Macédoine
Pauvre petite bonne femme !
Il était pourtant bien entendu que le mariage n’aurait lieu qu’après l’Exposition.
Songez donc ! Elle vient seulement d’avoir ses dix-sept ans.
Mais le jeune fiancé déclara, et sur quel ton ! un beau soir :
– L’Exposition ? L’Exposition ? D’ici là, on m’aura conduit à l’institut Pasteur !
En vue d’éviter cet terrible cas de rabisme amoureux, les parents avaient baissé pavillon ; et la petite les embrassa très fort, pour leur peine.
Et maintenant, voici des jouvenceaux qui sont monsieur et madame gros comme le bras.
Leur petit ménage est touchant, à force de comique.
Ils ont une grosse cuisinière saoularde qui leur fait peur à tous les deux, et une femme de chambre qui ne se trouve jamais là quand on la sonne, tant elle aime la plupart des sergots du quartier !
L’autre jour, la cuisinière, vraiment, s’est surpassé elle-même.
Elle but tant de vin blanc qu’elle éprouva grand-peine à gagner sa chambre.
Et rien de prêt pour le dîner !
La petite dame, alors, sentit naître en elle de graves sentiments.
Si mon pauvre chéri n’allait trouver aucune alimentation en rentrant !
Vite, vite, elle arrache la femme de chambre à ses voluptés policières et l’envoie acquérir mille comestibles variés, dont elle lui donne la longue liste.
Et elle ajoute, non sans crânerie :
– Dépêchez-vous de revenir, que j’aie le temps de confectionner mon entremets !
Son entremets !
Pauvre petite !
Jamais, de toute sa mignonne existence, elle n’a touché l’ombre d’une casserole ; mais, quoi de plus simple, s’imagine-t-elle, avec le Livre de cuisine !
Son mari, en effet, lui a fait cadeau d’un livre de cuisine, un beau livre dont les feuillets sont, jusqu’à présent, demeurés vierges.
*
Le petit mari est rentré.
Il a beaucoup ri en apprenant la mésaventure de la pocharde, et il mange de bon appétit les comestibles variés.
Tout à coup, il s’écrie :
– Qu’est-ce que c’est que ça ?
– Ça, mon chéri, c’est une surprise.
– Une surprise ?
– Un petit plat que je t’ai préparé moi-même. Goûte plutôt.
– Jamais de la vie ! Comment appelles-tu cette horreur ?
– C’est un soufflé d’abricots.
– Un soufflé d’abricots ! Tu as dû te tromper, ma chérie.
– Non, j’ai fait exactement comme dans le livre, j’en suis sûre.
Elle lit :
« Soufflé d’abricots.
« Battez six blancs d’œufs en neige très ferme, ajoutez six cuillerées de confitures d’abricots de manière à faire une purée, prenez des harengs laités dont vous enlevez la laitance... »
Mais, lui, étreint son crâne prêt à éclater.
– Des harengs !... avec des abricots !
– Lis toi-même.
Elle lui tend le bouquin.
Il éclate alors d’un rire de convulsif.
La pauvre petite femme avait oublié de couper les feuilles du livre.