APPENDICE

I

LA MORT DE LÉON XII[435].

M. de Marcellus, qui se trouvait alors à Rome, écrivait sur son Journal, sous cette même date du 17 février 1829, la note suivante:

Hier, je suis allé, en compagnie de M. de Chateaubriand, faire au pape Léon XII notre visite suprême. Celle-ci n'a pas été adressée au souverain du monde catholique par l'ambassadeur du roi fils aîné de l'Église, dans le vaste palais du Vatican. C'était le dernier hommage d'un fidèle à ce quelque chose sans nom qui restait du père commun des chrétiens, à ce cadavre étendu pontificalement, sous la lueur des cierges, dans la grande chapelle du Saint-Sacrement qui s'allonge sous l'aile droite de l'église de Saint-Pierre. Après quelques minutes de méditations pieuses et politiques, passées en silence aux pieds de ce pontife dont le visage pâle et animé supportait encore l'éclatante tiare, nous sommes sortis du plus beau temple du monde, tristes et préoccupés.

«Voilà ce qui demeure de nous quelques heures après la fin» m'a dit l'auteur du Génie du christianisme; «il m'a semblé, sous les voûtes de Saint-Pierre, entendre encore cette voix qui retentit dans un de nos vieux cantiques de Saint-Sulpice:

La mort ne m'a laissé que les os seulement.

«Savez-vous ce qui est arrivé cette nuit? Les gardes nobles qui veillent auprès de «ce reste tel qui va disparaître» ont cru voir le pape se ranimer. Ils ont entendu, au milieu de leur silence, un bruit léger qui s'échappait de la figure du pontife. Ils sont tombés la face contre terre et le bruit a cessé. C'était la peau du visage et les paupières qui se resserraient sous le contact de l'air, comme le parchemin craque sous les doigts. Je tiens cette anecdote funèbre du capitaine des gardes, le Suisse Pfeiffer, qui me l'a racontée ce matin. On n'entendra plus rien, pas même ce froissement du parchemin une fois fait pour toujours, de ce chef de l'Église habile et vertueux, qui prédisait, il y a peu de semaines, de longues agitations à ses États, à la France et à l'Europe. Il a été un modérateur éclairé des intérêts du monde pendant cinq ans d'un règne trop court, et il n'a recueilli que l'impopularité pour prix de ses pieux efforts. C'est l'histoire de tous les pays.»

Nous avons dépassé le môle d'Adrien et le Tibre au milieu de nos réflexions et de nos regrets. Ils nous ont suivis en face de cette Locanda dell'orso que Montaigne a rendue célèbre et où déjà de nombreux et joyeux buveurs s'applaudissaient de voir rouverts à leurs orgies les mille cabarets que les décrets du pape avaient fermés. À Ripetta, en nous séparant, M. de Chateaubriand m'a dit: «Voulez-vous que demain, pour nous distraire du lugubre spectacle qu'un pape vient de nous donner, nous allions voir mes fouilles de Torre-Vergatta? La campagne romaine, déjà belle au début du printemps, et les souvenirs des siècles passés, nous feront oublier pour quelques heures nos sollicitudes du présent et nos tristesses.»

Nous sommes en effet partis aujourd'hui, tête à tête, dans mon petit wurst allemand, que, pour garder l'incognito, l'ambassadeur a préféré à ses pompeuses voitures, même à son coupé favori, que j'ai fait faire à Londres, en 1822, pour nous conduire à Windsor (il a traversé la mauvaise fortune de son maître, et il reparaît avec son crédit dans les rues de Rome). M. de Chateaubriand a conservé une taciturnité méditative, entrecoupée de rares interjections, jusqu'au pont Milvius. Là son front s'est déridé: «Admirez,» m'a-t-il dit, «la puissance de l'art de peindre. Ce pont, témoin d'une victoire qui changea la face du monde, et la plaine environnante, réapparaissent bien moins comme ils sont que sous les couleurs de la magnifique fresque de Jules Romain au Vatican. C'est un chef-d'œuvre. Tout s'y trouve; et surtout ce Tibre, gros des destinées humaines, qui va noyer Maxence et couronner Constantin. Ah! pourquoi n'a-t-il pas éloigné miss Bathurst! tant de beauté innocente et tant de vie! Voilà la rive qui céda sous le poids si léger de la malheureuse fille. Rome ne m'offre que des images de deuil.»—Autre pause qu'il a interrompue un moment après le passage du pont.—«Avez-vous remarqué que Byron n'entend rien à la peinture? Il est resté tout à fait Anglais de ce côté; il ne l'est pas autant pour la musique, qu'il comprenait mieux que la plupart de ses compatriotes. Il aime les chants populaires, et, comme vous et moi, il en a surpris de bizarres en Orient. Mais là, plus qu'ailleurs, la chanson du peuple n'est pas de l'harmonie, c'est de la légende ou de l'histoire primitive.»—Puis, après un long silence, arrivés au tombeau de Néron, il m'a dit: «Je n'ai jamais prêté aucune attention à ce sarcophage falsifié, pas plus que s'il était véritablement le sépulcre de l'empereur parricide. La tombe d'un tyran n'excite que mon mépris. Mais retournons-nous, et d'ici contemplons Saint-Pierre, l'immortelle coupole, et cette croix qui brille au-dessus de toutes les collines: elle va consoler, par delà le désert d'Ostie, les regards du nautonier quand il lutte contre les flots. C'est là un sublime spectacle parce qu'il emporte avec lui vers les cieux l'imagination de l'homme et son espérance.» Un peu plus loin:—«Croyez-moi, laissons votre voiture sur cette route qui ramène à Paris et aux joies du monde. Entrons résolument à pied dans le désert de la campagne maudite, auquel j'ai toujours trouvé tant de charme.»

Après un rapide coup d'œil jeté sur ses fouilles, où on ne travaillait pas ce jour-là, «Voilà», m'a-t-il dit, «des frustes méconnaissables presque autant que leurs énigmatiques possesseurs; j'ai risqué quelque argent à cette loterie des morts. Il y avait autour de ces marbres qui ne sont plus, des despotes, de prétendus affranchis, des esclaves, une foule d'ambitieux; et dans ces trois classes d'hommes que le temps a également emportés, on se disputait le pouvoir, on s'égorgeait pour l'Empire. Il me semble voir surgir de ces ronces les ruines confondues de la République romaine et de l'affreuse domination de Tibère....»—Une petite fleur que M. de Chateaubriand a cueillie à ses pieds est venue le distraire de ces sombres réflexions:—«Combien la nature, si marâtre pour les hommes sous tant de climats, est partout une douce mère pour ses filles les plus innocentes, les herbes des champs! Voyez cette violette blanche; elle n'a pas la demi-éclat et le parfum de la violette de Virgile, violæ sublucet purpura nigræ, mais elle est la première à m'annoncer le printemps.»

Puis, revenus à ma voiture, le silence a recommencé: seulement comme nous nous rapprochions de la porte du Peuple et du tumulte de Rome, «Ici, comme chez nous,» a-t-il dit, «la tyrannie et la liberté ont également péri. Mais, à Rome, la robe de ce capucin qui soulève en passant une poussière antique achève de mettre en relief la vanité de tant de vanités.»—Et cette réflexion a clos la promenade, dont je me hâtai de consigner sur mon journal le minutieux récit. (Chateaubriand et son temps, p. 345 et suivantes.)

II

LE CONCLAVE DE 1829[436]

Chateaubriand n'a point recueilli dans ses œuvres son discours au Sacré-Collège. Ce discours, prononcé le 18 février 1829, dans la sacristie de Saint Pierre, mérite pourtant de n'être pas perdu. Le voici:

Éminentissimes Seigneurs,

Il n'y a pas encore six ans que M. le duc de Laval-Montmorency vint au milieu de vous pour unir sa douleur à la vôtre, lorsque Pie VII, de religieuse mémoire, fut rappelé auprès du chef invisible de l'Église. Le roi Louis XVIII, au nom duquel mon noble prédécesseur vous porta la parole, est allé lui-même se placer auprès de saint Louis. J'étais alors ministre du vénérable monarque, restaurateur des libertés de la France. Mon nom eut l'insigne honneur de paraître dans les lettres qui furent adressées au sacré collège, et c'est moi qui viens aujourd'hui, ambassadeur de Charles X, roi non moins magnanime que son frère, vous exprimer le regret qu'éprouvera mon auguste maître pour la perte d'un souverain pontife que vos suffrages n'avaient point encore revêtu de l'autorité suprême à l'époque que je rappelle.

Ici Vos Éminences reconnaîtront les voies cachées de la Providence, et cette fragilité des choses humaines qui doivent être surtout présentes à la pensée de cette assemblée des princes de l'Église, où j'aperçois tant de courageux confesseurs de la foi.

Que vous dirai-je, messeigneurs, que vous ne sentiez mieux que moi? La mémoire de Léon XII sera vénérée par la France. Le royaume que gouverne si glorieusement le fils aîné de l'Église n'oubliera pas les conseils pacifiques qui ont empêché la discorde de troubler, même passagèrement, les nouvelles prospérités de ma patrie. Léon XII joignait à ses vertus apostoliques cette modération d'esprit et cette connaissance de son siècle, si nécessaires aux chefs des Empires.

Éminentissimes seigneurs, vos lumières assureront au saint-siège, dans le prochain conclave, un successeur digne de ce pontife conciliateur. Si vous êtes des princes puissants, vous êtes aussi les ministres de cette religion charitable qui abolit l'esclavage parmi les hommes, qui, simple et sublime à la fois, est également appropriée aux besoins de la société naissante et à ceux de la société perfectionnée. Vos suffrages indépendants iront bientôt chercher parmi vos pairs un vrai pasteur pour la chrétienté, un souverain éclairé pour la plus illustre portion de cette noble Italie qui dicta des lois au monde antique, qui civilisa le monde moderne, qui, toujours féconde et jamais épuisée, nourrit aujourd'hui à l'ombre de ta gloire le souvenir de ses grandeurs.

Qu'il me soit permis, Éminentissimes seigneurs, d'offrir en particulier au sacré collège l'hommage de ma profonde vénération.

Dans sa lettre à Mme Récamier, du 21 mars 1829, Chateaubriand parle du second discours qu'il prononça à Rome, celui-là en plein Conclave, le 10 mars 1829. Comme ce discours ne figure pas non plus dans ses Œuvres complètes, le lecteur sera sans doute bien aise de le trouver ici:

Éminentissimes Seigneurs,

La réponse de Sa Majesté Très-Chrétienne à la lettre que lui a adressée le sacré collège vous exprime, avec la noblesse qui appartient au fils aîné de l'Église, la douleur que Charles X a ressentie en apprenant la mort du père des fidèles, et la confiance qu'il repose dans le choix que la chrétienté attend de vous.

Le roi m'a fait l'insigne honneur de me désigner à l'entière créance du sacré collège réuni en conclave. Je viens une seconde fois, Éminentissimes seigneurs, vous témoigner mes regrets pour la perte du pontife conciliateur qui voyait la véritable religion dans l'obéissance aux lois et dans la concorde évangélique; de ce souverain qui, pasteur et prince, gouvernait l'humble troupeau de Jésus-Christ du faîte des gloires diverses qui se rattachent au grand nom de l'Italie. Successeur futur de Léon XII, qui que vous soyez, vous m'écoutez sans doute en ce moment; pontife à la fois présent et inconnu, vous allez bientôt vous asseoir dans la chaire de Saint Pierre, à quelques pas du Capitole, sur les tombeaux de ces Romains de la République et de l'Empire, qui passèrent de l'idolâtrie des vertus à celle des vices, sur ces catacombes où reposent les ossements non entiers d'une autre espèce de Romains: quelle parole pourrait s'élever à la majesté du sujet? Quelle voix pourrait s'ouvrir un passage à travers cet amas d'années qui ont étouffé tant de voix plus puissantes que la mienne? Vous-même, illustre sénat de la chrétienté, pour soutenir le poids de ces innombrables souvenirs, pour regarder en face les siècles rassemblés autour de vous sur les ruines de Rome, n'avez-vous pas besoin de vous appuyer à l'autel du sanctuaire, comme moi au trône de Saint Louis?

À Dieu ne plaise. Éminentissimes seigneurs, que je vous entretienne ici de quelque intérêt particulier, que je vous fasse entendre le langage d'une étroite politique: les choses sacrées veulent être envisagées aujourd'hui sous des rapports plus généraux et plus dignes. Le christianisme, qui renouvela d'abord la face du monde, a vu depuis se transformer les sociétés auxquelles il avait donné la vie. Au moment même où je parle, le genre humain est arrivé à l'une des époques caractéristiques de son existence, la religion chrétienne est encore là pour la saisir, parce qu'elle garde dans son sein tout ce qui convient aux esprits éclairés et aux cœurs généreux, tout ce qui est nécessaire au monde qu'elle a sauvé de la corruption du paganisme et de la destruction de la barbarie. En vain l'impiété a prétendu que le christianisme favorisait l'oppression et faisait rétrograder les jours: à la publication du nouveau pacte scellé du sang du juste, l'esclavage a cessé d'être le droit commun des nations; l'effroyable définition de l'esclavage a été effacée du code romain: Non tam viles quam nulli sunt. Les sciences, demeurées presque stationnaires dans l'antiquité, ont reçu une impulsion rapide de cet esprit apostolique et rénovateur qui hâta l'écroulement du vieux monde; partout où le christianisme s'est éteint, la servitude et l'ignorance ont reparu. Lumière quand elle se mêle aux facultés intellectuelles, sentiment quand elle s'associe aux mouvements de l'âme, la religion chrétienne croît avec la civilisation, et marche avec le temps; un des caractères de la perpétuité qui lui est promise, c'est d'être toujours du siècle qu'elle voit passer, sans passer elle-même. La morale évangélique, raison divine, appuie la raison humaine dans ses progrès vers un but qu'elle n'a point encore atteint: après avoir traversé les âges de ténèbres et de force, le christianisme devient chez les peuples modernes le perfectionnement même de la société.

Éminentissimes seigneurs, vous choisirez pour exercer le pouvoir des clefs un homme de Dieu et qui comprendra bien sa haute mission. Par son caractère universel qui n'a jamais eu de modèle ou d'exemple dans l'histoire, un conclave n'est pas le conseil d'un État particulier, mais celui d'une nation composée de nations les plus diverses et répandue sur la surface du globe. Vous êtes, Éminentissimes seigneurs, les augustes mandataires de l'immense famille chrétienne pour un moment orpheline. Des hommes qui ne vous ont jamais vus, qui ne vous verront jamais, qui ne savent pas vos noms, qui ne parlent pas votre langue, qui habitent loin de vous sous un autre soleil, au delà des mers, aux extrémités de la terre, se soumettront à vos décisions que rien en apparence ne les oblige à suivre, obéiront à vos lois qu'aucune force matérielle n'impose, accepteront de vous un père spirituel avec respect et gratitude: tels sont les prodiges de la conviction religieuse. Princes de l'Église, il vous suffira de laisser tomber vos suffrages sur l'un d'entre vous pour donner à la communion des fidèles un chef qui, puissant par la doctrine et l'autorité du passé, n'en connaisse pas moins les nouveaux besoins du présent et de l'avenir, un pontife d'une vie sainte, mêlant la douceur de la charité à la sincérité de la foi. Toutes les couronnes forment le même vœu, toutes ont un même besoin de modération et de paix: que ne doit-on pas attendre de cette heureuse harmonie? que ne peut-on pas espérer, Éminentissimes seigneurs, de vos lumières et de vos vertus?

Il ne me reste qu'à vous renouveler l'expression de la sincère estime et de la parfaite affection du souverain aussi pieux que magnanime dont j'ai l'honneur d'être l'interprète auprès de vous.

III

LE JOURNAL SECRET DU CONCLAVE[437]

Le devoir de Chateaubriand, comme ambassadeur de France, était de suivre de très près les opérations du Conclave. Aussi bien, comme il l'écrit à Mme Récamier, le 17 février 1829, le Roi l'avait chargé de surveiller «le dernier grand spectacle qui devait clore sa carrière», l'élection d'un nouveau Pape. Il prit donc ses mesures pour être tenu au courant, jour par jour, de tout ce qui se passerait, des brigues et des intrigues qui pourraient se produire, des diverses candidatures qui seraient mises en avant et des chances de chacune d'elles. Il se trouva qu'un témoin sûr et admirablement informé rédigeait secrètement un journal du Conclave. L'ambassadeur s'arrangea de façon à se le procurer, le fit traduire en français, accompagna d'un court commentaire quelques-uns de ses articles, et envoya le tout au ministre des Affaires étrangères, M. le comte Portalis. «Le Roi verra, écrivait-il, ce qu'on n'a jamais vu: l'intérieur d'un Conclave.»

Ce document existe encore aux Archives des Affaires étrangères. Autorisé à en prendre communication, M. Boyer d'Agen en a publié d'importants extraits dans la Revue des Revues des 1er et 15 janvier 1896.

Voici quelques-unes des remarques de Chateaubriand.

On lit dans le Journal, à la date du 7 mars 1829:

Le parti des exaltés tâche de tirer parti de tout et voudrait pêcher en eau trouble. La possibilité de leur triomphe pourrait se trouver dans la coopération des cardinaux français, qui semblent unanimes pour le choix d'un Pape favorable à leur exaltation d'idées. Si par malheur le parti d'Oppizzoni, soit faiblesse, soit complaisance, se range au vote d'Albani, la palme est aux mains des adversaires.

En marge de ces lignes, Chateaubriand écrit la note suivante:

Il n'y a pas besoin de commentaires sur cette journée; le texte dit tout. Voilà une minorité qui parle comme la Gazette de France et la Quotidienne, qui veut s'immiscer dans nos affaires, qui pousse la violence jusqu'à attaquer en plein Conclave la mémoire de Léon XII. Elle suppose toujours que les cardinaux français pensent comme elle; elle se figure que je veux précipiter l'élection pour n'être pas confondu par l'arrivée de ces cardinaux, arrivée que je prévoyais devoir être funeste au principe de mon gouvernement.

À la date du 9 mars, l'auteur du Journal annonce que le Sacré Collège a reçu la copie du discours que l'ambassadeur de France doit prononcer le lendemain, et il le juge en ces termes:

Quelle noblesse d'expressions! quelle élévation de pensées! quelle délicatesse d'images! On voit que ses paroles partent du fond de l'âme. Pour moi, j'en suis dans le ravissement. Figurez-vous, dans l'étroite enceinte d'un Conclave, le tableau d'une nation qui donne la vie, qui dicte des lois de paix à toutes les autres nations, qui est le centre universel vers lequel tous les peuples, peut-être même des tribus dont nous ignorons le nom, dirigent leurs vœux et leurs prières. Tout le Sacré Collège a tressailli d'une sainte joie et se propose de se féliciter, avec le cardinal de Latil, du choix que Sa Majesté Très-Chrétienne a fait d'un si grand homme, dont les principes religieux sont les plus purs et inébranlables. Chaque phrase a été examinée attentivement; on n'y aperçoit pas l'ombre d'un intérêt politique privé, et moins encore une apparence de vouloir hâter l'élection sans la présence des cardinaux français.....

Chateaubriand ajoute ici cette note:

J'ai été tenté de supprimer ici tout ce qui a rapport à mon discours; mais, venant à penser aux préventions que l'on a cherché à faire naître contre moi, j'ai cru devoir conserver l'opinion du Conclave, comme une défense, comme un témoignage honorable, propre à faire le contre-poids des calomnies dont j'ai été l'objet.

La page du Journal consacrée à la journée du 10 mars donne lieu, de la part de Chateaubriand, à la Remarque ci-après:

Voici encore le nonce (Mgr Lambruschini, nonce du Saint-Siège à Paris) écho et missionnaire d'une coterie. Il parait qu'on espérait ouvrir au sein du Conclave des conférences sur l'état de nos affaires. J'ai su, d'une autre part, qu'avant la mort de Léon XII des membres du clergé français étaient attendus à Rome pour agiter de nouveau la question des Ordonnances. Ces manœuvres doivent être surveillées; elles bouleverseraient la France, sans atteindre même le but où elles visent. Il est consolant de voir la fermeté du Sacré-Collège et la sagesse avec laquelle il se refuse aux ouvertures du nonce. Celui-ci est un prélat passionné, entré beaucoup trop avant dans les intrigues d'un parti français, homme qui, dans son pays, est à la tête de la Faction de Sardaigne, et dont il est urgent de solliciter le rappel.

Le 22 mars, l'auteur du Journal note un petit incident assez singulier:

Ce matin on a été informé qu'un cardinal (Odescalchi) s'entretenait par signes avec des jésuites qui se trouvaient dans un jardin de la Compagnie, situé vis-à-vis l'édifice du Conclave. On s'est posté en observation: impossible de rien comprendre à ce langage par signes.... Le cardinal a été prévenu de s'abstenir de semblables manœuvres, et sur-le-champ des ordres ont été donnés pour les empêcher désormais.... Après le scrutin du soir, il a été décidé que l'on adresserait une lettre ferme et sérieuse au vicaire général des Jésuites, et qu'on réglerait sur sa réponse la conduite à tenir ultérieurement.

Chateaubriand inscrit en marge:

Il serait impossible de s'empêcher de rire du cardinal Odescalchi et du télégraphe des jésuites, si la gravité de la matière ne formait un contraste déplorable avec ces tours d'écoliers. Voilà donc à quelles ressources en est réduite une Compagnie qui se dit pieuse et un cardinal dont on loue la régularité, pour asseoir dans la chaire de Saint-Pierre quelque pontife passionné, perturbateur du repos des nations!

Le lendemain 23 mars, à l'occasion de la réponse du père Pavani, Vicaire général de la Compagnie de Jésus, à la lettre du Conclave, Chateaubriand revient sur l'incident de la veille:

Je dois avouer, écrit-il, que les Jésuites m'avaient semblé trop maltraités par l'opinion. J'ai jadis été leur défenseur, et, depuis qu'ils ont été attaqués dans ces derniers temps, je n'ai dit ni écrit un seul mot contre eux. J'avais pris Pascal pour un calomniateur de génie, qui nous avait laissé un immortel mensonge; je suis obligé de reconnaître qu'il n'a rien exagéré. La lettre du père Pavani (qu'on trouvera ci-jointe) a l'air d'être échappée à Escobar lui-même, elle figurerait merveilleusement dans les Lettres provinciales! Comme elle dit tout et ne dit rien! Comme tous les mots en sont pesés, de manière qu'ils puissent être interprétés ainsi que besoin sera! L'humeur et la violence percent pourtant. Le révérend Père s'en est aperçu, et il va bientôt tâcher de reprendre, par une seconde lettre, non moins captieuse, le peu de vérité qu'il a laissé transpirer dans la première.

Au surplus, l'audace est grande. Cette Congrégation, à peine rétablie, repoussée de toute part, suspecte au Sacré-Collège lui-même, n'en aspire pas moins à donner la tiare et à se mêler de toutes les affaires du monde.

Chateaubriand cède ici, en parlant des jésuites, à un mouvement d'humeur, qui disparaîtra bientôt, quand le résultat du Conclave sera connu. Le 31 mars, à midi, l'auteur du Journal écrivait:

Hier, à dix heures du soir, Albani s'appliqua avec beaucoup d'ardeur à recueillir des suffrages pour l'élection du cardinal Castiglioni, dont les sentiments de loyauté et de franchise étaient bien connus, non moins que l'opinion qu'il avait conçue de la capacité et des talents d'Albani pour exercer l'emploi de secrétaire d'État. Les cardinaux Pacca, Galleffi, Testaferrata, Oppizzoni, Arezzo, Bertazzoli et Gazola furent chargés de persuader Castiglioni et de ne le quitter qu'après qu'il aurait promis de se rendre au vœu commun et de se conformer à la volonté divine. Pendant ce temps, Albani disposait les autres cardinaux à coopérer à l'élection. À minuit, tout était arrangé. Les cardinaux français se montrèrent très satisfaits, et promirent de donner unanimement leur vote au scrutin. Le parti de De Gregorio fit d'abord quelque résistance, mais enfin il céda. Celui de Macchi demeura rebelle à toute concession. Le calcul d'approximation établi, il fut reconnu que les suffrages s'élèveraient à 30, non compris le parti d'Albani, qui devait accéder en entier. Le résultat a été tel qu'on l'avait espéré. Le premier scrutin a donné 32 voix, et ce nombre s'est accru, par l'accedat, jusqu'à 47....

Chateaubriand triomphe, il a son Pape, et il écrit, au bas du Journal du Conclave, cette dernière Remarque:

Cette journée a fait le Pape, le Pape que voulait la France, en 1823, lorsque j'avais le portefeuille des Affaires étrangères, à Paris, le Pape qui a répondu à mon discours, et qui, par cette réponse, connue de l'Europe, a pris des engagements politiques.

Le procès-verbal de l'acceptation, dressé par le notaire du Conclave, selon la coutume, est digne d'être remarqué: «Pie VIII s'est déterminé, dit-il, à nommer le cardinal Albani ministre, afin de satisfaire aussi le Cabinet de Vienne.» Singulier moyen sans doute!

Le Souverain-Pontife, partageant les lots entre les deux couronnes, se déclare le Pape de la France et donne à l'Autriche, en compensation, un Secrétaire d'État inamovible.

J'ai dit tout à l'heure que l'auteur des Mémoires n'avait pas conservé longtemps, à l'endroit des Jésuites, les sentiments de Pascal—et ceux du Constitutionnel. À peu de mois de là, en effet, il écrivait sur son neveu Christian de Chateaubriand, jésuite, d'admirables pages, les plus belles de ce cinquième volume.

IV

DANS LES PYRÉNÉES[438].

Il existe, à la Bibliothèque Nationale, des fragments manuscrits de Chateaubriand recueillis par un de ses secrétaires, Éd. L'Agneau, et cédés par lui, en 1846, à un certain Édouard Bricon. Celui-ci, se proposant sans doute de les publier, en avait fait une copie, qui se trouve aujourd'hui également au département des manuscrits. Le plus important de ces fragments se rapporte, sans doute possible, à l'épisode dont il est question dans les Mémoires. Il n'avait pas échappé aux patientes et malicieuses investigations de Sainte-Beuve. Un jeune et remarquable critique, M. Victor Giraud, vient de le publier à son tour, d'après le texte original, dans son étude sur Chateaubriand et les Mémoires d'Outre-tombe (Revue des Deux-Mondes, du 1er avril 1899). C'est d'après lui que nous reproduisons ces pages adressées par le poète sexagénaire à la «spirituelle, déterminée et charmante étrangère de seize ans», à celle que le bon Chactas eût appelée «la Vierge des dernières amours».

Avant d'entrer dans la société, j'errais autour d'elle. Maintenant que j'en suis sorti, je suis également à l'écart; vieux voyageur sans asile, je vois le soir chacun rentrer chez soi, fermer la porte; je vois le jeune amoureux se glisser dans les ténèbres; et moi, assis sur la borne, je compte les étoiles, ne me fie à aucune, et j'attends l'aurore qui n'a rien à me conter de nouveau et dont la jeunesse est une insulte à mes cheveux.

Quand je m'éveille avant l'aurore, je me rappelle ces temps où je me levais pour écrire à la femme que j'avais quittée quelques heures auparavant. À peine y voyais-je assez pour tracer mes lettres à la lueur de l'aube. Je disais à la personne aimée toutes les délices que j'avais goûtées, toutes celles que j'espérais encore; je lui traçais le plan de notre journée, le lieu où je devais la retrouver sur quelque promenade déserte, etc.

Maintenant, quand je vois apparaître le crépuscule et que, de la natte de ma couche, je promène mes regards sur les arbres de la forêt à travers ma fenêtre rustique, je me demande pourquoi le jour se lève pour moi, ce que j'ai à faire, quelle joie m'est possible, et je me vois errant seul de nouveau comme la journée précédente, gravissant les rochers sans but, sans plaisir, sans former un projet, sans avoir une seule pensée, ou bien assis dans une bruyère, regardant paître quelques moutons ou s'abattre quelques corbeaux sur une terre labourée. La nuit revient sans m'amener une compagne; je m'endors avec des rêves pesants, ou je veille avec d'importuns souvenirs pour dire encore au jour renaissant: «Soleil, pourquoi te lèves-tu!»

[439]Il faut remonter bien haut pour trouver l'origine de mon supplice; il faut retourner à cette aurore de ma jeunesse où je me créai un fantôme de femme pour l'adorer. Je vis passer cette idéale image, puis vinrent les amours réelles qui n'atteignirent jamais à cette félicité imaginaire dont la pensée était dans mon âme. J'ai su ce que c'était que de vivre pour une seule idée et avec une seule idée, de s'isoler dans un sentiment, de perdre de vue l'univers, de mettre son existence entière dans un sourire, dans un mot, dans un regard.

Mais, alors même, une inquiétude insurmontable troublait mes délices. Je me disais: M'aimera-t-elle demain comme aujourd'hui? Un mot qui n'était pas prononcé avec autant d'ardeur que la veille, un regard distrait, un sourire adressé à un autre que moi me faisait à l'instant désespérer de mon bonheur. J'en voyais la fin et je m'en prenais à moi-même de mon ennui. Je n'ai jamais eu l'envie de tuer mon rival ou la femme dont je croyais entendre l'amour; toujours destructeur de moi-même, je me croyais coupable parce que je n'étais plus aimé.

Repoussé dans le désert de ma vie, j'y rentrais avec toute la poésie de mon désespoir. Je cherchais pourquoi Dieu m'avait mis sur la terre, et je ne pouvais le comprendre. Quelle petite place j'occupais ici-bas! Quand tout mon sang se serait écoulé dans les solitudes où je m'enfonçais, combien rougirait-il de brins de bruyère? Et mon âme, qu'était-ce? Une petite douleur évanouie en se mêlant dans les vents. Et pourquoi tous ces mondes autour d'une si chétive créature?

J'errai sur le globe, changeant de place sans changer d'être, cherchant toujours et ne trouvant rien. Je vis passer devant moi de nouvelles enchanteresses; les unes étaient trop belles pour moi et je n'aurais osé leur parler, les autres ne m'aimaient pas. Et pourtant mes jours s'écoulaient, et j'étais effrayé de leur vitesse, et je me disais: Dépêche-toi donc d'être heureux! Encore un jour, et tu ne pourras plus être aimé. Le spectacle du bonheur des générations nouvelles qui s'élevaient autour de moi m'inspirait les transports de la plus noire jalousie: si j'avais pu les anéantir, je l'aurais fait avec le plaisir de la vengeance et du désespoir.

Vois-tu: quand je me laisserais aller à ma folie, je ne serais pas sûr de t'aimer demain: je ne crois pas à moi. Je m'ignore. Je suis prêt à me poignarder ou à rire. Je t'adore; mais, dans un moment, j'aimerai plus que toi le bruit du vent dans ces roches, un nuage qui vole, une feuille qui tombe. Puis je prierai Dieu avec larmes, puis j'invoquerai le néant. Veux-tu me combler de délices? Fais une chose: sois à moi, puis laisse-moi te percer le cœur. Eh bien, oseras-tu maintenant te hasarder avec moi dans cette thébaïde?

Si tu me dis que tu m'aimeras comme un père, tu me feras horreur; si tu prétends m'aimer comme une amante, je ne te croirai pas. Dans chaque jeune homme je verrai un rival préféré. Tes respects me feront sentir mes années; tes caresses me livreront à la jalousie la plus insensée. Sais-tu qu'il y a tel sourire de toi qui me montrerait la profondeur de mes maux, comme le rayon de soleil éclaire un abîme?

Objet charmant, je t'adore, mais je ne t'accepte pas. Va chercher le jeune homme dont les bras peuvent s'enlacer aux tiens avec grâce; mais ne me le dis pas. Oh! non, non, ne viens plus me tenter. Songe que tu dois me survivre, que tu seras encore longtemps jeune, quand je ne serai plus. Hier, lorsque tu étais assise avec moi sur la pierre, que le vent dans la cime des pins nous faisait entendre le bruit de la mer, prêt à succomber d'amour et de mélancolie, je me disais: Ma main est-elle assez légère pour caresser cette blonde chevelure! Pourquoi flétrir d'un baiser des lèvres qui ont l'air de s'ouvrir pour la jeunesse et la vie[440]? Que peut-elle aimer en moi? Une chimère que la réalité va détruire. Et pourtant, quand tu penchas ta tête charmante sur mon épaule, quand des paroles enivrantes sortirent de ta bouche, quand je te vis prête à m'entourer de tes mains comme d'une guirlande de fleurs, il me fallut tout l'orgueil de mes années pour vaincre la tentation de volupté dont tu me vis rougir. Souviens-toi seulement des aveux passionnés que je te fis entendre, et quand tu aimeras un jour un beau jeune homme, demande-lui s'il te parle comme je te parlais, et si sa puissance d'aimer approcha jamais de la mienne. Ah! qu'importe! Tu dormiras dans ses bras, tes lèvres sur les siennes, ton sein contre son sein, et vous vous réveillerez enivrés de délices: que t'importeront alors mes paroles sur la bruyère?

Non, je ne veux pas que tu dises jamais en me voyant après l'heure de la folie: Quoi! c'est là l'homme à qui j'ai pu livrer ma jeunesse! Écoute, prions le ciel: il fera peut-être un miracle. Il va me donner jeunesse et beauté. Viens, ma bien-aimée: montons sur ce nuage. Que le vent nous porte dans le ciel. Alors, je veux bien être à toi. Tu te rappelleras mes baisers, mes ardentes étreintes: je serai charmant dans ton souvenir et tu seras bien malheureuse, car je ne t'aimerai plus. Oui: c'est ma nature. Et tu voudrais être peut-être abandonnée par un vieux homme? Oh! non, jeune grâce, va à ta destinée; va chercher un amant digne de toi. Je pleure des larmes de fiel de te perdre. Je voudrais dévorer celui qui possédera ce trésor. Mais fuis environnée de mes désirs, de ma jalousie, et laisse-moi me débattre avec l'horreur de mes années et le chaos de ma nature, où le ciel et l'enfer, la haine et l'amour, l'indifférence et la passion se mêlent dans une confusion pitoyable.

Si tu te laissais aller au caprice où tombe quelquefois l'imagination d'une jeune femme, le jour viendrait où le regard d'un jeune homme t'arracherait à ta fatale erreur; car même les changements et les dégoûts arrivent entre les amants du même âge. Alors, comment me verrais-tu quand je viendrais à t'apparaître sous ma forme naturelle? Toi, tu irais te purifier dans des jeunes bras d'avoir été pressée dans les miens; mais moi, que deviendrais-je? Tu me promettrais ta vénération, ton amitié, tes respects; et chacun de ces mots me percerait le cœur. Réduit à cacher ma double défaite, à dévorer des larmes qui feraient rire quiconque les apercevrait dans mes yeux, à renfermer dans mon sein mes plaintes, à mourir de jalousie, je me représenterais tes plaisirs; je me dirais: À présent, à cette heure où elle me parlait, elle meurt de volupté dans les bras d'un autre; elle lui redit ces mots tendres qu'elle m'a dits avec cette ardeur de la passion qu'elle n'a jamais pu sentir pour moi. Alors, tous les tourments de l'enfer entreraient dans mon âme, et je ne pourrais les apaiser que par des crimes.

Et pourtant, quoi de plus injuste? Si tu m'avais donné quelques moments de bonheur, me les devais-tu? Devais-tu me donner toute ta jeunesse? N'était-il pas tout simple que tu cherchasses les harmonies de ton âge, et ces rapports d'âge et de beauté qui appartiennent à ta nature? Te devais-je autre chose que la plus vive reconnaissance pour t'être un moment arrêtée auprès du vieux voyageur? Tout cela est juste et vrai; mais ne compte pas sur ma vertu: si tu étais à moi, pour te quitter, il me faudrait ta mort ou la mienne. Je te pardonnerais ton bonheur avec un ange; avec un homme, jamais!

N'espère pas me tromper, l'amitié a bien plus d'illusions que l'amour, et elles sont bien plus durables. L'amitié se fait des idoles, et les voit telles qu'elle les a créées: elle vit du cœur et de l'âme; la fidélité lui est naturelle, elle s'accroît avec les années.

L'amour enivre, mais l'ivresse passe. Il ne vit pas de pureté[441], et ne se nourrit pas de gloire: découvrant tous les jours que l'idole qu'il a créée perd quelque chose à ses yeux, il en voit bientôt les défauts, et le temps seul le rend infidèle en dépouillant de ses grâces l'objet qu'il aime. Les passions ne rendent point ce que le temps efface: la gloire ne rajeunit que notre nom.

Non, je ne souffrirai jamais que tu entres dans ma chaumière: c'est bien assez d'y repousser ton image, d'y veiller comme un insensé en pensant à toi! Que serait-ce, si tu étais assise sur la natte qui me sert de couche, si tu avais respiré l'air que je respire la nuit, si je te trouvais à mon foyer compagne de ma solitude? Il y a dans une femme une émanation de fleur et d'amour. Lorsque tu chantes, ta voix me rend fou et me fait mal; tu as l'air de la mélodie elle-même rendue visible et accomplissant ses propres lois.

Comment croirais-je que cette vie de veuvage pourrait longtemps te suffire? Deux beaux jeunes gens peuvent s'enchanter des soins qu'ils se rendent; mais un vieil esclave, qu'en ferais-tu? Pourrais-tu, du matin au soir, supporter la solitude avec moi, les fureurs de ma jalousie prévue, mes long silences, mes tristesses de cœur et tous les caprices d'une nature qui se déplaît et croit déplaire aux autres?

Et le monde, en supporterais-tu les railleries? Si j'étais riche, il dirait que je t'achète et que tu te vends, ne pouvant admettre que tu puisses m'aimer. Si j'étais pauvre, on se moquerait de ton amour, on me rendrait un objet ridicule à tes propres yeux, on te rendrait honteuse de ton choix. Et moi, on me ferait un crime d'avoir abusé de ta simplicité, de ta jeunesse, de t'avoir acceptée, ou d'avoir abusé de l'état de [442] tombe  [443] le temps de te presser dans mes bras. La jeunesse embellit tout, jusqu'au malheur. Elle charme alors qu'elle peut, avec les boucles d'une chevelure brune, enlever les pleurs à mesure qu'ils passent sur les joues. Mais la vieillesse enlaidit jusqu'au bonheur: dans l'infortune, c'est pis encore; quelques rares cheveux blancs sur la tête chauve d'un homme ne descendent point assez bas pour essuyer les larmes qui tombent de ses yeux.

Tu m'as jugé d'une façon vulgaire, tu as pensé, en voyant la trouble où tu me jettes que je me laisserais aller à te faire subir mes caresses: à quoi as-tu réussi? À me persuader que je pourrais être aimé? Non, mais à réveiller le génie qui m'a tourmenté dans ma jeunesse, à renouveler mes anciennes souffrances.

Vieilli sur la terre sans avoir rien perdu de mes rêves, de mes folies, de mes vagues tristesses; cherchant toujours ce que je ne puis trouver; joignant à mes anciens maux le désenchantement de l'expérience, la solitude des déserts à l'ennui du cœur et la disgrâce des années, dis, n'aurai-je pas fourni aux démons, dans ma personne, l'idée d'un supplice qu'ils n'avaient point encore inventé dans la région des douleurs éternelles?

Fleur charmante que je ne veux point cueillir, je t'adresse mes derniers chants de tristesse, tu ne les entendras qu'après ma mort, quand j'aurai réuni ma vie au faisceau des lyres brisées....

V

LE DÉPART DE CHERBOURG[444]

C'était le 16 août 1830. Un vaisseau de guerre, le Great-Britain, prêt à mettre à la voile, attendait ses passagers. Ce fut un douloureux et inoubliable spectacle, lorsque, devant les gardes du corps qui avaient suivi la famille royale et qui lui présentaient une dernière fois les armes, on vit passer le vieux roi, le dauphin son fils, la fille de Louis XVI, appuyée sur le bras de M. de La Rochejaquelein; Madame, duchesse de Berry, conduite par le baron de Charette; le duc de Bordeaux, porté par son gouverneur, M. de Damas; et, à quelques pas, sa sœur, Mademoiselle, celle à qui M. le duc de Berry avait dit, quelques instants avant de mourir: «Mon enfant, puissiez-vous être moins malheureuse que ceux de votre famille!»—Mademoiselle, destinée à voir un jour son mari assassiné comme l'avait été son père![445] Le roi Charles X s'embarqua le dernier. Un silence de deuil régnait sur la côte de France bien des gémissements le suivirent sur les flots.[446]

Dans des pages intitulées: Le Départ, scène de l'histoire de France, Balzac, le plus grand génie littéraire du XIXe siècle avec Chateaubriand, a raconté l'embarquement du roi Charles X à Cherbourg. Il m'a paru que ces pages du grand romancier, qui se montre ici, on va le voir, un grand historien, méritaient d'être rapprochées de celles qu'on vient de lire dans les Mémoires d'Outre-tombe.

Au moment où le roi monta sur le vaisseau qui allait l'emporter en exil, il s'enferma seul pour prier et pour pleurer. Balzac,—s'il n'était pas de sa personne sur la rade de Cherbourg, du moins y était-il d'âme et de cœur,—Balzac dit à l'ami qui l'accompagnait:

En ce moment, ce vieillard à cheveux blancs, enveloppé dans une idée, victime de son idée, fidèle à son idée, et dont ni vous ni moi ne pouvons dire s'il fut imprudent ou sage, mais que tout le monde juge dans le feu du présent, sans se mettre à dix pas dans la froideur de l'avenir; ce vieillard vous semble pauvre: hélas! il emporte avec lui la fortune de la France; et, pour ce pas fatal, fait du rivage au vaisseau, vous paierez plus de larmes et d'argent, vous verrez plus de désolation qu'il n'y a eu de prospérités, de rires et d'or, depuis le commencement de son règne....

Et dans ces pages d'une éloquence amère, d'une intuition merveilleuse, il déroule à l'ami qui l'écoute les réalités de l'avenir. Il lui montre les arts en deuil, suivant le vieux roi dans l'exil; les marchands d'orviétan politique et les jurés priseurs du budget se refusant à décréter l'argent nécessaire aux galeries, aux musées, aux essais longtemps infructueux, aux lentes conquêtes de la pensée ou aux subites illuminations du génie. «Il y aura cependant un art dans lequel se feront de grands progrès, l'art du suicide.» Ce vieillard et cet enfant partis, le peuple sera souverain. La bourgeoisie traduira la souveraineté du peuple par ce mot: «Plus de supériorité sociale! plus de nobles! plus de privilèges!» Les ouvriers, à leur tour, la traduiront par cet autre mot: «Plus d'impôts, et de l'or!» La France connaîtra bientôt une révolution nouvelle. «Les gens qui mènent par les chemins le convoi de la monarchie légitime enterreront eux-mêmes l'adjudicataire au rabais de la couronne et du pouvoir.» Après avoir ainsi prédit 1848, Balzac décrit en ces termes les temps que nous voyons, le combat auquel nous assistons aujourd'hui:

Ce combat de la médiocrité contre la richesse, de la pauvreté contre la médiocrité, n'aura pour chefs que des gens médiocres, et l'inhabileté débordera du haut en bas sur ce pays si riche en ce moment, et il nous faudra payer cher l'éducation de nos nouveaux souverains, de nos nouveaux législateurs.... Il n'y aura plus qu'un seul pouvoir armé, celui de la représentation nationale; il n'y aura qu'une seule chose dont on ne doutera pas, la misère!

Tout cela, disait Balzac, sera le prix du passage de cette famille sur ce vaisseau. Il ajoutait,—et cette parole encore se devait réaliser: «Un moment viendra que secrètement ou publiquement, la moitié des Français regrettera le départ de ce vieillard, de cet enfant, et dira: «Si la révolution de 1830 était à faire, elle ne se ferait pas.»

Je voudrais pouvoir tout citer de cet admirable écrit, j'en reproduirai du moins cette page sur les Bourbons:

Quand ils revinrent, ils rapportèrent les olives de la paix, la prospérité de la paix, et sauvèrent la France, la France déjà partagée. S'ils payèrent les dettes de l'exil, ils payèrent les dettes de l'Empire et de la République. Ils versèrent si peu de sang, qu'aujourd'hui ces tyrans pacifiques s'en vont sans avoir été défendus, parce que leurs amis ne les savaient pas attaqués. Dans quelques mois, tous saurez que, même en méprisant les rois, nous devons mourir sur le seuil de leur palais, en les protégeant, parce qu'un roi, c'est nous-mêmes, un roi, c'est la patrie incarnée; un roi héréditaire est le sceau de la propriété, le contrat vivant qui lie entre eux tous ceux qui possèdent contre ceux qui ne possèdent pas. Un roi est la clef de la voûte sociale; un roi, vraiment roi, est la force, le principe, la pensée de l'État, et les rois sont des conditions essentielles à la vie de cette vieille Europe, qui ne peut maintenir sa suprématie sur le monde que par le luxe, les arts et la pensée. Tout cela ne vit, ne naît et ne prospère que sous un immense pouvoir....

Napoléon a péri comme ces Pharaons de l'Écriture, au milieu d'une mer de sang, de soldats, de chariots brisés, et dans le vaste linceul d'une plaine de fumée; il a laissé la France plus petite que les Bourbons ne l'avaient faite; ceux-ci sont tombés, ne versant guère que le sang des leurs, à peine tachés du sang des gens qui avaient pris les armes pour la défense d'un contrat, et qui, dans la victoire, l'ont méconnu.

Eh bien, ces souverains bannis laissent la France agrandie et florissante. Les preneurs à bail, qui vont essayer d'entreprendre le bonheur des peuples, apprendront à leurs dépens la signification du mot catholicisme, si souvent jeté comme un reproche à ce vieillard que nous déportons.[447]

Le récit de Balzac se ferme sur le mot suivant:

Là-bas, dis-je, en montrant le vaisseau, est le droit et la logique; hors de cet esquif sont les tempêtes.

Philarète Chasles, dans ses Mémoires, résume ainsi son jugement sur l'auteur de la Comédie humaine: «C'était un voyant, non un observateur.[448]» Si le mot est vrai du romancier, il ne l'est pas moins du publiciste. Dans le Départ et dans plusieurs autres de ses écrits politiques, Balzac a été un voyant.

VI

LE SAC DE SAINT-GERMAIN-L'AUXERROIS[449]

Dans les premiers jours de juillet 1831, six mois après le sac de Saint-Germain-l'Auxerrois, le bruit s'était répandu que le gouvernement allait accorder à la révolution la démolition de la vieille église. Chateaubriand était alors à Genève. Il écrivit aussitôt la lettre suivante à Mme de ..., qui permit à la Revue de Paris de la publier:

Genève, 11 juillet 1831.

Je vous ai écrit hier, et voici encore une lettre. De quoi s'agit-il? de Saint-Germain-l'Auxerrois. À qui conterais-je mes peines et mes idées, si ce n'est à vous?

On va donc commencer, disent les journaux, la démolition de ce monument le 14 juillet. Noble manière d'inaugurer la monarchie élective, par la destruction d'une église, d'exécuter de sang-froid, et à tête reposée, ce que le vandalisme révolutionnaire faisait jadis dans la fièvre et les convulsions! Le chapitre des comparaisons et des considérations serait ici trop long à parcourir; un mot seulement à ce sujet. La révolution de Juillet ignore-t-elle que ce qui lui a le plus nui en Europe a été la dévastation de Saint-Germain-l'Auxerrois? que les peuples qui tous, sans exception alors, sympathisaient avec nous, ont reculé, et que leurs dispositions favorables ont changé? La non-intervention, si bien gardée, a achevé l'affaire. Une stupide manie de quelques Français, depuis quarante ans, est de compter pour rien les idées religieuses, et de les croire éteintes partout, comme elles le sont dans leur étroit cerveau. Ils oublient que tous les peuples libres ou tous ceux qui veulent l'être et qui sont en rapport avec nous sont religieux. Aux États-Unis, la loi vous force d'être chrétiens. Dans les républiques espagnoles, la religion catholique est la seule; excepté, je crois, au Mexique, où l'on vient d'essayer quelque chose pour la tolérance. Les Cortès d'Espagne avaient décrété le seul exercice de la religion catholique. Si l'Italie s'émancipait, elle resterait chrétienne. La Belgique a fait sa révolution pour chasser un roi protestant. L'Allemagne, si philosophique, est chrétienne, et les Polonais, que sont-ils? Ils vont au combat ou à la mort en invoquant la sainte Vierge. Skrinecki porte un scapulaire et fait des pèlerinages. Nos démolitions religieuses sont donc à la fois une ignorance historique et un contre-sens politique.

Sous le rapport des arts, la chose n'est pas moins déplorable. Quoi! renouveler le vandalisme de 93! Que ne fait-on ce que j'ai proposé? Que ne masque-t-on l'église par des arbres, en la laissant subsister en face du Louvre comme échelle et témoin de la marche de l'art? Saint-Germain-l'Auxerrois est un des plus vieux monuments de Paris; il est d'une époque dont il ne reste presque rien. Que sont donc devenus vos romantiques? On porte le marteau dans une église, et ils se taisent! Ô mes fils! combien vous êtes dégénérés! Faut-il que votre grand-père élève seul sa voix cassée en faveur de vos temples? Vous ferez une ode, mais durera-t-elle autant qu'une ogive de Saint-Germain-l'Auxerrois? Et les artistes ne présentent point de pétitions contre cette barbarie! Comme le plus humble de leurs camarades, je suis prêt à mettre ma signature à la suite de leurs noms. Détruire est facile, on l'a dit mille fois; et je ne connais pas au monde d'ouvriers qui aillent plus vite en cette besogne que les Français; mais reconstruire! Qu'ont-ils bâti depuis quarante ans?

On veut percer une rue! Très bien: commencez les abatis par la côté opposé au Louvre, par la place de Grève, cela vous donnera du temps; vous serez deux ou trois ans, peut-être davantage, à tracer votre voie; alors, quand vous arriverez à Saint-Germain, vous aurez mûri vos réflexions, vous jugerez mieux de l'effet même du monument, à l'extrémité de l'ouverture.... On a abattu la Bastille et l'on a bien fait. La Bastille était une prison. Je ne sache pas qu'on ait enfermé personne à Saint-Germain-l'Auxerrois; mais, même sur l'emplacement de la Bastille, qu'a-t-on élevé? D'abord un arbre de la liberté que le sabre de Bonaparte a coupé, pour faire place à un éléphant d'argile; et puis, après l'éléphant, que va-t-il survenir? Et tout cela, vous le savez, était à toujours, pour les siècles, pour l'éternité, comme nos serments. Quand Napoléon ordonna les travaux du Carrousel et de la rue de Rivoli, il croyait bien voir la fin de son entreprise; la rue de Rivoli a vu passer l'Empire et la Restauration sans être achevée. Qui vous répond que la nouvelle monarchie ira jusqu'au bout de la rue qu'elle va ouvrir par une ruine? Nous autres Français, nous sommes trop conséquents dans le mal et pas assez logiques dans le bien: parce qu'une imprudence taquine a produit à Saint-Germain une vengeance sacrilège, est-il de toute nécessité de continuer la dernière? Les Parisiens ne peuvent-ils s'amuser sans jeter les meubles par les fenêtres, ou sans abattre les monuments publics? On honorerait bien mieux les héros de Juillet en leur donnant à enlever les places fortes bâties contre nous, avec notre argent, qu'en livrant à leur courage une église ravagée, où ils ne trouveront pas même le curé pour la défendre. N'enfoncerons-nous plus notre chapeau sur notre tête que pour marcher contre un vicaire ou pour monter à l'assaut d'un clocher, et aurons-nous encore longtemps le chapeau bas devant l'insolence étrangère? Il serait triste qu'on apprît l'entrée des Russes à Varsovie le jour où notre gouvernement entrerait à Saint-Germain-l'Auxerrois! Les deux belles victoires pour la monarchie populaire!...

Vous rirez de ma grande colère, vous me direz: «Qu'est-ce que cela vous fait, vous, exilé, qui ne reverrez peut-être jamais la France?» Ne le prenez pas là, je suis Français jusque dans la moelle des os. Que la France entre dans un système politique généreux, et si la guerre survient, vous me verrez accourir pour partager le sort de ma patrie. J'aurais cent ans que mon cœur battrait encore pour la gloire, l'honneur et l'indépendance de mon pays. Déchiffrez, si vous pouvez, ce griffonnage écrit ab irato, une heure avant le départ du courrier.

Chateaubriand.

VII

CHATEAUBRIAND ET LE JOURNAL DU MARÉCHAL DE CASTELLANE[450]

Dans les jours qui suivirent l'apparition de la brochure de Chateaubriand sur la Restauration et la monarchie élective, le général de Castellane écrivait sur son Journal, à la date du 3 avril 1831:

On veut, à la Chambre des députés, discuter beaucoup l'histoire des neuf millions que le Roi a touchés à compte sur la liste civile. Une partie de cet argent a été donnée. M. Benjamin Constant a reçu 340,000 francs; M. Mauguin 220,000 francs, à condition de rester tranquilles; ils ont pris l'argent, sans tenir compte de leurs promesses. M. de Chateaubriand, dont le désintéressement l'a porté à renoncer à la pairie et à la dotation de 12,000 francs, a reçu du Roi 100,000 francs pour ne pas écrire. Aussi, dans le seul pamphlet qu'il a fait paraître[451] et qu'il annonce comme devant être l'unique et dernier, il ne traite pas mal la personne du Roi. Cette affaire s'est traitée par madame Adélaïde; il voulait vendre son hospice, et ses terrains, rue d'Enfer, 3 ou 400,000 francs; on a préféré lui donner tout bonnement 100,000 francs[452].

Que ce bruit ait couru quelques salons, il le faut bien croire; ce qui est certain, c'est qu'il ne tient pas debout.

Lorsqu'éclata la révolution de 1830, Chateaubriand avait pour toute fortune son titre de pair de France, la pension de 12,000 francs que lui avait faite le roi Louis XVIII, et ce qu'il touchait comme ministre d'État. Le 10 août, il donna sa démission de pair de France et de ministre d'État, et, le 12, il adressa au ministre des finances la lettre suivante, qu'on a lue déjà dans les Mémoires, mais qu'il ne sera pas hors de propos de reproduire ici:

Monsieur le ministre des finances,

Il me reste des bontés de Louis XVIII et de la munificence nationale une pension de pair de douze mille francs, transformée en rentes viagères inscrites au grand-livre de la dette publique et transmissibles seulement à la première génération directe du titulaire. Ne pouvant prêter serment à Mgr le duc d'Orléans comme roi des Français, il ne serait pas juste que je continuasse à toucher une pension attachée à des fonctions que je n'exerce plus. En conséquence je viens la résigner entre vos mains. Elle aura cessé de courir pour moi le jour (10 août) où j'ai écrit à M. le président de la Chambre des pairs qu'il m'était impossible de prêter le serment exigé.

Après avoir rapporté ses lettres de démission, Chateaubriand ajoute:

Je restai nu comme un petit saint Jean.... Mes broderies, mes dragonnes, franges, torsades, épaulettes, vendues à un juif et par lui fondues, m'ont rapporté sept cents francs, produit net de toutes mes grandeurs[453].

Et c'est cet homme qui, quelques mois après, se serait vendu, pour cent mille francs, au gouvernement à la face duquel il avait ainsi jeté ses démissions et son reste de fortune!

Chateaubriand aurait touché ces cent mille francs au mois d'avril 1831. Or, voici ce qu'il écrivait sur son Journal, à la date de mai 1831.

La résolution que je conçus au moment de la catastrophe de juillet n'a point été abandonnée par moi. Je me suis occupé des moyens de vivre en terre étrangère, moyens difficiles, puisque je n'ai rien: l'acquéreur de mes œuvres m'a fait à peu près banqueroute, et mes dettes m'empêchent de trouver quelqu'un qui veuille me prêter.... Je laisse ma procuration pour vendre la maison où j'écris cette page pour ordre de date. Si je trouve marchand à mon lit, je pourrai trouver un autre lit hors de France[454].

Le bruit, si légèrement accueilli par Castellane, est déjà, ce me semble, démontré faux. Mais voici qui est plus concluant encore. On a donné, dit-il, 100,000 francs à Chateaubriand, à la condition, acceptée par lui, de ne plus écrire. Mais alors, comment expliquer que, moins de six mois après, au mois d'octobre 1831, il écrive et publie sa brochure: De la nouvelle proposition relative au bannissement de Charles X et de sa famille, ou suite de mon dernier écrit: De la Restauration et de la monarchie élective? Cette brochure n'était pas seulement une violente attaque contre la monarchie de Juillet; elle renfermait, à l'adresse du roi Louis-Philippe, des paroles amères et cruelles, celles-ci par exemple:

Les dernières barricades ont chassé Charles X des Tuileries. Eh bien, dans ce château funeste, au lieu d'une couche innocente, sans insomnie, sans remords, sans apparition, qu'a trouvé Louis-Philippe? Un trône vide que lui présente un spectre décapité portant dans sa main sanglante la tête d'un autre spectre.

Au mois de mai 1832, nouvelle brochure sur les 12,000 francs envoyés par la duchesse de Berry pour être distribués aux cholériques.

En ce même mois de mai 1832, le Mémoire sur la captivité de madame la duchesse de Berry. Ce Mémoire, où se trouvait la fameuse phrase: Madame, votre fils est mon roi, était particulièrement dur pour la personne de Louis-Philippe. Chateaubriand fut traduit devant les tribunaux pour délit de presse. Déjà, au mois de juin précédent, il avait été arrêté et retenu en prison pendant quinze jours, comme prévenu de complot contre la sûreté de l'État. Au lieu de le traîner en prison, au lieu de le traduire en cour d'assises et de lui préparer ainsi des ovations, le gouvernement—si le fait rapporté par Castellane eût été vrai—aurait eu un moyen bien simple de faire taire Chateaubriand: il lui aurait suffi de dire: «M. de Chateaubriand a reçu 100,000 francs du Roi.»—On ne l'a pas dit, et on ne pouvait pas le dire, parce que Chateaubriand n'avait rien reçu.

Et comment eût-il consenti à recevoir l'argent de Louis-Philippe, son ennemi, lui qui ne voulait même pas accepter celui que lui offrait le vieux roi auquel il restait si honorablement fidèle? À l'avènement du ministère Polignac, il avait donné sa démission d'ambassadeur à Rome, et il était revenu à Paris, non seulement sans le sou, mais chargé d'une dette de soixante mille francs contractée pendant son ambassade. Au mois de juillet 1832, une trentaine de mille francs lui restait encore à payer sur ces soixante mille, en outre de ses vieilles dettes. «M. le duc de Lévis, dit-il dans ses Mémoires, à son retour d'un voyage en Écosse (au mois d'octobre 1831), m'avait dit de la part de Charles X que ce prince voulait continuer à me faire ma pension de pair; je crus devoir refuser cette offre. Le duc de Lévis revint à la charge quand il me vit au sortir de la prison (juillet 1832) dans l'embarras le plus cruel, ne trouvant rien de ma maison et de mon jardin rue d'Enfer, et étant harcelé par une nuée de créanciers. J'avais déjà vendu mon argenterie. Le duc de Lévis m'apporta vingt mille francs, me disant noblement que ce n'était pas les deux années de pension de pairie que le roi reconnaissait me devoir, et que mes dettes à Rome n'étaient qu'une dette de la couronne. Cette somme me mettait en liberté, je l'acceptai comme un prêt momentané, et j'écrivis au roi la lettre suivante:

Sire,

Au milieu des calamités dont il a plu à Dieu de sanctifier votre vie, vous n'avez point oublié ceux qui souffrent au pied du trône de saint Louis. Vous daignâtes me faire connaître, il y a quelques mois, votre généreux dessein de me continuer la pension de pair à laquelle je renonçai en refusant le serment au pouvoir illégitime; je pensai que Votre Majesté avait des serviteurs plus pauvres que moi et plus dignes de ses bontés. Mais les derniers écrits que j'ai publiés m'ont causé des dommages et suscité des persécutions; j'ai essayé inutilement de vendre le peu de chose que je possède. Je me vois forcé d'accepter, non la pension annuelle que Votre Majesté se proposait de me faire sur sa royale indigence, mais un secours provisoire pour me dégager des embarras qui m'empêchent de regagner l'asile où je pourrai vivre de mon travail. Sire, il faut que je sois bien malheureux pour me rendre à charge, même un moment, à une couronne que j'ai soutenue de tous mes efforts et que je continuerai à servir le reste de ma vie.

Le comte Ferrand (voir, au tome III, des Mémoires, l'Appendice no IV) avait accusé Chateaubriand de s'être vendu à Napoléon en 1811, pour une somme de 70,000 fr. Voici que le maréchal de Castellane l'accuse de s'être vendu à Louis-Philippe, en 1831, pour une somme de 100,000 fr. Les deux allégations se valent: elles sont, l'une et l'autre tout bonnement ridicules.

VIII

LETTRES DE GENÈVE[455].

Le 16 mai 1831, Chateaubriand était parti pour Genève, où il arriva le 23.

Lorsque Voltaire, au mois de février 1753, était allé se fixer en Suisse, il avait acheté coup sur coup le château de Montriond, aux portes de Lausanne, et celui de St-Jean, sur la route de Genève à Lyon. Il avait fait de ces résidences seigneuriales «un palais d'hiver et un palais d'été». Encore embelli par ses soins, le château de Saint-Jean avait dû changer de nom et avait été baptisé par lui sous ce nouveau vocable: les Délices. Ce pauvre diable de Chateaubriand n'était point un si gros seigneur que Voltaire. Il fut donc tout heureux et tout aise de pouvoir s'installer, avec Mme de Chateaubriand, dans un modeste logis, situé à Genève, dans le quartier appelé les Pâquis.

C'est de là qu'il écrivait à son vieil ami Ballanche, le 12 juillet 1831, la jolie lettre qu'on va lire:

Genève, 12 juillet 1831.

L'ennui, mon cher et ancien ami, produit une fièvre intermittente; tantôt il engourdit mes doigts et mes idées, et tantôt il me fait écrire, comme l'abbé Trublet. C'est ainsi que j'accable Mme Récamier de lettres et que je laisse la vôtre sans réponse. Voilà les élections, comme je l'avais toujours prévu et annoncé, ventrues et reventrues. La France est à présent toute en bedaine, et la fière jeunesse est entrée dans cette rotondité. Grand bien lui fasse! Notre pauvre nation, mon cher ami, est et sera toujours au pouvoir: quiconque régnera l'aura; hier Charles X, aujourd'hui Philippe, demain Pierre, et toujours bien, sempre bene, et des serments tant qu'on voudra, et des commémorations à toujours pour toutes les glorieuses journées de tous les régimes, depuis les sans-culotides jusqu'aux 27, 28, et 29 juillet. Une chose seulement m'étonne, c'est le manque d'honneur du moment. Je n'aurais jamais imaginé que la jeune France pût vouloir la paix à tout prix et qu'elle ne jetât pas par la fenêtre les ministres qui lui mettent un commissaire anglais à Bruxelles et un caporal autrichien à Bologne. Mais il paraît que tous ces braves contempteurs des perruques, ces futurs grands hommes, n'avaient que de l'encre au lieu de sang sous les ongles. Laissons tout cela.

L'amitié a ses cajoleries comme un sentiment plus tendre, et plus elle est vieille, plus elle est flatteuse; précisément tout l'opposé de l'autre sentiment. Vous me dites des choses charmantes sur ma gloire. Vous savez que je voudrais bien y croire, mais qu'au fond je n'y crois pas, et c'est là mon mal: car, si toutefois il pouvait m'entrer dans l'esprit que je suis un chef-d'œuvre de nature, je passerais mes vieux jours en contemplation de moi-même. Comme les ours qui vivent de leur graisse pendant l'hiver en se léchant les pattes, je vivrais de mon admiration pour moi pendant l'hiver de ma vie; je me lécherais et j'aurai la plus belle toison du monde. Malheureusement je ne suis qu'un pauvre ours maigre, et je n'ai pas de quoi faire un petit repas dans toute ma peau.

Je vous dirai, à mon tour de compliment, que votre livre m'est enfin parvenu après avoir fait le voyage complet des petits cantons, dans la poche de votre courrier. J'aime prodigieusement vos siècles écoulés dans le temps qu'avait mis la sonnerie de l'horloge à sonner l'air de l'Ave Maria. Toute votre exposition est magnifique, jamais vous n'avez dévoilé votre système avec plus de clarté et de grandeur. À mon sens, votre Vision d'Hébal est ce que vous avez produit de plus élevé et de plus profond. Vous m'avez fait réellement comprendre que tout est contemporain pour celui qui comprend la notion de l'éternité; vous m'avez expliqué Dieu avant la création de l'homme, la création intellectuelle de celui-ci, puis son union à la matière par sa chute, quand il crut se faire un destin de sa volonté.

Mon vieil ami, je vous envie; vous pouvez très bien vous passer de ce monde dont je ne sais que faire. Contemporain du passé et de l'avenir, vous vous riez du présent qui m'assomme, moi chétif, moi qui rampe sous mes idées et sous mes années. Patience! je serai bientôt délivré des dernières; les premières me suivront-elles dans la tombe? Sans mentir, je serais fâché de ne plus garder une idée de vous! Mille amitiés.

Chateaubriand.

Un autre fidèle de l'Abbaye-au-Bois, Jean-Jacques Ampère, au nom de ses amis comme au sien, lui écrivait pour le supplier de ne pas abandonner plus longtemps son pays, de revenir trouver un groupe de jeunes gens dont la bonne volonté et le libéralisme réclamaient ses encouragements et ses conseils.

Voici la réponse de Chateaubriand:

Genève, 18 juillet 1831.

Vous ne sauriez croire, Monsieur, combien je suis touché de votre noble lettre. Je serais trop fier d'être choisi par cette jeunesse française que votre caractère et vos talents honorent, pour être, non pas son guide et son chef, mais son vieil ami. Mais, Monsieur, l'âge des illusions est passé pour moi; je sens que mon rôle est fini, ma carrière achevée. Je n'ai jamais fait cas de la vie: ce qui m'en reste me semble ridicule ou pitoyable; peu importe que ce vieux chiffon sèche maintenant au soleil de la patrie ou de l'exil.

Pour bien m'expliquer, Monsieur, il me faudrait un volume, et peut-être aurait-il le triste effet de vous ennuyer et de vous décourager. Je crains que la liberté ne soit pas un fruit du sol de la France; hors quelques esprits élevés qui la comprennent, le reste s'en soucie peu. L'égalité, notre passion naturelle, est magnifique dans les grands cœurs, mais, pour les âmes étroites, c'est tout simplement de l'envie; et, dans la foule, des meurtres et des désordres; et puis l'égalité, comme le cheval de la fable, se laisse brider et seller pour se défaire de son ennemi; toujours l'égalité s'est perdue dans le despotisme; cela, Monsieur, vous expliquera toutes les désertions qui vous environnent; le passage continuel de vos jeunes amis au pouvoir; enfin, quelque chose de pis en ce moment: l'insensibilité de la France à ce qui lui fut toujours si cher: l'honneur de son nom et de ses armes.... Ah! Monsieur, j'ai le malheur d'être un ancien et un nouveau Français; je me ferais écorcher vif pour l'honneur de la France et pendre pour ses libertés. À quoi serais-je bon dans un pays qui ne sent plus le premier et qui est toujours prêt à livrer les secondes? Entre les panégyristes de la Terreur et les amis de la paix à tout prix, où est ma place? Combattre les uns et les autres! Où serait mon public? Y a-t-il en France vingt hommes comme vous! J'en doute. Vivez, Monsieur, pour conserver le feu sacré, mais sachez bien, pour ne pas vous tromper, que vous et quelques-uns de vos jeunes compagnons en avez seuls le dépôt. La civilisation générale ne rétrogradera pas, mais elle pourra périr en un lieu, en un pays, en France, et être errante comme l'Église du Christ. Croyez que je vous parle de tout ceci avec douleur, mais sans humeur et sans regrets cachés.... En vérité, il faudrait être bien fou pour déplorer le peu de jours que cette révolution enlève à ma vie publique; elle me rend même un service en mettant dans l'ombre les années où j'allais radoter; je lui sais gré de m'avoir retranché brusquement du nombre des vivants. Il y a, dans mon voisinage, à l'hospice du mont Saint-Bernard, une chambre où l'on dépose, avant de les enterrer, les voyageurs qui ont péri dans une tourmente: c'est là que je suis engourdi. À votre âge, Monsieur, il faut soigner sa vie; au mien, il faut soigner sa mort. L'avenir au delà de la tombe est la jeunesse des hommes à cheveux blancs; je veux user de cette seconde jeunesse un peu mieux que je n'ai fait de la première.

Je vous le répète en finissant, Monsieur, votre lettre m'a profondément touché; elle est digne de vous et de vos sentiments; c'est tout dire. Pardonnez à la prolixité de ma réponse: autrefois, je n'écrivais que des billets; aujourd'hui le plus grand papier ne me suffît plus; c'est une infirmité des perruques. Je ne suis pas Nestor: je n'en ai malheureusement que les longs propos.

Si nous avons la guerre, ce que je ne crois pas du tout, je rentrerai en France pour partager le sort de ma patrie; et alors, Monsieur, quel bonheur d'entreprendre avec vous quelque chose pour le bien et l'honneur de ce beau nom de Français que nous portons l'un et l'autre avec tant d'orgueil et d'amour.

Je suis, Monsieur, avec le plus entier dévouement et la considération la plus distinguée, votre très humble et très obéissant serviteur.

Chateaubriand.

IX

LA NÉMÉSIS DE BARTHÉLEMY. CHATEAUBRIAND, LAMARTINE ET BALZAC[456].

On vient de voir avec quelle éloquence Chateaubriand avait répondu à l'auteur de Némésis, le rappelant au respect de ces nobles et saintes choses, la religion, l'innocence et le malheur. Le poète révolutionnaire, l'insulteur haineux de la Monarchie et de l'Église, ne laissa pas de recevoir encore d'autres leçons. Lamartine, à ce moment, était candidat à la députation quelque part, à Dunkerque, je crois. Barthélemy décocha au chantre des Méditations et des Harmonies quelques-unes de ses flèches les plus acérées:

D'en haut tu fais tomber sur nous, petits atomes,
Tes Gloria Patri délayés en des tomes,
Tes psaumes de David imprimés sur vélin:
Mais quand de tes billets l'échéance est venue,
Poète financier, tu descends de la nue,
Pour traiter avec Gosselin...

On n'a point oublié tes œuvres trop récentes,
Tes hymnes à Bonald en strophes caressantes,
Et sur l'autel Rémois ton vol de séraphin;
Ni tes vers courtisans pour tes rois légitimes,
Pour les calamités des augustes victimes,
Et pour ton seigneur le Dauphin.

Va, les temps sont passés des sublimes extases,
Des harpes de Sion, des saintes paraphrases;
Aujourd'hui tous ces chants expirent sans écho;
Va donc, selon tes vœux, gémir en Palestine,
Et présenter, sans peur, le nom de Lamartine
Aux électeurs de Jéricho.

La réponse de Lamartine fut superbe. Celui-là avait vraiment dans son carquois les flèches d'Apollon:

Non, sous quelque drapeau que le barde se range,
La muse sert sa gloire et non ses passions;
Non, je n'ai pas coupé les ailes à cet ange
Pour l'atteler hurlant au char des factions.
Non, je n'ai pas couvert du masque populaire
Son front resplendissant des feux du saint parvis.
Ni, pour fouetter et mordre irritant sa colère,
Changé ma muse en Némésis...

Mais ces strophes vengeresses sont dans toutes les mémoires. Il suffit ici de les rappeler.

Moins illustre alors que Chateaubriand et Lamartine, mais destiné à les rejoindre dans la gloire, Balzac n'était encore que l'auteur des Chouans et des Scènes de la vie privée. Autant et plus que Lamartine et Chateaubriand, il avait la haine de la révolution et le respect de la monarchie. Le 1er mai 1831, l'auteur de Némésis publia, sous ce titre, la Statue de Napoléon, une pièce dans laquelle il jetait l'insulte aux Bourbons de la branche aînée. La lettre que lui écrivit aussitôt Balzac mérite de prendre place à côté de celle de Chateaubriand. On me saura sans doute gré de la reproduire ici.

Paris, ce 3 mai 1831.

Monsieur,

N'ayant pas l'honneur de vous connaître personnellement, je vous prie d'abord d'excuser ma liberté; puis, permettez-moi de vous soumettre quelques observations sur votre satire de dimanche dernier, la Statue de Napoléon.

Avant tout, je vous féliciterai d'une chose: quand je vis apparaître votre journal, je craignis sincèrement qu'un homme de votre trempe et de votre talent ne s'engouât des idées révolutionnaires et jacobines, qui redeviennent à la mode et forment chaque jour de nouveaux prosélytes, idées qui nous feraient rétrograder jusqu'au charnier fangeux des Hébert, des Chaumette, des Marat, et que tout homme de cœur doit combattre et repousser vigoureusement. Votre numéro de dimanche m'a pleinement rassuré là-dessus; il met Némésis d'accord avec vos précédents ouvrages; il en fait le pendant polémique de Napoléon en Égypte, de Waterloo, du Fils de l'homme. Vous donnez un organe de plus au parti bonapartiste et non pas aux gens qui voudraient voir revivre les beaux jours de la Convention et de la Terreur. Encore une fois, monsieur, je vous félicite.

Mais est-il nécessaire, pour défendre la cause que vous servez, d'attaquer sans cesse et sans relâche une famille malheureuse et exilée? Vous avez fait à la monarchie légitime une guerre assez rude, vous lui avez porté des coups assez éclatants pour être généreux après la victoire. Aujourd'hui, l'adversaire est désarmé et à terre, et votre vers incisif le poursuit encore. Dès le début de votre pièce, vous montrez votre haine terrible pour cette famille que l'exil frappe pour la troisième fois. Vous leur faites vos sanglants reproches avec la même acrimonie et le même fiel que s'ils étaient encore sur le trône.

Prenez garde, Monsieur! Sur ce chemin on dépasse aisément le but, et, si vous frappez fort, vous pourriez bien ne pas frapper juste. Quand les Bourbons revinrent, on renversa la statue de Napoléon; ce fut un acte malheureux, à mon sens; mais aujourd'hui que seize ans ont passé sur ces événements, est-ce une raison pour oublier ce que Louis XVIII fît, dès le premier jour, pour arrêter les dévastations des soldats des puissances étrangères, ses alliées, qui restauraient son trône? Je ne le crois pas. La haine ne devait pas remonter si haut. La justice veut qu'on flétrisse ces hommes qui se montrèrent plus royalistes que le roi, et qui, dans leur zèle insensé, compromirent de tout leur pouvoir la dignité royale.

Pour ma part, je méprise souverainement ces hommes. On les rencontre à la queue de tous les partis et aucune infamie ne les arrête; ils feraient détester la meilleure des causes et haïr le plus juste des hommes. Réservez vos foudroyants anathèmes pour ces êtres vils, Monsieur, et tous les gens de cœur applaudiront aux coups de fouet de votre Némésis vengeresse. Vous pourrez bien rester encore l'organe d'un parti, mais ce parti sera grossi de tous les honnêtes gens.

C'est vraiment dommage, Monsieur, qu'une poésie aussi vigoureuse que la vôtre s'égare de la sorte. Ne soyez pas étonné de la franchise de ma parole. Vos stigmates sont durs à subir et à supporter et, nonobstant mes opinions bien arrêtées, je sais admirer et louer en dehors d'elles.

Ôtez de votre livraison de dimanche dernier quelques vers d'une brutalité offensante et injuste, et vos vers, sans rien perdre de leur énergie et de leur chaleur, prennent un caractère monumental tout à fait digne du sujet que vous avez traité. Vous y dites de fort belles et fort magnifiques choses sur le peuple et ses instincts et ses goûts artistiques. Votre appel sera entendu sans doute et aussi ce que vous demandez, qu'on équipe une flotte qui nous rapporte les cendres de l'empereur.

À propos de cette installation de la famille impériale, vous parlez de l'exil de la famille Bonaparte. Dieu me garde, Monsieur, de toute mauvaise pensée qui pourrait vous froisser! Mais cet exil, pour lequel vous voulez le respect sans doute, n'eût-il pas dû vous conseiller le respect de cet exil plus récent, du moins en ce qui concerne les reproches aux personnes, reproches que je pourrais appeler dynastiques? Cet exil de la famille de Napoléon, je voudrais le voir cesser, Monsieur, mais je trouverais injuste qu'elle accusât les Bourbons de tout ce qui s'est passé en 1815. Les temps de troubles permettent aux scélérats de tout ordre et de toute nuance de se livrer à leurs vilenies et à leurs scélératesses et ils en profitent.

Je terminerai cette lettre déjà trop longue, en formant un désir: c'est que nous n'en arrivions jamais au poème héroïque par lequel vous avez terminé votre satire. Nous avons eu assez de grandes guerres; je crois que le temps des grandes paix est arrivé, nonobstant les avis contraires des politiques qui prennent pour vérités leurs rêveries et ne consultent jamais les nécessités populaires.

Agréez, Monsieur, l'hommage des sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être votre dévoué serviteur[457].

Le 1er avril 1832, la Némésis cessait de paraître. Le poète détendait son arc; mais c'était, disait-il, pour le reprendre bientôt; après un peu de repos, ses forces une fois revenues, il descendrait de nouveau dans l'arène:

Je prendrai de nouveau le casque et la cuirasse;
Dans l'arène battue où j'imprimai ma trace,
Je viendrai, comme Entelle, aux yeux des combattants,
Raidir un bras connu qui combattit sept ans[458].

Hélas! c'était pour toujours que l'athlète avait déposé son ceste: cæstus artemque repono. Le public, en effet, n'allait pas tarder à apprendre que l'auteur de Némésis, après avoir vidé son carquois, travaillait, dans une paisible retraite, à une traduction en vers de l'Énéide, pour laquelle le ministère lui avait donné un encouragement de quatre-vingt mille francs. Barthélemy essaya de se justifier; sa Justification se perdit au milieu du bruit des protestations indignées. Il n'en devait rester que ce vers:

L'homme absurde est celui qui ne change jamais.

Plus tard, il essaiera de revenir à la satire. Il publiera la Nouvelle Némésis (1844-1845); le Zodiaque (1846), etc. Un méprisant silence accueillera ces vaines tentatives. Sa voix ne trouvera plus d'écho. Cet homme qui avait tant aimé le bruit et qui avait presque touché à la gloire, sera condamné pendant vingt ans à rechercher l'obscurité, à fuir la foule, à ne sortir que le soir, pareil maintenant à l'homme qui avait perdu son ombre.—Barthélemy est mort le 23 août 1867.

X

LA DUCHESSE DE BERRY EN VENDÉE[459].

Dans la seconde quinzaine de mars 1832, la duchesse de Berry avait adressé à Chateaubriand une lettre ainsi conçue:

Ma lettre au ... adressée à M....[460] devant vous être communiquée, je ne vous écris que pour vous dire qu'il est bien important que vous puissiez le joindre sans perdre un instant, et pour vous répéter combien je compte sur vous dans cette occasion décisive. Puissions-nous travailler avec succès au bonheur de la France et être bientôt à même de vous prouver toute ma reconnaissance!

Marie-Caroline, régente de France.

15 mars 1832.

Même communication était faite, à la même heure, à M. Hyde de Neuville et au duc de Fitz-James. Tous les trois, convaincus que la prise d'arme projetée par la mère d'Henri V, ne pouvait qu'aboutir à un échec, s'efforcèrent de l'en détourner. Chateaubriand lui écrivit une lettre qui se terminait ainsi:

Quarante années de tempêtes ont brisé les plus fortes âmes, l'apathie est grande. Si Henri V pouvait être transporté aux Tuileries sans secousses, sans léser le plus léger intérêt, nous serions bien près d'une Restauration. Mais elle est encore loin, si des événements que Dieu seul connaît ne viennent pas changer la situation[461]!

La duchesse de Berry avait passé outre. On apprenait successivement son débarquement en Provence, son arrivée en Vendée. La prise d'armes, confiée au maréchal de Bourmont, était imminente si aucun contre-ordre n'était donné. Chateaubriand, Fitz-James et Hyde de Neuville estimèrent qu'il était de leur devoir de faire un nouvel et suprême appel à la raison et au cœur de la princesse. Chateaubriand rédigea une Note, qui devait être remise par l'homme le mieux fait pour donner des conseils utiles, par Berryer. Cette Note ne figure pas dans les Mémoires. En voici le texte:

Les personnes en qui on a reporté une honorable confiance ne peuvent s'empêcher de témoigner leur douleur des conseils en vertu desquels on est arrivé à la crise présente. Ces conseils ont été donnés par des hommes sans doute pleins de zèle, mais qui ne connaissent ni l'état actuel des choses ni les dispositions des esprits. On se trompe quand on croit à la possibilité d'un mouvement dans Paris. On ne trouverait pas douze cents hommes, non mêlés d'agents de police, qui pour quelques écus feraient du bruit dans la rue, et qui auraient à y combattre la garde nationale et une garnison fidèle. On se trompe sur la Vendée comme on s'est trompé sur le Midi. Cette terre de dévouement et de sacrifices est désolée par une armée nombreuse, aidée de la population des villes, presque toutes antilégitimistes. Une levée de paysans n'aboutirait désormais qu'à faire saccager les campagnes et à consolider le gouvernement actuel par un triomphe facile. On pense que, si la mère de Henri V était en France, elle devrait se hâter d'en sortir, après avoir ordonné à tous ses chefs de rester tranquilles. Ainsi, au lieu d'être venue organiser la guerre civile, elle serait venue commander la paix; elle aurait eu la double gloire d'accomplir une action d'un grand courage et d'arrêter l'effusion du sang français. Les sages amis de la légitimité que l'on n'a jamais prévenus de ce que l'on voulait faire, qui n'ont jamais été consultés sur les partis hasardeux que l'on voulait prendre, et qui n'ont connu les faits que lorsqu'ils ont été accomplis, renvoient la responsabilité de ces faits à ceux qui en ont été les conseillers et les auteurs. Ils ne peuvent ni mériter l'honneur ni encourir le blâme dans les chances de l'une ou l'autre fortune.

XI

L'ARRESTATION DE CHATEAUBRIAND[462].

Bien loin d'encourager la duchesse de Berry dans son aventureuse entreprise, Chateaubriand, nous l'avons vu (Appendice no X), avait fait, au contraire, tous ses efforts pour la détourner de sa prise d'armes; n'ayant pu y réussir, il l'avait suppliée de sortir de France le plus promptement possible. Mais cela, la police l'ignorait; il était dès lors naturel qu'elle le tînt pour suspect et qu'elle exerçât sur lui une active surveillance. Il prit gaiement la chose, comme on le peut voir par cette jolie lettre, adressée au rédacteur de La Quotidienne:

Paris, ce 4 juin 1832.

Monsieur,

Je viens de lire dans votre journal l'interrogatoire subi par M. le vicomte de Touchebœuf; mon nom s'y trouve mêlé. Je ne puis m'empêcher de m'ébahir de la niaiserie des bonnes gens qui, me voyant écrire tous les jours ce que je pense, déclarer à la face du soleil que je ne reconnais point l'ordre politique actuel, parce qu'il ne tire son droit ni de l'ancienne monarchie, ni de la souveraineté du peuple, lequel peuple n'a point été assemblé et consulté; je ne puis, dis-je, m'empêcher de m'ébahir de cette niaiserie qui s'évertue à découvrir mon opinion dans des correspondances secrètes; je n'ai point de correspondances secrètes; si j'en avais, elles ne diraient rien de plus, rien de moins que ce que j'imprime dans mes correspondances avec le public.

Quand j'affirme, Monsieur, que je n'ai point de correspondances secrètes, cela ne veut pas dire que je n'ai écrit à personne dans ces derniers temps, et pour peu que la police veuille bien encore attendre quelques jours, je lui éviterai la peine de déterrer mes lettres privées. Si elle m'honorait d'une visite domiciliaire, je la conduirais moi-même à ma cachette; je lui livrerais les preuves du délit, à la condition qu'elle les insérât le lendemain dans le Moniteur. Toutefois, comme je ne veux pas la prendre en traître, je l'avertis que ses maîtres ne lui sauraient aucun gré de sa découverte. Patience encore une fois, elle apprendra tout par moi, puisqu'elle est assez ingénue pour s'occuper de moi. J'invite encore la police à retirer les espions qui viennent se morfondre à ma porte et qui me regardent d'un air si bête. Eh! bien, Messieurs, vous le savez: je sors à deux heures tous les jours; je porte une redingote bleue aussi râpée que la légitimité dont je suis l'ambassadeur; je me promène comme le vieux célibataire au Luxembourg: à la rente près, je ne ressemble pas mal à un des rentiers de l'allée de l'Observatoire; je fais deux ou trois visites, toujours aux mêmes personnes; je rentre à cinq heures et demie pour dîner; le soir, arrivent quelques-uns de ces rares amis qui demeurent après l'infortune. Je me couche à neuf heures; je me lève à six; je lis les journaux qu'on veut bien m'envoyer gratis; quand je ne me trouve pas en train de me moquer du juste-milieu, je vais, de dix heures à midi, visiter certains républicains, gens d'esprit et de cœur qui, moins indulgents que moi, ont envie de pendre ceux dont j'ai envie de rire. Quelquefois encore, des décorés de Juillet, abandonnés de la quasi-légitimité, viennent me prier de partager avec eux ma misère légitime. Voilà, Messieurs les espions, mon signalement et le compte rendu de ma journée, que vous certifierez sans doute valable et conforme. Épargnez-vous donc le souci de me suivre, et gagnez mieux l'argent tiré de la bourse des contribuables.

J'ai l'honneur d'être, Monsieur, etc.

Chateaubriand.

La police ne se laisse pas facilement convaincre. De la lettre de Chateaubriand, elle ne retint que ce petit détail: «Je me couche à neuf heures; je me lève à six.» En conséquence, le samedi 16 juin, à quatre heures du matin, deux heures avant son lever, trois messieurs se présentèrent chez lui et le mirent en état d'arrestation, sous la prévention de «complot contre la sûreté de l'État.»

XII

JEUNE FILLE ET JEUNE FLEUR[463]

À peine composées, les stances sur la mort de la jeune Élisa parurent dans un journal. En les imprimant, on fit manquer l'auteur aux lois de la prosodie, à la mesure d'un vers alexandrin. Cette faute d'impression—felix culpa—lui fut une occasion d'écrire à M. Amédée Pichot, directeur de la Revue de Paris, cette charmante lettre:

Préfecture de police, ce 22 juin 1832.

Monsieur,

Permettez à un pauvre poète de faire entendre ses doléances et de chercher dans votre journal une consolation à une injustice.

Vous aurez peut-être ouï-dire qu'il m'est arrivé ces jours derniers un petit accident: on m'a conduit à la préfecture de police pour un crime d'État dont le soupçon m'a beaucoup moins affligé que l'offense qui m'oblige à porter plainte à votre tribunal; je reconnais la compétence littéraire.

Vous saurez donc, Monsieur, qu'amené à la préfecture de police à l'heure où les muses se couchent et les hommes se lèvent, on me déposa d'abord dans une petite chambre de six pas de long sur cinq de large. Un lit de sangle, une chaise, une table, une planche et un seau composaient mon ameublement. Ma fenêtre, percée en haut, était munie de bons barreaux de fer qui me laissaient voir quelques toits gothiques et les chauves-souris volant à l'entour; force cris dans les cours et dans les loges environnantes, hurlements de fous, sanglots et chansons, ris et larmes, piétinements de chevaux, fracas de sabres traînants, etc., etc. Le soir, M. le préfet de police me vint chercher et me conduisit dans ses appartements, où je fus comblé de soins et de politesses. Mais revenons à ma grande affaire.

Pendant les douze ou treize heures que je passai dans ma grotte, Apollon me visita. Un Anglais, dont je suis l'ami depuis longtemps, avait perdu sa fille unique, à peine âgée de dix-neuf ans. La veille même de mon arrestation, j'avais vu le cercueil de cette jeune fille descendre dans la fosse; on avait déposé une couronne de roses blanches sur le cercueil, et la terre s'était refermée pour toujours sur la jeune fille et sur la jeune fleur. Cette image, empreinte dans ma mémoire, se reproduisit malgré moi dans un petit chant funèbre divisé en quatre lais.

Jusque-là, tout est bien; mais, Monsieur, voici l'injure. Pourriez-vous croire qu'en imprimant ce poème, on m'a fait manquer à la mesure d'un vers alexandrin? On m'a fait dire:

Vieux chêne, le temps fauche sur ta racine.

N'est-ce pas, Monsieur, attaquer l'honneur d'un poète dans sa partie la plus vive! On a beau dorer la pilule, me natter d'une agréable négligence, j'ai senti

l'homicide acier
Que le traître en mon sein a plongé tout entier.

Grâce à Dieu, je puis prouver mon innocence comme dans la conspiration adjointe à mes vers. Je n'accepte ni la faute, ni la correction ingénieuse de quelques amis prompts à cacher ma honte. Je n'ai point écrit avec une syllabe de moins:

Vieux chêne, le temps fauche sur ta racine,

je n'ai point écrit avec une syllabe restituée:

Et vieux chêne, le temps fauche sur sa racine,

j'ai écrit:

Vieux chêne!... le temps a fauché sur ta racine,

Il est vrai qu'en maintenant cette leçon, je me déclare de l'école romantique, je romps le vers à la barbe de Boileau et place l'hémistiche à la troisième syllabe au lieu de la sixième; jadis, comme l'aurait déclamé Talma:

Vieux chêne! ... avec un repos; puis, tout de suite et tout d'une haleine: le temps a fauché sur ta racine jeune fille et jeune fleur. Mon oreille demeurée classique, en contradiction avec mon esprit romantique, n'est point choquée de cette césure; elle y trouve une sorte d'euphonie rapide et triste, imitative de l'action du temps, qui, d'un seul coup, abat la jeune fille et la fleur. Ne faudrait-il pas aussi, pour contenter Messieurs les classiques, qu'au régime pluriel roses sans taches, je donnasse un verbe gouvernant enlevé par l'ellipse? Et nos licences, Monsieur, où en seraient-elles? Les libertés du Parnasse seraient-elles mises aussi en état de siège contre le texte formel de la Charte-Homère? Je proteste par-devant MM. Béranger, Lamartine, Hugo, etc., et entre les mains de Mmes Girardin, Tastu, Valmore, etc.

Voici les stances telles qu'elles sont tombées de mon souvenir:

Il descend le cercueil, et les roses sans taches,
Qu'un père y déposa, tribut de sa douleur!
Terre, tu les portas! et maintenant tu caches
Jeune fille et jeune fleur.

Ah! ne les rends jamais à ce monde profane,
À ce monde de deuil, d'angoisse et de malheur:
Le vent brise et flétrit, le soleil brûle et fane
Jeune fille et jeune fleur.

Tu dors, pauvre Élisa, si légère d'années!
Tu ne crains plus du jour le poids et la chaleur,
Elles ont achevé leurs fraîches matinées,
Jeune fille et jeune fleur.

Sur la tombe récente, un père qui s'incline,
De la vierge expirée a déjà la pâleur.
Vieux chêne!... le temps a fauché sur ta racine
Jeune fille et jeune fleur!

J'ai bien peur, Monsieur, qu'à travers l'insouciance affectée de cette lettre, un sentiment pénible n'ait percé:

La bouche sourit mal quand les yeux sont en pleurs,

a dit Parny après Tibulle. Élisa Frisell a été scellée dans sa tombe le jour même où je devais être écroué dans ma prison. Hélas! la muse de l'amitié n'a pas la puissance de prendre par la main la jeune morte et de la ressusciter pour son père....

Chateaubriand.

XIII

CHATEAUBRIAND ET M. BERTIN AÎNÉ[464].

Le lendemain du jour où Chateaubriand avait été arrêté, le Journal des Débats, malgré ses attaches avec le gouvernement nouveau, n'hésita point à publier un article, où la mesure qui venait d'atteindre l'illustre écrivain était hautement déplorée. L'article était de M. Bertin, auquel il fait le plus grand honneur. En voici les principaux passages:

On annonce que MM. de Chateaubriand, Hyde de Neuville et de Fitz-James ont été arrêtés ce matin. Rien au monde ne saurait nous forcer à dissimuler notre surprise et notre douleur. L'amitié de M. de Chateaubriand a fait la gloire du Journal des Débats. Cette amitié, nous la proclamerons aujourd'hui plus haut que jamais. La France tout entière, nous n'en doutons pas, se joindra à nous pour réclamer la liberté de M. de Chateaubriand; la France, qui depuis longtemps a placé M. de Chateaubriand au nombre de ses écrivains les plus illustres, la France, dont M. de Chateaubriand a défendu les droits avec une ardeur de génie et d'éloquence qu'on ne surpassera jamais. Quelles que soient les opinions de M. de Chateaubriand sur la forme actuelle du gouvernement, son amour pour la gloire et la liberté n'en est ni moins vif ni moins pur. M. de Chateaubriand est assez fort de son génie et de son éloquence; il écrit, il ne s'abaisse pas à conspirer.

Sans doute le gouvernement n'a pu se résoudre à ordonner l'arrestation de M. de Chateaubriand que sur des dépositions judiciaires aussi graves qu'infidèles: mais nous sommes convaincus que, dès les premiers éclaircissements, il sera rendu à la liberté. Chaque jour de plus qu'il passerait en prison serait un nouveau jour de deuil pour nous, pour tous les bons citoyens, pour quiconque respecte la gloire, le génie des lettres et la liberté....

Après avoir affirmé sa conviction que M. Hyde de Neuville et M. de Fitz-James, n'étaient pas, eux non plus, des conspirateurs; après avoir rendu hommage à «l'admirable loyauté» du premier, à «l'élévation de caractère» du second, M. Bertin aîné terminait ainsi son article:

Le gouvernement a ordonné que ces illustres prisonniers fussent traités avec tous les ménagements convenables, et nous savons que M. de Chateaubriand, en particulier, a obtenu, sans les demander, les égards, les respects même, dus à un homme dont le nom est une des gloires nationales. Mais ce n'est pas assez: il faut que justice leur soit rendue, et que la France n'ait pas à gémir en pensant que le plus grand de ses écrivains, le plus illustre des défenseurs de ses libertés, l'homme qui a tant fait pour sa gloire et qui ne respire que pour elle, n'a plus dans sa patrie d'autre asile qu'une prison[465].

Cet article à peine lu, Chateaubriand prenait la plume et écrivait, à son tour, à M. Bertin:

Préfecture de Police, ce 18 juin 1832.

À M. Bertin aîné, rédacteur du «Journal des Débats».

J'attendais là, mon cher Bertin, votre vieille amitié; elle s'est trouvée a point nommé à l'heure de l'infortune. Les compagnons d'exil et de prison sont comme les camarades de collège à jamais liés par le souvenir des joies et des leçons communes. Je voudrais bien aller vous voir et vous remercier; je voudrais bien aussi aller remercier tous les journaux qui m'ont témoigné tant d'intérêt, et se sont souvenus du défenseur de la liberté de la presse; mais vous savez que je suis captif; captivité d'ailleurs adoucie par la politesse de mes hôtes. Je ne saurais trop me louer de la bienveillance et des attentions de M. le préfet de police et de sa famille, et j'aime à leur en exprimer ici toute ma reconnaissance.

Une chose m'afflige profondément, c'est le chagrin que je cause à Mme de Chateaubriand. Malade comme elle l'est, ayant autrefois souffert pour moi quinze mois d'emprisonnement sous le règne de la Terreur, c'est trop de faire encore peser sur elle le reste de ma destinée. Mais, mon cher ami, la faute n'est pas à moi.

On m'a mis, en m'arrêtant, dans une de ces positions fatales à laquelle on aurait peut-être dû penser. J'ai refusé tout serment à l'ordre politique actuel; j'ai envoyé ma démission de ministre d'État et renoncé à ma pension de pair; je ne puis donc être un traître ni un ingrat envers le gouvernement de Louis-Philippe.

Veut-on me prendre pour un ennemi? Mais alors je suis un ennemi loyal et désarmé, un vaincu qui supporte la nécessité d'un fait sans demander grâce. Maintenant on m'appréhende au corps, et l'on m'interroge sur un prétendu crime ou délit politique dont je me serais rendu coupable. Mais si je ne reconnais pas l'ordre politique établi, comment veut-on que je reconnaisse la compétence en matière politique d'un tribunal émané de cet ordre politique? Ne serait-ce pas une grossière contradiction? Si je nie le principe, comment admettrais-je la conséquence? Mieux aurait valu, tout bonnement, prêter mon serment à la Chambre des pairs. Il n'y a point de ma part mépris de la justice, j'honore les juges et je respecte les tribunaux: il y a seulement chez moi persuasion d'une vérité et d'un devoir dont je ne puis m'écarter.

Vous voyez que je n'argumente pas de l'illégalité de l'état de siège, illégalité flagrante: je remonte plus haut. L'état de siège est un très petit accident à la suite de la grande illégalité première, et cet accident est une conséquence forcée de cette grande illégalité.

J'ai dit dans mes derniers écrits que je reconnaissais l'ordre social existant en France, que j'étais obligé au paiement de l'impôt, etc.; d'où il résulte que si j'étais accusé d'un crime social (meurtre, vol, attaque aux personnes ou aux propriétés, etc., etc.), je serais tenu de répondre et de reconnaître la compétence en matière sociale des tribunaux. Mais je suis accusé d'un crime politique, alors je n'ai plus rien à débattre.

Je conviens néanmoins que, dans le cas où le gouvernement me soupçonnerait coupable, à ses yeux, d'un délit politique, sa propre défense le conduirait à instruire contre moi et à prouver, s'il le pouvait, ma culpabilité. Mais moi, qui ne reconnais le gouvernement que comme gouvernement de fait, j'ai le droit, à mes risques et périls, de ne pas répondre. Mes accusateurs mêmes trouveraient dans mon silence un avantage, puisque je me priverais volontairement du plus puissant moyen de défense.

J'ai fondé mon refus de serment sur deux raisons: 1o la monarchie actuelle ne tire pas, selon moi, son droit par succession de l'ancienne monarchie; 2o la monarchie actuelle ne tire pas selon moi, son droit de la souveraineté populaire, puisqu'un congrès national n'a pas été assemblé pour décider de la forme du gouvernement.

Que j'aie tort ou raison, que ces théories puissent être plus ou moins hasardeuses et combattues, ce n'est pas là la question. J'ai une conviction, je la garde et j'y ferai tous les sacrifices, y compris celui de ma vie.

Ainsi, rien n'est plus logique que ma conduite envers M. le juge d'instruction. Je n'ai pu et je ne pourrais répondre à ses questions; car, si je lui disais même mon nom quand il me le demande judiciairement, je reconnaîtrais, par cela même, la compétence d'un tribunal en matière politique, et, une fois la première question répondue, force me serait de répondre à toutes les questions subséquentes.

J'ai offert et j'offre encore de donner courtoisement, et en forme de conversation non légale, tous les éclaircissements qu'on pourrait désirer: au delà, je ne puis rien.

Que va-t-on faire de moi, de l'excellent, du cordial, du courageux, de l'honorable Hyde de Neuville, vrai gibier de cachot et d'exil, qui recommence à subir, à la fin de sa vie, les persécutions que sa fidélité à éprouvées dans sa jeunesse? Que fera-t-on de mon noble, loyal, brave, spirituel et éloquent ci-devant collègue, le duc de Fitz-James? Que fera-t-on d'un dernier des Stuarts, défendant le dernier des Bourbons? Quand on me traînerait de tribunal en tribunal d'exception pendant vingt ans de suite, on ne me ferait pas dire que je m'appelle François-Auguste de Chateaubriand. Si l'on me transportait à Nantes pour me confronter (c'est l'expression) avec M. Berryer, je dirais, dans l'intérêt d'un tiers, tout ce que sais de lui, et il sortirait blanc comme neige de ma déclaration. Quant à ma personne, je la livrerais, sans parler, et l'on pourrait joindre, si l'on voulait, un dernier silence à mon silence.

Le capitaine Lanoue, mon cher ami, était Breton comme moi. Je n'ai d'autre rapport avec mon illustre compatriote que l'estime dont les divers partis m'honorent et qui fait l'orgueil de ma vie. Lanoue n'avait pas vu la Bretagne depuis longtemps lorsque Henri IV l'envoya combattre le duc de Mercœur. Lanoue fut tué à l'escalade d'un château. Il avait eu le pressentiment de son sort, et, en rentrant en Bretagne, il avait dit: «Je suis comme le lièvre, je viens mourir au gîte.»

Mon gîte est prêt. La petite ville qui m'a vu naître a bien voulu me faire l'honneur d'élever d'avance et à ses frais ma tombe dans un îlot que j'ai désigné.

Voilà le secret de ma conspiration mystérieuse avec les chouans de la Bretagne. N'est-ce pas une abominable conspiration?

Bonjour, mon cher ami, et liberté si vous pouvez.

Chateaubriand

TABLE DES MATIÈRES

TROISIÈME PARTIE

LIVRE XII

Ambassade de Rome. — Trois espèces de matériaux. — Journal de route. — Lettres à madame Récamier. — Léon XII et les cardinaux. — Les ambassadeurs. — Les anciens artistes et les artistes nouveaux. — Ancienne Société romaine. — Mœurs actuelles de Rome. — Les lieux et le paysage. — Lettre à M. Villemain. — À madame Récamier. — Explication sur le mémoire qu'on va lire. — Lettre à M. le comte de la Ferronnays. — Mémoire. — À madame Récamier. — À la même. — À madame Récamier. — À M. Thierry. — Dépêche à M. le comte de la Ferronnays. — À madame Récamier. — À la même. — Dépêche à M. le comte Portalis. — Mort de Léon XII. — Dépêche à M. le comte Portalis. — À madame Récamier. 1

LIVRE XIII

Suite de l'ambassade de Rome. — À madame Récamier. — Dépêche à M. le comte Portalis. — Conclaves. — Dépêches à M. le comte Portalis. — À madame Récamier. — Dépêche à M. le comte Portalis. — À madame Récamier. — Dépêche à M. le comte Portalis. — À madame Récamier. — Le marquis Capponi. — À madame Récamier. — À M. le duc de Blacas. — À madame Récamier. — Dépêche à M. le comte Portalis. — Lettre à Monseigneur le cardinal de Clermont-Tonnerre. — Dépêche à M. le comte Portalis. — À madame Récamier. — Dépêche à M. le comte Portalis. — Fête de la villa Médicis pour la grande duchesse Hélène. — Mes relations avec la famille Bonaparte. — Dépêche à M. le comte Portalis. — Pie VIII. — À M. le comte Portalis. — À madame Récamier. — Présomption. — Les Français à Rome. — Promenades. — Mon neveu Christian de Chateaubriand. — À madame Récamier. — Retour de Rome à Paris. — Mes projets. — Le roi et ses dispositions. — M. Portalis. — M. de Martignac. — Départ pour Rome. — Les Pyrénées. — Aventures. — Ministère Polignac. — Ma consternation. — Je reviens à Paris. — Entrevue avec M. de Polignac. — Je donne ma démission de mon ambassade de Rome. 181

LIVRE XIV

Flagorneries des journaux. — Les premiers collègues de M. de Polignac. — Expédition d'Alger. — Ouverture de la session de 1830. — Adresse. — La Chambre est dissoute. — Nouvelle Chambre. — Je pars pour Dieppe. — Ordonnances du 25 juillet. — Je reviens à Paris. — Réflexions pendant ma route. — Lettre à madame Récamier. — Révolution de juillet. — M. Baude, M. de Choiseul, M. de Sémonville, M. de Vitrolles, M. Laffitte et M. Thiers. — J'écris au roi à Saint-Cloud. Sa réponse verbale. — Corps aristocratiques. — Pillage de la maison des Missionnaires, rue d'Enfer. — Chambre des Députés. — M. de Mortemart. — Course dans Paris. — Le général Dubourg. — Cérémonie funèbre. — Sous la colonnade du Louvre. — Les jeunes gens me rapportent à la Chambre des Pairs. — Réunion des pairs. 249

LIVRE XV

Les républicains. — Les orléanistes. — M. Thiers est envoyé à Neuilly. — Convocation des pairs chez le grand référendaire. La lettre m'arrive trop tard. — Saint-Cloud. — Scène. Monsieur le Dauphin et le maréchal de Raguse. — Neuilly. — M. le duc d'Orléans. — Le Raincy. — Le prince vient à Paris. — Une députation de la Chambre élective offre à M. le duc d'Orléans la lieutenance générale du royaume. — Il accepte. — Efforts des républicains. — M. le duc d'Orléans va à l'Hôtel de Ville. — Les républicains au Palais-Royal. — Le roi quitte Saint-Cloud. — Arrivée de Madame la Dauphine à Trianon. — Corps diplomatique. — Rambouillet. — Ouverture de la session, le 3 août. — Lettre de Charles X à M. le duc d'Orléans. — Départ du peuple pour Rambouillet. — Fuite du roi. — Réflexions. — Palais-Royal. — Conversations. — Dernière tentation politique. — M. de Sainte-Aulaire. — Dernier soupir du parti républicain. — Journée du 7 août. — Séance à la Chambre des Pairs. — Mon discours. — Je sors du palais du Luxembourg pour n'y plus rentrer. — Mes démissions. — Charles X s'embarque à Cherbourg. — Ce que sera la révolution de juillet. — Fin de ma carrière politique 327

QUATRIÈME PARTIE

LIVRE PREMIER

Introduction. — Procès des ministres. — Saint-Germain-l'Auxerrois. — Pillage de l'Archevêché. — Ma brochure sur la Restauration et la Monarchie élective. — Études historiques. — Lettres et vers à madame Récamier. — Journal du 12 juillet au 1er septembre 1831. — Commis de M. de Lapanouze. — Lord Byron. — Ferney et Voltaire. — Course inutile à Paris. — M. A. Carrel. — M. de Béranger. — Proposition Baude et Briqueville sur le bannissement de la branche aînée des Bourbons. — Lettre à l'auteur de la Némésis. — Conspiration de la rue des Prouvaires. — Lettre à Madame la duchesse de Berry. — Incidences. — Pestes. — Le choléra. — Les 12 000 francs de Madame la duchesse de Berry. — Échantillons. — Convoi du général Lamarque. — Madame la duchesse de Berry descend en Provence et arrive dans la Vendée 415

LIVRE II

Mon arrestation. — Passage de ma loge de voleur au cabinet de toilette de Mademoiselle Gisquet. — Achille de Harlay. — Juge d'instruction: M. Desmortiers. — Ma vie chez M. Gisquet. — Je suis mis en liberté. — Lettre à M. le Ministre de la Justice et réponse. — Offre de ma pension de pair par Charles X: Ma réponse. — Billet de madame la duchesse de Berry. — Lettre à Béranger. — Départ de Paris. — Journal de Paris à Lugano. — M. Augustin Thierry. — Chemin du Saint-Gothard. — Vallée de Schœllenen. — Pont du Diable. — Le Saint-Gothard. — Description de Lugano. — Les montagnes. — Courses autour de Lucerne. — Clara Wendel. — Prière des paysans. — M. A. Dumas. — Madame de Colbert. — Lettre à M. de Bérenger. — Zurich. — Constance. — Madame Récamier. — Madame la duchesse de Saint-Leu. — Madame de Saint-Leu après avoir lu la dernière lettre de M. de Chateaubriand. — Après avoir lu une note signée Hortense. — Arenenberg. — Retour à Genève. — Coppet. — Tombeau de Madame de Staël. — Promenade. — Lettre au prince Louis-Napoléon. — Lettres au ministre de la Justice, au président du Conseil, à madame la duchesse de Berry. — J'écris mon mémoire sur la captivité de la princesse. — Circulaire aux rédacteurs en chef des journaux. — Extrait du Mémoire sur la captivité de madame la duchesse de Berry. — Mon procès. — Popularité. 511

APPENDICE

  • La mort de Léon XII 611
  • Le conclave de 1829 614
  • Le Journal secret du conclave 617
  • Dans les Pyrénées 622
  • Le Départ de Cherbourg 628
  • Le sac de Saint-Germain-l'Auxerrois 631
  • Chateaubriand et le Journal du maréchal de Castellane 634
  • Lettres de Genève 638
  • La Némésis de Barthélemy, Chateaubriand, Lamartine et Balzac 642
  • La duchesse de Berry en Vendée 647
  • L'arrestation de Chateaubriand 649
  • Jeune fille et jeune fleur 651
  • Chateaubriand, et M. Bertin aîné 635

Paris. (France).—Imp. Paul Dupont (Cl.).—9.8.1925

Note 1: Ce livre a été écrit à Rome en 1828 et 1829.—Il a été revu en février 1845.[Retour au Texte Principal]

Note 2: En relisant ces manuscrits, j'ai seulement ajouté quelques passages d'ouvrages publiés postérieurement à la date de mon ambassade à Rome. Ch.[Retour au Texte Principal]

Note 3: Énéide, livre IV, v. 23.[Retour au Texte Principal]

Note 4: De Villeneuve-sur-Yonne, le mardi 16 septembre, il écrivait à Mme Récamier: «Je ne sais si je pourrai vous écrire jamais sur ce papier d'auberge. Je suis bien triste ici. J'ai vu en arrivant le château qu'avait habité Mme de Beaumont pendant les années de la Révolution. Le pauvre ami Joubert me montrait souvent un chemin de sable qu'on aperçoit sur une colline au milieu des bois, et par où il allait voir la voisine fugitive. Quand il me racontait cela, Mme de Beaumont n'était déjà plus, nous la regrettions ensemble. Joubert a disparu à son tour; le château a changé de maître; toute la famille de Sérilly est dispersée. Si vous ne me restiez pas, que deviendrais-je? Je ne veux pas vous attrister aujourd'hui, j'aime mieux finir ici ma lettre. Qu'avez-vous besoin des souvenirs d'un passé que vous n'avez pas connu? N'avez-vous pas aussi le vôtre? Arrangeons notre avenir, le mien est tout à vous. Mais ne vais-je pas dès à présent vous accabler de mes lettres? J'ai peur de réparer trop bien mes anciens torts. Quand aurai-je un mot de vous? Je voudrais bien savoir comment vous supportez l'absence....»[Retour au Texte Principal]

Note 5: Mme de Duras mourut à Nice au mois de janvier 1829.[Retour au Texte Principal]

Note 6: Tout ce qui précède, depuis les mots: la mort qui l'atteignit à Nice, a été ajouté après coup sur le Journal de route de Chateaubriand. Il est bien évident qu'il ne pouvait inscrire sur son journal, le 25 septembre 1828, un billet de Mme de Duras écrit le 14 novembre 1828; il ne pouvait non plus parler alors de la mort de Mme de Duras et de son tombeau, puisqu'elle mourut seulement en 1829.[Retour au Texte Principal]

Note 7: Sur le comte de Neipperg, voir, au tome IV, la note 2 de la page 435.[Retour au Texte Principal]

Note 8: Si Chateaubriand ne vit pas Marie-Louise, lors de son passage à Parme en 1828, il avait dîné avec elle, quelques années auparavant, à Vérone, où elle avait été voir son père, pendant la tenue du Congrès. «Nous refusâmes d'abord, écrit-il, une invitation de l'archiduchesse de Parme. Elle insista, et nous y allâmes. Nous la trouvâmes fort gaie; l'univers s'étant chargé de se souvenir de Napoléon, elle n'avait plus la peine d'y songer. Elle prononça quelques mots légers et, comme en passant, sur le roi de Rome: elle était grosse. Sa cour avait un certain air délabré et vieilli, excepté M. de Neipperg, homme de bon ton. Il n'y avait là de singulier que nous dînant auprès de Marie-Louise, et les bracelets faits de la pierre du sarcophage de Juliette, que portait la veuve de Napoléon. En traversant le Pô, à Plaisance, une seule barque, nouvellement peinte, portant une espèce de pavillon impérial, frappa nos regards. Deux ou trois dragons, en veste et en bonnet de police, faisaient boire leurs chevaux; nous entrions dans les États de Marie-Louise; c'est tout ce qui restait de la puissance de l'homme qui fendit les rochers du Simplon, planta ses drapeaux sur les capitales de l'Europe, releva l'Italie prosternée depuis tant de siècles.» En parlant à Marie-Louise, Chateaubriand lui dit qu'il avait rencontré ses soldats à Plaisance, mais que cette petite troupe n'était rien à côté des grandes armées impériales d'autrefois. Elle lui répondit sèchement: «Je ne songe plus à cela!» (Congrès de Vérone, t. 1, p. 69.)[Retour au Texte Principal]

Note 9: Charles-Louis de Bourbon, duc de Lucques, fils de l'infante Marie-Louise d'Espagne, ex-reine d'Étrurie. Aux termes d'un arrangement conclu à Paris en 1817, il devait hériter, à la mort de Marie-Louise, du duché de Parme et Plaisance. Marie-Louise étant morte en 1847, il devint duc de Parme; mais, chassé de ses États en 1848 par une insurrection, il abdiqua, le 14 mars 1849, en faveur de son fils Charles III, qui périt assassiné le 27 mars 1854. Le fils aîné de ce dernier, Robert Ier, né en 1848, fut alors proclamé duc sous la régence de sa mère Louise-Marie-Thérèse de Bourbon, fille du duc de Berry et sœur du comte de Chambord; il fut renversé en 1860, et le duché fut annexé au royaume d'Italie, dont il forme aujourd'hui une province.[Retour au Texte Principal]

Note 10: Le Purgatoire, chant XVI, vers 65-66.[Retour au Texte Principal]

Note 11:

Quando nel monda ad ora adora
M'insegnavate come l'uom s'eterna.

(L'Enfer, chant XV, vers 84-85.)[Retour au Texte Principal]

Note 12: La basilique octogone de Saint-Vital, à Ravenne, rappelle, en effet, Constantinople, puisqu'elle fût bâtie, sous Justinien, à l'imitation de Sainte-Sophie. Charlemagne la fit copier pour l'église d'Aix-la-Chapelle.—L'église Saint-Apollinaire, érigée sous Théodoric, au commencement du VIe siècle, offre également le type byzantin dans tout son éclat oriental. Les vingt-quatre colonnes de marbre grec qui divisent l'église en trois nefs furent transportées de Constantinople à Ravenne.[Retour au Texte Principal]

Note 13: L'amour d'Honorius pour une poule nommée Rome est une anecdote de Procope.—Quant à Placidie, fille de Théodose-le-Grand, sœur d'Honorius et mère de Valentinien III, ses aventures constituent bien le plus étrange des romans,—«le roman chez les Barbares», comme l'appelle Chateaubriand. Née à Constantinople, elle fut prise au siège de Rome par Alaric et emmenée en captivité. Ataulphe, beau-frère d'Alaric, s'éprit d'elle et l'épousa. Veuve d'Ataulphe, elle épousa en secondes noces Constance, un des généraux d'Honorius, qui prit bientôt le titre de Constance III. Après avoir été esclave, puis reine des Visigoths, elle gouverna l'Empire d'Occident sous le nom de son fils encore enfant. Elle a son tombeau à Ravenne.[Retour au Texte Principal]

Note 14: Le 11 avril 1512, les Français, commandés par Gaston de Foix, remportèrent à Ravenne sur les Espagnols et les troupes du pape Jules II une victoire éclatante; mais Gaston y périt.[Retour au Texte Principal]

Note 15: Sur Lautrec et sur la comtesse de Chateaubriand, voir au tome II, la note 1 de la page 343.[Retour au Texte Principal]

Note 16: Catherine, fille naturelle de Galéas Marie Sforza, épousa en 1484 Jérôme Riario, seigneur d'Imola et de Forli, tomba, ainsi que son fils Octavien, au pouvoir des meurtriers de son mari, qui venait d'être assassiné à Forli, montra beaucoup d'esprit et d'énergie dans cette occasion, et assura ainsi à son fils son héritage. Elle soutint dans Forli un siège contre César Borgia et fut prise sur la brèche même. Louis XII lui fit rendre la liberté. Elle avait épousé en secondes noces un Médicis et mourut à Florence.[Retour au Texte Principal]

Note 17: L'Enfer, chant V, vers 75.[Retour au Texte Principal]

Note 18: Traité du 19 février 1797, signé entre Bonaparte et Pie VI. Ce dernier renonçait au Comtat Venaissin, abandonnait Bologne, Ferrare et les Légations, et rachetait par des contributions considérables les autres territoires qu'occupait l'armée française.[Retour au Texte Principal]

Note 19: Pèlerinage de Childe-Harold, chant IV.[Retour au Texte Principal]

Note 20: «Giorgini fut aussi mon courrier, dit M. de Marcellus (Chateaubriand et son temps, p. 331), avant de passer au service plus lucratif de l'ambassadeur. Il était la terreur des postillons italiens «mols et paresseux par nature,» comme du temps de Montaigne; mais quand, au lieu de précéder une calèche diplomatique, il portait lui-même la dépêche de bidet en bidet, sa course tenait du vol de l'oiseau, et il se surpassait lui-même dès qu'il allait annoncer un pape à l'Europe impatiente; il a fallu l'invention du télégraphe pour éclipser sa renommée.»[Retour au Texte Principal]

Note 21: Ce sont des vers du poète Gray, dans son Ode, sur une vue lointaine du collège d'Eton.[Retour au Texte Principal]

Note 22: Pierre Guérin (1774-1833). Élève de Regnault, il obtint au début de sa carrière, en 1797, un des trois grands prix que, pour cette fois, par extraordinaire et attendu la force du concours, l'Académie crut devoir distribuer. Avant de partir pour Rome, Guérin exposa son tableau, Marcus Sextus ou le Retour du proscrit. Au sortir de nos troubles civils, alors que les émigrés revoyaient avec transport le pays natal, le sujet choisi par le peintre devait toucher fortement les âmes. Son succès fut immense. Ses principales toiles sont: une Offrande à Esculape, Orphée au tombeau d'Eurydice, Céphale et l'Aurore, Égisthe et Clytemnestre, Didon écoutant les récits d'Énée, Napoléon pardonnant aux révoltés du Caire. On a de lui quelques admirables portraits, parmi lesquels il faut citer surtout ceux de Lescure et d'Henri de Larochejaquelein. En 1828, Guérin était directeur de l'Académie de France à Rome. Il mourut dans cette ville le 6 juillet 1833.[Retour au Texte Principal]

Note 23: Chateaubriand ne donne ici que le commencement de sa lettre du 11 octobre. Les autres lettres à Mme Récamier, contenues dans le présent livre, ont toutes été plus ou moins modifiées par l'auteur, qui tantôt retranche et tantôt ajoute à son texte primitif. Mme Lenormant, au tome II des Souvenirs de Mme Récamier, a reproduit les lettres du grand écrivain dans leur intégrité, d'après les originaux eux-mêmes.[Retour au Texte Principal]

Note 24: Léon XII, Annibal della Genga, était né en 1760 à Genga, près de Spolète. Il avait été élu pape, en 1823, à la mort de Pie VII. Pendant son court pontificat, il embellit Rome, encouragea les lettres et enrichit la bibliothèque du Vatican. Il mourut en 1829, au cours de l'ambassade de Chateaubriand. Sa Vie a été écrite par le chevalier Artaud de Montor, l'historien de Pie VII.[Retour au Texte Principal]

Note 25: Bouillie de farine d'orge.[Retour au Texte Principal]

Note 26: Thomas Bernetti (1779-1852). Après avoir été successivement représentant de la cour de Rome à Saint-Pétersbourg et légat de Ravenne et de Bologne, il avait été fait cardinal en 1827, et avait, en 1828, remplacé le cardinal Della Somaglia à la secrétairerie d'État.[Retour au Texte Principal]

Note 27: Charles Oppizoni. Né à Milan le 15 avril 1769.—Archevêque de Bologne (20 septembre 1802).—Cardinal du titre de Saint-Laurent in Lucina (26 mars 1804). Il se montra l'un des plus courageux parmi les cardinaux noirs. Sauf le temps de son exil en France, sa vie se passa dans un long épiscopat, à Bologne, où il mourut fort âgé, en 1855.[Retour au Texte Principal]

Note 28: Jacques-Antoine Benvenuti (1765-1838). Nommé cardinal par Léon XII le 2 octobre 1826; légat a letere des Marches (1831).[Retour au Texte Principal]

Note 29: Augustin Rivarola (1758-1842). Il avait été gouverneur de Rome.[Retour au Texte Principal]

Note 30: Quand j'ai quitté Rome, il a acheté ma calèche et m'a fait l'honneur d'y mourir, en allant à Ponte-Mole (Note de Paris, 1836).—Ch.[Retour au Texte Principal]

Note 31: Le chevalier de Bunsen (1791-1860). Il avait, en 1823, remplacé Niebuhr comme ministre de Prusse à Rome, où il était déjà depuis 1818 et qu'il devait quitter seulement en 1838. Il devint alors chargé d'affaires à Berne, puis ambassadeur à Londres, où il resta jusqu'à la guerre de Crimée (1854). Diplomate éminent, le savant baron Bunsen fut, en même temps, un historien et un érudit des plus remarquables. Ses principaux ouvrages sont: les Basiliques de Rome chrétienne (1843); Ignace d'Antioche et son époque (1847); Hippolyte et son époque, ou vie et doctrine de l'Église romaine sous Commode et Sévère (1851).—Dans la Préface de ses Études historiques, Chateaubriand consacre à son ancien collègue les lignes suivantes: «Je dois à la politesse et à l'obligeance de M. le baron de Bunsen, ministre de S. M. le roi de Prusse, à Rome, un excellent extrait des Nibelüngs, que l'on trouvera à la fin du second volume de ces Études. Le savant M. de Bunsen était l'ami du grand historien Niebuhr; plus heureux que moi, il foule encore ces ruines où j'espérais rendre à la terre image pour image, mon argile en échange de quelque statue exhumée.»[Retour au Texte Principal]

Note 32: Berthold-Georges Niebuhr (1774-1831). Il fut professeur d'histoire à l'Université de Berlin de 1810 à 1816, et professeur à l'Université de Bonn, de 1824 à 1831. Dans l'intervalle, de 1816 à 1823, il avait été ministre de Prusse à Rome. Il avait commencé dès 1811 la publication de son Histoire Romaine, à laquelle il travailla jusqu'à sa mort et qui, bien qu'inachevée, l'a placé au premier rang des historiens du XIXe siècle.[Retour au Texte Principal]

Note 33: Et non le prince Gafiarin, comme on l'a imprimé dans les éditions précédentes. Selon M. de Marcellus (Chateaubriand et son temps, p. 333), «le prince Gagarin, envoyé de Russie, valait mieux qu'une indiscrète épigramme, car il n'avait de mauvaise humeur qu'envers les indifférents ou les fâcheux; c'est-à-dire quand il ne voulait montrer ni le piquant de son esprit, ni la chaleur de son amitié.»[Retour au Texte Principal]

Note 34: «Parmi les beautés de Pétersbourg, dit M. Albert Vandal (Napoléon et Alexandre Ier, tome I, page 127), le tsar avait particulièrement remarqué madame Alexandre Narischkine, la gracieuse et poétique Marie Antonovna, et le culte qu'il lui rendait depuis plusieurs années était tendre et persistant, sans se montrer exclusif.»[Retour au Texte Principal]

Note 35: Pedro-Gomez Kavelo, marquis de Labrador (1775-1850). Il était ministre d'Espagne à Florence lors des événements de 1808, qui détrônèrent Charles IV et Ferdinand. Il suivit ses princes en France et partagea leur exil jusqu'en 1814. Il fut alors nommé plénipotentiaire au Congrès de Vienne, et reçut ensuite l'ambassade de Naples, puis celle de Rome. Il a publié en 1849, à Paris, d'intéressants Souvenirs, sous ce titre: Mélanges sur la vie publique et privée du marquis de Labrador, écrits par lui-même, et renfermant une revue de la politique de l'Europe depuis 1798 jusqu'au cours d'octobre 1849, et des révélations très importantes sur le Congrès de Vienne.[Retour au Texte Principal]

Note 36: Fille du général et de la comtesse de Valence, fille elle-même de Mme de Genlis, et de laquelle cette méchante langue de Thiébault a dit: «Chassant de race, Mme de Valence dépassa même en galanterie Mme de Genlis.» (Mémoires, III, 181).[Retour au Texte Principal]

Note 37: M. de Celles avait été sous Napoléon préfet d'Amsterdam.[Retour au Texte Principal]

Note 38: Le portrait est piquant; mais elle est bien jolie aussi et des plus spirituelles, cette lettre que l'ex-préfet écrivait à M. de Marcellus le 4 octobre 1828, au moment de l'arrivée de Chateaubriand à Rome:—«Notre hiver va être très curieux. Un bateau à vapeur a remonté le Tibre jusqu'à Ripa-Grande. Six cardinaux sont allés voir le prodige, et tout Rome y court. Quelques rois s'annoncent; on attend bon nombre d'altesses malades, de souverains en retraite, de princes cadets à la demi-solde, de Russes poitrinaires; cent douzaines environ d'Anglais accompagnés de leur petite famille; Walter Scott, Mme l'impératrice Christophe et ses demoiselles, M. de Pradt et ses œuvres pies. Ce M. de Poitiers (car il faut être correct, il n'a jamais été archevêque de Malines) est toujours si vif dans son allure, qu'il a perdu sur les bancs législateurs même sa calotte d'abbé de 1789. Maintenant il espère voir un conclave à Rome, une éruption au haut du Vésuve, ou une révolution au bas. M. de Chateaubriand approche: tant de célébrité méritée m'épouvante. Il me semble qu'en l'appelant mon collègue, je lui dirai, moi indigne, une grosse sottise, etc.»[Retour au Texte Principal]

Note 39: «Il est en effet impossible, ajoute ici en marge M. de Marcellus (page 334), de ne pas reconnaître à ces vives couleurs le noble ambassadeur du Portugal. Mais, si le peintre avait retranché à sa propre malice pour ajouter à la malice innée du modèle, le portrait eût été encore plus ressemblant.»[Retour au Texte Principal]

Note 40: Canova mourut le 13 octobre 1822.[Retour au Texte Principal]

Note 41: «Le vieux Boguet, le meilleur, le plus humble et le plus doux des peintres. Il avait cette simplicité soumise et cette conversation uniforme que l'auteur recherchait dans ses familiers, parce qu'elle ne l'empêchait pas de penser à autre chose.» (Marcellus, Chateaubriand et son temps, p. 334.)[Retour au Texte Principal]

Note 42: Chateaubriand fait ici allusion à Frédéric Overbeck et à son école. Né à Lubeck en 1769, Overbeck vint à Rome en 1810. Il s'éprit pour la ville éternelle d'une telle passion qu'il ne la voulut plus quitter et y mourut, en 1869, après y avoir séjourné soixante ans. Converti au catholicisme en 1814, ayant pour devise et pour règle «que l'art n'existe pas pour lui-même, mais pour les services qu'il rend à la religion», il fut le fondateur d'une école, religieuse autant qu'artistique, dont les disciples, établis, avec le Maître, dans les ruines du couvent de Saint-Isidore, préludaient chaque matin au travail par une invocation à l'Esprit-Saint. Les jeunes peintres allemands, ainsi groupés autour de Frédéric Overbeck, sont presque tous devenus célèbres. C'étaient Jean et Philippe de Vert, Schadow, de Koch, Vogel, Eggers, Schnorr, et, le plus illustre de tous, Pierre de Cornélius. Cornélius, après quatorze années passées à Rome, de 1811 à 1824, rentra à Munich, où il devint directeur de l'Académie royale. Ses fresques de la Glyptothèque et de l'église Saint-Louis, où l'on admire surtout son Jugement dernier, lui assurent une des premières places parmi les peintres les plus célèbres de son temps.[Retour au Texte Principal]

Note 43: Jean-Victor Schnetz (1787-1870). Il était à Rome en 1828 et ne pouvait lui non plus, comme Overbeck, comme Schnorr, comme Thorwaldsen et tant d'autres artistes, se décider à la quitter. Il emprunta à l'Italie la plupart des sujets de ses tableaux, dont les meilleurs sont: une Femme de brigand fuyant avec son enfant; la Leçon du Pifferaro; une Contadine en prière; les Italiennes devant la Madone; Scène dans la campagne de Rome; des Moissonneurs écoutant le chant d'un pâtre. En 1840, il fut nommé directeur de l'École de France à Rome.[Retour au Texte Principal]

Note 44: Léopold Robert, né le 13 mars 1794 à la Chaux-de-Fonds, dans le canton de Neuchâtel, mort à Venise en 1835. Après 1830, appelé à donner des leçons, à Florence, à la princesse Charlotte Bonaparte, fille du roi Joseph, femme, et bientôt veuve, de son cousin Napoléon, second fils de l'ex-roi de Hollande, il en devint éperdument amoureux. Cette passion sans espoir le conduisit au suicide. Il se donna la mort le 20 mars 1835, comme l'avait fait déjà un de ses frères, dix ans auparavant, jour pour jour.—Les tableaux les plus importants de Léopold Robert sont: l'Improvisateur napolitain (1822); le Retour de la fête de la Madone de l'Arc (1822); la Halte des Moissonneurs dans les Marais Pontins (1831); le Départ des Pêcheurs de l'Adriatique pour la pêche de long cours (1835).[Retour au Texte Principal]

Note 45: Horace Vernet (1789-1853). Il succéda, en 1829, à Pierre Guérin, comme directeur de l'École de France à Rome. Parmi les toiles qu'il y composa, nous citerons: les Brigands et les Carabiniers, la Confession du brigand, la Chasse dans les Marais Pontins, la Rencontre de Raphaël et de Michel-Ange au Vatican.[Retour au Texte Principal]

Note 46: Bartolomeo Pinelli, célèbre graveur romain. On a de lui une Raccolta di cinquanta costumi pittoreschi incisi all' acqua forte (1809), et une Nuova raccolta di cinquanta costumi pittoreschi incisi all' acqua forte (1815), en tout 100 planches in-fol. C'est de ce recueil qu'il avait sans doute promis douze scènes à Chateaubriand. On doit aussi à Bartolomeo Pinelli, La scalata del Quirinale per la deportazione del S. P. (Pie VII), 1809, et 52 planches fournies par lui au Meo Patacca ovvero Roma in feste nei trionfi di Vienna. Poema Jiocoso nel Cinguoggio romanesco, di Guiseppi Berneri Romano (1823, in-fol.).[Retour au Texte Principal]

Note 47: Berthel Thorwaldsen (1769-1844), fils d'un pauvre marin de Copenhague qui sculptait des figures en bois pour la proue des navires. Envoyé de bonne heure en Italie, il se fixa en 1796 à Rome, où il devait rester pendant quarante-deux ans. Ce fut seulement en 1838 qu'il consentit à revenir dans sa patrie. À Rome, il vivait princièrement dans sa maison de la via Sestina, où il avait réuni une riche collection de monuments antiques et de peintures. Ses œuvres principales sont: le Tombeau de Pie VII à Rome; la statue équestre de Poniatowski à Varsovie; le monument de Gutenberg à Mayence; les Douze Apôtres à Notre-Dame de Copenhague; le Lion de Lucerne; les Trois Grâces; Mercure se préparant à tuer Argus; la Nuit portant dans ses bras la Mort et le Sommeil; la longue série des bas-reliefs représentant le Triomphe d'Alexandre à Babylone.[Retour au Texte Principal]

Note 48: Vincent Camuccini (1775-1844), peintre d'histoire, né et mort à Rome. Il était, en 1828, inspecteur général des musées du pape et conservateur des collections du Vatican. Pierre Guérin disait de lui: «Il s'est nourri des Anciens et de Raphaël, mais il ne les a pas digérés.» Ses meilleures toiles sont: Romulus et Rémus enfants, Horatius Coclès, la Mort de Virginie, le Départ de Régulus pour Carthage.[Retour au Texte Principal]

Note 49: Nicolas Poussin et Claude Gelée, dit le Lorrain, sont morts tous les deux à Rome; le premier, le 19 novembre 1665; le second, le 21 novembre 1682. Claude Gelée fut enterré dans l'église de la Trinité-du-Mont, et ses neveux firent placer une inscription sur sa tombe. Nous verrons plus loin que Chateaubriand fit élever à Nicolas Poussin, dans l'église de San-Lorenzo-in-Lucina, un monument digne du grand peintre.[Retour au Texte Principal]

Note 50: Le président Charles de Brosses (1709-1777). Il visita l'Italie en 1739 et rencontra à Rome le prétendant d'Angleterre, Jacques-Édouard, dit le Chevalier de Saint-Georges, fils de Jacques II et père de Charles-Édouard, que rendra bientôt si célèbre son expédition de 1745 en Écosse. Les Lettres historiques et critiques écrites d'Italie, par le président de Brosses, ont paru pour la première fois en l'an VIII, 3 vol. in-8o. Sainte-Beuve les apprécie en ces termes, dans ses Causeries du Lundi (tome VII, page 81): «Ses lettres sur l'Italie ont sur celles de Paul-Louis Courier et sur les livres du spirituel Stendhal (Beyle) un avantage durable. Venu avant eux, il est plus naturel qu'eux. Ce sentiment du beau et de l'antique, ou des merveilles pittoresques modernes, qui fait l'honneur de leur jugement, de Brosses ne se donne aucune peine pour l'avoir et pour l'exprimer: il l'a du premier bond et le rend par une promptitude heureuse. Dans cette course rapide et ce séjour de dix mois à travers l'Italie, il y a certes des côtés qu'il n'a fait qu'entrevoir en courant, et où d'autres talents trouveront matière à conquête; la campagne romaine, par exemple, les collines d'alentour, Tibur, la Villa Adriana, sont des lieux dont Chateaubriand un jour évoquera le génie attristé et nous peindra les mélancoliques splendeurs: de Brosses reste le premier critique pénétrant, fin, gai et de grand coup d'œil, qui a bien vu dans ses contradictions et ses merveilles ce monde d'Italie.»[Retour au Texte Principal]

Note 51: «Et entendismes un bruit de loing venant, fréquent et tumultueux, et nous semblait à l'ouïr que fussent cloches grosses, petites et médiocres, ensemble sonnantes comme l'on fait à Paris, à Tours, Gergeau, Nantes et ailleurs, ès jours de grandes festes. Plus approchions, plus entendions cette sonnerie renforcée.» Pantagruel, livre V, chapitre I: Comment Pantagruel arriva en l'isle sonnante, et du bruit qu'entendismes.[Retour au Texte Principal]

Note 52: Montaigne avait tenu à se faire citoyen romain. Il employa, dit-il, ses cinq sens de nature pour obtenir ce titre «ne fût-ce que pour l'ancien honneur et religieuse mémoire de son autorité.» Il fut admis au droit de cité, «par les suffrages et le jugement souverain du peuple et du Sénat, l'an de la fondation de Rome 2331.» L'auteur des Essais ne se faisait pas illusion sur l'importance de cette dignité tant désirée: «C'est un titre vain,» disait-il; puis il ajoutait avec sa naïve franchise: «Tant y a que j'ai reçu beaucoup de plaisir de l'avoir obtenu.»[Retour au Texte Principal]

Note 53: Milton n'a consigné nulle part les impressions qu'il avait reçues dans son voyage d'Italie, et il ne nous a guère laissé de son séjour à Rome d'autre trace que des vers galants, écrits en latin, il est vrai, et adressés à une cantatrice nommée Léonora: Ad Leonoram Romæ canentem.[Retour au Texte Principal]

Note 54: L'abbé Antoine Arnauld, fils aîné d'Arnauld d'Andilly, né en 1616, mort en 1698. Il a laissé d'agréables Mémoires. Il était le petit-fils d'Antoine Arnauld, l'avocat, et le neveu d'Antoine Arnauld, dit le grand Arnauld.[Retour au Texte Principal]

Note 55: Mme de Sévigné écrivait encore à M. de Coulanges: «Je fis réflexion à cette vie de Rome, si bien mêlée de profane et de santissimo.... Je songeai à cette boule où vous étiez grimpé avec vos jambes de vingt ans (la boule qui surmonte la coupole de Saint-Pierre) ... et combien je me promènerais de jours et d'années dans le plain-pied de nos allées, sans me trouver jamais dans cette boule.» Un peu plus loin, elle dit: «Ah! que j'aimerais à faire un voyage à Rome!» Puis elle ajoute: «Mais ce serait avec le visage et l'air que j'avais il y a bien des années, et non avec celui que j'ai maintenant. Il ne faut point remuer ses os, surtout les femmes, à moins d'être ambassadrice.»[Retour au Texte Principal]

Note 56: Jacob Spon (1647-1685). Son Voyage d'Italie, de Dalmatie, de Grèce et du Levant (1678, 3 vol. in-12) a été souvent réimprimé.[Retour au Texte Principal]

Note 57: François-Maximilien Misson, conseiller au parlement de Paris, mort le 22 janvier 1722, à Londres, où il s'était réfugié après la révocation de l'édit de Nantes. Son Nouveau voyage d'Italie (1691-98, 3 vol. in-12) eut un grand succès. L'édition de 1722 est accompagnée de notes d'Addison.[Retour au Texte Principal]

Note 58: Jean Dumont, né vers 1650, mort à Vienne en 1726, suivit d'abord la profession des armes, puis voyagea dans presque toutes les contrées de l'Europe et finit par se fixer en Autriche, où il devint historiographe de l'empereur. Il publia en 1699 ses Voyages en France, en Italie, en Allemagne, à Malte et en Turquie (4 vol. in-12).[Retour au Texte Principal]

Note 59: C'est pendant son voyage d'Italie qu'Addison composa sa tragédie de Caton.[Retour au Texte Principal]

Note 60: Jean-Baptiste Labat (1663-1738), religieux dominicain. Parti en 1693 pour les missions des Antilles, il y rendit de grands services, surtout comme ingénieur. C'est lui qui fonda la ville de la Basse-Terre à la Guadeloupe. Il a laissé de nombreux ouvrages, parmi lesquels un Voyage en Espagne et en Italie (Paris, 1730, 8 vol. in-12).[Retour au Texte Principal]

Note 61: Voir, sur ce curieux épisode, l'article de Sainte-Beuve dans ses Causeries du Lundi, tome VII, page 83, et la Correspondance de Voltaire et du président de Brosses, publiée en 1836 par M. Théophile Foisset.[Retour au Texte Principal]

Note 62: Louise-Marie-Caroline, comtesse d'Albany, née en 1753, à Mons, de la famille des Stolberg, épousa en 1772 le prétendant Charles-Édouard, qui avait pris le titre de comte d'Albany. Ils se séparèrent en 1780, et elle vécut depuis avec le poète Alfieri, à qui sa beauté et son esprit avaient inspiré la plus vive passion, et qu'elle épousa secrètement après la mort du prince, arrivée en 1788. Alfieri étant mort, à son tour, en 1803, elle contracta une nouvelle liaison et, dit-on, un autre mariage secret, avec le peintre français Xavier Fabre. Elle mourut à Florence en 1824.[Retour au Texte Principal]

Note 63: Charles-Victor de Bonstetten, né à Berne le 3 septembre 1745, mort à Genève le 3 février 1832. Il écrivait avec une égale facilité en allemand et en français; ses principaux livres sont dans cette dernière langue. On a de lui Voyage sur la scène des six derniers livres de l'Énéide, suivi de quelques observations sur le Latium moderne (1804); Recherches sur la nature et les lois de l'imagination (1807); Études de l'homme, ou Recherches sur les facultés de sentir et de penser (1821); l'Homme du midi et l'homme du nord (1824). Dans ce dernier ouvrage, Bonstetten combat les exagérations de la théorie de l'influence morale et politique des climats.[Retour au Texte Principal]

Note 64: Lamartine, qui vit la comtesse d'Albany à Florence, en 1810, a tracé d'elle ce portrait: «Rien ne rappelait en elle, à cette époque déjà un peu avancée de sa vie (la veuve de Charles-Édouard et d'Alfieri avait alors 57 ans), ni la reine d'un empire, ni la reine d'un cœur. C'était une petite femme dont la taille, un peu affaissée sous son poids, avait perdu toute légèreté et toute élégance. Les traits de son visage, trop arrondis et trop obtus aussi, ne conservaient aucunes lignes pures de beauté idéale; mais ses yeux avaient une lumière, ses cheveux cendrés une teinte, sa bouche un accueil, sa physionomie une intelligence et une grâce d'expression qui faisaient souvenir, si elles ne faisaient plus admirer. Sa parole suave, ses manières sans apprêt, sa familiarité rassurante, élevaient tout de suite ceux qui l'approchaient à son niveau. On ne savait si elle descendait au vôtre ou si elle vous élevait au sien, tant il y avait de naturel en sa personne.» (Lamartine, Souvenirs et Portraits, tome 1, p. 130).[Retour au Texte Principal]

Note 65: Allusion au peintre Xavier Fabre, dont il est parlé dans une note précédente.—François-Xavier Fabre, né à Montpellier en 1766. Élève de David, il obtint en 1787 le grand prix de peinture, et séjourna longtemps à Rome, puis à Florence, où il connut la comtesse d'Albany, qui le fit, en mourant, son légataire universel. Revenu à Montpellier, il enrichit le musée de cette ville—qui porte aujourd'hui le nom de Musée Fabre—d'une précieuse collection de livres, de tableaux et d'objets d'art.[Retour au Texte Principal]

Note 66: Henri-Benoît-Marie-Clément Stuart, duc d'York, second fils de Jacques III et de Marie-Clémentine Sobieski, petite-fille du libérateur de Vienne, né à Rome le 6 mars 1725, cardinal le 3 juillet 1747. En 1799, il prit part au conclave de Venise, et contribua à faire accepter comme secrétaire Consalvi, dont il avait encouragé les études et les débuts. À la mort de son frère Charles-Édouard (1788), se regardant comme roi légitime, il prit le titre d'Henri IX. Il mourut à Rome le 13 juillet 1807. Le monument qui recouvre à Saint-Pierre la tombe du cardinal et de son frère, et qui est l'œuvre de Canova, fut payé par le roi George IV.[Retour au Texte Principal]

Note 67: Joseph-Jérôme Le Français de Lalande (1732-1807). Il fut reçu à l'Académie des Sciences, en 1753, à l'âge de vingt-et-un ans; nommé en 1762 professeur d'astronomie au Collège de France, il remplit cette chaire pendant 46 ans avec le plus grand succès. Alors que ses nombreux et remarquables travaux avaient rendu son nom populaire, il chercha hors de la science les moyens de faire parler encore plus de lui. Il se singularisa, soit par des goûts bizarres (il mangeait, dit-on, des araignées, des chenilles), soit par des opinions impies, et se fit gloire d'être athée. Il avait publié, en 1769, le Voyage d'un Français en Italie, 8 vol. in-12.[Retour au Texte Principal]

Note 68: Charles Pinot, sieur Duclos, membre de l'Académie française. Il était compatriote de Chateaubriand, et il en a déjà été parlé au tome I des Mémoires. (Voyez la note 2 de la page 128).—Obligé de s'éloigner de Paris en 1766, pour avoir blâmé trop vivement la condamnation de La Chalotais, son ami, il voyagea: ce qui lui donna lieu d'écrire ses Considérations sur l'Italie, publiées seulement en 1791, dix-neuf ans après sa mort.[Retour au Texte Principal]

Note 69: Charles-Marguerite-Jean-Baptiste Mercier Dupaty (1746-1788). Avocat général, puis président à mortier au parlement de Bordeaux, il publia plusieurs écrits sur le droit criminel qui lui valurent une grande popularité. En littérature, il est connu par ses Lettres sur l'Italie en 1785. Elles obtinrent, à la veille de la Révolution, un succès de vogue.[Retour au Texte Principal]

Note 70: Charles Dupaty, fils aîné du président (1771-1825). Il étudia la sculpture sous Lemot, alla se perfectionner en Italie et fut nommé à son retour membre de l'Académie des beaux arts (1816). Ses meilleures compositions sont: la Vénus genitrix, Biblis mourante, Cadmus, Ajax poursuivi par la colère de Neptune. Il a fait le modèle de la statue équestre de Louis XIII (exécutée par Cortot), que l'on voit sur la place Royale, à Paris.—Le second fils du président, Emmanuel Dupaty (1775-1851) travailla pour le théâtre. Son esprit facile et élégant lui valut de nombreux succès dans le vaudeville et l'opéra-comique. Ses plus jolies pièces sont: Picaros et Diégo, le Chapitre second, la Jeune Prude, la Leçon de botanique, Ninon chez Mme de Sévigné, l'Intrigue aux fenêtres, le Poète et le Musicien, les Voitures versées. Sous la Restauration, il publia les Délateurs ou trois années du XIXe siècle, poème satirique en trois chants, et collabora à diverses feuilles libérales, la Minerve, l'Abeille, l'Opinion et le Miroir. Le 18 février 1836, il fut élu membre de l'Académie française, en remplacement de M. Lainé, par 18 voix contre 2 données à Victor Hugo. Celui-ci se consola de son échec par un joli mot: «Je croyais, dit-il, qu'on allait à l'Académie par le pont des Arts, je me trompais; on y va, à ce qu'il paraît, par le Pont-Neuf.» Emmanuel Dupaty était, après tout, un fort galant homme et un homme d'esprit. À peine élu, il alla frapper à la porte de l'auteur d'Hernani, et, ne le trouvant pas, lui laissa sa carte avec ce quatrain:

Avant vous je monte à l'autel;
Mon âge seul peut y prétendre.
Déjà vous êtes immortel,
Et vous avez le temps d'attendre.[Retour au Texte Principal]

Note 71: Le Pèlerinage de Childe-Harold, chant IV, stance LXXIX.[Retour au Texte Principal]

Note 72: J'invite à lire dans la Revue des Deux-Mondes, 1er et 15 juillet 1835, deux articles de M. J.-J. Ampère, intitulés: Portraits de Rome à différents âges. Ces curieux documents compléteront un tableau dont on ne voit ici qu'une esquisse. (Note de Paris, 1837.) Ch.[Retour au Texte Principal]

Note 73: La princesse Del Drago.[Retour au Texte Principal]

Note 74: La duchesse Lante.[Retour au Texte Principal]

Note 75: Et non Mellini, comme on l'a imprimé dans les éditions précédentes. C'est dans la Villa Millini, hors des murs de Rome, que le général Alexandre Berthier (le futur prince de Wagram et de Neuchâtel) reçut, le 11 février 1798 (23 pluviôse an VI), les avocats, les banquiers et les artistes qui devaient constituer la nouvelle République romaine.[Retour au Texte Principal]

Note 76: Philippe-Camille, comte de Tournon (1778-1833), préfet de Rome sous l'Empire, de 1809 à 1814. La Restauration fit du préfet de Rome un préfet de Bordeaux, puis de Lyon. En 1824, M. de Tournon fut nommé pair de France. Il a publié, en 1831, d'intéressantes Études statistiques sur Rome et les États romains.[Retour au Texte Principal]

Note 77: Sur le Voyage en Italie de M. Simond, voy. J.-J. Ampère, la Grèce, Rome et Dante, p. 199. Cet excellent M. Simond trouve les chefs-d'œuvre de Raphaël et de Michel-Ange souverainement ridicules, et il ne s'en cache point. Il dit de la fresque de Raphaël représentant l'Incendie du Borgo: «Le dessin n'en est pas correct, l'expression est médiocre, le coloris froid et sans harmonie.» Il dit du Jugement dernier de Michel-Ange: «Dos et visages, bras et jambes, se confondent; c'est un véritable pouding de ressuscités[Retour au Texte Principal]

Note 78: L'ouvrage de Mgr Nicolas-Marie Nicolaï faisait alors autorité à Rome en matière économique. Il avait paru en 1803 sous ce titre: Memorie, leggi ed osservazioni sulle campagne e sull' annona di Roma; trois volumes in-4o, ainsi divisés: I. Del catasto daziale sotto Pio VI; II. Del catasto daziale sotto Pio VII, e delle leggi annonarie; III. Osservazioni storiche economiche.[Retour au Texte Principal]

Note 79: Villemain préparait alors son Histoire de Grégoire VII, célèbre avant de paraître, tombée dans l'oubli, aussitôt qu'elle eût paru,—ce qui n'eut lieu du reste qu'en 1873, trois ans après la mort de l'auteur.[Retour au Texte Principal]

Note 80: Grâce à Dieu, M. Thierry est revenu à la vie et il a repris avec des forces nouvelles ses beaux et importants travaux; il travaille dans la nuit, mais comme la chrysalide:

La nymphe s'enferme avec joie
Dans ce tombeau d'or et de soie
Qui la dérobe à tous les yeux, etc.

Ch.[Retour au Texte Principal]

Note 81: Au mois de juin 1828, le czar Nicolas, alléguant la violation de plusieurs clauses du traité de Bucharest, conclu en 1812 entre la Russie et la Porte ottomane, avait rappelé son ambassadeur à Constantinople. L'armée russe avait passé le Danube et était entrée en Bulgarie. Le 11 octobre 1828, elle s'était emparée de Varna.[Retour au Texte Principal]

Note 82: Jean Torlonia, duc de Bracciano, le célèbre banquier romain dont Chateaubriand nous dira tout à l'heure la mort, arrivée le 24 février 1829. Il avait commencé par être brocanteur et commissionnaire. Mayer Rothschild, le juif de Francfort, avait édifié sa fortune sur les sommes déposées entre ses mains par l'Électeur de Hesse-Cassel, obligé de fuir ses États. À la même époque, Jean Torlonia commençait la sienne avec l'argent déposé chez lui par l'agent français Hugon de Basseville, massacré par la populace romaine le 13 janvier 1793,—argent qui fut du reste fidèlement rendu, comme le fut aussi celui de l'Électeur de Hesse-Cassel. Après avoir été l'homme d'affaires de la France, Torlonia devint plus tard le banquier de l'aristocratie romaine et de Mme Lœtitia, celui de Charles IV d'Espagne et de son favori Manuel Godoy. Pie VII lui conféra le titre de duc de Bracciano et le fit prince romain.[Retour au Texte Principal]

Note 83: Voir le Congrès de Vérone, t. I, p. 374.[Retour au Texte Principal]

Note 84: Le traité d'Unkiar Skélessi, entre la Russie et la Turquie, fut signé le 8 juin 1833. C'était un traité d'alliance défensive et offensive conclu pour huit ans. Une clause secrète fermait éventuellement les Dardanelles aux puissances européennes, tout en laissant ce détroit ouvert, ainsi que le Bosphore, à la seule Russie.[Retour au Texte Principal]

Note 85: Traité du 6 juillet 1827 entre l'Angleterre, la France et la Russie. Les trois puissances contractantes signifiaient à la Porte que si, dans le délai d'un mois, la médiation proposée par les cabinets de Londres, de Paris et de Saint-Pétersbourg n'était pas acceptée, ceux-ci ouvriraient des négociations commerciales avec les Grecs, s'opposeraient par tous les moyens, et, s'il le fallait, par la force, à de nouvelles collisions entre les parties belligérantes, et autoriseraient leurs représentants à la conférence de Londres à assurer la pacification de l'Orient par toutes les mesures qu'ils jugeraient nécessaires.—La Note sur la Grèce avait paru en 1825. Voir, au tome IV, la note 2 de la page 322.[Retour au Texte Principal]

Note 86: La victoire de Navarin (20 octobre 1827), malgré ses heureuses conséquences, n'avait point suffi pour délivrer la Grèce du joug ottoman. Le 17 août 1828, douze régiments français, formant quatorze mille hommes et commandés par le général Maison, appareillèrent à Toulon. Dix jours après, ils débarquaient dans le golfe de Coron en Morée. Plusieurs garnisons turques occupaient encore des places et des châteaux-forts dans la péninsule. En quelques semaines, les Français les en chassèrent, l'épée à la main. La Morée et les Cyclades furent placées sous la protection commune des puissances, et le général Maison, élevé au maréchalat, retourna en France, ne laissant que deux brigades en Grèce, pour aider le pays à se réorganiser. Charles X avait tenu la parole qu'il avait dite à son ministre de la Marine, le baron Hyde de Neuville: «La France, quand il s'agit d'un noble dessein, d'un grand service à rendre à un peuple lâchement, cruellement opprimé, ne prend conseil que d'elle-même. Que l'Angleterre veuille ou ne veuille pas, nous délivrerons la Grèce. Allez, continuez avec la même activité les armements. Je ne m'arrêterai pas dans une voie d'humanité et d'honneur. Oui, je délivrerai la Grèce.» Voir les Mémoires et Souvenirs du baron Hyde de Neuville, t. III, p. 399.[Retour au Texte Principal]

Note 87: Le vice-amiral comte de Heyden commandait l'escadre russe dans la Méditerranée.[Retour au Texte Principal]

Note 88: Il monta sur le trône en 1840 sous le titre de Frédéric-Guillaume IV.[Retour au Texte Principal]

Note 89: Marie Feodorowna, princesse de Wurtemberg, impératrice mère, veuve de Paul Ier, mère de l'empereur Alexandre Ier et de l'empereur Nicolas Ier. Elle était morte dans la nuit du 4 au 5 novembre 1828.[Retour au Texte Principal]

Note 90: Les lecteurs, je l'espère bien, ne sauteront pas une ligne de ce Mémoire, chef-d'œuvre de logique et de patriotisme, et, ce qui ne gâte rien, chef-d'œuvre de style. Chateaubriand n'a pas écrit de pages qui lui fassent plus d'honneur.[Retour au Texte Principal]

Note 91: Louis Desprez, statuaire. Il avait obtenu en 1826 le grand prix de Rome. Son premier envoi, le Faune au chevreau, avait fait sensation parmi les artistes. Une de ses meilleures œuvres est précisément le bas-relief qu'il composa pour le tombeau du Poussin, les Bergers d'Arcadie.[Retour au Texte Principal]

Note 92: Césarine de Houdetot, mariée à M. Prosper de Barante, l'historien des Ducs de Bourgogne. Elle était fille du général César-Ange de Houdetot et petite-fille de Mme de Houdetot, la célèbre amie de J.-J, Rousseau.[Retour au Texte Principal]

Note 93: La tragédie de Moïse, depuis longtemps composée et pour laquelle Chateaubriand avait une particulière prédilection. Il espérait à ce moment pouvoir la faire jouer, et dans la plupart de ses lettres à Madame Récamier, il l'entretient des démarches à faire auprès du baron Taylor, commissaire royal de la Comédie-Française.[Retour au Texte Principal]

Note 94: Le monument élevé à Nicolas Poussin, pour la gloire des arts et l'honneur de la France, se trouve dans l'église de Saint-Laurent in Lucina. Ce que ne dit pas Chateaubriand, c'est que ce tombeau du Poussin, décoré de figures, coûta fort cher, et qu'il en fit seul tous les frais. Le monument ne fut complètement achevé qu'en 1831. C'était justement l'époque où Chateaubriand, renonçant de nouveau à tous ses titres et traitements, se retrouvait une fois encore sans le sou. L'artiste qui avait fait le tombeau n'était sans doute pas beaucoup plus riche. Il exposait ses besoins d'argent à l'ancien ambassadeur, plus pauvre encore que lui. Cela dura quatre ans, de 1831 à 1834. M. l'abbé Pailhès, dans son incomparable dossier sur Chateaubriand, possède toutes les réponses du grand écrivain: elles sont touchantes de simplicité, de bonne volonté, mais d'une bonne volonté trop souvent impuissante. Chateaubriand s'était mis une fois de plus dans l'embarras et la gêne, pour la gloire des arts et l'honneur de la France.[Retour au Texte Principal]

Note 95: Mme Salvage de Faverolles, fille de M. Dumorey, consul de France à Civita-Vecchia, qui avait été l'un des amis de M. Récamier. Séparée de son mari, elle n'avait jamais eu d'enfants, et, s'étant fixée en Italie, elle avait acheté à la porte de Rome une vigne sur les bords du Tibre avec un casin où elle donnait quelquefois des fêtes. «C'était, dit Mme Lenormant (Souvenirs, t. II, p. 103), une grande femme dont la taille était belle, mais sans grâces, les manières roides, le visage dur, les traits disproportionnés. Elle avait de l'esprit, mais cet esprit ressemblait à sa personne: il était sans charme et sans agrément. Elle avait de l'instruction, de la générosité, une grande faculté de dévouement et la passion des célébrités.» Elle s'était prise pour Mme Récamier d'un engouement très vif. Un peu plus tard, elle s'attacha avec le même entraînement, avec la même passion, à la duchesse de Saint-Leu, que Mme Récamier lui avait fait connaître. Mme Salvage accompagna la reine Hortense dans les voyages que celle-ci fit à Paris après les affaires de Strasbourg et de Boulogne, l'entoura de soins admirables dans sa dernière maladie, et fut son exécuteur testamentaire.[Retour au Texte Principal]

Note 96: Le triste événement auquel Chateaubriand fait ici allusion s'était passé au mois de mars 1824. Miss Bathurst, dans une promenade à cheval au bois du Tibre, avec une société brillante et nombreuse, avait été précipitée dans le fleuve par un faux pas de son cheval et y avait péri. Elle avait dix-sept ans et était remarquablement jolie.[Retour au Texte Principal]

Note 97: François-Marie-Pierre Roullet, baron de la Bouillerie (1764-1833), pair de France, intendant général de la maison du Roi.[Retour au Texte Principal]

Note 98: Lettres sur l'histoire de France pour servir d'Introduction à l'étude de cette histoire, par Augustin Thierry.[Retour au Texte Principal]

Note 99: Les ordonnances du 16 juin 1828. La première décidait qu'à partir du 1er octobre 1828, les établissements connus sous le nom d'écoles secondaires ecclésiastiques, dirigés par des personnes appartenant a une congrégation religieuse non autorisée, et existant à Aire, Belley, Bordeaux, Dôle, Forcalquier, Montmorillon, Saint-Acheul et Sainte-Anne d'Auray, seraient soumis au régime de l'Université. À l'avenir, pour demeurer ou devenir chargés, soit de la direction, soit de l'enseignement dans une des maisons d'éducation qui dépendaient de l'Université ou dans une école secondaire ecclésiastique, les candidats devraient affirmer par écrit qu'ils n'appartenaient à aucune congrégation religieuse illégalement établie en France.

La seconde ordonnance limitait à vingt mille le nombre des élèves qui pourraient être placés dans les séminaires; la fondation de ces établissements était réservée au Roi, sur la demande des évêques, et d'après la proposition du ministre des affaires ecclésiastiques. Il était défendu d'y recevoir des externes, et les élèves, après deux années d'études dans la maison, seraient tenus de porter le vêtement ecclésiastique; à l'avenir, le diplôme de bachelier ès-lettres ne serait plus conféré dans les séminaires qu'aux élèves irrévocablement engagés dans les ordres.[Retour au Texte Principal]

Note 100: Simon Bolivar (1783-1830), le libérateur de l'Amérique espagnole. Il réunit en une seule république, sous le nom de Colombie, le Vénézuéla et la Nouvelle-Grenade (1819), proclama l'indépendance du Pérou (1822), et fonda au sud de ce pays un nouvel état qui prit le nom de Bolivie et auquel il donna une constitution (1826). Il fut à différentes reprises président des États qu'il avait affranchis.[Retour au Texte Principal]

Note 101: Le Courrier français, un des journaux les plus avancés de l'opposition de gauche. Il avait commencé de paraître, le 21 juin 1819, sous le simple titre de Courrier; le 1er février 1820, il avait pris le titre de Courrier français. Ses principaux rédacteurs étaient Châtelain, Avenel et Alexis de Jussieu.[Retour au Texte Principal]

Note 102: Peu de temps après la date de cette lettre, M. de la Ferronnays, malade, partit pour l'Italie et laissa par intérim aux mains de M. Portalis le portefeuille des affaires étrangères. Ch.—Depuis longtemps, la santé de M. de la Ferronnays était ébranlée. Déjà il avait demandé et obtenu un congé. Il était revenu à son poste; mais, le 2 janvier 1829, étant dans le cabinet du roi, il éprouva une faiblesse, à la suite de laquelle la maladie qu'on avait crue conjurée reprit le dessus. Il donna sa démission. Une ordonnance rendue le 4 janvier, sans le remplacer au Conseil, confia l'intérim du ministère des Affaires étrangères à M. Portalis, garde des sceaux. M. de Rayneval, qui déjà avait remplacé M. de la Ferronnays pendant son congé, restait chargé de la direction du ministère.[Retour au Texte Principal]

Note 103: M. du Viviers était un des attachés de l'ambassade; en même temps que la lettre à Mme Récamier, il portait à Paris le récit de la conversation que Chateaubriand avait eue avec le pape.[Retour au Texte Principal]

Note 104: Il ne s'agit ici ni du célèbre archéologue Ennius-Quirinus Visconti, qui était mort en 1818, ni de son fils, Louis Visconti, architecte de l'empereur Napoléon III, à qui l'on doit l'achèvement du Louvre, et qui en 1829 habitait la France, où son père l'avait fait naturaliser dès 1798. Le Visconti dont parle Chateaubriand est le chevalier Philippe-Aurélien Visconti (1754-1831), frère d'Ennius-Quirinus. Il était en 1829 commissaire du musée et des antiquités de Rome et président de l'Académie des beaux-arts. On lui doit, outre le premier volume du Musée Chiaramonti, un grand nombre de notices et descriptions de fresques ou de sculptures antiques.[Retour au Texte Principal]

Note 105: Armand-Charles, comte Guilleminot (1774-1840). Général de division depuis le 28 mars 1813, il devint, lors de la campagne de 1823 en Espagne, chef d'état-major du duc d'Angoulême, et, en récompense de ses services, fut créé pair de France (9 octobre 1823), et envoyé par Louis XVIII comme ambassadeur à Constantinople, où il resta de 1824 à 1831.[Retour au Texte Principal]

Note 106: Une exploration de la Morée faite au point de vue de la science et des arts avait été organisée par le gouvernement, et M. Charles Lenormant avait été désigné pour en faire partie. Sa femme, nièce de Mme Récamier, se disposait à le rejoindre.[Retour au Texte Principal]

Note 107: Napoléon-Auguste, duc de Montebello (1801-1874), fils du maréchal Lannes. En considération des services militaires rendus par son père, tué glorieusement à Essling, il avait été nommé pair de France le 27 janvier 1827, mais il ne prit séance qu'après la révolution de Juillet. Dans l'intervalle, il avait voyagé aux États-Unis, puis avait été attaché à l'ambassade de France à Rome. Il devint en 1836 ambassadeur de France près la Confédération helvétique, et, en 1838, ambassadeur à Naples. Ministre de la Marine, du 9 mai 1847 au 24 février 1848, représentant du peuple à l'Assemblée législative, de 1849 à 1851, il fut nommé sénateur le 5 octobre 1864 et remplit les fonctions d'ambassadeur à Saint-Pétersbourg, du 15 février 1858 au 6 janvier 1866.—Alors qu'il était à Rome secrétaire de l'ambassade, il demanda un jour à Chateaubriand, en présence de M. de Marcellus, la permission d'aller voir sa marraine, la duchesse de Saint Leu, qu'une loi tenait éloignée du royaume. «Allez, monsieur, allez», lui dit l'ambassadeur; «à Dieu ne plaise que je vous en empêche. Portez-lui mes hommages. La liberté n'a plus rien à craindre de la gloire.»—Lorsque le jeune attaché fut sorti, Chateaubriand dit à M. de Marcellus: «L'un des grands griefs qui m'a fait éloigner de Rome quand j'y étais premier secrétaire de l'ambassade du cardinal Fesch, c'est une visite au roi de Sardaigne retiré du trône, visite, disait-on, qui sentait le royaliste et l'émigré. Aujourd'hui, ambassadeur à Rome à mon tour, c'est moi qui envoie un de mes officiers saluer une reine en retraite et proscrite: ma vie est pleine de ces contrastes.»[Retour au Texte Principal]

Note 108: Il s'agit toujours des ordonnances du 16 juin 1828.[Retour au Texte Principal]

Note 109: L'ouverture des Chambres avait eu lieu le 27 janvier. Le discours du trône contenait en effet cette phrase: «L'expérience a dissipé le prestige des théories insensées; la France sait bien, comme vous, sur quelles bases son bonheur repose, et ceux même qui le chercheraient ailleurs que dans l'union sincère de l'autorité royale et des libertés que la Charte a consacrées seraient hautement désavoués par elle.»[Retour au Texte Principal]

Note 110: Je me trompais. (Note de 1837.) Ch.[Retour au Texte Principal]

Note 111: Le cardinal de Clermont-Tonnerre. Il en a déjà été parlé au tome II des Mémoires. (Voy. la note 1 de la page 336.) En 1829, l'archevêque de Toulouse était en assez mauvais termes avec le gouvernement du roi. Lors de l'ordonnance royale du 16 juin 1828 sur les petits séminaires, il avait protesté avec éclat, terminant par ces paroles sa lettre au ministre des Affaires ecclésiastiques, monseigneur Feutrier: «Monseigneur, la devise de ma famille qui lui a été donnée par Calixte II, en 1120, est celle-ci: Etiamsi omnes, ego non. C'est aussi celle de ma conscience. J'ai l'honneur d'être, avec la respectueuse considération due au ministre du roi, ✝ A. J. cardinal-archevêque de Toulouse.» À la suite de cette lettre, le roi fit notifier au prélat défense de paraître à la cour.[Retour au Texte Principal]

Note 112: Ce livre a été composé à Rome (février-mai 1829) et à Paris (août-septembre 1830).[Retour au Texte Principal]

Note 113: Voir, à l'Appendice, le no 1: La Mort de Léon XII.[Retour au Texte Principal]

Note 114: Voici le vrai texte de cette lettre du 17 février, que Chateaubriand a ici quelque peu modifié: «J'ai assisté à la première cérémonie funèbre pour le pape dans l'église de Saint-Pierre. C'était un étrange mélange d'indécence et de grandeur. Des coups de marteau qui clouaient le cercueil d'un pape, quelques chants interrompus, le mélange de la lumière des flambeaux et de celle de la lune, le cercueil enfin enlevé par une poulie et suspendu dans les ombres, pour le déposer au-dessus d'une porte dans le sarcophage de Pie VII, dont les cendres faisaient place à celles de Léon XII: Vous figurez-vous tout cela, et les idées que cette scène faisait naître?»[Retour au Texte Principal]

Note 115: Mauro Capellari (1765-1846). Entré très jeune chez les Camaldules de Murano, près de Venise, il devint successivement abbé de ce monastère, procureur, vicaire général de la Congrégation. Léon XII le nomma visiteur apostolique des universités, cardinal (1825) et préfet de la congrégation de la Propagande. Il fut élu pape, après la mort de Pie VIII, le 2 février 1831, et prit le nom de Grégoire XVI.[Retour au Texte Principal]

Note 116: Sur le cardinal Pacca, le fidèle ministre de Pie VII, voyez, au tome III des Mémoires, la note 2 de la page 230.[Retour au Texte Principal]

Note 117: Emmanuel de Gregorio, né à Naples le 18 décembre 1758, mort à Rome le 7 novembre 1839. Il avait été créé cardinal par Pie VII le 8 mars 1816.[Retour au Texte Principal]

Note 118: Jacques Giustiniani, né à Rome le 29 décembre 1769, mort à Rome le 24 février 1843. Il avait été nommé cardinal par Léon XII le 2 octobre 1826.[Retour au Texte Principal]

Note 119: Jules-Marie della Somaglia, né à Plaisance le 29 juillet 1744. Il était cardinal depuis le 1er juin 1795 et avait assisté au conclave de Venise (décembre 1799—janvier, février, mars 1800). Sous l'Empire, exilé en France en même temps que Pie VII, il se montra l'un des plus énergiques parmi les cardinaux qui refusèrent d'assister au mariage de Napoléon, ce qui lui valut d'être interné à Mézières, puis à Charleville. Rentré à Rome en 1814, il fut évêque de Frascati, vice-chancelier de la sainte Église en septembre 1818, préfet du cérémonial et doyen du Sacré-Collège. Le 21 mai 1820, il fut transféré aux sièges d'Ostie et Velletri. Secrétaire d'État de Léon XII, il présida le conclave d'où sortit Pie VIII, et mourut le 30 mars 1830, à l'âge de 86 ans. De son vivant, il avait secrètement donné 10 000 écus d'or pour les Missions, et à sa mort il laissa tous ses biens à la Propagande.[Retour au Texte Principal]

Note 120: Né à Rome le 13 septembre 1750, créé cardinal par Pie VII le 23 février 1801, Albani avait soixante-dix-huit ans passés, lorsqu'il fut nommé par Pie VIII cardinal secrétaire d'État et bibliothécaire; le pape le nomma en outre secrétaire des Brefs pontificaux. Le cardinal Albani est mort à Pesaro le 3 décembre 1834, dans sa 85e année.[Retour au Texte Principal]

Note 121: Charles Odescalchi, né à Rome le 5 mars 1786, mort à Modène le 17 août 1841. Il avait été créé cardinal par Pie VII le 10 mars 1823.[Retour au Texte Principal]

Note 122: François-Xavier Castiglioni (1761-1830). Il était, en février 1829, évêque de Frascati. C'est lui que le Conclave élira pape le 31 mars 1829. Il prit à son avènement le nom de Pie VIII et régna vingt mois seulement. Il mourut le 30 novembre 1830.[Retour au Texte Principal]

Note 123: Pierre-François Galleffi, né à Césène le 27 octobre 1770, mort à Rome le 18 juin 1837. Il était cardinal depuis le 12 juillet 1803.[Retour au Texte Principal]

Note 124: Aucune disposition canonique n'attribue aux puissances le droit d'intervenir dans les opérations d'un conclave; mais, en fait, la France, l'Espagne et l'Autriche ont exercé jusqu'à ces derniers temps ce qu'on appelait l'exclusion; c'est-à-dire que chacune d'elles a pu désigner au conclave un cardinal dont l'élection lui aurait déplu. Sans pour cela leur reconnaître un droit quelconque, le Sacré-Collège tient compte de ces indications, estimant que ce serait préparer des difficultés au Saint-Siège que d'élire un pape malgré l'hostilité déclarée d'une grande puissance catholique.—L'exclusive, très différente en effet de l'exclusion, appartient aux membres mêmes du congrès; elle résulte des voix qui se refusent à donner au candidat du plus grand nombre la majorité exigée pour la validité de l'élection.[Retour au Texte Principal]

Note 125: Charles-Marie Pedicini, né à Bénévent le 2 novembre 1760, mort à Rome le 19 novembre 1843. Cardinal depuis le 10 mars 1823.[Retour au Texte Principal]

Note 126: François Bertazzoli, né à Lugo le 1er mai 1754, mort à Rome le 7 avril 1830. Créé cardinal, comme Pedicini, le 10 mars 1823.[Retour au Texte Principal]

Note 127: Placide Zurla, né à Legnago le 2 avril 1769, mort à Palerme le 29 octobre 1834, créé cardinal le 10 mars 1823.[Retour au Texte Principal]

Note 128: Louis Micara, né à Frascati le 12 octobre 1775, mort à Rome le 24 mai 1847. Nommé cardinal par Léon XII le 20 décembre 1824.[Retour au Texte Principal]

Note 129: Le troisième concile de Latran sous Alexandre III, en 1179.[Retour au Texte Principal]

Note 130: L'antipape Benoît XIII, élu par les cardinaux résidant à Avignon, après la mort de l'antipape Clément VII.[Retour au Texte Principal]

Note 131: Donna Olimpia Pamfili, née Maldachini (1594-1656). Elle était la belle-sœur du cardinal J.-B. Pamfili qui, à la mort d'Urbain VIII (1644), fut élu pape sous le nom d'Innocent X. Sous le pontificat de ce dernier, Olimpia exerça une grande influence et amassa d'immenses richesses. Le successeur d'Innocent X, Alexandre VII (1653), lui ordonna de se rendre à Orvieto, pour y attendre le résultat d'une enquête sur les origines de sa fortune; mais, avant la fin de cette enquête, elle périt de la peste, en 1656.[Retour au Texte Principal]

Note 132: Voir le texte de ce discours à l'Appendice no II: Le Conclave de 1829.[Retour au Texte Principal]

Note 133: Jean-Baptiste Bussi, créé cardinal par Léon XII en 1824.[Retour au Texte Principal]

Note 134: Vincent Macchi, né à Capo di Monte en 1770, mort à Rome en 1860.—Cardinal depuis le 2 octobre 1826. Avant d'être cardinal, Mgr Macchi avait été nonce en Suisse, puis à Paris (1819). Il portait alors le titre d'archevêque de Nisibe.[Retour au Texte Principal]

Note 135: Jean-Baptiste-Marie-Anne-Antoine, comte de Latil (1761-1839). Il était en 1789 grand vicaire de l'évêque de Vence; ayant refusé de prêter serment à la constitution civile du clergé, il émigra en 1790, revint en France l'année suivante, fut enfermé à Montfort-l'Amaury, parvint à s'échapper et émigra de nouveau. Devenu en 1798 l'aumônier du comte d'Artois, il ne le quitta plus et rentra avec lui en 1814. Il fut nommé évêque in partibus d'Amyclée en 1815, évêque de Chartres en 1817 et pair de France en 1822. À la mort de Louis XVIII, le nouveau roi se souvint de son ancien aumônier; il le créa comte et l'appela à l'archevêché de Reims, M. de Latil sacra Charles X et reçut du pape Léon XII (10 mars 1826) la pourpre romaine; le roi y ajouta le titre de duc. À la révolution de Juillet, il s'enfuit en Angleterre, puis revint en France, où il reprit son siège archiépiscopal, sans siéger toutefois à la Chambre des pairs, n'ayant pas voulu prêter serment au nouveau gouvernement.[Retour au Texte Principal]

Note 136: Les cardinaux français étaient au nombre de cinq: MM. de Latil, archevêque de Reims; de Clermont-Tonnerre, archevêque de Toulouse; de la Fare, archevêque de Sens; de Croy, archevêque de Rouen; d'Isoard, archevêque d'Auch.[Retour au Texte Principal]

Note 137: Teresio Ferrero della Marmora, né à Turin le 15 octobre 1757, mort le 30 décembre 1831. Créé cardinal le 27 septembre 1824.[Retour au Texte Principal]

Note 138: De la même plume avec laquelle il venait d'écrire cette dépêche à son ministre, Chateaubriand, ce même jour 3 mars, écrivait à son ami M. de Marcellus, ministre plénipotentiaire à Lucques, cette autre lettre, qui n'est pas précisément en style de chancellerie:

«À M. de Marcellus, à Lucques. Rome, 3 mars 1829.

«Rien de nouveau ici. Des scrutins nuls et variés. De la pluie, du vent, des rhumatismes, et Torlonia enterré l'épée au côté, en habit noir et chapeau bordé. Voilà tout. Ce soir, chez moi, on chante à neuf heures, on soupe à dix, puis à minuit on jeûne pour les cendres de demain; avec un peu de pénétration, vous devinerez que je vous écris le mardi-gras. Tout cela, le mardi-gras surtout, me fait dire comme Potier dans le rôle de Werther: «Mon ami, sais-tu ce que c'est que la vie? C'est un bois où l'on s'embarrasse les jambes.» Encore si les miennes allaient à la chasse comme les vôtres! Bonjour, voilà qui est bien peu sérieux pour un ambassadeur auprès d'un conclave. Je pleure si souvent que, quand le rire me prend par hasard, je le laisse aller.

«Chateaubriand[Retour au Texte Principal]

Note 139: Les précédentes éditions portent à tort: Jeudi, ce 15 mars;—ce qui est en contradiction avec le calendrier, et aussi avec les deux dates données par Chateaubriand quelques lignes plus loin, et qui, celles-là, sont exactes: jeudi soir 12, et vendredi soir 13.[Retour au Texte Principal]

Note 140: Anne-Louis-Henri duc de la Fare (1752-1829), petit-neveu du cardinal de Bernis. Il était depuis deux ans évêque de Nancy, lorsqu'il fut élu, par le bailliage de cette ville, député de son ordre aux États-Généraux. Ce fut lui qui, le 4 mai 1789, à l'issue de la messe qui eut lieu dans l'église Saint-Louis, à Versailles, pour l'ouverture des États, prononça le discours d'usage. Son attitude hostile aux idées de la Révolution l'obligea bientôt à quitter la France; il se réfugia d'abord à Trêves, puis en Autriche, devint l'un des principaux agents de Louis XVIII et ne rentra qu'avec lui, en 1814. En 1816, il fut adjoint à l'archevêque de Reims, M. de Talleyrand-Périgord, pour l'administration des affaires ecclésiastiques. Archevêque de Sens en 1817, il reçut en 1822 le titre de pair de France, et en 1823 la dignité de cardinal. Il assista aux deux conclaves où furent élus Léon XII et Pie VIII et mourut à Paris le 10 décembre 1829.[Retour au Texte Principal]

Note 141: Gustave-Maximilien-Juste, prince de Croy (1773-1844). Il était en 1789 chanoine du grand chapitre de Strasbourg. La Révolution le força de se réfugier à Vienne, où il séjourna jusqu'en 1817, époque à laquelle il fut nommé évêque de Strasbourg. À la mort du cardinal de Périgord (1821), il devint grand-aumônier de France. Revêtu de la pourpre romaine en 1822, il fut, en 1824 transféré de l'évêché de Strasbourg à l'archevêché de Rouen. Après la révolution de 1830, le prince de Croy resta fidèle à ses opinions légitimistes; il fut cependant obligé d'assister, en 1840, au baptême du comte de Paris, mais se retira aussitôt après la cérémonie.[Retour au Texte Principal]

Note 142: Joachim-Jean-Xavier, duc d'Isoard (1766-1839). Il fit ses études au séminaire d'Aix, où il se lia intimement avec le futur cardinal Fesch; lorsqu'éclata la Révolution, il n'avait reçu encore que les ordres mineurs. En 1794, il se rendit à Vérone, auprès du comte de Provence; puis, il revint en France, prit part à plusieurs complots royalistes, et dut retourner en Italie après le 18 fructidor. La protection de l'abbé Fesch lui permit de rentrer en France sous le Consulat, et bientôt de remplir auprès de son ancien condisciple, devenu archevêque de Lyon, cardinal et ambassadeur à Rome, les fonctions de secrétaire particulier (1803). La même année, il fut nommé auditeur de Rote. Il ne fut ordonné prêtre qu'en 1825, à Rome. Léon XII le créa peu après (25 juin 1827) cardinal au titre de Saint-Pierre-ès-liens, qu'il échangea plus tard contre celui de la Trinité-du-Mont. À son retour en France, Mgr d'Isoard fut pourvu de l'archevêché d'Auch et appelé à la pairie avec le titre de duc (24 janvier 1829). À la révolution de Juillet, sa nomination à la Chambre haute fut annulée par la nouvelle Charte: il se consacra alors uniquement à son diocèse. La mort de son ami le cardinal Fesch ayant déterminé une vacance dans le corps des cardinaux français, Mgr d'Isoard fut appelé à lui succéder (14 juin 1839), mais il mourut presque subitement quelques mois après, le 7 octobre, pendant qu'il attendait à Paris ses bulles d'institution.[Retour au Texte Principal]