sa chaise. Au pire, je suis piégée dans ce monde pendant deux jours. Toi, tu es coincée ici pour le reste de ton existence.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda Chelsea, se tournant plus franchement vers Yuki.

— Ne l’écoute pas, la prévint Tamani. Elle cherche seulement à t’atteindre.

— Chelsea Harrison, poursuivit-elle, ignorant Tamani.

La troisième roue perpétuelle. Toujours tellement proche de ce que tu désires désespérément, sans jamais tout à fait toucher au but.

— Vraiment, intervint Tamani, se déplaçant pour se positionner entre Chelsea et la fée d’hiver. Elle n’a rien à dire que tu souhaites entendre.

Il ne pouvait pas s’empêcher d’avoir envie de la protéger. L’humaine avait réussi à s’insinuer dans ses bonnes grâces au cours des quelques derniers mois et il ne voulait pas qu’elle soit blessée par ce qui allait sortir de la bouche de Yuki.

— Tu penses vraiment pouvoir être de taille ?

Toutefois, la curiosité de Chelsea était presque aussi connue que sa franchise et elle se pencha en avant afin de la voir de nouveau.

— Être de taille contre qui ?

— Laurel, évidemment. Le fait est qu’elle n’a pas besoin de choisir David – ce qu’elle fera, précisa Yuki, sans aucun doute dans l’intérêt de Tamani. Toutefois, même dans le

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cas contraire, tu perds quand même. Disons que tout se passe selon tes rêves. Laurel abandonne David derrière elle, et un jour il se retourne et réalise pour la toute première fois que tu étais là pendant tout ce temps, attendant seulement qu’il te remarque.

Le visage de Chelsea rougit, mais ses yeux ne quittèrent pas Yuki une seconde.

— Tout à coup, tu es tout ce qu’il a toujours voulu. Il t’adore, et au contraire de ton petit ami bizarre, il accepte de fréquenter n’importe quelle université de ton choix.

— Qui t’a dit…

— Tu vas à Harvard, vous emménagez ensemble ; peut-

être même vous mariez-vous. Mais, reprit-elle en se penchant en avant autant qu’elle le pouvait, Laurel sera à jamais présente au fond de son esprit. Toutes les aventures qu’ils ont partagées, les projets qu’ils ont formés. Elle est plus belle que toi, plus magique que toi, tout simplement mieux que toi. Aie le courage de l’admettre, tu n’as aucun espoir de ne jamais être autre chose que le deuxième violon. Et tu devras vivre ta vie en sachant que si David avait eu le dernier mot, il n’aurait jamais eu l’occasion d’être avec toi. Laurel gagne.

La respiration de Chelsea était haletante. Elle se leva en évitant le regard de Tamani.

— Je… je pense que j’ai besoin d’un peu d’eau.

Tamani la regarda disparaître dans la cuisine, juste hors de vue. Il entendit le robinet couler – et couler. Et couler encore, beaucoup plus longtemps que nécessaire pour remplir une tasse. Après une minute entière, il se leva et lança un regard noir à Yuki, qui arborait un air suffisant.

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Shar releva la tête au son des pas de Tamani.

Cependant, celui-ci lui fit un geste indiquant qu’il revenait tout de suite.

Gardant Yuki dans sa vision périphérique, Tamani suivit Chelsea dans la cuisine, où elle se tenait debout, dos à lui, les bras en appui sur le bord de l’évier. Il n’y avait aucune tasse en vue.

— Est-ce que ça va ? demanda Tamani d’une voix à peine plus forte que le sifflement du robinet.

Chelsea releva brusquement la tête.

— Ouais, je…

Elle esquissa un geste vague.

— Je n’ai pas trouvé de verre.

Tamani ouvrit l’armoire juste devant elle et en sortit un avant de le lui remettre sans un mot. Elle le remplit sous l’eau qui coulait et s’apprêta à refermer le robinet, mais Tamani l’en empêcha.

— Laisse-le. Elle a moins de chance de nous entendre.

Chelsea baissa les yeux sur l’eau – combattant probablement l’envie pressante de ne pas la gaspiller –

puis elle hocha la tête et retira sa main. Tamani se rapprocha d’un pas, l’œil encore à moitié sur la fleur de Yuki à peine visible de l’autre côté du mur.

— Elle a tort, commença-t-il simplement. Elle donne à tous ses propos des airs de vérité, mais ils sont déformés jusqu’à ce qu’ils n’aient plus aucune véracité.

— Pas absolument vrai, répliqua Chelsea avec une étonnante assurance. Laurel est tellement plus que je ne serai jamais. Je n’avais pas réfléchi à la façon dont son influence sur David pouvait s’éterniser ainsi. Mais ce sera le cas. Yuki a raison.

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— Tu ne peux pas penser comme cela. Laurel est très différente de toi, mais toi, tu es sensationnelle par toi-même, affirma Tamani en s’étonnant de réaliser à quel point il était sincère.

Il hésita, puis il sourit largement.

— Tu es plus drôle que Laurel.

— Oh, bien, commenta sèchement Chelsea. Je suis certaine que quelques plaisanteries correctement minutées me gagneront le cœur de David pour toujours.

— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, reprit Tamani.

Écoute, sérieusement, tu ne peux pas te comparer à une fée. Nous sommes des plantes. Notre parfaite symétrie est une chose que vous autres humains valorisez pour une raison quelconque. Donc, à l’extérieur, ouais, elle paraîtra différente de toi. Cependant, cela ne fait pas d’elle quelqu’un de meilleur et franchement, sauf peut-être au début, je ne pense pas que c’est ce qui a attiré David vers elle.

— Donc, elle est mieux à l’intérieur aussi ? marmotta Chelsea.

Là, elle fait délibérément l’andouille.

Non, écoute, je veux seulement que tu comprennes ce qui donne tort à Yuki. À Avalon, tout le monde a le même genre de symétrie que Laurel et moi. Nous avons bien une échelle de… beauté, j’imagine, mais il n’y a rien de spécial dans l’apparence de Laurel. Elle a même une amie à l’Académie qui est presque son reflet parfait. Si David rencontrait Katya – ou une autre fée plus belle qu’elle –, penses-tu qu’il cesserait d’aimer Laurel ?

— Je dois avouer que tu es réellement mauvais à ce jeu, grommela Chelsea.

— Désolé.

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Tamani grimaça.

— Je ne voulais pas insinuer qu’il ne cesserait jamais…

Chelsea l’interrompit avec un petit bruit piteux.

— Ça va, je sais ce que tu tentes de dire. Vraiment, la dernière chose que tu dois faire est d’essayer de convaincre les gens que Laurel n’a rien de particulier. Je ne le crois pas ; tu ne le crois pas. Et quand je pense que ma seule chance d’être avec David à l’avenir est que tu réussisses à la lui voler, j’espère que tu ne le croiras jamais.

— Non, ce n’est pas cela du tout.

Il marqua une pause pour réfléchir.

— Laurel a été partie pendant longtemps, Chelsea. Et même si elle a toujours eu mon amour, j’ai regardé d’autres filles dans le passé.

Il ne pouvait pas s’empêcher de se sentir un peu bête, à se confesser ainsi.

— Il y a eu cette très belle fée avec qui j’ai… dansé quelques fois, à des festivals. Je ne l’ai pas vue depuis des années, mais je dois te l’avouer, depuis que j’ai pu vraiment être avec Laurel – apprendre à nouveau à la connaître –, je n’ai pas pensé une seule fois à cette fée.

Sérieusement, ajouta-t-il avec un grand sourire quand Chelsea arqua les sourcils. C’est à peine si je me suis souvenu d’elle pour pouvoir la mentionner. J’aime Laurel, elle devient donc la plus belle fée au monde pour moi et personne ne peut s’y comparer.

— Oui, je pense que nous avons établi que Laurel est extraordinaire, dit Chelsea d’une voix traînante. Je le pense aussi. C’est un peu cela, le problème.

— Non, je… oublie Laurel une minute. Écoute seulement ce que je dis. J’ignore si David t’aimera un jour.

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Mais si c’est le cas, s’il t’aime sincèrement, à quel point une autre personne est belle ou excitante n’aura aucune importance. S’il t’aime vraiment, tu ne peux pas perdre.

Parce qu’il ne considérera personne d’autre comme t’arrivant à la cheville.

Chelsea leva ses grands yeux gris vers lui – des yeux qui priaient pour que ses paroles soient vraies.

— Oublierais-tu Laurel si tu tombais amoureux de moi ?

Tamani soupira.

— Évidemment, s’il m’était possible d’aimer une autre personne quelle. Je ne pense pas que ce soit le cas, par contre.

— Comment te résiste-t-elle ? demanda Chelsea, mais son sourire était de retour.

Tamani haussa les épaules.

— J’aimerais le savoir. Comment David te résiste-t-il ?

Elle rit, sincèrement cette fois, dissipant la tension qui avait empli la petite cuisine.

— Je te souhaite de réussir avec lui, dit Tamani, sérieux à présent.

— Comme c’est altruiste de ta part, répliqua Chelsea, roulant les yeux.

— Non, vraiment, reprit Tamani, posant une main sur son bras et le laissant là jusqu’à ce qu’elle le regarde. Mes propres espoirs mis de côté, je sais ce que l’on ressent quand on se languit pour quelqu’un. Je sais la douleur que cela peut provoquer.

Il marqua une pause avant de murmurer :

— Je nous souhaite le succès à tous les deux.

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Alors qu’ils quittaient la cuisine, il lui offrit un large sourire.

— Et le fait que l’un dépend de l’autre, bien, mettons cela sur le compte d’un heureux hasard.

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QUATRE

BIEN QUE LES YEUX DE LAUREL FUSSENT OUVERTS LORSQUE LE

réveil sonna, son bourdonnement aigu la fit tout de même sursauter quand il perça la demi-clarté du début de matinée. Vingt-deux décembre. Normalement, elle passerait cette journée à aider ses parents dans leurs boutiques ou à installer des décorations de dernière minute en écoutant de la musique de Noël, peut-être aussi en cuisinant des gâteries des fêtes. Elle se doutait que cette année, elle serait loin d’être aussi festive.

Le ciel était encore sombre quand Laurel ouvrit son placard et tendit la main vers un des chemisiers fabriqués par les fées – cela semblait approprié aujourd’hui, alors qu’elle remplissait réellement son rôle d’agente d’Avalon.

En enfilant le haut paysan, elle sentit qu’il tenait davantage de l’armure que du tissu vaporeux.

Juste derrière sa porte d’entrée, Laurel tomba sur une sentinelle habillée en vert qu’elle ne reconnut pas – elles étaient tellement nombreuses à présent ! – qui lui donna la nette impression de vouloir la stopper.

— Le soleil se lève, dit Laurel sans attendre d’entendre ce qu’il avait à dire. Et je me rends chez Tamani. Tu pourras vérifier que je vais bien dans environ cinq minutes. Maintenant, bouge.

À son étonnement, il obéit.

Elle jeta un coup d’œil à la maison en reculant dans l’allée de garage, ses yeux s’arrêtant sur la fenêtre sombre de ses parents. Elle ne leur avait pas raconté ce qui se

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passait, mais elle ne pourrait plus tarder encore très longtemps.

— C’est presque fini, dit-elle en espérant avoir raison.

Après un court trajet, Laurel frappa à la porte de l’appartement et attendit que quelqu’un lui ouvre, s’armant de courage devant la possibilité qu’il s’agisse de Shar. Non que cela importât ; Shar se trouvait ici quelque part, et elle devrait l’affronter un jour ou l’autre.

Cependant, plus tard valait mieux que maintenant et Laurel vit avec soulagement le visage de Tamani apparaître derrière la porte.

— Est-ce que tout va bien ? s’enquit-elle en disparaissant à l’intérieur, gardant la voix basse.

— Si par bien tu veux dire sans incident, alors oui, répondit Tamani en baissant vers elle un regard chaleureux qu’elle n’avait pas aperçu depuis la capture de Yuki.

Elle se demanda de quoi avaient discuté Tamani et Chelsea et s’il y avait une manière de les prier d’en parler plus souvent.

— J’imagine que c’est correct, répliqua Laurel en laissant tomber son sac à dos sur le plancher.

Cependant, elle savait qu’ils souhaitaient tous qu’il se passe quelque chose. Presque huit heures s’étaient écoulées depuis qu’ils avaient capturé Yuki. Cela paraissait trop long – et Klea n’avait pas la réputation de tarder.

Chelsea était assise sur une chaise près de Tamani, l’air fatigué – encore dans sa robe froissée –, mais affichant un sourire. Tamani avait retiré son nœud papillon, ses chaussures et son veston – mais pas ses gants, à cause de Yuki –, et sa chemise était déboutonnée jusqu’au milieu de

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son torse. Les deux donnaient l’impression qu’il y avait eu une fête toute la nuit plutôt qu’un tour de garde.

Le bruit de l’eau courante atteignit les oreilles de Laurel, et elle réalisa que Shar devait prendre une douche.

Six mois auparavant, un comportement aussi banal et à caractère humain venant du capitaine aurait pu la faire sourire. À la place, chaque instant qu’elle passa à regarder la porte menant à la chambre à coucher de Tamani augmenta la tension dans son cou et ses épaules.

Comment pouvait-elle se retrouver de nouveau nez à nez avec lui, sachant ce qu’il avait fait à sa mère ?

— Je vais rester avec toi lorsqu’il sortira, lui dit Tamani, son souffle lui chatouillant l’oreille.

Elle n’avait même pas remarqué qu’il s’était rapproché autant.

Laurel secoua la tête.

— Tu as besoin de dormir toi aussi.

— J’ai sommeillé ici et là. Fais-moi confiance, dit-il, ses doigts doux sur ses épaules, je vais bien.

— D’accord, murmura Laurel, se sentant infiniment mieux parce qu’il serait avec elle.

Ils se tournèrent tous les deux lorsque Shar émergea de la chambre à coucher, les cheveux encore humides. Il marqua une pause quand il vit Laurel, mais il rencontra son regard sans ciller avant que la jeune fille ne perde son courage et baisse les siens sur le plancher.

— S’est-il passé quelque chose au cours des cinq dernières minutes ? demanda Shar, les mains sur les hanches en entrant dans le salon de l’appartement.

— Rien du tout, répondit Tamani, imitant la posture de Shar.

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Laurel réprima un sourire devant la manière dont Tamani calquait son mentor – probablement inconsciemment.

Shar se tourna et regarda Yuki avec une expression étrangement neutre. Laurel ne savait pas trop comment interpréter son attitude. Par moment, il semblait totalement dénué d’émotions. Elle savait qu’il était plus complexe que cela – Tamani lui avait raconté des histoires, des histoires qui les avaient fait rire aux larmes.

Toutefois, la fée qui observait à présent sa prisonnière – si concentrée, si impassible – l’amenait à se demander comment quiconque pouvait se rapprocher de lui.

— Combien de temps attendons-nous encore ? s’enquit Tamani. Je commence à me demander si nous n’avions pas raison au début ; Yuki n’est possiblement rien de plus qu’une distraction, et Klea la laisse ici pendant qu’elle fait… peu importe ce qu’elle planifie de faire.

— À moins que les projets de Klea ne mettent le portail, ou Laurel, en danger, ils ne nous concernent pas. Nous gardons Laurel sous notre surveillance constante, et pour réellement menacer le portail, Klea a besoin d’elle, dit Shar en pointant Yuki – presque d’un air accusateur. Donc, avant qu’elle ne vienne la récupérer, nous pouvons supposer que le portail est en sécurité. Autant que d’habitude, s’amenda-t-il. Notre place est ici, à faire ce que nous faisons en ce moment.

— Penses-tu que nous devrions informer Jamison ?

demanda Laurel.

— Non, répondirent Tamani et Shar à l’unisson.

Yuki leva le regard sur eux avec une expression étrange et concentrée.

— Pourquoi ? insista Laurel. Il me semble que lui, entre toutes les fées, devrait être au courant.

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— Viens avec moi, dit Shar en se retournant vers la seule chambre à coucher de l’appartement. Surveille la Tordeuse quelques minutes, s’il te plaît, Tam.

La gorge de Laurel se serra. Elle sentit le doux tissu du gant de Tamani quand sa main se glissa dans la sienne.

— Je vais me placer dans l’embrasure de la porte si cela t’aide à te sentir mieux, murmura-t-il.

Cependant, Laurel secoua la tête, ravalant sa colère du mieux qu’elle le pouvait.

— Ça va, dit-elle en souhaitant que ce soit vrai. Il est le même Shar de toujours, non ?

Tamani hocha la tête et lui pressa la main avant de laisser ses doigts glisser.

— Je vais partir, dit Chelsea d’une voix lasse avant que Laurel puisse suivre Shar.

— Merci, dit Laurel en étreignant son amie. La maison est ouverte.

L’un des avantages d’avoir autant de sentinelles entourant sa demeure était que Laurel ne se donnait plus jamais la peine de verrouiller les portes.

— Essaie de ne pas réveiller mes parents. Fais-moi confiance ; tu ne veux pas avoir à leur expliquer tout ceci.

Elle avala sa salive. L’explication inévitable serait sa tâche, bien assez tôt.

Chelsea hocha la tête, réprima un bâillement et se dirigea vers la porte d’entrée ; Tamani bondit et mit la chaîne derrière elle.

Laurel entra dans la chambre à coucher de Tamani sans se donner la peine d’allumer. Le soleil s’élevait à présent à mi-hauteur à l’horizon, jetant une lueur violacée à travers la fenêtre sans rideau. Il illuminait une pièce

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sobre où une unique chaise en bois drapée de divers articles de vêtements était posée à côté d’un grand lit avec une couverture chiffonnée dessus. Laurel le regarda fixement ; il s’agissait du lit de Tamani. C’était étrange de penser qu’elle le voyait pour la première fois. La première fois qu’elle entrait dans sa chambre.

— Ferme la porte s’il te plaît.

Laurel s’exécuta, croisant le regard de Tamani un instant avant que la porte se referme entre eux.

— Nous ne pouvons pas dire aux autres sentinelles ce que nous avons appris sur Yuki et nous ne pouvons pas aller trouver Jamison, commença Shar.

Son visage était près du sien, ses bras croisés sur le torse, et il parlait d’une voix à peine assez forte pour quelle l’entende.

— Pour plusieurs raisons, mais la principale est que nous ne pouvons pas courir le risque de nous approcher le moindrement du portail. La seule chose entre Yuki et Avalon est qu’elle ignore son emplacement exact. Dès qu’elle l’apprendra, tout sera fini.

— Mais Klea travaillait avec Barnes. Elle le devait. Elle doit déjà savoir où est située la terre.

— Cela n’a pas d’importance, dit Shar avec brusquerie.

À part raser la forêt entière, le seul espoir qui reste à Klea et Yuki d’accéder au portail consiste à connaître son emplacement précis et la manière dont il est camouflé.

— Mais nous pourrions envoyer quelqu’un. Aaron ou Silve ou…

— Et s’ils étaient suivis ? Cela pourrait expliquer la raison pour laquelle Klea a attendu si longtemps pour secourir sa protégée. Elle attend peut-être que nous allions chercher de l’aide.

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— Et si elle ne venait jamais ? lança Laurel d’un ton sec.

Nous ne pouvons pas garder Yuki enchaînée à cette chaise pour l’éternité, Shar !

Shar recula.

— Désolée, marmonna Laurel.

Elle n’avait pas voulu s’exprimer aussi sèchement.

— Non, ça va, dit-il, l’air perplexe. Tu as raison. Mais cela n’aura peut-être pas d’importance. En ce qui me concerne, la seule façon que tout se termine bien est de garder Yuki aussi loin que possible du portail.

— Donc, nous attendons sans rien faire ?

— Nous sommes rendus à une croisée des chemins. En ce moment, tout ce que nous avons est une fée d’hiver et beaucoup de forts soupçons. Disons que nous allions à Avalon. En supposant que Klea ignore où est situé le portail, nous pourrions l’y conduire. Si elle le sait, elle a peut-être installé des pièges sur notre route. Dans un cas comme dans l’autre, nous avons beaucoup plus à perdre qu’à gagner. Et même si nous rejoignions Avalon sains et saufs, qu’arriverait-il alors ? Comment te sentiras-tu si la reine Marion nous ordonnait d’exécuter Yuki ?

Laurel ravala sa salive.

— Crois-le ou non, c’est probablement la meilleure chose que nous pouvons espérer, dit Shar d’un air sévère.

Notre autre choix consiste à patienter ici, poursuivit-il. Le cercle tiendra tant qu’il ne sera pas brisé, mais ne t’y trompe pas, c’est une chose fragile. Un faux pas, et Yuki se déchaîne contre nous tous. La seule manière de garantir notre sécurité est de plonger un couteau dans Yuki tout de suite.

— Quoi ? Non !

Laurel ne put cacher la panique dans sa voix.

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— Tu commences à voir le problème, dit Shar d’un ton juste un peu plus doux. Yuki est clairement dangereuse, mais je ne pense pas qu’elle ait fait quoi que ce soit méritant la mort. Pas encore, en tout cas. Mais peu importe ce que nous ferons, à un moment donné, cela finira certainement par être elle ou nous. Mon seul espoir est que Klea a bien besoin de Yuki et qu’elle viendra lui porter secours. Et si nous pouvons tenir le coup assez longtemps – si nous pouvons trouver un moyen de neutraliser Klea ici…

Alors, nous pourrons confirmer nos soupçons, le portail sera en sécurité et personne n’aura à mourir, termina Laurel d’une voix presque monocorde.

Elle n’aimait pas cela, mais elle n’avait pas de meilleure idée. Il n’y avait que trois fées et deux humains essayant de s’élever contre Klea et les forces à sa disposition.

Qu’affronteraient-ils ? Une douzaine de trolls ? Une centaine ? D’autres fées ?

— Comprends-tu à présent ?

Laurel hocha la tête, souhaitant à demi ne pas comprendre. Elle devait admettre à contrecœur que le plan de Shar était, selon toute probabilité, le meilleur.

Pour l’instant. Sans un mot, elle pivota et quitta la chambre, Shar sur ses talons.

— Donc… comment cela va-t-il se passer ? demanda-telle en survolant l’appartement du regard et en faisant de son mieux pour ne pas regarder Yuki directement.

— Nous nous assoyons. Ou nous restons debout.

Comme tu veux, dit Tamani. Shar et moi surveillons la porte et les fenêtres. J’essaie de lui poser des questions, mais cela ne mène généralement nulle part.

Il haussa les épaules, le geste semblant plus destiné à Shar qu’à Laurel.

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— C’est plutôt ennuyeux, pour dire la vérité.

Yuki grogna, mais personne ne lui accorda d’attention.

Un ding électronique retentit dans la chambre à coucher de Tamani, suivi d’une exclamation murmurée par Shar.

— Répugnante plaie de…

Laurel fit un petit sourire narquois ; Shar détestait les téléphones cellulaires, et chaque fois qu’il sonnait, il lui jurait dessus. De manière assez créative, la plupart du temps. Ses sombres grommellements furent avalés par la chambre à coucher alors qu’il allait récupérer sa « babiole humaine » de l’endroit où il l’avait certainement égaré sans le vouloir, mais par exprès.

Un coup retentit à la porte et Tamani bondit sur ses pieds.

— Chelsea a probablement encore oublié ses clés.

Shar sortit de la pièce avec son téléphone.

— Il indique le nom de Silve. Que signifie « texto 2 » ?

Tamani posa son œil sur le judas.

— Cela veut dire que tu as deux messages… commença Laurel.

Mais les yeux ronds de Shar étaient fixés sur la fenêtre arrière de l’appartement.

— N’ouvre pas ! cria-t-il en se retournant vers Tamani.

Sous le bruit d’un coup de feu, la porte explosa.

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CINQ

L’EXPLOSION FIT ÉCLATER LA CHAÎNE DE SÉCURITÉ AVEC UN

bruit métallique et envoya Tamani au plancher. Pendant que Laurel tournoyait sous la pluie de débris brûlants, elle vit l’arrière de l’appartement exploser. Du verre et du plâtre ricochèrent sur le sol quand le troll le plus imposant que Laurel avait jamais vu entra avec fracas – un troll inférieur, comme celui qu’elle avait vu enchaîné dans la cachette de Barnes. La monstruosité pâle et déformée battait violemment des pieds et des mains pour déloger Aaron, qui s’accrochait aux couteaux qu’il avait enchâssés dans ses épaules. Le duo en lutte roula plus loin dans la cuisine, disparaissant de leur vue.

En se retournant encore vers Tamani, Laurel eut l’horreur d’apercevoir un bouquet de roses décrire un arc dans les airs depuis la porte d’entrée, perdant des pétales cramoisis comme des gouttes de sang alors qu’il flottait presque tranquillement vers la prison de Yuki. L’instant s’étira pendant une éternité tandis que Laurel réalisait que dans une demi-seconde environ, les roses allaient briser le cercle de sel, que Yuki serait libérée et que, si l’on devait en croire Shar, il était très probable qu’ils seraient tués par elle.

Un couteau à lame de diamant vola dans les airs, épinglant le bouquet enveloppé de papier sur le mur à moins d’une longueur de bras de la barrière de sel qui les gardait en vie. Shar sortait déjà une autre lame de la gaine à sa taille pendant que Yuki hurlait de frustration et que Laurel se tournait vers la porte d’entrée démolie et la silhouette qu’elle encadrait.

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— Callista ! s’exclama Shar alors que Klea levait son visage vers la lumière.

Une ombre de reconnaissance passa sur le visage de Klea et elle fixa Shar, bien que ses fusils fussent carrément pointés sur Tamani et Laurel.

— Capitaine ! Quel bonheur.

— Je t’ai regardée mourir il y a cinquante ans, dit Shar, ses mots lourdement teintés d’incrédulité.

Il ajouta ensuite :

— Tu es Klea.

Shar !

Parsemé de débris et couvert de sang de troll, Aaron revint en trébuchant de la cuisine. Son bras gauche pendait sur son flanc, inerte.

— Il y en a d’autres en route, nous avons tenté de les retenir…

L’horreur figea ses traits quand ses yeux se posèrent sur la fleur de Yuki.

— Par la déesse de la Terre et du Ciel. Est-ce…

Mais le troll plongea sur lui par-derrière et les deux s’écrasèrent à travers un autre mur.

— Je t’ai dit de couper ce foutu truc ! lança sèchement Klea à Yuki.

Le fusil dans ses mains tremblait – presque certainement de colère plutôt que de peur –, mais Laurel n’osa pas bouger.

— À présent, regarde dans quel pétrin tu t’es fourrée.

Klea leva une main pour se défendre contre un autre couteau que Shar propulsa dans les airs. La lame frappa un de ses fusils qui tomba dans un bruit métallique, mais

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elle tourna le second vers Shar et tira. Sa réaction brutale résonna dans les oreilles de Laurel, et Shar recula en chancelant tout en serrant son épaule avant de s’affaler contre le mur.

Saisissant l’occasion, Tamani bondit sur Klea, mais elle exécuta un pas de côté et elle lui attrapa le poignet avec sa main libre, le faisant basculer dans les airs et l’envoyant s’écraser sur le plancher.

— Tam !

La voix de Shar était tendue alors qu’il s’efforçait de se relever.

Toutefois, Tamani était déjà debout, un long couteau argenté dans la main ; Laurel ne l’avait même pas vu le sortir. Klea plongea vers lui à la vitesse de l’éclair, ses mouvements si gracieux qu’elle aurait pu être en train de danser. Elle se faufila indemne entre les coups de Tamani, puis elle le fouetta au visage avec la crosse de son fusil, laissant une plaie irrégulière sur sa joue. Elle lui assena un autre coup sur le poignet, et le couteau de Tamani sembla bondir dans sa main de son propre chef.

Tamani recula de deux pas, esquivant la plupart des directs de Klea, mais sans rien pour parer ses coups, sa chemise fut rapidement transformée en un enchevêtrement de rubans et mouillée de sève coulant des coupures superficielles s’accumulant sur ses bras et son torse.

Pendant que Laurel cherchait une occasion de sauter sur le fusil lâché par Klea, quelque chose dans sa vision périphérique voltigea sur des ailes rubis. Avec une sensation d’angoisse au cœur, elle réalisa qu’un pétale était tombé du bouquet embroché – planant comme une plume, son trajet circulaire ressemblant à un ballet de boucles et de pirouettes dans la brise qui voyageait dans

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l’appartement. Dans un instant, il pénétrerait dans le cercle et alors, sous le pouvoir de Yuki, le doux et innocent morceau de fleur deviendrait une arme mortelle.

Et Laurel était trop loin – elle ne l’atteindrait jamais à temps.

— Shar ! cria-t-elle.

Mais il se tenait entre Klea et Tamani, maniant une chaise comme un bouclier improvisé.

— Sors-la d’ici ! hurla Shar pendant qu’un coup de pied de Klea déformait la chaise dans sa main. Maintenant !

Le monde bascula devant les yeux de Laurel alors que le bras de Tamani lui enserra la taille – la faisant rouler droit sur le mur détruit –, puis ils tombèrent. Un cri s’échappa de ses lèvres, mais il fut interrompu lorsqu’ils frappèrent le sol et que l’air sortit brusquement de ses poumons. Ils culbutèrent ensemble sur le sol et quand ils s’arrêtèrent, tout ce que Laurel put faire pendant un moment fut de regarder en haut en haletant le trou que le troll d’Aaron avait percé dans le mur, trois mètres au-dessus d’eux.

— Viens, dit Tamani en tirant Laurel sur ses pieds avant que sa tête n’ait complètement cessé de tourner.

Elle le suivit presque aveuglément, sa main bien serrée dans la sienne pendant qu’il contournait l’arrière de l’édifice à logements.

Ils stoppèrent lorsque le son perçant du bois qui éclate emplit l’air, accompagné par une soudaine bourrasque de vent.

— Le cercle est brisé, gronda Tamani.

Le son continua alors qu’ils viraient au coin du bâtiment, où Tamani recula immédiatement, aplatissant Laurel contre le mur.

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— Ça grouille de trolls devant, murmura-t-il, sa bouche si près de l’oreille de Laurel que ses lèvres frôlèrent sa peau. Nous ne pouvons pas rejoindre ma voiture ; nous allons devoir courir. Es-tu prête ?

Laurel opina, le son des trolls grondants lui emplissant les tympans par-dessus la tempête assourdissante du bois volant en éclats. Tamani serra sa main plus fortement et la tira derrière lui. Elle tenta de jeter un œil en arrière, mais il l’arrêta en posant un doigt sur son menton et en faisant tourner son regard en avant.

— Ne regarde pas, dit-il à voix basse, sprintant sur le sol à découvert, ralentissant seulement un peu une fois qu’ils eurent atteint la sécurité relative des arbres.

— Est-ce que Shar s’en sortira ? demanda Laurel d’une voix tremblante alors qu’ils couraient dans les bois.

Tamani avançait en bondissant sans grâce, aidant sa compagne d’une main, serrant son flanc de l’autre.

— Il va s’occuper de Klea, répondit Tamani. Nous devons te mettre en sécurité.

— Pourquoi l’a-t-il appelée Callista ? s’enquit Laurel entre deux respirations saccadées.

Rien de ce qui s’était passé au cours des dernières minutes n’avait de sens pour elle.

— C’est le nom sous lequel il la connaissait, lui apprit Tamani. Callista est presque une légende parmi les sentinelles. C’était une Mélangeuse formée par l’Académie. Exilée avant même que tu ne germes. Elle était censée être morte dans un feu. Pendant le tour de garde de Shar au Japon.

— Mais elle a fait semblant ?

— Apparemment. Elle a dû faire un sacré boulot, d’ailleurs. Shar était méthodique.

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— Pourquoi a-t-elle été exilée ? haleta Laurel.

Les mots de Tamani étaient tremblants alors qu’il se frayait un chemin à travers les arbres, et Laurel tendit l’oreille pour les comprendre.

— Shar m’a raconté un jour qu’elle expérimentait avec la magie contre nature, les poisons de fée… les armes végétales, essentiellement.

Katya ne lui avait-elle pas parlé, deux étés auparavant, d’une fée qui avait poussé les choses trop loin ? Il devait s’agir d’elle. L’estomac de Laurel se noua à la pensée d’une Mélangeuse formée à l’Académie qui créait des poisons si maléfiques qu’elle avait été exilée pour ce motif. Klea était suffisamment effrayante sans la magie.

Ils coururent en silence pendant quelques minutes, trouvant enfin le sentier à peine visible que Tamani avait dû suivre des centaines de fois au cours des derniers mois, Laurel en était sûre.

— Es-tu certain qu’il ira bien ?

Tamani hésita.

— Shar est… un maître Envoûteur. Comme le joueur de pipeau dont je t’ai parlé il y a quelques semaines. Il peut contrôler les humains à distance et son contrôle est beaucoup plus grand que la plupart des Voûtes. Bien meilleur que le mien, ajouta-t-il à voix basse. Il… il peut les utiliser. Pour l’aider à la combattre.

— Donc, il va les… contrôler ? demanda Laurel sans comprendre tout à fait.

— Disons simplement que Shar luttant dans un édifice rempli d’humains est une très, très mauvaise idée.

Des sacrifices, réalisa Laurel. Des barrières humaines pour s’allonger sur le chemin de Klea ou des soldats non consentants l’attaquant contre leur volonté. Elle avala sa

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salive et essaya de ne pas s’attarder sur cette pensée, mettant sa concentration à ne pas trébucher pendant que Tamani continuait à courir presque trop vite pour qu’elle le suive.

Sous peu, elle reconnut des arbres – ils approchaient l’arrière de sa maison. En pénétrant dans le jardin, Tamani émit un sifflement comme un gazouillis aigu. Le commandant en second d’Aaron, une grande fée à la peau sombre nommée Silve, jaillit de l’orée du bois.

— Tarn, ils sont partout !

— Ce n’est pas le pire, répliqua Tamani en haletant.

Laurel s’arrêta, posant les mains sur ses genoux en essayant de reprendre son souffle pendant que Tamani expliquait la situation – en entendant les protestations crachées par Silve devant les détails que Tamani et Shar avaient gardés secrets.

— Nous n’avons pas le temps pour des explications, dit Tamani en interrompant Silve. Shar a besoin de renfort et il en a besoin maintenant.

Les deux sentinelles ne prirent que quelques précieuses secondes pour dresser un plan pour diviser les forces, et Silve bondit dans un arbre pour crier ses ordres.

Tamani posa une main protectrice sur la taille de Laurel et la guida vers la porte arrière, son regard revenant sans cesse vers les arbres pendant le trajet.

La mère de Laurel était dans la cuisine, un peignoir en coton léger lâchement noué autour de la taille, l’inquiétude dans les yeux.

— Laurel ? Où étais-tu ? Et que…

Elle fit un geste vers la chemise mouillée et déchirée de Tamani.

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— Chelsea est-elle ici ? demanda Laurel, esquivant la question de sa mère.

Pour l’instant.

— Je ne sais pas. Je pensais que tu étais au lit.

Son regard se déplaça vers Tamani et son expression de douleur la fit blêmir.

— Encore des trolls ? chuchota-t-elle.

— Je vais aller jeter un œil sur Chelsea, dit Laurel en poussant Tamani sur un tabouret avec autant de délicatesse qu’elle le pouvait.

Elle se hâta de monter l’escalier et d’entrouvrir la porte de sa chambre à coucher juste assez pour voir sa chevelure bouclée caractéristique éparpillée sur l’oreiller. Elle referma la porte et soupira, envahie par le soulagement qui la fit doucement se couler sur le tapis.

Elle leva la tête en entendant des bruits de pas, mais ce n’était que son père qui trébuchait dans le couloir, le regard trouble.

— Laurel, qu’est-ce qui se passe ? Est-ce que ça va ?

L’avalanche d’événements qui avait enterré sa vie en moins de vingt-quatre heures l’obligea à cligner des yeux pour chasser les larmes.

— Non, murmura-t-elle. Ça ne va pas.

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SIX

COMME L’EAU S’ÉCHAPPANT D’UN BARRAGE, D’ABORD EN FILET, puis en torrent, Laurel se retrouva à trébucher sur ses mots en expliquant tout à ses parents, y compris les événements de la dernière semaine qu’elle avait évité de leur raconter. Les mots sortirent plus lentement vers la fin lorsqu’elle relata comment Klea avait attaqué et que Shar était encore en danger, et enfin elle se tut, se sentant purgée et vide – exception faite du souvenir brûlant de la seule chose qu’elle ne pouvait jamais laisser ses parents découvrir.

— Je… j’ignorais comment vous l’apprendre plus tôt, termina-t-elle.

— Une fée d’hiver ? demanda son père.

Laurel hocha la tête.

— Le genre qui peut faire à peu près tout ?

Elle se frotta les paupières.

— Tu ne peux même pas imaginer à quel point.

La mère de Laurel leva les yeux vers Tamani, qui était resté silencieux pendant toute la durée de l’explication.

— Ma fille est-elle en danger ?

— Je ne sais pas, admit-il. Malgré le fait qu’elle soit une fée d’hiver, je ne pense pas que Yuki soit une menace personnelle pour Laurel. Klea, par contre, c’est une autre histoire. Elle fait des choses qui sont loin d’être légales à Avalon et nous ignorons encore son but.

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— C’est dommage que nous n’ayons pas simplement frappé Klea à la tête pour l’amener loin quand elle est venue à la maison le mois dernier, dit le père de Laurel en plaisantant à demi.

— Devons-nous te conduire quelque part, Laurel ?

s’enquit sa mère.

— Que veux-tu dire ?

— Serais-tu plus en sécurité si nous t’emmenions ailleurs ? Nous pouvons partir dans l’heure.

Elle était debout, le regard baissé sur Laurel, avec une attitude de protection si féroce qu’elle donnait à Laurel envie de rire et pleurer en même temps.

— Je ne peux pas m’en aller, répondit Laurel à voix basse. C’est ma responsabilité. Si Klea avait voulu me nuire, elle en aurait eu maintes fois l’occasion. Je ne crois pas que c’est ce qu’elle veut de moi.

— Que veut-elle de toi ?

Laurel haussa les épaules.

— La terre, probablement. Le portail ouvrant sur Avalon. Comme l’a dit Tamani, nous l’ignorons.

— Et nous n’en saurons pas beaucoup plus avant le retour de Shar, ajouta Tamani.

Laurel remarqua ses poings serrés et elle posa une main sur son bras.

— Il va revenir, affirma-t-elle doucement en espérant paraître plus sûre qu’elle l’était en réalité.

— Tu sais, dit Tamani à voix basse sans la regarder, ta mère a peut-être raison. Nous avons fait tout ce que nous avons pu ici. Jamison nous a demandé de découvrir la source du problème des trolls. Klea a amené des trolls pour secourir Yuki. Je pense que cette preuve suffit pour

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affirmer qu’elle est à la base de tout cela et que notre mission est donc accomplie. Le reste dépend vraiment d’Aaron et de Shar, mais s’ils ne… réussissent pas…

Tamani marqua une pause et Laurel put presque le voir imaginer le pire.

— Nous devrions peut-être partir.

Laurel secouait déjà la tête.

— Avec toutes les sentinelles dans la forêt, il n’y a aucun endroit plus sécuritaire qu’ici.

Elle se tourna vers sa mère.

— Je sais que tu veux me protéger. Cependant, j’ai un travail à accomplir et il y a des milliers de fées à Avalon qui dépendent de moi pour protéger leur monde. Si Shar et Aaron ne peuvent pas arrêter Klea – si je peux faire quoi que ce soit, je dois être ici pour le faire. Je ne peux pas fuir cela. Je veux simplement…

La mère de Laurel lui souriait, les yeux brillants de larmes contenues.

Laurel haussa les épaules en désespoir de cause.

— Je veux simplement aider.

— Nous ne réussirons pas à te convaincre d’abandonner, n’est-ce pas ? demanda son père.

Elle secoua la tête, craignant que sa voix ne tremble et ne pousse son père à tenter le coup.

— Vous devriez peut-être partir sans Laurel tous les deux, suggéra Tamani. Je ne pense pas que Klea s’intéresse à vous, mais au moins Laurel saurait alors que vous êtes en sûreté.

La mère de Laurel tourna le regard vers sa fille.

— Si Laurel reste, nous restons aussi.

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Tamani hocha la tête.

Son père se leva et soupira.

— Je vais aller me doucher. M’éclaircir les idées.

Ensuite, nous pourrons dresser un plan.

— Je dois téléphoner à David, dit Laurel en tendant la main vers l’appareil alors que son père montait l’escalier à pas lourds.

— Pourquoi David doit-il toujours être de la partie ?

marmotta Tamani, commençant déjà à faire les cent pas.

— Parce qu’il pense que son tour de garde approche, répondit Laurel d’un ton plein de sous-entendus, composant le numéro de David tandis que Tamani sortait son cellulaire.

— Il a un iPhone ? murmura sa mère alors que la sonnerie retentissait pour la deuxième fois dans l’oreille de Laurel.

Laurel opina.

— Je gardais cette petite information comme munition pour la prochaine fois où nous discuterions de me procurer un cellulaire.

Sa mère resta silencieuse plusieurs secondes pendant que Laurel écoutait le message vocal de David.

— Reçoivent-ils un… signal ? À Avalon ? demanda-telle.

Laurel haussa les épaules et laissa un bref message à David pour qu’il la rappelle à son réveil. Elle songea à téléphoner sur sa ligne résidentielle, mais elle ne voulait pas réveiller sa mère. Après tout, il était à peine sept heures. Elle devrait patienter.

Comme tous les autres.

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La main de Tamani s’attardait dans sa poche et il marcha de long en large dans la cuisine jusqu’à ce que Laurel ait envie de crier.

— Aimerais-tu une tasse de thé, Tamani ? demanda enfin sa mère avec une légère trace de tension dans la voix.

Les cent pas ne constituaient pas un passe-temps préféré dans la demeure des Sewell.

— Ou bien peut-être désires-tu… te laver un peu ?

— Me laver ? répéta Tamani, l’air un peu hagard.

Il jeta un œil sur sa chemise en lambeaux et sur les égratignures sur ses bras qui ne suintaient plus, mais restaient luisantes de sève.

— C’est probablement une bonne idée, dit-il d’une manière hésitante.

— Peut-être aussi quelque chose à manger ? suggéra Laurel. En considérant le tour qu’ont pris les événements, je me dis que même les légumes verts peuvent revenir au menu, ajouta-t-elle en se forçant à rire.

Tamani avait évité sa nourriture préférée pour empêcher ses yeux et la racine de ses cheveux de se colorer, mais Laurel présuma que cela n’aurait plus d’importance. Elle supposa, en y repensant, que cela n’en avait jamais eu – Yuki avait toujours su qui il était.

Tamani hocha la tête d’un coup saccadé.

— Ouais. Merci. Du brocoli, si tu en as.

— Je vais aller te chercher un t-shirt, dit la mère de Laurel en pivotant pour prendre le même chemin que son mari.

— Merci, murmura Tamani, bien que ses yeux fussent encore une fois tournés vers son cellulaire.

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Laurel l’imagina en train de l’obliger à sonner.

D’un air hébété, Laurel s’empara d’un couteau pour couper un pied de brocoli qu’elle avait péché dans le réfrigérateur.

Tamani tourna légèrement la tête, écoutant les pas de la mère de Laurel qui montait les marches et se rendait dans sa chambre. Puis, il sembla se fondre sur le tabouret, faisant courir ses mains dans ses cheveux avec un faible gémissement.

Laurel empila plusieurs bouquets sur une assiette et les lui tendit, mais il prit l’assiette dans une main et la main de Laurel dans l’autre avec un regard si intense qu’elle en perdit le souffle. Il transféra lentement l’assiette en verre sur le comptoir et enroula ses bras autour de la taille de la jeune fille.

Laurel se pelotonna contre son torse, s’agrippant à ce qui restait de sa chemise. Il mit les mains dans sa chevelure, puis autour d’elle, ses doigts lui pressant presque douloureusement le dos.

— J’ai franchement pensé que cela aurait pu être la fin, chuchota-t-il dans son oreille, la voix râpeuse.

Quand ses lèvres touchèrent son cou, ses joues et lui picotèrent les paupières, elle ne s’éloigna pas. Même quand sa bouche trouva la sienne, effrénée et insistante, elle lui rendit son baiser avec la même passion ardente. Ce n’est qu’à ce moment-là – en sentant le désespoir qui animait le baiser de Tamani – qu’elle réalisa à quel point ils avaient échappé de peu à la mort. Laurel n’avait pas vu Tamani perdre une bataille de cette façon depuis qu’elle l’avait regardé combattre Barnes, et elle s’accrocha à lui, tremblante et soulagée de la peur qu’elle ne savait pas avoir éprouvée.

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Les doigts de Laurel caressèrent la joue de Tamani, reculant devant son faible halètement de douleur contre ses lèvres. Cependant, il ne s’éloigna pas. Au contraire, il l’attira davantage à lui. Elle aurait aimé bénéficier de plus de temps ; du temps pour se perdre dans ses baisers, pour oublier que Shar était dehors, quelque part, à se battre pour leurs vies.

Il retira enfin sa bouche, le front pressé contre le sien.

— Merci, dit-il doucement. J’avais… j’avais simplement besoin de toi pendant un moment.

Laurel entrelaça ses doigts avec les siens.

— Je pense que j’en avais aussi besoin.

Tamani rencontra son regard et il lui caressa le visage avec le pouce. Le désespoir avait disparu et il était de nouveau douceur et calme. Sa bouche frôla la sienne avec hésitation, comme ses mains l’avaient fait si souvent.

Laurel se pencha en avant, en désirant plus. Voulant lui montrer qu’elle en désirait plus. Elle s’arrêta pour écouter les pas de sa mère, pour entendre un signe indiquant que Chelsea sortait de sa chambre, pour percevoir n’importe quoi d’autre que la douce caresse du souffle de Tamani sur sa joue.

Le monde reprit sa réalité seulement quand le timbre du téléphone résonna près de son oreille. Il sonna de nouveau et elle tenta de reprendre son souffle.

— Ce doit être David, chuchota-t-elle.

Tamani caressa sa lèvre inférieure avec son pouce, puis il laissa retomber sa main et se tourna vers l’assiette de brocolis lorsque Laurel prit l’appareil.

— Laurel ! lança David d’une voix trouble. Tu es à la maison. Tu ne t’es pas réveillée à l’heure ? Dois-je aller là-

bas pour prendre ta place ?

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Elle pouvait l’entendre farfouiller, probablement en train d’enfiler un jean et un t-shirt, prêt à se précipiter pour sauver la journée.

— Non. Non, c’est pire que cela, dit Laurel à voix basse.

Toute l’agitation du côté de David cessa quand elle lui expliqua ce qui s’était passé.

— Je m’en viens.

— Je pense qu’il y a suffisamment de gens stressés dans cette maison, argumenta Laurel.

— Bien, je ne peux pas rester ici à ne rien faire. Je… je me sentirai mieux si je suis là, juste au cas. Est-ce que je peux ?

Laurel réprima un soupir. Elle savait exactement ce qu’il ressentait et si leurs places étaient inversées, elle voudrait la même chose.

— D’accord, dit-elle. Mais entre comme chez toi. Ne frappe pas et ne sonne pas ni rien de la sorte. Chelsea dort encore et elle en a vraiment besoin.

— Entendu. Et Laurel ? Merci.

Laurel raccrocha et se tourna pour affronter Tamani.

— Il s’en vient.

Il hocha la tête en avalant une bouchée de légumes.

— C’est ce que j’avais compris.

— Qui s’en vient ? demanda la mère de Laurel à mi-chemin dans l’escalier.

— David.

La mère de Laurel soupira à moitié d’amusement en lançant un t-shirt gris propre à Tamani.

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— Je dois dire que j’ignore ce que ce garçon raconte à sa mère.

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SEPT

TAMANI SERRA LES DENTS EN ENFILANT AVEC PRÉCAUTION LE

t-shirt neuf – et un peu trop grand – par-dessus les bandages que Laurel avait passé dix minutes à apposer.

Arrivé, David était assis avec Laurel sur le sofa, et elle le mettait au courant de l’attaque du matin. Tamani bloqua sa voix ; il repassait déjà les événements dans sa tête, cherchant à savoir comment il aurait pu être mieux préparé, plus efficace.

Particulièrement contre Klea.

Il n’avait pas perdu une ronde de combat au corps-à-

corps depuis des années, à part contre Shar. S’incliner devant une Mélangeuse formée par les humains le faisait presque autant souffrir que les blessures qu’elle lui avait infligées – et elles brûlaient énormément.

Les parents de Laurel avaient offert de ne pas se rendre au travail, mais Tamani avait soutenu qu’il valait mieux pour tout le monde qu’ils aillent à leurs boutiques et prétendent qu’il s’agissait d’une journée ordinaire. Avant même que Laurel puisse le suggérer, Tamani avait ordonné à une demi-douzaine de sentinelles de suivre chacun de ses parents, juste au cas. L’expression de gratitude dans ses yeux était arrivée comme un cadeau.

— Alors, que fait-on maintenant ?

Tamani regarda David et réalisa qu’il s’adressait à lui.

— Nous attendons des nouvelles de Shar, grommela-t-il. Silve a amené une compagnie entière de sentinelles à

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l’appartement pour aider à combattre les trolls. Ils devraient déclarer la voie libre à tout instant.

— Et…

David hésita.

— Dans le cas contraire ?

Voilà ce qui inquiétait Tamani depuis une heure.

— Je ne sais pas.

Ce qu’il voulait dire, c’est qu’il conduirait Laurel quelque part ou personne ne pourrait la trouver – pas même David – et y rester jusqu’à ce qu’il soit certain qu’elle était en sécurité. Le dernier recours pour n’importe quel Fear-gleidhidh. Cependant, Laurel avait déjà décidé qu’elle n’allait pas s’enfuir, et Tamani ne devait probablement pas la prévenir qu’ils pourraient bien s’y résoudre qu’elle le veuille ou pas.

— Je n’aime pas cela, déclara David.

— Ouais, bien, moi non plus, répliqua Tamani, la voix lourde de frustration. Nous ne sommes pas précisément en sécurité ici non plus, ce l’est simplement davantage ici qu’ailleurs pour l’instant.

Mais pour combien de temps ? Il croisa les bras sur son torse et baissa les yeux sur David.

— Aimerais- tu partir ?

David se contenta de lui lancer un regard noir.

Le téléphone de Tamani se mit à vibrer dans sa main. Il baissa les yeux sur l’écran et vit une boîte bleue annonçant l’entrée d’un message.

De… Shar ?

Klea a pris Yuki et s’est enfuie. Je les ai suivies.

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Puis, l’appareil vibra de nouveau – pour une photo cette fois. Il s’était attendu à recevoir des nouvelles de Shar – un meilleur mot était sûrement qu’il avait espéré –, mais même s’il s’était accroché à son téléphone depuis leur arrivée chez Laurel, il avait supposé que l’appel viendrait d’Aaron. Peut-être Silve. Shar n’avait jamais réussi à utiliser le téléphone auparavant ; généralement, il refusait même d’essayer. Tamani fit glisser un doigt une fois sur l’écran, deux fois, puis trois fois avant qu’il détecte son toucher et se déverrouille. Il plissa les paupières devant la minuscule photo pendant une seconde avant de la tapoter pour l’agrandir.

Pas que cela fut utile.

Il regardait une maison en bois ronds avec une structure blanche semblable à une tente s’étendant à l’arrière. Il y avait deux silhouettes un peu floues près de la porte d’entrée.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Laurel.

Il lui fit signe de s’approcher.

— Ça vient de Shar.

— Shar ?

L’incrédulité dans la voix de Laurel était aussi lourdement présente que dans l’esprit de Tamani.

— Il t’a envoyé un texto ?

Tamani hocha la tête en examinant la photographie.

— Il dit que Klea s’est enfuie avec Yuki. Il les a suivies ici.

Il fit glisser son doigt sur l’écran, zoomant sur les deux silhouettes, voulant avoir une certitude avant d’exprimer ses soupçons.

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— Ces deux gardes, dit-il lentement, je ne crois pas qu’ils soient humains.

— Des trolls ? demanda David, toujours assis sur le sofa.

— Des fées, répondit Tamani sans lever les yeux de l’écran. Elles ne semblent pas essayer de se cacher non plus. Il doit s’agir de… je ne sais pas. Le quartier général de Klea ?

— Devrais-tu lui téléphoner ? s’enquit Laurel, mais Tamani secouait déjà la tête.

— Pas question. S’il est là-bas, je ne peux pas courir le risque de le faire prendre.

— Ton appareil ne peut-il pas, genre, le localiser par GPS ou quelque chose comme cela ?

— Ouais ; mais je ne sais pas si c’est important. Il n’y a pas de texte avec ce message et pour l’instant je dois supposer que cela signifie que je ne dois rien faire.

Il enfonça de nouveau ses mains dans ses poches –

l’une d’elles serrant encore le téléphone – et recommença à marcher de long en large.

Le téléphone vibra presque immédiatement. Une autre photo.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Laurel en se pressant contre lui pour jeter un œil sur les grandes tiges vertes.

Tamani sentit un nœud se former dans son ventre, et son estomac se barbouiller. Il avait fallu au fils de la Jardinière en lui moins d’une seconde pour reconnaître ce spécimen de plante particulier.

— Des jeunes plants, dit-il d’une voix rauque.

— Des jeu… oh ! s’exclama Laurel avec un halètement.

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— Les plantes dans lesquelles naissent les fées ?

s’enquit David en se levant du sofa pour regarder par-dessus l’épaule de Tamani.

Tamani hocha la tête d’un air hébété.

— Mais il y en a des douzaines ! lança Laurel.

Puis, après une pause :

— Pourquoi y en a-t-il autant de coupés ?

Tamani ne put que secouer la tête en examinant la photo d’un regard furieux, essayant de comprendre le message de Shar. Rien n’allait dans ce cliché. Il n’était pas Jardinier, mais l’état des jeunes plants en croissance était consternant même pour un œil non qualifié. Les plantes étaient trop rapprochées et la plupart des tiges étaient trop courtes en comparaison de la taille du bulbe. Au mieux, ils étaient mal nourris et probablement endommagés de manière permanente.

Cependant, c’était les plants coupés qui le dérangeaient le plus. La seule raison de couper un plant était sa récolte hâtive. La mère de Tamani s’y était résolue une fois dans sa carrière, pour sauver un bébé fée mourant, mais Tamani ne pouvait pas s’imaginer que les motifs de Klea étaient aussi maternels. Et il ignorait totalement pourquoi elle le ferait avec autant de plants. Elle devait les utiliser.

Et pas pour savourer leur compagnie.

Son horrible hypothèse fut interrompue par une autre photo, celle-ci représentant une étagère en métal remplie de fioles vertes. Cette fois, aucune étincelle de reconnaissance n’apparut dans ses yeux et Tamani inclina l’écran vers Laurel.

— Reconnais-tu ce sérum ?

Elle secoua la tête.

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— Environ la moitié des sérums ont cette couleur. Il pourrait s’agir de n’importe quoi.

— C’est peut-être…

Sa question fut encore interrompue par la vibration du téléphone. Pas un message texte cette fois ; un appel.

Tamani aspira et tint l’appareil près de son oreille.

— Shar ? dit-il en se demandant si le désespoir qu’il ressentait était apparent.

Laurel le regarda, l’inquiétude, la sollicitude et l’espoir entremêlés dans ses yeux.

— Shar ? répéta-t-il d’une voix plus basse maintenant.

— Tarn, j’ai besoin de ton aide, murmura Shar. Il faut que tu…

Sa voix s’estompa et des bruits de pas s’agitant nerveusement se firent fortement entendre dans l’oreille de Tamani, comme si Shar avait déposé son téléphone.

— Ne bouge pas, ou cette étagère tombe.

La voix de Shar lui parvint nettement, mais avec un léger écho. Mains libres, réalisa Tamani. Il sentit un rire pétiller dans sa gorge et il dut se mordre fermement la lèvre pour le ravaler. Shar avait assez compris le fonctionnement de son téléphone pour l’utiliser lorsque ça comptait.

Lui parvint ensuite la voix de Klea – plus caverneuse, mais assez nette pour être entendue.

— Franchement,

Capitaine,

est-ce vraiment

nécessaire ? Tu as déjà foutu ma planification en l’air en assommant la pauvre Yuki.

Assommer une fée d’hiver ? pensa Tamani avec une fierté mêlée d’incrédulité. Je me demande comment il a réussi ce coup.

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Je t’ai vue brûler, dit Shar d’une voix bouillante de mécontentement. Le brasier était tellement chaud que personne n’a pu s’en approcher pendant trois jours.

— Qui n’aime pas un bon feu ? se moqua-t-elle.

— J’ai fait tester les cendres. L’Académie a confirmé qu’une fée d’automne était morte dans ce feu.

— Comme c’est zélé de ta part ! C’est pourquoi j’ai laissé ma fleur derrière. Je ne pense pas que cela les aurait trompés si elle n’avait pas été fraîche.

Laurel posa une main sur le bras de Tamani.

— Est-ce…

Tamani la fit taire gentiment et éloigna le téléphone de son visage, puis il pressa le bouton de fonction mains libres avant de fermer le microphone, juste au cas.

— Où as-tu trouvé Yuki ? s’enquit clairement la voix de Shar.

— Trouvé ? Oh, Capitaine, tout ce qu’il faut c’est une seule graine quand on sait ce que l’on fait. La tâche a été longue puisque je dépendais des tailles, mais au cours des quelques dernières décennies, les humains ont fait de remarquables avancées en matière de clonage. J’ai vite découvert que chaque jeune plant a sa propre destinée, peu importe sa lignée. Donc, ce n’était qu’une question de temps avant que j’obtienne une fée d’hiver.

— Où as-tu trouvé la graine, alors ?

— Je ne devrais vraiment pas te le dire, répondit Klea, mais c’est simplement trop bon pour que je garde le secret.

Je l’ai volé aux Unseelie.

Tu es une Unseelie, au cas où tu l’aurais oublié.

— Ne me mets pas dans le même paquet que ces fanatiques au regard fou, lança-t-elle sèchement. Je n’ai

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jamais découvert où les Unseelie avaient trouvé la graine, mais c’est sans importance. L’une d’elles m’a même vue la prendre lorsque je me suis esquivée. Oh, elle était tellement furieuse, dit Klea dans un murmure. Mais alors, je pense que tu la connais, Shar de Misha.

Tamani ferma les yeux, sachant ce que son ami devait ressentir en apprenant le secret que sa mère lui avait caché

– le secret qui aurait pu sauver tant de vies. Il y eut une longue pause avant la réaction de Shar.

— Tu as une pile plutôt imposante de ces fioles ici. Le moins que tu puisses faire est de me dire pour quoi je suis sur le point de mourir. Tu me dois cela.

— La seule chose que l’on te doit est une balle dans la tête.

— Donc, je devrais les faire tomber alors, dit Shar. Tu vas me tuer de toute manière.

Pendant que Shar s’efforçait d’appâter Klea, sa voix semblait enfler, remplissant la pièce de ses provocations adroites. Tamani sentait que Laurel tentait d’accrocher son regard, mais le moment n’était pas opportun pour l’une de leurs conversations silencieuses. Il s’obligea à se concentrer sur le téléphone reposant dans sa paume et fit de son mieux pour respirer de manière égale.

Klea hésita.

— Bien. Ne pense pas que cela te sauvera. Il m’a fallu longtemps pour les fabriquer et je préférerais ne pas les gaspiller, mais ce n’est que le dernier lot. La plupart ont déjà servi.

— Est-ce ainsi que tu immunises les trolls contre nos poisons ?

— À Avalon, vous soignez les malades. Ici, les humains ont appris à prévenir les maladies avant qu’elles

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surgissent. C’est essentiellement la même chose avec cela.

Un genre d’inoculation. Alors oui, cela les immunise.

— Cela les immunise contre la magie des fées, tu veux dire. La magie d’automne.

Tamani n’avait jamais entendu le terme inoculation avant, mais sa signification était d’une clarté écœurante.

Klea immunisait une horde entière de trolls contre la magie des fées d’automne. Tous leurs ennuis au cours des dernières années – le dard qui n’avait pas fonctionné contre Barnes deux ans plus tôt ; le sérum de Laurel qui avait assommé quatre trolls dans le phare, mais pas Barnes ; le globe caesafum qui n’avait pas agi sur les trolls après la Sauterie d’automne à peine quelques mois plus tôt ; les sérums de pistage qui avait cessé de fonctionner.

Tout cela était l’œuvre de Klea.

— Ce troll supérieur, dit Shar en comprenant aussi vite que Tamani.

— Oh, oui. Tu te souviens de Barnes. Il était ma souris de laboratoire, il y a longtemps. Cela ne s’est pas très bien passé en fin de compte et il a décidé de se retourner contre moi. Mais je trouve cela terriblement réconfortant de garder un plan ou deux en réserve. Pas toi ?

Un rire forcé de Shar.

— J’en prendrais bien un comme cela moi-même en ce moment.

— Bien dit ! pépia Klea d’un ton qui donna envie à Tamani de démolir le téléphone. Cependant, nous savons tous les deux que tu n’en as pas. Soit tu cherches à gagner du temps parce que tu as peur de mourir – ce qui est affreusement malséant –, soit tu espères transmettre miraculeusement cette information à Avalon avant que je l’envahisse, ce qui ne se produira pas. Donc, si tu voulais

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bien te montrer assez gentil pour t’écarter un peu afin que je puisse te tuer…

— Que penses-tu faire ? l’interrompit Shar, et Tamani s’obligea à centrer son attention sur ses paroles au lieu de s’attarder sur les visions terrifiantes qui surgissaient dans sa tête décrivant ce qui était sur le point d’arriver à son meilleur ami. Torturer Laurel jusqu’à ce qu’elle te révèle l’emplacement du portail ? Elle ne pliera pas. Elle est plus forte que tu ne le penses.

— Pourquoi diable ai-je besoin de Laurel ? Je sais où se trouve le portail. Yuki a cueilli cette petite information dans la tête de Laurel il y a presque une semaine.

Étonnée, Laurel leva la tête, ses yeux reflétant le choc, mais la compréhension s’afficha sur son visage alors que Tamani faisait ses propres liens. Ces maux de tête. La migraine terrible après l’attaque des trolls – quand son esprit était vulnérable et probablement tourné vers Avalon. L’appel de Yuki à Klea, l’étincelle dans ses yeux –

cela devait être le plan de Klea depuis le début, sa motivation d’envoyer des trolls à leur trousse ce soir-là. Et en plus des petits maux de tête, Laurel en avait mentionné un beaucoup plus fort devant son casier, le dernier jour d’école – elle avait même exprimé son inquiétude que Yuki en soit responsable. Cependant, Tamani avait écarté cette hypothèse, car ils étaient de toute façon sur le point de la capturer. Pas étonnant que Klea avait été si furieuse quand Yuki avait insisté pour assister à la danse – elle avait complété sa mission. Elle était vraiment restée à cause de son affection malavisée pour Tamani.

Celui-ci ferma les yeux et s’obligea à respirer profondément, régulièrement. Ce n’était pas le moment de perdre la maîtrise de soi.

— Alors, j’ai une dernière requête.

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Les paupières de Tamani s’ouvrirent brusquement. Il y avait quelque chose dans la voix de Shar qui lui déplut.

Une tension.

— Dis à Ari et à Len que je les aime, dit Shar en se faisant entendre avec une clarté accrue malgré le tremblement dans sa voix. Plus que tout.

Une peur glaciale emplit le cœur de Tamani.

— Non.

La supplication à peine audible s’échappa des lèvres de Tamani.

— C’est très mignon, mais je ne dirige pas un service de messagerie, Shar.

— Je sais, c’est seulement… ironique.

— Ironique ? Je ne vois pas comment.

Un incroyable fracas résonna en arrière-plan, comme le bruit d’une centaine de coupes en cristal éclatant sur le plancher, et Laurel plaqua une main sur sa bouche.

— Demandons à Tamani, répondit Shar, et ce dernier releva brusquement la tête au son de son propre nom.

C’est lui le spécialiste du langage. Tamani, n’est-ce pas ce que les humains appellent l’ironie ? Parce que je n’avais jamais imaginé que mes dernières minutes de vie seraient passées à essayer de comprendre comment utiliser ce foutu téléphone.

— Non ! hurla Tamani. Shar !

Il agrippa l’appareil, impuissant. L’explosion caractéristique d’un coup de fusil remplit ses oreilles, et son estomac se révulsa alors qu’il tombait à genoux.

Quatre coups. Cinq. Sept. Neuf. Puis, le silence quand le téléphone se tut.

— Tam ?

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La voix de Laurel n’était qu’un murmure, et ses mains se tendaient vers lui.

Il était incapable de bouger, ne pouvait pas respirer, ne pouvait pas faire autre chose que rester à genoux en silence, la main enroulée autour de son téléphone, les yeux suppliant l’écran de se rallumer, de faire apparaître le nom de Shar encore une fois, que son rire mordant résonne dans le haut-parleur pendant qu’il tentait de convaincre Tamani que la plaisanterie était vraiment amusante.

Mais il savait que cela ne se produirait pas.

Malgré ses mains tremblantes, Tamani réussit à glisser l’appareil dans sa poche et il se leva.

— Il est temps, déclara-t-il, étonné du calme de sa voix.

Partons.

— Partir ? dit Laurel.

Elle avait l’air aussi sonnée que Tamani se sentait.

— Pour aller où ?

Oui, où ? Quand ils chassaient des trolls, Shar lui avait fait la leçon en lui disant qu’il devait s’en tenir à son rôle de Fear-gleidhidh de Laurel. Devrait-il amener Laurel et fuir ? Sa tête tournait pendant qu’il tentait de décider quelle était la bonne chose à faire. Mais le son des coups de fusil – l’image mentale des balles déchirant le corps de Shar –, cela bloquait tout le reste.

Dis à Ari et à Len que je les aime.

Ariana et Lenore étaient à Avalon. Il ne s’agissait pas simplement de dernières paroles de tendresse ; c’était des instructions. Tamani avait reçu ses ordres finaux de Shar.

— Au portail, dit-il. Rejoindre Jamison. Shar n’avait pas besoin de dire à Klea que nous étions au téléphone, mais il l’a fait. Tu as entendu Klea – elle en avait fini avec

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nous. Shar nous a de nouveau transformés en cible, pour diviser son attention et la déstabiliser. Il nous a gagné le temps dont nous avons besoin pour prévenir Avalon, alors c’est ce que nous faisons.

Les pièces se mettaient en place dans sa tête.

— Maintenant ! ajouta-t-il en sortant déjà ses clés de sa poche.

Il se dirigea vers la porte d’entrée, mais David se plaça devant lui.

— Holà ! Ho ! Holà ! dit David en levant les mains.

Attendons juste une seconde.

— Ôte-toi de là, dit Tamani d’un ton sinistre.

— Avalon ? Maintenant ? Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

— Personne ne t’a posé la question.

Évidemment, c’est maintenant qu’il se décidait à argumenter.

Les yeux de David se radoucirent, mais Tamani refusa de l’admettre. Il ne voulait pas de pitié de la part d’un humain.

— Écoute, mec, reprit David. Tu viens d’entendre ton ami se faire faucher. Je le connaissais à peine et je me sens plutôt malade en ce moment. Ne prends pas de décision irréfléchie si tôt après… après ce qui vient d’arriver.

— Ce qui vient d’arriver ? Tu parles du meurtre de Shar ?

Les mots étaient comme du sel sur sa langue alors qu’il tentait de ne pas laisser David voir à quel point cela le déchirait de les prononcer.

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— As-tu la moindre idée du nombre de mes amis que j’ai regardés mourir ? demanda Tamani en même temps qu’il repoussait ses souvenirs. C’est loin d’être le premier.

Et sais-tu ce que j’ai fait ? Chaque fois ?

David secoua la tête à la manière d’un frisson convulsif.

— J’ai ramassé mon arme – merde, parfois j’ai pris leurs armes – et j’ai continué à faire mon boulot jusqu’à ce qu’il soit terminé. Là, je vais le répéter une dernière fois : ôte-toi de mon chemin !

David recula en hésitant, mais il resta à côté de lui, coinçant un pied devant la porte d’entrée quand Tamani la rejoignit.

— Alors, laisse-moi t’accompagner, dit-il. Je vais conduire. Tu pourras t’asseoir sur le siège arrière et réfléchir pendant un moment. Décider si c’est vraiment le bon choix. Et si tu changes d’avis…

Il écarta les bras en haussant les épaules.

— Oh, alors maintenant tu es le héros ? Maintenant que Laurel est ici pour le voir ? lança Tamani, sentant la maîtrise qu’il avait sur sa colère commencer à lui échapper. Hier soir, tu es parti. Tu as fui au lieu de faire ce qui devait l’être avec Yuki. Je fais ce qu’il faut depuis huit ans, David. Et je n’ai pas échoué ni fui encore. S’il y a une personne qui peut assurer la sécurité de Laurel, c’est moi

pas toi !

Quand avait-il commencé à crier ?

— Qu’est-ce qui se passe ?

Une voix endormie les fit tous se retourner vers l’escalier, là où se tenait Chelsea, son t-shirt froissé, ses boucles emmêlées formant autour de son visage un halo sombre.

— Chelsea.

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Laurel s’interposa entre David et Tamani, ses bras fermes et forts, les obligeant à reculer d’un pas.

— C’est Shar. Klea… Klea l’a eu. Nous devons aller à Avalon. Tout de suite.

Tamani ne put s’empêcher de ressentir une pointe de fierté parce que Laurel avait pris son parti.

— Tu peux retourner dormir ou chez toi ou ce que tu veux. Je vais t’appeler dès que nous rentrerons.

— Non, dit Chelsea, la fatigue disparue de sa voix. Si David y va, moi aussi.

— David ne vient pas ! insista Tamani.

— Je ne veux pas… je ne veux pas que vous soyez blessés, dit Laurel, et Tamani entendit la tension dans sa voix.

— Allons, le supplia doucement Chelsea. Nous avons tout affronté avec toi. Nous le faisons ensemble. C’est notre devise depuis des mois.

La dernière chose que souhaitait Tamani était des passagers supplémentaires, et le temps n’était pas un luxe dont il bénéficiait. Il ouvrit la bouche pour déclarer qui venait et qui restait, mais l’expression sur le visage de Laurel l’arrêta. Elle tenait ses clés de voiture et tournait vers eux un regard étrange.

— Tamani, ma voiture se trouve encore devant ton appartement. Tout comme la tienne.

Tamani sentit l’esprit de combat le quitter comme la pluie roulant sur les feuilles d’un érable, ne le laissant qu’avec la douleur acérée du chagrin. David eut le bon sens de ne pas rire.

— Bien ! dit Tamani en croisant les bras sur son torse.

Mais ils ne vous laisseront pas traverser le portail, et dans

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deux heures au maximum, ces bois grouilleront de trolls et de fées, et je ne serai pas là pour vous protéger.

Il lança à Chelsea un regard qui la suppliait de rester.

De rester là où elle était en sécurité.

Plus en sécurité.

Là où il y avait à tout le moins des sentinelles pour veiller sur elle. Mais, en croisant son œil déterminé, il sut quelle ne le ferait pas.

— J’imagine que c’est un risque que nous allons devoir courir, dit-elle calmement.

— Ma voiture est dans l’allée, proposa David en sortant les clés de sa poche.

Tamani baissa le menton. À l’exception de Laurel et peut-être de sa propre mère, il ne pensait pas qu’il aimait une autre personne dans le monde autant que Shar. Même la présence de Laurel, l’observant avec empathie, ne réussissait pas à alléger le poids qu’il sentait peser sur lui.

Elle s’approcha, mais il détourna le visage ; s’il regardait dans ses beaux yeux une seconde de plus, il allait craquer et perdre totalement la tête. À la place, il se tint debout stoïquement et hocha la tête en clignant des yeux quelques fois.

— D’accord. Nous devons partir, par contre. Tout de suite.

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HUIT

— ATTENDS, DEMANDA LAUREL QUAND DAVID DÉMARRA LE

moteur. Je dois téléphoner à ma mère.

Elle s’apprêta à ouvrir la portière, mais Tamani l’arrêta d’une main sur sa cuisse.

— Utilise ceci, dit-il en lui offrant son cellulaire.

Cela semblait morbide de toucher le téléphone, mais Laurel s’arma de courage et tendit la main pour le prendre. Elle composa le numéro de la boutique et pria en silence pour que sa mère décroche.

— Cure Naturelle !

Le simple son familier de la voix de sa mère lui donna envie de pleurer.

— Maman, dit Laurel, réalisant qu’elle ne savait même pas quoi lui dire.

— Nous sommes occupés avec des clients en ce moment, mais si vous laissez un message, nous vous rappellerons sous peu.

La gorge de Laurel se serra. Le répondeur. Elle patienta jusqu’au bip et prit une profonde respiration.

— S-salut maman, commença-t-elle en s’éclaircissant la gorge, car sa voix se cassait. Nous… nous partons. Nous allons à Avalon, précisa-t-elle rapidement, heureuse que sa mère soit la seule personne à la boutique connaissant le mot de passe pour la boîte vocale. Shar… Shar a été attrapé et nous devons aller en informer Jamison.

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Elle ne savait pas trop quoi ajouter ; elle détesta le fait que c’était un enregistrement.

— Je reviens dès que possible. Je t’aime, murmura Laurel avant d’enfoncer son doigt sur la touche Fin.

Elle fixa le téléphone dans sa main pendant un long moment, certaine que si elle regardait ailleurs ou tentait de parler, elle éclaterait en sanglots. Elle espéra, elle pria pour que ce ne soit pas les derniers mots que ses parents entendraient de sa part.

Tamani tendit la main.

Après une respiration frémissante, Laurel le lui rendit.

Il parcourut sa liste de contacts et mit le cellulaire sur son oreille.

— Aaron. Shar est mort. Klea tient Yuki et possède une armée de trolls. Ils sont immunisés contre la magie d’automne et ils savent où se trouve le portail. J’amène Laurel à Avalon. Lorsque tu auras terminé de nettoyer l’appartement, je te suggère de rassembler le maximum de personnes possible qui ne surveillent pas les parents de Laurel et que vous vous dirigiez vers la terre. Tu finiras probablement par arriver sur les talons de Klea. Que la Déesse te protège.

Chaque mot fut prononcé d’un ton égal, sans timbre.

Cependant, lorsqu’il mit fin à l’appel, il éteignit son téléphone et le laissa tomber sur le siège comme s’il l’avait brûlé. Laurel se demanda s’il le reprendrait un jour entre ses mains.

Deux messages finaux – un au revoir venant du fond du cœur, un appel d’affaires en apparence calme, malgré son message dévastateur.

Laurel frissonna. Cela aurait presque été mieux si Tamani avait crié, s’était déchaîné. Mais il cachait tout –

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même à elle –, assis en s’appuyant loin d’elle, la tête pressée contre la vitre. Elle se sentait impuissante.

Environ huit kilomètres à l’extérieur de Crescent City, par contre, il fit courir une main sur le bras de Laurel et enroula ses doigts à travers les siens en l’attirant très subtilement plus près de lui. Ses yeux restaient fixés sur le paysage encadré par sa vitre, mais sa poigne serrée était le signe assez clair qu’il avait besoin d’une ancre. Elle découvrit qu’elle se sentait étrangement fière d’être celle vers qui il se tournait finalement. Même si ses doigts commençaient à la faire souffrir.

Personne ne dit un mot pendant presque tout le voyage, du moins en partie parce que Chelsea s’était rendormie, recroquevillée maladroitement sur le siège du passager à demi incliné. C’était probablement une bonne chose qu’elle n’ait pas entendu l’appel de Shar ; le sommeil ne viendrait sans doute pas aussi facilement dans le cas contraire. Plus tard, un bout de route en asphalte raboteux la réveilla en sursaut, et elle déboucla sa ceinture de sécurité afin de pouvoir se tourner et parler à Laurel et Tamani.

— Donc, euh, à notre arrivée, que faisons-nous ?

Ses yeux tombèrent brièvement sur les mains jointes de Laurel et Tamani, mais elle ne commenta pas.

Tamani se détourna de la vitre et pour la première fois, son visage était calme, même ses yeux.

— Nous nous rendons au portail, nous expliquons notre urgence, demandons à entrer, et si nous sommes chanceux, ils acceptent. Et quand je dis nous, je parle de Laurel et moi. Aucun pied humain ne s’est posé à Avalon depuis plus de mille ans.

— Nous voulons aider, déclara David. Penses-tu qu’ils nous le permettront ?

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La main de Tamani glissa hors de celle de Laurel lorsqu’il se pencha en avant.

— Nous avons discuté de cela, rétorqua-t-il non sans gentillesse. Votre concours n’est pas du genre dont ils voudront. Je suggère que vous nous déposiez et repartiez aussi vite que possible. Allez vers le sud – pas chez Laurel.

Les sentinelles là-bas protégeront tes parents, dit-il en se tournant brièvement vers Laurel, mais la dernière chose dont elles ont besoin est de plus de gens pour tout embrouiller. Allez à Eureka ou à McKinleyville.

Il hésita.

— Allez… faire des courses de Noël ou autre chose.

— Le centre commercial la semaine avant Noël. Ça me paraît génial, commenta Chelsea d’une voix traînante.

— Allez à la plage, alors. Le but est de ne pas rentrer à Crescent City, préférablement pas avant demain ou après-demain.

— Comment sommes-nous censés expliquer cela à nos parents ? s’enquit David.

— Tu aurais peut-être dû poser cette question avant d’insister pour venir, répondit Tamani, son ton réussissant à paraître plus sec sans pour autant augmenter le moindrement de volume.

David secoua la tête.

— Nous sommes du même côté, mec.

Tamani baissa les yeux et il entendit Laurel prendre quelques respirations rapides et superficielles à côté de lui avant qu’il relève la tête et ajoute avec plus de calme :

— Même s’ils vous laissent entrer, vous demeurerez probablement à Avalon pendant au moins ce laps de

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temps. Fais-moi confiance, tu auras tout le temps qu’il faut pour trouver quoi dire à ta mère.

— Je vais dire à ma mère que David et Laurel ont essayé de s’enfuir pour se marier, lança Chelsea, pince-sans-rire. Je les ai accompagnés uniquement pour les convaincre d’y renoncer. Elle va me pardonner à peu près n’importe quoi si elle pense que je protège la vertu de Laurel.

Laurel réalisa que sa propre bouche était grande ouverte et elle donna une tape sur l’épaule de Chelsea.

— Je gardais cette excuse en réserve pour une urgence, lança fièrement Chelsea à personne en particulier en regardant devant elle tout en bouclant sa ceinture de sécurité alors que David quittait la route principale.

La vue de la maison en bois ronds, nichée parmi d’imposants séquoias, submergea Laurel d’une nouvelle vague de tristesse. La dernière fois qu’elle était venue, c’était en compagnie de Tamani, et cela avait été l’un des jours les plus merveilleux de sa vie. Même aujourd’hui, son corps était parcouru de frissons à ce souvenir. La vie semblait tout à coup si fragile et incertaine ; elle se demanda si elle et Tamani ne profiteraient jamais d’une autre journée semblable. Et, réalisa Laurel, elle en voulait désespérément une. Elle le regarda ; son regard était fixé aussi sur la maison. Puis, il se tourna et leurs regards se croisèrent, et elle sut qu’ils songeaient à la même chose.

— Où devrais-je garer la voiture ? s’enquit David. Ils la verront lorsqu’ils viendront.

— S’ils arrivent avant ton départ, il sera trop tard pour s’inquiéter, répondit Tamani en détournant les yeux de Laurel. Aussi bien la laisser juste ici.

Ils commencèrent à marcher vers la forêt quand Tamani les arrêta, le visage on ne peut plus sérieux.

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