La cavalcade continua son chemin vers le château.

Arrivé à la porte d’entrée, Othon remarqua l’écusson qui la surmontait, et sur lequel étaient sculptées et peintes les armes de la maison de Clèves, qui étaient d’azur à un cygne d’argent sur une mer de sinople.

Il se rappela alors que ce cygne se rattachait à une vieille tradition de la maison de Clèves, qu’il avait souvent entendu raconter dans son enfance.

Au-dessus de cette porte était un balcon lourd et massif qu’on appelait le balcon de la princesse Béatrix, et, entre la porte et le balcon, une sculpture du commencement du XIIIe siècle, qui représentait un chevalier endormi dans une barque traînée par un cygne ; enfin, cette figure héraldique se trouvait reproduite de tous côtés, s’enlaçant gracieusement à l’ornementation plus moderne de certaines parties du château nouvellement bâties.

Le reste de la journée se passa en fêtes.

Othon, en sa qualité de vainqueur, fut, pendant toute cette journée, l’objet de l’attention générale ; et, tandis que le prince donnait de son côté un riche banquet, les camarades d’Othon lui offrirent un dîner dont lui, Othon, fut le prince.

Mildar seul refusa d’y prendre part.

Le lendemain, on apporta à Othon un costume complet d’archer aux armes du prince.

Othon regarda quelque temps cette livrée, qui, toute militaire qu’elle fût, n’en était pas moins une livrée ; mais, en songeant à Héléna, il prit courage, quitta les habits qu’il avait fait faire à Cologne et revêtit ceux qui lui étaient destinés à l’avenir.

Le même jour, le service commença : c’était la garde sur les tourelles et les galeries.

Le tour d’Othon vint, et le jeune archer fut placé en sentinelle sur une terrasse située en face des fenêtres du château.

Il remercia le ciel de ce hasard.

À travers les fenêtres ouvertes pour aspirer un rayon du soleil qui venait de percer les nuages, il espérait apercevoir Héléna.

Son attente ne fut pas trompée.

Héléna parut bientôt avec son père et le comte de Ravenstein.

Ils s’arrêtèrent à regarder le jeune archer.

Il sembla même à Othon que les nobles seigneurs daignaient s’occuper de lui.

En effet, il était l’objet de leur entretien.

Le prince Adolphe de Clèves faisait remarquer au comte de Ravenstein la bonne mine de son nouveau serviteur, et le comte de Ravenstein faisait observer au prince Adolphe de Clèves que son nouveau serviteur, au mépris de toutes les lois divines et humaines, portait les cheveux longs comme un noble, tandis qu’il aurait dû avoir des cheveux courts comme il convenait à un homme d’obscure condition.

Héléna hasarda un mot pour sauver des ciseaux la chevelure blonde et bouclée de son protégé ; mais le prince Adolphe de Clèves, frappé de la justesse de l’observation de son futur gendre, jaloux des prérogatives réservées à la noblesse, répondit que les autres archers auraient droit de se plaindre si on s’écartait en faveur d’Othon d’une règle à laquelle ils étaient soumis.

Othon était loin de se douter de ce qui se tramait à cette heure contre cette parure aristocratique que sa mère aimait tant.

Il passait et repassait devant les fenêtres, plongeant un regard avide dans l’intérieur des appartements qu’habitait celle qu’il aimait déjà de toute son âme.

Alors c’étaient des rêves de bonheur et des projets de vengeance qui s’offraient ensemble à son esprit, enlacés comme un serpent mortel à un arbre chargé de fruits délicieux ; puis, de temps en temps, enfin, un souvenir de la colère paternelle obscurcissait son front, et passait comme un nuage entre l’avenir et le soleil naissant de son amour.

En descendant sa garde, Othon trouva le barbier du château qui l’attendait.

Il était envoyé par le comte et venait pour lui couper les cheveux.

Othon lui fit répéter deux fois cet ordre, car, ne pouvant chasser les souvenirs si vivants de sa récente splendeur, il ne voulait pas croire que ce fût à lui que cet ordre fût adressé ; mais, en y réfléchissant, il comprit que ce que le prince exigeait était tout simple.

Pour le prince, Othon n’était qu’un archer, plus adroit que les autres, il est vrai ; mais l’adresse n’anoblissait point, et les nobles seuls avaient droit de porter des cheveux longs.

Il fallait donc qu’Othon quittât le château ou obéît.

Telle était l’importance que les jeunes seigneurs attachaient alors à cette partie de leur parure qu’Othon resta en suspens : il lui sembla que pour son honneur et celui de sa famille il ne devait pas souffrir une telle dégradation ; d’ailleurs, du moment qu’il l’aurait soufferte, aux yeux d’Héléna il devenait véritablement un simple archer, et mieux valait penser à s’éloigner d’elle que d’être ainsi classé devant elle.

Il en était là de ses réflexions, lorsque le prince passa donnant le bras à sa fille.

Othon fit un mouvement vers le prince, et le prince, qui vit que le jeune homme voulait lui parler, s’arrêta.

– Monseigneur, dit le jeune archer, pardonnez-moi si j’ose vous adresser une telle question ; mais est-ce réellement par votre ordre que cet homme est venu pour me couper les cheveux ?

– Sans doute, répondit le prince étonné ; pourquoi cela ?

– C’est que Votre Seigneurie ne m’a point parlé de cette condition lorsqu’elle m’a offert de prendre du service parmi ses archers.

– Je ne t’ai point parlé de cette condition, dit le prince, parce que je n’ai pas pensé que tu eusses l’espérance de conserver une parure qui n’est point de ton état. Es-tu d’origine noble, pour porter des cheveux longs comme un baron ou un chevalier ?

– Et cependant, dit le jeune homme éludant la question, si j’eusse su que Votre Seigneurie exigeât de moi un pareil sacrifice, peut-être eussé-je refusé ses offres, quelque désir que j’eusse eu de les accepter.

– Il est encore temps de retourner en arrière, mon jeune maître, répondit le prince, qui commençait à trouver étrange une pareille obstination. Mais prends garde que cela ne te serve pas à grand-chose, et que le premier seigneur sur les terres duquel tu passeras n’exige le même sacrifice sans t’offrir le même dédommagement.

– Pour tout autre que vous, monseigneur, répondit Othon en souriant avec une expression de dédain qui étonna le prince et fit trembler Héléna, ce serait facile à entreprendre, mais difficile à mener à bien. Je suis archer, et, continua-t-il en posant les mains sur ses flèches, je porte, comme Votre Seigneurie peut le voir, la vie de douze hommes à ma ceinture.