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Le professeur Sterne éteignit la lampe frontale à la lumière de laquelle il scrutait les yeux de Miss Lu, toujours immobile sur son siège.
— Aucun réflexe, constata-t-il. Il faudra faire transporter en hâte cette jeune fille à ma clinique, où je pourrai me livrer à un examen approfondi. D’ores et déjà cependant, je puis vous affirmer que la patiente se trouve sous influence hypnotique…
— Il n’y avait personne d’autre que nous dans cette pièce, fit Gains, et aucun de nous n’a pu hypnotiser Miss Lu. Comme je vous l’ai dit déjà, elle nous parlait et, brusquement, elle a paru perdre la mémoire et elle est demeurée là, à balbutier des mots sans suite, toujours les mêmes…
— On ne peut quand même pas l’avoir hypnotisée à travers la muraille ? risqua Ballantine.
— Tu sais bien, Bill, fit remarquer Morane, que tous les occupants de cette maison sont triés sur le volet…
Le Français se tourna vers Sterne et continua :
— Croyez-vous qu’il soit impossible, professeur, que Miss Lu ait pu être suggestionnée à distance ?
Le psycho-neurologue fit la moue et hocha la tête.
— Cela me paraît difficilement imaginable, dit-il. Il faudrait, dans ce cas, imaginer un homme possédant une puissance hypnotique extraordinaire, et encore… Peut-être qu’une réunion de volontés canalisées dans une même direction parviendrait à ce résultat d’hypnose à distance… Mais nous nous trouvons ici en pleine fantaisie…
Bob Morane, Bill Ballantine et Herbert Gains échangèrent de longs regards entendus. Avec l’Ombre Jaune, la fantaisie ne devenait-elle pas souvent réalité ? Tout n’était-il pas possible – ou presque – à Monsieur Ming et à sa science démoniaque ? Une seule chose était certaine : au moment où Lucy Lu allait révéler ses secrets, il avait – après plusieurs échecs – trouvé le moyen de la réduire au silence.
— Et quand croyez-vous qu’elle se retrouvera dans son état normal ? interrogea encore Morane à l’adresse du professeur.
Sterne eut un geste vague.
— Difficile à dire… Cette malheureuse devra de toute façon être l’objet d’une surveillance constante… Peut-être qu’en supprimant la volonté qui la subjugue, ou en y substituant une volonté plus puissante encore, et bénéfique…
Cette fois, ni Bob Morane, ni Bill Ballantine, ni Herbert Gains ne trouvèrent la moindre remarque à formuler. Pourtant, une pensée commune occupait leur esprit. En parlant de cette « volonté » qui subjuguait Miss Lu, le professeur Sterne avait indirectement fait allusion à Monsieur Ming. Or, comment pourrait-on « supprimer » la volonté démoniaque du Mongol ? En le supprimant lui-même ?… L’Ombre Jaune n’était-elle pas semblable à l’oiseau de feu des légendes orientales, qui sans cesse renaît de ses cendres ? Et quelle était la volonté capable de se substituer à la sienne ?
— Au moment même où la partie semblait gagnée, où Miss Lu, arrachée à la mort, allait révéler les secrets du Shin Than, c’était Monsieur Ming qui, une fois encore, imposait sa loi.
FIN