Prologue
Le vaisseau de la Terre passa si rapidement devant le soleil Gisser, dépourvu de planètes, que le système d'alarme de la station de surveillance des météorites n’eut pas le temps de réagir. La grande nef apparaissait déjà comme un trait lumineux sur l'écran d'observation quand le Guetteur en prit conscience. Des signaux d'alerte avaient également dû se déclencher à bord du vaisseau, car le point brillant diminua considérablement sa vitesse et, freinant toujours, amorça un ample virage. Maintenant il revenait lentement, s'efforçant de toute évidence de repérer le petit objet qui avait impressionné ses écrans d'énergie.
Quand il arriva à portée optique, il apparut dans lu clarté éblouissante de l'étoile jaune-blanc, plus grand que tout ce qu'on avait vu jusqu'alors parmi les Cinquante Soleils. Cela ressemblait à quelque vaisseau infernal venu du fond de l'espace, à quelque monstre d'un monde semi-mythique, et — bien que ce fût un modèle plus récent — il était reconnaissable comme un bâtiment de guerre de l'Empire Terrien, selon les descriptions des livres d'Histoire.
L'Histoire donnait d'ailleurs de terribles avertissements concernant ce qui arriverait un jour... et ce jour était venu.
Il connaissait son devoir, il y avait un avis d’alerte, l'avertissement appréhendé depuis des ères, à envoyer aux Cinquante Soleils par radio non directionnelle dans le subespace. Et il lui fallait 17
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s'assurer qu'il ne subsisterait pas dans la station de traces révélatrices.
Il n'y eut pas de feu. Tandis que les machines atomiques se dissolvaient sous l'effet de la surcharge, la construction massive qui avait été une sous-station météorologique se résorbait tout simplement en ses divers éléments composants.
Le Guetteur ne fit aucun effort pour se sauver. Il ne fallait pas qu'on puisse sonder les connaissances de son cerveau. Il éprouva un bref spasme de douleur aveuglante quand l'énergie le fractionna en atomes.
Dame Gloria Laurr, capitaine générale du Star Cluster, ne se donna pas la peine d'accompagner l'expédition qui débarqua sur la météorite. Mais elle la suivit d'un regard attentif à travers l'astroplaque. Dès le premier instant où les rayons détecteurs avaient révélé une silhouette humaine dans une station météorologique —
une station en cet endroit — elle avait saisi l'énorme importance de cette découverte. Son esprit en avait instantanément compris les diverses possibilités.
Des stations météorologiques, cela signifiait des voyages interstellaires. Des êtres humains, cela trahissait une origine terrienne. Elle se représentait ce qui avait pu se passer; quelque expédition bien longtemps auparavant; il fallait que ce fût très ancien puisqu'ils disposaient à présent des voyages interstellaires, et cela indiquait également de nombreuses planètes abondamment peuplées.
Sa Majesté serait satisfaite, songeait-elle.
Elle-même l'était. Dans un accès de générosité, elle appela la chambre d'énergie. « Capitaine Glone, » dit- elle d'une voix chaleureuse, « votre promptitude à enfermer toute la météorite dans une sphère d'énergie protectrice est des plus louables et sera récompensée. »
L’homme dont l’image apparaissait sur l’astroplaque s’inclina.
« Je vous remercie, noble dame. Je pense que nous avons sauvé les éléments électroniques et atomiques de toute la station.
Malheureusement, en raison des interférences causées par l'énergie atomique de la station elle-même, je crois comprendre que la section photographique n'a pas eu la chance de prendre des clichés très nets.
»
La femme esquissa un sourire sombre en disant : « L'homme 18
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nous suffira, et il constitue une matrice dont nous n'aurons pas besoin d'épreuves. » Elle coupa la communication, sans cesser de sourire, pour se replonger dans la contemplation de la météorite.
Tout en observant les absorbeurs d'énergie et de matière dans leur rayonnante gloutonnerie, elle songeait : Il s'est inscrit plusieurs tempêtes sur la carte de cette station. Elle les avait vues elle-même avec le rayon détecteur. Et il y en avait eu une très forte. Son grand vaisseau ne pouvait se risquer à grande vitesse tant que le point exact de cette tempête restait douteux.
L'homme avait paru jeune et beau, lors de la brève vision qu'elle en avait eue par l'intermédiaire du rayon. Volontaire et courageux.
Devrait être intéressant, à sa façon de non-civilisé. Naturellement, il faudrait d'abord le conditionner et le vider de toute information pertinente. Même à présent, la moindre erreur pourrait imposer d'entamer de longues et fastidieuses recherches. On pouvait perdre des dizaines d'années sur ces courtes distances de quelques années-lumière où la nef ne pouvait pas accélérer ni maintenir sa vélocité une fois celle-ci atteinte, si elle ne disposait pas de renseignements météo exacts.
Elle vit les hommes quitter la météorite. D'un geste précis, elle coupa l'intercom de bord, procéda à un ajustement et entra dans un transmetteur qui l'amena dans la salle de réception, à huit cents mètres de distance.
L'officier de service s'approcha et salua. Il fronçait les sourcils. «
Je viens de recevoir les épreuves de la Rection photographique. Le flou causé par le brouillard d'énergie sur la carte est tout à fait regrettable. A mon avis, nous devrions tout d'abord nous efforcer de reconstruire le bâtiment et son contenu, en laissant l'homme pour la fin. »
Il parut deviner qu'elle était d'avis différent et poursuivit d'un ton précipité :
— « Après tout, il s'inscrit dans la matrice humaine courante.
Sa reconstruction, tout en étant en principe plus difficile, relève du même principe que votre passage dans le transmetteur entre le pont principal et cette pièce. Dans l'un et l'autre cas, il se produit une dissolution des éléments... qu'il faut rassembler ensuite sous leur forme originelle. »
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— « Mais pourquoi le laisser pour la fin ? » s'enquit-elle.
— « Pour diverses raisons techniques inhérentes à la complexité accrue des objets inanimés. Comme vous le savez, la matière organique n'est guère plus qu'une composition d'hydrocarbones, assez facile à reconstituer. »
— « Très bien. » Pour elle, il n'était pas prouvé que l'homme et son cerveau, avec les connaissances qui lui avaient permis de dresser la carte, fussent moins importants que la carte elle-même. Mais si l'on pouvait avoir l'un et l'autre... Elle hocha la tête, sa décision prise
: « Allez-y. »
Elle observa le bâtiment qui prenait forme dans le grand récepteur. Il en sortit enfin, soutenu par des ailerons anti gravité, et fut déposé au centre de l'énorme plancher métallique. Le technicien descendit de sa cabine de contrôle en secouant la tête. Il la guida, ainsi qu'une demi-douzaine d'autres, arrivés entre- temps, à travers la station météo reconstruite, leur en signalant les défauts.
— « Il n'y a que vingt-sept positions de soleils sur cette carte, »
dit-il. « C'est ridiculement peu, en admettant même que ces gens ne soient organisés que pour un secteur réduit de l'espace. En outre, voyez la quantité de tempêtes signalées, dont certaines très au-delà de la zone des soleils reconstitués, et... » Il s'interrompit, les yeux fixés sur le plancher ombreux, derrière une machine, à six ou sept mètres de distance.
Le regard de la femme suivit le sien. Un homme gisait là, et son corps se tordait. « Je croyais, » fit- elle, le front plissé, « que nous garderions l'homme pour la fin »
Le spécialiste s'excusa : « Mon assistant a dû mal comprendre.
On a... »
Elle le coupa : « Peu importe. Envoyez-le tout de suite à la
Psychologie, et dites au lieutenant Neslor que je la rejoins dans un moment.
— « Tout de suite, noble dame »
— « Attendez ! Mes compliments au chef-météo et priez-le de
venir examiner cette carte pour me faire part de ses conclusions. »
Elle pivota vers le groupe, en riant de toutes ses dents blanches et bien plantées. « Par l'Espace ! Voici enfin du mouvement après dix mornes années de relevés. Nous allons débusquer à bref délai ces 20
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joueurs de cache-cache ! »
L'enthousiasme l'envahissait comme une force vivante.
Le plus étrange pour le Guetteur, ce fut de savoir avant même de s'éveiller pourquoi il était encore en vie. Pas longtemps avant. Il sentait revenir sa conscience. D'instinct il commença ses exercices delliens préalables au réveil : muscles, nerfs et cerveau. En plein Milieu du curieux système rythmique, son cerveau s'arrêta devant une hypothèse terrifiante .
Un retour à la connaissance ? Pour lui !
Il en était à ce point, le cerveau prêt à éclater dans son crâne sous ce choc, quand il prit conscience de ce qui avait été fait. Il devint calme, pensif. Il regardait fixement la jeune femme allongée sur une chaise longue prés de son lit. Elle avait un beau visage ovale et l'air bien distingué pour une si jeune personne. Elle l'étudiait, de ses yeux gris étincelants. Sous ce regard persistant, il sentit son esprit s'immobiliser. La pensée vint enfin : « On m'a conditionné pour un réveil sans douleur . Qu'ont - ils fait d'autre ? Qu'ont-ils... appris ? »
Cette pensée s'amplifia jusqu'à lui gonfler le crâne, lui semblait-il : QUOI D'AUTRE ?
Il constata que la femme lui souriait, d'un sourire vaguement amusé. Ce lui fut comme un tonique. Il devint encore plus calme quand elle lui dit, de sa voix d'argent : « Ne vous inquiétez pas. Du moins, pas trop. Comment vous appelez-vous ? »
Le Guetteur ouvrit les lèvres, puis les referma et secoua sombrement la tête. Il eut alors l'impulsion d'expliquer que répondre ne serait-ce qu'à une seule question briserait l'emprise de l'inertie mentale dellienne et aurait pour résultat la révélation de renseignements de valeur. Mais cet aveu eût encore été en soi une défaite de nature différente. Il se tut et continua de secouer la tête.
Il constata que la jeune femme fronçait les sourcils. Elle lui dit :
« Vous refusez de répondre à une question aussi élémentaire ? Votre nom ne saurait certes pas vous causer de tort. »
D'abord son nom, songeait le Guetteur, puis sa planète d'origine, où se trouvait ladite planète par rapport au soleil Gisser, et que savez-vous des tempêtes prévues ? Et ainsi de suite. C'était sans fin.
Chaque journée pendant laquelle il pourrait refuser à ces gens les renseignements qu'ils désiraient donnerait d'autant plus de temps aux 21
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Cinquante Soleils pour s'organiser contre la plus grande machine qui n’eût jamais volé dans ce secteur de l'espace.
Ses pensées se dissipèrent. La femme s'était redressée et avait maintenant un regard d'acier. Sa voix prit des résonances métalliques quand elle lui déclara : « Sachez donc, qui que vous soyez, que vous êtes à bord du vaisseau de guerre impérial Star Cluster, capitaine générale Laurr, à votre service. Sachez donc aussi que c'est notre volonté inébranlable que vous nous prépariez à adopter une orbite qui mènera en toute sûreté notre vaisseau jusqu'à votre planète maîtresse. »
Elle poursuivit d'un ton vibrant : « Je suis persuadée que vous savez déjà que la Terre ne reconnaît aucun gouvernement distinct.
L'espace est indivisible. L'univers ne deviendra pas une région d'innombrables peuples souverains guerroyant pour se disputer la puissance. Telle est la loi. Ceux qui se dressent contre elle se mettent hors-la-loi et subiront tout châtiment auquel ils pourront être condamnés selon les cas. Prenez garde. »
Sans attendre de réponse, elle tourna la tête. « Lieutenant Neslor,
» dit-elle au mur dressé devant le Guetteur, « avez-vous un peu avancé ? »
Une voix féminine répondit : « Oui, noble dame. J'ai dressé un tableau d'ensemble fondé sur les études menées par Muir-Grayson sur les peuples coloniaux qui se sont trouvés isolés de la branche maîtresse de la vie galactique. Il n'existe pas de précédent historique d'une isolation aussi prolongée que celle qui semble avoir régné ici.
J'ai donc décidé de présumer qu'ils ont dépassé la période statique et accompli des progrès personnels. Toutefois, je crois que nous devrions commencer très simplement. Quelques réponses obtenues de force rendront son cerveau accessible à des pressions supplémentaires; et, en attendant, nous pourrons tirer des conclusions précieuses de la promptitude avec laquelle il adaptera sa résistance à la machine cervicale. Dois-je commencer ? »
La femme allongée fit un signe affirmatif. Il y eut un éclair sur la paroi face au Guetteur. Il s'efforça de l'esquiver et s'aperçut pour la première fois que quelque chose le maintenait sur son lit. Ni une corde, ni une chaîne, ni quoi que ce soit de visible. Mais c'était aussi tangible qu'un souple ruban d'acier.
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Avant qu'il ait pu y réfléchir, il avait la lumière dans les yeux, dans l'esprit, un éclat étourdissant, furieux, vibratoire. Des voix paraissaient passer au travers, des voix dansantes et chantantes qui parlaient dans son cerveau :
— « Une question aussi simple... bien sûr, j'y réponds... bien sûr, bien sûr, bien sûr... Je m'appelle le Guetteur de Gisser. Je suis né sur la planète Kaider III, de parents delliens. Il y a soixante-dix planètes habitées, cinquante soleils, trente milliards d'habitants, quatre cents tempêtes importantes, dont la plus forte sous la latitude 473. Le gouvernement central siège sur la merveilleuse planète Cassidor VII... »
Horrifié de ce qu'il faisait, le Guetteur saisit son esprit rugissant dans un nœud dellien et stoppa net ce flot dévastateur de révélations.
Il savait qu'on ne le prendrait jamais plus de la même manière, mais... trop tard, songea-t-il, bien trop tard !
La femme n'en était pas tellement sûre. Elle sortit de la pièce et revint aussitôt à l'endroit où la femme d'âge moyen, le lieutenant Neslor, classait sur les bobines réceptrices ce qu'elle avait appris.
La psychologue leva la tête et dit d'une voix stupéfaite : « Noble dame, sa résistance pendant l'instant d'arrêt s'est enregistrée à l'équivalent d'un Quotient d'Intelligence 800. Or, c'est absolument impossible, surtout qu'il a commencé à parler à un point de pression équivalent à un Q.I. 167, ce qui s'accorde avec son apparence générale et qui est, vous le savez, la moyenne. Il doit y avoir derrière sa résistance un système d'entraînement de l'esprit. Et je pense en avoir trouvé un indice quand il a fait mention de ses ancêtres delliens. L'intensité de son graphique a augmenté au carré quand il a employé ce mot. C'est très grave et cela peut nous retarder beaucoup... à moins que nous ne soyons prêts à lui rompre l'esprit. »
La capitaine générale secoua négativement la tête et se contenta de dire : « Tenez-moi au courant des développements ultérieurs. »
En retournant au transmetteur, elle s'arrêta pour vérifier la position du vaisseau. Un triste sourire lui effleura les lèvres quand elle vit sur le réflecteur l'ombre d'un bâtiment tournant autour de l'ombre plus claire d'un soleil. Du surplace, songea-t-elle, traversée d'un frisson glacé, d'un pressentiment. Etait-il possible qu'un seul homme pût retenir un vaisseau assez puissant pour conquérir toute 23
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une galaxie ?
Le chef météo du bord, le lieutenant Cannons, se leva de son fauteuil quand elle se dirigea vers lui sur le vaste plancher de la salle des transmissions où se trouvait encore la station météo des Cinquante Soleils. Il avait des cheveux grisonnants et il était très vieux, se rappelait-elle, très vieux. En approchant de lui , elle se disait
: Le pouls de la vie bat plus lentement chez ces hommes qui observent les grandes tempêtes de l'espace. Ils doivent tout considérer avec un sentiment de futilité, en dehors du temps. Des tempêtes qui mettaient un siècle ou davantage pour arriver à leur pleine maturité grondante, de telles tempêtes et les hommes qui les cataloguaient devaient atteindre à une sorte d'affinité d'esprit. Et cette lente majesté était aussi dans sa voix quand il s'inclina non sans grâce pour lui dire : « Capitaine générale, Très Honorable Gloria Cecily, Dame Laurr des Nobles Laurr, votre présence personnelle m'honore grandement. »
Elle accepta le compliment puis elle déroula la bobine à son intention. Il écouta, le front plissé, et déclara : «La latitude qu'il a donnée pour la tempête est une quantité dénuée de signification. Ces incroyables personnages ont construit un système de rapports solaires dans le Grand Nuage de Magellan, dont le centre est purement arbitraire et sans aucune relation identifiable avec le centre magnétique du Nuage tout entier. Ils ont probablement choisi quelque soleil qu'ils ont appelé centre, puis ils ont bâti tout autour leur propre géographie spatiale. »
Le vieil homme se détourna brusquement d'elle et la conduisit dans la station météorologique, au bord de la fosse au-dessus de laquelle était suspendue la carte météo reconstituée.
— « Cette carte est pour nous absolument sans valeur, » dit-il posément.
— « Comment ? »
Elle se rendit compte qu'il la contemplait fixement, de ses yeux bleus faïence, tout pensifs. « Dites-moi, quelle idée vous faites-vous de cette carte ? »
La femme restait silencieuse, peu encline à s'engager devant tant de certitude. Puis elle fronça les sourcils et dit : « Mon impression est assez semblable à la vôtre. Ils ont ici un système qui leur est propre.
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Tout ce que nous avons à faire, c'est d'en trouver la clé. »
Elle poursuivit, d'un ton plus assuré : « Il me semble que notre problème essentiel est de décider dans quelle direction nous devons nous diriger au voisinage immédiat de la station météo que nous avons découverte. Si nous choisissons la mauvaise direction, il s'ensuivra des retards pénibles, et, d'un bout à l'autre, notre obstacle principal sera le fait que nous n'oserons pas aller vite à cause des tempêtes possibles. »
Elle lui lança un coup d'œil interrogateur en terminant et vit qu'il secouait gravement la tête.
— « Je crains bien que ce ne soit pas aussi simple, » répondit-il.
« Ces points brillants, qui sont des répliques de soleils, paraissent avoir les dimensions d'un petit pois à cause de la distorsion de la lumière, mais quand on les examine dans un métroscope, ils ne trahissent qu'un diamètre de quelques molécules. Si c'est bien leur proportion par rapport aux soleils qu'ils représentent... »
Elle avait appris, en des moments de véritable crise, à dissimuler ses sentiments à ses subordonnés. A présent, bien qu'intérieurement stupéfaite, elle restait apparemment froide, pensive, calme. Elle se décida enfin : « Vous voulez dire que chacun de ces soleils, de leurs soleils, est enterré parmi un millier d'autres soleils ? »
— « Pire que cela. A mon avis, ils n'habitent qu'un seul système sur dix mille. Il ne faut jamais oublier que le Grand Nuage de Magellan est un univers de plus de cinquante millions d'étoiles. Cela fait beaucoup de soleils. » Ce fut d'un ton posé que le vieillard conclut : « Si vous le désirez, je vais calculer des orbites comportant des vélocités maximales de dix jours-lumière par minute vers toutes les étoiles les plus proches. Nous aurons peut-être de la chance. »
La femme secoua farouchement la tête. « Un sur dix mille ! Ne dites pas de bêtises. Il se trouve que je connais la loi des moyennes par rapport à dix mille. Il nous faudrait visiter au minimum deux mille cinq cents soleils avec de la chance, et de trente-cinq à cinquante mille si nous n'en avions pas. Non, non... » — Un sombre sourire lui comprima les lèvres — « ... nous n'allons pas consacrer cinq cents ans à chercher une aiguille dans une meule de foin. Je m'en remettrai à la psychologie plutôt qu'à la chance. Nous
détenons l'homme qui comprend cette carte, et même si cela nous 25
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prend du temps, il finira bien par parler. »
Elle allait pivoter, mais elle se reprit : «Et le bâtiment lui-même ?
» s'enquit-elle. « Sa conception vous a-t-elle permis d'arriver à des conclusions ? »
Il hocha la tête affirmativement. « Il est du modèle qu'on utilisait dans la galaxie il y a environ quinze mille ans. »
— « Des améliorations, des modifications ? »
— « Aucune que j'aie remarquée. Un seul observateur pour faire tout le travail. C'est simple, primitif même. »
Elle resta plantée, pensive, secouant la tête comme pour dissiper un brouillard passager. « Cela paraît étrange. Au bout de quinze mille ans, ils auraient dû au moins ajouter quelque chose. Les colonies sont statiques en général, c'est vrai, mais pas à ce point. »
Trois heures après, elle étudiait des comptes rendus journaliers quand son astro sonna doucement par deux fois. Deux messages...
Le premier émanait du Centre psychologique, une seule question
: « Sommes-nous autorisés à briser le cerveau du prisonnier ? »
— « Non ! » dit la capitaine générale Laurr.
La seconde question l'incita à jeter un coup d'œil sur le tableau d'orbites. Il brillait de symboles relatifs aux diverses orbites à l'étude.
Ce sacré vieillard, qui désobéissait à son ordre de NE PAS préparer d'orbites ! Avec un sourire torve, elle alla étudier de près les points brillants, et finalement, elle communiqua un ordre aux machines centrales. Elle observa son grand vaisseau qui plongeait dans la nuit.
Après tout, songeait-elle, cela se faisait, de jouer deux parties à la fois. Le contrepoint était beaucoup plus ancien dans les rapports entre humains qu'en musique.
Le premier jour, elle contempla la planète extérieure d'un soleil blanc-bleu. Elle flottait dans les ténèbres sous le vaisseau, masse sans atmosphère de roche et de métal, aussi terrible et sinistre que n'importe quelle météorite, un monde de vallées et de montagnes préhistoriques où n'était pas passé le souffle de la vie. Les rayons détecteurs ne révélaient que roc, roc sans fin, pas un signe de mouvement actuel ou même passé.
Il y avait trois autres planètes dont l'une était un monde chaud et vert où les vents soupiraient à travers les forêts vierges, où des animaux abondaient dans les plaines. Mais il n'y avait pas une 26
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maison, pas une silhouette humaine dressée.
La voix sombre, la femme demanda dans l'intercom de bord : «
A quelle profondeur exacte nos rayons détecteurs peuvent-ils pénétrer le sol ? »
— « Cent pieds. »
— « Existe-t-il des métaux qui puissent simuler une épaisseur de cent pieds de terre ? »
— « Plusieurs, noble dame. »
Mécontente, elle coupa le contact. De toute la journée, il n'y eut plus d'appel du Centre psychologique.
Le second jour, un soleil rouge géant entra dans son champ de vision. Quatre-vingt-quatorze planètes tournoyaient sur leurs vastes orbites autour de leur père massif. Deux étaient habitables, mais, là encore, régnaient la végétation sauvage et les animaux qu'on ne trouve en général que sur les planètes que n'ont pas touchées la main de l'homme et le métal de la civilisation.
Le chef zoologiste en rendit compte en termes précis : « Le pourcentage des animaux correspond à la moyenne relevée pour les mondes non habités par des êtres intelligents. »
La femme lança sèchement : « Vous est-il venu à l'idée qu'on a pu instaurer une doctrine en vue de conserver délibérément une abondante vie animale, ainsi que des lois interdisant de cultiver le sol, même pour le simple agrément ? »
Elle n'attendait pas de réponse et n'en reçut pas. Et, cette fois encore, elle resta sans nouvelles du lieutenant Neslor, le chef de la Section psychologique.
Le troisième soleil était plus éloigné. Elle fit porter la vélocité à vingt jours-lumière par minute... et subit un brutal rappel à l'ordre quand le vaisseau se heurta à une petite tempête. Ce devait en effet être une faible perturbation car le frissonnement du métal commençait à peine qu'il cessait aussitôt.
Plus tard, elle déclara aux trente capitaines rassemblés dans la salle de délibération : « Il a été question que nous regagnions la galaxie pour demander qu'une autre expédition vienne découvrir ces lascars si bien cachés. Un des comptes rendus les plus geignards qui me soient parvenus avance qu'en somme nous étions en route pour rentrer quand nous avons fait notre découverte et que nos dix années 27
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passées dans le Nuage méritent bien un repos. »
Ses yeux gris flamboyaient, sa voix était devenue glaciale. «
Vous pouvez être certains que ceux qui sont en faveur d'un tel défaitisme ne sont pas ceux qui auraient à rendre personnellement compte de l'échec au gouvernement de Sa Majesté. Permettez-moi donc d'affirmer à ceux qui ont le cœur faible et à ceux qui souffrent de nostalgie que nous resterons ici dix ans encore si cela s'avère nécessaire. Dites aux officiers et aux hommes de se conduire en conséquence. C'est tout. »
De retour sur le pont principal, elle constata qu'il n'y avait toujours pas eu d'appel de la Psychologie. Il lui restait un fond de colère et d'impatience quand elle composa le numéro d'appel. Mais elle se domina quand apparut sur la plaque le visage intelligent et concentré du lieutenant Neslor.
— « Que se passe-t-il, lieutenant ? » fit-elle. « J'attends avec impatience de nouveaux renseignements fournis par le prisonnier. »
La psychologue secoua la tête : « Rien à signaler. »
— « Rien ! » La stupeur sonnait durement dans sa voix.
— « J'ai demandé à deux reprises l'autorisation de lui briser l'esprit. Vous deviez bien savoir que je n'aurais pas suggéré à la légère une solution aussi radicale. »
— « Oh ! » Elle l'avait su, mais la désapprobation des gens, au retour, la nécessité de justifier toute action amorale contre des individus, tout cela l'avait incitée à, refuser automatiquement.
Maintenant... Avant qu'elle ait pu parler, la psychologue avait repris :
— « Je me suis efforcée de le conditionner dans son sommeil, en soulignant l'inutilité de résister à la Terre quand la découverte est certaine un jour ou l'autre. Mais cela l'a seulement convaincu que ses révélations antérieures ne nous avaient été d'aucun profit. »
Le chef retrouva sa voix. « Vous m'affirmez donc, lieutenant, que vous ne voyez pas d'autre solution que la violence ? Rien d'autre
? »
Sur l'astroplaque, le visage fit un signe négatif. La psychologue ajouta simplement : « Un Q.I. de résistance de 800 dans un cerveau de 167 de Q.I., c'est quelque chose de tout à fait nouveau dans mon expérience personnelle. »
La femme fut prise d'un immense étonnement. « Je n'arrive pas à 28
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comprendre, » se plaignit-elle. « J'ai le sentiment que nous avons négligé un indice majeur. Nous rencontrons à l'improviste une station météorologique dans un système de cinquante millions de soleils, une station dans laquelle vit un être humain qui, contrairement à toutes les lois naturelles de conservation, se tue immédiatement pour éviter de nous tomber dans les mains. La station elle-même est d'un modèle galactique ancien et ne montre aucun progrès accompli en quinze mille ans. Et pourtant l'énormité du temps écoulé et le développement des cerveaux en cause indiquent que toutes les modifications qui s'imposaient auraient dû y être apportées. Et le nom de cet homme, le Guetteur, est absolument caractéristique de l'antique coutume terrienne qui consistait à nommer les gens d'après leur métier, avant les voyages dans l'espace. Il est même possible que le soleil près du quel il veillait ait été surveillé par sa famille héréditairement. Il y a là quelque chose de... déprimant... il y a quelque part... »
Elle s'interrompit, le sourcil froncé. « Quels sont vos plans ? »
Au bout d'une minute, elle hocha affirmativement la tête. « Je vois...
Très bien, conduisez-le dans une des chambres du pont principal. Et ne pensez plus à cette idée de donner mon apparence à une de nos filles aux gros bras ! Je ferai tout le nécessaire moi- même. Demain.
Parfait. »
Elle contemplait froidement l'image du prisonnier sur la plaque.
L'homme, le Guetteur, était étendu sur le lit, presque immobile, les yeux clos, mais le visage curieusement tendu. Elle songea qu'il avait bien l'air d'un homme qui s'aperçoit que, pour la première fois depuis quatre jours, on a retiré les invisibles lignes de force qui l'attachaient.
Près d'elle, la psychologue souffla : « Il est encore soupçonneux et il le restera sans doute jusqu'à ce que vous ayez partiellement soulagé son esprit. Ses réactions générales se concentreront de plus en plus sur un plan unique. Chaque minute qui s'écoule renforce sa conviction qu'il n'aura qu'une seule chance de détruire notre vaisseau et qu'il doit se montrer impitoyable, quels que soient les risques. Il y a une dizaine d'heures que je le conditionne à nous résister d'une façon très subtile. Vous verrez dans un instant... Ah ! »
Le Guetteur s'était assis sur le lit. Il tira une jambe de sous les draps, puis se glissa en avant et se mit debout. Le mouvement avait 29
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une puissance insolite. Il resta dressé un instant, haute silhouette en pyjama. Il avait de toute évidence prévu ses premiers actes car, après un coup d'œil à la porte, il s'approcha de la commode ménagée dans une cloison et tenta d'ouvrir les tiroirs. Puis, comme sans effort, il les ouvrit un à un, arrachant les serrures.
Elle poussa un soupir qui fit écho à celui de la psychologue.
— « Juste ciel ! » s'écria enfin la psychologue. « Ne me demandez pas de vous expliquer comment il peut fracturer ces serrures. Sa force doit être un sous-produit de son entraînement dellien. Noble dame... »
Elle s'exprimait sur un ton d'anxiété. La capitaine générale la regarda : « Oui ? »
— « Croyez-vous que, dans ces circonstances, vous devriez prendre une telle part personnelle à sa soumission ? Il paraît avoir une telle force qu'il fracasserait le corps de n'importe quel membre de notre bord... » Un geste impérieux la coupa. « Je ne peux pas courir le risque qu'un imbécile commette une faute, » dit la Très Honorable Gloria Cecily. « J'avalerai une pilule antidouleur. Dites-moi quand le moment d'entrer sera venu. »
Le Guetteur se sentait froid et contracté en pénétrant dans la chambre des instruments du pont principal. Il avait trouvé ses vêtements dans les tiroirs brisés. Il ignorait qu'ils y fussent, mais les tiroirs avaient excité sa curiosité. Il exécuta les mouvements delliens préalables aux mouvements de surénergie, et les serrures sautèrent sous l'effet de sa force accrue.
Immobile sur le seuil, il promena les yeux autour de la vaste pièce en forme de dôme. Au bout d'un moment, la terrible appréhension qu'il avait de voir sa race et lui-même perdus à jamais le quitta sous une nouvelle bouffée d'espoir. Il était réellement libre.
Ces gens ne pouvaient pas avoir le moindre soupçon de la vérité.
Joseph M. Dell, le grand génie, devait être un homme oublié sur la Terre. Bien sûr, si on le libérait ainsi, c'était à cause d'un plan, mais...
« La mort ! » songea-t-il farouchement. « La mort pour eux tous, comme ils l'infligeaient en un temps, comme ils le feront de nouveau.
»
Il examinait les rangées innombrables de panneaux de commande quand, du coin de l’œil, il vit la femme s'écarter de la 30
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cloison voisine. Il leva la tête et se dit avec une joie sauvage : le chef
! Naturellement, il y aurait des armes pour la protéger, mais ils ignoraient que depuis plusieurs jours il s'était frénétiquement torturé le cerveau pour trouver comment les forcer à utiliser leurs armes.
Il était impossible qu'ils fussent prêts à recueillir une seconde fois ses éléments composants. Cet acte même de le libérer indiquait que leurs intentions étaient d'ordre psychologique.
Avant qu'il pût parler, la femme lui disait en souriant : « Je ne devrais vraiment pas vous permettre d'étudier ces commandes. Mais nous avons décidé d'adopter une tactique différente avec vous.
Liberté d'aller partout à bord, possibilité de faire connaissance avec l'équipage. Nous voulons vous convaincre... vous convaincre... »
Elle dut sentir en lui cette froideur, cette implacabilité. Elle hésita, s'ébroua, visiblement contrariée de sa propre attitude, puis elle affermit son sourire et poursuivit, d'un ton persuasif : « Nous voulons vous prouver que nous ne sommes pas des ogres. Nous voulons apaiser vos inquiétudes quant au sort que nous réservons à votre peuple. A présent que nous vous avons rencontré, vous devez savoir que la découverte de votre monde n'est plus qu'affaire de temps. La Terre n'est ni cruelle ni dominatrice, du moins elle ne l'est plus. Il n'est exigé que le strict minimum de loyauté, et encore envers la seule idée d'unité commune, d'indivisibilité de l'espace. Il est également exigé que le droit criminel soit le même partout et que les travailleurs touchent un salaire minimum assez élevé. En outre, les guerres de toute espèce sont interdites. En dehors de quoi, toute planète ou groupe de planètes peut avoir sa propre forme de gouvernement, commercer avec qui bon lui semble, vivre sa propre vie. Il n'y a sûrement dans tout cela rien d'assez horrible pour justifier l'étrange tentative de suicide à laquelle vous vous êtes livré quand nous avons découvert la station météorologique. »
Pour commencer, songeait-il en l'écoutant, il lui fracasserait la tête. Le meilleur moyen serait de l'empoigner par les pieds pour l'écraser contre la paroi ou le plancher métalliques. Les os seraient facilement broyés et cet acte servirait deux fins essentielles : ce serait un atroce mais salutaire avertissement pour les autres officiers, et cela attirerait sur lui le feu mortel de leurs gardes. Dans ces espaces réduits, ils comprendraient trop tard que seules les flammes 31
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pouvaient l'arrêter.
Il fit un pas vers elle. Il entama la série de mouvements nerveux et musculaires à peine perceptibles nécessaires pour gonfler de capacités surhumaines son corps dellien.
La femme parlait : « Vous nous avez déclaré que votre race a peuplé cinquante soleils dans cet espace. Pourquoi cinquante seulement ? Dans douze mille ans ou plus, il ne serait pas impossible de parvenir à une population de douze mille milliards d'habitants. »
Il fit encore un pas, puis un autre. Puis il comprit qu'il devait parler s'il espérait la laisser sans soupçons durant les quelques secondes vitales qu'il mettrait à s'approcher. De plus en plus près. Il répondit : « Environ les deux tiers de nos mariages sont stériles. C'est malheureux, mais vous comprenez, nous sommes de deux types différents, et quand il se produit des mariages entre les deux types, ce qui est parfaitement courant... »
Il était presque assez près. Il l'entendit demander : « Vous voulez dire qu'il est intervenu une mutation et que les deux espèces sont incompatibles ? »
Il n'avait pas à répondre. Il n'était qu'à dix pieds d'elle; tel un tigre, il bondit dans l'espace libre.
Le premier rayon ardent lui déchira le corps, trop bas pour être mortel, mais il lui causa une nausée d'ébouillantement et une terrible lourdeur. Il entendit la capitaine générale crier « Lieutenant Neslor, que faites-vous ? »
Il la tenait à présent. Il s'accrochait des doigts au bras qu'elle avait relevé pour se protéger quand le second coup l'atteignit haut dans les côtes, lui amenant un flot de sang écumeux à la bouche. En dépit de toute sa volonté, il sentit ses mains qui lâchaient prise. Oh, par l'espace ! Comme il eût aimé l'entraîner avec lui au royaume des morts !
Une fois encore la femme cria : « Lieutenant Neslor ! Etes-vous folle ? Cessez le feu! »
Juste avant que le troisième rayon le brûle avec une violence indescriptible, il songea, sardonique jusqu'à la fin : « Elle ne soupçonnait toujours rien. Mais il y avait quelqu'un d'autre; quelqu'un qui avait deviné la vérité en cet ultime instant. »
— « Trop tard, trop tard, imbéciles ! » se dit-il encore. « Allez-32
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y, cherchez. Ils ont eu un délai, ils ont eu le temps de se cacher encore mieux. Et les Cinquante Soleils sont dispersés parmi un million d'étoiles, parmi... »
La mort coupa le fil de sa pensée.
La femme se releva et resta étourdie, à s'efforcer de remettre en ordre ses idées durement secouées. Elle se rendit vaguement compte que le lieutenant Neslor arrivait par un transmetteur, s'arrêtait devant le cadavre du Guetteur, puis s'empressait vers elle.
— « Comment vous sentez-vous, ma chère ? C'était si difficile de tirer à travers une astroplaque que... »
— « Folle que vous êtes ! » La capitaine générale reprit haleine.
« Ne savez-vous pas qu'on ne peut reconstituer un corps une fois les organes vitaux détruits par le feu ? C'est la seule méthode définitive.
Nous devrons rentrer sans... » Elle s'interrompit. La psychologue la regardait fixement.
Elle répondit : « Il n'y avait pas à se tromper sur ses intentions agressives, et c'était trop tôt, selon mes graphiques. Tout du long, il a été en désaccord avec la psychologie humaine. Au tout dernier moment, je me suis souvenu de Joseph Dell et du massacre des surhommes delliens il y a quinze mille ans. Fantastique de penser qu'il s'en soit échappé quelques-uns pour fonder une civilisation dans ce coin reculé de l'espace. Voyez-vous clair, à présent ? Dellien... du nom de Joseph M. Dell... l'inventeur du parfait robot dellien. »
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Chapitre 1
Le haut-parleur de la rue s'anima. Une voix d'homme annonça d'un ton sonore :
— « A l'attention des citoyens des planètes des Cinquante Soleils. Ici le vaisseau de combat de la Terre, Star Cluster. Dans quelques instants, la Très Honorable Gloria Cecily, Dame Laurr des Nobles Laurr, capitaine générale du Star Cluster, va vous entretenir.
»
Maltby, qui se dirigeait vers une voiture aérienne, s'immobilisa en entendant la voix à la radio. Il constata que d'autres s'arrêtaient aussi.
Lant était pour lui une planète nouvelle ; sa capitale avait une allure délicieusement rurale après Cassidor à la dense population, où se trouvait la base de la Marine Spatiale des Cinquante Soleils. Son propre vaisseau avait atterri la veille, conformément à des instructions générales ordonnant à tous les bâtiments de chercher immédiatement refuge sur la planète habitée la plus proche.
C'était un ordre d'urgence, qui laissait percer la panique. D'après ce qu'il avait entendu murmurer au mess des officiers, il était évident que c'était en rapport avec ce vaisseau terrien dont l'émission était en ce moment retransmise par tout le système d'alerte générale.
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La voix de l'homme à la radio disait d'un ton impressionnant : «
Et voici Dame Laurr. »
La voix ferme, claire et argentine d'une jeune femme commença
:
— « Peuples des Cinquante Soleils, nous savons que vous êtes à l'écoute.
Depuis plusieurs années, mon vaisseau, le Star Cluster, procède au relevé cartographique du Grand Nuage de Magellan. Nous sommes tombés par hasard sur une de vos stations météorologiques et nous en avons capturé le Gardien. Avant qu'il ait réussi à se supprimer, nous avons appris qu'il existe quelque part dans ce nuage de cent millions d'étoiles cinquante systèmes solaires habités, soit au total soixante-dix planètes où vivent des êtres humains.
Nous avons l'intention de vous découvrir, bien qu'il semble à première vue que cela nous soit impossible. Repérer cinquante soleils parmi cent millions d'étoiles paraît difficile rien que du point de vue mathématique. Mais nous avons trouvé au problème une solution qui n'est que partiellement mécanique.
Ecoutez-moi bien, à présent, peuples des Cinquante Soleils.
Nous savons qui vous êtes. Nous savons que vous êtes des robots delliens et non delliens... comme on vous appelle; non pas des robots en réalité, mais des humanoïdes de chair et de sang. Et en parcourant nos livres d'Histoire, nous avons eu connaissance des ridicules émeutes d'il y a quinze mille ans, qui vous ont effrayés et vous ont incités à quitter la galaxie principale pour chercher refuge loin de la civilisation humaine.
C'est long, quinze mille ans. Les hommes ont changé. Les déplaisants incidents dont ont souffert vos ancêtres ne sont plus possibles. Je vous dis ceci pour que vous mettiez un terme à vos craintes. Parce qu'il vous faut rentrer dans la norme. Il faut vous joindre à l'Union Galactique Terrienne, accepter un certain minimum de règles et organiser des ports de commerce interstellaire Etant données les raisons particulières que vous aviez de vous cacher, il vous est accordé une semaine sidérale pour nous révéler la position de vos planètes. Pendant ce temps, nous ne bougerons pas.
Après ce temps, il y aura pour toute journée sidérale passée sans que le contact soit établi une pénalité appropriée.
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Mais vous pouvez être certains d'une chose : nous vous trouverons, et rapidement ! »
Le haut-parleur se tut, comme pour bien laisser les auditeurs se pénétrer de la signification de ces paroles. Près de Maltby, un homme observa : « Un seul vaisseau. Pourquoi aurions-nous peur ?
Détruisons-le avant qu'il puisse retourner dans la galaxie signaler notre existence. »
Une femme fit, d'un ton angoissé : « Dit-elle la vérité, ou est-ce un bluff ? Croit-elle vraiment pouvoir nous repérer ? »
Un second homme prit la parole, la voix rude : « C'est impossible. C'est le vieux problème de l'aiguille dans la meule de foin, et pire encore ! »
Maltby resta silencieux, mais il avait tendance à penser ainsi. Il lui semblait bien que la capitaine générale Laurr, du vaisseau terrien, sifflait dans le noir le plus profond qui eût jamais dissimulé une civilisation.
A la radio, la Très Honorable Gloria Cecily avait repris le fil de son discours :
— « Au cas où votre façon de mesurer le temps ne serait pas identique à la nôtre, la journée sidérale comporte vingt heures de cent minutes chacune. Il y a cent secondes dans une minute et pendant cette seconde, la lumière parcourt exactement 160 000 kilomètres.
Notre journée est un tant soit peu plus longue que celle de l'ancien temps où la minute était de soixante secondes et la vitesse de la lumière de 300 000 kilomètres à la seconde.
Comportez-vous en conséquence. Dans une semaine à compter d'aujourd'hui, je vous rappellerai. »
Il y eut un silence. Puis une voix d'homme — pas celle qui avait annoncé la femme — dit :
— « Citoyens des Cinquante Soleils, c'était un message en différé. Il a été prononcé il y a environ une heure et a été diffusé sur les instructions du Conseil des Cinquante Soleils conformément à notre désir de tenir la population au courant de l'évolution continue de cette situation, la plus dangereuse qui nous ait jamais menacés.
Poursuivez vos travaux quotidiens et soyez assurés que nous faisons tout notre possible. Des renseignements complémentaires vous seront donnés au fur et à mesure de leur réception.
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Mission Stellaire
C'est tout pour le moment. »
Maltby embarqua dans la voiture aérienne qui s'était posée à son signal. Alors qu'il prenait un siège libre, une femme se déplaça pour venir s'asseoir près de lui. Il éprouva une très faible sensation de traction dans son esprit. Ses yeux s'écarquillèrent un peu, mais il ne trahit pas autrement qu'il eût connaissance du coup de sonde mental de la femme qui l'espionnait.
Elle lui demanda au bout d'un moment : « Avez-vous entendu l'émission ? »
— « Oui. »
— « Qu'en pensez-vous ? »
— « Le commandant paraissait savoir ce qu'il disait. »
— « Avez-vous remarqué qu'elle nous a tous reconnus, nous habitants des Cinquante Soleils, comme des robots delliens et non delliens ? »
Il n'était pas surpris qu'elle s'en fût aperçue, elle aussi. Les gens de la Terre ne savaient pas qu'il y avait un troisième groupe dans les Cinquante Soleils... les Hommes Mixtes. Durant des milliers d'années après la migration, le mariage entre dellien et non dellien n'avait pas donné d'enfants. Finalement, grâce à ce qu'on appelait le système de pression à froid, l'enfantement était devenu possible. Il en était résulté l'Homme Mixte, qui avait deux esprits, la force physique dellienne et la capacité créatrice non dellienne. Les deux esprits, avec la coordination appropriée, pouvaient dominer toute personne qui ne jouissait que d'un seul.
Maltby était un Homme Mixte. De même pour la femme assise près de lui, comme il l'avait senti à sa façon de lui stimuler un bref instant le cerveau. La différence entre eux deux, c'était qu'il avait statut légal sur Lant et les autres planètes des Cinquante Soleils, alors qu'elle ne l'avait pas. Si elle se faisait prendre, elle serait passible de l'emprisonnement ou de la mort.
— « Nous vous avons suivi, » poursuivit-elle, « dans l'intention d'entrer en relations avec vous, depuis l'instant où notre quartier général a entendu ce message, il y a un peu plus d'une heure. Que pensez-vous que nous devrions faire ? »
Maltby hésitait. Il lui était difficile d'accepter son rôle héréditaire de chef des Hommes Mixtes, lui qui était également capitaine dans la 37
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flotte spatiale des Cinquante Soleils. Vingt ans auparavant, les Hommes Mixtes s'étaient efforcés de s'emparer du gouvernement des Cinquante Soleils. La tentative avait abouti à un échec désastreux, à la suite de quoi ils avaient été déclarés hors-la-loi. Maltby, qui n'était alors qu'un petit garçon, avait été capturé par une patrouille de Delliens. La flotte l'avait instruit. Il constituait un sujet d'expérimentation. On avait admis qu'il fallait trouver une solution au problème que posaient les Hommes Mixtes. On avait entrepris des efforts de longue durée pour lui inculquer la loyauté envers les Cinquante Soleils dans leur ensemble ; et ils avaient été dans une large mesure couronnés de succès. Ce que ses instructeurs ignoraient, c'est qu'ils tenaient en leur pouvoir le chef nominal des Hommes Mixtes.
Il en était résulté dans l'esprit de Maltby un conflit auquel il n'avait pas encore trouvé d'issue. Il dit d'une voix lente : « Pour le moment, j'ai l'impression que nous devrions faire automatiquement corps avec le groupe. Agissons ouvertement aux côtés des Delliens et des non Delliens. Après tout, nous appartenons aussi aux Cinquante Soleils. »
La femme reprit : « Il est déjà question des avantages que nous pourrions obtenir en révélant la position d'une des planètes. »
Un instant, malgré sa formation ambivalente, Maltby en fut scandalisé. Et pourtant il voyait bien ce qu'elle voulait dire. La situation fourmillait de possibilités dynamiques. Il songea avec une certaine tristesse :
— « J'imagine que mon tempérament ne se prête guère à l'intrigue. » Il devint plus calme, plus pensif, plus prêt à discuter objectivement du problème. « Si la Terre repérait cette civilisation et en reconnaissait le gouvernement, alors il n'y aurait plus de changements possibles. Tout plan que nous dresserions pour modifier la situation en notre faveur... »
La femme — elle était blonde et mince — ébaucha un sombre sourire, avec une lueur farouche dans ses yeux bleus. « Si nous les trahissions, » avança-t-elle, « nous pourrions poser comme condition qu'on nous accorde par la suite l'égalité des droits. Et, au fond, c'est tout ce que nous demandons. »
— « Vraiment ? » Maltby savait que tel n'était pas le cas et il 38
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n'était pas satisfait. « Je crois me rappeler que le combat que nous avons mené visait d'autres objectifs. »
— « Eh bien... » La femme avait du défi dans la voix.
— « Qui a plus de droits à une position dominante ? Nous sommes physiologiquement supérieurs aux Delliens et aux non Delliens. Autant que nous sachions, nous sommes peut-être la seule race supérieure dans toute la galaxie. » Elle s'interrompit, tendue. « Il y a encore une possibilité, plus vaste. Ces gens de la Terre ne se sont jamais heurtés aux Hommes Mixtes. Avec l'avantage de la surprise
— si nous parvenions à nous introduire en nombre suffisant dans leur vaisseau — nous pourrions mettre la main sur des armes nouvelles, décisives. Comprenez-vous ? »
Maltby comprenait bien des choses, y inclus le fait qu'il y avait dans tout cela bien des désirs inassouvis. « Ma chère amie, » dit-il, «
nous sommes un groupe réduit. Notre révolution contre le gouvernement des Cinquante Soleils a échoué malgré l'avantage de la surprise initiale. Il est possible que nous soyons en mesure de réaliser tous nos vœux avec le temps. Mais nos idées sont plus grandes que notre nombre. »
— « Hunston pense que le moment d'agir vient en période de crise. »
— « Hunston ! » laissa échapper Maltby.
Puis il se tut.
A côté du brillant et ambitieux Hunston, Maltby se sentait plutôt terne. Il avait le rôle peu enviable de tenir en bride les passions déchaînées de jeunes gens indisciplinés. Par l'intermédiaire de ses partisans, des hommes d'âge pour la plupart, amis de feu son père, tout ce qu'il pouvait faire, c'était conseiller la prudence. Cela s'était révélé être une tâche ingrate. Hunston était un chef secondaire des Hommes Mixtes. Son programme dynamique d'action immédiate plaisait à la jeune génération pour qui le désastre de la génération précédente n'était que ouï-dire. Leur attitude se traduisait par : « Les chefs d'alors ont commis des erreurs. Nous n'en ferons pas. »
Maltby n'éprouvait personnellement aucun désir de domination sur les peuples des Cinquante Soleils. Depuis des années il se posait la question : «Comment pourrais-je orienter les ambitions des Hommes Mixtes vers des voies moins belliqueuses ? » Jusqu'à 39
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présent, il n'avait pas trouvé de solution satisfaisante. Il reprit, d'une voix ferme : « Quand le groupe se trouve menacé, il faut serrer les rangs. Que cela nous plaise ou non, nous appartenons aux Cinquante Soleils. Il se pourrait qu'il ne soit pas souhaitable de trahir cette civilisation au profit de la Terre, mais ce n'est pas là une chose dont on peut décider une heure après que se présente l'occasion. Avisez les cités cachées que je demande trois jours de débats et de critiques librement exprimées. Le quatrième jour nous procéderons à un plébiscite sur la question suivante : trahir ou ne pas trahir ? Voilà tout. »
Du coin de il observa que la femme n'était pas contente. Elle avait le visage soudain boudeur; il y avait même une colère rentrée dans sa façon de se tenir.
— « Ma chère amie, » dit-il d'un ton radouci, « vous ne songeriez sûrement pas à agir à l'encontre de la majorité ? »
Il vit alors, au changement de son expression, qu'il venait de déclencher en elle les vieux conflits démocratiques. C'était son emprise principale sur tous ces gens, le fait que le Conseil des Hommes Mixtes — dont il était le président — en appelait directement au groupe dans tous les cas graves. Le temps avait démontré que les plébiscites faisaient ressortir les instincts conservateurs de la population. Des individus qui parlaient furieusement depuis des mois de mesures à adopter immédiatement devenaient précautionneux quand ils se trouvaient placés devant la nécessité de s'exprimer par plébiscite. Bien de dangereuses tempêtes politiques s'étaient apaisées dans les urnes du vote.
La femme, qui était restée silencieuse un moment, dit d'une voix lente : « Dans quatre jours, quelque autre groupe aura peut-être pris la décision de trahir; et nous aurons alors perdu l'avantage. Hunston pense qu'en cas de crise le gouvernement doit agir sans retard. Il pourra toujours demander par la suite au peuple si la mesure prise est bien la bonne. »
Maltby avait au moins une bonne réponse à cet argument : « Il s'agit du sort de toute une civilisation. Un seul homme ou un seul groupe restreint peut-il engager le destin d'abord de quelques centaines de milliers de ses semblables et par là même celui de seize milliards de citoyens des Cinquante Soleils ? Je ne le crois pas. Mais 40
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pour le moment, c'est ici que je descends. Bonne chance. »
Il se leva et prit pied sur la chaussée. Il ne jeta pas un regard en arrière en se dirigeant vers la barrière d'acier derrière laquelle se dressait une des petites bases que les Forces Armées des Cinquante Soleils entretenaient sur la planète Lant.
Le garde à l'entrée examina ses papiers en fronçant les sourcils, puis il lui dit d'un ton officiel : « Capitaine, j'ai ordre de vous accompagner au bâtiment du Capitole où les chefs du gouvernement local sont en conférence avec les commandants militaires. Voulez-vous me suivre sans résistance ? »
Apparemment, Maltby n'hésita pas : « Bien sûr, » dit-il.
Une minute après, il était dans une voiture aérienne militaire qui le ramenait à la ville.
La situation n'était pas encore irrémédiable, se dit-il. Il était en mesure de concentrer en un instant ses deux esprits selon une certaine conformation pour contrôler d'abord le garde et ensuite le pilote de l'appareil.
Il décida de ne faire ni l'un ni l'autre. Il lui vint à l'idée qu'une conférence des chefs du gouvernement ne signifiait pas un danger immédiat pour le capitaine Peter Maltby. Au contraire, il pouvait même espérer apprendre quelque chose d'utile.
Le petit appareil atterrit dans une cour entre deux bâtisses couvertes de lierre. On introduisit Maltby dans un vaste corridor bien éclairé, puis on l'amena dans une salle où une vingtaine d'hommes étaient assis autour d'une table de conférence. On avait de toute évidence annoncé son arrivée car personne ne parlait à son entrée. Il examina rapidement la rangée de visages tournés vers lui. Il en connaissait personnellement deux. Ils portaient l'un et l'autre l'uniforme d'officier commandant de la flotte. Ils lui adressèrent un salut de la tête. Il y répondit de même.
Tous les autres hommes, dont quatre étaient en uniforme, ne lui étaient pas directement connus. Il reconnut cependant les visages de plusieurs chefs du gouvernement local et de plusieurs officiers de Lant. Il lui était facile de distinguer les Delliens des non Delliens.
Les premiers étaient tous sans exception de beaux hommes, élégants et forts. Les derniers présentaient des différences de physique. Ce fut un non Dellien grassouillet qui se dressa au bout de la table, face à la 41
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porte. Maltby le reconnut d'après les photos parues dans la presse comme Andrew Craig, un ministre du gouvernement local. «
Messieurs, » commença Craig, « ne soyons pas évasifs avec le capitaine Maltby. »
Il s'adressa à ce dernier : « Capitaine, nous avons eu pas mal d'entretiens relatifs à la menace de ce prétendu vaisseau de guerre de la Terre, dont le commandant féminin a prononcé le petit discours que vous avez sans doute entendu il y a un moment. »
Maltby inclina la tête : « Je l'ai en effet entendu. »
— « Bon. Voici la situation. Il a déjà été plus ou moins décidé que nous ne nous révélerons pas à l'intrus, quelles que soient les promesses qui nous seront faites. Quelques-uns prétendent que, maintenant que les Terriens ont pénétré dans le Grand Nuage de Magellan, la découverte est inévitable, tôt ou tard. Mais le délai en question pourrait atteindre des milliers d'années. Notre résolution est la suivante : rester unis entre nous et refuser tout contact. Au cours des dix prochaines années — et il faudra bien tout ce temps — nous pourrons envoyer des expéditions dans la galaxie principale pour savoir ce qui s'y passe au juste. Cela fait, nous prendrons notre décision finale sur la question de savoir si nous établissons des relations ou non. Vous devez vous rendre compte que c'est la seule position raisonnable. »
Il s'interrompit pour lancer à Maltby un regard curieux. Il y avait un rien d'inquiétude dans son comportement. Maltby répondit d'un ton calme : « C'est sans aucun doute l'attitude dictée par la raison. »
Un soupir de soulagement échappa à plusieurs d'entre eux.
Maltby poursuivit : « Néanmoins, avez-vous la certitude qu'un groupe ou une planète ne révéleront pas nos positions au bâtiment terrien ? Il y a bien des peuples et bien des planètes qui ont des intérêts individuels. »
— « Nous en sommes parfaitement conscients, » dit l'homme grassouillet. « C'est pourquoi nous vous avons invité à cette réunion.
»
Maltby n'était pas tellement sûr que ce fût une invitation, mais il ne fit pas de commentaires.
Le porte-parole reprit : « Nous avons maintenant reçu des communications de tous les gouvernements des Cinquante Soleils. Ils 42
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sont tous d'accord pour que nous restions cachés. Mais ils se rendent également tous compte que notre unité sera vaine si nous n'obtenons pas des Hommes Mixtes l'assurance qu'ils ne profiteront pas de la situation. »
Il y avait quelques minutes que Maltby s'attendait à ce corollaire.
Et il y voyait une possibilité de crise dans les relations entre les Hommes Mixtes et les peuples des Cinquante Soleils. C'était aussi, il le voyait bien, un moment de crise pour lui-même. « Messieurs, »
dit-il, « j'ai idée qu'il va m'être demandé d'entrer en rapport avec les autres Hommes Mixtes. En ma qualité de capitaine des Forces Armées des Cinquante Soleils, tout contact de cet ordre me placera immédiatement dans une position des plus délicates. »
Le vice-amiral Dreehan, officier commandant du vaisseau de combat Atmion, sur lequel Maltby était second astrogateur et chef météo, prit la parole : « Capitaine, vous pouvez accepter en toute liberté toute proposition qui vous sera faite ici. Ne croyez pas que la difficulté de votre position nous échappe. »
— « J'aimerais que cela soit noté et porté au procès- verbal de la conférence, » dit Maltby.
Craig adressa un signe de tête à l'un des sténographes.
— « Prenez note, je vous prie ! » commanda-t-il.
— « Je vous écoute, » dit Maltby.
— « Comme vous l'avez deviné, » poursuivit Craig, nous souhaitons que vous transmettiez nos propositions au... » — Il hésita, le front un peu plissé, regrettant visiblement de devoir employer un terme qui conférait un air de légitimité au groupe des hors-la-loi — «
...au Conseil directeur des Hommes Mixtes. Nous pensons que vous avez la possibilité d'établir ce contact. »
— « Il y a des années, » reconnut Maltby, « j'ai porté à la connaissance de mon officier commandant que j'avais été approché par des émissaires des Hommes Mixtes et qu'il existait des organisations permanentes de liaison sur toutes les planètes des Cinquante Soleils. Il avait été décidé à l'époque de feindre d'ignorer l'existence de ces organismes car ils se seraient évidemment camouflés plus efficacement... En d'autres termes, ils ne m'auraient pas tenu au courant de leurs futurs emplacements. »
En fait, la décision de le charger d'informer les Forces Armées 43
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des Cinquante Soleils de l'existence de ces organismes avait été prise par un plébiscite des Hommes Mixtes. On avait estimé qu'il y aurait soupçon de connivence et par là même reconnaissance d'un état de fait. On pensait en outre que les Cinquante Soleils ne causeraient aucun tort aux organismes, sauf en cas de crise. Cette décision s'était révélée bien fondée. Mais l'état de crise était venu, à présent.
— « Franchement, » déclara l'homme grassouillet, «nous sommes convaincus que les Hommes Mixtes considéreront la situation comme un renforcement de leur possibilité de marchandage.
» Il entendait par là le chantage politique et le fait qu'il ne le dît pas de manière explicite en faisait un commentaire significatif de l'état de la situation. « J'ai pouvoir, » poursuivit-il, « de leur offrir des droits limités de citoyenneté, l'accès à certaines planètes, éventuellement le droit de vivre dans les villes — l'examen des droits juridiques et politiques devant être repris tous les dix ans — avec l'assurance que chaque fois, sous condition d'une conduite acceptable pendant les dix années écoulées, de nouveaux avantages seront accordés. »
Il s'interrompit, et Maltby constata que tous le regardaient avec une sorte d'impatience et de tension. Un politicien dellien rompit le silence : « Qu'en pensez- vous ? »
Maltby poussa un soupir. Avant l'arrivée du vaisseau terrien, cette offre aurait été des plus généreuses. Mais c'était la vieille histoire d'une concession accordée sous la pression du moment, quand ceux qui la proposaient ne tenaient plus la situation en main. Il le fit remarquer sans agressivité, mais avec une franchise qui allait droit au but. Tout en parlant, il réfléchissait aux termes offerts, et il lui paraissait qu'ils étaient honnêtes et bénéfiques. Sachant ce qu'il savait des ambitions de divers groupes parmi les Hommes Mixtes, il lui semblait que toutes concessions supplémentaires seraient tout aussi dangereuses pour eux-mêmes que pour leurs voisins pacifiques.
Compte tenu du passé, il fallait bien imposer des restrictions et une période probatoire. Il tendait donc à appuyer les propositions tout en constatant qu'il serait difficile de les faire accepter dans les circonstances présentes. Il l'exposa sans s'émouvoir et acheva : « Il faut attendre et observer. »
Un court silence s'établit quand il eut fini. Puis un non Dellien au visage lourd dit d'une voix dure : « Mon sentiment personnel, c'est 44
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que nous perdons notre temps en nous livrant à ces considérations un peu lâches. Bien que les Cinquante Soleils connaissent la paix depuis longtemps, nous avons encore plus de cent vaisseaux de guerre en service, sans compter une quantité de bâtiments plus petits. Là, quelque part dans l'espace, il y a un unique bâtiment terrien ! Moi, je dis : envoyons la flotte le détruire ! Ainsi éliminerons-nous tout être humain au courant de notre existence. Il s'écoulera peut-être encore dix mille ans avant qu'on nous découvre de nouveau par hasard. »
Le vice-amiral Dreehan répondit : « Nous avons débattu ce point.
La raison pour laquelle il n'est pas fondé est très simple : les gens de la Terre ont peut-être des armes nouvelles qui pourraient nous anéantir. Nous ne pouvons courir ce risque. »
— « Peu m'importe l'armement de n'importe quel vaisseau, »
répliqua l'autre froidement. « Si la flotte fait son devoir, tous nos problèmes se trouveront résolus à la suite d'une action unique et décisive. »
Craig intervint sèchement : « Ce ne saurait être qu'en dernier ressort. » Il se retourna vers Maltby : « Vous pouvez dire aux Hommes Mixtes que s'ils refusent notre offre, nous avons une flotte importante à opposer à l'envahisseur. En d'autres termes, s'ils continuaient leur politique de trahison, cela ne leur apporterait pas obligatoirement les avantages qu'ils en attendent. Vous pouvez vous retirer, capitaine. »
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Chapitre 2
A bord du vaisseau terrien Star Cluster, la capitaine générale, la Très Honorable Gloria Cecily, Darne Laurr des Nobles Laurr, était assise à son bureau, le regard perdu dans l'espace, et réfléchissait à sa situation.
Devant elle se trouvait un hublot de vision « plans multiples », réglé au maximum de transparence. Derrière, c'était le noir parsemé (l'étoiles. Le grossissement était ajusté sur zéro, c'est pourquoi seules quelques étoiles étaient visibles, avec quelques taches lumineuses pour indiquer la densité stellaire en divers points. La brume lumineuse la plus vaste et la plus floue se trouvait sur sa gauche : c'était la galaxie principale où la Terre n'était qu'une planète d'un seul système, grain de sable dans le désert cosmique.
La femme y prêtait à peine attention. Depuis des années, cette même vision, ou une variante, faisait partie de sa vie. Elle voyait sans en tenir compte tout à la fois. Elle ébaucha un sourire, elle avait pris une décision ; elle pressa sur un bouton. Un visage masculin apparut sur la plaque, près d'elle. Elle attaqua sans préambule :
— « Capitaine, on m'a informée qu'il règne un certain mécontentement parce que nous avons choisi de rester dans le Grand Nuage de Magellan pour rechercher la civilisation des Cinquante Soleils. »
Le capitaine répondit après une hésitation : « Votre Excellence, j'ai entendu dire que votre résolution de céder à cette exploration ne bénéficie pas de l'approbation générale. »
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Le fait qu'au lieu de répéter « nous avons choisi » il eût spécifié votre résolution ne lui échappa pas.
L'homme poursuivit : « Naturellement je ne peux pas parler au nom de tous les membres de l'équipage puisqu'ils sont une trentaine de mille. »
— « Naturellement, » répéta-t-elle avec une certaine ironie dans la voix.
L'officier parut ne pas avoir entendu. « Il me semble, Votre Excellence, que ce serait une bonne idée de soumettre la question à un vote général. »
— « Ridicule ! Ils voteraient tous en faveur du retour au pays.
Après dix années passées dans l'espace, ils sont devenus mous comme des méduses. Ils ont peu de courage et pas d'objectif.
Capitaine... »— Elle parlait doucement, mais il y eut un éclair dans son regard — « ...je vois à votre attitude, je sens à votre ton que vous êtes émotivement d'accord avec ce... cet instinct puéril du troupeau. Rappelez-vous que la loi la plus ancienne des vols dans l'espace, c'est que quelqu'un doit avoir la volonté d'aller de l'avant.
On choisit les officiers avec le soin le plus minutieux parce qu'ils ne doivent pas s'abandonner 'à 'ce désir aveugle de regagner leur foyer.
Il a été démontré que les gens qui finissent par foncer follement vers leur planète et leur maison n'en retirent qu'une satisfaction émotive passagère, puis s'engagent inconsidérément pour un nouveau et long voyage. Nous sommes trop loin de notre galaxie pour nous permettre de céder devant un manque de discipline aussi infantile. »
L'officier répondit d'un ton posé : « Je suis très au fait de ces arguments. »
— « Je suis heureuse de l'apprendre, » dit avec mordant la capitaine générale Laurr. Et elle coupa la communication.
Elle appela ensuite l'astrogation. Un jeune officier lui répondit. A celui-ci, elle déclara : « Je désire qu'on établisse une série d'orbites qui nous permettront de parcourir le Grand Nuage de Magellan dans le temps le plus réduit possible. Avant que nous en ayons fini, je veux que nous ayons approché à moins de cinq cents années-lumière de chaque étoile du système. »
Le jeune visage de l'officier perdit une partie de ses couleurs. «
Votre Excellence, » haleta-t-il, « c'est l'ordre le plus étonnant que 47
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j'aie jamais reçu. Cet amas d'étoiles a un diamètre de six mille années-lumière. Quelle vélocité envisagez-vous, compte tenu du fait que nous n'avons aucune connaissance de la position des tempêtes et des perturbations spatiales dans ce secteur ? »
Malgré elle, elle fut décontenancée par la réaction de ce garçon.
Elle eut un instant de doute, prenant brièvement conscience dans l'abstrait de l'immensité du volume d'espace qu'elle désirait parcourir.
Son doute se dissipa. Elle se raidit. « Je crois, » dit- elle, « que la densité des zones de perturbation dans ce système nous limiterait à environ une année-lumière toutes les trente minutes. »
Elle changea brusquement de ton : « Dites à votre chef de m'informer dès que ces orbites auront été calculées. »
— « Oui, Votre Excellence, » répondit le jeune officier, la voix morne.
Elle coupa une fois encore la communication, s'adossa à son siège et manipula le levier qui transformait le hublot devant elle en une surface réfléchissante. Elle contemplait son image. Elle voyait une jeune femme dans les trente-cinq ans, plutôt belle, mince, le visage sérieux. L'image avait un pâle et ironique sourire, qui traduisait la satisfaction qu'elle retirait des deux mesures qu'elle avait prises. La nouvelle se répandrait.
Les gens commenceraient à comprendre ce qu'elle envisageait. Il y aurait du désespoir, puis de la résignation. Elle n'éprouvait pas de regret. Elle avait agi ainsi parce qu'elle avait la certitude que les gouvernements des Cinquante Soleils ne révéleraient pas la position d'une seule de leurs planètes.
Elle déjeuna seule sur la passerelle, animée d'une intense excitation nerveuse. Une lutte pour le choix du destin de tout le vaisseau était imminente; elle savait qu'elle devait se tenir prête à toute éventualité. Trois appels lui parvinrent avant qu'elle eût terminé son repas. Elle avait branché un signal occupé automatique, aussi ne répondit-elle pas. Le signal « occupé » signifiait : Je suis en effet ici, mais ne me dérangez pas si ce n'est pas urgent. » Chaque fois, les appels cessèrent au bout de quelques secondes.
Après déjeuner, elle s'étendit un moment pour réfléchir et dormir. Bientôt elle se leva, s'approcha d'un transmetteur de matière, 48
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procéda au réglage préalable... et ressortit dans la Section psychologique à huit cents mètres de distance.
Le lieutenant Neslor, psychologue en chef, et une femme sortirent de la pièce voisine et l'accueillirent avec chaleur. La capitaine générale leur exposa ses problèmes. La femme plus âgée opina du chef et dit
— « Je pensais bien que vous viendriez me voir. Si vous voulez bien attendre un instant, je vais confier mon malade à une assistante; ensuite, nous causerons. »
Quand elle revint, Dame Laurr eut un petit accès de curiosité. «
Combien de malades avez-vous ici »
Les yeux gris de l'autre femme l'examinèrent pensivement. «
Mon personnel fait à peu près huit cents heures de thérapeutique par semaine, » répondit-elle.
— « Avec vos installations, cela parait énorme. »
Le lieutenant Neslor acquiesça d'un geste. «Le nombre augmente régulièrement avec les années. »
Dame Gloria haussa les épaules, et elle allait changer de sujet quand une autre pensée lui vint. «A quoi est-ce dû » Mal du pays ?
— « J'imagine que le terme pourrait convenir. Nous avons plusieurs appellations techniques pour le désigner. » Elle s'interrompit. Allons, pas trop de récriminations ! C'est un rude genre de vie pour des gens dont la besogne est purement routinière. Si grand que soit le vaisseau, avec chaque année qui passe ses installations paraissent moins satisfaisantes à chacun des individus du bord. »
La Très Honorable Gloria Cecily ouvrit les lèvres pour déclarer que son propre travail n'était en définitive que routine également.
Elle se rendit compte juste à temps que cela sonnerait faux, et même que cela ressemblerait à de la condescendance. Elle secoua néanmoins la tête d'un geste impatient. « Je ne comprends pas. Nous avons tout ce qu'il faut à bord de ce vaisseau. Des hommes et des femmes en nombre égal, des activités à l'infini, une nourriture abondante et plus de distractions que quiconque pourrait en souhaiter durant toute une vie. Vous pouvez vous promener sous des arbres qui grandissent, près de cours d'eau intarissables. Vous pouvez vous marier et divorcer, bien que, naturellement, il ne soit pas permis 49
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d'avoir des enfants. Il V a à bord de joyeux célibataires et des filles non mariées, bien entendu. Chacun a sa chambre privée et sait que sa solde s'accumule si bien qu'il pourra prendre sa retraite à la fin du voyage. » Elle fronça les sourcils. « Et en ce moment même, après la découverte de cette civilisation des Cinquante Soleils, le voyage devrait devenir des plus intéressants. »
La femme plus âgée sourit. « Ma chère Gloria, vous ne voyez pas très clair. C'est très intéressant pour vous et moi en raison de nos situations spéciales. Personnellement, je suis impatiente de voir comment ces gens pensent et agissent. J'ai lu l'histoire des prétendus robots delliens et non delliens et il y a ici tout un monde à découvrir... pour moi; mais pas pour l'homme qui me fait la cuisine !
»
Le visage de la capitaine générale était de nouveau résolu. « Je crains qu'ils ne doivent tout simplement tenir le coup jusqu'au bout.
Et maintenant, au travail. Notre problème se pose à deux niveaux : garder le contrôle du vaisseau et trouver les Cinquante Soleils... et dans cet ordre, je pense.
Leur discussion se prolongea très avant dans la période principale de sommeil. A la fin, Darne Laurr regagna le pont, puis son appartement contigu, convaincue que les deux problèmes étaient, comme elle l'avait estimé, avant tout psychologiques.
La semaine de grâce s'écoula sans incidents. A l'heure précise où elle prit fin, la capitaine générale convoqua en conseil les capitaines divisionnaires de son vaisseau gigantesque. Et dès ses premiers mots elle frappa au cœur de la tension émotive qu'elle avait devinée chez les officiers comme chez les hommes. « A mon avis, mesdames et messieurs, nous devons rester ici jusqu'à ce que nous ayons débusqué cette civilisation, même si cela doit durer encore dix ans. »
Les capitaines se regardèrent entre eux, en s'agitant, mal à l'aise.
Ils étaient trente, et tous, sauf quatre, étaient des hommes.
La Très Honorable Gloria Cecily, Dame Laurr des Nobles Laurr, poursuivit : « Compte tenu de ceci et en admettant qu'il faille recourir à une stratégie à long terme, quelqu'un a-t-il dans l'esprit un plan d'action ? »
Le capitaine Wayless, chef d'état-major du commandement de vol, répondit : « Personnellement, je suis opposé à l'idée de 50
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poursuivre cette recherche. »
Les yeux de la capitaine générale s'étrécirent. A l'expression des autres, elle comprit que Wayless exprimait une opinion beaucoup plus générale qu'elle ne l'aurait cru. Elle répliqua, aussi tranquillement qu'il avait parlé « Capitaine, il existe une forme de procédure pour que l'officier commandant d'un vaisseau exprime son avis. Pourquoi n'en invoquez-vous pas les termes ? »
Le capitaine Wayless était pâle. « Très bien, Votre Excellence, j'invoque donc l'article 492 du Règlement. »
En dépit de sa maîtrise, elle fut estomaquée de la promptitude qu'il avait apportée à relever le défi.
Elle connaissait bien cet article, puisqu'il était l'un de ceux qui limitaient ses propres pouvoirs. Personne ne pouvait connaître à fond toutes les règles qui gouvernaient le détail de la discipline de bord.
Mais elle avait appris que tout individu était informé de celles appropriées à son propre poste. Quand on en venait aux droits individuels, chacun devenait un juriste de l'espace, et elle-même n'y échappait pas.
Toutefois, elle resta assise, le visage livide, tandis que le capitaine lisait l'article en cause d'une voix sonore : « Limitation... les circonstances justifient la réunion des capitaines en conseil... la majorité... deux tiers... le but initial du voyage... »
Tout y était, autant qu'elle s'en souvint, et tout était invoqué contre elle pour la première fois . Le Star Cluster avait été envoyé en mission de relèvements géographiques. La mission était accomplie.
En insistant pour changer d'objectif, elle avait placé ses actes sous le coup des termes du Règlement.
Elle attendit que Wayless ait reposé le livre de code. Puis elle demanda d'une voix posée : « Comment vote - t-on ? »
Il y eut vingt et une voix contre elle et cinq pour. Quatre officiers s'abstinrent. La capitaine Dorothy Sturdevant, chef de la section des secrétaires féminines, prit la parole « Gloria, il le fallait. Il y a bien longtemps que nous sommes partis. Que quelqu'un d'autre découvre donc cette civilisation . »
La capitaine générale, en un geste d'impatience, tapota de son crayon le bureau long et luisant. Toutefois, ce fut d'un ton mesuré qu'elle s'exprima « L'article 492 me donne toute latitude d'agir 51
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comme bon me semble durant une période allant de cinq à dix pour cent de la durée totale du voyage à ce jour, à condition que mes pouvoirs discrétionnaires ne s'appliquent pas au-delà de six mois. Je décrète donc que nous passerons encore six mois dans le Grand Nuage de Magellan. Et maintenant, si vous le voulez, nous allons étudier les moyens dont nous disposons pour repérer une des planètes des Cinquante Soleils. Voici mes propres idées. »
Froidement, elle les leur exposa.
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Chapitre 3
Maltby était en train de lire dans sa cabine à bord du vaisseau de guerre Atmion de la flotte des Cinquante Soleils, quand l'alerte retentit. « Tout le monde à son poste ! »
Il n'y eut pas de hurlement de sirène, donc ce n'était pas l'alerte au combat. Il reposa son livre, enfila sa tunique et se dirigea vers la chambre des instruments et de l’astrogation. Plusieurs officiers, dont le directeur de l'astrogation, s'y trouvaient déjà à son entrée. Ils lui adressèrent un signe de tête assez sec, mais cela n'avait rien d'insolite. Il s'assit à sa table et, tira de sa poche l'outil de sa spécialité
: une règle à calcul avec un système radio qui la reliait au cerveau électronique le plus proche.., celui du vaisseau en l'occurrence.
Il était en train de préparer son papier et ses crayons quand le vaisseau bougea sous lui. En même temps un haut-parleur se faisait entendre, et ce fut la voix bien reconnaissable du vice-amiral Dreelian, officier commandant, qui leur annonça :
— « Le présent message s'adresse aux seuls officiers. Comme vous le savez, il y a un peu plus d'une semaine nous avons été contactés par le vaisseau terrien Star Cluster, qui nous a imposé un ultimatum dont la date limite a expiré il y a cinq heures. Jusqu'à présent, les divers gouvernements de nos peuples disaient qu'il ne leur était pas parvenu d'autres nouvelles. En fait, ils ont reçu un second ultimatum il y a trois heures, mais il renfermait une menace 53
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inattendue. On estime que le public s'alarmerait outre-mesure si la nature de cette menace était divulguée. Les gouvernements prétendront n'avoir pas reçu ce second message. Toutefois, à titre d'information destinée à vous seuls, voici le texte de ce nouvel ultimatum. »
Il y eut un silence, puis une voix masculine profonde, ferme et sonore reprit : « Son Excellence, la Très Honorable Gloria Cecily, Dame Laurr des Nobles Laurr, capitaine générale du vaisseau Star Cluster, va maintenant diffuser son second message aux populations des Cinquante Soleils. »
Encore une pause, puis, au lieu de la capitaine générale Laurr, ce fut le vice-amiral Dreehan que l'on entendit de nouveau :
— « Il m'a été demandé, » dit-il, « d'attirer votre attention sur cette liste impressionnante de titres. Il semble qu'une femme de prétendue noble naissance ait le commandement du navire ennemi.
Qu'une femme ait les fonctions de commandant paraît très démocratique et indique l'égalité des sexes. Mais a-t-elle gagné son grade ? Comment ? Par sa naissance ? En outre, l'existence même de classes constitue un indice du genre de gouvernement totalitaire qui règne dans la galaxie principale. »
Maltby ne pouvait être d'accord avec cette conclusion. Les titres n'étaient que des mots, qui n'avaient de signification que selon la tradition. Dans les Cinquante Soleils, il y avait eu des âges totalitaires pendant lesquels les chefs s'intitulaient « Serviteurs en chef ». Il y avait eu d'autre part des « Présidents » dont la fantaisie pouvait décréter la mort pour diverses personnes. Des « Secrétaires »
qui avaient le contrôle absolu du gouvernement. Tous étaient des individus hautement redoutables dont le titre nominal cachait une dangereuse réalité. En outre le désir d'un symbole de réussite personnelle se retrouvait dans tous les efforts des humains sous tous les régimes politiques. Même pendant qu'il parlait, « le vice-amiral »
Dreehan usait des prérogatives particulières à son grade et à sa position. En écoutant cette communication privée d'un ultimatum, le
« capitaine » Maltby jouissait d'un privilège particulier à son grade et à son poste. Le « patron » d'une affaire, le « propriétaire » de biens, le « technicien »... chacun à sa façon, ils avaient un grade. Et ces titres ou appellations donnaient à leurs possesseurs une satisfaction 54
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émotive analogue à celle que fournissait toute position importante à n'importe quel degré. Parmi les Cinquante Soleils, il était devenu de mode de mépriser les rois et dictateurs dont fourmillait l'Histoire.
Cette attitude, qui ne tenait pas compte des circonstances, était aussi puérile que son antithèse : l'adoration obligatoire des chefs. Les Hommes Mixtes, dans leur situation désespérée, avaient à regret désigné un chef héréditaire pour éviter les amères rivalités entre gens ambitieux. Leur plan avait été sérieusement bouleversé quand «
l’héritier » avait été capturé. Mais la lutte qui en avait résulté les avait décidés à confirmer sa position. Maltby avait l'impression attristée que personne ne s'était jamais senti moins chef héréditaire que lui. Pourtant, tout en se trouvant mal à l'aise sous le poids de cette distinction, il en reconnaissait la nécessité. Et il sentait combien était lourde l'obligation qu'il avait de prendre des décisions en cas de crise. Le fil de ses pensées fut coupé quand « Son Excellence » prit la parole.
Voici ce qu'avait déclaré la capitaine générale, la Très Honorable Gloria Cecily :
— « C'est avec regret que, en ma qualité de représentante de la civilisation terrienne, je dois reconnaître la mauvaise volonté des gouvernements des Cinquante Soleils. Nous pouvons affirmer de la manière la plus solennelle que les populations ont été trompées. La venue de la puissance de la Terre dans le Grand Nuage de Magellan sera profitable à tous les individus et groupements de toutes les planètes. La Terre a beaucoup à offrir. La Terre garantit à l'individu tous les droits essentiels couverts par la législation, elle garantit aux groupes les libertés fondamentales et la prospérité économique et elle exige que tous les gouvernements soient élus au suffrage secret.
» La Terre ne permet pas qu'il y ait un seul état souverain distinct où que ce soit dans l'univers.
» Une puissance militaire isolée de cet ordre pourrait frapper au cœur de la galaxie peuplée d'humains et larguer des bombes sur les planètes à population dense. C'est déjà arrivé. Vous devinez sans peine le sort que nous avons réservé aux gouvernements qui ont patronné de telles entreprises. Vous ne pouvez nous échapper. Si, par quelque hasard, nous ne réussissions pas, à présent, avec un seul vaisseau, à vous dénicher, alors dans quelques années, ce seront dix 55
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mille vaisseaux qui vous rechercheront dans cette région. C'est un des points sur lesquels nous ne prenons jamais de retard. Selon notre façon de penser, il est plus prudent de détruire une civilisation entière que de la laisser en existence comme un cancer dans la culture plus vaste dont elle est issue. »
» Toutefois, nous ne pensons pas courir à un échec. Dès à présent, mon grand vaisseau de guerre, le Star Cluster, va croiser selon un parcours bien défini à travers le Grand Nuage de Magellan.
Il nous faudra plusieurs années pour passer dans un rayon de cinq cents années-lumière de chacun des soleils du système. Tout en nous déplaçant, nous enverrons des bombes à rayons cosmiques au hasard, en direction des planètes de la plupart des étoiles dans une zone déterminée de l'espace.
» Consciente du fait que cette menace pourrait vous faire peur et vous inciter à manquer de confiance en nous, je vous ai expliqué pourquoi nous adoptons cette attitude, qui est, je le reconnais, impitoyable. Il n'est pas encore trop tard pour vous révéler. A tout moment, le gouvernement de n'importe quelle planète peut radiodiffuser qu'il est prêt à nous indiquer la, position des Cinquante Soleils. La première planète à prendre cette initiative sera désormais et à jamais la capitale des Cinquante Soleils. Le premier individu ou groupe à nous fournir un indice sur la situation de sa planète recevra en cadeau un milliard de dollars platine, valables n'importe où dans la galaxie principale, ou s'il le préfère, une somme équivalente dans ses propres espèces. »
» N'ayez pas peur. Mon vaisseau est en mesure de vous protéger contre la puissance réunie des Forces Armées des Cinquante Soleils.
Et maintenant, comme preuve de notre résolution, je vais vous faire énumérer par notre astrogateur en chef les coordonnées qui vous permettront de suivre notre route à travers le Nuage. »
Le message fut abruptement coupé. Le vice-amiral Dreehan prit la parole : « Je communiquerai dans un moment ces coordonnées à la section d'astrogation puisque nous avons l'intention de suivre le Star Cluster et d'observer les résultats du programme qu'il nous a annoncé. Il m'a toutefois été demandé d'attirer votre attention sur un autre aspect de l'émission de Dame Laurr à notre adresse. Ses manières, son ton et ses mots indiquent qu'elle commande un très 56
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grand vaisseau. » Le vice-amiral enchaîna très rapidement : «Je vous prie de ne pas croire que nous nous aventurons à des conclusions hâtives, mais réfléchissez à certaines de ses déclarations. Elle dit que le Star Cluster « dirigera » des bombes à rayons cosmiques vers la plupart des planètes du Nuage. Supposons à présent que sa phrase, réduite aux proportions du bon sens, signifie une bombe par cent planètes. Cela nécessiterait quand même plusieurs millions de bombes. Mais nos propres usines d'armement ne peuvent fabriquer qu'une seule unité à rayons cosmiques de ce genre tous les quatre jours. Il faudrait au minimum pour une telle usine une superficie supérieure à deux kilomètres carrés. De plus, elle a affirmé que son vaisseau unique était en mesure de protéger les traîtres contre l'ensemble des Forces Armées des Cinquante Soleils. Pour le moment, nous avons plus de cent bâtiments de guerre en service, outre quatre cents croiseurs et des milliers de petites unités.
Examinons également le but initial du Star Cluster au sein du Grand Nuage de Magellan. De leur propre aveu, ils avaient pour mission de procéder à des relevés cartographiques. Nos propres vaisseaux cartographes sont de petits modèles démodés. Il parait difficile de croire que la Terre affecterait un de ses plus vastes et plus puissants vaisseaux à une tâche aussi routinière. » Le vice-amiral s'interrompit.
« J'aimerais que tous les officiers me fassent connaître leurs réactions à ce que je viens de souligner. Et maintenant, c'est tout pour la plupart d'entre vous. Je vais diffuser pour l’astrogation et la météorologie les chiffres fournis par k Star Cluster. »
Il fallut un peu plus de cinq heures de travaux méticuleux et soutenus pour orienter la carte fournie par le Star Cluster en fonction du très ancien système cartographique des Cinquante Soleils. A ce moment, fin estima que l' Atmion se trouvait à environ 1440 années-lumière du vaisseau de la Terre.
La distance était sans importance. Ils connaissaient la position de toutes les perturbations dans le Grand Nuage de Magellan. Ils établirent donc sans difficulté une orbite qui leur permettait une vélocité d'environ une demi-année-lumière à la minute.
Ses efforts prolongés avaient fatigué Maltby, Dés qu'il eut terminé sa part des travaux, il se retira dans sa cabine et s'endormit.
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Il s'éveilla au bruit de la sonnerie d'alerte. Il actionna vivement une plaque de vision reliée à la passerelle. Le fait qu’il eût aussitôt une image lui indiqua qu’il était permis aux officiers de suivre les évènements. Il vit que la plaque était réglée sur un grossissement maximum et dirigée vers un point lumineux lointain. Cette lumière se déplaçait et la plaque s’ajustait, s’efforçant de le maintenir en son milieu.
Une voix dit : « Selon nos calculateurs automatiques, le Star Cluster est maintenant à un tiers d’années-lumière de distance. »
Maltby fronça les sourcils en attendant cette phrase, car elle n’était pas formulée comme il convenait. Celui qui parlait voulait dire que les deux vaisseaux se trouvaient dans leurs champs réciproques de résonance haute, un des phénomènes secondaires de la radio subspatiale, une sorte d'écho affaibli de la gamme à peu près sans limites de la résonance-basse. Il était impossible de dire à quelle distance était le vaisseau terrien, sauf qu'il ne pouvait pas être éloigné de plus d'un tiers d'année-lumière. Il pouvait aussi n'être qu'à quelques centaines de kilomètres, mais c'était douteux. Il y avait des radars spéciaux pour la détection à courte distance des objets dans l'espace.
La voix poursuivit : « Nous avons ramené notre vitesse à dix jours-lumière à la minute. Comme nous suivons la route diffusée par le bâtiment terrien et que nous ne l'avons pas perdu, nous pouvons présumer que notre vélocité est égale à la sienne. »
Cette déclaration n'était pas exacte non plus. Il était possible d'approcher mais non d'égaler la vélocité d'un vaisseau se déplaçant à une vitesse supérieure à celle de la lumière. L'erreur se révélerait dès que les deux vaisseaux perdraient le contact dans leurs champs réciproques de résonance-haute. Alors qu'il lui venait cette pensée, la lumière s'éteignit sur la plaque.
Maltby attendit, et enfin le speaker dit d'un ton contrit : « Ne vous alarmez pas, je vous prie. On me dit que le contact va probablement être rétabli. »
Une heure s'écoula et le point lumineux ne réapparut pas. Il y avait un bon moment que Maltby ne prêtait plus qu'une attention intermittente à la plaque de vision. Il pensait à ce que le vice-amiral 58
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Dreehan avait dit des dimensions du Star Cluster.
Il se rendait compte que le commandant avait fait un exposé valable de la situation. Le problème recelait de dangereuses possibilités. Il paraissait incroyable, qu'un vaisseau pût être aussi immense que l'avait donné à entendre la capitaine générale Laurr. En conséquence, le vaisseau terrien devait bluffer. Il y en aurait au moins une preuve partielle dans le nombre de bombes qu'il larguerait.
Six jours de suite, l' Atmion pénétra dans le champ de résonance haute du vaisseau terrien. Chaque fois, Il garda le contact le plus longtemps possible; puis, après avoir vérifié la route de l'ennemi, il examinait les planètes de soleils voisins. Une seule fois on releva des traces de destruction. Et la bombe avait dû être mal pointée car elle avait atteint une planète extérieure normalement trop froide et trop éloignée de son soleil pour abriter des formes de vie.
Elle n'était plus froide à présent, c'était un enfer bouillonnant d'énergie nucléaire qui avait mis le feu à la croûte rocheuse et avait pénétré jusqu'au noyau métallique. C'était un soleil en miniature qui brûlait là. Toutefois, cette vue n'inquiéta personne à bord de Atmion.
La probabilité qu'une seule sur cent bombes atteigne une planète habitée était mathématiquement si proche de zéro que la différence ne comptait pas.
Ce fut le sixième jour de la poursuite que l'écran de Maltby s'éclaira; le visage du vice-amiral Dreehan apparut sur la plaque. «
Capitaine Maltby, voudriez- vous passer à mon bureau ? » demanda-t-il.
— « Bien, monsieur. »
Maltby s'y rendit immédiatement. L'officier-adjoint le reconnut et le fit entrer dans le bureau de Dreehan. L'officier commandant était assis dans un fauteuil et contemplait quelque chose qui ressemblait à un radiogramme. Le vice-amiral reposa le document, face en bas, et désigna du geste à Maltby le fauteuil en face de la table.
— « Capitaine, quelle est votre position parmi les Hommes Mixtes ? »
Ainsi, ils en étaient enfin arrivés à cette question fondamentale.
Maltby ne se sentait pas inquiet. Il regardait fixement son supérieur et laissait percer sur son visage une expression intriguée.
Dreehan était un Dellien d'âge moyen avec le physique avantageux et 59
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l'apparente élégance de son espèce. Maltby lui dit : « Je ne saurais vous expliquer ce qu'ils voient au juste en moi. En partie un traître, j'imagine. Chaque fois qu'ils entrent en relation avec moi — et j'en rends compte à mes supérieurs — j'invite l'agent qui vient me parler à dire à ses chefs que je leur recommande une politique de conciliation et d'honnêteté. »
Dreehan parut réfléchir, puis il reprit : « Que pensent les Hommes Mixtes de la présente affaire ? »
— « Je n'ai guère d'informations. Mes contacts sont trop vagues.
— « Pourtant, vous devez bien en avoir une idée ? »
— « A ma connaissance, » répondit Maltby, « une petite minorité d'entre eux croit que la Terre découvrira les Cinquante Soleils tôt ou tard, aussi soutiennent-ils que l'on devrait profiter de la situation. La majorité, fatiguée de vivre clandestinement, a voté nettement en faveur d'une action semblable à celle des Cinquante Soleils. »
— « Dans quelle proportion ? »
— « A un tout petit peu plus de quatre contre un. »
Maltby débita ce mensonge sans sourciller.
Dreehan hésita, puis demanda : « Y a-t-il une possibilité pour que la minorité dissidente agisse unilatéralement? »
Maltby répliqua vivement : « Ils le voudraient peut-être, mais ils ne peuvent pas... On me l'a assuré. »
— « Pourquoi pas ? »
— « Il n'y a pas parmi eux un seul météorologue spatial vraiment capable. »
C'était également un mensonge. Car le problème dépassait toute capacité particulière d'un groupe quelconque. Le fait était que Hunston souhaitait obtenir le pouvoir sur les Hommes Mixtes par des moyens légitimes. Tant qu'il croyait pouvoir y parvenir, il ne s'aviserait pas de prendre le pouvoir en main... du moins était-ce ce qu'avaient dit ses conseillers à Maltby. C'était sur cette affirmation qu'il fondait à présent son tissu verbal de vérité et de mensonge.
Dreehan semblait peser ses paroles. Il finit par déclarer : « Les gouvernements des Cinquante Soleils s'inquiètent de la teneur de ce dernier ultimatum que vous avez entendu — parce qu'il offre une 60
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occasion idéale aux Hommes Mixtes. Ils peuvent nous trahir et en retirer des avantages aussi larges que s'ils avaient gagné la guerre il y a une génération. »
Maltby n'avait rien à dire, sinon répéter une variante de son mensonge d'un instant auparavant : « Je pense que la victoire par quatre contre un de ceux qui préfèrent rester unis aux Cinquante Soleils indique bien la tendance générale. »
Une fois encore, un silence s'établit. Maltby se demandait ce que cet entretien dissimulait en réalité. Ils ne pouvaient sûrement pas fonder leurs espérances sur ses seules affirmations. Dreehan toussota.
« Capitaine, j'ai beaucoup entendu parler du double esprit des Hommes Mixtes sans jamais avoir obtenu une explication précise de son fonctionnement ni de ses activités. Voudrez-vous éclaircir ce point pour moi ? »
— « C'est en vérité sans grande importance. » Maltby lança calmement son troisième mensonge. « Je pense que la crainte que cela inspirait pendant la- guerre a été pour une grande part dans la férocité qui a présidé aux derniers combats. Vous savez ce qu'est un cerveau normal... des cellules innombrables, dont chacune séparément peut entrer en liaison avec les voisines. A ce niveau, le cerveau des Hommes Mixtes ne diffère en rien du vôtre. Descendons à un niveau plus bas et nous avons dans chaque cellule du cerveau d'un Homme Mixte toute une série de molécules appariées, grandes et riches en protéines. Les vôtres ne sont pas appariées, les siennes le sont. »
— « Mais quel en est l'effet ? »
— « L'Homme Mixte possède la capacité du Dellien à résister aux entreprises menées contre son esprit, ainsi que le potentiel de travail créateur du non Dellien. »
— « Est-ce tout ? »
— « C'est à peu près tout ce que j'en sais, monsieur, » mentit Maltby.
— « Et ce pouvoir d'hypnose dévastatrice qu'ils sont censés posséder ? Il n'y a pas de document clair sur la façon de procéder. »
— « Je crois comprendre qu'ils avaient recours à des instruments hypnotiques, ce qui est très différent. Cela causait une terreur confuse de l'inconnu. »
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Dreehan paraissait avoir pris une décision. Il ramassa le radiogramme et le tendit à Maltby. « Ceci est arrivé pour vous, » dit-il. « Si c'est un code, nous n'avons pas réussi à le déchiffrer. »
C'était bien un message codé. Maltby s'en rendit compte au premier regard. Et c'était à cela que le vice-amiral avait voulu en venir.
Le message disait :
« DESTINATAIRE : Capitaine Peter Maltby, A bord du vaisseau Atmion
Le gouvernement des Hommes Mixtes désire vous remercier d'avoir agi en médiateur au cours des négociations avec les gouvernements des Cinquante Soleils. Veuillez être certain que les accords seront pleinement respectés et que les Hommes Mixtes, en tant que groupement, sont impatients d'obtenir les avantages qui leur sont offerts. »
Il n'y avait pas de signature, ce qui signifiait que l'appel à l'aide avait été envoyé par radio subspatiale et recueilli directement par l' Atmion.
Il devait bien entendu feindre de l'ignorer... tant qu'il n'aurait pas décidé de ce qu'il allait faire. Il dit d'un ton intrigué : « Je remarque qu'il n'y a pas de signature. L'a-t-on omise exprès ? »
Le vice-amiral Dreehan parut désappointé. « Votre opinion vaut la mienne sur ce point. »
Maltby eut un instant pitié de l'officier. Pas un Dellien ni un non Dellien ne parviendrait jamais à déchiffrer ce code. Pour en trouver le secret, il fallait disposer de deux esprits entraînés à s'associer.
Cette forme d'instruction était tellement fondamentale dans l'éducation des Hommes Mixtes que Maltby en avait déjà subi les pleins effets avant même d'être capturé, quelque vingt ans auparavant.
La teneur essentielle du message était que le groupe minoritaire avait annoncé son intention d'entrer en contact avec le Star Cluster et avait entamé une campagne d'une semaine en vue de s'acquérir des appuis dans son action. Leur propagande faisait savoir que seuls ceux qui les soutiendraient bénéficieraient de la trahison.
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Il faudrait que Maltby s'y rende en personne. Comment cela ?
Ses yeux s'écarquillèrent un peu quand il comprit qu'il n'avait qu'un seul moyen de transport : le vaisseau sur lequel il était. Brusquement, il sut qu'il devait le faire. Il commença à bander ses muscles à la façon dellienne. Il éprouvait la stimulation électrique de la méthode.
En un instant, ses deux esprits furent assez forts.
Il sentit presque la présence d'un autre esprit. Il attendit que l'impression parût faire partie de son propre corps, puis il pensa : «
Le vide ! » Un instant, il tint toute pensée consciente à l'écart de son propre cerveau. Finalement, il se leva. Le vice-amiral Dreehan se leva aussi, exactement de la même manière, avec les mêmes mouvements, comme si ses muscles avaient été sous le contrôle de Maltby. Ce qui était le cas en fait. Il alla au tableau de commandes, toucha un commutateur. « Passez-moi la chambre des machines, »
dit-il.
Tandis que l'esprit de Maltby dirigeait sa voix et ses actes, le vice-amiral donna l'ordre de mettre l' Atmion sur une route qui l'amènerait bientôt à la capitale cachée des Hommes Mixtes.
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Chapitre 4
La capitaine générale Laurr lut le bulletin d' annu lation et resta un moment assise, les poings crispés, en colère. Puis, se dominant, elle appela le capitaine Wayless. Le visage de l'officier se durcit quand il vit de qui il s'agissait. « Capitaine, » dit-elle d'un ton plaintif,
— « Je viens de lire votre document, avec les vingt-quatre signatures qu'il porte. »
— « Je crois que c'est légal, » dit-il d'un ton officiel.
— « Oh! je n'en doute pas, » répliqua-t-elle. Elle se reprit et poursuivit : « Capitaine, pourquoi cette résolution désespérée de rentrer immédiatement ? La vie, c'est plus que la légalité. Nous sommes embarqués dans une grande aventure. Vous devez en avoir au moins en partie le sentiment. »
— « Madame, » répondit-il froidement, « j'ai pour vous à la fois de l'admiration et de l'affection. Vous avez des capacités administratives énormes, mais vous avez tendance à projeter chez les autres vos propres idées et vous êtes surprise et blessée quand ils ont des idées différentes des vôtres. Vous avez si souvent raison que vous perdez de vue la possibilité qu'une fois de temps à autre vous puissiez vous tromper. C'est pourquoi il y a à bord d'un grand vaisseau comme celui- ci trente capitaines pour vous conseiller, et, en cas de crise, ou même en réalité à tout moment, nous pouvons passer par-dessus vous conformément au règlement en vigueur. Croyez-moi, nous vous aimons tous. Mais nous connaissons notre devoir envers tous ceux qui sont à bord. »
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— « Mais vous êtes dans l'erreur. Nous pouvons. Nous pouvons forcer cette civilisation à se révéler au grand jour. » Elle hésita, puis ajouta : « Capitaine, ne me ferez-vous pas plaisir de vous ranger à mon opinion, rien que cette fois ? »
C'était une prière personnelle, et elle regretta presque aussitôt de l'avoir formulée. Cette requête parut détendre l'homme. Il rit, en s'efforçant de se contenir, puis il rit de nouveau.
— « Je vous demande pardon, madame, » dit-il enfin. « Je vous prie de m'excuser. »
Elle était rigide. « Qu'est-ce qui vous amuse ainsi ? »
Il avait retrouvé son sang-froid. « Votre expression, rien que cette fois. Dame Laurr, ne vous souvient-il pas de nous avoir jamais demandé notre appui pour certains de vos projets ? »
— « Une ou deux fois peut-être, » dit-elle d'un ton sec mais prudent, tandis que le souvenir lui en revenait.
— « Je n'ai pas compté, » dit le capitaine Wayless. « Mais, à vue de nez, je dirais que vous nous avez demandé notre appui à titre personnel ou que vous avez fait usage de vos privilèges de commandant au moins cent fois au cours de ce voyage, soit pour faire adopter, soit pour mettre en application une de vos idées.
Maintenant, pour une fois, on a recours à la légalité contre vous.
Et vous en éprouvez un amer ressentiment. »
— « Je n'ai pas d'amertume. Je suis... » Elle s'interrompit. « Oh!
je vois bien qu'il n'y a pas à discuter avec vous. Pour une, raison ou une autre, vous avez décidé que six mois c’est l'éternité. »
— « Ce n'est pas une question de durée. C'est le but poursuivi qui est en cause. Sans la moindre preuve, vous croyez pouvoir trouver cinquante soleils éparpillés parmi cent millions d'autres. Un grand vaisseau ne peut pas courir une chance de l'ordre de un sur deux millions. Si vous ne le comprenez pas, alors, pour une fois, nous faut bien passer outre à vos décisions quelle que soit notre affection personnelle envers vous. »
La capitaine générale hésita. La discussion tournait à son désavantage. Elle vit qu'il lui fallait mieux présenter ses motivations.
Elle dit d'un ton lent : « Capitaine, il ne s'agit pas là d'un problème mécanique. Si nous ne dépendions que de la chance, alors 65
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votre attitude serait la bonne. Notre espoir doit se fonder sur la psychologie. »
Le capitaine Wayless répondit avec calme « Ceux d'entre nous qui ont signé l'annulation ne l'ont pas fait à la légère. Nous avons étudié l'aspect psychologique. »
— « Et sur quoi avez-vous fondé votre rejet ? Sur l'ignorance ?
La remarque était brutale, et elle vit qu'il en était irrité. Il reprit le ton officiel : « Madame, nous avons noté avec inquiétude à plusieurs reprises votre tendance à vous en remettre presque exclusivement aux avis du lieutenant Neslor. Vos entretiens avec elle sont toujours privés. De ce qui s'y dit, rien ne transparaît jamais ouvertement, si ce n'est une décision soudaine que vous prenez, fondée sur ses conseils.
»
Cette observation l'étonna un peu. Sur la défensive, elle dit : J'avoue n'avoir jamais considéré la chose sous cet angle. Je m'adressais simplement à la psychologue en ma qualité de chef légitime de ce vaisseau. »
Le capitaine Wayless poursuivit « Si les conseils du lieutenant Nestor ont une telle valeur, alors nous devrions la porter au grade de capitaine et lui permettre de faire connaître son point de vue aux autres capitaines. » Il haussa les épaules et dut à peu près deviner les pensées de son interlocutrice car, avant qu'elle ait pu prononcer une parole, il déclara : « Et je vous prie de ne pas m'annoncer que vous allez immédiatement procéder à cette nomination. Il faut un mois pour qu'une telle promotion prenne effet, même si personne ne formule d'objection; et le nouveau capitaine doit assister en silence pendant deux mois aux réunions du conseil, pour apprendre la procédure. »
Dame Laurr demanda sombrement « Alors vous n'accepterez pas ce délai de trois mois ? »
— « Non. »
— « Vous n'envisagez pas d'écarter la procédure habituelle pour procéder à cette nomination ?
— « En cas de crise, oui. Mais il ne s'agit ici que de votre fantaisie de dénicher une civilisation perdue... laquelle sera recherchée et retrouvée un jour ou l'autre par une expédition désignée dans ce seul but. »
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— « Donc, vous insistez pour l'annulation ? »
— « Oui. »
— « Très bien. Je demanderai un plébiscite dans deux semaines à compter d'aujourd'hui. S'il est en ma défaveur et s'il ne se passe rien de nouveau, nous retournerons chez nous. »
Avec un geste bref, elle coupa la communication.
Elle avait conscience de livrer combat à deux niveaux. D'une part, il y avait la lutte contre le capitaine Wayless et la majorité des quatre cinquièmes qui l'avait mise en mesure d'exiger un plébiscite.
De l'autre, il y avait le combat qu'elle livrait pour obliger les Cinquante Soleils à se montrer ouvertement. Sur les deux plans, la lutte était à peine engagée. Elle appela : « Transmissions ! » Le capitaine Gorson répondit. Elle lui demanda : « Sommes-nous toujours en contact avec ce vaisseau ennemi qui nous observe »
— « Non. Je vous ai signalé le moment où nous avons perdu le contact. On ne l'a pas encore rétabli. » Il avança « Ils nous repéreront probablement de nouveau demain quand nous diffuserons notre position. »
— « Tenez-moi au courant. »
— « Je n'y manquerai pas. »
Elle coupa le contact et appela l'« Armement ». Ce fut un subalterne qui répondit, mais elle attendit patiemment qu'on eût demandé au capitaine de venir. Puis elle s'enquit :
— « Combien de bombes avez-vous lancées ? »
— « Sept en tout. »
— « Toutes au hasard ? »
— « C'est la méthode la plus simple, madame. Les probabilités nous interdisent toute chance d'atteindre une planète pouvant abriter de la vie. »
Elle approuva de la tête, mais son front était soucieux. Elle dit enfin pour remettre les choses au point : Intellectuellement, je suis d'accord avec votre point de vue. Sur le plan émotif... » Elle se tut un instant.
— « Une seule erreur, capitaine, et vous comme moi passerions en jugement et risquerions nos vies si jamais la faute était découverte. »
Il s'était assombri. « Je connais la loi, Votre Excellence. C'est un 67
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des risques que l'on court en étant chargé des armements. Il hésita, puis reprit : « J'ai le sentiment que vous avez fait une menace très dangereuse... pour nous, je veux dire. On ne devrait pas soumettre les gens à de telles pressions. »
Elle fit d'un ton sec : « Cela me regarde ! » Puis elle coupa la communication.
Elle se leva pour arpenter le plancher. Deux semaines ! Il paraissait impossible qu'il pût se passer quelque chose avant ce délai.
Au bout de deux semaines, selon ses calculs, la pression psychologique aurait à peine commencé à se faire sentir sur les Delliens et les non Delliens.
En pensant à eux, un détail lui revint en mémoire. Elle se rendit vivement au transmetteur de matière, procéda au réglage... et ressortit dans la bibliothèque, au centre du vaisseau, à un peu plus de cinq cents mètres de son appartement.
Elle se trouvait dans le bureau privé de la bibliothécaire en chef, qui écrivait, assise à son bureau. La capitaine générale attaqua aussitôt : «Jane, avez-vous ces renseignements sur les émeutes delliennes de... »
Surprise, la bibliothécaire se leva à demi de son siège, puis se rassit. Elle soupira : « Gloria, vous me ferez mourir. Ne pourriez-vous pas vous annoncer avant d'entrer ? »
La capitaine générale se sentit coupable. « Je suis désolée. Je réfléchissais. Mais avez-vous... »
— « Oui. Si vous aviez attendu dix minutes encore on vous aurait envoyé tout cela en bon ordre. Avez-vous déjà dîné ? »
— « Dîner ? Bien sûr que non ! »
— « J'aime cette façon de le dire ! Et, vous connaissant bien, je sais exactement comment vous l'entendez. Eh bien, vous allez dîner avec moi. Et il ne sera pas question de Delliens ou de non Delliens avant que nous ayons fini de manger. »
— « C'est impossible, Jane. Je ne peux pas vous accorder tout ce temps en ce moment... »
La vieille femme se leva. Elle contourna sa table et prit solidement Dame Laurr par le bras. « Oh! Si, c'est possible. Et puis, réfléchissez. Vous ne recevrez aucun renseignement de ma part avant d'avoir dîné. Allez-y, invoquez le règlement et la loi, vous verrez ce 68
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que j'en fais ! Allons, venez ! »
Elle résista une seconde, puis elle songea avec lassitude : «
Toujours ce fichu facteur humain! C'est trop difficile de se faire comprendre des gens ! » Elle se décontracta d'un coup, et elle eut soudain une vision d'elle-même sombre et déterminée, comme si le sort de l'univers avait reposé sur ses épaules. Lentement, elle revenait au calme. « Je vous remercie, Jane, » finit-elle par répondre. « Cela me ferait vraiment plaisir de prendre un verre de vin et de manger un morceau. »
Mais elle n'oubliait pas qu'elle avait raison; même si elle se détendait pendant une heure, la réalité demeurerait la même. Il fallait à présent trouver les Cinquante Soleils pour une raison qui ne se faisait jour que peu à peu dans son esprit, et qui comportait de mortelles possibilités.
Après dîner, sur un fond de musique douce, elles parlèrent de la civilisation des Cinquante Soleils. L'exposé historique de la bibliothécaire était remarquablement simple et clair.
Une quinzaine de milliers d'années auparavant, Joseph M. Dell avait mis au point une des premières formes de transmetteur de matière. La machine exigeait la synthèse mécanique de tissus de divers types, notamment des glandes endocrines, qu'il état impossible de soumettre à un balayage convenable. Comme un être humain pouvait entrer par une extrémité et émerger un instant plus tard à mille kilomètres — ou plus, ou moins — de distance, on n'avait pas immédiatement observé que des modifications extrêmement subtiles prenaient place chez les individus qui utilisaient ce mode de transport.
Non qu'il leur manquât quelque chose, bien que les Delliens fussent toujours en retard pour le travail créateur par la suite. Mais sous certains aspects il semblait plutôt qu'il y eût quelque chose en plus.
Le Dellien se révélait moins sujet à la fatigue nerveuse. Sa force physique dépassait tout ce dont avait jamais rêvé l'espèce humaine. Il était en mesure de s'adapter à un effort surhumain par un curieux processus d'accroissement interne de la tension musculaire.
Naturellement — la bibliothécaire se fit ironique sur ce point —
ils étaient qualifiés de robots par ceux des humains qui s'inquiétaient 69
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le plus. L'appellation ne dérangeait pas les Delliens, mais elle portait les humains à un degré de haine que les autorités ne soupçonnèrent pas immédiatement.
Il y eut une période durant laquelle des bandes parcouraient les rues en lynchant les Delliens. Des humains amis des Delliens persuadèrent le gouvernement de les laisser émigrer. Jusqu'à présent, personne n'avait jamais su où ils étaient allés.
La Très Honorable Gloria Cecily resta pensive un moment après cet exposé. Elle dit enfin : « Vous ne m'avez pas été d'un grand secours. Je savais tout cela, à quelques détails près. »
Elle se rendait compte que la vieille femme l'examinait de ses yeux bleus perçants. « Gloria, où voulez- vous en venir ? Quand vous parlez ainsi, c'est en général que vous vous efforcez de faire la preuve d'une théorie personnelle. »
L'observation toucha son but. La capitaine générale comprit qu'il serait dangereux pour elle de reconnaître ce point. Les gens qui tentaient de forcer les réalités à s'adapter à leurs hypothèses personnelles manquaient d'esprit scientifique. Elle s'était souvent montrée très mordante avec des officiers qui exprimaient des opinions vagues. Elle reprit lentement : « Je désire simplement tous les renseignements que je peux me procurer I1 est évident que lorsqu'une forme de mutation telle que celle des Delliens est partie quelque part depuis cent cinquante siècles, toutes les éventualités possibles se sont présentées. A mon point de vue, nous ne saurions négliger le moindre détail disponible. »
La bibliothécaire acquiesça de la tête. En l'observant, Dame Laurr décida que son explication avait paru satisfaisante et que la pénétration momentanée de l'autre n'était plus menaçante.
Elle se leva. Elle ne pouvait courir le risque de se découvrir davantage. Une seconde perception ne se dissiperait peut-être pas si facilement. Elle lança un bonsoir détaché et regagna ses appartements. Après quelques minutes de réflexion, elle appela la Biologie et posa une première question : « Docteur, je vous ai envoyé précédemment des renseignements sur les populations delliennes et non delliennes des Cinquante Soleils. A votre avis, serait-il possible à un couple composé d'un Dellien et d'un non Dellien — qui seraient mariés — d'avoir des enfants ? »
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Le biologiste avait la pensée lente, et la parole traînante «
L'Histoire prétend que non, » répondit-il.
— « Et vous, qu'en pensez-vous ? »
— « Je pourrais faire en sorte que cela soit. »
— « Voilà ce que je souhaitais entendre, » fit triomphalement la capitaine générale.
L'excitation qu'avait fait naître en elle cette réponse ne baissa qu'au moment où elle se coucha, des heures plus tard. Elle éteignit la lumière et demeura un moment immobile, les yeux fixés sur l'espace.
La grande nuit n'avait que peu changé. Les points lumineux étaient disposés différemment, mais, sans agrandissement, elle n'avait aucune preuve visuelle qu'elle se trouvait vraiment dans le Grand Nuage de Magellan. Pas plus de cent étoiles n'étaient visibles en tant qu'entités distinctes. Çà et là, une lueur diffuse indiquait la présence de centaines de milliers, peut-être même de millions d'étoiles.
Prise d'une impulsion, elle tendit la main vers le pupitre de commande de la vision et mit le grossisse- ment au maximum.
Une splendeur.
Un milliard d'étoiles lui lancèrent leurs feux. Elle voyait l'éclat proche des innombrables soleils du Nuage, et la vaste spirale de la galaxie principale, ponctuée à présent de plus de points lumineux qu'on n'en pourrait jamais compter. Et tout ce qu'elle voyait n'était qu'une simple et minuscule tache par rapport au cosmos. D'où tout cela était-il venu ? Des dizaines de milliers de générations d'humains avaient vécu et disparu sans qu'on eût encore trouvé le commencement d'une réponse satisfaisante.
Elle ramena le grossissement à zéro et remit l'univers au niveau de ses propres sens. Les yeux écarquillés, elle songeait : « Et en admettant qu'ils aient bien produit une race mixte de Delliens et de non Delliens, en quoi cela peut-il influer sur moi en deux semaines ?
»
Son imagination n'allait pas plus loin. Elle dormit mal.
Au matin, en prenant son frugal petit déjeuner, il lui vint à l'esprit qu'elle n'avait plus que treize jours. Cela lui donna un coup.
Elle se leva de table, tristement consciente de vivre dans un monde de rêve. Faute de prendre une décision positive, l'entreprise dans 71
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laquelle elle avait lancé son vaisseau s'effondrerait. Elle se dirigea d'un pas ferme vers la passerelle de commandement et appela les Transmissions. « Capitaine, » dit-elle à l'officier qu'elle eut en ligne,
« sommes- nous en contact en résonance-haute avec le navire des Cinquante Soleils qui nous suit ? »
— « Non, madame. »
C'était une déception. Maintenant qu'elle était décidée, tout retard était irritant. Elle hésita, soupira en se résignant à la réalité, et dit : « Dès que le contact sera rétabli, faites-le savoir aux Armements.
»
— « Très bien, madame. »
Elle coupa et appela l'Armement. L'officier au visage fier qui commandait ce service avala sa salive quand elle lui eut expliqué son but. Il finit par protester : « Mais, madame, ce serait révéler notre arme principale. Si jamais...
— « Si jamais, rien ! » Elle était prise d'une rage subite. « Au point où nous en sommes, nous n'avons rien à perdre. Nous n'avons pas réussi à attirer la flotte des Cinquante Soleils. Je vous ordonne de capturer cet unique vaisseau. Il sera probablement ordonné à tous les officiers navigateurs du bord de se suicider, mais nous nous en occuperons en temps voulu. »
L'officier plissa pensivement le front. Puis il hocha la tête. « Le danger, c'est que quelqu'un qui se trouve hors du champ le détecte et l'analyse... Mais si vous avez le sentiment que nous devons courir ce risque... »
La Très Honorable Gloria Cecily s'attacha bientôt à d'autres tâches, mais une part de son esprit continuait de penser à l'ordre qu'elle avait donné. Elle finit par s'agiter car on ne la rappelait pas, et elle reprit contact avec les Transmissions. Mais il n'y avait rien de neuf.
Le vaisseau des Cinquante Soleils n'était pas à portée.
Une journée s'écoula, puis une seconde. Toujours pas de contact.
Le quatrième jour, la capitaine générale du Star Cluster était devenue une personne avec qui il n'était pas facile de s'entendre. Et ce jour également s'écoula sans incident.
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Chapitre 5
— « Planète droit dessous ! » fit le vice-amiral Dreehan Maltby, qui sommeillait, s'éveilla en sursaut, bondit sur ses pieds et s'approcha des commandes.
Sur ses instructions, le vaisseau passa rapidement de quinze mille kilomètres au-dessus de la surface à moins de cent cinquante. Il étudia le terrain dans le viseur grossissant et très vite, bien qu'il ne l'eût jamais vu auparavant, sa mémoire lui rappela des relevés photographiques qu'on lui avait montrés.
L' Atmion fila rapidement vers la plus grande des entrées de cavernes qui menaient à la capitale cachée des Hommes Mixtes. A titre de dernière précaution, il s'assura encore que les officiers subalternes n'étaient pas en mesure d'observer ce qui se passait sur leurs plaques — les quatorze officiers supérieurs étaient sous son contrôle — puis il fit passer hardiment le bâtiment dans l'ouverture.
Il était contracté. Il avait annoncé par radio sa venue aux chefs qui appuyaient ses idées. Ils avaient répondu que tout serait prêt.
Mais il se pouvait qu'une difficulté fût survenue. Et ici, à l'entrée, le vaisseau était à la merci des défenses au sol.
Les ténèbres de la caverne se refermèrent sur eux.
Il avait les doigts sur le commutateur du projecteur, scrutant des yeux l'obscurité. Soudain, loin au-dessous de lui, une lumière clignota. Maltby attendit pour s'assurer qu'elle ne s'éteignait pas, puis il actionna le commutateur.
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Aussitôt, les projecteurs déversèrent leur lumière crue, éclairant la caverne du sol au plafond et dans ses profondeurs. Le vaisseau continuait d'avancer tout en descendant. Une heure s'écoula et il n'y avait toujours pas d'indice que le voyage fût à son terme.
La caverne décrivait des sinuosités et des angles, descendait et remontait. Il eut à plusieurs reprises l'impression de repartir dans l'autre direction. Il aurait pu garder le tracé du parcours sur un enregistreur graphique automatique, mais il lui avait été demandé de n'en rien faire avant même que l' Atmion fût arrivé à proximité de la planète. On disait que nul au monde ne savait au juste où se trouvait la capitale sous la croûte de la planète. Sur des planètes différentes, les autres villes des Hommes Mixtes étaient dissimulées de la même façon.
Douze heures passèrent. Deux fois, Maltby avait remis les commandes au vice-amiral, pour dormir un moment. Maintenant, il avait repris son poste pendant que l'officier sommeillait paisiblement sur la couchette, dans un coin.
Trente heures ! Epuisé et stupéfait, Maltby éveilla Dreehan et se coucha. Il avait à peine fermé les yeux que l'autre lui annonçait :
— « Des bâtiments devant nous, capitaine. Et des lumières. »
Maltby se releva d'un bond et alla aux commandes; quelques minutes après, il pilotait le vaisseau au-dessus d'une ville d'environ quatre-vingt mille habitants. On lui avait dit qu'aucune nef de cette dimension n'était encore entrée dans les cavernes ; il était donc en ce moment l'objet de l'attention de tous les individus, de tous les groupes. Il activa un poste radio normal et manipula le cadran jusqu'au moment où une voix lui parvint. Il entendit : « ... et Peter Maltby, notre chef héréditaire, a pris provisoirement le contrôle du vaisseau de guerre Atmion, afin de pouvoir discuter en personne avec ceux qui... »
Maltby ferma le poste. Les gens apprenaient sa présence. Il chercha sur la plaque l'emplacement du quartier général de Hunston.
Il reconnut la bâtisse d'après la description qui lui en avait été transmise par radio et immobilisa l' Atmion juste au-dessus.
Il centra un écran d'énergie sur le milieu de la rue, à un pâté de maisons de distance. Puis, rapidement, il abaissa d'autres rideaux de force de façon à bloquer complètement l'accès du lieu. Les gens 74
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pouvaient pénétrer dans la zone sous écran sans s'apercevoir qu'ils entraient dans un piège, mais ils ne pouvaient en ressortir. L'écran, invisible de l'extérieur, offrait une teinte violâtre vu de l'autre côté.
Quiconque le touchait de l'intérieur éprouvait une forte secousse électrique.
Comme Hunston habitait son quartier général, il semblait probable à présent qu'il ne pût s'en échapper. Maltby ne se berçait pas de l'illusion que son action serait décisive. Il s'agissait d'une lutte pour le pouvoir politique dans laquelle la force pourrait intervenir, mais le problème ne serait pas résolu par la seule force. Dans ce combat, son arrivée même sur ce vaisseau fournissait à ses opposants de puissants arguments contre lui. « Regardez, » diraient-ils sans doute, « un seul Homme Mixte a été capable de s'emparer d'uni vaisseau de guerre, ce qui prouve bien notre supériorité. » C'était enivrant pour des gens dont les ambitions restaient affamées depuis un quart de siècle.
Il vit sur la plaque que de petites nefs approchaient. Il entra en contact radio, reconnut ceux qui étaient à leur bord pour des partisans à lui et surveilla leur arrivée par le sas. Quelques minutes après, il serrait la main d'hommes qu'il n'avait jamais rencontrés personnellement auparavant.
Les conversations sur la tactique et la stratégie s'engagèrent presque immédiatement. Plusieurs de ceux qui étaient venus avaient le sentiment qu'on devait exécuter Hunston. Une majorité estimait qu'il fallait au moins l'emprisonner. Maltby les écoutait, mal à l'aise, conscient qu'ils étaient mieux placés que lui pour en juger. D'autre part, ils étaient tendus parce que trop proches du danger. Il était même possible que ses vues à lui, qui avait observé les événements de loin, fussent plus détachées et, par conséquent, plus saines Ce n'était qu'une idée à laquelle il n'attacha pas d'importance. Il commençait pourtant à se voir dans le rôle d'arbitre quand brusquement les deux groupes se mirent à le questionner.
— « Sommes-nous assurés que les Cinquante Soleils continueront fermement de refuser d'entrer en relation avec le vaisseau terrien ? »
— « D'après ce que vous avez vu et entendu, avez-vous noté des signes de fléchissement ? »
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— « Pourquoi le second ultimatum a-t-il été tenu secret »
— « L' Atmion est-il le seul bâtiment affecté à la poursuite du Star Cluster? »
— « N'y aurait-il pas un objectif secret derrière cette surveillance de l'ennemi ? »
— « Dans quelle position nous trouverions-nous si les Cinquante Soleils livraient soudain les coordonnées de leur position ?
»
Maltby se sentit submergé durant un temps. Puis, s'apercevant que les questions suivaient un ordre préétabli et dissimulaient une idée fausse, il leva la, main et leur dit : « Messieurs, il semble que vous partiez de l'hypothèse que si les autres gouvernements changeaient d'avis nous pourrions encore intervenir pour obtenir des avantages. Il n'en est rien. Nous avons pris le parti de rester fermement aux côtés des Cinquante Soleils quelle que soit leur décision. Nous agissons d'un commun accord. Il n'est pas question de manœuvrer pour acquérir des droits particuliers sinon ceux qui découlent de l'offre qui nous est faite. » Il termina d'un ton moins sévère : « Je me rends compte que vous avez tous subi une intense pression. Croyez- moi, je comprends votre attitude en tant qu'individus et en tant que groupe. Mais il faut maintenir notre unité.
Cette crise ne nous permet pas de jouer les opportunistes. »
Les hommes se regardèrent. Quelques-uns, surtout parmi les jeunes, paraissaient contrariés, comme s'ils avaient une amère pilule à avaler. Mais ils convinrent finalement d'appuyer ce plan, du moins à titre provisoire.
Puis vint la question essentielle : « Et Hunston ? »
Maltby dit d'un ton posé : « J'aimerais lui parler. »
Collings, le plus vieil ami personnel du père de Maltby, l'examina durant quelques secondes, puis entra dans la chambre radio. Il était pâle quand il revint.
— « Il refuse de vous voir ici. Il dit que pour le voir, il vous faudra descendre. Peter, c'est un outrage ! »
— « Dites-lui que je descends immédiatement, » répondit Maltby sans s'émouvoir.
Il sourit en voyant leurs sombres expressions. « Messieurs, »
reprit-il d'une voix sonore, « cet homme joue notre jeu.
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Radiodiffusez que je descends au nom de l'union en temps de crise.
N'exagérez pas, mais glissez un rien d'inquiétude dans votre annonce, laissez entendre qu'il me sera peut-être fait violence. »
Il finit très simplement : « Il est évident qu'il ne se passera rien tant que ce vaisseau flottera en position dominante. Toutefois, si je n'étais pas de retour dans une heure et demie, essayez de me joindre.
Puis, peu à peu, en commençant par des menaces, attendez le moment où vous déclencherez le tir. »
En dépit de son assurance, il éprouvait une curieuse impression de vide et de solitude quand son canot se posa sur le toit du quartier général de Hunston.
Hunston était un homme entre trente et quarante ans, de haute taille, au visage sardonique. A l'entrée de Maltby dans son bureau privé, il se leva et s'avança pour lui serrer la main. Ce fut d'un ton calme et aimable qu'il lui dit : «Je voulais vous éloigner de ces poules mouillées qui gouvernent ici: Je n'envisageais aucun crime de lèse-majesté ! Je désire parler avec vous. Je pense pouvoir vous convaincre.»
Il s'exprimait à voix basse, cultivée, mais très vivante. Ses arguments s'appuyaient sur la supériorité fondamentale des Hommes Mixtes, arguments usés jusqu'à la corde. Il y croyait de toute évidence, et finalement Maltby eut la conviction que le défaut principal de cet homme était un manque de renseignements généraux et particuliers sur le monde extérieur. Il avait passé trop de temps dans les cités fermées des Hommes Mixtes, il avait consacré trop d'années à parler et à penser sans se référer à des réalités plus vastes.
En dépit de son esprit brillant, Hunston était un provincial.
Le chef des rebelles termina son monologue en posant une question : « Croyez-vous que les Cinquante Soleils puissent rester impénétrables à la civilisation terrienne ? »
— « Non, » répondit sincèrement Maltby. « Je pense que nous serons inévitablement découverts un jour ou l'autre. »
— « Et pourtant vous êtes en faveur de ce jeu de cache-cache prolongé ? »
— « Je suis en faveur de l'unité devant la situation actuelle. Je crois qu'il est sage d’exercer la prudence avant d'établir des relations.
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Il est même possible d'éluder la découverte pendant une centaine d'années, et peut-être plus. »
Hunston resta silencieux. Il avait le visage contracté. « Je vois que nos vues sont opposées, » finit-il par dire.
Tout en l'observant, Maltby répondit : « Mais peut- être nos visées à long terme sont-elles les mêmes. Ce sont sans doute nos plans pour arriver au même but qui diffèrent. »
Le visage de Hunston s'éclaira ; ses yeux s'agrandirent un peu. Il dit avec vivacité : « Votre Excellence... si je pouvais croire cela... » Il s'interrompit, les yeux de nouveau mi-clos. « J'aimerais connaître votre opinion sur le rôle futur des Hommes Mixtes dans la civilisation. »
— « S'ils en ont l'occasion, et par les voies légales, » exposa tranquillement Maltby, « ils évolueront immanquablement vers les positions dirigeantes les plus éminentes. Sans recourir déloyalement à leur pouvoir de contrôle sur les esprits des autres ils domineront d'abord les Cinquante Soleils, puis la galaxie principale. Si, à un moment quelconque de leur montée au pouvoir, ils recourent à la force, ils seront détruits jusqu'au dernier, femmes et enfants compris.
»
Les yeux de Hunston étincelaient. « Et combien de temps cela prendra-t-il, selon vous ? » demanda-t-il.
— « Cela peut commencer durant notre vie, à vous et à moi. Il faudra au moins un millier d'années, selon la cadence des mariages entre Delliens et êtres humains... Pour le moment, il ne saurait naître d'enfants de ces unions, vous le savez... »
Hunston hocha la tête, le front plissé, puis il reprit : « On m'avait trompé sur votre compte. Vous êtes l'un des nôtres. »
— « Non ! » contra fermement Maltby. « Je vous prie de ne pas confondre une attitude à long terme avec une courte vue. Dans le cas présent, c'est toute la différence entre la vie et la mort. Rien que de mentionner que nous espérons finir par atteindre à la domination, alarmerait les populations que leurs gouvernements ont maintenant préparées à une amitié précautionneuse. Si nous démontrons notre désir d'unité dans cette crise, ce sera un début. Si nous voulons être opportunistes, alors cette petite race de surhommes dont vous et moi faisons partie sera anéantie tôt ou tard. »
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Hunston s'était levé. « Votre Excellence, je reconnais le bien-fondé de vos paroles. Je marcherai avec vous. Nous attendrons les suites. »
C'était une victoire inattendue pour Maltby, qui était venu tout prêt à recourir à la force. Toutefois, bien que croyant Hunston sincère, il n'avait nulle intention de se fier à sa parole. L'homme pouvait changer d'avis dès que l’ Atmion serait reparti. Il le lui dit franchement et conclut « Dans les circonstances présentes, je suis obligé de vous prier de vous soumettre à six mois de détention en un lieu où vous serez coupé de vos partisans. Ce ne sera guère qu'une forme d'arrêts à la maison. Vous pourrez emmener votre épouse.
Vous aurez droit à tous les égards et vous serez libéré sans délai si des relations s'établissent entre-temps entre le vaisseau terrien et les Cinquante Soleils. Vous serez davantage dans la position d'un otage que d'un prisonnier. Je vous laisse vingt-quatre heures pour réfléchir.
»
On ne tenta pas de l'arrêter quand il regagna son canot, puis le vaisseau de guerre.
Hunston se livra de lui-même au bout des vingt-quatre heures de délai. Il ne posa qu'une condition les raisons de son arrestation devaient être diffusées par radio.
Ainsi les Cinquante Soleils se trouvèrent-ils à l'abri d'une découverte immédiate, puisqu'il était évident qu'un seul vaisseau ne parviendrait pas à découvrir même une seule planète d'une civilisation si bien camouflée. Restait le problème que poserait l'inévitable découverte quand d'autres vaisseaux viendraient de la galaxie principale, dans quelques années. Chose étrange, maintenant que le danger le plus sérieux était écarté, Maltby commençait à se soucier de celui-là. Tout en remettant l' Atmion sur sa route initiale, Maltby réfléchissait à ce qu'il pourrait faire pour assurer plus solidement la sécurité des populations du Grand Nuage de Magellan.
Il lui semblait qu'il fallait se faire une idée précise de l'ampleur du danger. La seule idée de la méthode à employer lui donnait la chair de poule ; et pourtant, avec chaque heure qui s'écoulait, il devenait de plus en plus décidé, convaincu que sa volonté de paix faisait de lui la personne la plus apte à ce travail.
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Il examinait encore les diverses manières de faire capturer le vaisseau quand les sonneries d'alarme retentirent.
— « Dame Laurr, nous avons établi le contact en résonance-haute avec un vaisseau de ce système! »
— « Emparez-vous-en! »
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Chapitre 6
Maltby ne se faisait pas une idée claire de la façon dont c'était arrivé. Au début des opérations de capture, il n'était que trop prêt à se laisser prendre. Quand les rayons tracteurs agrippèrent l' Atmion il était un peu tard pour analyser comment le vaisseau des envahisseurs avait manœuvré pour attirer son propre bâtiment dans le champ des rayons.
Il était arrivé quelque chose, la sensation physique d'être aspiré dans un tourbillon, une perception des tensions et des torsions de son propre corps, comme si la matière de base de sa structure eût été soumise à des efforts. De toute façon, cela avait brusquement cessé quand les tracteurs avaient assujetti leur prise, et le vaisseau des Cinquante Soleils avait été entraîné vers les ténèbres lointaines où l'autre unité s'était immobilisée, cachée par la distance.
Inquiet, Maltby étudiait les instruments de mesure qui pouvaient lui permettre d'évaluer les dimensions du vaisseau ennemi. Au fur et à mesure que passaient les minutes, il commençait à se rendre compte du peu de chances qu'il avait de voir la machine ennemie.
Dans cette immense nuit, même les soleils proches n'étaient que de faibles points lumineux. Il fallait un certain laps de temps pour déterminer les caractéristiques d'un corps quelconque. Quelque chose d'aussi petit qu'un vaisseau n'était guère qu'un grain de poussière perdu dans un noir inconcevable.
Il ne se trompait pas. L’ Atmion était encore à plusieurs minutes-lumière de l'ennemi quand une douleur perçante, fulgurante, lui 81
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tortura les muscles. Il eut le temps de deviner, des rayons paralysants
! Puis il se retrouva sur le sol de la chambre des commandes à se débattre dans les ténèbres qui se refermaient sur lui.
Il s'éveilla, tendu, aux aguets, convaincu qu'il lui fallait prendre le contrôle de la situation, quelle qu'elle fût. Il devinait que les autres avaient les moyens de dominer son esprit et de le forcer à livrer des renseignements. Il devait même admettre que son propre esprit double pût être vaincu si l'on en soupçonnait les capacités.
Il entrouvrit les yeux rien qu'en décontractant ses muscles orbitaux. On eût dit qu'il avait lancé un signal. De tout près, une voix dit, dans un anglais insolite mais intelligible :
— «Très bien. Faites-le passer par le sas. »
Maltby referma les yeux, mais il avait eu le temps de voir qu'il était encore à bord de l' Atmion. Et qu'apparemment on était en train de faire entrer le vaisseau des Cinquante Soleils dans la machine ennemie. Qu'il fût resté où il était tombé dans le poste de commandes indiquait que les officiers et l'équipage de l' Atmion n'avaient pas encore été soumis à un interrogatoire.
Une vague d'intérêt le balaya. Serait-ce donc si simple ? Etait-il possible qu'il lui suffît de sonder avec précaution, à l'aide de ses deux esprits... pour mettre sous contrôle tout être humain qu'il rencontrerait ?
Et qu'il prenne ainsi le dessus sur l'équipe d'abordage ?
Tout cela allait-il être possible ?
Ça l'était. Et il en fut ainsi.
On conduisit Maltby et les autres le long d'un corridor qui se perdait à distance. Des membres de l'équipage du vaisseau terrien, en armes, hommes et femmes, marchaient devant et derrière le long cortège de prisonniers.
Mais il y avait là une illusion. Les véritables prisonniers étaient les officiers qui surveillaient les captifs. Au moment voulu, le commandant — un homme solide, la quarantaine — ordonna calmement au groupe principal des prisonniers de continuer à suivre le couloir. Toutefois, Maltby et les autres officiers de l'Astrogation et de la Météorologie furent dirigés dans une coursive latérale et introduits dans un vaste appartement qui comptait une demi-douzaine de chambres.
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L'officier terrien dit froidement : « Vous serez très bien ici. On va vous apporter des uniformes convenables et vous pourrez vous promener partout où vous voudrez à bord... à la condition de ne pas trop parler à nos gens. Nous avons un tas de dialectes en usage à bord, mais aucun qui ressemble tout à fait au vôtre. Nous ne tenons pas à ce que l'on vous remarque, alors, attention ! »
Maltby n'était pas inquiet. A son avis, il fallait qu'il se familiarise avec le vaisseau et ses habitudes. Il était déjà évident que c'était un énorme bâtiment et qu'il y avait à bord plus de monde qu'un seul homme n'en pouvait contrôler directement. Il soupçonnait qu'il y avait aussi des pièges pour les imprudents et les curieux. Mais c'étaient les risques à courir. Dès qu'il se serait fait une idée générale du vaisseau et de ses sections, il explorerait rapidement les dangers inconnus.
Quand les gardes furent partis, il alla en compagnie des autres astrogateurs faire un raid à la cuisine. Comme il s'y attendait plus ou moins, il y avait de nombreuses similitudes alimentaires. Les Delliens et les humanoïdes non delliens avaient emmené des animaux domestiques, il y avait des milliers d'années. Et maintenant, dans les compartiments des congélateurs, il y avait des biftecks, des côtes de porc et d'agneau, des rôtis et une grande diversité de volailles terriennes, tous enveloppés d'une matière transparente.
Les hommes mangèrent à satiété, Maltby discuta sérieusement avec eux du mystère que posait le traitement qu'on leur accordait. Il avait une conscience aiguë de s'être conduit dangereusement. Il y avait parmi eux des esprits clairvoyants et si jamais l'un d’eux établissait un rapport entre ce qui s'était passé et la crainte qu'éprouvaient les gens des Cinquante Soleils vis-à-vis des Hommes Mixtes, il se pourrait que le compte rendu qu'il en ferait, effraye davantage ses supérieurs que le vaisseau terrien lui-même. Il fut soulagé en voyant revenir avec un paquet d'uniformes l'officier qu'il contrôlait.
Il était difficile d'exercer ce contrôle en présence d'hommes des Cinquante Soleils. Il fallait que l'esclave soit persuadé que ses actes étaient fondés sur de bonnes raisons. L'homme en cause agissait sous l'effet de la croyance qu'il avait ordre de s'assurer la bonne volonté des officiers les plus compétents du vaisseau capturé. Il avait en 83
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outre l'impression qu'il aurait été malavisé, d'une part de le faire savoir à ces étrangers, d'autre part d'en parler à ses camarades officiers du bord.
Il était en conséquence tout à fait prêt à fournir les renseignements qui permettraient à Maltby et aux autres de se déplacer dans certaines limites à bord du bâtiment. Mais il n'était pas prêt à leur fournir trop de données sur le vaisseau même. Tant que les autres étaient présents, Maltby devait s'accommoder de cette restriction. Mais ce fut lui qui raccompagna l'officier quand ce dernier, sa tâche accomplie, décida enfin de repartir. Au grand désappointement de Maltby, l'homme se montra réfractaire à tout contrôle mental en ce qui concernait les renseignements sur le vaisseau. Il voulait bien, mais il ne pouvait pas fournir d'informations de cet ordre. Quelque chose — sans doute un moyen hypnotique de suppression — l'en empêchait. Il finit par apparaître clairement à Maltby qu'il devrait apprendre ce qu'il désirait de la bouche d'officiers de plus haut rang, qui avaient tout leur libre-arbitre. Les officiers subalternes n'en jouissaient visiblement pas et il aurait fallu trop de temps pour analyser et combattre la méthode appliquée pour les protéger.
Il devinait que les autorités du bord devaient maintenant s'apercevoir que les astrogateurs et les météorologistes de l' Atmion manquaient à l'appel. Quelqu'un s'en inquiéterait, avec la résolution et le sérieux de l'esprit militaire. Si seulement il trouvait l'occasion de parler à la femme qui commandait en chef ce vaisseau terrien... Mais cela même rendrait indispensable d'appliquer d'autres mesures.
L'évasion ?
Bien qu'il n'eût guère de temps à perdre, il lui fallait néanmoins encore deux heures pour contrôler les officiers qui surveillaient les captifs des Cinquante Soleils et l' Atmion... pour les contrôler de telle sorte qu'à un signal donné ils coordonnent leurs actes pour organiser la fuite. Dans chacun des cas, il était nécessaire de montrer un ordre réel ou hallucinatoire émanant d'un officier supérieur pour obtenir l'acquiescement automatique de l'individu. A titre de précaution, Maltby expliqua en outre que l' Atmion allait être relâché en signe d'amitié vis-à-vis du Gouvernement des Cinquante Soleils.
Cela fait, il réussit à introduire dans l'esprit d'un officier de haut 84
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grade l'idée que la capitaine générale insistait pour le voir. Comment tout cela tournerait, Maltby n'en avait que l'idée la plus vague.
Le lieutenant Neslor arriva sur la passerelle et posa son corps amaigri sur un fauteuil. Elle soupira. « Il y a quelque chose qui ne va pas, » dit-elle.
La capitaine générale se détourna du pupitre de commande où elle s'affairait pour examiner pensivement son aînée. Elle finit par hausser les épaules d'un geste coléreux et répondit : « Il y a certainement parmi ces gens des Cinquante Soleils des individus qui savent où se trouvent leurs planètes. »
La psychologue secoua la tête. « Nous n'avons trouvé aucun officier astrogateur à bord. Les autres prisonniers en étaient tout aussi surpris que moi. »
Dame Laurr fronça les sourcils. « Je ne comprends pas très bien,
» fit-elle d'une voix lente.
— « Il y en a cinq, » expliqua le lieutenant Neslor. « On les a encore tous vus quelques minutes avant que nous capturions l’ Atmion. Maintenant, ils ont disparu. »
La jeune femme répliqua vivement : « Qu'on fouille le vaisseau Alertez tout le monde ! » Elle commença à se tourner vers le grand panneau de commandes, puis elle s'immobilisa. Elle regarda pensivement la psychologue. « Je vois que vous ne jugez pas que ce soit le bon moyen. »
— « Nous avons déjà fait l'expérience d'un Dellien, » répliqua l'autre.
Dame Gloria eut un bref frisson. Le souvenir du Guetteur de Gisser, l'homme capturé sur la station météo, n'était pas encore totalement effacé de sa mémoire. « Alors, que proposez-vous »
— « D'attendre ! Il fallait bien qu'ils aient un plan, quelle que soit la méthode qu'ils ont employée pour échapper à notre contrôle énergétique. J'aimerais voir où ils tenteront d'aller, savoir ce qu'ils cherchent. »
— « Je comprends. » Ce fut le seul commentaire de la capitaine générale. Elle avait le regard perdu au loin.
— « Naturellement, » insista le lieutenant Neslor, « il va falloir vous protéger. Je m'en charge personnellement. »
Dame Laurr haussa de nouveau les épaules. « Je n'arrive pas à 85
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imaginer qu'un nouveau venu à notre bord puisse jamais espérer découvrir mon appartement. Si je l'oubliais, je n'aimerais pas devoir calculer comment rentrer ici. » Elle changea de sujet. « Est-ce tout ce que vous avez à me suggérer ? Attendre et voir ce qui arrivera ? »
— « C'est tout. »
La jeune femme secoua la tête. « Cela ne me suffit pas, ma chère.
Je présume qu'on a exécuté mes ordres antérieurs sur les précautions à prendre et qu'ils sont toujours en vigueur ? » Elle se tourna brusquement vers le panneau de commandes. Un instant après, un visage apparut sur la plaque. « Ah ! Capitaine ! » dit Gloria.
— « Que fait votre police en ce moment même ? »
— « Elle fouille et surveille, » répondit-il.
— « Et le résultat ? »
— « Le vaisseau est entièrement protégé contre toute explosion accidentelle. Toutes les bombes sont à l'inventaire et des observateurs munis de commandes à distance surveillent les entrées principales. Aucune surprise n'est possible. »
— « Bien, continuez ! » dit la capitaine générale Laurr. Elle coupa le contact et bâilla. « Il doit être l'heure de me coucher. Au revoir, ma chère. »
Le lieutenant Neslor se leva. « Je suis à peu près certaine que vous pouvez dormir en paix. »
Elle sortit. La jeune femme passa une demi-heure à dicter des mémos à divers services, fixant l'heure à laquelle chacun devait être communiqué. Puis elle se dévêtit et se coucha. Elle s'endormit presque aussitôt.
Elle s'éveilla avec un curieux sentiment de mécontentement.
N'était la faible lueur du tableau de commandes, la passerelle était dans les ténèbres, mais au bout d'un moment, elle se dit avec stupéfaction : Il y a quelqu'un dans la pièce.
Elle resta tout à fait immobile, savourant la menace, se rappelant ce que lui avait dit le lieutenant Neslor.
Il semblait incroyable qu'une personne ne connaissant pas le monstrueux vaisseau ait pu trouver si vite où elle se trouvait. Ses veux s'accoutumaient à l'obscurité, et dans la pénombre elle distingua la silhouette d'un homme debout à quelques pas de son lit.
Il devait attendre depuis un moment qu'elle s'aperçoive de sa 86
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présence. Il avait dû aussi se rendre compte qu'elle s'était réveillée, car il lui dit : « N'éclairez pas. Et faites très attention. »
Il avait la voix douce, presque aimable; pourtant elle fut convaincue, au ton, qu'elle avait affaire à un homme des plus dangereux. Sur son ordre, elle resta dans son lit et ne bougea plus la main qu'elle avait posée sur le drap. Elle eut même une première attaque de peur en se rendant compte qu'elle risquait de mourir avant qu'on puisse lui porter secours. Elle ne pouvait qu'espérer que le lieutenant Neslor était éveillée et aux aguets.
L'intrus reprit la parole : « Il ne vous arrivera rien si vous faites exactement ce que je vous dis. »
— « Qui êtes-vous? » Son ton traduisait sa volonté de savoir.
Maltby ne répondit pas. Il avait maintenant aperçu un siège et il s'y installa, mais il n'était pas satisfait de sa position. Il y avait à bord d'un vaisseau, de guerre trop d'instruments mécaniques pour qu'il ait de l'assurance dans ses mouvements. Il pouvait être vaincu et même détruit sans avertissement. Il imaginait assez facilement qu'en cet instant même la scène était observée de quelque point éloigné qu'il n'avait pas pouvoir de contrôler. Il reprit lentement : « Il ne vous arrivera rien, madame, si vous ne faites pas de mouvements brusques. Je suis ici dans l'espoir d'obtenir réponse à quelques questions. Pour vous mettre à l'aise, je suis un des astrogateurs de l’ Atmion. Je ne vous expliquerai pas en détail comment nous avons échappé à votre réseau, mais si je viens vous parler ainsi, c'est à cause de votre propagande. Vous aviez raison de penser qu'il existe des divergences d'opinion entre les populations des Cinquante Soleils. Certains ont l'impression que nous ne devons pas ajouter foi à vos affirmations. D'autres ont peur. Naturellement, les craintifs, qui sont la majorité, ont gagné. Il paraît toujours plus sûr d'attendre et d'espérer. »
Il se tut, réfléchissant à ses propres paroles; peut-être eût-il pu mieux formuler sa pensée, lui semblait-il, mais elles traduisaient son sentiment dans l'ensemble. S'il était possible de persuader les gens du vaisseau de la véracité de ce qu'il disait en ce moment, il fallait leur montrer que lui-même ainsi que d'autres étaient encore indécis. Il poursuivit de la même voix claire, sans hâte : « Je représente un groupe qui occupe en l'occurrence une position unique. Seuls les 87
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astrogateurs et les météorologistes des divers vaisseaux et des planètes sont en mesure d'indiquer la position des mondes habités. Il y a probablement des dizaines de milliers de traîtres qui vendraient sur-le-champ leurs semblables pour un gain personnel, mais ils ne comptent pas parmi le personnel entraîné et discipliné du gouvernement ou des Forces Armées. Je suis certain que vous comprenez très bien ce que cela signifie. » Il s'interrompit encore pour laisser ses mots prendre tout leur sens.
La femme s'était peu à peu décontractée au fil des paroles de Maltby. Ce qu'il disait paraissait rationnel, ses intentions semblaient étranges, mais non incroyables. Ce qui la tourmentait était presque insignifiant par comparaison : comment avait-il trouvé le chemin de son appartement ? Toute personne moins bien informée qu'elle de la complexité de la construction du vaisseau aurait pu accepter la réalité de sa présence et s'en tenir là. Mais elle connaissait les lois du hasard qui étaient en jeu. C'était comme s'il s'était rendu dans une ville inconnue de trente mille habitants et — sans aucune donnée préalable
— était allé tout droit chez la personne qu'il désirait voir. Elle secoua un peu la tête, repoussant cette analogie. Elle attendait, sachant qu'elle ne risquait rien, et chaque instant qui passait la rendait plus certaine que le lieutenant Neslor était au travail. Elle pourrait même apprendre quelque chose.
Maltby déclara : « Il nous faut quelques renseignements. La décision que vous tentez de nous imposer, nous aimerions tous la reculer. Pour nous, il serait tellement plus simple que vous retourniez dans la galaxie principale, quitte à renvoyer d'autres vaisseaux ici à une date ultérieure. Alors, nous aurions le temps de nous adapter à l'inévitable et personne n'aurait à prendre la position peu enviable de devoir songer à trahir son propre peuple. »
Gloria acquiesça de la tête, dans l'ombre. Elle comprenait ce point. Elle demanda : « A quelles questions désirez-vous que je réponde ? »
— « Depuis combien de temps êtes-vous dans le Grand Nuage de Magellan ? »
— « Dix ans. »
— « Combien de temps encore comptez-vous y rester ? »
— « Ce renseignement n'est pas disponible, » dit d'une voix 88
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ferme la capitaine générale. Il lui vint à l'esprit que c'était vrai même en ce qui la concernait. Le plébiscite n'aurait lieu que deux jours après.
— « Je vous conseille vivement de répondre à mes questions, »
dit Maltby.
— « Qu'arrivera-t-il si je refuse ? »
Pendant qu'elle parlait, sa main, qu'elle avait imperceptiblement avancée vers un petit tableau d'instruments au bord de son lit, atteignit son but. Elle pressa triomphalement un des boutons. Elle se décontracta aussitôt. Dans l'ombre, Maltby lui dit : « J'ai décidé de vous laisser faire ce geste. J'espère que vous vous sentez ainsi plus en sûreté. »
Son calme la déconcerta, mais elle se demandait s'il avait compris clairement ce qu'elle avait fait. Froidement, elle lui expliqua qu'elle avait mis en service une batterie de ce qu'on appelait des lumières sensitives. Dès cet instant, elles le surveillaient de leurs nombreux yeux électriques. Toute tentative de sa part d'utiliser une arme à énergie se heurterait à des forces contraires.
Cela l'empêchait elle-même de se servir d'une arme, mais elle jugea sage de ne pas l'en informer.
— « Je n'ai aucune intention de me servir d'une arme énergétique, » fit Maltby. « Mais j'aimerais que vous répondiez à d'autres questions. »
— « Peut-être. » Elle parlait d'une voix douce, mais elle commençait à s'irriter contre le lieutenant Neslor. Il fallait sûrement agir, à présent I
Maltby reprit : « Quelle est l'importance de ce vaisseau ? »
— « Il mesure mille cinq cents pieds de long et compte trois mille officiers et hommes d'équipage. »
— « C'est plutôt grand, » dit Maltby. Il était impressionné et se demandait de combien elle exagérait.
La capitaine générale ne fit pas de commentaire. Les dimensions réelles étaient dix fois supérieures à ce qu'elle avait dit. Ce n'était pas tant la grandeur qui comptait, mais bien la qualité de ce qui était à l'intérieur. Elle se sentait à peu près certaine que son interrogateur n'avait pas du tout saisi l'énormité du potentiel défensif et offensif de ce vaste vaisseau. Seuls quelques-uns parmi les hauts gradés 89
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comprenaient la nature de certaines des forces qu'on pouvait mettre en jeu. Pour le moment, ces officiers étaient censément sous la surveillance constante d'observateurs disposant de télécommandes.
Maltby demanda : « Je suis intrigué par la façon dont nous avons été capturés. Pouvez-vous me l'expliquer »
Ainsi, il y était enfin venu ! Dame Laurr éleva la voix. «
Lieutenant Neslor ? »
— « Oui, noble dame. » La réponse vint sans tarder de quelque part dans l'obscurité.
— « Ne pensez-vous pas que cette comédie a assez duré ? »
— « Je suis bien de cet avis. Dois-je le tuer ? »
— « Non. Je désire qu' il réponde à quelques questions. »
Maltby prit le contrôle de son esprit en s'approchant en hâte du transmetteur. Derrière lui...
— « Ne tirez pas ! » cria Gloria, la voix intense. « Laissez-le partir ! »
Même par la suite, elle ne réfléchit pas sérieusement à cet ordre, ni à l'impulsion qui le lui avait fait donner. Plus tard, elle s'expliqua à elle-même que l'intrus ne l'ayant pas menacée et étant l'un des astrogateurs qu'on recherchait, le tuer pour l'empêcher de se réfugier en une autre partie du vaisseau aurait constitué un acte dénué de raison.
Il en résulta que Maltby quitta la passerelle sans être molesté et put donner le signal qui libéra l' Atmion. Tandis que le bâtiment des Cinquante Soleils fuyait au loin, les officiers du vaisseau terrien —
sous l'emprise de Maltby — commencèrent à oublier la part qu'ils avaient prise à cette fuite.
Mentalement, Maltby n'était pas allé plus loin. Pénétrer à bord du vaisseau ennemi et en ressortir... cela avait paru en soi une assez belle aventure. Ce qu'il avait appris n'était pas tellement satisfaisant, mais il savait qu'ils avaient affaire à un très vaste vaisseau. Celui-ci devrait prendre des précautions en cas de heurt contre toute une flotte, mais Maltby ne doutait pas qu'il disposât d'armes en mesure de détruire plusieurs vaisseaux de guerre des Cinquante Soleils à la fois.
Ce qui l'inquiétait, c'était la réaction des officiers et de l'équipage de l' Atmion ainsi que des populations des Cinquante Soleils en général quand elles seraient au courant de l'incident. Cela paraissait 90
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trop complexe à extrapoler pour un seul homme. Quant à ce qui se passerait à bord du Star Cluster, c'était encore plus difficile à prévoir.
Toutes les réactions ne se manifestèrent pas immédiatement.
Maltby savait que le vice-amiral Dreehan avait envoyé un compte rendu au gouvernement. Mais, durant deux jours, il ne se passa rien.
Le quatrième jour, la plaque de Maltby s'éclaira, révélant le visage de Dreehan. Le vice-amiral déclara gravement : « Ceci s'adresse à tous les gradés et à tous les hommes. Je viens de recevoir du Q.G. de notre flotte le message suivant :
— « Il est déclaré par la présente annonce, » lut-il calmement, «
que l'état de guerre existe entre les peuples des Cinquante Soleils et le vaisseau terrien Star Cluster. La flotte fera route de façon à intercepter l'ennemi et cherchera à engager le combat. Les vaisseaux endommagés et en danger de capture devront détruire leurs cartes stellaires. Il est demandé à tous les officiers astrogateurs et météorologistes qui se trouveraient à bord de ces vaisseaux de se suicider patriotiquement. Le gouvernement souverain des Cinquante Soleils décrète que l'envahisseur doit être détruit. »
Maltby écoutait, pâle et tendu, tandis que Dreehan poursuivait sur le ton de la conversation : « Selon mes renseignements privés, le gouvernement a tiré de notre expérience la conclusion que le Star Cluster nous a relâchés parce que son commandant n'a pas osé soulever la colère des peuples. Là-dessus et selon d'autres données, nos chefs ont décidé que le vaisseau terrien devait être anéanti par une attaque résolue. Si nous suivons bien les instructions précises qui nous sont données, même la capture de divers bâtiments n'apportera aucun avantage à l'ennemi. J'ai déjà désigné les exécuteurs de tous les officiers de la Météorologie et de l'Astrogation au cas où ils ne seraient pas en mesure d'agir d'eux-mêmes, le moment venu. Veuillez en prendre note.
Le capitaine Peter Maltby, météorologiste en chef et astrogateur-adjoint, constata avec un certain malaise qu'il était engagé. Il avait prôné une doctrine d'action unie avec les Cinquante Soleils. Il n'était donc pas question pour lui de changer de position pour des raisons personnelles à présent.
Son unique espoir était que les loups de l'espace — ainsi appelait-on souvent les vaisseaux de guerre — agissant en meute, 91
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auraient vite raison du vaisseau de la Terre.
Ce fut à un tigre qu'ils se heurtèrent.
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Chapitre 7
Elle avait perdu le plébiscite par neuf voix contre dix; de quoi lui briser le cœur Sombrement, elle donna l'ordre de modifier la route du grand bâtiment et de mettre le cap sur la Terre.
Tard dans la « journée », les Transmissions l'appelèrent. «
Devons-nous continuer à diffuser notre route ? »
Du moins conservait-elle le commandement en la matière. « Très certainement, » fit-elle sèchement.
Le lendemain après-midi, les sonneries d'alerte la réveillèrent de sa, sieste.
— « Des milliers de bâtiments devant nous ! » signala le capitaine chargé des opérations.
— « Ralentissez les opérations ! » commanda-t-elle.
— « Aux postes de combat ! »
Cela fait, et leur vitesse étant réduite à moins de quinze cents kilomètres-seconde, elle réunit les capitaines en conseil.
— « Eh bien, Mesdames et Messieurs, » dit-elle avec une joie non déguisée, « j'aimerais à présent obtenir l'autorisation de livrer combat à un gouvernement récalcitrant qui nous démontre qu'il est capable de passer aux actes les plus hostiles contre la civilisation terrienne. »
— « Gloria, » dit une des femmes, « ne nous mettez pas le nez dedans ! Cette fois, vous avez raison. »
Il fut voté à l'unanimité d'accepter la bataille. Après, la question se posa :
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— « Allons-nous les détruire ou les capturer ?
— « Les capturer. »
— « Tous ? »
— « Tous. »
Quand la flotte des Cinquante Soleils et le vaisseau terrien ne furent plus qu'à six cents millions de kilomètres de distance, le Star Cluster envoya un champ d'énergie qui couvrait une vaste zone d'espace.
C'était un univers en miniature, aux courbes accentuées. Des vaisseaux qui suivaient apparemment une route rectiligne se retrouvaient en train de regagner leurs positions de départ. Les tentatives en vue d'échapper au piège grâce à des vélocités supérieures à la vitesse de la lumière se révélèrent vaines. Une averse de torpilles lancées vers le point d'origine du champ, furent déviées et il fallut les faire exploser dans l'espace pour éviter qu'elles endommagent les vaisseaux qui les avaient envoyées.
On s'aperçut qu'il était impossible de communiquer avec l'une quelconque des planètes des Cinquante Soleils. La radio subspatiale était silencieuse comme la mort.
Au bout de quatre heures environ, le Star Cluster dressa un ensemble de faisceaux tracteurs. Un à un, inexorablement, les bâtiments furent attirés vers le vaisseau de guerre gigantesque.
C'est à ce moment que furent lancés des ordres sévères pour que tous les officiers météo et astrogateurs des Cinquante Soleils se suicident immédiatement.
Sur l' Atmion, Maltby était parmi un groupe d'hommes livides qui serraient la main du vice-amiral Dreehan; immédiatement après, en présence de son supérieur, il pointa un pistolet sur sa tempe.
En cet ultime instant, il hésita. « Je pourrais le contrôler dès à présent... et sauver ma vie. »
Il se dit coléreusement que toute cette histoire était futile, inutile.
La découverte des Cinquante Soleils était inévitable, puisqu'elle aurait lieu un jour ou l'autre, quoi qu'il fit maintenant.
Puis il songea : « C'est cela que j'ai défendu devant les Hommes Mixtes. Nous devons faire un avec le groupe, jusqu'à la mort si nécessaire. »
Sa courte hésitation prit fin. Il toucha le bouton de son arme 94
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Quand les équipes de techniciens embarquèrent sur les premiers bâtiments capturés, la jeune femme, impatiente, sur la passerelle du plus grand vaisseau qui fût jamais entré dans le Grand Nuage de Magellan, fut informée des suicides.
Elle eut une poussée de pitié. « Ramenez-les tous à la vie ! »
ordonna-t-elle. « Il est inutile que quiconque périsse. »
— « Certains sont en assez mauvais état, » lui répondit-on. « Ils se sont servis de foudroyants. »
Elle plissa le front. Cela impliquait un énorme travail supplémentaire. « Les imbéciles ! » fit-elle. « Ils méritent presque la mort ! »
Elle changea de ton. « Prenez-en grand soin ! S'il le faut, faites passer les vaisseaux tout entiers dans les transmetteurs de matière, en soulignant l'importance primordiale de la synthèse des tissus et organes endommagés. »
Tard dans la période de sommeil, elle était encore debout pour recevoir les nombreux comptes rendus.
On amena devant elle plusieurs astrogateurs ressuscités, et, avec l'aide de la psychologue, le lieutenant Neslor, elle les questionna.
Avant qu'elle se fût retirée pour dormir, une civilisation perdue avait été retrouvée.
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Chapitre 8
Par les années et les distances, les gaz dérivaient. Les déchets de dix mille soleils, les miasmes diffus d'anciennes explosions, de feux infernaux éteints et des fureurs de cent millions d'étoiles.., informes, sans but.
Mais c'était le commencement.
Les gaz rampaient vers les vastes ténèbres. Ils contenaient du calcium, du sodium et de l'hydrogène, la plupart des éléments... et la vitesse de leur dérive atteignait jusqu'à trente kilomètres à la seconde.
Il y eut une période incommensurable où la gravitation s'acquitta de ses fonctions. L'informe masse se sépara en masses distinctes. De grosses boules de gaz prirent un semblant de forme en des zones largement espacées, et continuèrent à se déplacer.
Elles arrivèrent enfin à l’ endroit où mille soleils en flammes avaient, longtemps auparavant, traversé le courant principal des étoiles de la galaxie, en abandonnant leurs excréments de gaz.
Le premier choc accéléra le mouvement des vastes mondes gazeux. Le brouillard d'électrons plongea comme autant de chevaux sous l'éperon contre le brouillard de positrons aux réactions non moins violentes. Aussitôt les positrons et les électrons, plus légers, en orbite, sautèrent dans un éclair de radiations dures. La tempête était déclenchée.
Les noyaux dénudés portaient à présent des charges négatives terrifiantes et déséquilibrées et repoussaient les électrons, mais tendaient à attirer les noyaux atomiques de nature terrestre. A leur 96
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tour, les noyaux dépouillés terrestres attiraient les contre-terrestres.
Les annulations de charge qui en résultaient étaient d'une violence inconcevable. Les deux masses opposées se soulevaient et tourbillonnaient en un cataclysme d'ajustement partiel. Elles allaient à l'origine dans des sens différents. Elles devenaient de plus en plus un tourbillon bouillonnant, emmêlé.
D'abord incertaine, leur nouvelle course se régularisa; puis, sur un front de neuf années-lumière, à un bon pourcentage de la vitesse de la lumière, la tempête se précipita vers son destin.
Des soleils furent engloutis pour un demi-siècle... pour rester en arrière en un simple martèlement de rayons cosmiques afin de montrer qu'ils avaient été les centres d'une dévastation atomique autrement invisible et impalpable.
Dans sa quatre-vingt-dixième année sidérale, la tempête coupa l'orbite d'une nova au moment de l'explosion. Elle se mit en mouvement !
Sur la carte tridimensionnelle de la station météorologique principale de la planète Kaider III, la tempête était colorée en orangé.
Ce qui signifiait que c'était la plus vaste des quatre cents et quelques tempêtes qui faisaient rage dans le secteur des Cinquante Soleils du Grand Nuage de Magellan.
Elle se présentait sous l'aspect d'une masse au front inégal sous la latitude 473, longitude 228, centre 190 parsecs. Mais c'était là un système de degrés particulier aux Cinquante Soleils et qui n'avait aucun rapport avec le centre magnétique de l'ensemble du Nuage.
Le compte rendu relatif à la nova n'avait pas encore été transféré sur la carte. Lorsqu'il y figurerait, la tempête apparaîtrait en écarlate.
Ils ne regardaient plus la carte. Maltby se tenait avec les conseillers devant la vaste fenêtre, à contempler le vaisseau terrien.
La machine n'était guère qu'un éclat d'argent sombre dans le ciel lointain. Mais il semblait que son spectacle exerçât une fascination mortelle sur les hommes plus âgés.
Maltby se sentait froid, décidé, mais aussi sardonique. C'était drôle que ces... ces gens des Cinquante Soleils aient fait appel à lui à l'heure du danger.
Il détacha les veux du vaisseau pour les porter sur le président du gouvernement de Kaider III, un homme gras qui transpirait... et, 97
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tendant son esprit, il força l'homme à se tourner vers lui. Le conseiller, inconscient de cette contrainte, sachant seulement qu'il s'était tourné, lui demanda : « Avez-vous bien compris vos instructions, capitaine Maltby ? »
— « Oui. »
Cela allait plus loin. Il acceptait leur attitude et leur objectif en tant que parties intégrantes de sa croyance selon laquelle seule une coopération pleine et entière permettrait aux Hommes Mixtes de prendre en toute sécurité leur place au sein de la civilisation dont ils étaient issus. En cette heure tardive, la résistance des Cinquante Soleils n'était plus qu'un espoir sans fondement. Pourtant, en tant qu'officier, il ne lui appartenait pas de mettre en doute leur logique.
Sa brève réponse avait dû évoquer une image précise. Le gros visage trembla comme de la gelée en émettant une nouvelle poussée de sueur. L'homme dit: « Capitaine Maltby, vous ne devez pas échouer. Ils ont demandé un météorologiste pour les guider jusqu'à Cassidor VII, où se trouve le gouvernement central. Ils ne doivent pas y parvenir. Vous devez les mener droit dans la grande tempête en 478. Nous vous avons chargé de cette mission parce que vous disposez du double esprit des Hommes Mixtes. Nous regrettons de n'avoir pas toujours apprécié vos services à leur juste valeur dans le passé. Mais vous reconnaîtrez qu'après les guerres contre les Hommes Mixtes, il était pour nous naturel de nous méfier de...
Maltby coupa les maladroites excuses : « N'en parlons plus, »
dit-il. « A mon avis, les Hommes Mixtes sont tout autant engagés dans cette histoire que les Delliens et les non Delliens. Je vous assure que je ferai de mon mieux pour désemparer ce vaisseau. »
— « Faites attention ! » insista le président, inquiet. « Il pourrait détruire notre planète et notre soleil en une seule minute.
Nous n'avions jamais imaginé que la Terre avait pu prendre une telle avance sur nous et fabriquer une machine d'une puissance aussi dévastatrice. Après tout, les non Delliens et les Hommes Mixtes sont capables de mener des travaux de recherche, chez nous; il y a des milliers d'années que les non Delliens travaillent fiévreusement. Et pour finir, rappelez-vous qu'il ne vous est pas demandé de vous suicider. Ce vaisseau de guerre est invincible. On ne nous a pas dit dans quel état il serait après une rencontre avec une vraie tempête 98
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lorsqu'on nous l'a, fait visiter. Mais il y survivra. Toutefois, ce qui se produira, c'est que tout le monde à bord perdra connaissance. En tant qu'Homme Mixte, vous serez le premier à revenir à vous. Nos flottes combinées, qui, comme vous le savez, ont été libérées, attendront pour aborder le vaisseau le moment que vous fixerez. Est-ce clair ? »
C'était clair dès le premier exposé, mais les non Delliens avaient l'habitude de se répéter comme si leur pensée n'avait de cesse de se troubler dans leur esprit. Quand la porte se fut refermée sur Maltby, un des conseillers s'adressa à son voisin.
— « Lui a-t-on dit que la tempête est devenue nova ? »
Le gros homme entendit. Il secoua négativement la tête. Ses yeux étincelèrent quand il dit : « Non. Après tout, c'est un Homme Mixte.
Nous ne pouvons lui accorder trop de confiance, quels que soient ses états de service. »
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Chapitre 9
Toute la matinée, les comptes rendus avaient afflué. Certains indiquaient des progrès, d'autres pas. Mais la capitaine générale ne laissait pas entamer sa bonne humeur foncière par les échecs. La grande réalité, c'était que sa chance avait tenu bon. Les renseignements qu'elle désirait lui parvenaient : population de Kaider III, deux milliards cent millions d'habitants, dont deux cinquièmes de Delliens et trois de non Delliens. Les premiers étaient les prétendus robots.
Les Delliens étaient physiquement et intellectuellement le type le plus évolué, mais ils manquaient de capacités créatrices. Les non Delliens dominaient dans les laboratoires de recherche. Les quarante-neuf autres soleils dont les planètes étaient habitées s'appelaient, dans l'ordre alphabétique : Assora, Atmion, Bresp, Buraco, Cassidor, Corrab... Ils étaient situés à 1) Assora : latitude 931, longitude 27, centre 201 parsecs; 2) Atmion...
Et cela continuait. Juste avant midi, elle remarqua avec un amusement assez froid que la Météorologie ne lui envoyait toujours rien au sujet des perturbations.
Elle établit la communication et lança durement : « Que vous arrive-t-il, lieutenant Cannons ? Vos assistants ont maintenant tiré des épreuves et des doubles des diverses cartes de Kaider. N'y trouvez-vous rien ?
Le vieux météorologiste secoua la tête. « Noble dame, vous vous rappellerez que lorsque nous avons capturé ce robot dans l'espace, il 100
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