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Le guide officiel – simple sous-lieutenant, nota Yana – se leva à son entrée.
– Commandant Maddock, dit-il, l’accueillant d’un salut impeccable et d’un sourire énergique. Sous-lieutenant Charles Demintieff, premier officier de liaison militaire d’Effem, à votre service, dama.
– Repos, lieutenant, dit-elle. C’est moi qui viens au rapport, pas le contraire.
– Oui, dama. C’est juste que je viens de lire votre dossier, et qu’on ne nous envoie pas souvent des héros par ici.
– La plupart des héros ne sont plus en état d’être envoyés nulle part, dit-elle.
Il rit, comme si elle avait dit quelque chose de très spirituel.
– Alors, nous avons encore plus de chance de vous avoir, commandant. Le colonel Giancarlo est spécialement venu en snocle ce matin pour vous accueillir personnellement. Quand vous en aurez terminé avec lui, nous pourrons voir ensemble les questions de routine.
Yana entra dans la pièce contiguë, aussi méfiante que si elle posait le pied sur un astronef ennemi. Si le gros bonnet de la Base voulait lui parler, pourquoi ne l’avait-il pas fait lors des formalités d’arrivée, s’épargnant ainsi un long déplacement dans le froid ?
Contrairement au lieutenant, le colonel n’eut pas l’air ravi de la voir. Il portait un insigne qu’elle n’avait pas vu souvent – Opérations psychologiques, euphémisme pour Services secrets. Elle déclina son identité et il lui fit signe de s’asseoir tout en continuant à travailler sur son ordinateur.
– Eh bien, commandant, dit-il, au moment où elle commençait à s’impatienter et à se sentir mal à l’aise dans ses gros vêtements. Quelle est votre première impression d’Effem ?
– La planète semble accueillante, dit-elle, prudente.
Il tâtait le terrain, mais elle ne savait pas dans quel but.
– L’air est pur, bien que froid. La technologie est assez primitive. Les nouvelles recrues effémiennes avaient besoin d’un entraînement intensif avant de se servir des équipements les plus simples, et je comprends pourquoi d’après ce que j’ai pu voir chez moi et au village. Est-ce que quelque chose m’échappe ?
– Si c’est le cas, vous n’êtes pas toute seule, dit-il, détournant la tête de son écran et la regardant dans les yeux. Nous ne devrions voir ici que ce que nous y avons apporté nous-mêmes. Il n’y avait que de la glace et des pierres sur la planète quand Intergal en a obtenu la concession. La compagnie l’a terraformée, transformant un tas de roc glacé en environnement simplement arctique. Depuis deux cents ans, elle nous sert de cantonnement pour les troupes de réserve et de centre de réimplantation pour les populations déplacées par nos autres opérations. Parce que les machines souffrent beaucoup dans ce climat, seule la Base dispose de tout le confort moderne. Les besoins des habitants en ce qui concerne les transports sont en grande partie assurés par des animaux expérimentaux élevés dans ce seul but.
– Expérimentaux ? répéta Yana. Comme des animaux de laboratoire ?
Elle était née sur la Terre, mais avait passé son enfance à sauter d’une station spatiale à une autre, selon l’affectation de ses parents. Les singes et les rats de laboratoire lui étaient familiers, de même qu’un certain nombre d’espèces extraterrestres, mais les bêtes qu’elle avait vues en venant étaient différentes, quoique curieusement familières.
– Pas exactement, bien que leurs ancêtres aient dû passer quelque temps en labo à l’origine, je suppose. La Compagnie a engagé le Dr Sean Shongili pour modifier certaines espèces et les adapter à ce climat. C’est ainsi que sont arrivés les équidés, félins, canidés et mammifères aquatiques que vous voyez ici.
– Je comprends, dit-elle, mais elle ne comprenait rien.
À l’évidence, les chiens tiraient les traîneaux, les chats exterminaient les rongeurs. Mais elle ne voyait pas l’utilité des équidés. D’après ce qu’elle en savait, les chevaux lui paraissaient mal adaptés pour ce climat. Quant à se servir d’animaux de compagnie pour casser et réchauffer la glace en vue d’obtenir de l’eau, cela lui semblait totalement improductif.
– Ce n’est absolument pas le but d’Intergal, dit le colonel, comme s’il lisait dans ses pensées. Les animaux que nous avons commandés sont ici, mais on a aperçu d’autres espèces indiquant que le Dr Shongili et ses assistants ont peut-être été un rien plus créatifs que leur contrat ne les y autorisait. L’actuel Dr Shongili, également prénommé Sean, est en tout cas un drôle d’oiseau – pas du genre à travailler en équipe. Pourtant, nous avons épluché ses dossiers, et nous n’y avons trouvé aucune preuve qu’il ait outrepassé ses instructions. Naturellement, nous pourrions l’affecter ailleurs, mais cette planète n’attire guère nos chercheurs et les Shongili ont obtenu d’excellents résultats dans la création d’espèces viables adaptées aux conditions arctiques. Nous hésitons donc à le déplacer avant d’avoir des preuves plus concrètes. L’ennuyeux, c’est que les espèces non autorisées ne constituent pas la seule anomalie. Il se passe quelque chose ici – nos moniteurs-satellites ont détecté des dépôts de minéraux importants sur cette planète, mais quand nous envoyons des équipes, ou bien elles ne parviennent pas à les localiser, ou bien elles ne reviennent pas.
– Et c’est pourquoi les Op-psy sont intéressées ? demanda-t-elle, se détendant un peu.
– Vous avez tout compris.
Il lui sourit soudain, sourire qui ne le rendit pas plus sympathique.
– Et c’est là que nous pouvons nous aider mutuellement, commandant.
– Pardon ?
– Vous êtes ici ce matin, officiellement pour être démobilisée. Vous êtes retraitée pour invalidité, condamnée à passer le reste de votre vie sur cet iceberg, ce qui est regrettable pour vous. Pourtant, votre expérience de détective interarmes et votre travail avec les équipes de reconnaissance collectant des données nous intéressent, malgré votre, infirmité, de même que vos exploits militaires. Vous ne le réalisez pas encore, bien sûr, mais le statut d’ancien combattant est auréolé d’un prestige considérable sur cette planète où la plupart des familles ont au moins un et généralement plusieurs parents dans le Corps. De plus, vos gènes sont similaires à ceux de la population.
Il la regarda avec attention, et Yana sut qu’il notait les fils blancs dispersés dans les cheveux noirs dont Bry affirmait qu’ils avaient des reflets auburn à la lumière, les hautes pommettes saillantes, le teint olivâtre et les yeux légèrement bridés. Son corps, autrefois mince et athlétique, avec quelques rondeurs bien féminines, était maintenant d’une maigreur affligeante après des semaines de maladie, et d’un poids qui l’aurait enchantée si ses forces ne l’avaient pas désertée en même temps que les kilos superflus.
– Comment cela ? demanda-t-elle, intriguée.
– La population de ce continent est un mélange d’Irlandais et d’Eskimos. Pour aider les autres à s’adapter, nous avons installé ici beaucoup d’originaires de climats froids. Dans cette région, ce sont des Eskimos, ailleurs, ce sont des Scandinaves et des Indo-Asiatiques.
– Ce n’est pas exactement la même chose que moi, dit-elle avec un sourire aussi patient que possible.
– Bien sûr, vous êtes pratiquement née dans la Compagnie, mais votre père était irlandais, et votre prénom, Yanaba...
– Yanaba, rectifia-t-elle. C’est navajo, la nation de ma mère. Il s’agit d’un nom de guerre, comme beaucoup de noms traditionnels chez les Navajos. Il signifie « elle affronte l’ennemi ». Mais les Navajos vivaient au désert, pas sur la banquise.
– Pas grande différence. Le désert peut devenir sacrément froid en hiver, dit-il, écartant l’objection de la main.
Cela apprit à Yanaba qu’elle avait commis une erreur tactique en lui montrant son ignorance avant de savoir ce qu’il voulait. Mais elle était farouchement attachée à sa famille. Tout ce qui lui en restait maintenant, c’étaient les enregistrements contenus dans les ordinateurs, et faits par ses parents avant leur mort. Pratiquement la seule chose de sa vie qu’elle ne devait pas à Intergal.
– Nous pensons que vous ferez l’affaire, Maddock, poursuivit-il. Et nous désirons que vous collaboriez, parce que nous avons besoin de savoir ce qui se passe. Il faudra vous lier avec les gens pour découvrir exactement quoi ou qui est responsable de ces problèmes. Si Shongili dissimule des expériences tendant à la création de nouvelles formes de vie, nous avons besoin d’être au courant. Si les équipes de reconnaissance géologiques tombent dans des embuscades et sont volontairement éliminées, nous voulons le savoir et connaître les responsables. Vous n’avez pas assez de connaissances techniques pour localiser les minerais vous-même, mais nous voulons que vous découvriez qui empêche nos équipes de les localiser. S’il s’agit de sabotage ou d’une révolte qui se prépare, nous voulons être informés.
– N’aurait-il pas été plus efficace de recruter un indicateur indigène ? demanda-t-elle.
Giancarlo émit un grognement dédaigneux.
– Ils sont tous bizarres. Ils se serrent les coudes, et chaque fois que j’en garde un dans mon bureau un peu longtemps, il se met à rougir et transpirer. Pourquoi cela, s’ils ne sont pas effrayés parce qu’ils cachent quelque chose ? Demintieff aussi se couvre de sueur chaque fois qu’il vient ici. Ce bureau est toujours glacial quand j’arrive, et même quand je suis là, l’antichambre est beaucoup trop froide. Ces gens ont également des réunions et des fêtes auxquelles personne de la Base n’est invité, et si j’en demande la raison aux recrues indigènes, elles se contentent de hausser les épaules.
– Vous n’avez donc encore interrogé personne à fond ?
– Aucun prétexte pour le faire jusqu’à présent. Qu’est-ce que je pourrais leur demander ? Pourquoi transpirez-vous tellement et pourquoi ne suis-je pas invité à vos soirées ?
Yana hocha la tête.
Il se pencha vers elle, martelant son bureau de l’index comme pour souligner ses paroles.
– Il nous faut quelqu’un de loyal envers la Compagnie pour gagner leur confiance et découvrir ce qui se passe.
– Et s’ils transpirent simplement parce qu’ils sont habitués au froid, et qu’ils se livrent à des orgies au cours de leurs soirées et n’y invitent pas des étrangers par pudeur ?
– Commandant, je n’ai peut-être pas été assez clair. Vous avez été blessée à Bremport, vous avez vu ce qui s’y passait. Ce n’est pas à vous que je devrais rappeler quels nids insurrectionnels peuvent constituer ces planètes coloniales. Des formes de vie non autorisées ont été observées sur cette planète. Des équipes de recherche et développement ont disparu sans laisser de traces. Ne venez pas me dire que ces faits n’ont aucun rapport entre eux. Ce que vous devez me dire, c’est quels sont leurs rapports. Vous me comprenez ?
Elle hocha la tête, avec circonspection, et, prenant à l’évidence sa prudence pour de l’hésitation, il reprit :
– Vous avez parlé de votre logement. Il est standard pour la planète, mais nous avons les moyens de le rendre plus confortable. De plus, vous n’avez pas l’âge de la retraite et vous n’avez pas droit à une pension complète.
– Je suis à la retraite pour raisons médicales, colonel.
– Pas exactement. Pas encore. En fait, votre taux d’invalidité est actuellement de 25 pour cent. Ce qui ne justifiera pas une pension importante. Mais si vous acceptiez une mission secrète, vous vous en tireriez beaucoup mieux. Nous pourrions même y ajouter une prime de risque.
– Sans vous offenser, colonel, et sans mépriser l’argent, les médecins de l’hôpital...
– Vous ne pouvez pas les contacter d’ici, Maddock. Et au cas où vous auriez besoin d’autres traitements de leur part, le prix du voyage dépasserait vos moyens, sauf si, bien sûr, Intergal payait la facture. J’attends de vous un rapport hebdomadaire par l’intermédiaire de Demintieff, à moins, naturellement, qu’il ne se passe quelque chose que je doive savoir instantanément. Demintieff vous pilotera, vous présentera à tout le monde...
Quelle que fût la spécialité du colonel, ce n’était certes pas le noble art de la persuasion psychologique. Il était à peu près aussi subtil qu’une torpille à photons. Mais elle devait sa vie à Intergal, avait passé sa vie à son service et, de plus, une solde supplémentaire ne lui ferait pas de mal.
– Sans vous offenser, colonel, je crois que Demintieff devrait s’en tenir au strict minimum. Il me semble que je serai moins suspecte à des terroristes éventuels si je circule en compagnie d’un civil indigène plutôt que d’un militaire en uniforme.
– Bonne idée, Maddock. Cette conversation n’a jamais eu lieu, naturellement.
Dans une boîte posée à ses pieds, il prit un bon vieux mémo sur papier à l’ancienne.
– Toutefois, voilà un briefing complet sur ce que nous savons et soupçonnons jusqu’à présent. Lisez-le et brûlez-le.
– Oui, colonel.
– Bonne retraite, Maddock.
Bunny était assise au bord du bureau du lieutenant Demintieff quand Yana reparut en compagnie du colonel Giancarlo. Ni l’un ni l’autre ne transpirait exagérément, pour autant que Yana en pouvait juger, bien que, à la vue du colonel, Bunny saluât Yana de la tête avant de prendre précipitamment la porte.
– Demintieff !
– Mon colonel !
– Vous devez vous présenter à la base spatiale. Félicitations, mon ami, vous êtes choisi pour servir sur un astronef.
– Mais, mon colonel...
Le sous-lieutenant, précédemment si joyeusement obséquieux, semblait aussi sonné que si le colonel lui avait décoché un coup de pied dans le bas-ventre. À l’évidence, des félicitations ne lui paraissaient pas s’imposer.
– Prenez vos affaires au trot et vous pourrez repartir avec moi.
– Je vous demande la permission de dire au revoir à ma famille, mon colonel, articula Demintieff avec quelque difficulté.
– Permission accordée, pourvu que ça ne prenne pas plus de quarante-cinq minutes. Le devoir nous appelle, fiston.
– Oui, mon colonel.
– Maddock, étant donné la nouvelle affectation de cet homme, vous êtes autorisée à réquisitionner l’assistance d’un civil durant votre période d’orientation à la vie civile, ou jusqu’à ce qu’on vous assigne un autre guide.
– Oui, colonel. Puis-je proposer ma conductrice, miss Rourke ?
– Oui, colonel, Bunny s’occupera bien du commandant, intervint Demintieff, plutôt galamment, pensa Yana, étant donné son désarroi évident. C’est une fille très bien, et cousine par alliance de ma propre soeur.
Devant cette élégance de Demintieff, et réalisant l’étendue de ses relations locales, Yana se maudit d’avoir fait sa suggestion avant de bien connaître le terrain. Il aurait aussi bien fait l’affaire que Bunny pour l’introduire auprès des villageois, mais maintenant, on l’expédiait loin de chez lui, affecté à un poste qui, à l’évidence, ne lui plaisait pas, pour justifier le changement de routine. Cet imbécile n’aurait pas dû s’engager s’il ne voulait pas servir sur un astronef, pensa-t-elle avec colère, mais elle eut quand même du mal à le regarder en face. Giancarlo rentra dans son bureau, et Demintieff se tourna vers elle, les yeux pleins de larmes.
– Dama, ça ne vous ferait rien que Bunny me ramène avec vous jusque chez Clodagh ? C’est elle qui a mes affaires, et elle s’occupera de prévenir ma famille à la baie de Tanana.
Yana ne put qu’acquiescer de la tête, tandis que le lieutenant prenait un balluchon soigneusement ficelé sur son bureau et le lui tendait, puis, se ravisant, le transportait lui-même jusqu’au snocle.
Bunny démarrait déjà son moteur quand Yana et Demintieff émergèrent du terminal. Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais Demintieff avait déjà pris place à côté d’elle, laissant tout l’arrière à Yana.
– Emmène-moi en vitesse chez Clodagh, Bunny, dit-il. On m’expédie dans l’espace.
Dans sa détresse, sa voix s’étranglait et avait pris le même accent irlandais que Bunny et son oncle Seamus.
Brillant début, commandant Maddock, se dit Yana. Même si tous les habitants de cette maudite planète ne participaient pas à la conspiration dont lui avait parlé Giancarlo, ils semblaient tous apparentés les uns aux autres.
– D’accord, Charlie, mais il faudra que je vous dépose, Yana et toi, et que j’aille remiser le snocle. Je ne peux plus le garder qu’un quart d’heure. J’attellerai les chiens pour conduire Yana chez elle et te ramener ici.
– S’il y a le temps. Il se peut que Giancarlo réquisitionne ton snocle pour nous amener à la base spatiale, quoique Terce l’ait conduit au terminal. Tu t’occuperas de mes chiens, hein, Bunny ? Ils te prennent déjà pour leur maîtresse et je veux qu’ils soient bien soignés ; je les ai eus tout petits.
Enfonçant la main dans ses fourrures, il en ramena un portefeuille et lui tendit une poignée de billets.
– Tiens, ça t’aidera à les nourrir.
Elle lâcha le volant d’une main et prit les billets qu’elle fourra dans sa parka.
– Pas de problème, Charlie. Je continuerai à m’occuper d’eux. Mais tu ne m’avais pas parlé de cette nouvelle affectation.
– Je n’en avais pas idée. Ça s’est décidé brusquement.
Yana se pencha et chuchota à l’oreille de Demintieff :
– Vous irez sûrement à la station d’Andromède pour les formalités et l’affectation. À moins qu’il ait été affecté autre part, l’officier chargé des nominations est le sergent-chef Ahmed Threadgill. Dites-lui que Yana Maddock lui envoie ses amitiés et lui rappelle le jour où elle l’a prévenu du raid du vaisseau policier. Il saura ce que je veux dire.
Si Demintieff transmettait ce message, l’intéressé saurait qu’elle lui demandait de lui rendre la faveur faite autrefois, et qu’il devait bien traiter son ami. C’était peu de chose, alors que c’était elle qui l’avait involontairement mis dans cette situation, mais cela pouvait lui sauver la vie.
– Oui, commandant Maddock. Merci, dama.
Elle lui serra l’épaule, d’une main faible, et se renversa sur son siège jusqu’au moment où Bunny s’arrêta d’une glissade devant une maison un peu plus grande que celle de Yana. Les épreuves de la matinée l’avaient laissée haletante et tremblante de fatigue, mais cette maison la frappa quand même. Sur le devant se dressaient des monticules aux formes étranges, et la neige qui les entourait était parsemée de choses sombres ressemblant à des excréments, ce qui choqua vaguement Yana, élevée dans la propreté aseptisée d’un astronef. Des filets raides et ovales étaient suspendus au-dessus de la porte, trois paires de ce qui était sans aucun doute des skis étaient appuyés contre le mur, et, de derrière la maison, s’élevaient des cris stridents, comme d’une femme qui hurle.
– Je te ramène chez toi dans une minute, Yana, lui cria Bunny tandis que sa passagère descendait. De plus, tu pourras faire la connaissance de Clodagh. Elle demandait après toi hier soir au dîner.
Charlie Demintieff attrapa le balluchon dans le snocle, et Bunny s’éloigna.
Les cris reprirent et Yana hésita, tendue, tout oreilles. Charlie, qui s’avançait déjà vers la maison, se retourna lentement dans ses fourrures, la vit hésiter et lui toucha le coude.
– C’est juste les chiens, dit-il, émettant des nuages de buée blanche, comme si ses paroles gelaient dans l’air. Quand on a créé nos chiens, nos grands-pères les avaient baptisés chiens-banshees [1] à cause de ces cris, mais c’est juste pour dire bonjour.
Yana hocha la tête, sa respiration rauque couvrant les cris des chiens, et elle fit un effort pour se détendre avant de suivre Charlie à l’intérieur. Un félin aux rayures rouille et crème était debout sur le toit au-dessus de la porte et les regardait, comme s’il envisageait de bondir sur eux. À un autre coin, son jumeau était couché et ressemblait aux photos des gargouilles décorant d’anciens édifices terriens. Une autre de ces créatures était assise devant chacune des deux fenêtres flanquant l’entrée.
Alors que Charlie arrivait à la porte, elle s'ouvrit devant lui, et l’ouverture s’emplit de la plus grosse femme que Yana eût jamais vue. Bien sûr, à bord des astronefs les équipages devaient surveiller leur poids, exigence justifiée par l’étroitesse des coursives et des écoutilles, et la petitesse des cabines. De plus, dans l’espace, chacun devait pouvoir tenir dans les combinaisons de survie et, si nécessaire, dans les caissons cryogéniques. Les rigueurs de la vie à bord et le peu d’attrait des rations, nourrissantes mais généralement insipides, facilitaient le respect de ce règlement.
Mais cette femme ! On aurait dit une planète, ou tout au moins une météorite ovoïde, énorme entité toute ronde, et très imposante pour le moins.
– Charlie, dit-elle en ouvrant la porte, il paraît que tu nous quittes.
Par-dessus l’épaule de Demintieff, la femme regarda durement Yana, comme devinant son rôle en la circonstance, puis recula pour laisser entrer Charlie, qui retint la couverture militaire grise masquant l’ouverture jusqu’à ce que Yana fût passée.
Demintieff ôta sa casquette, son écharpe et ses moufles, et ouvrit sa parka, imité par Yana. La maison était petite et douillette, mais pas aussi bien chauffée que Yana aurait pu s’y attendre. Néanmoins, comme Giancarlo l’avait signalé, le front et la lèvre supérieure de la femme étaient couverts de gouttelettes de sueur. Mais pour Demintieff, Yana ne savait pas si les gouttes couvrant son visage étaient de la sueur, des larmes, ou de la neige fondue.
La femme embrassa Demintieff, caresse curieusement tendre et délicate venant d’un être aussi massif, et il lui rendit son baiser avec toutes les marques d’une sincère affection.
– Ne t’en fais pas, Charlie, dit la femme. Natark est déjà en train d’atteler ses chiens. Il pourrait être à la baie de Tanana dès ce soir.
Demintieff, sans s’étonner qu’elle soit déjà au courant, répondit simplement :
– Merci, Clodagh. Je voulais juste te dire au revoir. Bunny s’occupera de mes chiens.
– Parfait, parfait. Bunny les traite bien, dit la femme, sans essayer de consoler Demintieff, mais semblant partager sa tristesse sans un regard ou un mot d’encouragement factice auxquels il ne pourrait pas répondre.
– Voilà le commandant Maddock, Clodagh.
– Ah, la mourante.
Cela aurait pu sembler brutal, n’était le ton vaguement ironique indiquant qu’elle se référait à l’opinion que Yana avait d’elle-même, comme si elles en avaient déjà longuement parlé. Son doux sourire et le regard pénétrant de ses yeux bleus légèrement bridés montraient aussi qu’elle ne voulait pas l’offenser, mais qu’elle allait droit au coeur du problème, comme elle l’avait fait pour Demintieff.
– Assieds-toi et on va prendre le thé. La soeur de Charlie et le reste de la famille sont en route. Bunka t’amènera ce soir au dîner, si ça te fait plaisir, mais pour le moment nous avons à parler de Charlie.
Pendant qu’elle parlait, les visites commencèrent à arriver, et la pièce fut bientôt pleine de corps sentant la fourrure mouillée, la fumée et le chien humide.
La maison de Clodagh s’enorgueillissait d’une grande table et de quatre chaises disposées près du poêle. L’opinion de Yana sur la température intérieure se modifia. Elle commençait à étouffer dans sa parka, mais la pièce était si bondée qu’elle n’avait pas la place de bouger pour l’enlever. Un chat sauta sur la table et se mit à lui renifler le visage. Elle laissa sa main retomber doucement sur sa fourrure marbrée et il prit ce geste pour une invitation à s’installer sur ses genoux.
Pendant ce temps, fourrures, écharpes et tissus matelassés la frôlaient, et elle se demanda comment les gens ne se roussissaient pas au poêle en faisant leurs adieux à Charlie Demintieff. À mesure que la pièce se remplissait, sa respiration se faisait de plus en plus oppressée, le manque d’oxygène l’étouffant. Elle se mit à prendre de profondes inspirations pendant que les amis et parents éloignés de Charlie s’approchaient du poêle les uns après les autres, l’étreignaient contre leurs fourrures puis reculaient pour faire place à la personne suivante. Yana ne comprenait pas comment on pouvait avoir une famille aussi nombreuse.
Clodagh était debout, pas aussi grande que certains hommes, mais signalée par l’espace vide autour d’elle. Yana remarqua qu’elle avait des cheveux magnifiques, tombant sur ses épaules en ondulations brillantes et noires, mais d’un noir qui n’était pas trop dur pour son teint clair. Maintenant, elle avait les joues roses de chaleur et elle transpirait abondamment, luisant comme quelque soleil bienveillant. Elle semblait un peu plus jeune que Yana, et pourtant elle avait cet air d’autorité naturelle que ne confère généralement que la maturité avancée.
À l’instant même où Yana se disait qu’elle allait devoir se frayer un chemin dans la foule pour sortir ou s’évanouir sur place, les gens commencèrent à s’en aller, saluant Charlie d’un dernier au revoir, et soudain, ils se retrouvèrent seuls tous les quatre, Clodagh, Charlie, Bunny et elle-même.
– Il faut se dépêcher, dit Bunny au jeune officier abattu. Il faut que je dépose Yana avant de te ramener.
– D’accord, dit-il.
Clodagh mit quelque chose dans la main de Charlie avant qu’il renfile sa moufle. Comme ils sortaient, elle dit :
– Commandant Maddock, viendras-tu dîner ce soir avec Bunka ?
Yana acquiesça de la tête et fit au revoir de la main, puis, se retournant vers l’espace séparant la maison de la suivante, elle se retrouva devant quatre chiens attelés à un traîneau bas et qui jappaient avec excitation.
– Monte, Yana, dit Bunny.
– Tu plaisantes. Il n’y a pas de place pour nous trois.
– Tu t’assieds, Charlie conduira, et je courrai à côté jusque chez toi, dit Bunny.
Yana considéra le traîneau fragile et les quatre chiens jappants et frétillants, dont un Demintieff tristement agenouillé grattait les oreilles et les museaux pointus. Leurs têtes ressemblaient plus à celles des renards ou des chats qu’à celles des chiens qu’elle avait vus sur des photos. Ils avaient des robes très épaisses, des pattes très musculeuses, et portaient de petites bottes. Chaque fois que l’un d’eux approchait assez de Demintieff, il lui donnait un grand coup de langue.
– Mais c’est loin, ma maison ? demanda Yana.
Elle n’avait pas l’impression que les distances étaient grandes dans ce village, et les trajets en snocle étaient brefs.
– Non, juste au bout de la rue, dit Bunny lui montrant le chemin. Mais tu n’es pas habituée au froid et...
– Et je suis infirme ? termina Yana, remontant l’écharpe sur son nez. La mourante, hein ? Mais je ne suis pas encore morte, Rourke. Et pas de sitôt. Maintenant, ramène Charlie. Ah, Charlie !
– Dama ?
– N’oubliez pas de transmettre mon message au sergent-chef Threadgill.
Charlie hocha la tête, les dents serrées. Sans ajouter un mot, Bunny sauta dans le traîneau tandis que Charlie sifflait une dernière fois pour donner le signal du départ à ses chiens qui se mirent à trotter docilement vers la station de la Compagnie.
Yana soupira, envoyant une plume de buée blanche vers le ciel bleu, puis se mit à marcher lourdement vers son nouveau logis. Maudit Giancarlo. S’il voulait qu’elle espionne pour son compte, fallait-il qu’il commence comme ça, en envoyant Charlie en exil, chose qui, si elle était connue, aliénerait tout le village contre elle ? Naturellement, il était fort possible que, comme elle, il n’ait pas eu la moindre idée que Demintieff était un indigène affecté près de chez lui parce qu’il l’avait désiré. Mais Giancarlo aurait pu se renseigner avant d’agir si précipitamment. Si cette mission avait une importance quelconque, il aurait dû faire une enquête sur Demintieff avant de le remplacer. Cette décision inconsidérée pouvait faire échouer la mission.
La mission ? Et elle qui était censée aborder une nouvelle vie ! Mais il n’en sortirait sans doute pas grand-chose. Et elle aurait dû remercier Giancarlo de lui avoir donné quelque chose pour lui occuper l’esprit, sinon elle serait devenue dingue sur cette boule de glace.
Des plumes de fumée s’élevaient des maisons, et s’il y avait des magasins, il était impossible de les distinguer des habitations, pour autant qu’elle en pouvait juger. Chaque pas qu’elle faisait dans ses lourds vêtements volumineux était aussi pénible que si elle marchait sous une forte gravité. Elle ne pouvait pas baisser la tête facilement pour voir son chemin, sinon son écharpe retombait et sa capuche se rabattait en arrière. Mais en tournant légèrement la tête, elle vit que la plupart des maisons possédaient des chenils pleins de chiens et étaient précédées de ces mêmes monticules étranges qu’elle avait vus chez Clodagh. Deux des demeures les plus vastes avaient aussi des communs, et, dans un enclos, elle vit deux chevaux qui zigzaguaient dans la neige. Yana leur trouva quelque chose d’étrange, mais n’arriva pas à déterminer quoi. Peu importait. Elle allait rentrer chez elle et lire le briefing. Elle devait savoir ce qui était normal sur cette planète avant de pouvoir déterminer ce qui était anormal.
Elle arriva devant sa porte après avoir eu pour toute mésaventure une glissade qui lui fit attendre la fin d’une quinte de toux pour se relever. À part ça, elle ne s’était pas fait mal. Comment l’aurait-elle pu, avec tant de couches de vêtements ? Un passant – dans ce genre de vêtements, elle ne vit pas si c’était un homme ou une femme, mais la personne était petite – s’arrêta, attendit la fin de sa quinte puis lui tendit la main pour se relever. Mécontente d’être traitée comme une enfant, elle eut envie d’écarter la main d’une claque, mais dès qu’elle fut debout, la personne lui dit d’une voix étouffée par son écharpe :
– Il faut marcher en canard quand c’est glissant comme ça.
Elle regarda la personne s’éloigner en se dandinant, puis, avec l’impression d’être plus ridicule que jamais, elle se dandina aussi jusqu’à sa maison, la dernière de la rue.
Quand elle ouvrit la porte, quelque chose de brillant entra comme une flèche ; elle se raidit, puis elle entendit un bruit sourd vers la table et elle vit un chat orange assis dessus qui se mit nonchalamment en devoir de faire tomber la neige de ses pattes fourrées.
À son grand soulagement, la bûche qu’elle avait mise dans le poêle en partant avait encore de bonnes braises. Elle ne savait pas exactement combien durait ce matériau primitif, mais elle avait l’impression qu’il fallait le renouveler souvent. Elle ôta sa parka, ses moufles, son écharpe et sa combinaison capitonnée, et s’assit dans son uniforme. Il faudrait qu’elle enlève les insignes de son grade. Elle soupira. Ce serait l’aveu de son statut actuel. Enfin ! Elle se demanda comment elle s’habillerait quand ses uniformes seraient usés. Elle n’avait pas d’autres vêtements, ayant vécu sur un astronef presque toute sa vie. Mais étant donné la variété des tenues qu’elle avait vues jusque-là, les Effémiens devaient avoir des ressources indigènes. Il faudrait demander à Bunny comment elle se procurait ses fourrures. En attendant...
Elle étala le briefing sur la table, sous l’oeil inquisiteur du chat. Il contenait un résumé de l’histoire d’Effem et de sa colonisation, avec des cartes indiquant les dépôts de minerais et les endroits où les équipes de reconnaissance avaient été vues pour la dernière fois.
Effem : troisième monde à partir de l’étoile XR798 dans le système de Valdez. La première équipe d’évaluation n’a pas trouvé de formes de vie, intelligentes ou non, sur la planète ; la surface rocheuse était gelée la plus grande partie de l’année solaire. L’effet Whittaker fut proposé comme meilleur moyen de terraformation de la planète et fut appliqué. La colonisation était possible et le processus fut amorcé à mesure que la planète se réchauffait. Les seules masses continentales disponibles se trouvaient dans les régions polaires où règne un climat subarctique, avec un hiver très long et extrêmement froid, avec des températures tombant souvent jusqu’à moins soixante-quinze ou plus bas, et des étés durant à peine deux mois terrestres. La lumière est intense et presque constante pendant l’été, mais les jours sont très courts et pratiquement inexistants en hiver.
Les colons furent choisis parmi les groupes ethniques habitués à ces conditions climatiques.
Connaissant les méthodes d’Intergal, Yana doutait que les « groupes ethniques » aient eu leur mot à dire dans ce choix. Elle poursuivit sa lecture.
... À la suite des premières installations, le personnel de la Compagnie effectua des ajustements sur place parmi les colons. Bien que pouvant supporter une vie assez primitive, les équipes déterminèrent que les machines et l’appareillage électronique ne résisteraient pas au froid. C’est pourquoi on développa des alternatives biologiques. Les botanistes de la compagnie créèrent des plantes pour l’alimentation des hommes et des bêtes, spécialement adaptées au court été effémien. La fonte estivale des rivières et des rivages marins est facilitée par l’existence d’un vaste réseau souterrain de sources chaudes qui réchauffe un peu la surface, laquelle devient de plus en plus chaude à mesure qu’on s’enfonce, empêchant tous les cours d’eau, sauf les moins profonds, de geler jusqu’en leur profondeur. Ces eaux souterraines, avec les sources chaudes affleurant toute l’année à la surface, plus de petites quantités de neige fondue, fournissent l'humidité nécessaire à l’hydratation des plantes, des animaux et des hommes.
Les généticiens de la Compagnie ont également modifié les espèces animales existantes pour les adapter aux exigences du climat effémien.
Sous les auspices de la Compagnie, les espèces suivantes ont été créées : le cheval effémien à poil bouclé, pour les lourds transports hors-neige, le chien-renard, hybride intelligent pour tirer les traîneaux, les félins domestiques, à l’origine pour leur fourrure, et plus tard pour contrôler l’expansion des rongeurs dont le développement n’a jamais été autorisé. De plus, des espèces à fourrure capables de survivre par elles-mêmes en liberté ont été adaptées au climat et introduites – gloutons, loups, ours, lynx, et aussi caribous, rennes, élans et moutons sauvages.
Ça paraissait normal, pensa Yana. Exactement les clones qu’on pouvait attendre dans une région subarctique. Enfant, elle avait joué avec les holos interactifs du Service et de Londres. Seuls manquaient les malamuts, et les chiens-renards semblaient les remplacer. Dommage qu’il n’y eût pas une masse continentale, autour de l’équateur, qui aurait été plus tempérée. Pourtant, dans la terraformation à long terme, on ne choisissait pas toujours le site des masses continentales, bien qu’elle ne sût rien des formations géologiques supportant Gaias.
Elle parcourut rapidement le passage décrivant les animaux aquatiques, d’eau salée et d’eau douce, notant que certaines espèces éteintes depuis longtemps sur la Terre avaient été ressuscitées pour l’occasion, ce qui, à ses yeux, justifiait à soi seul la terraformation. Cinq espèces de baleines peuplaient les océans – l’orque, la baleine à bosse, la baleine grise, la baleine bleue, et la petite baleine-pilote –, de même que des dauphins, otaries, phoques et morses, et tous les poissons et plantes nécessaires à leur nourriture. La seule chose bizarre sur Effem, c’était que les profondeurs océaniques étaient plusieurs fois plus chaudes que les glaciales eaux de surface, car une activité géothermique considérable continuait après la terraformation. Cette même activité expliquait l’existence des volcans, sources chaudes et tremblements de terre, et des curieux dômes que les colons, d’origine yupik-irlandaise, appelaient « collines des fées », notait le rapport.
Yana tourna les pages. Rien d’anormal qu’elle eût dû mémoriser et avaler. Rien qu’elle ne pût savoir ou demander. Si c’était là et autorisé à y être, cela faisait partie du domaine public.
Autre aberration : une note expliquant pourquoi il avait été inutile de développer un système d’énergie à base de méthane car, avant que suffisamment de colons se soient installés sur la planète pour que cette considération devienne prioritaire, on découvrit que les petits aulnes transplantés sur la planète avaient muté bien au-delà des altérations génétiques programmées et s’étaient transformés en arbres à bois très dur brûlant très lentement avec gros dégagement de chaleur. Enfin, cela expliquait au moins pourquoi sa bûche du matin n’était pas encore consumée.
Mais dans la dernière partie du rapport, Yana commença à se demander si le traitement de texte de l’ordinateur ne s’était pas mélangé avec un jeu vidéo pour enfants. Avant sa disparition complète, une femme, un membre du corps expéditionnaire, avait rapporté, par émetteur vocal terre-astronef, qu’elle avait vu quelque chose ressemblant à une licorne. Or, les licornes n’étaient certainement pas autorisées sur cette planète, ni sur aucune autre. Selon la théorie officielle, poursuivait le rapport, la femme souffrait de cécité des neiges ou d’hallucinations provoquées par l’hypothermie. Ce climat était hostile à ceux qui n’avaient pas été élevés pour s’y adapter, rationalisait le rapport. Un membre de l’équipe, rescapé de l’expédition, en était revenu fou et avait vieilli de dix ans, bredouillant qu’il avait entendu des voix venant du sol et des racines des arbres ; pourtant, il avait parlé de cavernes de cristal, faisant espérer aux autorités qu’il y avait un brin de réalité dans ses divagations.
Les indigènes, aussi bien les employés de la Compagnie que leurs familles, niaient avoir connaissance de cavernes de cristal ou de toute autre anomalie, mais reconnaissaient qu’ils souffraient parfois d’hallucinations causées par le froid, surtout quand ils se déplaçaient en traîneau.
Yana se passa les mains dans les cheveux puis jeta le rapport, dans le feu. Comme pas mal de paperasserie de la Compagnie, il ne disait rien qu’on n’aurait pu lui communiquer au cours d’une brève conversation.
Dégoûtée, elle regarda brûler les feuilles, le chat fourrant sa tête sous son bras pour regarder aussi dans le poêle.
– Il faudra que je te ramène chez Clodagh ce soir, minet, lui dit-elle.
Il la regarda, clignant ses yeux dorés.
– Enfin, vous êtes si nombreux qu’elle n’aura sans doute pas remarqué ton absence.
À cet instant, un coup sourd fut frappé à sa porte et elle cria « entrez » au visiteur, quel qu’il fût. Le temps qu’elle ait réalisé que personne n’entrait et qu’elle eût refermé le poêle pour aller aux nouvelles, le perron était vide, mais il y avait un fagot de bûches près de la rampe. Elle le traîna à l’intérieur, bien qu’il eût pu sans dommage rester dehors dans l’air sec et glacial. Elle voulait faire savoir à celui qui l’avait apporté qu’elle l’avait trouvé et avait l’intention de s’en servir, car jusqu’à maintenant, elle ne savait pas comment s’en procurer et elle était trop fatiguée pour sortir enquêter. Elle avait rendu sa couette à Bunny, pensant qu’elle en aurait une autre aujourd’hui. À retardement, elle réalisa que le balluchon de Demintieff contenait sans doute sa couverture isotherme et d’autres affaires de survie. Dans la confusion, elle l’avait laissé chez Clodagh.
Le chat la regardait, comme en attente, et elle revint s’asseoir à la table, regrettant de ne pas avoir un ordinateur pour travailler. Rien à lire, écrire ou faire, à moins qu’elle ne remît toutes ces frusques pour aller se promener dans le froid. Le chat miaula.
– Heureusement que je te ramène ce soir chez Clodagh, mon beau, lui dit-elle en le caressant. Sinon, je deviendrais dingue accablée tout d’un coup de tant de solitude.
Comme s’il la comprenait, le chat ronronna et sauta d’un bond par terre où il se mit à taquiner le pompon de sa parka avec tous les signes d’une grande concentration et d’une grande férocité. Il sauta en l’air, pattes écartées, et atterrit en plein sur le cordon de la parka, auquel il aurait brisé les os si le cordon en avait eu.
Puis le chat s’assit, se lécha les pattes et la regarda, de nouveau en attente. À part le pompon, il n’y avait pas une seule chose à taquiner ou rouler dans la cabane.
Finalement, Yana enleva la ceinture d’un de ses uniformes et la traîna par terre, et le chat la poursuivit, faisant de son mieux pour la divertir. Au bout d’un moment, ils s’endormirent tous deux près du poêle, Yana, la tête sur la table, le chat pelotonné près de son coude, tandis que le village de Kilcoole sombrait dans un silence angoissant où ne retentissait aucun cliquetis, bip, ou bourdonnement familier de l’activité de ruche des astronefs.
Yana dormit d’un sommeil léger aux rêves incohérents, où un chirurgien au front orné d’une corne s’en servait comme d’un scalpel, où vingt jeunes soldats se convulsaient tout en s’agrippant à une écoutille pendant qu’un gaz asphyxiant s’infiltrait dans l’habitacle qui ressemblait à une caserne de cristal, et qu’un chat roux bondissait sur un petit homme qui était Charlie Demintieff.
Diego Metaxos n’avait pas sauté de joie quand on l’avait traîné sur Effem pour regarder son vieux en action, en sa qualité d’ingénieur géologue. Depuis seize ans qu’il était né, il n’avait jamais posé le pied sur une planète, et il s’attendait à ce que la vie sur Effem fût aussi routinière et ennuyeuse que sur un astronef. Mais une fois là, il avait été bien content d’être venu, et encore plus content quand il avait vu les chiens. Et quand la dama l’avait laissé conduire l’attelage de chiens, il avait été convaincu que ce voyage était la meilleure chose qui lui soit arrivée de sa vie.
D’abord, ce projet d’expédition lui avait donné le cafard, et avec juste raison. Même le psy de l’astronef de son père lui avait dit qu’il avait bien des raisons d’avoir le cafard. D’abord, sa mère s’était amourachée d’un cadre de la Compagnie, qui aimait bien maman mais ne voulait pas entendre parler d’un autre attachement affectif. Maman, astrophysicienne en chef, n’avait jamais été du genre tendre et démonstratif, et Diego avait passé la plus grande partie de sa vie à sauter avec elle d’un astronef à l’autre, ou à attendre son retour de mission devant son ordinateur scolaire. Sur les astronefs ou stations spatiales où maman travaillait, il n’y avait jamais de jeunes de son âge, et rarement un adulte prêt à s’intéresser à l’enfant d’une autre. Lors des deux dernières affectations de maman, il avait quand même commencé à se lier avec les plus jeunes recrues du Corps, écoutant leurs conversations et admirant leur comportement de jeunes durs, sans jamais avoir le sentiment d’appartenir au groupe, et, au cas où il ne l’aurait pas remarqué, sa mère ne manquait pas de manifester son mécontentement quant au choix de ses fréquentations. Puis, quand il commençait à se faire accepter et à avoir un ou deux copains, ils étaient partis une fois de plus sur une autre station. Il avait alors dû se rabattre sur les ressources développées depuis sa petite enfance, une bonne imagination et une vive intelligence. Il n’avait pas vraiment besoin d’amis. Sa mère et son père étaient brillants tous les deux, capables de se suffire à eux-mêmes, et il était comme eux. Tout ce qu’il lui fallait, c’était un ordinateur qui lui permettait à la fois de s’instruire et de se distraire. Il était bon en langues, étant bilingue anglais-espagnol depuis son enfance, et il aimait bien lire des romans dans ces deux langues quand il n’y avait personne pour lui tenir compagnie, de sorte qu’il ne s’ennuyait pas.
Il allait voir avec plaisir son père et Steve à peu près une fois par an. Il avait beaucoup d’affection pour son père, même s’il était du genre perfectionniste et ultra-sérieux, sauf avec Steve. Le soir, Steve parvenait à l’arracher à son travail, et à le faire se détendre et rire un peu. Steve trouvait toujours quelque chose à partager avec eux. Il avait donné à Diego son premier vrai livre en espagnol – Don Quichotte – pour son neuvième anniversaire.
– Fais bien attention à Sancho Pança et Dulcinée ; je tiens un peu des deux, avait-il plaisanté, prenant une pose de danseur de flamenco.
Pas étonnant que maman et papa ne se soient pas entendus. Même si papa n’avait pas découvert qu’il était gay, ils se ressemblaient trop, très studieux, sérieux, et rats de bibliothèque tous les deux. De sorte que ça ne le dérangeait pas tellement que papa et Steve se soient mis en ménage, simplement, il n’avait jamais pensé qu’il finirait par vivre avec eux.
Il commençait seulement à s’y habituer – il venait de découvrir que papa avait toujours désiré l’avoir avec eux, mais, lors du jugement de tutelle, l’orientation sexuelle de maman avait semblé préférable à celle de papa. Diego ne voyait pas la différence.
Personne n’essayait de l’influencer dans ses choix sexuels, même s’il avait été prêt à en faire, mais, jusque-là, il n’avait jamais rencontré personne qui lui donnât envie de mettre en pratique les méthodes exposées dans ses manuels.
Il commençait juste à s’habituer à cette situation quand Steve avait attrapé un virus quelconque juste avant le départ de papa pour une nouvelle mission, où il devait enquêter sur un truc d’Effem. C’est alors que papa avait eu l’idée géniale d’emmener Diego comme assistant, pour remplacer Steve et « élargir son horizon ».
En fait, il n’avait jamais vu un horizon jusque-là, puisqu’il vivait dedans, vu d’une surface planétaire. L’ayant fait remarquer à Steve, celui-ci le rabroua, lui conseillant de ne pas faire le mariolle et d’accepter les expériences nouvelles. Il était donc parti et, à sa grande surprise, la campagne d’Effem lui avait paru plus vaste et ouverte que l’espace.
Mais alors que l’espace était noir, Effem était blanche et bleue, même quand la nuit tombait, et elle tomba vite pendant le trajet de la base spatiale au petit village rustique où leurs guides les attendaient. Le ciel était comme de l’ivoire sombre, et on y voyait toujours le soleil d’Effem, semblable à une petite boule de neige suspendue dans le firmament, et ses deux lunes, l’une naturelle, l’autre fabriquée par la Compagnie.
Être là, c’était comme d’être à l’intérieur de la lune, pâle et brillante. La base spatiale était un trou et la ville était laide, mais la campagne était vraiment fascinante, et le trajet en snocle pour arriver à Kilcoole lui parut trop court. L’endroit ressemblait tellement aux images de ses livres, et était pourtant si différent qu’il sut qu’il ne l’oublierait jamais, même s’il ne choisissait pas, ainsi que son père l’espérait à l’évidence, de devenir un grand géologue comme lui.
Puis, comme ils déchargeaient le snocle, une flotte de traîneaux s’étaient arrêtés devant eux, chacun tiré par environ quatorze chiens, et il avait commencé à devenir accro.
Les chiens ! Il n’avait jamais vu de créatures plus merveilleuses. Ils étaient roux comme un paysage martien, mais avec des têtes délicates, intelligentes et malignes. D’abord leurs aboiements l’avaient un peu effrayé, mais la dama – à sa voix, il avait compris que c’était une dama – qui conduisait le traîneau lui avait dit qu’ils étaient gentils et qu’il pouvait les caresser s’il voulait. Comme ils étaient doux ! Le dessus de leur robe était un peu verglacé, mais si on enlevait sa moufle et qu’on enfonçât la main dans leur fourrure, elle était douce comme de la soie, et si chaude qu’elle empêchait la main de geler avant qu’on se regante. Comme il se penchait un peu pour remettre sa moufle, le chien lui avait donné un grand coup de langue sur le visage.
– Oh, mon beau ! dit Diego, le serrant dans ses bras.
– Ma belle ! dit Lavelle. C’est Dinah, mon chef d’attelage. Tu lui plais, et elle est bon juge des caractères.
– Chef d’attelage ?
– C’est le chien auquel je parle et qui nous dit ce qu’il faut faire, à moi et aux autres chiens. Car, comme tu peux le constater, les autres chiens ne voient pratiquement que l’arrière-train de celui qui les précède.
Les chiens remuèrent leur queue bouclée et sourirent comme si c’était une bonne plaisanterie partagée par tous.
Il monta dans le traîneau de Lavelle, qui suivait celui de son père. Les autres membres de l’expédition, deux femmes, dont l’une ingénieur en sismographie, et l’autre ingénieur des mines, et un homme dont son père disait qu’il était spécialiste de la mécanique des sols, tous docteur-en-ceci-ou-cela, voyageaient dans les autres traîneaux.
Ce fut super, d’être ballotté et cahoté dans le traîneau tandis que les chiens couraient devant, balançant la queue. Mais le plus formidable était venu après la sortie du village, quand, la voie étant dégagée, la dama l’avait laissé conduire.
– Quand tu veux avancer, crie à Dinah : « Hike ». Crie « Gee » si tu veux aller à droite, « Haw » si tu veux aller à gauche, et « Whoa » pour t’arrêter. Dinah obéira et fera obéir les autres. Elle est intelligente. Toi, mets-toi debout là.
Elle lui montra, le long des montants, les étriers qui empêcheraient ses pieds de glisser.
– Le frein est ici. Appuie dessus avec le pied quand tu voudras t’arrêter, mais sur la glace, on ne s’arrête pas très vite.
Les autres traîneaux les avaient dépassés, mais Lavelle n’en avait cure. Dès qu’il eut les mains sur les barres de guidage et les pieds dans les étriers, et que Lavelle eut chaussé ses raquettes faites de lamelles de bois liées par des lanières de cuir, il cria « Hike » à Dinah, qui partit ventre à terre, entraînant les autres derrière elle, gémissant un peu au changement de voix.
Comme Lavelle l’avait dit, Dinah était intelligente. Elle n’était pas du genre à laisser les autres traîneaux filer devant elle, et elle les rattrapa avec aisance, s’arrêtant derrière celui de tête où voyageait son père.
Le plus formidable, c’était pendant qu’ils galopaient pour rattraper les autres, avec le vent qui lui mordait le visage et rabattait son haleine en arrière, avec tout ce monde bleu et blanc cadré par les glaçons accrochés à ses cils et au bord de sa capuche. Dès qu’ils avaient ralenti pour se mettre derrière son père, il avait commencé à sentir le froid, puis l’ennui de ne pas avancer plus vite. Lavelle, d’une drôle de démarche, où elle levait haut les genoux pour dégager chaque raquette avant de la reposer dans la neige, se porta à sa hauteur et lui raconta les grandes courses que son grand-père lui avait racontées, celles qu’ils faisaient autrefois en Alaska, qui était un pays de la lointaine Terre.
– La course la plus importante, à l’époque, s’était développée à partir d’un relais de traîneaux qui apportaient en urgence sérums et médicaments de la grande ville à un village appelé Nome, très loin de là, lui dit-elle. Les gens, admirant l’habileté et la résistance des conducteurs, en firent une course. Des villes entières sponsorisaient les chiens et leurs maîtres, et la course était célèbre dans le monde entier. Il y avait une autre course qui suivait le trajet des traîneaux postiers. Elle s’étendait à travers deux pays, et des attelages venus de partout y participaient. Dans ces deux courses, ils emportaient un peu de courrier qu’ils distribuaient à l’arrivée.
– Pourquoi envoyaient-ils des lettres par traîneaux ? demanda Diego. C’est idiot quand il y a les ordinateurs.
– Parfois, certains endroits n’en avaient pas, lui cria Lavelle en réponse. Et parfois, les gens voulaient prouver qu’ils pouvaient faire les choses à l’ancienne et survivre comme leurs ancêtres. Ils apprenaient à être aussi durs et résistants qu’eux, tu comprends ?
Elle eut un grand sourire, ses dents blanches ressortant sur sa peau hâlée.
– Comme nous.
Il lui rendit son sourire, pensant à part lui que c’était un peu débile de faire les choses à l’ancienne plutôt que d’apprendre les nouvelles techniques.
Ils campèrent le soir, et, mangeant les rations qui ressemblaient beaucoup à celles de l’astronef, il écouta son père discourir sur les roches et autres trucs. Puis Lavelle lui glissa dans la main un bâtonnet à l’odeur épicée et appétissante.
– Mange, dit-elle. C’est bon. C’est du saumon fumé. Je l’ai péché et fumé moi-même.
Il se mit à grignoter, et elle lui chanta une chanson sur la pêche de ce poisson particulier. Elle lui dit que les paroles étaient d’elle, mais que l’air était celui d’une vieille chanson irlandaise que sa grand-mère lui avait apprise : l’Étoile du Comté d’en Bas.
Le refrain disait :
De la base spatiale à Kilcoole
Et jusqu’à la baie de Tanana
Nage le poisson sauvage, mais je l’ai péché,
Et il nous nourrit aujourd’hui.
Le refrain revenait assez souvent, alors il eut le temps de le retenir avant de s’endormir dans l’abri bien chauffé.
Le lendemain matin, il s’éveilla, espérant conduire de nouveau les chiens, mais du ciel tombait une neige poudreuse. Il savait, scientifiquement, que la neige faisait partie de l’écosystème de la planète, mais il trouva étrange de l’avoir survolée pendant si longtemps avant d’y poser le pied. Son père lui expliqua que la neige était blanche et non translucide parce que c’était une accumulation de cristaux d’eau gelée réfractant la lumière, mais Lavelle lui montra que chaque cristal présentait une structure différente et magnifique. Il ne put pas conduire parce que Lavelle dit qu’ils approchaient d’un terrain accidenté et qu’il fallait être vigilant pour trouver l’endroit que cherchait l’expédition. Mais elle promit de le laisser faire au retour.
Allongé dans le traîneau, il passa son temps à attraper des flocons et à mémoriser leurs formes avant qu’ils fondent.
– Ce soir au camp, je te ferai peut-être de la crème glacée à la neige, dit Lavelle, se penchant si près de lui que l’haleine de la jeune femme gela sur la joue de Diego. J’ai emporté de l’huile de phoque, des myrtilles séchées et un peu de sucre.
– De l’huile de phoque ?
– Oui. En déplacement, ça te donne instantanément de l’énergie. Ne te fais pas des idées avant d’essayer.
Il fit la grimace, et elle lui tira sa capuche jusque sur les yeux.
Mais la tempête empira en chemin, et deux fois l’Effémien qui semblait le mari de Lavelle demanda au père de Diego et aux autres s’ils voulaient camper, mais ils répondirent qu’ils préféraient continuer, que leurs instruments leur indiquaient la direction à suivre. La neige ne tombait plus à flocons paresseux mais à rideaux serrés, si épais que Diego voyait à peine la queue des chiens devant lui, sans parler des autres traîneaux. Le monde était blanc tout autour d’eux, les traîneaux avançaient de plus en plus lentement, et Siggy, ainsi que Lavelle appelait l’Effémien, essayait de tracer une piste, de regrouper les traîneaux et de persuader tout le monde de s’arrêter.
Maintenant, le terrain était beaucoup plus accidenté, et, bien qu’il ne vît rien, Diego comprit qu’ils avaient quitté les plaines, car les chiens montaient et descendaient de petites collines, puis s’engagèrent dans une longue, longue montée.
Il entendit Siggy hurler quelque chose, puis papa cria, et la femme devant lui, Brit, siffla et jura :
– Whoa, klebs ! Whoa ! Oh, merde !
Exclamations accompagnées de bruits divers : glissades, dérapages, craquements, mais pendant ce temps, les chiens étaient arrivés en haut de la côte et tombaient à leur tour.
Un homme hurla et des objets lourds roulèrent et dégringolèrent à l’instant où le traîneau décolla et Diego se sentit voler plus concrètement que dans l’astronef où il avait vécu toute sa vie.
– Whoa, Dinah ! Arrière, ma belle ! cria Lavelle.
Diego sentit sa main agripper le bord de sa capuche.
Un instant, elle le retint, puis le traîneau cahota, elle tomba, lâchant Diego qui fut précipité hors du traîneau et roula dans la neige, pieds par-dessus tête, longtemps, longtemps, jusqu’à ce que ses pieds heurtent quelque chose de mou et sa tête quelque chose de dur. Puis ce fut le noir.