Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr.
Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.

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Ab. pour l'étranger. 3 mois, 10 fr.--6 mois, 20 fr.--Un an 40 fr.




Nº 2. Vol. I.--SAMEDI 11 MARS 1843. Bureaux, rue de Seine, 33.


SOMMAIRE.

BIOGRAPHIE. Hommes d'État américains. Portraits de Clay, Webster et Calhoun.-- GEOGRAPHIE. L'Algérie. Carte. Arabes irréguliers à cheval. Portrait d'Abd-el-Kader.--TRIBUNAUX. McNaughten, Montély. LES BURGRAVES. Vue de la cour criminelle de Londres. Portrait de McNaughten--HISTOIRE. Manuscrit de Napoléon: Histoire de la Corse.--THÉÂTRES. Première représentation des Burgraves. Scène principale des Burgraves. Costume de Frédéric Barberousse (Ligier), de Job (Beaurallet), d'Otbert (Geffroy), de Régina (Mademoiselle Denain), de Guanhumara (madame Mélingue).--NOUVELLE. Le curé médecin (suite et fin), par E. Legouvé--MISCELLANÉES. Société des Amis des Arts avec vignettes. Paris au crayon. Caricature, par GRANDVILLE--CORRESPONDANCE.--BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.--ANNONCES--MODES (avec vignette)--PROBLÈME D'ÉCHECS--MERCURIALES.--Rébus.



Contemporains illustres.

HOMMES D'ÉTAT AMÉRICAINS.

I.

HENRI CLAY--DANIEL WEBSTER.--CALHOUN.

Parmi les hommes qui, de notre temps, ont exercé le plus d'influence sur les affaires publiques des États-Unis, aucun n'est plus estimé que HENRI CLAY: aucun ne peut être placé au-dessus de lui quand on parle de patriotisme, de désintéressement, d'attachement inébranlable à la justice et à la vérité: aucun n'a plus que lui hérité de ces vertus qui ont immortalisé déjà les fondateurs de l'indépendance américaine, et qui déjà, pour nos enfants, les grandissent à la hauteur de quelques-uns des plus beaux caractères de l'antiquité.

M. Clay a été l'artisan de sa propre fortune; ce n'est qu'à ses talents et à ses efforts qu'il doit la haute situation qu'il occupe. Né le 12 avril 1777, dans le comté de Hanovre, en Virginie, il perdit de bonne heure son père, qui était ecclésiastique et pauvre. Son éducation s'en ressentit: après avoir passé quelques années sur les bancs d'une petite école, il fut placé dans l'étude d'un clerc de la chancellerie, à Richmond, en Virginie. A dix-neuf ans, il se mit à l'étude du droit, et un an après il obtenait sa licence. Il alla alors s'établir à Lexington, dans le Kentucky. Ses connaissances pratiques, son éloquence, lui firent rapidement une grande réputation.


                                        (Henri Clay.)

C'est dans la convention nommée par le Kentucky, pour établir une nouvelle constitution, que M. Clay parut pour la première fois sur la scène politique. Son premier acte fut une tentative inutile pour abolir graduellement l'esclavage des noirs dans l'État. M Clay ne s'est point découragé; il ne s'est point lassé, depuis cette époque d'élever la voix contre cette oppression inhumaine qui, avant la fin du siècle, aura cessé partout de peser sur une race malheureuse. Bientôt son expérience des affaires, les grâces de son élocution, son dévouement à la cause de la liberté, la simplicité de ses manières, le portèrent à la présidence de la législature de l'état, et il prouva, par son impartialité et par son habileté à conduire les débats, qu'il était digne de cette importante fonction. En 1805, il entra dans la Chambre des Représentants, et il en fut élu président. Quelques années après, il passa dans le Sénat, où sa réputation s'accrut encore. Il serait long d'énumérer les services qu'il rendit à son pays dans le congrès; ce serait presque raconter l'histoire des États-Unis depuis quarante ans. En 1814, il fut choisi pour représenter, avec MM. Adams et Gallatin, l'Union au congrès de Gand. Après s'être acquitté de cette mission délicate, il préféra les devoirs de sénateur à des fondions plus brillantes. Il refusa successivement l'ambassade de Russie, une mission en Angleterre, et la place de ministre de la guerre.

M. Clay a surtout attaché son nom à trois grandes mesures: l'indépendance des colonies espagnoles de l'Amérique du Sud, l'entreprise de travaux d'utilité publique par le congrès fédéral, et le développement des manufactures indigènes. Aussitôt après le Traité de Paris. M. Clay éleva la voix en faveur des colonies espagnoles, et, après de longs efforts, il décida ses concitoyens à leur prêter appui et à reconnaître leur existence comme républiques indépendantes. Canning, il est vrai, s'associa à cette politique et la fit triompher dans les conseils des monarchies européennes. Mais c'est à M Clay qu'appartient la gloire d'avoir le premier éveillé l'attention sur ces jeunes républiques. Plus tard, ministre des affaires étrangères, il ouvrit des relations avec elles, et jeta les bases d'une alliance durable entre elles et les Etats-Unis. La seconde de ces mesures intéressait seulement la république de L'Union. M. Clay en fut le premier et le plus zélé promoteur; il sut vaincre les jalousies des États particuliers, et fit résoudre cette question importante par le congrès.

Les États de l'Amérique du Nord avaient conquis leur indépendance, mais leur affranchissement de la mère patrie était loin d'être complet. Pendant toute la période du système colonial, les Américains avaient appliqué exclusivement leurs efforts à l'agriculture. Tout les y portait, et la fertilité du sol, et la législation imposée par la métropole. Mais les Etats-Unis continuaient à dépendre encore de l'Angleterre par le soin qu'ils avaient d'un marché illimité, et par la nécessité de tirer du dehors les objets manufacturés indispensables à une société civilisée. Alexandre Hamilton, à qui les États-Unis doivent tant, conçut le premier l'idée de rendre son pays indépendant de l'industrie anglaise. Il établit ce qu'on a appelé le système américain, et fit passer une législation entière qui encourageait l'établissement de fabriques de toute nature, et entravait par un tarif l'importation en Amérique de certains objets manufacturés. M Clay s'est fait le champion de cette politique seule capable en effet de fonder l'indépendance commerciale et industrielle des États-Unis. C'est lui qui a présenté et défendu dans le congrès les différents tarifs qui, depuis vingt-cinq ans, ont rendu plus difficile l'importation en Amérique des produits manufacturés des nations européennes. Il a rencontré, il est vrai, de grands obstacles, qu'il n'a pas tous pu surmonter. Les Etats du sud de l'Union, éminemment producteurs, résistent à un système qui entrave les débouchés de leurs produits exclusivement agricoles, tandis que les États du nord, dont le sol est moins riche, et qui ont élevé des manufactures, s'efforcent de compenser, par leur industrie et leurs habitudes laborieuses, les désavantages de leur situation. En général, l'Américain ne veut pas de taxe foncière, pas de contributions indirectes, mais il ne veut pas non plus, pour favoriser les manufactures indigènes être forcé de payer plus cher les objets de première nécessité, ou ceux que ses habitudes d'aisance et de bien-être lui ont rendus indispensables. Peu importe au démocrate américain d'où lui viennent ses indiennes et ses soieries, de Liverpool ou du Havre, de Boston ou de Lowell: tout ce qu'il demande, c'est de les payer bon marché. Heureusement les hommes d'État de l'Union, et il y en a, quoique l'on dise en Europe, ne partagent pas cette indifférence égoïste qui, dans l'état actuel de la constitution du pays, ne peut être que funeste à ses intérêts et à son avenir. Grâce aux efforts de M. Clay, le système américain ne rencontre plus de résistance auprès des hommes intelligents; la question du tarif est résolue, et il ne s'agit plus que de le proportionner suivant les circonstances. C'est là peut-être la plus grande gloire de M. Clay, et incontestablement le plus grand service qu'il ait rendu à son pays dans sa longue carrière publique. La postérité le considérera, après Hamilton, comme un des bienfaiteurs de la république américaine, et comme ayant achevé l'oeuvre des Washington et des Jefferson.

M. Clay est d'une taille élevée, d'une constitution robuste, bien que frêle en apparence; ses manières sont froides, mais pleines de dignité, à la fois polies et simples. Ses yeux, bleus et petits, jettent des flammes quand ils s'animent. Son front est large et élevé. Sur sa bouche, on peut lire un caractère ferme et indomptable. On a publié, en 1827, quelques-uns de ses discours. Ils sont remarquables sous tous les rapports, soit que l'on y cherche des leçons de politique, soit que l'on n'y considère que les qualités oratoires. On y distingue surtout de la précision dans les pensées et dans l'expression, de la rapidité, une logique sévère, de la concision, de l'élégance, et une sage économie d'ornements.

Deux fois M. Clay a été candidat à la présidence; deux fois il a échoué. Ses amis le portent encore cette année, et l'on dit qu'il a beaucoup de chances; nous souhaitons qu'il triomphe, car les Etats-Unis ne sauraient être gouvernés par un homme plus honnête et plus expérimenté.

Qu'il réussisse ou qu'il échoue, nous savons que M. Clay est trop sincèrement républicain pour murmurer contre le choix de ses concitoyens. Ses amis pourront déplorer que tant de vertus ne soient pas appréciées comme elles le méritent par l'opinion populaire. Quant à lui, arrivé à un âge avancé, il se consolerait, dans le repos et la tranquillité de la vie privée, de cet échec, qui ne peut en rien altérer la gloire d'une carrière consacrée tout entière à son pays et dévouée à ses intérêts. Il pourra se dire que jamais il n'a fait aucun sacrifice à l'opinion des partis, que jamais il n'a reculé devant ce qu'il regardait comme un devoir, dût-il rencontrer l'impopularité. Il a trouvé, dans son amour pour la liberté, la force de résister aux entraînements de la gloire militaire, le courage de rappeler son pays à l'esprit qui a fondé sa prospérité et sa grandeur, et par son éloquence il a contribué à sauver la république des États-Unis du despotisme du sabre. C'en est assez; la plus haute fonction de l'Etat n'ajouterait rien à une gloire aussi pure.


                                  (Daniel Webster.)

DANIEL WEBSTER, aujourd'hui, secrétaire pour les affaires étrangères du gouvernement des États-Unis, est né le 18 janvier 1782, à Salisbury, dans le New-Hampshire, d'un père fermier qui avait porté les armes avec honneur dans la guerre de l'indépendance, et exercé pendant plusieurs années les fonctions de juge. A cette époque, Salisbury, aujourd'hui le centre d'une population nombreuse, se trouvait l'extrême frontière de la civilisation. Ce fut donc au milieu des forêts que se passèrent les premières années de M. Webster. Son éducation fut commencée par son père. En 1801, il entra au collège de Dartmouth, où il termina ses études de la manière la plus brillante. Destiné à suivre la carrière du barreau, il étudia la pratique des lois, d'abord dans sa ville natale, ensuite à Boston, où il fut reçu avocat en 1805. Après avoir pratiqué pendant deux ans dans un petit village voisin du lieu de sa naissance, M. Webster s'établit à Portsmouth, la capitale commerciale du New-Hampshire, et y acquit une grande réputation d'éloquence et d'habileté.

En 1812, la confiance de ses concitoyens lui ouvrit la carrière des affaires publiques en le nommant un des représentants de l'État du New-Hampshire, dans la chambre basse du congrès. Malgré sa jeunesse (il avait alors à peine trente ans), il se fit remarquer dès son début, et prit part à toutes les discussions importantes. Les mesures que désirait le parti qui avait fait éclater la guerre entre l'Union et la Grande-Bretagne, et qui tendaient à établir une sorte de conscription, trouvèrent en lui un adversaire intrépide, tandis qu'il appuya de tous ses efforts le projet de donner de larges développements à la marine et de fortifier les frontières du nord. La question de l'établissement d'une banque fédérale, au milieu des circonstances difficiles où se trouvaient les États-Unis après la guerre, lui fournit l'occasion de montrer que les connaissances et les talents de l'économiste et de l'homme d'État s'alliaient en lui aux plus brillantes qualités de l'orateur et à un ardent amour pour son pays et ses institutions.

En 1816, M. Webster fut obligé de se retirer de la Chambre des représentants. Sa fortune avait été en partie détruite par l'incendie qui consuma, en 1815, la ville de Portsmouth, et ses devoirs d'homme public, loin de lui permettre de réparer les pertes qu'il avait faites, l'obligeaient à des dépenses considérables. Il renonça à toute participation aux affaires publiques jusqu'à ce qu'il eut refait sa fortune, et il alla se fixer à Boston, où il a depuis toujours résidé. Durant huit ans il se livra uniquement aux devoirs de sa profession, refusant obstinément les missions politiques dont l'estime de ses nouveaux concitoyens voulait l'honorer. Ses succès dépassèrent son attente. Sa réputation d'habile légiste se répandit; des causes qui devaient avoir nécessairement, par leur importance, un grand retentissement lui furent confiées, et il s'en acquitta si bien, que bientôt il fut rangé parmi les premiers juristes de toute l'Union. Malheureusement on ne possède qu'un petit nombre de ses plaidoyers, mais ils suffisent pour montrer les qualités qui distinguent l'éloquence judiciaire de M. Webster. Une narration claire et simple, beaucoup de perspicacité, de la gravité, un accent de vérité qui parait sortir d'un coeur plein d'amour pour la justice, voilà les moyens qui ont mérité à M. Webster un ascendant irrésistible sur le jury, ascendant qui de proche en proche s'est étendu sur tous ses concitoyens.

Ce fut en 1825 qu'il rentra dans la Chambre des Représentants, et il y prit aussitôt place parmi les orateurs les plus populaires. En 1827, il fut choisi à l'unanimité pour remplir une place vacante dans le Sénat. Sur ce nouveau théâtre, sa renommée grandit encore. Les services qu'il rendit à son pays et à la Constitution sont dans la mémoire de tous, et ce n'est pas ici le lieu de raconter son plus beau triomphe, je veux parler de la victoire qu'il remporta sur les nullificateurs.

Comme homme d'État, M. Webster est digne d'être placé sur la même ligne que les Jefferson, les Hamilton et les Adams. Des vues sûres et éclairées, une prudence tempérée par une hardiesse sage et réfléchie, ont marqué tous les actes de son administration des affaires étrangères. Récemment il a négocié un traité avec la Grande-Bretagne, et les États-Unis se glorifient du rôle à la fois plein de fierté et de dignité que leur a fait jouer M. Webster. Sur tous les points en litige, la question des frontières du Maine, celle du commerce des esclaves et celle de l'extradition mutuelle des criminels, son langage a été celui qui convenait à un grand peuple, et surtout à une république qui a besoin de se faire respecter par les vieilles aristocraties de l'ancien monde. Sur tous les points, le plénipotentiaire anglais, lord Ashburton, a cédé devant la logique ferme et irrésistible du ministre américain.

Les principaux discours prononcés par M. Webster dans le congrès et dans des assemblées populaires ont été publiés il y a peu d'années, à Boston. On y a joint quelques-uns de ses plus éloquents plaidoyers. Quant à ses discours plus particulièrement politiques, ils sont considérés par les Américains comme des pages de la Constitution, tant on les trouve animés de l'esprit qui a présidé à la fondation de la liberté américaine.

M. Webster porte empreint sur son visage le caractère qu'il a déployé dans toutes les circonstances d'une vie longue, agitée et glorieuse. Ses yeux, sombres et enfoncés dans leur orbite, ont un éclat irrésistible; ses larges et épais sourcils noirs expriment l'énergie et la détermination. Tous ceux qui ont eu l'occasion de s'approcher de cet homme d'État s'accordent à louer sa modestie, ses manières à la fois pleines de simplicité et de dignité; quelques esprits sévères lui reprochent de l'indolence et de la dissipation, mais sa vie entière rend témoignage que, pour le service de son pays, il n'a été surpassé par personne en désintéressement, en activité, et que jamais il n'a sacrifié les affaires à ses plaisirs.


                                  (John Calhoun.)

JOHN CALDWELL CALHOUN est né le 18 mars 1782, au district d'Abbeville, dans la Caroline du Sud. Sa famille est d'origine irlandaise. Etablie d'abord dans la Pennsylvanie, elle passa, en 1756, dans la Caroline du Sud, où elle eut à lutter, durant un grand nombre d'années, avec les Cherokis. Dans une surprise, la plus grande partie de la famille fut massacrée. Le père, élevé dans les forêts, était un hardi pionnier, habitué à lutter de ruse et d'audace avec les Indiens; mais, contrairement aux habitudes de cette classe de colons qui, en chassant devant elle les sauvages, les remplace souvent par des moeurs qui ne sont guère moins barbares, il avait du goût pour les lettres, et quoiqu'il eut passé toute sa vie éloigné du commerce des hommes, il s'était instruit dans la littérature anglaise. Aussi voulut-il que ses enfants reçussent une aussi bonne éducation que possible. Après avoir enseigné à John Calhoun à peu près tout ce qu'il pouvait lui apprendre, il l'envoya, vers l'âge de treize ans, à l'académie qui avait le plus de réputation dans les Etats du sud de l'Union.

M. Calhoun avait hérité des goûts de son père. Il aimait l'étude et s'y livrait avec une si grande ardeur, que sa santé en fut gravement altérée; on craignit un moment qu'il ne perdît la vue. Sa mère, alarmée, car il avait perdu son père depuis peu, le rappela dans la maison paternelle, où grâce à la force de la jeunesse et à l'éloignement de tous moyens d'étudier, il recouvra promptement la santé. Comme il ne pouvait rien être à demi, il se passionna pour tous les exercices du corps. Bientôt on le cita comme le plus intrépide et le plus aventureux chasseur de tout le pays. Mais, tandis qu'il s'était résolu à se faire fermier, son frère aîné, qui habitait Charleston, fut surpris, dans une visite qu'il fit à sa mère, des heureuses dispositions de Calhoun, et il le décida à reprendre ses études et à embrasser une carrière où il put développer les heureuses qualités dont l'avait doué la nature. M. Calhoun se rendit à ces conseils, entra dans un collége et recommença ses études à dix-huit ans. Ses progrès furent si rapides, qu'en moins de deux ans il avait réparé tout le temps perdu. Après avoir étudié la pratique des lois, il se fixa, en 1807, dans la Caroline du Sud, où il surpassa bientôt en réputation tous les légistes du pays, comme il les surpassait en talent et en habileté. Ses succès lui ouvrirent l'entrée de la législature de l'Etat, où il ne se distingua pas moins.

En 1811. la confiance de ses concitoyens l'introduisit dans la Chambre des Représentants. Sa célébrité l'y avait devancé. Il prit une grande part aux débats qui précédèrent la déclaration d'hostilités entre les Etats-Unis et l'Angleterre. On cite un discours qu'il prononça dans cette circonstance comme un des plus éloquents qui aient été prononcés dans le congrès américain. Tout d'une voix il fut porté, malgré sa jeunesse, à la tête du parti qui voulait la guerre dans la Chambre des Représentants. Dès cette époque, il se prononça vivement contre le système restrictif qu'il croyait ne convenir ni au génie du peuple américain, ni à celui du gouvernement, ni au caractère géographique du pays. Il combattit avec beaucoup de force cette politique qui, selon lui, entraînait avec elle des lois arbitraires et vexatoires.

A la fin de l'année 1817, M. Calhoun fut appelé par M. Monroe aux fonctions de ministre de la guerre. Six aimées passées dans le congrès avaient mis le sceau à sa réputation d'orateur. Pendant sept années qu'il demeura à la tête du département de la guerre, il développa les qualités solides de l'administrateur; il combla un énorme arriéré, satisfit à toutes les pensions, réduisit les dépenses au strict nécessaire. Néanmoins, il trouva le loisir de rédiger des rapports sur beaucoup de questions très-graves. C'est à lui que les Etats-Unis doivent l'admirable système de fortifications et de défense dont le général Bernard a doté le territoire de l'Union.

A l'expiration dit second terme de la présidence de M. Monroe, le nom de M. Calhoun fut placé sur la liste des candidats. Pour éviter que le hasard de l'élection ne fut abandonné au choix du congrès, i! se retira; mais il fut nommé à l'unanimité vice-président, tandis que M. Adams était élevé à la présidence. Aux élections suivantes, le général Jackson fut nommé président et M. Calhoun fut réélu vice-président. Dans cette place éminente, il remplit ses devoirs avec une impartialité et une habileté singulières. Il se trouvait dans une situation très-délicate, surtout dans les fonctions de président du Sénat. On le savait l'adversaire politique de l'administration, et chaque jour les débats lui offraient des embarras dont il savait toujours se tirer adroitement et sans compromettre sa dignité.

Nous avons dit plus haut que, dès son entrée dans la carrière politique. M. Calhoun s'était prononcé contre ce que l'on appelle le système américain. En cela, M. Calhoun partageait les sentiments de l'État où il avait vu le jour, et qui dans toutes les circonstances l'avait choisi pour son représentant dans le congrès. Le tarif établi en 1828 blessait profondément les intérêts de la Caroline du Sud; M. Calhoun se porta le champion de ses réclamations. Selon lui, cet acte violait le pacte fédéral, en portant atteinte à la souveraineté des États et à leurs droits; il était inconstitutionnel, et, comme tel, les Etats intéressés pouvaient, en vertu du droit qui leur était accordé par la Constitution fédérale, le déclarer nul et non obligatoire. Cette doctrine porte le nom de doctrine de la nullification; ses fondements reposent principalement sur les principes émis dans les résolutions de la Virginie et du Kentucky, rédigées par Madisson et par Jefferson, et considérées comme faisant partie du droit public de l'Union. Pendant plusieurs années, les opinions des deux partis, des partisans et des adversaires du tarif, furent discutées dans le congrès. Voyant qu'on ne faisait aucun droit à ses réclamations, la Caroline du Sud résolut de se servir de tous les moyens que la Constitution lui mettait entre les mains pour faire triompher la cause qu'elle représentait. Une convention fut élue par les habitants de l'État, qui, en sa qualité de représentant de la souveraineté de la Caroline du Sud, déclara les mesures restrictives inconstitutionnelles, nulles et sans valeur. Aussitôt M. Calhoun se démit de la vice-présidence, reçut une place dans le Sénat, et se présenta comme l'avocat de la cause de son État, qu'il regardait comme la cause de la liberté et de la Constitution. Sur ce théâtre, M. Calhoun développa les plus admirables qualités d'orateur. L'opinion qu'il défendait presque seul était impopulaire dans le pays, et peu s'en fallait qu'on ne la regardât comme un acte de trahison. Il y avait seize ans qu'il n'avait pas paru dans une assemblée publique, et cependant, pour lutter contre l'opinion, contre l'administration, contre l'éloquence réunie de M. Clay et de M. Webster, il trouva en lui des ressources extraordinaires. Dans cette lutte inégale, il serait difficile de prononcer lequel de M. Calhoun ou de M. de Webster l'emporta. Leurs discours sont des modèles de logique, de force, de pathétique.

Pendant quelques instants on craignit que cette lutte de parole ne se changeât en une lutte plus dangereuse. Le président des États-Unis, quoiqu'il penchât pour la Caroline du Sud, fut forcé par l'opinion publique de menacer cet État de faire exécuter par les armes la loi du congrès. De son côté la Caroline du Sud se prépara à soutenir de la même manière ses intérêts et ses opinions. Heureusement, M. Clay apaisa cette querelle par un compromis; la paix fut rétablie dans l'Union, et c'est ici que s'arrête pour nous la carrière politique de M. Calhoun. On annonce qu'il se porte comme candidat à l'élection présidentielle qui va avoir lieu prochainement.

M. Calhoun est d'une grande taille et d'une constitution robuste. Ses manières sont pleines d'aisance, de simplicité et de cordialité. Tous ceux qui l'ont connu disent qu'il est d'un commerce agréable, facile, accessible à tous, et que dans la conversation il est aussi éloquent qu'à la tribune. C'est un grand éloge, car ses discours sont très-remarquables. Malgré un style sentencieux, il excelle dans la discussion. Sa parole est forte, ardente, rapide et grave tout à la fois. On sent qu'il est pénétré de ce qu'il dit, et qu'il serait prêt à le soutenir de son sang. M. Calhoun peut, à bon droit, être considéré comme l'un des plus grands hommes d'État américains de notre temps. Sa vie privée, qui est irréprochable, ne dément pas un si beau caractère: intègre, désintéressé, de moeurs sévères et frugales, courageux, il est le digne descendant de Washington et de Jefferson, aussi bien que de Franklin.


Algérie

DESCRIPTION GÉOGRAPHIQUE.

La France entretient maintenant en Algérie une armée de quatre-vingt mille hommes; elle y dépense annuellement plus de 80 millions.

Quel but se propose-t-elle en faisant, depuis bientôt treize années, tant de laborieux efforts, tant de lourds sacrifices? quelle compensation a-t-elle le droit d'en attendre? quel dédommagement est-elle fondée à en espérer?

C'est évidemment de créer dans le nord de l'Afrique une colonie d'autant plus puissante, qu'elle est plus voisine de la métropole; ou plutôt c'est de fonder sur l'autre rive de la Méditerranée, à deux journées de distance de Marseille et de Toulon, un nouvel et durable empire sur cette terre désormais et pour toujours française, suivant l'expression du discours de la couronne, à l'ouverture des Chambres, le 27 décembre 1841.

L'Algérie est désormais française! Cette déclaration solennelle explique l'intérêt éminemment français qui s'attache à nos possessions africaines. Aussi, quand l'opinion publique s'émeut si vivement au récit des progrès de notre domination, quand elle les suit avec une avide et curieuse anxiété, n'est-ce pas seulement parce que nos soldats y continuent les traditions de valeur, de persévérance et de gloire de leurs devanciers, ni parce que notre jeune armée s'y montre l'émule des vieilles phalanges de la Révolution et de l'Empire; c'est surtout parce qu'elle comprend que, sur cette terre conquise au prix du sang des enfants de la France, il y a pour la mère-patrie des éléments certains de force et de prospérité, tout un avenir, enfin, de grandeur et de puissance nationale!

Ce sentiment instinctif est tellement enraciné dans la plupart des esprits, qu'il a survécu à toutes les incertitudes qu'amènent les phases diverses de la politique ou de la guerre, à toutes les vicissitudes inséparables du premier âge des colonies fondées les armes à la main, C'est à ce sentiment que nous nous proposons de nous associer, autant du moins qu'il dépendra de, nous, en consacrant, dans notre journal, une place spéciale à l'Algérie. Nous rappellerons, dans ces esquisses rapides, les commencements de l'occupation française, les développements qu'elle a reçus, les causes de son extension successive, les résultats obtenus jusqu'à ce jour. Nous ferons en même temps passer sous les yeux de nos lecteurs, sans en négliger un seul, les événements contemporains, politiques, militaires et civils, qui seront de nature à les intéresser, en attestant une amélioration ou un progrès dans la situation du pays. Monuments anciens et modernes, types des différentes races, Maures des villes, Arabes des plaines, Kabaïles des montagnes, moeurs, usages, costumes, ameublements, armes, vues de villes, créations de villages, travaux de ports, routes, dessèchements, établissements d'utilité publique, camps, bivouacs, combats et razzias, portraits des principaux personnages français et indigènes, de quel intérêt ne serait-il pas de voir tous ces sujets fidèlement représentés par des dessins exécutés sur les lieux mêmes? Nos lecteurs assisteraient ainsi, en quelque sorte, à la fondation de notre empire africain; ils le verraient chaque jour grandir, se développer, et jeter dans le sol des racines de plus en plus profondes.

(Agrandissement)

Avant de commencer notre Revue algérienne, où les faits de guerre et de colonisation viendront hebdomadairement trouver place, il nous a semblé utile de jeter un coup d'oeil rétrospectif sur les progrès de notre conquête jusqu'à la lin de 1812. et d'accompagner la carte qui: nous publions d'une description géographique assez étendue pour permettre, à nos lecteurs de suivre avec fruit les événements dont l'Algérie est le théâtre.

PRISE D'ALGER.--La cause des hostilités outre la France et le dey d'Alger est connue. Une insulte grave, un coup d'éventail donné en audience publique, le 30 avril 1827, par Hussein-Pacha à notre consul, exigeait une réparation à laquelle le dey se refusa avec un opiniâtre entêtement. Après de longues et inutiles négociations pour obtenir une satisfaction amiable, après la nouvelle insulte de coups de canon tirés déloyalement, le 27 juillet 1829, contre un vaisseau parlementaire, la Provence, une flotte française, composée de cent navires de la marine royale et de quatre cents bâtiments de commerce, appareilla de Toulon le 25 mai 1830. à quatre heures après midi. L'armée, forte de trente-sept mille hommes et de quatre mille chevaux, débarqua le 14 juin sur la plage de Sidi-Ferruch, distante de six lieues d'Alger, et le 5 juillet elle entra dans cette capitale des corsaires barbaresques. Ainsi, en vingt-quatre jours, elle avait atteint le but de sa mission, vengé le pavillon français, détruit la piraterie, et enfin accompli les voeux que formaient, depuis trois siècles, les hommes généreux et éclairés de toutes les nations.

La province d'Oran, bornée au sud par le Petit-Atlas, qui, dans cette partie, range la mer de très-près, est étroite par rapport à sa longueur. La province de Constantine, qui s'étend sur les rives de l'Oued-Rummel et sur les bassins qu'arrose cette rivière, a beaucoup plus de profondeur que la province d'Oran, avec une longueur presque égale. La province de Titteri, comprise entre les deux premières, s'étend surtout du nord au sud sur les plateaux successifs parcourus par le Chélif et ses affluents, qui s'élèvent sur les flancs septentrionaux du Grand-Atlas. Ces trois provinces étaient soumises chacune à un bey ou lieutenant du dey.

Les limites de la province d'Alger étaient moins fixes que celles des trois autres. Le dey, qui l'administrait directement au moyen de l'agha des Arabes, en modifiait la circonscription, selon que les querelles entre les beys voisins ou l'intérêt de sa politique lui semblaient l'exiger. C'est ainsi que Blidah, qui jadis appartenait au beylik de Titteri, et la plaine de Hamza jusqu'aux Portes-de-Fer Biban, avaient été placées sous l'autorité de l'agha. Bougie même fut momentanément rattachée aux dépendances administratives du territoire d'Alger.

DIVISIONS ACTUELLES DE L'ALGÉRIE.--Par décision du ministre de la Guerre, en date des 14 novembre 1842 et 4 février 1845, les provinces d'Alger, d'Oran et de Constantine, forment aujourd'hui trois divisions militaires, dont les circonscriptions ont été réparties de la manière suivante:

Division d'Alger, formée de deux subdivisions.--Subdivision d'Alger: Alger, chef-lieu de la division et de la subdivision; les forts attenants; le Sahel et tout le pays compris à l'est, depuis l'Oued-Kaddara, jusqu'aux Biban Portes-de-Fer; le cercle de Cherchel; Bougie.--Subdivision de Titteri; Blidah, chef-lieu de la subdivision et centre du cercle comprenant Boufarik et Koléah; Médéah, centre du cercle comprenant le Makhzen, (proprement magasin, réserve: tribus auxiliaires, nommées, sous les Turcs, tribus de commandement, exemptes d'impôts et chargées d'assurer l'obéissance des autres tribus, dites tribus de soumission), les Goums (proprement levées, cavalerie mobile des tribus), et les tribus, Milianah, centre du cercle comprenant également le Makhzen, les Goums et les tribus.

Division d'Oran, formée de quatre subdivisions.--Subdivision d'Oran: Oran, chef-lieu de la division et de la subdivision; Arzew; Mers-el-Kébir; Misserguin; Camp du Figuier.--Subdivision de Mascara: Mascara, chef-lieu.--Subdivision de Mostaganem: Mostaganem, chef-lieu; Mazafran.--Subdivision de Tlemcen; Tlemcen, chef-lieu.

Division de Constantine, formée de trois subdivisions.--Subdivision de Constantine: Constantine, chef-lieu de la division et de la subdivision; Philippeville, centre du cercle comprenant les camps de Smendou, des Toumiettes et de el-Arrouch; Djidjeli.--Subdivision de Bône: Bône, chef-lieu; Guelma, centre du cercle comprenant le Makhzen, les Goums, les tribus: la Calle, centre du cercle comprenant les tribus qui relèvent de la Calle.--Subdivision de Sélif: Sélif, chef-lieu.

Par une autre décision du ministre de la Guerre, en date du 12 novembre 1852. les places de l'Algérie ont été classées ainsi:

Première classe.--Alger, Oran, Constantine.

Deuxième classe.--Blidah, Médéah, Milianah, Cherchel. Mostaganem, Mascara, Tlemcen, Bône, Bougie, Sélif, Djidjeli, Philippeville.

Troisième classe.--Fort-l'Empereur, Douéra, Boufarik (camp d'Erlon), Mustapha-Pacha, Koléah. Arzew, Mers-el-Kébir.

Postes militaires.--Kasbah d'Alger. Kasbah de Bône, la Calle, Guelma, Misserguin, Mazafran.

Enfin, des ordonnances royales ont pendant le cours de l'année 1842. successivement organisé comme il suit les commandements indigènes dans les territoires soumis à notre domination:

Province d'Alger:--Khalifat des Beni-Soliman. Beni-Djad, Arib et Kabaïles; aghalik de Khachna; aghalik des Beni-Menasser.--Subdivision de Titteri: Aghalik du Kéblah, du Cherk, du Tell (terres cultivées), et des Ouled-Naïl.--Subdivision De Milianah: Khalifat des Hadjouths, de Djendel et de Braz; aghaliks des Beni-Zoug-Zoug, des Ouled-Aïad, des Beni-Menasser, Cherchel et Thaza.

Province d'Oran:--Khalifat du Gharb (ouest) comprenant trois aghaliks, ceux du Ghozel, du Djebel et du Gharb; khalifat du Cherk (est), comprenant trois aghaliks, ceux du Dhahan (nord, c'est-à-dire le pays qu'on a derrière soi, lorsqu'on est tourné vers la Mecque), du Ouasth (centre); et du Kéblah (sud, c'est-à-dire le pays qu'on a devant soi, lorsqu'on regarde dans la direction de la Mecque); Khalifat du Ouasth comprenant quatre aghaliks, ceux des Beni-Chougran, des Sdama, des Hachem-Gharaba, des Hachem-Cheraga; aghalik des Beni-Amer, commandé par un bach-agha (chef agha), ayant sous ses ordres deux aghas, l'un de Beni-Amer Cheraga, l'autre des Beni-Amer-Gharaba.

Province de Constantine:--Khalifat des Haractah, Abd-el-Nour Telaghma. Zmoul. Segnia, etc.; khalifat de la Medjanah; cheïkhat des Arabes (commandement du Shara).

DESCRIPTION DE LA PROVINCE D'ALGER. Massif d'Alger, Sahel, Metidjah.--Les environs de la ville d'Alger se composent d'un terrain montagneux qui s'élève immédiatement sur la côte. C'est ce terrain qu'on nomme le Massif. Le point culminant est le Bou-Zaréah, élevé de 400 mètres au-dessus du niveau de la mer. Ce massif est couvert, dans le voisinage de la ville, d'habitations agréables, et coupé de ravins et de petites vallées agréables, où des sources abondantes entretiennent la fraîcheur et une végétation active. Nos troupes y ont ouvert un grand nombre de routes.

Plus loin s'étend un plateau très-accidenté lui-même, et sillonné aussi de nombreux ravins. Cette partie du Massif prend le nom de Sahel.

Au pied des hauteurs du Sahel commence et se continue jusqu'au Petit-Atlas la plaine de la Métidjah, de 64 à 72 kilomètres de long sur 24 à 25 kilomètres de large. Bien cultivée dans la partie voisine des montagnes, et marécageuse dans la partie inférieure, son aspect est généralement découvert.

Le camp retranché de Douéra est au pied du Sahel; plus en avant vers l'Atlas, est situé celui de Boufarik, et plus loin encore celui de Blidah. à l'extrémité de la plaine.

Le versant septentrional du Petit-Atlas est couvert de taillis et de broussailles, composés, en grande partie, de chênes et de lentisques. Il est sillonné par de grandes vallées, d'où sortent les cours d'eau qui arrosent la plaine.

ORIGINE DU MOT ALGÉRIE.--Dans les premiers temps qui suivirent notre conquête, le territoire conquis conserva son ancien nom de Régence d'Alger. Plus tard cette appellation fut remplacée par celle de Possessions françaises du nord de l'Afrique, titre consacré par l'ordonnance royale du 22 juillet 1834, qui, en plaçant le pays sous le régime des ordonnances, en a réglé le commandement général et la haute administration. Enfin, dans le discours d'ouverture des Chambres, le 18 décembre 1837, l'ancienne Régence d'Alger reçut pour la première fois la dénomination officielle d'Algérie. Ce nom, qu'elle a gardé depuis, lui avait été donné, des 1834, dans un écrit publié à Paris par le comte de Beaumont Brivazac, sous ce titre: «De l'Algérie et de sa colonisation.»

DESCRIPTION GÉOGRAPHIQUE DE L'ALGÉRIE.--L'Algérie, ancienne Régence d'Alger s'étend de l'est à l'ouest sur la côte septentrionale du continent de l'Afrique. Elle est bornée au nord par la Méditerranée, à l'est par les États de Tunis, à l'ouest par l'empire de Maroc, et au sud par le désert de Shara vaste plaine sans plantation. Elle offre une étendue d'environ 900 kilomètres sur les côtes, et s'avance de 200 à 250 kilomètres dans l'intérieur des terres.

ANCIENNE DIVISION DE L'ALGÉRIE.--Notre conquête de l'Algérie nous a rendus maîtres d'un territoire qui répond aux trois provinces romaines appelées Numidie, Mauritanie Sicilienne et Mauritanie Césarienne, dont les chefs-lieux respectifs. Cirla. Silifis, Césarée, sont représentés aujourd'hui par Constantine, Sélif et Cherchel.

ANCIENNE DIVISION DE L'ALGÉRIE.--L'Algérie, sous la domination turque, était divisée en quatre provinces: 1° la province d'Alger; 2º la province d'Oran, ou de l'ouest; 3º la province de Constantine ou de l'est; 4º la province de Titteri, ou du sud.

La configuration générale du terrain n'avait pas été sans influence sur la composition de ces provinces.

Rivières.--Les principaux cours d'eau qui traversent le territoire d'Alger sont: l'Oued-Djer, la Chiffa, le Mazafran, l'Oued-Boufarik, l'Oued-el-Kerma, l'Arrach, le Hamise et l'Oued-Kaddara.

Villes.--Les villes les plus importantes de la province d'Alger sont, après la capitale, à laquelle nous consacrerons un article spécial. Blidah. Boufarik. Dellys. Koléah.

Blidah.--L'armée française a pris possession du territoire de Blidah le 3 mai 1838. Un camp, dit camp supérieur, a été d'abord établi entre cette ville et la Chiffa sur une position qui domine la plaine de la Metidjah, jusqu'au confluent de cette rivière et de l'Oued-el-Kébir. Ce camp découvre au loin le pays des Hadjouths, et de tous les points du terrain qu'il embrasse, on aperçoit la position de Koléah, avec laquelle il a été mis en communication au moyen d'une route et d'une ligne télégraphique. Un second camp, dit Camp inférieur, a été établi dans une position intermédiaire, à l'est de la ville. Blidah était alors interdite aux Européens; mais à la reprise des hostilités, en 1839, elle fut définitivement occupée. Elle est située à l'entrée d'une vallée très-profonde, au pied du Petit-Allas. Des eaux abondantes y alimentent de nombreuses fontaines et arrosent les jardins et les bosquets d'orangers qui l'environnent de tous côtés. La ville est assez régulièrement percée, et ses rues sont moins étroites que celles d'Alger. Un tremblement de terre renversa, le 2 mais 1825, une grande partie des édifices les plus élevés; ainsi les maisons construites depuis ce désastre n'ont-elles plus, en général, qu'un rez-de-chaussée. La position assez saine de Blidah, à cent mètres au-dessus de Mazafran, à cent quatre-vingt-cinq mètres au-dessus de la mer, fait de cette ville le poste principal qui devra surveiller la plaine, maintenir les tribus voisines, et servir d'entrepôt d'approvisionnements pour les colonnes chargées d'opérer sur Médéah et Milianah.

Boufarik, le premier poste que nous ayons jetée dans la Metidjah, est destiné à devenir le centre de nos établissements dans la plaine. Occupant la place d'un marche autrefois renommé et très-considérable, il avait continué, avant les hostilités, à être un lieu d'échange avec les Arabes. La garnison loge dans un réduit en saillie, dit Camp d'Erlon, où sont renfermés tous les établissements militaires. C'est à Boufarik qu'on récolte une partie des foins de la plaine; les pâturages y sont fort beaux: mais cette localité est malsaine et le sera longtemps encore.

Dellys, que nous n'occupons pas, est adossée é une montagne qui a tout au plus quatre cents mètres de hauteur. Ses maisons sont bâties en pierre et recouvertes de tuiles. On y trouve beaucoup de restes d'antiquités et d'anciennes murailles. Les habitants font un commerce suivi avec Alger, où ils apportent tous leurs produits agricoles.

Koléah, située sur le revers méridional des collines du Sahel, a été occupée le 29 mars 1858. A côté et à l'ouest de la ville, un camp a été sur-le-champ établi comme une sentinelle avancée, observant les débouchés des sentiers au sortir de la plaine et surveillant le rivage de la mer. Les eaux sourdent de toutes parts, abondantes et pures, dans le petit vallon de Koléah; elles sont distribuées avec art pour arroser de magnifiques vergers d'orangers, de citronniers, de grenadiers.

PROVINCE DE TITTERI.--Cette province était comme celles d'Oran et de Constantine, administrée par un bey (gouverneur) nommé par le dey, et révocable à sa volonté. Les principales villes de cette province sont Cherchel. Médéah. Milianah et Tenès. Cherchel, ville maritime, à 72 kilomètres, à l'ouest d'Alger, l'ancienne Julia Caesarea des Romains, n'occupe aujourd'hui qu'une très-petite partie de l'enceinte encore visible tracée par ces conquérants. L'existence de Julia Caesarea sur l'emplacement de Cherchel a été prouvée par plusieurs inscriptions trouvées sur place. Les traces de la ville romaine sont les restes de ses remparts, les ruines d'un amphithéâtre et de nombreux pans de murs et de débris d'édifices. La magnificence de ces ruines et de celles que l'on voit dans les environs atteste que les Romains avaient fait de Julia Caesarea le principal siége de leur puissance dans cette contrée. La possession de Césarée leur ouvrait l'accès des plaines et des vallées situées entre le Chélif et le Mazafran. C'est par là qu'ils pénétraient sans peine jusqu'à Médéah et Milianah. Le 16 mars 1840. l'armée française a pris possession de Cherchel, abandonnée par ses habitants.


                                  Arabes irréguliers.

Médéah, capitale de la province de Titteri, à environ 96 kilomètres d'Alger, et à une journée de marche de Blidah, est bâtie en amphithéâtre sur un plateau incliné, au delà de la première chaîne de l'Atlas, que l'on traverse par un chemin très-difficile. Le point culminant, à l'ouest, se trouve dominé par une espèce de fort ou kasbah. Les maisons de Médéah ressemblent beaucoup, par leur construction, à celles du Languedoc, et ont, comme elles, des toits recouverts en tuiles. Les rues sont, en général, plus régulières et plus larges que celles d'Alger. Les habitants sont d'une taille élevée, forts et bien constitués. Dans le pays qui comprend l'ensemble des plateaux de Médéah, les habitants de la campagne n'ont pour demeure que des baraques en paille, joncs et branches d'arbres.

Médéah fut une forteresse romaine, occupant la partie supérieure du mamelon sur lequel la ville est située: elle s'arrêtait à moitié pente vers le sud: des traces de ses anciens remparts existent encore. Depuis, habitée par les diverses races qui se sont successivement remplacées en Afrique, elle s'est accrue en gagnant vers le sud jusqu'au pied même du mamelon: c'est ainsi qu'ont pris naissance la haute-ville et la basse-ville, longtemps séparées l'une de l'autre par une coupure et par une porte. Les Romains avaient une grande route qui joignait Médéah à Milianah. Médéah se trouve à peu près à 1,100 mètres au-dessus du niveau de la mer. En été, les chaleurs y sont grandes mais en hiver, il y fait très-froid. Des vignes, en grand nombre forment la principale culture et produisent un raisin excellent. Médéah, dans sa partie basse, renferme une fontaine très-abondante, d'une bonne, eau et présentant des traces de travaux antiques La ville-haute, l'ancienne forteresse romaine, n'offre aucune source: elle a seulement, dans sa portion déclive, deux puits extrêmement profonds. Pour parer à cet inconvénient si dangereux, les Romains avaient relié à leur citadelle par un chemin incline, couvert par un rempart et par des tours descendant le long de l'escarpement ouest, une magnifique source sortant avec une force extrême de dessous le rocher qui supporte la ville-haute elle-même.

Sidi Ahmed-ben-Youssef, marabout très-vénéré de Milianah, qui a laissé, sur toutes les villes de la Régence, des sentences qui sont devenues des dictons populaires, a dit, en parlant de Médéah: «Médéah, ville d'abondance; si le mal y entre le matin, il en sort le soir.»

Médéah a été occupée quatre fois par les troupes françaises: le 22 novembre 1830, par le général Clauzel; le 29 juin 1831, par le général Berthezene; le 4 avril 1836, par le général Desmichels, sous les ordres du maréchal Clauzel; enfin, et d'une manière définitive, le 17 mai 1840. par le maréchal Valée. Tous ses habitants l'avaient évacuée. Les hostilités de 1839 avaient démontré que, tant qu'on laisserait les Arabes libres dans l'Atlas, ils s'y organiseraient de façon à arriver en force et à l'improviste sur nos établissements de la Métidjah, et pourraient, par suite, nous inquiéter constamment. La garde de la Métidjah étant donc sur les hauteurs de l'Atlas, l'occupation permanente de Médéah fut résolue et effectuée dans ce but. Cette occupation a donné, en outre, à la France, une place qui coupe par le milieu les provinces orientales et occidentales de l'espèce d'empire créé par Abd-el-Kader; elle a porté un rude coup à l'influence du jeune sultan sur les Arabes soumis à sa domination. Médéah sera plus tard la station destinée à assurer les communications et le commerce entre le désert de Sahra et Alger.


                                  Abd-el-Kader.

Milianah a été occupée, le S juin 1840 par l'armée française, qui la trouva livrée aux flammes et abandonnée par ses habitants. La prise de possession de Médéah rendait nécessaire celle de Milianah, qui, par sa position, est la clef de l'intérieur des terres, et qui ouvre l'accès des riches plaines et des fécondes vallées situées entre le Chélif et le Mazafran. Cette petite ville, à 108 kilomètres environ d'Alger et à 60 de Blidah, est située dans une montagne de l'Atlas, sur le versant méridional du Zakkar, à 900 mètres au-dessus du niveau de la mer. Suspendue en quelque sorte au penchant de la montagne, elle est bâtie sur le flanc d'un rocher dont elle borde les crêtes. Sous la domination romaine, Milianah, l'antique Miniana par sa position centrale au milieu d'une riche contrée, devint un foyer de civilisation, une florissante cité, résidence d'une foule de familles de Rome. On y retrouve encore aujourd'hui des traces non équivoques de la domination romaine; un grand nombre de blocs en marbre grisâtre, couverts d'inscriptions, et quelques-uns de figures ou de symboles. Un de ces blocs offre sur ses faces une urne et un cercle; un second représente un homme à cheval, ayant une épée dans une main et un rameau dans l'autre; deux autres portent chacun deux bustes romains d'inégale grandeur. Les maisons de Milianah, toutes composées d'un rez-de-chaussée et d'un étage, sont construites en pisé fortement blanchi à la chaux et renforcé habituellement par des portions en briques; elles sont couvertes en tuiles. Presque toutes renferment des galeries intérieures et quadrilatérales, de forme irrégulière, soutenues assez souvent par des colonnades en pierre et à ogives surbaissées. La ville renferme vingt-cinq mosquées, dont huit sont assez vastes. Comme celles de toutes les villes arabes, ses rues sont étroites et tortueuses; mais des eaux abondantes alimentent, par une multitude de tuyaux souterrains, les fontaines publiques et celles des maisons, pourvues d'ailleurs de plantations d'orangers, citronniers et grenadiers. La garnison a construit de grandes places et percé deux larges rues aboutissant, l'une à la porte Zakkar, l'autre à celle du Chélif. Elle a cherché à tirer parti des richesses naturelles du sol: c'est ainsi qu'elle a établi un four à chaux et une charbonnière, une suiferie, une poterie qui, en peu de temps, a fourni tous les Ustensiles de cuisine et autres dont la ville manquait; une tannerie; enfin une grande usine avec manège, distillateur, réfrigérant, pressoir à vis, etc... où l'on a fabriqué de la bière, du cidre et de l'eau-de-vie de grain. Toutes ces tentatives, qui ont eu le double avantage d'utiliser les loisirs des troupes et d'augmenter leur bien-être, prouvent de quelle importance peut devenir Milianah, envisagée seulement au point de vue industriel.

Tenès est une chétive et sale ville qui, avant Barberousse, a cependant été la capitale d'un petit royaume indépendant. Située au bord de la mer, elle faisait jadis un commerce de blé assez considérable. Une colonne française l'a visitée le 27 décembre 1842; mais elle s'est hâtée de s'éloigner de cette misérable bourgade, qui ne présentait aucune ressource pour le logement et l'approvisionnement des troupes, et est entourée de montagnes stériles. Voici ce que Sidi-Ahmed-ben-Youssef a dit en parlant de Tenès: