CHAPITRE 10
Bébé revint indemne, et avec une masse d’informations suffisante pour occuper un bon moment tous les galonnards, ingénieurs, mineurs et militaires. Les participants à la mission mirent plus longtemps à revenir sur terre, tant ils étaient aux anges. La trajectoire de Zainal avait brûlé le minimum de carburant, ce qui lui valut les applaudissements de tous les ingénieurs et astronautes. Il avait enseigné à tous à piloter Bébé, et chacun avait passé quelque temps aux commandes.
— On n’a peut-être pas de simulateurs de vol, dit Balenquah, mais qu’est-ce que c’est, comparé à un vol authentique ? Dommage qu’on ne puisse aller nulle part avec le KDL. Zainal dit qu’il est bien plus facile à piloter – chose obligatoire vu que ce sont des drassis qui pilotent cette série. On a perdu notre temps à capturer le KDL.
— Non, dit Bert Put, qui, à l’évidence en avait assez de l’attitude négative de Balenquah. On en a tiré du carburant supplémentaire, une nouvelle console, et des tas d’équipements qu’on n’aurait pas eus sans ça.
— C’est vrai, j’oubliais, répondit Balenquah. Et si on devait redéménager, ce serait commode.
— On volera dans le KDL, dit Marrucci. Peut-être juste pour transporter des céréales ou des minerais. Mais les sorties ne nous sont pas absolument interdites.
— Je parlais d’un vrai travail dans l’espace, répondit Balenquah, morose.
Zainal se leva alors, marmonnant qu’il devait aller voir l’amiral, et emmena Kris avec lui. Jetant un coup d’œil en arrière au moment de sortir du réfectoire, elle vit que les autres se dispersaient, laissant Balenquah tout seul.
Zainal était resté muet de stupeur en voyant la maison. La porte – qu’il admira avant même de l’ouvrir, avec Kris qui avait du mal à contenir son excitation à l’idée de ce qu’il y avait derrière – avait attiré son attention, et il s’était extasié devant le loquet, s’amusant beaucoup à en tirer le cordon pour ouvrir et fermer.
Puis il entra dans la pièce, vit la table, le fauteuil, la poterie et les verres, que Kris avait posés sur le manteau de la cheminée, n’ayant aucun autre endroit pour les ranger – pour le moment. Lenny promit de lui apprendre à faire les assemblages en queue-d’aronde, pour qu’elle puisse se fabriquer des commodes et des tiroirs. Mais Zainal s’arrêta, pied levé, en voyant la table, sans pouvoir en détacher les yeux, émettant des sons inarticulés pour demander qui avait fait ces choses, où et comment.
Pendant qu’elle répondait, pouffant à l’idée de la surprise qui l’attendait encore, il examinait tout, essayant même de soulever la table. Il s’assit dans le fauteuil, se releva, le retourna pour voir comment les pieds étaient ajustés, puis le remit debout et se rassit, caressant les accoudoirs de ses grandes mains.
Les Cattenis n’avaient peut-être pas de canaux lacrymaux ou ne pleuraient jamais, mais les yeux de Zainal s’étaient certainement embués et, malgré ses efforts pour parler, il secouait la tête, sans voix.
— J’ai gardé le meilleur pour la fin, dit-elle, et, lui prenant la main pour le tirer à grand-peine hors de ce fauteuil conçu spécialement pour lui, elle l’entraîna vers la chambre.
Il eut une réaction immédiate : les yeux luisant d’une ardeur malicieuse, il la souleva dans ses bras et la porta comme John Wayne portait Maureen O’Hara dans L’Homme tranquille, et il lui démontra qu’il était bien plus performant sur une surface élastique.
Mitford la raya de la liste des malades quand il voulut partir avec son équipe à la recherche d’un col dans les montagnes occidentales, pour accéder à la mer de l’autre côté du continent ; il décida de l’emmener avec eux. Il valait mieux pour elle s’occuper à marquer les klicks, ce qu’elle pouvait faire de la main gauche, que rester à la Retraite à se ronger parce qu’elle était inutile.
Pendant qu’il organisait le voyage, elle passa un certain temps à confectionner des briques, car elle pouvait remplir les moules de la main gauche. Elle avait une dette envers Sarah et Joe pour la part qu’ils avaient prise dans la grande surprise de l’ameublement. Quand des bûcherons furent blessés – dont deux grièvement –, elle resta à leur chevet, prenant leur température et leur pouls. Ils n’avaient pas de thermomètres, ni d’appareil pour prendre la tension, alors tout se faisait à la main. Elle allait aussi à l’hôpital faire manger Boris Slavinkovin, qui avait eu les deux bras et la plupart des côtes cassés quand un tronc avait pris un raccourci passant sur son corps. Il était moins embarrassé d’être nourri par quelqu’un qui n’avait qu’une main, lui dit-il, parce que ça n’immobilisait pas un humain valide qui avait mieux à faire. Puis il lui demanda si elle pouvait l’aider à améliorer son anglais, vu qu’il était coincé au lit et qu’il n’avait rien d’autre à faire.
Les ex-enseignants avaient uni leurs forces à celles d’un ex-dessinateur de B.D. et composé un manuel pour ceux qui voulaient apprendre l’anglais. Ils en avaient imprimé cinquante exemplaires, grâce aux fournitures du KDL, et ils étaient tous bien cornés quand Kris finit par mettre la main sur l’un d’eux.
Léon et Mayock diluèrent leur whisky, qui laissait dans la bouche le goût agréable d’une noix indigène, et ne provoquait plus des ivresses fulgurantes.
Zainal était le seul dont le métabolisme supportait l’ancienne version, alors, plutôt que de le couper (Léon trouvait que c’était un crime), ils lui donnèrent le dernier tonnelet. La première fois qu’il le goûta, Kris lui dit que Pete Easley l’avait soûlée avec juste deux verres, et qu’elle avait eu une gueule de bois terrible le lendemain. Ce qui lui rappela qu’elle n’avait pas vu Pete Easley aussi souvent que d’habitude. Mais elle ne s’attarda pas sur cette pensée, et continua à travailler à l’hôpital et à l’atelier de briques.
Puis ils furent prêts pour leur exploration, et toute l’équipe fut contente d’être réunie et de partir à l’aventure.
— Il ne faut pas s’amollir dans le confort de la maison, annonça Sarah, prenant place dans le grand véhicule sur coussin d’air. Mais je regrette de ne pas avoir commencé la maison avant de partir. Et encore merci, Kris, pour toutes ces briques. Worry s’est inscrit pour cent, et Jay Greene aussi. On devrait en avoir assez au retour.
— On te remercie également de celles que tu as faites pour nous, dit Leila de sa voix habituelle, presque inaudible.
Elle tenait Whitby par la main et, de l’autre, elle s’accrochait à une poignée de sécurité.
Elle était un peu pâle, remarqua Kris, se demandant si elle aussi était enceinte. Sarah l’était, et en était très fière, prenant la chose avec naturel, en femme moderne.
— Pas de quoi, Leila. Cela m’a empêchée de faire des bêtises.
Et cela avait aussi éloigné d’elle les bêtises, car tous les importuns qui désiraient la charmer se retrouvaient en train de faire des briques, si c’était là qu’ils la rejoignaient, ou bien de faire manger un manchot, ce qui était un contexte peu romantique pour la proposition qu’ils envisageaient.
Boris Slavinkovin tenta aussi sa chance, et elle dut le menacer de ne plus venir aux heures des repas s’il continuait.
— Tu seras bien obligée un jour ou l’autre, dit carrément Sarah.
— J’y viendrai, j’y viendrai, dit Kris avec désinvolture et évita le regard de Zainal quand il tourna la tête vers elle. Ah, ça fait un autre klick, non ? On a encore fait mille plegs.
Elle ajouta un bâton sur sa feuille.
Ils trouvèrent un passage à travers la montagne, par des ravins sinueux mais communicants, séparés par des pentes que le véhicule montait et descendait facilement. Ils notèrent les accès les plus faciles d’un « O » à la peinture bleue presque lumineuse, qui était une récente innovation. (ils avaient déjà obtenu du jaune et du rouge à partir de végétaux indigènes.) Les culs-de-sac étaient marqués d’un « X ». Pour une raison inconnue, Zainal trouva ce procédé très amusant, mais sans vouloir dire pourquoi. Ils ne trouvèrent pas de vallées closes ni de charognards, mais ils découvrirent une nouvelle variété de râblés et différents aviens presque aussi bons que du poulet, bien que certains attrapés près de la mer, laissaient un arrière-goût de poisson dans la bouche.
Ils descendirent la côte jusqu’à ce que le terrain rocheux devienne infranchissable, même pour ce véhicule remarquablement manœuvrable. Deux semaines plus tard, ils étaient sur le chemin du retour, longeant la côte est, quand Kris commença à souffrir de nausées au réveil. Pendant deux jours, elle les attribua aux fruits mûrs qui poussaient en abondance dans le climat presque tropical du Sud. Elle ignora ce léger désagrément jusqu’à un certain matin où Joe rajustait son attelle et refaisait son pansement. Les bandages étaient découpés dans les jambes et les manches de combinaisons cattenies, et assouplis par l’usure et de nombreux lavages, qui les rendaient propres à cet usage. Son bras transpirait tellement dans la chaleur qu’elle était bien contente que Joe refasse son pansement avec des bandes qu’il avait dans sa trousse.
— Le bras cicatrise bien, dit-il, palpant délicatement la fracture. Je sens la grosseur à l’endroit où les os se sont ressoudés.
— Et ça ne me fait plus mal non plus, dit-elle, bien que soupirant quand il remit l’attelle et les bandages.
Il la regarda en coin d’un air bizarre.
— Le grand air te fait du bien. Tu étais un peu pâlotte avant de partir.
— À propos… est-ce que quelqu’un d’autre a des problèmes pour digérer les fruits rouges qu’on a mangés hier soir ?
Joe n’était pas seulement médecin, mais aussi botaniste.
— Non, mais on ne s’en est pas gorgés non plus. Pourquoi ? Tu as la courante ?
— Non, seulement une légère indigestion, je suppose, et elle haussa les épaules.
Mais Sarah avait entendu sa question et les rejoignit, lui scrutant le visage avec un sourire excessivement dérangeant.
— Alors ? demanda Kris, comme Sarah ne disait rien.
— Tu as les seins douloureux ? Tu as eu tes règles ? Depuis quand as-tu des nausées ?
Sur la défensive, Kris croisa les bras et, comme si la question de Sarah avait été une malédiction, ses seins étaient sensibles. Elle n’osa pas décroiser les bras, mais son esprit s’élança vers la conclusion à laquelle, à l’évidence, Sarah était arrivée.
— Je ne peux pas être enceinte, dit-elle, relevant le menton. Je n’ai jamais…
— Jamais quoi ? demanda Sarah, l’air malicieux.
Kris ferma les yeux, repensant au tord-boyaux qu’elle avait pris pour son bras, Pete Easley lui en faisant boire encore et encore, tellement qu’elle avait…
— Je le tuerai, dit-elle avec ferveur et sincérité.
Pas étonnant qu’il se soit tenu à l’écart. Mais il ne perdait rien pour attendre. Quand elle arriverait à la Retraite, elle allait…
— Le bras de Kris, ça ne va pas ? demanda Zainal, et Kris aurait voulu disparaître sous terre comme un charognard.
— Mon bras n’a absolument rien, dit-elle, se levant d’un bond en foudroyant Joe et Sarah.
— Non, mais elle est enceinte, dit Sarah avec allégresse.
Kris leva le bras gauche pour frapper Sarah, mais Zainal la saisit par la taille.
— Tu étais forcée de le crier sur tous les toits ! cria-t-elle, essayant d’atteindre Sarah qui avait agilement esquissé un pas de danse pour se mettre hors de sa portée, tandis que Joe, le visage hilare, protégeait sa compagne de son corps et tendait les mains en un geste d’apaisement.
— Ne t’emballe pas, Kris, dit-il, comme Leila et Whitby accouraient voir ce qui se passait.
— Kris est enceinte aussi, exulta Sarah.
Puis Zainal la serra si étroitement contre sa poitrine, les pieds ballant au-dessus du sol, qu’elle dut se cramponner à lui.
— Merci, Kris, lui murmura-t-il à l’oreille, et toute son agressivité retomba.
Elle s’abandonna contre lui, tandis que son étreinte devenait plus douce, plus aimante. Il ne devait pas y avoir beaucoup de compagnons au monde qui remerciaient leur femme d’être enceinte d’un autre homme.
— Il n’y a pas de quoi, je pense, dit-elle, gigotant pour qu’il la lâche.
Quand il la reposa par terre, elle s’excusa auprès de Sarah et Joe d’aussi bonne grâce qu’elle le put.
— Je voulais être sûre, mentit-elle. Cela aurait pu être les fruits.
— Alors, dis-nous maintenant qui est l’heureux élu, demanda Joe, avec la familiarité d’un vieil ami.
Kris gloussa, décidant d’une autre attitude : elle ne pouvait pas courir après un charmeur comme Pete Easley, mais elle ne confirmerait rien, ni à lui ni à personne…
À moins que le nouveau-né ne donne des indices sur sa paternité. Abuser d’une fille dans son état… et pourtant… Elle réprima tout souvenir de cet incident qui se solderait pourtant par une preuve permanente.
— Moi, je le sais, et toi, tu devines, dit-elle, ravie de faire la nique à Sarah, qui avait révélé ce qu’elle aurait voulu garder secret.
Tout bien considéré, le voyage de retour le long de la côte est se passa bien. Tout le monde s’habitua à sa grossesse. Le soir, Zainal la serrait contre lui avec une tendresse inattendue qui lui donnait envie de pleurer et lui faisait regretter que les barrières biologiques de l’espèce lui interdisent d’avoir un enfant de lui.
Le temps qu’ils arrivent à la Baie de la Retraite, elle se sentait plus en forme qu’elle ne l’avait jamais été de sa vie. Elle alla voir Léon pour son bras, et il fut satisfait des progrès de la cicatrisation. Il lui demanda pourtant de conserver son attelle, puisqu’elle insistait pour travailler, mais elle pouvait maintenant se servir de sa main droite. Il confirma également sa grossesse, mais il eut le tact de ne pas poser de questions.
— En fait, tu as de la chance d’être sur Botany. C’est moins long, dit Léon, avec un sourire ironique.
— Qu’est-ce que tu veux dire, moins long ?
— Une grossesse dure en moyenne deux cent soixante à deux cent quatre-vingts jours. Mais sur Botany, la gestation ne prendra que deux cent douze jours virgule huit.
Confuse, elle cligna des yeux, et il ajouta en souriant :
— Les jours de trente-quatre heures ne changent rien au développement du fœtus, mais ils changent le nombre de jours de la grossesse.
— Oh !
— La plupart de mes patientes en obstétrique trouvent ça réconfortant.
— Je ne l’oublierai pas.
La nouvelle de sa grossesse se répandit, et elle trouva un réconfort supplémentaire dans le fait que ses « admirateurs » allèrent porter leurs hommages ailleurs. Et un soir qu’elle vit Pete Easley à l’autre bout du réfectoire, elle lui fit joyeusement bonjour de la main, et le laissa dans l’expectative. Elle l’aimait bien, malgré le tour qu’il lui avait joué. Et ce fameux jour, il avait bu lui aussi. Peut-être attribuait-elle sa sollicitude à des motifs extérieurs, car il avait bu autant qu’elle. Comment lui reprocher de s’être enivré et d’avoir agi de façon bien naturelle ? La grossesse mûrissait son caractère.
Le temps se réchauffait, et les buissons étaient en fleurs, exhalant des odeurs entêtantes que la brise de terre répandait dans la baie. Les équipes agricoles avaient labouré pendant leur absence, et semé les graines rapportées par le KDL de l’ancien Camp Bella Vista Comme aucun astronef gigantesque n’était venu chercher ce qui restait des céréales, le KDL avait tout récupéré, car les provisions apportées lors de la traversée du bras de mer commençaient à s’épuiser.
Les silos furent balayés en vue de la récolte de l’année en cours.
Sur le continent évacué, les machines avaient labouré elles aussi, et beaucoup de champs étaient déjà ensemencés. Un plaisantin parmi les Agros organisa un concours, unilatéral, sur la vigueur et la santé de leurs plantes comparées à celles des Fermiers, et sur le rendement à l’hectare. Les Agros avaient déjà décidé de séparer les terres en champs de la même grandeur que ceux des Fermiers, puisque les terres arables semblaient se diviser naturellement selon ce modèle : nouvel indice que ce continent avait sans doute été cultivé autrefois. Les vaches-leuh paissaient sur les moins bonnes terres et dans les collines.
À peu près à l’époque où les cultures avaient six bons pouces de haut, ils firent une découverte très désagréable : les charognards étaient de retour. Peu nombreux, mais c’était suffisant pour leur faire savoir qu’il y avait résurgence du danger.
Astrid émit une théorie selon laquelle les excréments des vaches-leuh contenaient un parasite qui se recyclait en charognard. Rares étaient ceux qui pensaient comme elle, mais cela donnait lieu à des discussions intéressantes pendant les soirées. Les colons qui avaient mis du parquet dans leurs maisonnettes le remplacèrent par des galets ou de l’ardoise, et ceux qui n’avaient pas encore choisi l’emplacement de leur maison se rapprochèrent des endroits les plus habités. Personne ne marchait la nuit dans aucun champ, et les postes des sentinelles étaient en pierre ou surélevés sur des poteaux.
Toutefois, c’était un inconvénient mineur. Les tas de compost furent précipitamment transférés dans des auges de pierre, et la décharge des ordures ne posa plus de problème. Non que personne eût envie de trouver un charognard dans ses latrines. Comme on ne pouvait plus en creuser, cela devint une punition que d’évacuer les déjections tard le soir, assez loin de la communauté en expansion rapide pour réduire le risque d’infestation dans les parties habitées.
Le printemps dura des mois, et le beau temps assura aux Agros d’excellentes récoltes, aussi abondantes et parfois plus, que celles des Fermiers. Des variétés de tubercules et de légumineuses occupaient la moitié de l’espace consacré aux céréales, et ils trouvèrent des cavernes pour entreposer les récoltes au lieu d’aller toujours plus loin chercher les provisions. Les charognards ne s’en prenaient pas aux végétaux, sauf s’ils étaient souillés de sang, de sorte que ces réserves ne furent pas touchées. L’enclos des râblés prospéra, et ils découvrirent que les jeunes avaient une texture et un goût beaucoup plus fins que les adultes.
Des cours du soir d’artisanats divers furent instaurés. Les soirs où l’amiral Ray Scott tourna son premier pichet, où Bull Fetterman termina une série de six chaises, et où Marrucci parvint à assembler un tiroir en queue-d’aronde pour sa commode marquèrent des points décisifs dans la transformation d’anciens officiers supérieurs en authentiques Botaniens.
Il y eut des échecs, comme disait Mitford : ceux qui refusaient de faire leur part de travail, ou qui se jugeaient exploités par les « autorités » qui leur imposaient les corvées les plus rebutantes. Le juge Bempechat donnait à chacun trois chances de se racheter aux yeux de la communauté. Les impénitents se voyaient offrir un voyage en aller simple sur l’ancien continent, où ils devraient se débrouiller tout seuls, avec une couverture, un couteau, un quart et une hache. Après l’expulsion de la première douzaine, le taux de délinquance baissa remarquablement.
Une fois par mois, les deux vallées-prisons étaient visitées. Les Turs disparurent un par un jusqu’au moment où la vallée fut vide. Les Cattenis finirent par construire des abris, et quand ils demandèrent des fournitures, comme des clous, ou de la viande pour les changer du poisson, on leur en donna. Mais on ne leur fournit rien pouvant les aider à s’évader. D’ailleurs, Zainal doutait qu’ils essaient.
— Ce sont des drassis et des tudos. Ils ont assez à manger, un endroit pour dormir, et ça leur suffit.
— Je n’arrive pas à imaginer quelqu’un qui ne désire pas améliorer son sort, avait dit Marrucci, car il pilotait souvent l’un des deux petits avions qui se rendaient sur les lieux. Je veux dire, si on pense qu’on approche de la taille d’une ville, avec notre propre distillerie…
Marrucci espérait ajouter la production de vin à celle de ses alcools, et il était déjà allé dans le Sud chercher des fruits roses comme base de son « cordial ».
— La vie qu’ils mènent maintenant leur plaît, dit Zainal, haussant les épaules.
— Vous croyez que les Turs se sont évadés ? demanda Marrucci.
— Qui s’en soucie ?
— Tu as raison.
Le Rafiot se rendait régulièrement dans les mines, pour apporter des fournitures aux hommes et aux femmes qui y travaillaient, pour assurer la rotation du personnel et rapporter des minerais. Le juge condamnait souvent les délinquants à un mois de travaux forcés, et un seul trouva le travail de la mine à son goût ; il y resta.
Pour animer les soirées, ceux qui avaient un talent quelconque montaient des spectacles, à partir de fragments de comédies musicales ou de pièces de théâtre qu’ils se rappelaient, et en présentaient des versions abrégées, ou encore ajoutaient des dialogues et des péripéties de leur cru à leurs souvenirs. Des jeux de cartes furent fabriqués à partir des épais emballages des fournitures trouvées dans Bébé et le KDL. Elles glissaient moins bien et étaient plus difficiles à battre que les authentiques, mais cela n’empêchait pas les joueurs de parier une heure de travail ou des babioles pour donner de l’intérêt à la partie.
Ils avaient trouvé de l’or, mais il avait été décidé, non sans débats passionnés, que le troc était un meilleur système pour une petite communauté comme la leur, où chacun devait faire sa part de travail communautaire, et non payer pour s’en exempter. Parmi les nombreux métiers représentés, il y avait plusieurs bijoutiers. Ils passaient des contrats avec ceux qui trouvaient de l’or, et même quelques pierres précieuses, afin de confectionner des bijoux, décidant entre eux de leur juste rétribution en grammes du métal.
Iri Bempechat avait maintenant plusieurs assistants comme conseillers juridiques dans les litiges, dont la plupart se réglaient à l’amiable. L’ex-personnel militaire avait institué un tribunal inférieur, mais on pouvait faire appel de ses verdicts, laissant la décision finale au juge Bempechat.
— Nous n’avons pas besoin d’un gouvernement en bonne et due forme, avait dit Beverly, un soir où la question avait refait surface au réfectoire, particulièrement comble à cause d’une violente averse. (C’était le début de nombreuses précipitations semblables, toujours nocturnes.) Pourquoi compliquer ce qui fonctionne bien jusque-là ?
— Si c’est pas cassé, n’y touchez pas, cria Mitford.
Ce bon vieil axiome militaire fut salué par des éclats de rire.
— Nous avons déjà une forme de gouvernement, quoique la plupart d’entre vous ne le réalisent pas. Simplement, nous n’avons pas de représentants élus, ni un chef d’État officiel. Et je crois que nous n’en avons pas besoin, dit Iri, sa voix chaude et bien posée portant jusqu’au fond de la salle. Ceux d’entre nous qui ont une connaissance du commandement se sont chargés des tâches qui maintiennent l’ordre et la paix. Les services publics sont assurés par les heures de travail communautaire, et chacun travaille là où il est le plus utile, dans son ancien métier pour la plupart, avec les limitations imposées par la contrainte des fournitures. Nous devrions remercier notre bonne étoile que tant de métiers soient représentés parmi nous. Nos partenaires extrahumains, poursuivit-il, montrant les Rugariens, regroupés ensemble comme à leur habitude, et les Deskis, qui se mêlaient davantage aux humains, ont comblé nos lacunes de bien des façons ingénieuses. Certains d’entre nous doivent rire en comparant ce qu’ils faisaient autrefois à ce qu’ils font maintenant, mais franchement, je crois que l’expérience nous a été bénéfique autant qu’instructive. Nous avons bien travaillé. Et nous pouvons, pour la plupart, faire ce que nous faisons comme ça nous plaît. Sans interférences bureaucratiques, et sans paperasserie. Vous ne pouvez pas savoir comme j’en suis heureux.
Des rires bon enfant accueillirent cette saillie.
— Pourquoi devrions-nous réparer quelque chose qui n’est pas cassé ? ajouta-t-il, levant les mains pour les prendre à témoin.
— Oui, mais que deviendra ton rêve utopique quand les Fermiers arriveront ? demanda Balenquah, regardant autour de lui.
— C’est bien de Balenquah, lança une voix masculine anonyme.
— Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? dit le pilote en se levant, embrassant la salle du regard pour découvrir la source de la remarque.
— Si tu veux le savoir, dit Marrucci, tendant la main et le forçant à se rasseoir, ça veut dire que tu es à côté de la plaque, que tu perds le nord, et que tu recommences à faire l’emmerdeur. Tu es vivant, tu es en pleine forme, et même tu pilotes, et si tu ne trouves pas ça mieux que de crever de faim dans une geôle cattenie pour avoir fait sauter leur transport, c’est que tu as un écrou dévissé.
— Ne dis pas un mot de plus, intervint Beverly d’une table voisine, si tu veux avoir d’autres chances de voler.
— C’est bien ce que je disais, dit Balenquah. Il nous faut un gouvernement en règle, pour savoir qui a le droit de donner des ordres.
— Assez, Balenquah, dit Scott, secondant l’admonestation de Beverly.
— Ici, tu n’es plus amiral de rien du tout, Scott, dit Balenquah.
— Quel raaaaseur ! grasseya l’une des « belles-de-nuit » à deux tables de là.
Elle bâilla avec ostentation, et ses compagnes se tordirent de rire.
— Tu es vraiment raseur avec tes prédictions de catastrophes, dit Marrucci, branlant du chef en considérant Balenquah qui avait rougi sous le ridicule. Et je ne suis manifestement pas le seul à le penser, ajouta-t-il, se tournant vers ces dames.
Balenquah se leva, brandissant le poing, mais avant que Marrucci ne se lève pour se défendre, Scott avait fait signe à son voisin, et ensemble, ils se saisirent de Balenquah et le firent sortir du réfectoire et sous la pluie.
— Ajoutons « videur » à la liste de mes nouvelles occupations sur ce monde, dit Scott à Beverly en retournant s’asseoir.
Assise à leur table, Kris réalisa qu’elle partageait dans une certaine mesure le pessimisme de Balenquah. Le problème, c’est que chacun pensait aux Fermiers, tout en continuant à vaquer à ses activités comme si cette menace n’était pas suspendue au-dessus de leurs têtes. Zainal affirmait que les Fermiers étaient bienveillants, sans donner d’autre raison que la façon dont cette planète était cultivée depuis des millénaires, s’il fallait en juger par la nouvelle forêt d’arbres-charpentes.
— Et il y a des mois qu’ils ont installé la Bulle, lui rappela-t-il, comme ils retournaient vers leur maison après la fin de l’orage.
Presque tous les chemins avaient été revêtus de galets, pour se protéger contre les charognards, mais ils continuaient, machinalement, à taper du pied tous les trois pas. Kris laissait Zainal taper des pieds pour elle, car elle répugnait à secouer le bébé qui commençait à bouger en elle, ce qui était normal à cinq mois. Sarah se plaignait tout le temps que son petit chéri shootait comme une star du football, mais elle en était à son huitième mois. Maintenant, presque toutes les femelles en âge d’enfanter, y compris les Rugariennes et les Deskies, étaient enceintes, ce qui signifiait que la Baie de la Retraite verrait bientôt un baby-boom de 2 103 nouvelles âmes. Anna avait été la première à accoucher sur Botany mais, depuis, il y avait eu trente-quatre autres naissances, venant de femmes capturées enceintes. Maintenant, la nouvelle récolte – semée sur Botany, comme quelqu’un l’avait bibliquement remarqué – arrivait à maturité. Patti Sue fut la première, très fière de donner un fils à Jay Greene.
Kris ne savait pas trop ce qu’elle voulait, sauf que l’enfant ne ressemble pas trop à son père. Elle n’osait pas demander à Zainal s’il préférait un garçon ou une fille, et pourtant il servirait de père au bébé.
La plupart des femmes enceintes continuaient à travailler aussi longtemps que possible, et Kris, Sarah et Leila ne faisaient pas exception. En fait, elles se disputaient avec le sergent, l’accusant de se limiter à des explorations « faciles ». C’est ainsi qu’il convainquit Zainal de partir à la découverte du continent le plus petit – en fait, davantage grande île que masse continentale – dont seule la côte était verte.
— On dirait un peu le bush australien, remarqua Sarah, comme Zainal dirigeait Bébé vers l’intérieur. Pas d’arbres. Rien sur des klicks ! Pas même du maquis… rien que du sable et des cailloux, ajouta-t-elle, écœurée.
— Hum, oui, je vois, dit Joe, sans expliquer cette remarque énigmatique, regardant dehors par le hublot de tribord. Des vrais rochers !
Il montrait maintenant une crête rocheuse courant sous eux à l’oblique, pleine de creux et d’arêtes.
— Des os de dinosaures.
— Hum, ça y ressemble, dit Kris.
Whitby insista pour qu’ils atterrissent et passent la nuit au pied de cette chaîne, où les cartes spatiales indiquaient des gisements de minerais.
— Il est bon de savoir où il y a du cuivre et du zinc, et il y en a ici. Si les dépôts sont proches de la surface, ce serait peut-être avantageux de rester une semaine et d’en rapporter une cargaison.
Ils atterrirent donc. Il faisait chaud.
— Chaud et sec, comme à la maison, dit Sarah, extatique, projetant ses bras en arrière, son ventre distendu en avant, et levant le visage vers le soleil.
— Rien de mieux pour attraper des coups de soleil, dit Joe, lui plantant sur la tête son chapeau en roseau tressé. Nous ne voulons pas, je répète, nous ne voulons pas, t’accoucher prématurément dans Bébé.
— Avoir mon bébé dans Bébé ? pouffa-t-elle.
Whitby, Leila, Joe et Zainal partirent à la recherche des minerais, chargés de flacons pour prendre des échantillons. Sarah et Kris, qui trouvait la chaleur particulièrement pénible, trouvèrent un peu d’ombre à l’abri de Bébé, en creusant un peu le sol sous le train d’atterrissage pour s’asseoir sur des couvertures. Kris somnola, pendant que Sarah ramassait des pierres autour d’elle, essayant d’en trouver d’intéressantes.
Puis Sarah aussi s’endormit, et elles furent réveillées par les rires des prospecteurs qui rentraient. Chacun rapportait une sorte d’animal mort ressemblant à un rat.
Kris eut un mouvement de recul quand Zainal en posa trois couples près d’elle. Leur fourrure attira son attention, parce qu’elle était tachetée, dans des tons doux de sable et de beige.
— Camouflage ? Mais contre quoi ? dit-elle, s’aventurant à toucher le plus proche, rêche de sable et de sang.
— Fouisseurs, dit Joe, laconique. D’après les tests, ils sont comestibles. On s’est dit qu’on allait les goûter. Ils se nourrissent d’insectes, or ce continent en abrite des multitudes. J’en ai noté vingt-cinq variétés, et j’en ai attrapé quelques-uns pour étude, ajouta-t-il, levant plusieurs flacons liés ensemble pour prévenir la casse. On ne sait jamais ce qui peut être utile.
Il eut un sourire malicieux, et ajouta :
— Ou savoureux. Ou nourrissant.
— Comment pourrais-tu le savoir ? Tu n’as jamais chassé dans le bush avec les aborigènes, dit Sarah.
— Toi non plus.
— Mais j’ai écrit un article sur ceux que préfèrent les aborigènes, répliqua-t-elle avec emportement, et ils se remirent à se chamailler.
Les fouisseurs du désert – Kris refusa d’y penser comme à des rats – furent écorchés. Quand Joe eut procédé à d’autres tests grâce à l’équipement transporté dans Bébé, ils furent cuits dans la cambuse et servis au repas du soir. Leur texture lisse, leur goût de noisette étaient différents de tout ce qu’ils avaient trouvé sur Botany. Et ils étaient un peu durs à mastiquer.
Le crépuscule fit sortir leurs prédateurs naturels, créatures assez semblables à des chauves-souris, qui, déployant leurs ailes triangulaires, piquaient sur eux depuis leurs aires rocheuses. L’air plus frais fit apparaître des insectes différents, qui mordaient et piquaient, et les forcèrent à se réfugier dans le vaisseau. Mais pas avant d’avoir vu les fouisseurs en action, qui faisaient des sauts incroyables pour capturer leur repas sur des langues démesurées, et disparaissaient dès qu’ils entendaient des battements d’ailes au-dessus d’eux.
— On a quelque chose qui y ressemble sur notre bonne vieille Terre, remarqua Joe, qui observait par le hublot.
Dans l’ensemble, les hommes étaient contents de leur prospection, et avaient marqué les endroits prometteurs à la peinture bleue, même si Whitby et Joe doutaient qu’elle dure longtemps sous le soleil implacable.
— Enfin, ce sera un bon test, dit Joe, haussant les épaules. Et de toute façon, on a les coordonnées.
Le lendemain à l’aube, Zainal décolla pour la côte, volant à basse altitude, et atterrit en un point qui semblait différent. Des noix et des fruits, assez semblables aux noix de coco et aux agrumes, poussaient dans cette région tropicale, et ils prirent des échantillons de tout ce qu’ils trouvaient, y compris d’une nouvelle variété d’insecte. Kris trouva écœurante l’odeur des végétaux et des fruits en décomposition, mais elle ne dit rien tant que Leila, pourtant très réservée, ne s’en plaignit pas.
— Il y a une sorte de plateau, là-bas, dit Whitby, tendant le bras. Il y fait peut-être plus frais, avec une brise de mer qui chassera les moustiques et les poux.
Kris avait horreur de prendre prétexte de sa grossesse pour éviter les corvées, mais elle fut assez contente de laisser les hommes ériger un abri de branchages sur une hauteur dominant une jolie plage de sable blanc. (À l’usage, le sable blanc se révéla plein d’insectes féroces, de sorte que Kris et Sarah restèrent sur la hauteur, à l’abri de cette vermine.) Des feuilles leur servirent d’éventails, et elles respirèrent avec plaisir la brise parfumée par les fleurs de l’intérieur.
Leila partit à la découverte avec Whitby, mais elle revint bientôt, le visage et les bras couverts de rougeurs provoquées par le contact avec des plantes qu’ils avaient dû couper pour passer.
— La sève qui m’a brûlée est très collante, dit Leila, pendant que Kris et Sarah lui lavaient le visage et les bras. Joe dit qu’on a peut-être découvert un substitut du caoutchouc.
— À la dure, dit Sarah d’un ton cocasse. Est-ce que ça va mieux ?
— Seulement quand c’est mouillé, soupira Leila.
— Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour un bon antihistaminique ! dit Sarah avec ferveur.
— Nous avons assez de chimistes…, commença Kris.
— Mais un seul microscope, et évidemment, pas assez puissant pour servir à grand-chose. Alors, retour à la bonne vieille méthode par essais et erreurs.
Et puisque les compresses d’essai semblaient la soulager, ils en firent d’autres avec les linges de la trousse médicale, lui en entourèrent les bras et en posèrent sur son visage et son cou.
C’est alors que le bébé de Sarah décida de naître. En fait, avant que son père et les autres ne reviennent, bien que Kris ait diffusé un SOS sur son portable.
— J’ai dû me tromper dans mes calculs, dit Sarah d’un ton d’excuse à ses sages-femmes, quand elle réalisa que les contractions avaient commencé. Avec ces histoires de jour de trente heures et de grossesse de sept mois !
— Sottises ! dirent en chœur Kris et Leila. Ce n’est pas comme si on ne savait pas ce qu’il faut faire, ajouta Kris, tout en paniquant à l’idée de tout ce qu’elles n’avaient pas à bord et qui serait peut-être nécessaire.
Elles n’eurent besoin de rien, car le gros bébé de Sarah arriva dans le temps minimum. La mère et l’enfant étaient lavés quand le père entra en courant dans la clairière, rouge d’excitation et couvert d’écorchures dans ses efforts pour arriver à temps. Whitby et Zainal les congratulèrent, lui et Sarah, et admirèrent le bébé. Kris observait Zainal, se demandant si les nourrissons humains étaient différents des nouveau-nés Cattenis.
— Petit, murmura Zainal, sachant qu’il devait dire quelque chose.
— Petit ? s’exclama Joe avec indignation, comme son fils gigotait dans ses bras en réaction à ce bruit inattendu.
— Il n’est pas petit, dit Leila avec force, surprenant le reste de l’équipe, car elle contredisait rarement quiconque. Il fait plus de quatre kilos. Et il est en bonne santé !
— Moi, je me sens très bien, dit Sarah. Et c’est vraiment bon de pouvoir faire ça, ajouta-t-elle, car elle était assise, bras entourant ses genoux, chose qu’elle ne pouvait pas faire depuis des mois.
— Si tu penses que celui-ci est petit, quelle taille ont les bébés cattenis ? demanda Kris, décidant qu’il valait mieux prévenir Zainal pour qu’il ne soit pas déçu par l’enfant qu’elle mettrait au monde.
Zainal le leur montra, écartant les mains.
— Je plains les femmes qui ont à porter ça, dit Sarah, branlant du chef.
— Tête plus grosse, sans doute, et squelette plus massif, dit Joe avec sagesse.
— Il est en bonne santé, et c’est ce qui compte, dit Whitby d’un ton définitif.
Mais le jeune Anthony Marley força l’équipe à quitter cette région insalubre et à rentrer à la Baie de la Retraite. Sarah s’efforça de les en dissuader, parce qu’elle et Anthony se portaient bien, et qu’en ce qui la concernait, l’exploration pouvait continuer. Mais Joe ne voulut rien entendre, désirant que les médecins examinent au plus tôt la mère et l’enfant.
Léon Dane déclara que l’état postnatal était très satisfaisant, et Fawzia Johnston, la pédiatre de service à leur retour, l’assura que le jeune Anthony était aussi sain et vigoureux qu’on pouvait le souhaiter. Les frères Doyle, qui consacraient maintenant le plus clair de leur temps à la charpente et à la menuiserie, et en instruisaient d’autres dans leur art, firent cadeau d’un berceau à Joe et Sarah.
— On travaille toutes les heures que Dieu a faites sur Botany pour satisfaire la demande, dit Lenny, après avoir dûment admiré le jeune Anthony et félicité les parents. Avec les bébés qui arrivent, cette planète ressemble de plus en plus à la maison, ajouta-t-il d’un air mélancolique.
— Les tiens te manquent ? dit Sarah avec sympathie, posant la main sur son bras.
Le visage de Lenny s’éclaira et il sourit.
— Un peu, mais qui a le temps de penser à ce qu’il a laissé derrière soi avec tout ce qu’il y a à faire ici ?