Soyez-vous l'un à l'autre un monde vaste et beau,
Toujours charmant, toujours nouveau!
Le lac sur lequel ils voguaient rappelait à sa pensée ce lac funéraire qui, dans l'ancienne mythologie, séparait la terre des vivants du pâle royaume des morts. Toute sa vie passée se déroulait devant elle comme un rêve. Que de périls, que d'alarmes depuis le jour où elle avait fui son couvent! Mais là-bas, se disait elle, nous allons recommencer notre existence sous une forme nouvelle. Puisse l'avenir nous dédommager du passé! Puisse cette île, cette terre sainte, nous donner en effet le repos que nous y promet la prédiction de la bohémienne!
Puis elle était obsédée par un souvenir musical, celui de la chanson qui, deux fois déjà, s'était trouvée aux événements les plus graves de son existence. Une sorte de voix surnaturelle, à laquelle elle ne pouvait imposer silence, lui murmurait à l'oreille cet air populaire:
Marinero del alma
Ayolè!
En un arrojo
Hecha te al golfo,
Que tu dicha consiste
En un arrojo.
«Marinier de mon âme, prends ton élan et mets la barque dans le golfe, car ton bonheur dépend de cet élan.»
Le sens de ce couplet s'adaptait naturellement à la situation. Dieu veuille, pensait Léonor, que la chanson dise cette fois la vérité!
Don Christoval, de son côté, paraissait absorbé dans des réflexions non moins sérieuses.
Enfin, leur bateau prit terre dans une petite crique. Ils descendirent, et, suivis du guide, qui portait leur bagage, ils montèrent par une pente douce à la seule auberge qui se trouve dans l'île; auberge comme on en voit peu: vaste, calme, silencieuse, jamais troublée par les ris et les chants des buveurs; elle s'élève au milieu des ruines et sur le terrain de l'abbaye. Le bâtiment est un carré long, dont la façade étroite regarde le sentier (il n'y a point de route dans l'île); les fenêtres de la maison donnent à droite sur un joli jardin, dont les allées, bien sablées et bordées de buis, conduisent les voyageurs au perron de la porte d'entrée. Là foisonnent tout l'été ces fleurs vulgaires, si distinguées par leur éclat ou leur parfum: des roses, des pensées, du réséda; au printemps, quelques lignes de tulipes; ensuite des lis et des anémones; en automne, des dahlias et des tournesols. Enfin, plus tard, on est trop heureux de voir poindre sur la neige quelque triste ellébore, la rose de Noël, ou de découvrir dans un coin, exposé au midi, le bouquet embaumé de l'héliotrope d'hiver.
Les fenêtres du côté opposé donnent aussi sur un jardin; mais que celui-là est différent de l'autre? Il n'y vient qu'une forêt de plantes ombellifères, basses, maigres, décolorées, frissonnantes au moindre souffle du vent, au milieu desquelles se lèvent pressées dans une lugubre symétrie des croix de bois noir. Le propriétaire de cet enclos c'est la mort; le fossoyeur est son jardinier.
On ne s'aperçoit de la population de l'île que par les croix de bois noir, et l'on s'étonne qu'il y ait tant de défunts dans un endroit ou l'on voit si peu de vivants.
Au reste, le domaine de la mort ne se borne pas à ce champ resserré: on retrouve à chaque pas l'empreinte de l'impitoyable suzeraine; et lorsque parmi ces chaumières neuves, ces beaux tilleuls, ces grands noyers, au milieu de ces prairies émaillées, de ces riants vignobles, on découvre ici un pan de mur, là un chapiteau sculpté, plus loin un tronçon de colonne, quelque saint mutilé couché dans l'herbe, les mains jointes, ou l'entrée basse et voûtée d'un souterrain fermé par les décombres, on sent que Reichenau tout entière appartient à la mort, et l'on croit, au pied de tout objet ayant vie, entrevoir la faulx impatiente de frapper.
Léonor et Christoval avaient devant leur croisée attenante au jardin de l'auberge, une vieille tour quadrangulaire en pierres grises dont les siècles avaient rongé le ciment, mais retenues aux arêtes et dans le milieu par des lignes de briques rouges qui rayaient l'édifice dans toute sa hauteur. Cette tour avait encore deux étages, comme l'attestaient au dehors deux rangs de petites fenêtres romanes assemblées. Ils apprirent que c'était la tour du monastère bâti par Charles Martel. L'église dans laquelle elle donnait entrée n'était que du temps de Charlemagne, et le choeur même avait été refait sous un roi dont l'âge a détruit la mémoire.
Dès le lendemain de leur arrivée ils s'empressèrent d'aller visiter ce monument vénérable. Le sacristain qui les conduisait était un vieillard au visage semblable à celui d'un trépassé, mais avec des traits extrêmement doux et une physionomie mélancolique. Il parlait très-bien le français, que Léonor et don Christoval entendaient à peu près comme leur langue maternelle, possédait des connaissances en histoire et en architecture, et, grâce à l'obscurité de l'île, aujourd'hui très-peu visitée, n'avait rien de commun avec les ciceroni officiels, race insupportable par son bavardage autant que par ses mensonges.
«Regardez cette tour, leur dit-il; elle a précédé neuf autres tours qui ornaient les bâtiments de l'ancien monastère et qui ont disparu avec eux; vous en verrez le tableau tout à l'heure dans l'église. La tour de Charles Martel a déjà duré deux siècles de plus que n'a duré en Espagne le royaume des Maures, fondé en même temps qu'elle; elle est beaucoup plus vieille que l'établissement des Normands en Angleterre. Cependant elle a été incendiée deux fois par le feu des hommes et une fois par le feu du ciel; ses malheurs l'ont beaucoup diminuée. La voilà! telle qu'elle est, elle durera encore plus que vous et moi.
«Nous voici dans le vaisseau, à l'entrée des trois nefs. Remarquez le péristyle où nous sommes; on ne le trouve que dans les églises de la plus haute antiquité. C'est dans ce péristyle, ou plutôt ce narthex, que se tenaient, aux jours de la primitive Église, les pénitents et les catéchumènes, séparés du reste des fidèles par cette rangée de piliers. Ce pilier-ci est encore de la première fondation, contemporain de la tour; les autres sont plus jeunes, comme vous pouvez le reconnaître à la différence de la forme.
«Avançons dans cette nef latérale de gauche. Hélas! les vitraux sont brisés, le toit laisse voir le ciel en plusieurs endroits; les dalles du pavé sont descellées et manquent çà et là. Il n'y a que les pierres tombales qui soient restées fidèles au sol où le doigt de la mort les avait fixées. Voilà, contre ces piliers, les tableaux dont je vous parlais: celui-ci représente le miracle de saint Pirminius, prenant possession de l'île, au septième siècle, et en chassant tous les reptiles venimeux. Vous les voyez fuyant à la nage sur les eaux du lac, qui en sont couvertes. Ici, le saint fait construire son monastère, et là, vous voyez l'ensemble des bâtiments au temps de leur splendeur, lorsque l'abbaye, semblable à une petite cité, renfermait huit cents moines et resplendissait de l'éclat des vertus et de la science; lorsqu'elle avait pour amis des rois et des empereurs, et pour sujets des ducs, des comtes et des évêques; lorsqu'elle recevait dans son sein Charles le Gros, déposé par la diète de Tribur,--voilà sa tombe et son image en pied;--lorsque, enfin, elle était si puissante et si riche, que l'abbé pouvait aller à Rome sans cesser de marcher sur ses terres! Alors Reichenau était grande sur la terre et dans le ciel; Dieu l'honorait par de fréquents miracles, dont vous voyez les principaux retracés dans ces peintures à demi rongées par l'humidité; les grands de la terre la comblaient de privilèges et de présents de toute sorte. Que reste-t-il de tant d'honneurs et d'opulence? La tour de Charles Martel et un moine, un seul, âgé de quatre-vingts ans! Mais, n'importe! tant que la tour et le chanoine Sulzer subsisteront, l'abbaye sera représentée. Quand dom Sulzer aura cessé de vivre, quand la tour aura croulé... tout sera fini! Puissent mes yeux ne pas être témoins de cette double catastrophe!»
L'aspect désolé de cette église ne justifiait que trop les plaintes douloureuses du sacristain. Toutefois, comme les personnes déchues d'un rang élevé, après l'avoir occupé longtemps, l'église de Reichenau retenait, au sein de son deuil et de sa misère, un je ne sais quel air d'importante majesté. La grandeur des dimensions, la forme du maître-autel, le choeur, entièrement revêtu de chêne noir et fermé dans toute sa largeur par une grille d'un travail exquis, jusqu'à ces peintures envahies par les lichens verdâtres qui servaient de tapisserie à la muraille nue, tout cela avertissait le visiteur d'une splendeur éteinte et d'une gloire rentrée dans le néant. Le bon sacristain faisait admirer ces détails à Christoval et à Léonor. Il n'oublia pas d'exposer à leur vénération les reliques conservées dans le trésor de l'église: du sang de notre Sauveur; un fragment de sa croix; le vase de marbre dans lequel Jésus-Christ fit son premier miracle, aux noces de Cana; la crosse d'ivoire et de vermeil de l'abbé Mangold de Brandis; l'émeraude du poids de vingt-sept livres, don de Charlemagne, laquelle n'est, au dire des experts, qu'une masse de verre coloré; mais elle a été donnée et reçue pour une émeraude; pendant mille ans elle a été réputé émeraude, c'en est une: il y a prescription sur la qualité.
Tandis qu'ils examinaient curieusement ces intéressantes merveilles, une porte s'ouvrit dans la boiserie et un personnage de haute taille, un peu voûté, en costume de bénédictin, s'avança, traversa le choeur à pas lents, les yeux fixés à terre, et s'alla mettre à genoux sur les degrés de l'autel. «C'est dom Sulzer, dit tout bas le sacristain; il vient toujours faire sa prière à cette heure. Venez,» ajouta-t-il en posant le doigt sur ses lèvres; et, par une autre porte, il les emmena hors de l'église.
Naturellement le sacristain fut questionné sur dom Sulzer; il en fit un éloge complet. «Dom Sulzer, dit-il, est aussi bon qu'il est savant, et c'est beaucoup dire! Si vous passez ici quelques jours, je vous conseille de l'aller voir. Il demeure là, dans cette maison blanche, à côté de la tour. Vous voyez le préau par la porte ouverte: ce sont les écoles; dom Sulzer les dirige. C'est par ses écoles que Reichenau se rendit jadis si célèbre dans le monde, et ses écoles subsistent encore. Il n'en sort plus, comme au temps passé, des papes, des cardinaux et des évêques. Hélas! elles ne forment plus que de pauvres enfants destinés à mener la charrue. Cependant, qui sait? Parmi ces enfants, Dieu peut, s'il lui plaît, susciter des princes de l'Église! Reichenau n'est pas encore tout à fait éteinte; il peut la rallumer et la faire luire de nouveau sur le monde. Peut-être ce que nous voyons n'est-il qu'un moment d'épreuve; peut-être, au milieu des rustiques écoliers de dom Sulzer, se cache celui qui doit un jour mettre le terme à cette épreuve cruelle! Le ciel a trop aimé Reichenau pour que je puisse croire qu'il l'abandonne à un malheur sans fin!... Pardon! Je retombe toujours dans ces illusions qui doivent vous paraître un radotage, une folie! C'est qu'à force de vivre avec dom Sulzer, j'ai pris ses sentiments de tendresse et de compassion pour cette infortune si profonde et si inconnue. Dom Sulzer a vécu soixante ans dans l'abbaye. Il y est entré petit garçon, car les pères avaient ainsi coutume de s'attacher ainsi les enfants qui annonçaient des facultés brillantes et du penchant à la piété. On les nourrissait, on les instruisait, et, quand venait l'âge de faire profession, ces jeunes gens se trouvaient tout façonnés à la vie monastique, déjà riches en savoir, et capables de faire pendant longues années honneur à l'ordre. Il possède toute l'histoire et les souvenirs de l'abbaye depuis son origine, et son bonheur est de les raconter. Vous verrez chez lui une foule de choses curieuses, notamment une collection de peintures représentant tous les prodiges qui se sont accomplis à Reichenau, à commencer par la vision du moine Wettin jusqu'à l'épouvantable apparition dont fut témoin dom Sulzer lui-même.»
Léonor et Christoval ayant témoigné un vif désir d'entendre cette histoire, on s'assit au soleil, en face de la vieille tour, ayant sous les yeux l'extrémité verdoyante de l'île qui se perdait dans les eaux étincelantes du lac, et le sacristain reprit la parole en ces termes:
AVENTURE DE DOM SULZER.
«En ce temps-là, dom Sulzer n'était pas encore dom Sulzer, mais simple novice, petit abbé à sa première soutane, âgé de quinze à dix-sept ans, je suppose; car il ne m'a jamais lui-même raconté ce fait. Il n'en saurait entendre parler, et plusieurs personnes ayant essayé, à de longs intervalles, d'y faire allusion en sa présence, il a toujours été près de se trouver mal, tant les souvenirs de cette terrible histoire lui font encore d'impression après plus de soixante années!
«A cette époque que je dis, il y avait dans l'île un homme de moeurs irréligieuses et même débauchées. C'était un riche bourgeois de Constance, qui s'était venu établir chez nous pour y vivre grassement de son bien. Quoiqu'il ne fût pas marié, il y avait toujours des femmes dans sa maison; il faisait des repas qui ressemblaient à des noces. Enfin, dans notre petit pays, où la vie a toujours été si réglée, il était un scandale pour tous, et pour plusieurs une pierre d'achoppement, car la contagion de son libertinage commençait à se répandre. Assez bon homme, au demeurant, et même très-charitable, à ce qu'on dit; mais quoique ce soit beaucoup, ce n'est pas tout!
«Sous les règles de nos grands et sages abbés, comme l'abbé Hatton, l'abbé Waldo, ou Frédéric de Wartenberg, lorsque la discipline était dans toute sa vigueur et son énergie, vous pensez bien qu'il n'y en aurait pas eu pour longtemps à couper la racine de cet abus et à faire déguerpir de l'île cet intrus envoyé du démon. Mais alors c'était l'abbé Frédéric de Rosenegg, dont le mauvais gouvernement avait laissé dépérir le spirituel et le temporel du monastère. Le relâchement le plus funeste, sous le nom de tolérance, le relâchement précurseur de la décadence s'était introduit dans l'abbaye. Les pratiques extérieures étaient à peine maintenues, et le peu qu'on en conservait, par un reste de pudeur et de bienséance, paraissait encore bien lourd à porter. L'esprit des anciens moines s'était retiré de leurs successeurs. Ne vit-on pas,--vous pouvez me croire, car c'est un fait authentique,--ne vit-on pas l'abbé de Reichenau, ce même Frédéric de Rosenegg, aller manger chez ce libertin, dont par malheur le nom s'est perdu! Il existe encore quelques vieillards qui vous attesteront avoir vu passer l'abbé sur son petit cheval blanc, lorsqu'il se rendait chez ce réprouvé, qu'il nommait publiquement son ami. Aussi le ciel ne pouvait manquer de faire un exemple!
«L'homme dont je vous parle avait un confesseur. Vous entendez bien que c'était pour la forme, à moins que ce ne fût pour augmenter d'autant le scandale de sa mauvaise vie. Ce confesseur était un moine de chez nous, honnête au fond du coeur, mais faible à l'excès. Il remontrait bien quelquefois à son pénitent la profondeur de l'abîme et la nécessité de s'en retirer par la pénitence tandis que le salut était encore possible; mais l'autre, avec des promesses et des ajournements, savait si bien tourner son homme, que le pauvre moine finissait toujours par céder, en sorte que le directeur était emporté par celui qu'il aurait dû retenir, et quitta le rôle de juge pour celui de complice. Vous allez voir le succès de ces déportements.
«Une nuit, sur le coup d'une heure, voilà qu'on heurte, on sonne, on fait un étrange vacarme à notre porte. Le portier surpris se lève. «Eh vite! eh vite! monsieur un tel se meurt! il a été pris d'un mal subit et inconnu; il demande son confesseur, le père Dominique.» On court éveiller le père Dominique. Tandis qu'il s'habille, dom Sulzer, qui était comme son famulus, court à la sacristie chercher le viatique et les saintes huiles. Mais notez bien qu'il les garda sur lui, non pas avec intention, mais par hasard, ou plutôt par l'ordre secret de la Providence. Le père Dominique ne prit que son bréviaire sous le bras et son bâton à la main. Ils se mettent en route tout seuls; les domestiques étaient retournés près de leur maître, sachant bien que le père Dominique n'avait pas besoin de guide pour trouver la maison. C'était au milieu de l'automne, pendant la pleine lune; la nuit était douce et claire, et l'on distinguait très-loin dans la campagne, car il faisait blanc comme de jour. Ils suivaient côte à côte un chemin bordé de haies. Quand je dis qu'ils étaient seuls, je ne compte pas un jeune chien élevé par dom Sulzer, qui les suivait, et qui tout à coup se mit à hurler d'une façon lamentable. Après avoir inutilement essayé de le faire taire, ils prirent le parti de le laisser pleurer. Trente pas plus loin, le chien se tut de lui-même et se blottit dans un buisson. «Diable soit de la bête! dit le père Dominique impatienté. Il va nous retarder. Laisse-le!» Comme il achevait ces paroles, ils virent devant eux, plantée au milieu du chemin, la figure de celui qu'ils croyaient agonisant dans son lit. «Où allez-vous? leur demanda-t-il d'une voix grave.--On est venu nous dire que vous étiez à toute extrémité. J'allais vous confesser et vous donner l'extrême-onction.--N'allez pas plus loin! Je suis mort! La justice de Dieu m'a surpris dans l'impénitence finale: je suis damné! damné pour avoir différé ma conversion; damné à cause de votre faiblesse coupable et de votre lâche indulgence. C'est vous qui m'avez précipité dans une éternité de douleurs. Vous qui êtes l'auteur de ma misère, il est juste que vous la partagiez. Venez donc!» En parlant ainsi, le mort allongea le bras et toucha l'épaule du père Dominique. Au même instant, sans bruit, sans secousse, ils disparurent tous deux, comme une fumée qui s'évanouit en l'air!... Dom Sulzer revint à l'abbaye. Il fut trois mois malade de la terreur qu'il avait éprouvée. On croyait qu'il succomberait; il guérit cependant; mais personne, depuis cette époque, ne l'a jamais vu rire.
«Et savez-vous la place exacte où s'est accompli ce miracle?
C'est celle où nous sommes assis. Retournez-vous: voilà, sur notre
tête, la croix qui a été élevée en commémoration. On l'appelle la
croix; du damné!»
F. G.
(La suite à un prochain numéro.)
Le Commissaire-Priseur.
On trouve dans les poètes antiques vingt-quatre manières différentes de représenter le Destin. Je viens d'en inventer une vingt-cinquième. Mon intention n'est pas de demander un brevet.
Suivant moi, qui ne suis ni un poète antique, ni un poète moderne, le Destin porte un habit noir, une cravate blanche, des breloques et pas de sous-pieds. Le Destin a du ventre et une voix de basse-taille; il flotte entre trente et soixante ans; il prise dans une tabatière qui peut être en or, mais qui n'est jamais en buis, et il porte à la main un marteau, emblème de sa puissance.
Le Destin, selon moi, est un commissaire-priseur. J'ai vu bien des gens suspendus à ses lèvres comme à celles d'un oracle, attendre avec une impatience fiévreuse le premier mot, ou plutôt le dernier mot qui allait sortir de sa bouche. Je conçois l'orgueil du commissaire-priseur; il y a des moments où il peut se croire dieu.
J'ai vu adjuger ces jours derniers une statue d'une célébrité européenne. Le combat a duré longtemps. A la fin, deux athlètes restaient seuls sur le turf artistique; tous deux vigoureux, tous deux décidés à vaincre ou à mourir. Trente! trente-cinq! quarante! cinquante mille francs! Les bottes sont vigoureuses, l'attitude des combattants pleine de fermeté; mais voici que les forces baissent, les assaillants ne se portent plus que des coups de mille, deux mille, trois mille francs de plus! Dans ce moment suprême, à qui le sort accorde-t-il la victoire? Sur quelle somme le Destin frappera-t-elle le fatal coup de marteau? Demandez-le au commissaire-priseur.
Je suppose que deux nations se disputent un chef-d'oeuvre, que le roi de Grèce Othon, par exemple, fasse mettre aux enchères les bas-reliefs du Parthénon; le rôle du commissaire-priseur atteint des proportions surhumaines. Il dispense souverainement la gloire à un pays.
Mais ce n'est pas tout encore. On a parlé de l'influence du notaire et du médecin sur la société moderne. Je soutiens que le commissaire-priseur pourrait avoir pour le moins autant d'influence qu'eux. Par l'inventaire, il pénètre dans le coeur des familles; par les secrets de l'ameublement, il devine les secrets du caractère; par la mise à prix, il mesure le degré des sentiments. Comment dérober quelque chose à l'examen d'un homme pour lequel les armoires n'ont pas de tiroirs secrets, qui sait tout ce qui se cache derrière les plus gros in-folio des bibliothèques, qui met la main sur des paquets noués de faveurs roses oubliés au fond d'un guéridon! Le commissaire-priseur sait le prix que vous mettez à vos reliques de famille, au portrait de votre mère, aux bagues de votre femme, à l'épée de votre aïeul. Le commissaire-priseur est un confesseur.
Malheureusement il est sceptique.
La monographie du commissaire-priseur nous entraînerait trop loin. Le métier est un des plus difficiles à exercer qui soient au monde. Il demande de l'éloquence et de la probité.
Le commissaire-priseur serait presque artiste, si la sensibilité ne lui était pas interdite. Il faut qu'il vende avec la même impassibilité le lit doré du riche que ses enfants mettent à l'encan, et le grabat du pauvre saisi par un avide créancier. Son indifférence est une partie de son talent. Ce n'est pas la seule profession de notre temps qui demande les mêmes qualités, ou plutôt les mêmes défauts.
Les Chemins-de-Fer en France
La loi qui décrète la construction des chemins de fer en France est celle du 11 juin 1842.
Nous ne voulons faire ici ni l'éloge ni la critique de cette loi; nous la prenons comme un fait heureux, puisqu'elle a déjà des résultats visibles, puisqu'elle a fait cesser l'état d'incertitude qui pesait sur le pays, et que du jour de sa promulgation datent les études sérieuses qui en ce moment sillonnent la France entière.
Nous voulons seulement aujourd'hui faire connaître le réseau voté, et les conditions du concours de l'État et des compagnies à la construction et à l'exploitation des lignes de ce réseau.
Le ministre, dans son exposé de motifs, pose ainsi la question: «L'État, c'est l'ensemble du royaume; les lignes de l'État, les lignes gouvernementales, si je puis m'exprimer ainsi, sont donc celles qui intéressent le royaume entier, qui le traversent d'une extrémité à l'autre, qui joignent le nord au midi, l'est à l'ouest, l'Océan à la Méditerranée.»
Voilà donc défini le réseau des grands chemins de fer, ceux à la confection desquels l'État est plus directement intéressé, et c'est sur ceux-là que vont se porter d'abord tous ses efforts, toutes ses ressources.
En jetant les yeux sur la carte ci-après, on reconnaîtra aisément que toutes les lignes votées répondent bien à cette dénomination de lignes gouvernementales. L'art. 1er de la loi du 11 juin est ainsi conçu: «Il sera établi un système de chemins de fer se dirigeant:
1° de Paris
Sur la frontière de Belgique, par Lille et Valenciennes;
Sur l'Angleterre, par un ou plusieurs points du littoral de la Manche qui seront ultérieurement déterminés;
Sur la frontière d'Allemagne, par Nancy et Strasbourg;
Sur la Méditerranée, par Lyon, Marseille et Cette;
Sur la frontière d'Espagne, par Tours, Poitiers, Angoulême, Bordeaux et Bayonne;
Sur l'Océan, par Tours et Nantes;
Sur le centre de la France, par Bourges;
2° De Bordeaux à Cette, par Toulouse.
De la Méditerranée au Rhin, par Lyon, Dijon et Mulhouse.
On voit que pour quelques-unes de ces lignes, les points extrêmes seulement sont indiqués; pour d'autres, il y a des points intermédiaires obligés; pour celle d'Angleterre enfin, le point ou les points où devront aboutir le ou les chemins de fer sont encore en litige. Nous avons indiqué sur la carte les différents tracés qu'on étudie en ce moment pour résoudre la question.
On peut y suivre également les prétentions rivales qui s'agitent autour des tracés de Paris à Dijon et de Paris à Nancy. Doit-on adopter un tronc commun pour ces deux lignes? Le chemin de Lyon passera-t-il par les vallées de l'Yonne, de la Seine, de l'Aude? aboutira-t-il à la gare de l'Hôpital ou à la barrière des Vertus? Le chemin de Nancy passera-t-il par les plateaux, par la vallée de la Marne, ou par Creil, Soissons et Reimsï Telles sont les questions qui se débattent en ce moment, mais dont aucune n'est encore résolue...
Disons un mot du système mixte consacré par la loi. Trois puissances sont appelées à concourir à la confection des chemins de fer. L'État, qui a intitulé ses lignes gouvernementales, fait les frais de la 'construction, terrassements et ouvrages d'art, et de l'achat du tiers des terrains nécessaires à l'assiette du chemin. Les communes qui doivent retirer un avantage immédiat de l'établissement de la ligne, contribuent pour les deux tiers des terrains; l'État se charge des avances; enfin l'industrie privée arrive avec le sable, la voie de fer et le matériel d'exploitation: c'est à elle que reste le chemin pendant un temps déterminé.
Voilà en résumé le système de la loi du 11 juin: Cession des terrains par les communes, construction par l'État, exploitation par les compagnies, fortune générale, fortune locale, fortune privée, tels sont les trois éléments mis en jeu pour arriver à la réalisation d'une des plus grandes oeuvres des temps modernes.
La France, comme le constate la carte que nous mettons sous les yeux du lecteur, n'était cependant pas complètement privée de ces voies de communication rapides; elle a déjà, en exploitation ou sur le point d'être terminés, 900 kilomètres, ou 240 lieues de chemins de fer; mais, en général, ils n'ont aucun rapport entre eux, forment des entreprises isolées d'intérêt privé, et ne peuvent se compléter et prendre tout leur développement que lorsqu'un système général et bien entendu leur donnera les facilités de transit et d'écoulement qui leur manquent.
Autour de Paris rayonnent déjà cinq chemins:
Id. de Paris à Versailles (rive droite) 23
Id. de Paris à Versailles (rive gauche) 17
Id. de Paris à Rouen. 136
Id. de Paris à Orléans et Corbeil. 145
Total. 340 kil.
ou 85 lieues.
Les chemins de Rouen et d'Orléans doivent être mis en exploitation au mois de mai prochain. Au chemin de Rouen, il faut ajouter le chemin du Havre, qu'une compagnie particulière est sur le point d'entreprendre.
Au chemin d'Orléans doivent aboutir le chemin de Vierzon et celui de Tours. On sollicite en même temps la prolongation de l'embranchement de Corbeil, pour servir de tête au chemin de Marseille.
Dans les départements de la Loire et du Rhône, il y a:
Id. de Saint-Etienne à Andrezieux. 22
Id. d'Andrezieux à Roanne. 67
Id. de Montbrison à Montrond. 16
Total 163 kil.
ou 41 lieues environ.
Dans les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin:
Le chemin de Strasbourg à Bâle. 140 kil.
Id. de Mulhouse à Thann. 19
Total. 159 kil.
ou à peu près 40 lieues.
Dans les départements du Gard et de l'Hérault:
Le chemin de Montpellier à Cette. 27 kil.
Id. de Montpellier à Nîmes (en cours d'exécution.) 51
De Nîmes à Alais et Beaucaire, et à la Grand'Combe. 90
Total. 168 kil.
ou 42 lieues.
Dans le département du Nord:
Le chemin d'Anzin à Saint-Waast et Denain 16 kil.
Id. de Lille à la frontière belge. 15
Id. de Valenciennes à la frontière belge. 14
Total. 45 kil.
ou 12 lieues.
Dans la Gironde:
Le chemin de Bordeaux à la Teste. 52 kil.
ou 13 lieues.
Il faut ajouter environ 50 kilomètres comprenant des petits chemins d'exploitation de mines, dont quelques-uns transportent des voyageurs, et l'on verra qu'outre les sept à huit cents lieues qui forment le réseau voté par les Chambres, et dont l'exécution commence déjà, on peut compter deux cent quarante ou deux cent cinquante lieues qu'on exploite ou qu'on est sur le point d'exploiter.
Algérie.
DESCRIPTION GÉOGRAPHIQUE.
(Suite.--Voyez page 18.)
Description de la Province d'Oran.--La
province d'Oran contient non-seulement tout le territoire qui
formait anciennement la Mauritanie Césarienne, mais encore une
grande partie du bassin du Chelif. Ses limites sont, à l'est,
l'ancien beylik de Titteri; à l'ouest, le Maroc;
(Colonel
Cavaignac.) au sud, le désert; au nord, la Méditerranée.
La nudité presque complète et le déboisement à peu près général de
la partie de la province qui avoisine la mer, frappent
désagréablement les yeux. Les populations nomades qui parcouraient
ce pays sont cause de cette désolation. Les Arabes n'ont jamais
planté, mais constamment détruit par le parcours des troupeaux et
l'incinération des pâturages. La côte a peu de bons abris pour les
navires de grande dimension; cependant les ports de Mers-el-Kebir
et d'Arzew peuvent recevoir des bâtiments de guerre.
Rivières.--Les principaux cours d'eau de la province d'Oran sont: le Chelif, le Rio-Salado (Oued-el-Maleh), l'Habrah, (surnommé Macta gué), à son embouchure, le Sig, l'Oued-el-Hammam (rivière du bain), la Mina, l'Oued-Foddali (rivière d'Argent).
[Illustration:]
Le Chelif, qui sort par soixante-dix sources du pied des monts
Ouennaseris, est la rivière la plus considérable de l'Algérie, tant
à cause de la longueur de son cours que du volume de ses eaux. Les
Arabes
l'appellent le roi des fleuves, et prétendent, avec leur
exagération habituelle, que, comme le Nil, il croît en été. Le
Chelif a son embouchure au-dessus de Mostaganem, et ne paraît
navigable, en remontant son cours, que dans une longueur de sept ou
huit lieues au plus.
Villes.--Les principaux points de la province sont, après Oran, Mascara, Tlemsen, Mostaganem, Mazagran, Arzew.
[Illustration; (Mustapha ben Ismaël.)]
Oran, en arabe Ouahran, est bâti au bord de la mer dans
une position très-pittoresque. Cette ville s'élève sur deux
collines séparées par un ravin assez profond, dans lequel coule un
ruisseau (Oued-el-Rahhi, rivière des Moulins), dont la source est
légèrement thermale. Les deux principaux quartiers de la ville sont
situés à droite et à gauche de ce
(Mustapha
ben Ismaël.) ravin, qui débouche sur la plage, ou se
trouve un autre quartier appelé la Marine, moins
considérable que les deux premiers. Oran a été occupé par les
Espagnols pendant près de trois siècles. Des travaux prodigieux de
communications souterraines et de galeries de mines, un magnifique
magasin voûté avec un premier étage sur le quai Sainte-Marie une
darse, et sept autres magasins taillés dans le roc, des casernes,
trois églises, un collysée, ou salle de spectacle, tel est
l'ensemble des ouvrages élevés par les Espagnols dans un lieu qui
avait mérité d'être appelé, pour ses agréments, la Corte
Chica (la Petite Cour.) Un tremblement de terre, survenu dans
la nuit du 9 octobre 1790, causa d'affreux ravages dans la ville.
Deux ans après, en mars 1792, les Espagnols l'évacuèrent,
l'abandonnant au bey Mohammed, gouverneur de la province pour les
Turcs. Après la conquête d'Alger, le commandant de l'armée
française envoya des troupes prendre possession d'Oran, dans les
premiers jours d'août 1830. A la nouvelle de la révolution de
Juillet, les troupes furent rappelées à Alger. Oran, momentanément
cédé au bey de Tunis, après avoir été occupé une seconde fois, le
10 décembre 1830, le fut d'une manière définitive le 18 août 1831.
L'importance d'Oran n'est pas uniquement concentrée dans la ville
et ses fortifications; elle repose aussi sur le port qui est à
Mers-el-Kebir,
(Colonel
Jusuf.) éloigné de cinq milles par mer, ou d'une heure
trois quarts de marche par terre, dans la direction du nord. Ce
port naturel est entouré de hauteurs et remarquable par sa
profondeur; la tenue de son fond est bonne: une escadre composée
des plus gros vaisseaux peut s'y réfugier facilement.
Mascara est une ancienne ville arabe située à 84 kilomètres sud de Mostaganem et à 92 kilomètres sud-est d'Oran. On n'a que des données fort incertaines sur l'origine de Mascara. Selon les traditions locales, recueillies par les Thalebs (savants), elle aurait été construite par les Berbers, sur les ruines d'une cité romaine. L'étymologie du mot Mascara, soit qu'elle vienne de Onmi'Asker (la mère des soldats), ou, plus simplement, de M'asker (lieu où se rassemblent les soldats), atteste une réputation guerrière, qui semble justifiée par tout ce que nous savons de son histoire. Mascara se divise eu quatre parties bien distinctes: Mascara proprement dit, Rekoub-Ismaï Baba-Ali (le père Ali) et Ain-Beidha (la source Blanche). Ces trois dernières parties peuvent être regardées comme des faubourgs de la ville, qui se trouve à leur centre. La ville est percée de trois rues principales: elle a deux places publiques, une mosquée et deux fondouks (marchés). Les maisons, bâties comme celles des autres villes de l'Algérie, s'élèvent rarement au-dessus du rez-de-chaussée. Mascara, du temps des Turcs, était la résidence des beys de la province, jusqu'au moment où les espagnols évacuèrent Oran. Abd-el-Kader l'avait placée sous l'autorité immédiate d'un kaid. L'industrie, dans ces dernières années, était presque nulle à Mascara. On y fabriquait cependant encore quelques-uns de ces burnous noirs, renommés par leur élégance et leur solidité, des tapis, des burnous blancs et des haïks (tuniques de laine) de qualité inférieure.
L'armée française s'empara de Mascara le 5 décembre 1835, et s'en éloigna le 8, après avoir détruit l'artillerie et le matériel de guerre qu'Abd-el-Kader y avait déposés. Elle en a pris de nouveau possession le 30 mai 1841, et, depuis, une forte garnison y a été constamment laissée.
(Tente arabe.)
Tlemsen, à, 18 kilomètres de la mer, à 80 environ sud-ouest d'Oran, occupe une admirable position, qui domine tout le pays compris entre le cours inférieur de l'Isser, la Tafna et la frontière de Maroc, et qui lui a fait donner le nom de Bab-el-Gharb (porte du couchant). Elle faisait autrefois partie de la Mauritanie Césarienne. Les Romains s'y établirent et la nommèrent Tremis on Tremici Colonia. Tlemsen a été longtemps capitale d'un état arabe qui comprenait les villes de Nedroma, Djidjeli, Mers-el-Kebir, Oran, Arzew, Mazagran, Mostaganem. Au huitième siècle, Edris, khalife du Maghreb, et fondateur de l'empire de Maroc, régnait à Tlemsen. En 1515, elle fut prise par Haroudj-Barberousse; les Espagnols l'en chassèrent en 1518. Elle resta sous leur domination jusqu'en 1513. Les Turcs, à cette époque, s'en emparèrent, et la réunirent, en 1560, à la régence d'Alger, dont elle n'a point été depuis séparée. En 1670, Tlemsen ayant pris parti pour les Marocains contre le bey Hassan, et celui-ci ayant été vainqueur, la ville fut presque entièrement détruite. Elle est mal percée: les rues étroites sont souvent couvertes de treilles, et toujours rafraîchies par de nombreuses fontaines. Les maisons n'ont qu'un étage, et sont, pour la plupart, couvertes en terrasse; quelques-unes, comme à Alger, communiquent par des voûtes jetées d'un côté de rue à l'autre. La citadelle de Tlemsen, nommée Méchouar, située au sud de la ville, est de forme rectangulaire, d'environ 460 mètres sur 280 mètres. Il existe dans l'intérieur une centaine de maisons et une mosquée. Voisine de l'empire de Maroc, dont la limite n'est qu'à douze heures de marche; voisine également du Désert, qui n'en est guère plus éloigné, Tlemsen est l'entrepôt naturel, et en quelque sorte obligé des caravanes venant de Fez. Après l'expédition du 26 novembre au 8 décembre 1835, qui lit tomber Mascara en notre pouvoir, l'armée française marcha sur Tlemsen, et y fit son entrée le 13 janvier 1836. Mais, le 12 juillet 1837, nos soldats l'évacuèrent en vertu du traité conclu à la Tafna, le 30 mai 1837, entre le général Bugeaud et Abd-el-Kader, qui en est resté maître pendant plus de quatre années, et qui en avait fait la capitale de la région occidentale, ou du Gharb, à la tête de laquelle il avait placé un khalifah. Tlemsen a été de nouveau occupée, le 30 janvier 1842, par les troupes françaises, et de nombreux établissements y ont été créés, pour installer convenablement la division qui y tient garnison.
(Mascara.)
Mostaganem, qui a pour citadelle Matamore (Matmoura), est assise à un kilomètre de la mer, à 85 mètres au-dessus de son niveau. Elle est arrosée par différents cours d'eau. Son territoire est un des plus fertiles de la province. La vigne y est cultivée et ses produits non-seulement suffisent à la consommation locale, mais sont encore l'objet d'un commerce assez considérable. Les chroniques musulmanes font remonter au douzième siècle la fondation de la ville arabe de Mostaganem. Gouvernée d'abord par le chef sarrasin Yousouf, elle serait ensuite tombée aux mains d'un autre chef, Ahmed-el-Abd, dont les descendants auraient conservé cette place jusqu'au seizième siècle, où les Turcs s'en emparèrent, sous le commandement de khair-Eldin, surnommé Barberousse. Un corps français a pris possession de Mostaganem le 29 juillet 1833.
(Mostaganem.)
Mazagran, dont l'héroïque valeur d'une poignée de Français a immortalisé le nom, est situé à l'ouest et à une distance d'environ 7,000 mètres de Mostaganem. Cette petite ville ruinée occupe le versant d'une colline assez roide et forme un grand triangle, au sommet duquel se trouve un réduit. Ainsi exposé, ce réduit domine la plaine, la mer et le bas de la ville. Lorsqu'une garnison française fut, en 1833, placée à Mostaganem, les habitants de Mazagran abandonnèrent leurs maisons, C'est sur Mazagran, qu'après la rupture du traité de la Tafna, Abd-el-Kader, à deux reprises, a dirigé ses premiers coups et ouvert les hostilités dans la province d'Oran. La première attaque des Arabes eut lieu le 15 décembre 1839, et la deuxième dura quatre jours et quatre nuits, du 2 au 6 février 1840. Cent vingt-trois soldats du premier bataillon d'infanterie légère d'Afrique ont tenu tête à plusieurs milliers d'Arabes, et vaillamment repoussé quatre assauts.
Arzew, située sur une colline, à peu de distance de la mer, entre Oran et Mostaganem, est une petite ville construite sur des ruines. Elle a été occupée par l'armée française le 3 juillet 1833. La baie offre un excellent mouillage, pour toutes les saisons, aux bâtiments ordinaires du commerce, et en général à ceux qui sont au-dessous de la force des frégates.
Nous croyons devoir encore mentionner ici, comme appartenant à la province d'Oran, Messerguin, village situé à 12 kilomètres sud-ouest d'Oran; et dont les environs sont d'une fertilité remarquable; Mazouna, village bâti sur les bords du Chelif, et à 8 kilomètres de son embouchure; Nedroma, très-petite ville sur le penchant d'une montagne, à 16 kilomètres au sud du cap Hone; enfin Kallah, ville où l'on fabrique beaucoup de tapis.
Abd-el-Kader avait créé dans cette province plusieurs; établissements que nos troupes ont successivement visités et ruinés; en 1811 et 1812. Tagdemt, à 72 kilomètres est de Mascara; Boghar, à 60 kilomètres au sud-est de Médéah; Thaza, à 18 kilomètres sud-sud-est de Milianah; Sauta, à une journée et demie de marche au sud de Mascara; Tafraoua, à une journée au sud de Tlemsen.
(La suite à un autre numéro.)
Bulletin bibliographique.
Collection des auteurs latins, publiée sous la direction de M. D. Nisard. Mise en vente du dix-huitième, volume, contenant les oeuvres complètes de Lucrèce, de Virgile et de Valerius Flaccus, avec la traduction en français.--Paris, 1843. Dubochet. 15 fr.
Cette magnifique collection se continue avec un succès toujours croissant. Le dix-huitième volume, qui vient de paraître (la collection doit en avoir vingt-cinq), renferme les plus beaux modèles de la poésie épique chez les Romains, et réunit, dans l'ordre chronologique, trois auteurs qui personnifient trois époques bien distinctes de l'histoire du cette poésie: Lucrèce, Virgile, Valerius Flaccus. «Lucrèce, dit M. Nisard dans l'introduction, en représente les vigoureux commencements et la jeunesse déjà virile, Virgile la perfection, Valerius Flaccus la décadence.»
De grands efforts ont été faits pour que les traductions de ces trois auteurs reproduisissent les principaux traits du génie particulier de chacun. Faire sentir ce qu'il y a de hardi et de naïf dans le génie de Lucrèce; montrer, dans la traduction de Virgile, que, dans l'impossibilité d'égaler ses perfections, on les a du moins senties; marquer légèrement et sans forcer la langue française, de quelle façon la langue latine et le fond même de la poésie se sont altérés dans Valerius Flaccus, tel est l'esprit dans lequel a été traduit ce volume, l'un de ceux qui demandaient le plus de talent et qui ont coûté le plus de travail.
Lucrèce a eu pour interprète un jeune lauréat de l'Université, M. Chaniot; les deux frères de M. Désiré Nisard, M. Auguste Nisard, professeur de rhétorique au collège Bourbon, et M Charles Nisard, ont traduit, le premier, Virgile, le second, Valerius Flaccus.
Histoire des Sciences naturelles, depuis leur origine jusqu'à nos jours, chez tous les peuples connus, commencée au collège de France, par Georges Cuvier, complétée par M. Magdeleine de Saint-Agy; troisième partie, contenant la deuxième moitié du dix-huitième siècle. Tome IV. In-8 de 22 feuilles 1/2.--Paris. Fortin-Masson. 7 fr.
Les trois premiers volumes de cet important ouvrage avaient paru en 1841. Après un retard de deux années, le tome IV vient d'être mis en vente, et l'éditeur annonce la publication prochaine du tome V et dernier, qui doit contenir la continuation de l'Histoire des Sciences jusqu'à nos jours et une critique très-étendue de la philosophie de la nature en Allemagne et en France. Ainsi se trouvera complétée cette magnifique histoire de la civilisation du monde.
M. Magdeleine de Saint-Agy achève d'abord, dans le quatrième volume, l'histoire de la zoologie pendant la première moitié du dix-huitième siècle, puis il fait celle de la botanique. Il passe successivement en revue les flores d'Europe, les voyageurs botanistes, les jardins et les méthodes botaniques de cette période. Enfin, après avoir jeté un coup d'oeil rapide sur diverses monographies, il examine dans leur ensemble les travaux de Linnée et de Buffon.
La seconde moitié du dix-huitième siècle a produit à elle seule, dans les sciences naturelles, un nombre de découvertes comparable à celui de toutes les époques antérieures, car toutes les sciences concoururent dès lors à se perfectionner l'une par l'autre.--Ainsi, par exemple, l'histoire naturelle descriptive, qui est la base de toutes les sciences naturelles, ayant été prodigieusement enrichie par les collections des voyageurs, il en résulta une étude plus approfondie des êtres appartenant aux deux règnes organiques. L'anatomie comparée fournit d'importantes notions à la physiologie, et ces deux sciences réagirent à leur tour sur la zoologie, et même sur la botanique, en y introduisant la méthode naturelle.
Avant d'entreprendre l'histoire des sciences naturelles pendant la seconde moitié du dix-huitième siècle, M. Magdeleine de Saint-Agy donne d'abord une idée générale de cette importante période, puis il commence par la science de la vie, par la physiologie, parce que c'est elle qui, durant ces cinquante années, a fait la première des progrès remarquables, et parce qu'elle est utile d'ailleurs à l'exposition qui doit suivre des développements de la zoologie. Il analyse et examine séparément les travaux et les découvertes de Haller, de Bonnet, de Spallanzini, de Wolff, de Camper, des deux Hunter, des deux Mouro, de Vieq-d'Azyr, de Hewson, de Cruicksank, de Sheldon, de Mascagny, de Barthey, de Médicus, de Desèze, de Cabanis, de Darwin, de Cullen, de Platner, de Prochaska, de Reil, de Neubauer, de Walther et de Scarpa.
En terminant ce quatrième volume, M. Magdeleine de Saint-Agy annonce à ses lecteurs qu'avant d'exposer la nouvelle physiologie née à la fin du dix-huitième siècle, il achèvera l'histoire des progrès de la chimie pendant la seconde moitié de ce même siècle.
Histoire des États européens depuis le Congrès de Vienne; par M. le vicomte de Beamont-Vassy. 10 vol. in-8.--Paris, 1843. Amyot. 7 fr. 50 c. le volume--En vente: La Belgique et la Hollande. 1 vol. in-8.
M. le vicomte de Beaumont-Vassy, auteur des Suédois depuis Charles XII et de Swedenborg ou Stockholm en 1756, a entrepris d'écrire l'histoire de tous les Etats européens depuis le congrès de Vienne jusqu'à l'année 1843. Cet ouvrage doit former 10 volumes in-8. Un seul est en vente; il a pour titre: Histoire de la Belgique et de la Hollande.
«Dans la grande lutte des peuples européens contre les entraves imposées en 1815 par ces traités de Vienne, qui furent pour l'Europe le commencement d'une ère nouvelle, chaque peuple, dit M. de Beaumont-Vassy dans son introduction, se présente à l'historien sous un aspect différent et procède d'une façon particulière. Chez l'un, le germe d'une idée politique se développe lentement et à de longs intervalles, puis il finit par éclore et les choses reprennent leur cours; chez l'autre, au contraire, les idées succèdent rapidement aux idées, et les faits semblent être le résultat d'une agitation machinale et incessante. Ici, dévorés par un insatiable besoin de changement, les hommes sacrifient sans pitié les héritages du passé; là, ils transmettent de génération en génération les institutions qu'ils ont reçues de leurs pères. J'ai cherché à reproduire fidèlement ces aspects divers et ces curieuses dissemblances.
«C'est de la conduite politique d'un peuple que dépendent et sa position relative et sa considération. Rien n'est donc plus utile que l'étude consciencieuse des actes de nos voisins, étude qui nous amène si naturellement à celle de notre propre histoire dans les temps modernes. C'est en vue de cette utilité que j'ai entrepris ce long et difficile travail, cette histoire de l'Europe depuis trente ans... Car j'ai toujours pensé qu'il faut employer son intelligence à étudier les besoins et les intérêts de son pays, comme sa volonté à l'aimer et toute sa puissance à le servir.»
On ne peut qu'applaudir à de si nobles sentiments. Quels que soient d'ailleurs son mérite et ses résultats futurs, une semblable publication a droit dès à présent à nos éloges et à nos encouragements. Ne pouvant pas, on le conçoit, juger aujourd'hui un ouvrage dont la première partie seule a paru, nous avons dû nous contenter d'emprunter à l'auteur l'espèce d'exposition sommaire qu'il a faite lui-même de son but. Ses espérances se réaliseront sans doute; car ce premier volume, purement historique d'ailleurs, est écrit d'un style simple et facile, et se fait remarquer par sa clarté et par son impartialité.
Histoire de l'Algérie ancienne et moderne, depuis les premiers établissements des Carthaginois jusque et y compris les dernières campagnes du général Bugeaud; par M. Léon Galibert. 1 magnifique volume in-8, publié par livraisons de 23 c, avec 23 gravures sur acier, 8 dessins coloriés et de nombreuses gravures sur bois.--Paris, 1843. Furne. (18 livraisons sont en vente.)
M. Furne est un des éditeurs les plus heureux de Paris; toutes ses entreprises réussissent. La raison de ce succès est facile à trouver: M. Furne a autant de conscience que de goût; non-seulement il sait inventer, qu'on nous permette ce mot, de bonnes et d'utiles publications, non-seulement il illustre ses livres avec une intelligence remarquable, mais il ne trompe jamais le public. Tout ce qu'il promet il le donne; il fait plus, il ménage toujours quelque surprise agréable à ses souscripteurs. Si les dernières livraisons de ses ouvrages illustrés ne ressemblent pas aux premières, c'est parce qu'elles leur sont supérieures. Tant de fois le public a été trompé par les promesses mensongères de certains prospectus, qu'en vérité il doit avoir une estime particulière pour les éditeurs qui se conduisent envers lui avec autant de convenance et de délicatesse que M. Furne.
L'Histoire de l'Algérie nous a suggéré cet éloge, si justement mérité. Nous ne saurions, dès à présent, porter un jugement sur l'ouvrage de M. Galibert, car les seize livraisons qui ont paru ne contiennent qu'une introduction géographique et l'Histoire de l'Algérie sous les Carthaginois et sous les Romains; mais s'il se continue, et nous n'en doutons pas, comme il est commencé, ce volume sera, certainement, un des plus beaux livres publiés cette année par la librairie parisienne.--De charmantes vignettes sur bois, placées en tête ou à la lin des chapitres, rivalisent avec les magnifiques gravures sur acier qui doivent accompagner un certain nombre de livraisons. Enfin, M. Fume s'est déjà décidé à donner, sans augmentation de prix, huit nouveaux dessins de Raffet, coloriés à l'aquarelle et représentant les costumes des diverses tribus arabes et des années françaises en Afrique.
Rambles in Yucatan; by B. M. Norman.--London, 1843. Wiley and Putnain.--Promenades dans le Yucatan (non traduites).
Incidents of travel in Yucatan; by John L. Stephens.--London, 1843. Murray. 2 vol. in-8.--Incidents d'un voyage dans le Yucatan (non traduits).
Life in Mexico during a résidence of two years in that country, by madame Caldeoux de la Bauca.--London, 1843 Chapman et Hall.--La vie au Mexique pendant une résidence de deux années dans ce pays (non traduite).
Les voyages de M. Stephens dans l'Amérique centrale et les Antiquités américaines de Bradfort avaient, depuis quelques années, attiré l'attention publique sur les monuments extraordinaires du Yucatan, lorsque M. Norman alla, en 1841, visiter à son tour ce curieux pays. M. Norman n'est pas un savant, mais un simple touriste. Muni seulement d'une boussole, il se rendit à Mérida, et il explora successivement les ruines de Palenque, de Chi-Chen, de Kabah, de Zayi et d'Uxmal. M. Norman copie souvent les ouvrages de ses prédécesseurs et il se montre parfois un peu superficiel; mais il n'a pas des prétentions exagérées, et ses Promenades sont remplies de détails intéressants sur les monuments du Yucatan et sur les moeurs des habitants de cette presqu'île encore si peu connue.
A la même époque, l'auteur des filles ruinées de l'Amérique centrale entreprenait une seconde excursion dans le Yucatan. Cette fois, il avait un double but: il essayait de faire de nouvelles découvertes archéologiques et de former, avec les débris les plus caractéristiques qu'il parviendrait à rassembler, un Muséum pour les États-Unis d'Amérique. Il vient de publier la relation de son voyage, avec 120 gravures sur bois, par M. Catherwood; malheureusement la collection, qu'il avait formée et transportée à New-York a été détruite dans un incendie.
Le 12 novembre 1841, M. John Stephens partit de Merida avec plusieurs compagnons, et il se rendit directement à la Hacienda de San-Joaquin, dans l'enceinte de laquelle se trouvent les ruines de Mayapan. De là, il alla visiter les ruines d'Uxmal, où il fit un assez long séjour. Après avoir passé quelque temps à la foire de Jalacho et examiné des antiquités situées sur la propriété d'un certain don Simon, il explora la laineuse grotte de Maycanu, appelée par les Indiens Satun-Sat, et par les Espagnols el Laberinto. Mohpat, Kabah, Chi-Chen, Zayi, reçurent ensuite la visite de cet infatigable archéologue, qui termina son voyage par une promenade à l'île Cozumel et aux îles voisines.
Ce n'est pas le passé, mais le présent qui occupe l'auteur de la Vie au Mexique. Madame Calderon de la Barca est une Américaine mariée à un Espagnol. M. Calderon de la Barca représentait depuis plusieurs années sa patrie à Washington, quand, en 1841, il fut nommé ambassadeur au Mexique. C'était la première fois que l'Espagne accordait un pareil honneur à son ancienne colonie, depuis qu'elle avait reconnu son indépendance. Madame Calderon habita deux années entières Mexico. Pendant ce long séjour, elle entretint une correspondance suivie avec ses parents et les amis qu'elle avait laissés aux États-Unis. Ses lettres, lues d'abord dans un petit cercle, y obtinrent un tel succès, que l'auteur de l'Histoire du règne de Ferdinand et d'Isabelle, M. W. Prescott, demanda et obtint la permission de les publier. Elles forment un volume in-8 de 430 pages. Bien qu'Américaine, madame Calderon a presque autant d'esprit et de vivacité qu'une Française. Ses lettres sont remplies d'anecdotes piquantes et variées, racontées avec un talent tout particulier; mais elles ont surtout le mérite de réparer la seule omission qu'on peut reprocher à M, Alexandre de humboldt, c'est-à-dire de nous donner les détails les plus certains et les plus nouveaux sur l'état intellectuel et moral du Mexique.
Mémoiren des Karl Heinrichs, Ritters von Lang; skizzen aus meinem leben und wirken, meinem reisen und meiner zeit.--Mémoires de Charles Henri, chevalier de Lang; esquisses de ma vie et de mes actions, de mes voyages et de mon époque.--Brunswick, 1843--A Paris, chez Brockhaus et Avenarius. 2 vol. (non traduits).
Le chevalier de Lang naquit en 1764, à Balgheim, dans la principauté de Oettingen-Wallerstein. Son père était le ministre de cette paroisse. Son grand-père avait été élevé dans le palais du prince, et, à son grand effroi, il fut un jour, vers le milieu du siècle dernier, nommé kammer-directur ou chancelier de l'échiquier. Le prince voulait aller aux bains de Pyrmont, et il n'avait pas assez d'argent pour subvenir aux dépenses d'un pareil voyage. Les banquiers auxquels il s'adressait refusaient de lui prêter même un stiver. Dans cette position embarrassante, il fit cadeau d'un ministère au plus riche propriétaire de sa principauté, c'est-à-dire au grand-père de Lang, et il supplia son nouveau ministre de lui prêter en retour la somme dont il avait besoin. Ce singulier moyen lui réussit. Il alla aux bains de Pyrmont, et le vieux Lang perdit toute sa fortune. Ce ne fut qu'en 1813 que ses descendants obtinrent, non pas le remboursement de cette créance, mais une indemnité insignifiante.
Le petit-fils de cet infortuné ministre malgré lui entra, dès sa jeunesse, au service du prince d'OEttingen-Wallerstein. Après avoir étudié le droit pendant trois années à l'université d'Iéna, il devint secrétaire de la cour judiciaire et du Conseil d'État de sa principauté natale. Mais il ne tarda pas à donner sa démission et il alla à Vienne, où il espérait trouver un emploi. Pressé par le besoin, il accepta d'abord une place d'instituteur en Hongrie; puis il revint à Vienne, où l'ambassadeur du Wurtemberg le prit pour secrétaire; il fut ensuite secrétaire du prince Wallerstein, employé secret du comte Hardenberg, conseiller et archiviste de Bayreuth, attaché à la légation prussienne au congrès de Rastadt, gouverneur secrétaire du margraviat d'Auspach, directeur des archives de Munich, et enfin secrétaire intime du comte Hardenberg. Il mourut en 1835.
Deux volumes seulement des mémoires de Lang ont paru. Ils s'arrêtent à la fin de l'année 1825. Bien qu'ils ne répondent pas entièrement aux espérances qu'avait fait naître la réputation littéraire de leur auteur, ils ne peuvent manquer d'obtenir un grand succès, non-seulement en Allemagne, mais en France et en Angleterre. On y trouve, en effet, une foule d'anecdotes piquantes, racontées avec cet esprit satirique qui a rendu si populaires les Hammelburger Reisen. Le secrétaire du prince Wallerstein et de l'ambassadeur du Wurtemberg, l'employé secret du comte Hardenberg, n'a pas révélé sans doute tous les secrets dont il était le dépositaire; mais ses mémoires nous font mieux connaître que les ouvrages historiques les plus estimés l'état intellectuel et moral d'une certaine classe de la société en Allemagne, depuis la révolution de 89 jusqu'à nos jours. En terminant cette notice, nous ne pouvons résister au désir de citer une anecdote qui nous paraît caractéristique.
Une nuit, à deux heures du matin, un domestique vient réveiller Lang, qui dormait profondément. «Levez-vous de suite, lui dit-il, son excellence désire vous parler.» Lang s'habille à la hâte et court auprès de son excellence. «Monsieur Lang, lui dit le baron Buhler (l'ambassadeur du Wurtemberg), j'ai depuis longtemps remarqué que dans vos lettres vous ne placez jamais les points au-dessus des i. Vous les mettez toujours tantôt trop à droite, tantôt trop à gauche. J'ai souvent eu l'intention de vous faire ce reproche. Tout à l'heure en m'éveillant, j'y ai songé de nouveau, et pour ne plus l'oublier, j'ai jugé à propos de vous envoyer chercher. Tenez-vous pour averti.»
Précis de l'histoire de l'Hindoustan, contenant l'établissement de l'empire mongol, ses progrès et sa décadence; l'invasion et les établissements successifs des Européen; la coalition des princes de l'Afghanistan contre les Anglais; l'examen des diverses religions établies chez les Hindous, ainsi qu'un tableau de leurs lois primitives, de leurs moeurs, usages et coutumes, et un résumé des lois qui régissent les établissements français; par L.-M.-C. Pasquier, ancien magistrat à Pondichéry. 1 vol. in-8 de 534 pages.--Paris, 1845. Paulin et Ledentu.
Cet ouvrage se divise en deux parties parfaitement distinctes: l'une consacrée aux Européens, l'autre aux indigènes.
Dans la première partie, l'auteur raconte l'histoire de l'Hindoustan depuis l'expédition d'Alexandre jusqu'à nos jours. Il donne principalement des détails curieux sur les établissements successifs des Portugais, des Hollandais, des Anglais et des Français, et sur l'administration actuelle de la justice dans nos comptoirs de l'Inde.
La deuxième partie, beaucoup plus longue que la première, renferme un grand nombre de chapitres intéressants concernant la religion des Hindous, leur mythologie, leurs lois, leurs moeurs, leurs coutumes, la division de leurs castes et leur chronologie.
État de la question d'Afrique. Réponse à la brochure de M. le général Bugeaud, intitulée l'Algérie; par M. Gustave de BEAUMONT.--Paris. 1843. Paulin. Brochure in-8 de 32 pages.
Dans le courant du mois de septembre dernier, M. le général Bugeaud, gouverneur-général de l'Algérie, publia une brochure intitulée: l'Algérie; des moyens de conserver et d'utiliser cette conquête. M. Gustave de Beaumont pensa que cette oeuvre, à laquelle le poste et le caractère de son auteur donnaient tant de gravité, contenait un certain nombre de propositions, les unes contestables, les autres dangereuses, qu'il importait de combattre avec la plus grande publicité possible. Dans cette conviction, il adressa au rédacteur en chef d'un journal quotidien une série de lettres qu'il vient de réunir en brochure et de publier à la librairie Paulin. Cette brochure ne peut manquer d'attirer l'attention au moment où la Chambre va, par la discussion des crédits supplémentaires et extraordinaires, être saisie de nouveau de la grande affaire de notre établissement en Algérie, «la plus grosse affaire de la France, dit M. Gustave de Beaumont au début de sa première lettre; la plus belle, mais aussi la plus difficile, et sur laquelle s'amassent des orages dont, au lieu de détourner ses regards, il serait plus sage de sonder l'épaisseur.»