Premier avril

 

Je viens d’accomplir une plaisanterie complètement idiote, mais dont le souvenir me causera longtemps encore de vives allégresses.

Ce matin, un peu avant midi, je me trouvais à la terrasse de Maxim’s.

Quelques gentlemen préalablement installés y tenaient des propos dont voici l’approximative teneur :

– Ce vieux Georges !

– Ce cher Alfred !

– Ce sacré Gaston !

– Je t’assure, mon vieux Georges, que je suis bien content de te rencontrer !

– Depuis le temps !...

– Et moi aussi !

... Abrégeons ces onomatopées.

– Tu déjeunes avec nous, hein ?

– Volontiers ! Où ça ?

– Ici.

– Entendu !

– Et tu dînes avec nous, aussi ?

– Oh ! ça, pas mèche !

– Pourquoi donc ?

– Tous les samedis que Dieu fait, c’est-à-dire 5200 fois dans le cours d’un siècle, je dîne chez Alice.

– Quelle Alice ?

– Ma nouvelle bonne amie.

– Gentille ?

– Très !... mais un caractère !...

– Amène-là.

– Impossible ! le samedi, elle a sa famille.

– Alors, avise-la d’un empêchement subit.

Le nommé Georges, à qui ses camarades tenaient ces propres tentateurs, semble hésiter un instant.

Puis brusquement :

– Et allez donc ! C’est pas ma mère !

Un petit bleu apporté par le garçon fut aussitôt griffonné : Excuse-moi pour ce soir... forcé partir en province... Affaire urgente... mon avenir en dépend... Temps semble si long loin de toi !... etc., etc., etc.

Puis l’adresse : Alice de Grincheuse, 7, rue du Roi-de-Prusse.

Par le plus grand des hasards (je ne suis pas de nature indiscrète), mes regards tombèrent sur l’adresse de la dame : Alice de Grincheuse, 7 rue du Roi-de-Prusse.

À cette minute précise, je me transformai en artisan diabolique, comme dit Zola (non sans raison), de l’imbécile facétie suivante :

Je me rends à la Taverne-Royale, demande de quoi écrire et le chasseur.

Chasseur, portez ce mot immédiatement à cette adresse... Il n’y a pas de réponse.

Après quoi, je reviens sans tarder chez Maxim’s, où je m’installe à la table voisine des précités gentlemen.

Pendant que ces derniers dégustent leurs huîtres, lisez mon fallacieux petit billet à la jeune Alice :

 

« Ma chère Alice,

» Si tu as rien de mieux à faire, amène-toi donc tout de suite déjeuner avec moi et quelques camarades chez Maxim’s. Ne t’étonne pas (sans calembour) de ne pas reconnaître mon écriture ; je viens de me fouler bêtement le pouce, et c’est mon ami Gaston qui tient la plume pour moi. Viens comme tu es.

» Ton fou de

» Georges. »

 

Oh ! ce ne fut pas long !

La sole frite n’était pas plutôt sur la table, qu’une jeune femme, fort gentille, ma foi, envahissait le célèbre restaurant.

– Tu t’es fait mal, mon pauvre Georges ?

Inoubliable, la tête de Georges !

– Alice ! Qu’est-ce que tu fais ici ?

Inoubliable, la tête d’Alice !

– Comment, ce que je fais ici ? Tu es fou, sans doute ?

Inoubliables, les deux têtes réunies d’Alice et de Georges !

D’autant plus inoubliables que – j’omis ce détail – Georges et ses amis avaient cru bon de corser leur société au moyen de deux belles filles appartenant – je le gagerais – au demi-monde de notre capitale.

Un qui ne s’embêtait pas, c’était moi, avec mon air de rien.

Plus les pauvres gens s’interrogeaient, plus s’inextriquait la situation.

Est-ce bête ! Je n’ai jamais déjeuné de si bon appétit.

Ne nous frappons pas
titlepage.xhtml
Allais-frappons_split_000.htm
Allais-frappons_split_001.htm
Allais-frappons_split_002.htm
Allais-frappons_split_003.htm
Allais-frappons_split_004.htm
Allais-frappons_split_005.htm
Allais-frappons_split_006.htm
Allais-frappons_split_007.htm
Allais-frappons_split_008.htm
Allais-frappons_split_009.htm
Allais-frappons_split_010.htm
Allais-frappons_split_011.htm
Allais-frappons_split_012.htm
Allais-frappons_split_013.htm
Allais-frappons_split_014.htm
Allais-frappons_split_015.htm
Allais-frappons_split_016.htm
Allais-frappons_split_017.htm
Allais-frappons_split_018.htm
Allais-frappons_split_019.htm
Allais-frappons_split_020.htm
Allais-frappons_split_021.htm
Allais-frappons_split_022.htm
Allais-frappons_split_023.htm
Allais-frappons_split_024.htm
Allais-frappons_split_025.htm
Allais-frappons_split_026.htm
Allais-frappons_split_027.htm
Allais-frappons_split_028.htm
Allais-frappons_split_029.htm
Allais-frappons_split_030.htm
Allais-frappons_split_031.htm
Allais-frappons_split_032.htm
Allais-frappons_split_033.htm
Allais-frappons_split_034.htm
Allais-frappons_split_035.htm
Allais-frappons_split_036.htm
Allais-frappons_split_037.htm
Allais-frappons_split_038.htm
Allais-frappons_split_039.htm
Allais-frappons_split_040.htm
Allais-frappons_split_041.htm
Allais-frappons_split_042.htm
Allais-frappons_split_043.htm
Allais-frappons_split_044.htm
Allais-frappons_split_045.htm
Allais-frappons_split_046.htm
Allais-frappons_split_047.htm
Allais-frappons_split_048.htm
Allais-frappons_split_049.htm
Allais-frappons_split_050.htm
Allais-frappons_split_051.htm
Allais-frappons_split_052.htm
Allais-frappons_split_053.htm
Allais-frappons_split_054.htm
Allais-frappons_split_055.htm
Allais-frappons_split_056.htm
Allais-frappons_split_057.htm
Allais-frappons_split_058.htm
Allais-frappons_split_059.htm
Allais-frappons_split_060.htm
Allais-frappons_split_061.htm