Mais voici bien autre chose. Ce n'est plus du côté d'un oncle maternel démocrate que le mariage est attaqué, c'est du côté de l'oncle paternel, et dans un esprit tout différent. M. de Chateaubriand va se trouver entre deux oncles. Je cite mes auteurs. M. Viennet, dans ses Mémoires (inédits), raconte qu'étant entré en service dans la marine vers 1797, il connut à Lorient un riche négociant, M. La Vigne-Buisson, et se lia avec lui. Quand l'auteur d'Atala commença à faire du bruit, M. Buisson dit à M. Viennet: «Je le connais; il a épousé ma nièce, et il l'a épousée de force.» Et il raconta comment M. de Chateaubriand, ayant à contracter union avec Mlle de La Vigne, aurait imaginé de l'épouser comme dans les comédies, d'une façon postiche, en se servant d'un de ses gens comme prêtre et d'un autre comme témoin. Ce qu'ayant appris, l'oncle Buisson serait parti, muni d'une paire de pistolets et accompagné d'un vrai prêtre, et surprenant les époux de grand matin, il aurait dit à son beau-neveu: «Vous allez maintenant, monsieur, épouser tout de bon ma nièce, et sur l'heure.» Ce qui fut fait.

M. de Pongerville, étant à Saint-Malo en 1851, y connut un vieil avocat de considération, qui lui raconta le même fait, et exactement avec les mêmes circonstances.

Naturellement, dans ses Mémoires, M. de Chateaubriand n'a touché mot de cela: il n'a parlé que du procès fait à l'instigation de l'autre oncle. Faut-il croire que, selon le désir de sa mère, ayant à se marier devant un prêtre non assermenté, et s'étant engagé à en trouver un, il ait imaginé, dans son indifférence et son irrévérence d'alors, de s'en dispenser en improvisant l'étrange comédie à laquelle l'oncle de sa femme serait venu mettre bon ordre?—Ce point de sa vie, si on le pouvait, serait à éclaircir et l'on comprendrait mieux encore par là les chagrins qu'il donna à sa mère, chagrins causés, dit-il, par ses égarements, et le mouvement de repentir qu'il dut éprouver plus tard en apprenant sa mort avant d'avoir pu la revoir et l'embrasser[420].

Marie-Joseph Chénier.

Certes, Sainte-Beuve savait mieux que personne ce qu'il fallait penser des étranges choses qu'il nous raconte, et qui auraient eu besoin, pour être admises, d'une autre autorité que celle de M. Viennet, qui n'a jamais réussi que ses Fables. Très pieuses, ayant en horreur les prêtres intrus, la mère et les sœurs de Chateaubriand étaient sans nul doute restées en rapports avec des prêtres non assermentés, lesquels d'ailleurs, au commencement de 1792, étaient encore nombreux en Bretagne. Elles ne pouvaient donc avoir aucune peine à en trouver un, pour bénir le mariage de leur fils et de leur frère, et ce sont elles, bien évidemment, qui se sont chargées de le procurer. Elles n'auront pas laissé ce soin à Chateaubriand, qui débarquait d'Amérique et ne connaissait plus guère personne à Saint-Malo. Le récit des Mémoires d'Outre-tombe a donc pour lui toutes les vraisemblances, tandis que la version où s'est complu Sainte-Beuve sonne le faux à chaque ligne. Elle a d'ailleurs contre elle des documents authentiques, des pièces irréfragables. M. Charles Cunat a relevé sur les registres de l'état civil de Saint-Malo les extraits qui suivent:

Du dimanche 18 mars 1792.

Il y a eu promesse de mariage entre:

François-Auguste-René de Chateaubriand, fils mineur de feu René-Auguste et de dame Apolline-Jeanne-Suzanne de Bedée, et demoiselle Céleste Buisson, fille mineure de feu Alexis-Jacques et de feue dame Céleste Rapion, tous deux originaires et domiciliés de cette ville: 1er et 3e bans.

Lundi 19 mars 1792.

François-Auguste-René de Chateaubriand, fils second et mineur de feu René-Auguste de Chateaubriand et de dame Apolline-Jeanne-Suzanne de Bedée, et demoiselle Céleste Buisson, fille mineure de feu sieur Alexis-Jacques Buisson et dame Céleste Rapion de la Placelière, tous deux originaires et domiciliés de cette ville, ont reçu de moi, soussigné curé, la bénédiction nuptiale dans l'église paroissiale, ce jour 19 mars 1792, en conséquence d'une bannie faite au prône de notre messe paroissiale, sans opposition, et de la dispense du temps prohibé et de deux bans. La présente cérémonie faite en vertu de deux décrets émanés de la justice de cette ville, attendu la minorité des parties contractantes, en présence de François-André Buisson, Jean-François Leroy, Michel-Thomas Bassinot et Charles Malapert, qui ont attesté le domicile et la liberté des parties; et ont signé avec les époux:

Céleste Buisson, François de Chateaubriand, François-Auguste Buisson, Michel Bassinot, Malapert fils, Leroy.

Duhamel, curé.

Ce mariage du 19 mars, célébré publiquement, régulièrement, après la publication des bans, après deux décrets émanés de la justice de paix, exclut nécessairement le prétendu mariage au pistolet et à la minute de l'oncle Buisson.

Mais il y a plus. Cet oncle Buisson, «le riche négociant de Lorient», n'a jamais existé. La famille de La Vigne n'a jamais entendu parler de lui, ni de son voyage à Saint-Malo, ni de ce mariage à main armée[421].(Retour à la table des matières.)

III
FONTANES ET CHATEAUBRIAND[422].

Voici la réponse de Chateaubriand à la lettre de Fontanes qu'on a lue dans le texte des Mémoires:

15 août 1798 (v. s.).

Je ne puis vous dire tout le plaisir que j'ai éprouvé en recevant votre lettre. Il a été en proportion de la solitude de ma vie et des longues heures que je passe avec moi-même; vous sentez combien les marques du souvenir d'un ami de votre espèce doivent être chères alors. Si je suis la seconde personne à laquelle vous avez trouvé quelques rapports d'âme avec vous, vous êtes la première qui ayez rempli toutes les conditions que je cherchais dans un homme: tête, cœur, caractère, j'ai tout trouvé en vous à ma guise, et je sens que désormais je vous suis attaché pour la vie. Il ne me manque plus que de connaître l'ami dont vous m'avez fait un si grand éloge[423], pour vous connaître dans toutes les parties de votre existence.

J'ai appris avec une grande et vraie joie vos heureux travaux au bord de l'Elbe. Vous possédez, sans aucun doute, le plus beau talent de la France, et il est bien malheureux que votre paresse soit un obstacle qui retarde la gloire dont nous vous verrons briller un jour. Songez, mon cher ami, que les années peuvent vous surprendre, et qu'au lieu des tableaux immortels que la postérité est en droit d'attendre de vous, vous ne laisserez peut-être que quelques cartons qui indiqueront seulement ce que vous auriez été. C'est une vérité indubitable qu'il n'y a qu'un seul talent dans le monde. Vous le possédez, cet art qui s'assied sur les ruines des empires et qui seul sort tout entier du vaste tombeau qui dévore les peuples et les temps. Est-il donc possible que vous ne soyez pas touché de tout ce que le ciel a fait pour vous, et que vous songiez à autre chose qu'à la Grèce sauvée? Vous savez que tout ceci n'est pas un pur jargon de ma part, je vous ai souvent parlé à ce sujet; votre paresse me tient au cœur.

De vous à moi, et de la Grèce sauvée aux Natchez, la chute est immense; mais vous voulez que je vous parle de moi. Je vous dirai que le courage m'a abandonné depuis votre départ; tout ce que j'ai pu faire a été de mettre au net un troisième livre et d'imaginer une nouvelle division du plan. Chaque livre portera un titre particulier. Les deux premiers, par exemple, s'appelleront les Livres du Récit; le troisième, le Livre de l'Enfer; le quatrième, le Livre des Mœurs; le cinquième, le Livre du Ciel; le sixième, le Livre d'Othaïti: le septième, le Livre des Loix, etc., etc.; de même que les Anciens disaient le livre de la Colère d'Achille, le livre des Adieux d'Andromaque, etc., et de même qu'Hérodote avait divisé son histoire. Cette sorte de division toute antique que je fais ainsi revivre a quelque chose de singulièrement attrayant, et d'ailleurs favorise beaucoup mon travail.

Au reste, mon cher ami, je passe ma vie fort tristement. J'ai revu la plupart des lieux que nous avions vus ensemble. J'ai dîné seul sur la colline, dans cette petite chambre où nous avions vu le soleil couchant; j'ai visité les jardins sur les bords de la rivière, j'ai eu deux longues conversations avec M. de L[amoignon]. Par ailleurs, j'ai laissé là toutes vos anciennes connaissances. Je ne vois presque plus P[anat]. Quelques personnes m'ont questionné sur votre compte. J'ai répondu comme je le devais. Il paraît que beaucoup de petites gens sont peu contents de vous. Au nom du ciel, évitez tout ce qui peut vous compromettre, laissez à d'autres que vous un métier indigne de vos talents, et qui troublerait le reste de votre vie et celle de vos amis.

Nous reverrons-nous jamais, mon cher ami? Je ne sais, mais je suis triste. Vous avez beaucoup moins besoin de moi que je n'ai besoin de vous. Votre famille et vos amis vous environnent, et vous trouvez en vous-même plus de ressources que je ne puis en trouver en moi. D'ailleurs, il y a déjà six ans que je vis pour ainsi dire de mon intérieur, et il faut à la fin qu'il s'épuise. Et puis, cet Argos dont on se ressouvient toujours, et qui, après avoir été quelque temps une grande douceur, devient une grande amertume!

Si vous avez quelque humanité, écrivez-moi souvent, très souvent. Parlez-moi de vos travaux et de cette femme admirable que vous devez beaucoup aimer, car elle a beaucoup fait pour vous. Des hauteurs du bonheur ne m'oubliez pas. Indiquez-moi de nouveau les moyens de correspondre avec vous; je suppose que les premières adresses que vous m'aviez données ne valent plus rien. Adieu, croyez au sincère, au très sincère attachement de votre ami des terres de l'exil.

Ne trouvez-vous pas qu'il y ait quelque chose qui parle au cœur dans une liaison commencée par deux Français malheureux, loin de leur patrie? Cela ressemble beaucoup à celle de René et d'Outougamiz: nous avons juré dans un désert et sur des tombeaux.

Je ne signe point, ne signez plus. Le cousin vous dit mille choses ainsi que M. de L[amoignon]. Le contrôleur des finances[424] n'a point tenu sa parole et je suis fort malheureux. Rappelez-moi au souvenir de l'ancien ami F[lins][425].(Retour à la table des matières.)

IV
COMMENT FUT COMPOSÉ LE «GÉNIE DU CHRISTIANISME»[426].

Dans une lettre du 19 août 1799, que nous donnerons tout à l'heure, Chateaubriand annonce à ses amis de France «un ouvrage qui s'imprime à Londres et qui a pour titre: De la Religion chrétienne par rapport à la Morale et aux Beaux-Arts; cet octavo de grandeur ordinaire, forme un volume de 430 pages». D'après M. l'abbé Pailhès, dans son beau livre sur Chateaubriand, sa femme et ses amis, Chateaubriand ne se serait mis à l'œuvre qu'après avoir appris la mort de sa sœur, Mme de Farcy, et sous le coup de cette mort succédant à celle de sa mère. En un mois, il aurait écrit son ouvrage.

Un mois ne s'était pas écoulé, dit M. Pailhès, du 22 juillet, date de la mort de sa sœur, au 19 août 1799, date de la lettre à ses amis de France, et déjà le livre s'imprimait ou plutôt était sur le point de s'imprimer. Est-ce croyable? Oui, si l'on veut bien se rappeler «l'opiniâtreté de Chateaubriand à l'ouvrage»; oui, si l'on veut bien tenir compte de ce fait que «ses matériaux étaient dégrossis de longue main par ses précédentes études[427]».

Je ne saurais, je l'avoue, m'associer ici aux conclusions de l'honorable et savant écrivain. Mme de Farcy était morte le 22 juillet 1799. En ce temps-là, et de France en Angleterre, la guerre existant toujours entre les deux pays, les communications étaient rares et difficiles. Chateaubriand ne put recevoir la lettre lui annonçant la mort de sa sœur qu'au bout d'une ou deux semaines, dans les premiers jours d'août au plus tôt. Ce serait donc en moins de quinze jours qu'il aurait formé le plan du Génie du christianisme et qu'il en aurait écrit un volume entier, un in-octavo de 430 pages. Cela est manifestement impossible. Ce qui est vrai, c'est ce que Chateaubriand lui-même nous apprend dans ses Mémoires.

Sa mère était morte le 31 mai 1798. Mme de Farcy lui annonça le fatal événement par une lettre, datée de Saint-Servan, 1er juillet 1798. Lorsque Chateaubriand écrivit à Fontanes, le 15 août[428], la douloureuse missive ne lui était pas encore parvenue. Il ne la reçut qu'assez longtemps après. C'est donc dans les derniers mois de 1798 qu'il conçut la pensée d'expier l'Essai par un ouvrage religieux. Il lui fallut former son plan, amasser ses matériaux; il ne se mit à la rédaction qu'en 1799; c'est encore lui qui nous le dit dans les Mémoires: «L'ouvrage fut commencé à Londres en 1799.» Seulement, il fut commencé, non au mois de juillet 1799,—nous avons vu que c'était impossible,—mais dès les premiers jours de l'année, et alors on s'explique très bien que, le 19 août, un volume entier fût déjà composé.

Lisons maintenant la lettre du 19 août. Au point de vue de la composition du Génie du christianisme, elle mérite une très particulière attention. Rien ne saurait nous être indifférent de ce qui se rattache à un livre qui a été un des grands événements de ce siècle. Elle est adressée à Fontanes, sous le couvert de sa femme, la citoyenne Fontanes, à Paris:

19 août 1799 (v. s.).

Citoyenne,

On cherche à vendre pour cent-soixante pièces de vingt-quatre livres, à Paris, les feuilles d'un ouvrage qui s'imprime chez l'étranger et qui a pour titre: De la Religion chrétienne par rapport à la Morale et aux Beaux-Arts. Cet octavo de grandeur ordinaire, et formant un volume d'environ 430 pages, est une sorte de réponse indirecte au poème de la Guerre des Dieux, et autres livres de ce genre. Il se divise en sept parties.

La première traite des mystères, des sacrements et des vertus du Christianisme considérés moralement et poétiquement.

La seconde se rapporte aux traditions des Écritures.

Dans les troisième et quatrième parties, on examine le Christianisme employé comme merveilleux dans la poésie.

La cinquième partie contient ce qui a rapport au culte en général, tel que les fêtes, les cérémonies de l'Église, etc., etc.

La sixième parle du culte des tombeaux chez tous les peuples de la terre, et le compare à ce que les chrétiens ont fait pour les morts.

La septième enfin se forme de sujets divers comme de quelques chapitres sur les églises gothiques, sur les ruines, sur les monastères, sur les missions, sur les hospices, sur le culte des croix, des saints, des vierges dans le désert, sur les harmonies entre les grands effets de la nature et la religion chrétienne, etc., etc. Un grand nombre des meilleurs morceaux des Natchez se trouvent cités dans cet ouvrage qui, comme vous le voyez, est du même auteur.

On vous le recommande particulièrement, citoyenne, et pour la vente des feuilles, et pour les papiers publics, lorsqu'il paraîtra. Adressez, nous vous en supplions, le plus tôt possible, à ce sujet, un mot par la voie d'Hambourg, ou tout autre voie, à MM. Dulau et Cie, libraires, Wardour street, à Londres. La maison de ces citoyens est fort connue dans la librairie et est co-propriétaire du manuscrit avec l'auteur. Si quelque libraire de Paris veut acheter les feuilles au prix offert, les citoyens Dulau et Cie les lui feront passer régulièrement et promptement à mesure qu'elles se tireront à Londres, et ils s'engagent de plus à ne publier chez l'étranger que lorsque l'édition de Paris aura été mise en vente. L'arrangement des cent soixante louis n'est pas, au reste, si fixe, que vous ne puissiez le changer à volonté. Que vous obteniez plus ou moins, que l'on fasse le payement en argent ou en livres à votre choix et expédiés pour le citoyen Dulau, tout cela est égal à l'auteur. Vous aurez même les feuilles pour rien, si vous les demandez pour vous-même et dans le dessein de vous en servir pour le mieux. Il n'y a pas un mot de politique, dans l'ouvrage, qui puisse en empêcher la vente. Il est purement littéraire et nous connaissons bien votre indulgence pour l'auteur. Nous croyons que vous serez contente de ce que vous verrez. C'est peut-être ce qu'il a fait de mieux jusqu'à présent, outre ce que l'ouvrage contient par ailleurs des Natchez, afin de donner au public un avant-goût de cette épopée de l'homme sauvage. Le morceau sur le clocher, le tombeau dans l'arbre, le coucher de soleil en pleine mer, le couvent au bord d'une grève, et quelques autres encore s'y trouvent.

Quel long silence, chère citoyenne, et que de choses d'amitié on aurait à vous dire! Mais dans ces temps de calamité, il ne faut mettre dans une lettre que les mots absolument indispensables. Salut, bonheur et souvenir.

Vous savez que, répondant par Hambourg, il faut avoir un correspondant pour recevoir votre lettre et l'expédier pour l'Angleterre. Vous vous en procurerez un fort aisément.

(Suscription) À la citoyenne...
...es.
à Paris.

Deux mois plus tard, le 27 octobre 1799, dans une autre lettre à Fontanes, Chateaubriand parle, non plus d'un volume, mais de deux in-octavo de 350 pages chacun. Cette lettre, comme celle du 19 août, doit être reproduite en entier. Elle a désarmé Sainte-Beuve lui-même qui, en la publiant, le premier, dans une de ses Causeries du Lundi, la fit précéder de ces lignes:

La sincérité de l'émotion dans laquelle Chateaubriand conçut la première idée du Génie du christianisme, est démontrée par la lettre suivante écrite à Fontanes, lettre que j'ai trouvée autrefois dans les papiers de celui-ci, dont Mme la comtesse Christine de Fontanes, fille du poète, possède l'original, et qui n'étant destinée qu'à la seule amitié, en dit plus que toutes les phrases écrites ensuite en vue du public.

Voici cette lettre:

Ce 27 octobre 1799 (Londres).

Je reçois votre lettre en date du 17 septembre. La tristesse qui y règne m'a pénétré l'âme. Vous m'embrassez les larmes aux yeux, me dites-vous. Le ciel m'est témoin que les miens n'ont jamais manqué d'être pleins d'eau toutes les fois que je parle de vous. Votre souvenir est un de ceux qui m'attendrissent davantage, parce que vous êtes selon les choses de mon cœur, et selon l'idée que je m'étais faite de l'homme à grandes espérances. Mon cher ami, si vous ne faisiez que des vers comme Racine, si vous n'étiez pas bon par excellence, comme vous l'êtes, je vous admirerais, mais vous ne posséderiez pas toutes mes pensées comme aujourd'hui, et mes vœux pour votre bonheur ne seraient pas si constamment attachés à mon admiration pour votre beau génie. Au reste, c'est une nécessité que je m'attache à vous de plus en plus, à mesure que tous mes autres liens se rompent sur la terre. Je viens encore de perdre ma sœur[429] que j'aimais tendrement et qui est morte de chagrin dans le lieu d'indigence où l'avait reléguée Celui qui frappe souvent ses serviteurs pour les éprouver et les récompenser dans une autre vie. Une âme telle que la vôtre, dont les amitiés doivent être aussi durables que sublimes, se persuadera malaisément que tout se réduit à quelques jours d'attachement dans un monde dont les figures changent si vite, et où tout consiste à acheter si chèrement un tombeau. Toutefois, Dieu, qui voyait que mon cœur ne marchait point dans les voies iniques de l'ambition, ni dans les abominations de l'or, a bien su trouver l'endroit où il fallait le frapper, puisque c'était lui qui en avait pétri l'argile et qu'il connaissait le fort et le faible de son ouvrage. Il savait que j'aimais mes parents et que là était ma vanité: il m'en a privé afin que j'élevasse les yeux vers lui. Il aura désormais avec vous toutes mes pensées. Je dirigerai le peu de forces qu'il m'a données vers sa gloire, certain que je suis que là gît la souveraine beauté et le souverain génie, là où est un Dieu immense qui fait cingler les étoiles sur la mer des cieux comme une flotte magnifique, et qui a placé le cœur de l'honnête homme dans un fort inaccessible aux méchants.

Il faut que je vous parle encore de l'ouvrage auquel vous vous intéressez. Je ne saurais guère vous en donner une idée à cause de l'extrême variété des tons qui le composent; mais je puis vous assurer que j'y ai mis tout ce que je puis, car j'ai senti vivement l'intérêt du sujet. Je vous ai déjà marqué que vous y trouveriez ce qu'il y a de mieux dans les Natchez. Puisque je vous ai entretenu de morts et de tombeaux au commencement de cette lettre, je vous citerai quelque chose de mon ouvrage à ce sujet. C'est dans la septième partie où, après avoir passé en revue les tombeaux chez tous les peuples anciens et modernes, j'arrive aux tombeaux chrétiens. Je parle de cette fausse sagesse qui fit transporter les cendres de nos pères hors de l'enceinte des villes, sous je ne sais quel prétexte de santé. Je dis: «Un peuple est parvenu au moment de sa dissolution etc[430]...»

Dans un autre endroit, je peins ainsi les tombeaux de Saint-Denis avant leur destruction: «On frissonne en voyant ces vastes ruines où sont mêlées également la grandeur et la petitesse, les mémoires fameuses et les mémoires ignorées, etc[431]...»

Je n'ai pas besoin de vous dire qu'auprès de ces couleurs sombres on trouve de riantes sépultures, telles que nos cimetières dans les campagnes, les tombeaux chez les sauvages de l'Amérique (où se trouve le tombeau dans l'arbre), etc. Je vous avais mal cité le titre de l'ouvrage; le voici: Des beautés poétiques et morales de la religion chrétienne et de sa supériorité sur tous les autres cultes de la terre. Il formera deux volumes in-8o de 350 pages chacun.

Mais, mon cher ami, ce n'est pas de moi, c'est de vous que je devrais vous entretenir. Travaillez-vous à la Grèce sauvée? Vous parlez de talents: que sont les nôtres auprès de ceux que vous possédez! Comment persécute-on un homme tel que vous? Les misérables! mais enfin ils ont bien renié Dieu qui a fait le ciel et la terre; pourquoi ne renieraient-ils pas les hommes en qui ils voient reluire, comme en vous, les plus beaux attributs de cet Être tout puissant?

Tâchez de me rendre service touchant l'ouvrage en question; mais au nom du Ciel, ne vous exposez pas. Veillez aux papiers publics lorsqu'il paraîtra; écrivez-moi souvent. Voici l'adresse à employer: À M. César Godefroy, négociant à Hambourg sur la première enveloppe, et, au dedans, à MM. Dulau et Cie, libraires. Mon nom est inutile sur l'adresse; mettez seulement après Dulau, deux étoiles...

Je suis à présent fort lié avec cet admirable jeune homme auquel vous me léguâtes à votre départ[432]. Nous parlons sans cesse de vous. Il vous aime presque autant que moi. Adieu, que toutes les bénédictions du ciel soient avec vous! Puissé-je vous embrasser encore avant de mourir!

Après avoir eu d'abord un volume (août 1799), après en avoir ensuite formé deux (octobre 1799), l'ouvrage de Chateaubriand en aura quatre lorsqu'il paraîtra le 14 avril 1802. L'édition en deux volumes, imprimée déjà en partie à Londres, avait été interrompue par le retour en France de l'auteur, au mois de mai 1800. Chateaubriand s'était alors déterminé à recommencer l'impression à Paris et à refondre le sujet en entier, d'après les nouvelles idées qu'avait fait naître en lui son changement de position. Nous aurons à y revenir.(Retour à la table des matières.)

V
LA RENTRÉE EN FRANCE[433].

Lorsque Chateaubriand eut décidé de rentrer en France, il avisa Fontanes de sa résolution par la lettre suivante, la dernière de l'exil:

Ce 19 février 1800 (v. s.).

Depuis cette première lettre, écrite de votre solitude, où vous m'annonciez que vous alliez me récrire incessamment, je n'ai plus reçu de nouvelles de vous. Est-ce, mon cher ami, que les jours de la prospérité vous auraient fait oublier un malheureux? Je ne puis croire qu'avec vos beaux talents vous soyez fait comme un autre homme. Je vous gronderais bien fort, si j'ignorais les dangers que vous avez courus; je suis encore trop alarmé pour avoir le loisir d'être en colère. Êtes-vous bien remis au moins? Ne vous sentez-vous plus de votre chute? Dépêchez-vous de me tranquilliser là-dessus.

L'ami commun qui vous remettra cette lettre vous instruira de mes projets et de l'espoir que j'ai de vous embrasser en peu de temps; pourvu toutefois que vous ne soyez pas aussi paresseux et que vous songiez un peu plus à moi. Le citoyen du B... vous dira aussi où j'en suis de mon travail, les succès qu'on veut bien me promettre, etc. J'arriverai auprès de vous avec une moitié de l'ouvrage imprimée et l'autre manuscrite le tout formera deux volumes in-8o de 350 pages. Vous serez peut-être un peu surpris de la nouveauté du cadre, et de la manière toute singulière dont le sujet est envisagé. Vous y retrouverez, en citation, les morceaux qui vous ont plu davantage dans les Natchez.

Je désire donc, mon cher ami, que vous prépariez les voies auprès d'un libraire. C'est là mon unique espérance. Si je réussis, je suis tiré d'affaire pour longtemps: si je sombre, je suis un homme noyé sans retour. Tâchez donc de vous donner un peu de mouvement sur cet article, et ensuite sur un autre très essentiel, dont du B... vous parlera (radiation de la liste des émigrés). On dit que cela est fort aisé; je compte sur votre crédit, votre amitié et votre zèle. Si vous mettez de la promptitude dans vos démarches, si je puis compter sur un libraire en arrivant, je serai au village dans le commencement d'avril.

Du B... vous dira que j'amène avec moi quelqu'un que vous connaissez et qui vous aime presque autant que moi[434]. Peut-être même cette personne me devancera-t-elle. Elle compte bien vous gronder pour votre paresse envers vos amis.

Écrivez-moi sur le champ un petit mot; notre ami du B... se chargera de me le faire passer. J'espère que nous nous connaîtrons un jour davantage, et que vous vous repentirez de m'avoir traité si froidement. Mille et mille bénédictions, mon cher et admirable ami; puissé-je vous voir bientôt et vous dire combien je vous suis sincèrement et tendrement attaché. Rappelez-moi donc vite sous l'influence de cette belle muse dont la mienne a un si grand besoin pour se réchauffer. Souvenez-vous que vous m'avez écrit que vous ne seriez heureux que lorsque vous m'auriez préparé une ruche et des fleurs à côté des vôtres[435].

En débarquant à Calais, le 8 mai 1800, Chateaubriand écrivit à Fontanes ce petit mot:

Calais, 18 floréal an VIII (8 mai 1800).

J'arrive, mon cher et aimable ami, Mme Jacquet[436] veut bien me donner une place dans sa voiture. Je descendrai chez vous, et je vous prie de me chercher un logement tout près du vôtre. Nous serons à Paris le 10.

Tâchez de redoubler d'amitié pour moi, car j'aurai bien besoin de vous, et je vais vous mettre à de rudes épreuves. Annoncez-moi à Mme F[ontanes] et réclamez pour moi ses bontés.

J'ai bien changé, mon cher ami, depuis que j'ai quitté la Suisse, pour voyager chez les Natchez, et vous aurez peine à me reconnaître. Je vous embrasse tendrement.

La Sagne[437].(Retour à la table des matières.)

VI
LE GÉNIE DU CHRISTIANISME[438].

Le Génie du christianisme fut mis en vente, le 14 avril 1802 (24 germinal an X), chez Migneret, rue du Sépulcre, faubourg Saint-Germain, no 28, et chez Le Normant, rue des Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois, no 43[439]. L'ouvrage formait cinq volumes in-8o; mais le cinquième se composait exclusivement des Notes et éclaircissements.

Chateaubriand avait d'abord projeté de donner pour titre à son livre: De la religion chrétienne par rapport à la morale et aux beaux-arts[440]. Un peu plus tard, il avait songé à l'intituler comme suit: Des beautés poétiques et morales de la religion chrétienne et de sa supériorité sur tous les autres cultes de la terre[441]. C'était beaucoup trop long; Chateaubriand le comprit, et lorsque son livre parut, ce fut avec ce titre, qui disait tout en deux mots et qui allait si vite devenir immortel: Génie du christianisme ou Beautés de la religion chrétienne, par François-Auguste Chateaubriand. À la première page de chaque volume se trouvait l'épigraphe suivante, supprimée depuis:

Chose admirable! la religion chrétienne, qui ne semble avoir d'objet que la félicité de l'autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci.

Montesquieu, Esprit des Lois, livre XXIV, Ch. III.

La Préface que l'auteur avait mise en tête de son ouvrage a également disparu des éditions postérieures. Comme elle renferme des détails d'un réel intérêt, je crois devoir la reproduire ici tout entière:

PRÉFACE

Je donne aujourd'hui au public le fruit d'un travail de plusieurs années; et comme j'ai réuni dans le Génie du christianisme d'anciennes observations que j'avais faites sur la littérature, et une grande partie de mes recherches sur l'histoire naturelle et sur les mœurs des sauvages de l'Amérique, je puis dire que ce livre est le résultat des études de toute ma vie.

J'étais encore à l'étranger lorsque je livrai à la presse le premier volume de mon ouvrage. Cette édition fut interrompue par mon retour en France, au mois de mai 1800 (floréal an VIII).

Je me déterminai à recommencer l'impression à Paris et à refondre le sujet en entier, d'après les nouvelles idées que mon changement de position me fit naître: on ne peut écrire avec mesure que dans sa patrie.

Deux volumes de cette seconde édition étaient déjà imprimés, lorsqu'un accident me força de publier séparément l'épisode d'Atala, qui faisait partie du second volume et qui se trouve maintenant dans le troisième[442].

L'indulgence avec laquelle on voulut bien accueillir cette petite anecdote ne me rendit que plus sévère pour moi-même. Je profitai de toutes les critiques, et, malgré le mauvais état de ma fortune, je rachetai les deux volumes imprimés du Génie du christianisme, dans le dessein de retoucher encore une fois tout l'ouvrage.

C'est cette troisième édition que je publie. J'ai été forcé d'entrer dans ces détails, premièrement: pour montrer que si mes talents n'ont pas répondu à mon zèle, du moins j'ai suffisamment senti l'importance de mon sujet; secondement: pour avertir que tout ce que le public connaît jusqu'à présent de cet ouvrage a été cité très incorrectement, d'après les deux éditions manquées. Or, on sait de quelle importance peut être un seul mot changé, ajouté ou omis dans une matière aussi grave que celle que je traite.

Il y avait dans mon premier travail plusieurs allusions aux circonstances où je me trouvais alors. J'en ai fait disparaître le plus grand nombre; mais j'en ai laissé quelques-unes: elles serviront à me rappeler mes malheurs, si jamais la fortune me sourit, et à me mettre en garde contre la prospérité.

Le chapitre d'introduction servant de véritable préface à mon ouvrage, je n'ai plus qu'un mot à dire ici.

Ceux qui combattent le christianisme ont souvent cherché à élever des doutes sur la sincérité de ses défenseurs. Ce genre d'attaque, employé pour détruire l'effet d'un ouvrage religieux, est fort connu. Il est donc probable que je n'y échapperai pas, moi surtout à qui l'on peut reprocher des erreurs.

Mes sentiments religieux n'ont pas toujours été ce qu'ils sont aujourd'hui. Tout en avouant la nécessité d'une religion et en admirant le christianisme, j'en ai cependant méconnu plusieurs rapports. Frappé des abus de quelques institutions et du vice de quelques hommes, je suis tombé jadis dans les déclamations et les sophismes. Je pourrais en rejeter la faute sur ma jeunesse, sur le délire des temps, sur les sociétés que je fréquentais, mais j'aime mieux me condamner: je ne sais point excuser ce qui n'est point excusable. Je dirai seulement de quel moyen la Providence s'est servie pour me rappeler à mes devoirs.

Ma mère, après avoir été jetée à 72 ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira dans un lieu obscur, sur un grabat où ses malheurs l'avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements répandit sur ses derniers jours une grande amertume; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j'avais été élevé. Ma sœur me manda le vœu de ma mère; quand la lettre me parvint au delà des mers, ma sœur elle-même n'existait plus; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d'interprète à la mort m'ont frappé. Je suis devenu chrétien. Je n'ai point cédé, j'en conviens, à de grandes lumières surnaturelles; ma conviction est sortie du cœur: j'ai pleuré et j'ai cru.

On voit par ce récit combien ceux qui m'ont supposé animé de l'esprit de parti se sont trompés. J'ai écrit pour la religion, par la même raison que tant d'écrivains ont fait et font encore des livres contre elle; où l'attaque est permise, la défense doit l'être. Je pourrais citer des pages de Montesquieu en faveur du christianisme, et des invectives de J.-J. Rousseau contre la philosophie, bien plus fortes que tout ce que j'ai dit, et qui me feraient passer pour un fanatique et un déclamateur si elles étaient sorties de ma plume.

Je n'ai à me reprocher dans cet ouvrage, ni l'intention, ni le manque de soin et de travail. Je sais que dans le genre d'apologie que j'ai embrassé, je lutte contre des difficultés sans nombre; rien n'est malaisé comme d'effacer le ridicule. Je suis loin de prétendre à aucun succès; mais je sais aussi que tout homme qui peut espérer quelques lecteurs rend service à la société en tâchant de rallier les esprits à la cause religieuse; et dût-il perdre sa réputation comme écrivain, il est obligé en conscience de joindre sa force, toute petite qu'elle est, à celle de cet homme puissant qui nous a retirés de l'abîme.

«Celui, dit M. Lally-Tolendal, à qui toute force a été donnée pour pacifier le monde, à qui tout pouvoir a été confié pour restaurer la France, a dit au prince des prêtres, comme autrefois Cyrus: Jéhovah, le Dieu du ciel, m'a livré les royaumes de la terre, et il m'a commis pour relever son temple. Allez, montez sur la montagne sainte de Jérusalem, rétablissez le temple de Jéhovah[443]

À cet ordre du libérateur, tous les juifs, et jusqu'au moindre d'entre eux, doivent rassembler des matériaux pour hâter la reconstruction de l'édifice. Obscur israélite, j'apporte aujourd'hui mon grain de sable. Je n'ose me flatter que, du séjour immortel qu'elle habite, ma mère ait encouragé mes efforts; puisse-t-elle du moins avoir accepté mon expiation!

Cette Préface est une vraie page de mémoires, écrite, non après coup, à distance, mais au moment même de l'événement, et toute vibrante encore de l'émotion ressentie. Elle est de plus le millésime qui marque la vraie date de l'apparition de l'ouvrage de Chateaubriand. À ce double titre, elle n'aurait jamais dû perdre, et, à l'avenir, il est essentiel qu'elle reprenne sa place en tête du Génie du christianisme.

La première édition du Génie du christianisme fut tirée à quatre mille exemplaires. Dans une seule journée, le libraire Migneret vendait pour mille écus, et il parlait déjà d'une seconde édition. L'ouvrage, je l'ai dit, avait paru le 24 germinal. Le lendemain 25, Fontanes l'annonçait et le mettait, dès ce premier jour, à sa vraie place, dans un article publié dans le Mercure. L'heure, certes, était propice et solennelle. On était à trois jours du dimanche 28 germinal an X[444], le jour de Pâques de l'année 1802, la plus grande journée du siècle, plus glorieuse même que Marengo, plus éclatante encore qu'Austerlitz. Ce jour-là, à six heures du matin, une salve de cent coups de canon annonça au peuple, en même temps que la ratification du traité de paix entre la France et l'Angleterre, la promulgation du Concordat et le rétablissement de la religion catholique.

Quelques heures plus tard, suivi des premiers corps de l'État, entouré de ses généraux en grand uniforme, le premier Consul se rendait du palais des Tuileries à l'église métropolitaine de Notre-Dame, où le cardinal Caprara, légat du Saint-Siège, après avoir dit la messe, entonnait le Te Deum, exécuté par deux orchestres que conduisaient Méhul et Cherubini[445]. Ce même jour, le Moniteur empruntait au Mercure et reproduisait l'article de Fontanes sur le Génie du christianisme.

Ce n'est pas sans émotion qu'aujourd'hui encore, après un siècle bientôt écoulé, on lit dans le Journal des Débats du samedi 27 germinal an X: «Demain, le fameux bourdon de Notre-Dame retentira enfin, après dix ans de silence, pour annoncer la fête de Pâques.» Combien dut être profonde la joie de nos pères, lorsqu'au matin de ce 18 avril 1802, ils entendirent retentir dans les airs les joyeuses volées du bourdon de la vieille église! Dans les villes, dans les hameaux, d'un bout de la France à l'autre, les cloches répondirent à cet appel et firent entendre un immense, un inoubliable Alleluia! Le Génie au christianisme mêla sa voix à ces voix sublimes; comme elles, il rassembla les fidèles et les convoqua aux pieds des autels.(Retour à la table des matières.)

VII
CHATEAUBRIAND ET Mme DE CUSTINE[446].

Sur les relations de Chateaubriand et de Mme de Custine, nous n'avons pas moins de deux volumes publiés, le premier en 1888 par M. Agénor Bardoux, le second en 1893 par M. Chédieu de Robethon.

Déjà en 1885, M. Bardoux avait consacré un volume à la Comtesse Pauline de Beaumont; son livre sur Madame de Custine en était comme la suite. Certes, dans ces deux volumes, l'auteur a mis de l'esprit, de l'intérêt, de la délicatesse. On me permettra cependant de tenir pour fâcheuses de telles publications. Que Chateaubriand, puisqu'il appartient à l'histoire, relève de la chronique, je le veux bien; mais ces femmes qui ont vécu dans l'ombre, qui n'ont jamais joué aucun rôle, a-t-on le droit aujourd'hui de les mettre en scène, de venir, après un demi-siècle et plus, raconter leurs amours, vider leurs tiroirs et jeter en pâture à la malignité publique leurs lettres les plus intimes?

Quoiqu'il en soit, M. Bardoux a pris texte des relations de Mme de Custine et de Chateaubriand pour présenter sous un jour odieux le caractère du grand écrivain. Il a fait de Mme de Custine une victime misérablement trahie, lâchement abandonnée; il a fait de Chateaubriand un froid adorateur, sans scrupules, sans remords et sans pitié.

Il y avait peut-être quelque témérité, de la part de M. Bardoux, à mettre ainsi tous les torts à la charge de l'une des parties, alors que les pièces principales du procès lui faisaient défaut. De la correspondance échangée entre Chateaubriand et Mme de Custine, il ne possédait rien, en effet, si ce n'est une lettre et quelques billets à peu près insignifiants. Cette correspondance existait pourtant; elle était aux mains d'un heureux collectionneur, M. Chédieu de Robethon. Ce dernier n'avait pas moins de quarante lettres de Chateaubriand à Mme de Custine. Or, ces lettres, loin de s'accorder avec les sévérités dont l'illustre écrivain venait d'être l'objet, le disculpaient, au contraire, complètement. Ne devenait-il pas dès lors nécessaire de les publier? M. de Robethon l'a pensé avec d'autant plus de raison, qu'il ne pouvait être accusé de révéler au public les faiblesses de la vie de Mme de Custine: après le livre de M. Bardoux, il ne restait plus une indiscrétion à commettre.

À quelle époque Chateaubriand et Mme de Custine se sont-ils connus? comment est né ce long attachement qui a traversé tant de fortunes diverses et que la mort seule a brisé? D'après M. Bardoux, ils se seraient vus pour la première fois en 1803, dans le salon de Mme de Rosambo, alliée au frère aîné de Chateaubriand, qui avait été une des compagnes de Mme de Custine à la prison des Carmes[447]. M. de Robethon est d'avis que leur première rencontre remonte un peu plus haut, peut-être jusqu'à l'année 1801, et qu'elle a eu lieu dans des circonstances très différentes. Il croit, en effet, trouver un indice de leurs premières relations dans la page des Mémoires d'Outre-tombe où Chateaubriand raconte que, après l'apparition du Génie du christianisme, au milieu de l'enthousiasme des salons, il fut enseveli sous un amas de billets parfumés: «Si ces billets, continue-t-il, n'étaient aujourd'hui des billets de grand'mère, je serais embarrassé de raconter avec une modestie convenable, comment on se disputait un mot de ma main, comment on ramassait une enveloppe suscrite par moi, et comment, avec rougeur, on la cachait, en baissant la tête, sous le voile tombant d'une longue chevelure.» Ce dernier trait s'appliquait évidemment à une seule personne et à un fait particulier; c'est une émotion unique que le poète a ressentie à ce larcin, gage indiscret d'un naissant amour, qui se dérobait «sous le voile d'une longue chevelure». Cette longue chevelure, nous la retrouvons deux fois dans la page des Mémoires que je viens de rappeler. Chateaubriand semble en avoir fait pour Mme de Custine une sorte d'auréole, un charme distinctif qui n'appartient qu'à elle.

À l'appui de la conjecture, déjà très plausible, de M. de Robethon, il est permis aujourd'hui d'apporter une preuve directe et décisive. Parmi les lettres inédites de Chateaubriand à Fontanes, récemment publiées par M. l'abbé Pailhès, j'en trouve une, en date du 8 septembre 1802, qui commence ainsi:

Eh bien, mon cher enfant, les vers? Vous êtes un maudit homme. Pas un signe de vie de votre part...

Comment va Mme Fontanes, et l'enfant[448], et la sœur, et l'oncle? Que vous êtes heureux d'avoir tant de cœurs qui s'intéressent à vous?

La grande voyageuse[449], comment est-elle? Je ne sais si elle a reçu ma lettre.

À propos de lettres, il vient de m'arriver, par la poste, toute décachetée une lettre qui me fait peine si F... l'a vue. On se plaint de mes rigueurs et on m'offre des merveilles. Je ne sais comment faire pour empêcher les indiscrètes bontés de m'arriver par le grand chemin...

F... ne peut être que Fouché. C'est lui, en sa qualité de ministre de la police, et lui seul, qui a pu voir cette lettre, si même ce n'est pas lui qui l'a décachetée; car une lettre mise à la poste, une lettre contenant d'indiscrètes bontés, et de nature à intéresser Fouché, n'a pas pu n'être pas cachetée avec soin. Or, Fouché, à cette époque, et depuis plusieurs années déjà, était le protecteur actif, l'admirateur passionné, le grand ami de Mme de Custine. De là, l'ennui éprouvé par Chateaubriand, à la pensée que la lettre «décachetée» avait passé sous les yeux du ministre de la police.

Il est donc impossible de ne pas faire remonter à cette date de septembre 1802 le début des relations de Mme de Custine avec Chateaubriand.

Si la date de 1803, donnée par M. Bardoux, est inexacte, celle de 1801, mise en avant par M. de Robethon, est également erronée. Il dit en effet lui-même—et avec raison—que la première rencontre eut lieu peu après l'apparition du Génie du christianisme. Or, le Génie du christianisme a paru, non en 1801, mais le 14 avril 1802.

Après avoir reproduit une lettre du 1er août 1804, M. Bardoux ajoute: «Le Chateaubriand quinteux, personnel, méfiant, est tout entier dans cette lettre[450]» De quoi s'agit-il donc? M. Bardoux ne nous le dit pas, par cette excellente raison qu'il n'en sait rien lui-même. Prise isolément, la lettre qu'il avait sous les yeux n'était pas seulement obscure, elle était inintelligible. Mais alors pourquoi s'emparer de cette lettre, à laquelle on ne comprend rien, dont on ignore par conséquent le caractère et la portée, pour s'en faire une arme contre son auteur, pour en tirer des conclusions défavorables à son caractère?

Aujourd'hui, grâce à la publication de M. Chédieu de Robethon, nous savons exactement ce qui s'est passé.

Désintéressé, généreux, n'entendant rien aux affaires, Chateaubriand était parfois à court d'argent. Pendant son séjour à Rome, il avait épuisé ses dernières ressources au cours de la maladie de Mme de Beaumont; il ne pouvait pas, et pour rien au monde il n'aurait voulu, en un tel moment, lui exposer sa détresse, lui demander un crédit, et se faire rembourser en quelque sorte des soins qu'il lui avait prodigués. Il y avait là une question de délicatesse et d'honneur. C'est dans ces circonstances qu'il s'adressa à Mme de Custine. Celle-ci refusa. Elle n'avait vu qu'une rivale, là où elle ne devait voir qu'une infortunée et une mourante. Chateaubriand était rentré en France depuis quelques mois, lorsqu'il apprend que cet incident connu de lui seul et de Mme de Custine est tombé dans la bouche du public et que les détails en courent les salons. Atteint jusqu'au fond du cœur, il écrit à Mme de Custine la lettre qu'on va lire:

Lundi, 16 juillet 1804.

Je ne sais si vous ne finirez point par avoir raison, si tous vos noirs pressentiments ne s'accompliront point. Mais je sais que j'ai hésité à vous écrire n'ayant que des choses fort tristes à vous apprendre. Premièrement, les embarras de ma position augmentent tous les jours et je vois que je serai forcé tôt ou tard à me retirer hors de France ou en province; je vous épargne les détails. Mais cela ne serait rien si je n'avais à me plaindre de vous. Je ne m'expliquerai point non plus: mais quoique je ne croie point tout ce qu'on m'a dit, et surtout la manière dont on me l'a dit, il reste certain toutefois que vous avez parlé d'un service que je vous priais de me rendre lorsque j'étais à Rome, et que vous ne m'avez pas rendu. Ces choses-là tiennent à l'honneur, et je vous avoue qu'ayant déjà le tort du refus, je n'aurais jamais voulu penser que vous eussiez voulu prendre encore sur vous le plus grand tort de la révélation. Que voulez-vous? On est indiscret sans le vouloir, et souvent on fait un mal irréparable aux gens qu'on aime le plus.

Quant à moi, madame, je ne vous en demeure pas moins attaché. Vous m'avez comblé d'amitiés et de marques d'intérêt et d'estime; je parlerai éternellement de vous avec les sentiments, le respect, le dévouement que je professe pour vous. Vous avez voulu rendre service à mon ami[451] et vous le pouvez plus que moi puisque Fouché est ministre. Je connais votre générosité, et l'éloignement que vous pouvez ressentir pour moi ne retombera pas sur un malheureux injustement persécuté. Ainsi, madame, le ciel se joue de nos projets et de nos espérances. Bien fou qui croit aux sentiments qui paraissent les plus fermes et les plus durables. J'ai été tellement le jouet des hommes et des prétendus amis, que j'y renonce. Je ne me croirai pas, comme Rousseau, haï du genre humain, mais je ne me fierai plus à ce genre humain. J'ai trop de simplicité et d'ouverture de cœur pour n'être pas la dupe de quiconque voudra me tromper.

Cette lettre très inattendue vous fera sans doute de la peine. En voilà une autre sur ma table que je ne vous envoie pas et que je vous avais écrite il y a sept ou huit heures. J'ignorais alors ce que je viens d'apprendre, et le ton de cette lettre était bien différent du ton de celle-ci. Je vous répète que je ne crois pas un mot des détails honteux qu'on m'a communiqués, mais il reste un fait: on sait le service que je vous ai demandé et comment peut-on savoir ce qui était sous le sceau du secret dans une de mes lettres, si vous ne l'aviez pas dit vous-même?

Adieu.

Dans sa réponse, Mme de Custine essaya sans doute d'une diversion et rejeta probablement les torts sur une personne qu'elle craignait de se voir préférer et dont la perfidie aurait machiné cette dénonciation. La seconde lettre de Chateaubriand ne fut pas moins digne et moins noble que la première:

Il ne s'agit pas de comparaison, car je ne vous compare à personne, et je ne vous préfère personne. Mais vous vous trompez si vous croyez que je tiens ce que je vous ai dit de celle que vous soupçonnez. Si je le tenais d'elle, je pourrais croire que la chose n'est pas encore publique; or ce sont des gens qui vous sont étrangers qui m'ont averti des bruits qui couraient. Il me serait encore fort égal, et je ne m'en cacherais pas, qu'on dit que je vous ai demandé un service. Mais ce sont les circonstances qu'on ajoute à cela qui sont si odieuses que je ne voudrais pas même les écrire et que mon cœur se soulève en y pensant. Vous vous êtes fort trompée si vous avez cru que Madame... m'ait jamais rendu des services dans le genre de ceux dont il s'agit[452]; c'est moi, au contraire, qui ai eu le bonheur de lui en rendre. J'ai toujours cru, au reste, que vous avez eu tort de me refuser. Dans votre position, rien n'était plus aisé que de vous procurer le peu de chose que je vous demandais; j'ai vingt amis pauvres qui m'eussent obligé poste pour poste, si je ne vous avais donné la préférence. Si jamais vous avez besoin de mes faibles ressources, adressez-vous à moi et vous verrez si mon indigence me servira d'excuse.

Mais laissons tout cela, vous savez si jusqu'à présent j'avais gardé le silence, et si, bien que blessé au fond du cœur, je vous en avais laissé apercevoir la moindre chose, tant était loin de ma pensée tout ce qui aurait pu vous causer un moment de peine ou d'embarras. C'est la première et la dernière fois que je vous parlerai de ces choses-là. Je n'en dirai pas un mot à la personne, soit que cela vienne d'elle ou non. Le moyen de faire vivre une pareille affaire est d'y attacher de l'importance et de faire du bruit; cela mourra de soi-même comme tout meurt en ce monde. Les calomnies sont devenues pour moi des choses toutes simples; on m'y a si fort accoutumé que je trouverais presque étrange qu'il n'y en eût pas toujours quelques-unes de répandues sur mon compte.

C'est à vous maintenant à juger si cela doit nous éloigner l'un de l'autre. Pour blessé, je l'ai été profondément; mais mon attachement pour vous est à toute épreuve; il survivra même à l'absence, si nous ne devons plus nous revoir.

Je vous recommande mon ami[453].

Paris, 4 thermidor (juillet 23).

Mme de Custine, dans sa réponse, chercha, paraît-il, à expliquer le refus du service que Chateaubriand lui avait demandé. Elle laissa entendre qu'elle s'était sentie froissée à l'idée de subvenir aux dépenses nécessitées par la présence à Rome de Mme de Beaumont. C'est ici que se place la lettre de Chateaubriand, du 1er août 1804, citée par M. Bardoux, et dont voici le début:

Je vois qu'il est impossible que nous nous entendions jamais par lettre. Je ne me rappelle plus pour quel objet je vous avais demandé ce service; mais si c'est pour celui que vous faites entendre, jamais, je crois, preuve plus noble de l'idée que j'avais de votre caractère n'a été donnée; et c'est une grande pitié que vous ayez pu la prendre dans un sens si opposé; je m'étais trompé...

Cependant, malgré l'aigreur de ces premières lignes, Chateaubriand s'adoucit: il ne demande qu'à pardonner, à tout oublier, et la lettre se termine par un mot charmant: «Adieu, j'ai encore bien de la peine à vous dire quelque mots aimables, mais ce n'est pas faute d'envie.» Le post-scriptum renouvelle la demande de pressantes démarches auprès de Fouché en faveur de «l'ami malheureux et persécuté». Ainsi, même dans ces circonstances où il semblerait devoir être tout entier à sa légitime irritation et à sa vive douleur, pas un seul instant il n'oubliera son ami. N'en déplaise à M. Bardoux, il me semble bien que cet épisode est tout à l'honneur de Chateaubriand.

Nous ne sommes encore qu'en 1804. Mme de Custine ne mourra que vingt-deux ans plus tard. Jusqu'à la fin, la correspondance publiée par M. de Robethon le démontre, Chateaubriand resta son ami.

Pendant son ambassade à Londres, en 1822, le fils de Mme de Custine, Astolphe, vint en Angleterre: «Une fois à son poste, dit M. Bardoux, il (Chateaubriand) n'écrivait plus; et Astolphe alla passer quelques jours en Angleterre pour rapporter de ses nouvelles.» Cela encore n'est point exact. Il ne s'agissait point d'une simple course à Londres pour que le fils rapportât à sa mère des nouvelles de l'ambassadeur trop lent à écrire, mais d'un voyage en Angleterre et en Écosse, qui dura plus de deux mois, du 26 juillet au 30 septembre. Du 26 juillet au 8 septembre, époque à laquelle Chateaubriand quitta Londres pour se rendre au Congrès de Vérone, très nombreuses sont ses lettres à Mme de Custine, et toutes témoignent de sa sollicitude pour le fils de son amie.

De retour à Paris, Chateaubriand reprit ses relations assidues avec Mme de Custine, qui, comptant avec raison sur son dévouement et sur le crédit qu'elle-même possédait à la cour, entreprit alors de faire de son fils un pair de France, ou tout au moins, s'il n'était pas possible d'atteindre immédiatement à ce rang élevé, de lui créer des titres par de hautes fonctions diplomatiques. Chateaubriand approuva ces projets, et peut-être en fut-il l'inspirateur.

Quand il arriva au ministère avec M. de Villèle, au mois de décembre 1822, la confiance de Mme de Custine dans le succès de ses espérances s'en accrut encore. Renonçant pour Astolphe à cette sorte de stage dans la diplomatie qui, une première fois du reste, lui avait assez mal réussi elle sollicita directement la pairie avec l'ardeur fiévreuse et l'obstination qu'elle mettait à toutes choses. Elle ne laissera plus à Chateaubriand une heure de répit. Elle le poursuit, elle le harcèle, et comme la nomination ne vient pas, elle se répand en plaintes et en reproches. M. Bardoux les tient naturellement pour fondés. Il accuse Chateaubriand d'oublier «au milieu des enivrements du pouvoir» et son amie et le jeune Astolphe. «De toutes les amies, fort anxieuses de lui, dit-il, Mme de Custine était la plus négligée; les billets que Chateaubriand, ministre, lui envoie, sont bien écrits de sa main, mais il ne prend plus le temps de mettre l'adresse; c'est un secrétaire qui s'en charge[454].»—Chateaubriand est ministre des affaires étrangères; la France est en guerre avec l'Espagne; c'est sur lui que pèsent à ce moment les plus lourdes responsabilités; il lui faut faire face à l'opposition de M. Canning et aux attaques des libéraux; dans le sein même du cabinet, il a des luttes à soutenir; et s'il lui arrive de charger un secrétaire de mettre une adresse sur un billet, il sera démontré qu'il n'est qu'un égoïste et un lâcheur! Ici, du reste, comme tout à l'heure pour l'incident de 1804, M. Bardoux n'a pas eu de chance. On ne lui a communiqué que des billets, des billets de deux ou trois lignes et il en prend texte pour accuser Chateaubriand d'ingratitude. Mais à côté de ces billets un peu laconiques, il y en a d'autres qui sont charmants et il ne les a pas connus. Il y a aussi des lettres, de vraies lettres, et il ne les a pas connues davantage. Lettres et billets prouvent que Chateaubriand ne négligeait rien pour faire réussir la candidature d'Astolphe à la pairie. Un moment, il crut avoir partie gagnée, mais le succès espéré ne vint pas. Dans la lettre suivante, il rend compte à Mme de Custine de ce qui s'est passé:

Mercredi 24 décembre 1823.

J'avais de grandes espérances. Elles ont été trompées pour le moment. Le roi n'a voulu nommer, je crois, que des députés, des militaires et des hommes de sa maison et de celles des princes. Mais j'ai la promesse pour Astolphe pour une autre circonstance qui n'est pas très éloignée. Ne croyez pas que je vous oublie et que vous n'êtes dans ma vie au nombre de mes plus doux et de mes plus impérissables souvenirs.

Mille tendresses à tous.

Ch.[455]

La promesse faite ne fut pas tenue, mais ce ne fut ni la faute de Chateaubriand, ni celle du gouvernement de la Restauration. C'est à lui-même et à lui seul qu'Astolphe de Custine doit imputer d'avoir tout perdu. Son nom fut mêlé, à ce moment, à une aventure honteuse, au plus abominable des scandales. M. Chédieu de Robethon s'est vu dans la nécessité d'en parler, au moins sommairement. Il me serait impossible de reproduire ici son récit. À peine y puis-je faire allusion. Ce récit, d'ailleurs, n'étonnera aucun de ceux qui ont lu les pages consacrées par Philarète Chasles, dans ses Mémoires, au marquis de Custine.

À partir de ce déplorable événement, tout fut fini pour Mme de Custine. Sa vie était brisée; elle mourut le 25 juillet 1826, à l'âge de 56 ans.(Retour à la table des matières.)

VIII[456]
LA MORT DE LA HARPE.

Ce sera l'honneur de La Harpe d'avoir, lui le disciple de Voltaire d'avoir compris et salué, dès le premier jour, le génie de Chateaubriand.—d'avoir selon l'expression de Sainte-Beuve, «donné en mourant la main à Chateaubriand, à Fontanes, à tout ce jeune groupe littéraire en qui était alors l'avenir».

Bien avant l'apparition du Génie du christianisme, il avait commencé une Apologie de la religion chrétienne, que la mort ne lui a pas permis de finir, mais dont il reste de très beaux fragments. D'autres à sa place eussent vu avec ennui, avec dépit sans doute, l'entrée en scène du jeune rival dont l'œuvre allait rejeter la sienne dans l'ombre. La Harpe, au contraire, l'accueillit avec un sincère enthousiasme, avec une sorte de tendresse, non comme un rival, mais comme un fils. Il inscrivit son nom sur son testament, le priant «de se souvenir combien il lui était attaché». Chateaubriand ne fut pas ingrat. Il publia, dans le Mercure, au lendemain des funérailles de La Harpe, un article, où il disait:

... Les obsèques furent célébrées, le dimanche matin, à Notre-Dame. Il s'était retiré depuis quelques années dans le cloître de cette cathédrale, comme s'il avait voulu se réfugier, loin d'un monde peu charitable, à l'ombre de la maison du Dieu de miséricorde. Ceux qui ont vu les restes de cet auteur célèbre renfermés dans un chétif cercueil ont pu sentir le néant des grandeurs littéraires, comme de toutes les autres grandeurs; heureusement, c'est dans la mort que le chrétien triomphe, et sa gloire commence quand toutes les autres gloires finissent.

Le convoi est parti à une heure pour le cimetière de la barrière de Vaugirard. Nous avons sincèrement regretté de ne pas voir marcher à la tête du cortège cette croix qui nous afflige et nous console, et par laquelle un Dieu compatissant a voulu se rapprocher de nos misères. Lorsqu'on est arrivé au cimetière, on a déposé le cercueil au bord de la fosse, sur le petit morceau de terre qui devait bientôt le recouvrir. M. de Fontanes a prononcé alors un discours noble et simple sur l'ami qu'il venait de perdre. Il y avait dans l'organe de l'orateur attendri, dans les tourbillons de neige qui tombaient du ciel, et qui blanchissaient le drap mortuaire du cercueil, dans le vent qui soulevait ce drap mortuaire, comme pour laisser passer les paroles de l'amitié jusqu'à l'oreille de la mort; il y avait, disons-nous, dans ce concours de circonstances, quelque chose de touchant et de lugubre... Les restes de M. de La Harpe n'étaient pas encore recouverts de terre; nous pleurions encore autour de son cercueil, près de sa fosse ouverte; et dans le moment même où M. de Fontanes nous assurait que toutes les injustices allaient s'ensevelir dans cette tombe, que tout le monde partageait nos regrets, un journal insultait aux cendres d'un homme illustre; on l'accusait d'avoir déshonoré le commencement de sa carrière par ses neuf dernières années. Nous appliquerons aux auteurs de cet article les paroles de l'Écriture que M. de La Harpe a citées à la fin de son dernier morceau sur l'Encyclopédie, et qui sont aussi les dernières paroles que ce grand critique a fait entendre au public: Malheur à vous qui appelez mal ce qui est bien et bien ce qui est mal.

Trente-cinq ans plus tard, dans ses Mémoires, rendant à La Harpe un dernier hommage, Chateaubriand évoquait le souvenir de cette journée de deuil du 12 février 1803, et du discours de M. de Fontanes.

Voici ce discours:

Les lettres et la France regrettent aujourd'hui un poète, un orateur, un critique illustre. La Harpe avait à peine vingt-cinq ans, et son premier essai dramatique l'annonça comme le plus digne élève des grands maîtres de la scène française: l'héritage de leur gloire n'a point dégénéré dans ses mains, car il nous a transmis fidèlement leurs préceptes et leurs exemples. Il loua les grands hommes des plus beaux siècles de l'éloquence et de la poésie, et leur esprit, comme leur langage, se retrouve toujours dans les écrits d'un disciple qu'ils avaient formé. C'est en leur nom qu'il attaqua jusqu'au dernier moment les fausses doctrines littéraires; et, dans ce genre de combat, sa vie entière ne fut qu'un long dévouement au triomphe des vrais principes. Mais si ce dévouement courageux fit sa gloire, il n'a pas fait son bonheur. Je ne puis dissimuler que la franchise de son caractère et la rigueur impartiale de ses censures éloignèrent trop souvent de son nom et de ses travaux la bienveillance et même l'équité. Il n'arrachait que l'estime où tant d'autres auraient obtenu enthousiasme. Souvent les clameurs de ses ennemis parlèrent plus haut que le bruit de ses succès et de sa renommée. Mais à l'aspect de ce tombeau, tous les ennemis sont désarmés. Ici les haines finissent, et la vérité seule demeure. Les talents de La Harpe ne seront plus enfin contestés. Tous les amis des lettres, quelles que soient leurs opinions, partagent maintenant notre deuil et nos regrets. Les circonstances où la mort le frappe, rendent sa perte encore plus douloureuse. Il expire dans un âge où la pensée n'a rien perdu de sa vigueur, et lorsque son talent s'était agrandi dans un autre ordre d'idées qu'il devait au spectacle extraordinaire dont le monde est témoin depuis douze ans. Il laisse malheureusement imparfaits quelques ouvrages dont il attendait sa plus solide gloire, et qui seraient devenus ses premiers titres dans la postérité. Ses mains mourantes se sont détachées avec peine du dernier monument qu'il élevait. Ceux qui en connaissent quelques parties avouent que le talent poétique de l'auteur, grâce aux inspirations religieuses, n'eut jamais autant d'éclat, de force et d'originalité. On sait qu'il avait embrassé, avec toute l'énergie de son caractère, les opinions utiles et consolantes sur lesquelles repose le système social; elles ont enrichi, non seulement ses pensées et son style de beautés nouvelles, mais elles ont encore adouci les souffrances de ses derniers jours. Le Dieu qu'adoraient Fénelon et Racine a consolé, sur le lit de mort, leur éloquent panégyriste et l'héritier de leurs leçons. Les amis qui l'ont vu dans ce dernier moment où l'homme ne déguise plus rien, savent quelle était la vérité de ses sentiments; ils ont pu juger combien son cœur, en dépit de la calomnie, renfermait de droiture et de bonté. Déjà même les sentiments les plus doux étaient entrés dans ce cœur trop méconnu, et si souvent abreuvé d'amertumes. Les injustices se réparaient. Nous étions prêts à le revoir dans ce sanctuaire des lettres et du goût, dont il était le plus ferme soutien; lui-même se félicitait naguère encore de cette réunion si désirée; mais la mort a trompé nos vœux et les siens. Puissent au moins se conserver à jamais les traditions des grands modèles qu'il sut interpréter avec une raison si éloquente! Puissent-elles, mes chers confrères, en formant de bons écrivains, donner un nouvel éclat à cette Académie française qu'illustrèrent tant de noms fameux depuis cent cinquante ans, et que vient de rétablir un grand homme, si supérieur à celui qui l'a fondée!

Les ennemis de La Harpe (et Fontanes vient de nous dire combien ils étaient nombreux) affectaient de ne pas croire à la sincérité de sa conversion. Ils savaient bien, au fond, que cette sincérité ne pouvait être mise en doute. Elle est attestée par tous les actes, par tous les écrits de ses neuf dernières années. S'il était besoin d'une autre preuve, on la trouverait dans les termes mêmes de son testament:

Je lègue, y est-il dit, 200 francs aux pauvres de ma paroisse. Ma nièce n'ayant rien, et ce que je laisserai étant peu de chose, il ne m'est pas possible de faire davantage pour cette classe qui est si à plaindre. J'engage chaque Français à se rappeler que la religion fait un devoir sacré de soulager les indigents, et de faire tout ce qu'on peut pour adoucir le sort des infortunés: je remercie monsieur et madame de Talaru[457] des marques d'amitié qu'ils m'ont données; j'en conserverai le souvenir jusqu'au dernier moment. Je remercie également les respectables docteurs Malhouet et Portal, des soins qu'ils ont bien voulu me donner, avec un grand zèle, dans ma maladie. Je prie MM. de Fontanes, Chateaubriand, de Courtivron, de Chabannes, Récamier, de Herain, Liénard, Migneret et Agasse de se souvenir combien je leur étais attaché. Je nomme M. Boulard, notaire, mon ami depuis vingt ans, mon exécuteur testamentaire. Je supplie la divine Providence d'exaucer les vœux que je fais pour le bonheur de mon pays.—Puisse ma patrie jouir longtemps de la paix et de la tranquillité! Puissent les saintes maximes de l'Évangile être généralement suivies pour le bonheur de la société!

Dans un codicille joint à ce testament, La Harpe avait ajouté la déclaration suivante:

Ayant eu le bonheur de recevoir hier, pour la seconde fois, le saint viatique, je crois devoir faire encore une dernière déclaration des sentiments que j'ai publiquement manifestés depuis neuf ans et dans lesquels je persévère. Chrétien par la grâce de Dieu, et professant la religion catholique, apostolique et romaine, dans laquelle j'ai eu le bonheur de naître et d'être élevé, et dans laquelle je veux finir de vivre et mourir, je déclare que je crois fermement tout ce que croit et enseigne l'Église romaine, seule fondée par Jésus-Christ; que je condamne d'esprit et de cœur tout ce qu'elle condamne; que j'approuve de même tout ce qu'elle approuve; en conséquence, je rétracte tout ce que j'ai écrit et imprimé, ou qui a été imprimé sous mon nom, de contraire à la foi catholique ou aux bonnes mœurs: le désavouant, et, en tant que je puis, en condamnant et dissuadant la promulgation, la réimpression et représentation sur les théâtres. Je rétracte également et condamne toute proposition erronée qui aurait pu m'échapper dans ces différents écrits.—J'exhorte tous mes compatriotes à entretenir des sentiments de paix et de concorde; je demande pardon à ceux qui ont cru avoir à se plaindre de moi, comme je pardonne bien sincèrement à ceux dont j'ai eu à me plaindre.

Après de telles paroles, dites à l'heure suprême, qui pourrait encore suspecter la sincérité des sentiments religieux de La Harpe? Il en avait d'ailleurs donné une preuve non moins éclatante à l'époque de ce second mariage, sous le Directoire, dont parle Chateaubriand. L'épisode est des plus intéressants, et vaut, je crois, d'être rappelé.

La Harpe avait pour ami M. Récamier, le mari de la belle Juliette. L'optimisme de M. Récamier le poussait volontiers à se mêler de mariage: il y avait la main malheureuse, mais ses insuccès ne le décourageaient point. Il connaissait de vieille date une Mme de Hatte-Longuerue, veuve, sans fortune, chargée de deux enfants: un fils et une fille fort belle, âgée de vingt-trois ans. La demoiselle était difficile à établir, attendu la pauvreté de sa famille; M. Récamier eut l'idée de la faire épouser à La Harpe. Il avait trente-quatre ans de plus que la jeune fille, et celle-ci n'était pas sans ressentir quelque répugnance à l'accepter. Mais la mère cacha avec soin cette disposition à l'épouseur, et entraîna sa fille. Cette union, conclue le 9 août 1797, ne dura point et ne pouvait durer.

Au bout de trois semaines, Mlle de Longuerue déclarait que sa répugnance était invincible et demandait le divorce. La Harpe, vivement blessé dans son amour-propre et dans sa conscience, se conduisit en galant homme et en chrétien: il ne pouvait se prêter au divorce interdit par la loi religieuse, mais il le laissa s'accomplir, et il pardonna à la jeune fille l'éclat et le scandale de cette rupture. «J'ai toujours entendu dire à Mme Récamier, écrit Mme Lenormant dans ses Souvenirs (I, 57), que les procédés, le langage, les sentiments que fit entendre et voir M. de La Harpe dans cette pénible affaire avaient été pleins de modération, de droiture et de sincère humilité.» Il y avait d'autant plus de mérite, qu'il se voyait à ce moment doublement frappé, la demande en divorce de Mlle de Longuerue coïncidant avec le décret de proscription lancé contre lui par les auteurs du coup d'État du 18 fructidor (4 septembre 1797).

Le divorce civil une fois prononcé, Mlle de Longuerue entreprit de faire annuler son mariage devant l'autorité religieuse. Ici encore, l'attitude et la conduite de La Harpe furent de tous points irréprochables. On en pourra juger par la lettre suivante, qu'il écrivit à Mme Récamier, le 19 mai 1798, de l'asile où il se tenait alors caché, à Corbeil:

Tout considéré, Madame, je vous avouerai que je répugne extrêmement à des explications par écrit qui ne sauraient que m'être trop pénibles et qui ne sont bonnes à rien. Vous savez mieux que personne combien dans cette malheureuse affaire mes intentions étaient pures, quoique ma conduite n'ait pas été prudente.

Ma confiance a été aveugle et on en a indignement abusé. J'ai été trompé de toutes manières par celle à qui je ne voulais faire que du bien, et Dieu s'est servi d'elle pour me punir du mal que j'avais fait à d'autres. Que sa volonté soit faite, et qu'il daigne lui pardonner comme à moi, et comme je lui pardonne de tout mon cœur! Plus on a eu de torts envers moi et moins je veux me permettre les reproches, et c'est ce que toute explication entraînerait nécessairement. Le mal est fait, et il est de nature à ce que Dieu seul puisse le réparer, puisqu'il peut tout. Les moyens qu'on veut employer aujourd'hui, uniquement dictés par les intérêts humains, ne me paraissent pas faits pour réussir, quoi qu'il me soit permis, ce me semble, de le désirer, au moins pour la satisfaction personnelle d'une personne que la jeunesse expose plus que toute autre et qui doit toujours m'être chère à cause du lien qui nous unit devant Dieu.

Je vous supplie donc de lui dire, soit de vive voix, soit même en lui communiquant cette lettre, que la sienne ne contient rien qui ne m'ait paru fort honnête, et que si je n'y réponds pas directement, c'est par égard pour elle et pour moi; que je trouve tout naturel, humainement parlant, le désir qu'elle a de rompre légalement une union qui n'a eu que des suites fâcheuses, mais qui n'aurait jamais eu lieu, si elle eût eu avec moi autant de bonne foi que j'en avais avec elle; que je l'excuse bien volontiers, mais que je ne crois pas qu'aucune autorité ecclésiastique l'excuse d'avoir donné, à vingt-trois ans, un consentement parfaitement libre et dont elle devait savoir toutes les conséquences, à une union que son cœur n'approuvait pas; que sa mère est sans doute beaucoup plus condamnable qu'elle de l'avoir engagée à n'écouter que des vues d'intérêt qui n'étaient point dans son âme, et que la Providence a bientôt rendues illusoires pour notre punition commune et légitime; mais qu'en fait de sacrements, les lois de l'Église n'admettent pour excuse ni la dissimulation ni l'intérêt; que sa demande pourrait avoir lieu, si elle s'était éloignée de moi sur-le-champ, en réclamant contre une espèce de contrainte ou de tromperie quelconque, mais qu'ayant habité avec moi librement et publiquement, pendant trois semaines comme ma femme, elle ne sera pas probablement admise à donner comme moyen de nullité ce qu'elle a pu montrer de répugnance à remplir le vœu du mariage; moyen que tant de raisons péremptoires ne permettent de valider dans aucun tribunal, surtout dans un tribunal ecclésiastique, le seul qu'elle puisse invoquer, puisqu'elle est déjà divorcée dans les tribunaux civils, où elle ne peut prétendre davantage; qu'au reste je ne mettrai pas plus d'opposition aux démarches qu'elle peut faire pour annuler le mariage devant l'Église, que je n'en ai mis au divorce devant les juges civils; qu'il me suffit de rester étranger à l'un et à l'autre, parce que l'un et l'autre sont contraires à la loi de Dieu; que si j'étais dans le cas d'être appelé, ce que je ne crois pas, je dirais la vérité, et rien que la vérité, comme je la dois dans tous les cas.

Voilà ce que je puis dire en mon âme et conscience, et je désire qu'elle en soit satisfaite[458].

La mésaventure de La Harpe pouvait bien réjouir ses ennemis: ils avaient pour eux les rieurs. Sa conduite en toute cette affaire n'en fut pas moins celle d'un galant homme et d'un vrai chrétien.(Retour à la table des matières.)

IX
LES QUATRE CLAUSEL[459].

Jean-Claude Clausel de Coussergues, né à Coussergues (Aveyron), le 4 décembre 1759, était entré de bonne heure dans la magistrature et avait succédé à son père, le 26 octobre 1789, comme conseiller à la cour des aides de Montpellier. Il émigra, servit dans l'armée de Condé, rentra en France sous le Consulat et se fit libraire et journaliste. C'est alors qu'il connut Chateaubriand et que se noua entre eux une amitié que la mort seule devait rompre. Bien des choses d'ailleurs les rapprochaient. Émigrés tous les deux, ils avaient combattu sous le même drapeau. Leur exil avait eu même durée. Comme Chateaubriand, Clausel avait commencé par être philosophe, et l'un des tenants les plus fanatiques de Jean-Jacques; puis la Révolution lui avait ouvert les yeux, il avait pleuré, lui aussi, et il avait cru. On avait vu alors son ardeur philosophique se changer en une piété tendre. Il fut donc de ceux qui, par leurs articles, contribuèrent à l'immense succès du Génie du Christianisme. Mais il ne s'en tint pas à des articles de journaux. De Rome, le 20 décembre 1803, Chateaubriand écrivait à Gueneau de Mussy:

Je vous prie de veiller un peu à mes intérêts littéraires; songez que c'est la seule ressource qui va me rester. Migneret a bien vendu ses éditions, mais il a confié sa marchandise à des fripons, et j'ai éprouvé cinq banqueroutes. Engagez M. Clausel à commencer le plus tôt possible son édition chrétienne. Si j'en crois ce qu'il m'a mandé, elle se vendra bien, et cela me rendra encore quelque argent. Le monument de Mme de Beaumont me coûtera 9,000 francs. J'ai vendu tout ce que j'avais pour en payer une partie...

Les cinq volumes du Génie étaient trop gros et trop chers pour aller à tous les acheteurs; ils renfermaient, par endroits, de trop vives peintures, pour être mis dans toutes les mains. Une édition chrétienne, c'est-à-dire abrégée et corrigée, à l'usage de la jeunesse et des écoles, était demandée. Pour se livrer à un travail de ce genre et y réussir, il fallait, avec une grande délicatesse d'âme et de foi, le sincère dévouement d'un ami. Clausel remplissait à merveille ces conditions; aussi s'acquitta-t-il de sa tâche avec un plein succès. Son édition abrégée du Génie du Christianisme fut plusieurs fois réimprimée.

Clausel avait moins bien réussi dans ses propres entreprises de librairie; ses dernières ressources commençaient à s'épuiser. Il fut donc heureux d'être choisi par le Sénat, le 17 février 1807, comme député de l'Aveyron au Corps législatif, mandat qui lui fut renouvelé le 6 janvier 1813. Une indemnité de 10,000 francs était alors allouée à chaque député. En 1811, Cambacérès, son ancien collègue à la cour des aides de Montpellier, le fit nommer conseiller à la cour d'appel de cette ville. Comme il n'y avait pas d'incompatibilité entre ces fonctions et celles de membre du Corps législatif, il continua d'habiter Paris une partie de l'année, et alors il voyait chaque jour les Chateaubriand et les Joubert. Madame de Chateaubriand l'appelait, dès cette époque «notre meilleur ami». Il était pourtant à Montpellier au mois de juillet 1811, ce qui lui valait de recevoir cette charmante lettre de Mme de Chateaubriand, l'une des plus jolies qu'elle ait écrites:

Val-du-Loup, ce 27 juillet 1811.

Bien que l'air et le ton de *** me déplaisent également, il suffit, mon cher ami, que vous l'aimiez pour que j'aie un grand plaisir à faire quelque chose qui lui soit agréable. J'irai donc incessamment à la Marine solliciter un brevet de mort pour son neveu.

Je vous défie de nous écrire d'un pays plus chaud que le nôtre; voilà deux jours qu'on ne peut respirer. Il est vrai qu'il y en a trois qu'on se chauffait à grand feu: pour le chaud, c'est la saison; pour le froid, c'est la comète.—Vous ayez grand tort de comparer le lieu où nous vivons au paradis terrestre; si ce n'est qu'on y trouve aussi des serpents, et, si vous avez à Montpellier des procès à débrouiller et des chicanes à réprimer, nous avons ici des voleurs à pendre; en conséquence, M. de Chateaubriand vient d'être nommé juré, pour juger les pauvres gens qu'il renverra sur les grands chemins sains et saufs, s'il plaît à Dieu. Mais ce qui nous déplaît beaucoup à nous, c'est que nous voilà obligés d'aller à Paris, et il est si triste et si justement triste en ce moment que rien qu'à y penser on tourne à la mort. Pas une âme, ou sinon des âmes en peine; des rues désertes, des maisons vides et des arbres poudrés à blanc, voilà ce que nous allons trouver.

Il nous serait beaucoup plus agréable d'aller vous faire une petite visite dans votre cabinet exposé au nord et placé au milieu d'une belle campagne; mais on ne peut pas dire à présent, voyage qui voudra. Nous vous attendons donc ici; car vous y viendrez, et j'espère même que vous y resterez; et, comme alors vous serez questeur, nous aurons une voiture.

Joubert est dans l'admiration et dans l'attendrissement des lettres que vous lui écrivez, d'où je conclus que ce ne sont pas vos chefs-d'œuvre. Il est retombé dans sa manie universitaire; il n'a pas de plus grand bonheur que de pouvoir s'enfermer avec quelques inspecteurs, recteurs ou proviseurs, et de les pérorer tant et si longtemps qu'il est ensuite obligé de se coucher pendant huit jours et qu'il a le plaisir de se plaindre éternellement. M. de Bonald est ici depuis un mois, mais nous ne l'avons point vu, du moins moi. M. de Chateaubriand l'a rencontré l'autre jour, chez le restaurateur. On dit qu'il s'est livré aux petits littérateurs; il les a choisis pour ses amis et pour ses juges. Il a grand tort pour l'avenir, mais il a raison pour le présent. Il paraît qu'il veut des trompettes pour son nouvel ouvrage; il est vrai que celles d'aujourd'hui ne retentissent pas au loin, mais elles assourdissent ceux qui sont près.

Nous avons depuis huit jours un vent épouvantable, tantôt froid, tantôt chaud, c'est-à-dire aussi extraordinaire que la saison. Comme je ne suis point mélancolique et que j'ai passé l'âge où l'on aime à soupirer, je n'aime ni le vent ni la lune; je ne me plais qu'à la pluie pour mon gazon, et au soleil pour me réjouir. Mais voilà une des plus longues lettres que j'aie jamais écrites. Aussi je permets bien à votre distraction de penser à autre chose en la lisant. Souvenez-vous seulement toujours du tendre et sincère attachement que je vous ai voué.

J'ai le plus grand plaisir à recevoir de vos lettres, je les lis très bien; ainsi ne m'imputez point votre silence.

M. Clausel fit partie, en 1813, de l'opposition qui se manifesta au Corps législatif contre la politique impériale; il accueillit avec joie la Restauration et fut, en 1814, l'un des commissaires chargés de préparer la rédaction de la Charte. Nommé conseiller à la Cour de cassation le 15 février 1815, il était élu député, le 22 août de la même année, par le collège du département de l'Aveyron. Il fit partie des Chambres jusqu'en 1827. Le 14 février 1820, au lendemain de l'assassinat du duc de Berry, il se laissa égarer par l'excès de son indignation et de sa douleur au point de proposer à ses collègues «de porter un acte d'accusation contre M. Decazes, ministre de l'intérieur, comme complice de l'assassinat du prince». Il commit, ce jour-là, une grave faute; mais si sévèrement qu'on la doive juger, il n'en faut pas moins reconnaître en même temps que M. Clausel de Coussergues, orateur énergique, vigoureux, souvent passionné, parfois violent, était, au demeurant, le plus honnête et le meilleur des hommes. Selon le mot de Joubert, il était à la fois ardent et doux.

Pardonnez-moi donc, lui écrivait l'aimable moraliste, le 10 décembre 1809, aimez-nous et soyez toujours pour nous, comme pour le reste du monde, le doux et ardent Clausel[460].—Adieu, lui écrivait encore Joubert, le 20 septembre 1817, adieu, bonne âme, ange de paix, dont tant de tourbillons se jouent à rendre inutile la primitive destination. Nous aimerions mieux vous voir et vous savoir en repos qu'en mouvement, conformément à votre essence. Mais, en mouvement comme en repos, nous vous aimerons toujours également à cause de l'incorruptibilité de votre nature. Adieu, aimez-nous aussi et vivez longtemps[461].

En 1824, à l'occasion du sacre de Charles X, M. Clausel publia un très savant volume, que Chateaubriand appréciera plus tard en ces termes, dans la préface des Études historiques: «Sous ce titre modeste: Du sacre de nos rois, M. Clausel de Coussergues a écrit un livre qui restera; les amateurs de la clarté et des faits bien classés, sans prétention et sans verbiage, y trouveront à se satisfaire.»

Le 30 septembre 1830, ne voulant pas prêter serment au gouvernement de la révolution de Juillet, il donna sa démission de conseiller à la Cour de cassation. Il vivra désormais dans la retraite, quelquefois à Paris, le plus souvent à Coussergues, où jusqu'à la fin viendront le trouver les aimables et spirituelles lettres de Mme de Chateaubriand. La dernière est du 10 février 1844. M. Clausel a 85 ans; Mme de Chateaubriand en a 70, mais son esprit est toujours jeune. La lettre est très longue. En voici les dernières lignes:

...Nous sommes toujours dans notre rue du Bac, où nous resterons, parce qu'il nous faut un rez-de-chaussée pour M. de Chateaubriand et un jardin pour trois douzaines d'oiseaux qui chantent sous ma fenêtre dans une volière (comme on dit) modèle—où ils vivent heureux à l'abri des chats et de la politique.

Que vous avez été sage d'être allé, sans trop vous embarrasser du vide que vous laissez ici, vivre paisiblement dans vos montagnes où il ne pénètre de mauvais que les journaux,—que vous pouvez ne pas lire mais que vous lisez. C'est cependant une habitude dont on devrait se défaire quand on a promis de renoncer à Satan et à ses œuvres; mais je ne sache que moi qui n'aie point ce huitième péché mortel à me reprocher.

Vous savez que M. de Chateaubriand n'a pas été à Barèges, autrement il aurait été vous voir, malgré mes craintes de le savoir traversant vos montagnes, d'où l'on ne sort vivant que par miracle.

Adieu, mon cher ministre[462] sans portefeuille, voilà votre vieil ami qui prend la plume pour vous répéter ce que je vous dis en vous quittant, que nous vous aimons aujourd'hui comme nous vous aimions il y a quarante ans et plus.

La Vsse de Chateaubriand.

Et au-dessous de la signature de sa femme, de ses pauvres doigts tout noués par la goutte, qui pouvaient à peine retenir la plume et marquer les lettres, Chateaubriand écrivit ces deux lignes:

Vous ne voyez plus, mon cher ami, et moi, je ne puis plus écrire: ainsi tout finit, excepté notre fidèle et constante amitié.

Chateaubriand[463].

M. Clausel de Coussergues mourut le 7 juillet 1846. Deux ans après, presque jour pour jour, le 4 juillet 1848, son vieil ami le suivait dans la tombe. Mme de Chateaubriand était morte le 9 février 1847.

Les noms de Clausel et de Chateaubriand ne se sauraient séparer. Dans l'Appendice du Génie du Christianisme, on trouve une Note ainsi conçue:

M. de Cl..., obligé de fuir pendant la Terreur avec un de ses frères, entra dans l'armée de Condé; après y avoir servi honorablement jusqu'à la paix, il se résolut de quitter le monde. Il passa en Espagne, se retira dans un couvent de trappistes, y prit l'habit de l'ordre, et mourut peu de temps après avoir prononcé ses vœux: il avait écrit plusieurs lettres à sa famille et à ses amis pendant son voyage en Espagne et son noviciat chez les trappistes. Ce sont ces lettres que l'on donne ici. On n'a rien voulu y changer: on y verra une peinture fidèle de la vie de ces religieux. Dans ces feuilles écrites sans art, il règne souvent une grande élévation de sentiments, et toujours une naïveté d'autant plus précieuse, qu'elle appartient au génie français, et qu'elle se perd de plus en plus parmi nous. Le sujet de ces lettres se lie au souvenir de nos malheurs; elles représentent un jeune et brave Français chassé de sa famille par la Révolution et s'immolant dans la solitude, victime volontaire offerte à l'Éternel, pour racheter les maux et les impiétés de la patrie: ainsi saint Jérôme, au fond de sa grotte, tâchait en versant des torrents de larmes, et en élevant ses mains vers le ciel, de retarder la chute de l'empire romain. Cette correspondance offre donc une petite histoire complète, qui a son commencement, son milieu et sa fin. Je ne doute point que si on la publiait comme un simple roman, elle n'eût le plus grand succès...

M. de Cl... était le frère de Clausel de Coussergues. Il mourut, le 4 janvier 1802, au monastère de Sainte-Suzanne de N.-D.-de-la-Trappe, dans la province d'Aragon. Ses lettres, écrites de 1799 à 1801, justifient pleinement les éloges que leur accorde Chateaubriand. Mais le malheur est qu'elles se trouvent dans un Appendice,—et le lecteur (peut-être a-t-il tort?) lit encore moins les appendices que les préfaces.

Tout le monde avait du talent dans la famille des Clausel. Un autre frère de M. Clausel de Coussergues, l'abbé Clausel de Montals publia, dans les derniers mois de 1816, un livre dont le titre seul renferme une grande pensée: La Religion chrétienne prouvée par la Révolution française. Le Journal des Débats en rendit compte dans son numéro du 27 janvier 1817:

Je ne sais, disait l'auteur de l'article, si c'est la première fois que M. Clausel de Montals fait imprimer: son style annonce une grande habitude d'écrire et de rendre sa pensée plus forte en la resserrant. Frère de M. Clausel de Coussergues, membre de la Chambre des députés, et de M. Clausel, grand vicaire d'Amiens, résidant à Beauvais, qui prononça, devant l'assemblée électorale du département de l'Oise, un discours que tous les gens de goût conserveront, il n'a rien à envier à ses aînés...

L'abbé Clausel de Montals fut appelé à l'épiscopat en 1824. L'éclat avec lequel il a occupé pendant près de trente ans le siège de Chartres, l'énergie avec laquelle, étant déjà plus que septuagénaire, il a engagé le premier au mois de mars 1841, cette lutte en faveur de la liberté de l'enseignement, cette campagne des évêques d'où est sortie la loi du 25 mars 1850, les remarquables écrits qu'il a publiés pendant ces dix années et qui s'élèvent au chiffre de quarante, font de Mgr Clausel de Montals une des grandes figures de l'épiscopat au XIXe siècle.

Dans l'article du Journal des Débats, il est question de M. Clausel, grand vicaire d'Amiens. Membre du Conseil royal de l'instruction publique sous la Restauration, il a mérité que ses adversaires lui rendissent, dans la Biographie des Contemporains, ce témoignage: «M. l'abbé Clausel de Coussergues honore le royalisme ardent qu'on lui connaît par une loyauté et une noblesse de caractère dont il a donné plusieurs preuves publiques[464].» Il prit une part brillante aux polémiques soulevées, de 1817 à 1830, par les ouvrages de l'abbé de la Mennais, et mourut en 1835. «Peu d'hommes, dit la Biographie universelle[465], ont eu plus d'agrément dans l'esprit. Sa conversation étincelante, et pleine de saillies, avait un agrément tout particulier; mais ses saillies étaient tempérées par la droiture de ses jugements et par ses excellentes qualités.»

M. et Mme de Chateaubriand ne m'en auraient pas voulu, j'en suis sûr, de m'être un peu étendu sur les frères de leur meilleur ami.(Retour à la table des matières.)

X
LE CAHIER ROUGE[466]

M. Maxime du Camp écrivait, en 1882, dans ses Souvenirs littéraires:

Sainte-Beuve, dont une femme d'esprit disait: «Il ressemble à une vieille femme qui a oublié de mettre son tour»; Sainte-Beuve, dont l'âme ne péchait point par l'excès des qualités chevaleresques; Sainte-Beuve a jugé Chateaubriand avec une sévérité dont l'acrimonie n'est point absente. Lui, si bien informé d'habitude et amateur passionné de documents inédits, il n'a pas su que Mme de Chateaubriand écrivait, elle aussi, ses mémoires, qui se développaient parallèlement à ceux de son mari, les complétaient et dans bien des cas les éclairaient. Ces mémoires, écrits sur des cahiers reliés en maroquin rouge, je les ai lus[467].

La révélation de Maxime du Camp ne laissa pas de causer quelque surprise. On savait bien par Joubert que les lettres de Mme de Chateaubriand étaient pleines d'esprit, à ce point qu'il s'empressait souvent de les copier pour en faire jouir leurs amis communs. «Vraiment, écrit-il, sa femme (de Chateaubriand) entend mieux que lui les petites choses... Si le Publiciste lisait ses lettres, il les trouverait de bon goût et dignes de ses feuilletons. Je vais vous en transcrire quelque chose: cette plume vive et leste, mérite, je crois, de vous faire quelque plaisir.» Et après avoir cité un long passage, il ajoute: «Je n'ai pas sous les yeux la deuxième lettre à ma femme et qui est encore plus piquante[468].»—On avait lu cette page des Mémoires d'Outre-tombe: «Je ne sais s'il a jamais existé une intelligence plus fine que celle de ma femme: elle devine la pensée et la parole à naître, sur le front ou sur les lèvres de la personne avec qui elle cause: la tromper en rien est impossible. D'un esprit original et cultivé, écrivant de la manière la plus piquante, racontant à merveille[469]...» Par M. Danielo, qui fut pendant vingt ans le secrétaire de M. de Chateaubriand, on savait «qu'elle avait plus d'esprit que son mari», et que, plus que lui, elle était prompte pour la répartie[470]...

Avec son esprit mordant, avec sa verve railleuse et «sa plume vive et leste», Mme de Chateaubriand était donc assez bien armée pour écrire des mémoires. Mais, d'autre part, cette femme d'un homme de génie n'était, à aucun degré, une femme littéraire. Chez elle, pas la moindre trace de bas-bleuisme. Elle était «adverse aux lettres», selon le mot de son mari, qui ajoute: «Mme de Chateaubriand m'admire sans avoir jamais lu deux lignes de mes ouvrages[471].» Il advint même qu'elle vendit au rabais, petit à petit, au profit de ses pauvres, la bibliothèque de son mari, ce dont celui-ci, d'ailleurs, ne fût pas autrement fâché. Ses lectures se bornaient à quelques ouvrages de piété «où elle trouvait ses délices[472].» Sa grande affaire, c'était la charité, c'était la visite des pauvres ou l'Œuvre de la Sainte-Enfance, c'était surtout l'Infirmerie de Marie-Thérèse, fondée par elle et où elle passait presque toutes ses journées. En fait de livres, ce qui la préoccupait surtout, c'était de vendre beaucoup de livres... de chocolat. Elle en avait établi une fabrique dans son Infirmerie, et ses amis n'avaient pas le droit de se fournir ailleurs, quitte à eux, pour se consoler, à l'appeler la vicomtesse Chocolat, titre dont elle était aussi fière que de celui de vicomtesse de Chateaubriand. Ses succès comme marchande ne se comptaient pas; il lui arriva même un jour de faire un vrai miracle: elle vendit à Victor Hugo trois livres de chocolat, au prix fort! Il est vrai que Victor Hugo était jeune en ce temps-là[473].

Et maintenant, vous figurez-vous cette sainte femme, tout entière vouée aux œuvres de charité, dont elle ne veut pas se laisser distraire même par les ouvrages de son mari, vous la figurez-vous se mettant à sa table de travail et écrivant l'histoire de sa vie comme Mme George Sand? J'en suis fâché pour M. Maxime du Camp, mais il l'a calomniée, sans le vouloir, lorsqu'il l'a représentée «écrivant ses Mémoires».—Et pourtant le Cahier rouge existe. Dans quelles circonstances, comment et pourquoi il a été écrit, c'est ce qu'il nous faut dire.

En 1834, lorsqu'eurent lieu, à l'Abbaye-au-Bois, les premières lectures des Mémoires d'Outre-tombe, Chateaubriand avait terminé, d'une part, la première partie de ses récits, celle qui s'achève avec son émigration et se clôt par sa rentrée en France au printemps de 1800; il avait, d'autre part, retracé sa carrière politique, la seconde Restauration, la révolution de Juillet, les deux voyages à Prague, le voyage à Venise, ses relations avec la famille royale déchue. Il ne lui restait plus qu'à faire revivre les années qui vont de 1800 à 1815, d'Atala et du Génie du christianisme à la brochure de Bonaparte et les Bourbons et à la Monarchie selon la Charte.

Avant d'entreprendre cette dernière partie de sa tâche, et pour la rendre plus facile à la fois et plus sûre, Chateaubriand prie sa femme de jeter sur le papier les souvenirs qui lui sont restés de cette époque. Mme de Chateaubriand se met à l'œuvre; elle prend un grand cahier et commence d'écrire tout en haut de la première page, sans laisser le plus petit espace pour un titre général. À quoi bon un titre, pour des notes qui ne seront lues que par une seule personne? Elle entre en matière, sans autre préambule, par une simple date: 1804, et débute ainsi: «Lorsque M. de Chateaubriand revint de Rome au mois de février, nous prîmes un logement à l'Hôtel de France, rue de Beaune.» D'elle-même et de sa vie avant 1804, pas un mot, parce que ce n'est pas sa vie, ce ne sont pas ses mémoires qu'elle écrit. C'est en 1804 qu'a eu lieu, après une séparation de douze années, sa réunion avec son mari, c'est donc à partir de ce moment seulement que ses souvenirs pourront être utiles à ce dernier, et comme c'est pour lui seul qu'elle écrit, elle ne songe pas un instant à reprendre les choses de plus haut. De même, elle terminera ses notes avec la fin des Cent-Jours, parce qu'au delà de cette date elles ne serviraient de rien à M. de Chateaubriand. Ce qui achève de prouver que le Cahier rouge n'avait pas d'autre but que de fournir à l'illustre écrivain des notes et des points de repère, c'est qu'on n'y trouve rien, absolument rien, qui soit personnel à Mme de Chateaubriand. M. Maxime du Camp dit, il est vrai, dans ses Souvenirs, à la suite du passage que j'ai cité: «Plusieurs anecdotes, relatées dans ces mémoires avec une sincérité toute conjugale, expliquent l'ennui morbide qui a toujours pesé sur Chateaubriand; elles ont trait à des faits intimes, à des faits de famille que je ne crois pas avoir le droit de révéler.» Les souvenirs de M. Maxime du Camp l'ont ici mal servi. Les «faits intimes», les «anecdotes conjugales», brillent, dans le Cahier rouge, par leur absence,—toujours par le même motif. Les incidents de la vie de famille, les impressions personnelles de Mme de Chateaubriand ne pouvaient pas trouver place dans les Mémoires de son mari; elle n'avait pas dès lors à en parler,—et elle n'en a pas parlé.

M. l'abbé Pailhès a publié le Cahier rouge, en 1887, dans son livre sur Madame de Chateaubriand d'après ses mémoires et sa correspondance. Il nous a ainsi mis à même d'apprécier la façon dont en a usé Chateaubriand avec les notes écrites par sa femme à son intention et sur sa demande.

Lorsqu'on rapproche les deux textes, le Cahier rouge et les Mémoires d'Outre-tombe, ce qui frappe tout d'abord, c'est que Chateaubriand n'a pas romancé les souvenirs de sa femme. Il les a suivis pas à pas, mot à mot, sans y rien ajouter de son chef, sans rien inventer. On a là la preuve, pour la partie des Mémoires qui va de 1804 à 1815, qu'ils sont scrupuleusement, minutieusement exacts. Nous savons déjà qu'il en est de même pour la partie antérieure à 1804. Peut-être aurons-nous à constater plus tard qu'il n'en va pas autrement pour les années qui suivent 1815.

Chateaubriand, je viens de le dire, ne s'est jamais écarté, dans ses récits, des indications qui lui étaient fournies par les notes de sa femme. Il ne cesse de les suivre que lorsqu'il y rencontre sur quelques-uns de ses contemporains des jugements trop rigoureux. Charitable envers les pauvres, douce aux malheureux, Mme de Chateaubriand n'était pas toujours tendre pour les puissants du monde, surtout s'ils étaient soupçonnés de n'admirer pas suffisamment son mari. Sur le cardinal Fesch, en particulier, et sur le duc de Richelieu, elle a des passages extrêmement durs. Elle a de très jolies malices à l'endroit de Mme de Staël, de M. Beugnot ou de M. Pasquier. Chateaubriand reproduit ce qui précède et ce qui suit, il supprime les duretés et les malices. Dans un certain sens, au moins, il y avait quelque chose de vrai dans le mot que répétait souvent l'auteur du Cahier rouge: «M. de Chateaubriand est meilleur que moi.»(Retour à la table des matières.)

XI
LE CONSEILLER RÉAL ET L'ANECDOTE DU DUC DE ROVIGO[474]

Voici l'anecdote:

Après l'exécution du jugement, dit le duc de Rovigo, je repris le chemin de Paris. J'approchais de la barrière, lorsque je rencontrai M. Réal qui se rendait à Vincennes en costume de conseiller d'État. Je l'arrêtai pour lui demander où il allait: «À Vincennes, me répondit-il; j'ai reçu hier au soir l'ordre de m'y transporter pour interroger le duc d'Enghien.» Je lui racontai ce qui venait de se passer, et il me parut aussi étonné de ce que je lui disais que je le paraissais de ce qu'il m'avait dit. Je commençai à rêver. La rencontre du ministre des relations extérieures (Talleyrand) chez le général Murat me revint à l'esprit, je commençai à douter que la mort du duc d'Enghien fut l'ouvrage du premier Consul.

M. Thiers, qui plaide, lui aussi, non coupable, pour le premier Consul, s'est naturellement emparé de l'anecdote du duc de Rovigo, et il a échafaudé sur elle tout son système de défense.

Cependant, écrit-il, tout n'était pas irrévocable dans les ordres du premier Consul: il restait un moyen encore de sauver le prince infortuné. M. Réal devait se transporter à Vincennes pour l'interroger longuement et lui arracher ce qu'il savait sur le complot... M. Maret (secrétaire général et chef du cabinet du premier Consul) avait lui-même, dans la soirée, déposé chez le conseiller d'État Réal l'injonction écrite de se rendre à Vincennes pour voir le prisonnier. Si M. Réal voyait le prisonnier... se sentait touché par sa franchise... M. Réal pouvait communiquer ses impressions à celui qui tenait la vie du prince dans ses puissantes mains... M. Réal, exténué de fatigue par un travail de plusieurs jours et de plusieurs nuits, avait défendu à ses domestiques de l'éveiller. L'ordre du premier Consul ne lui fut remis qu'à cinq heures du matin...

Et M. Thiers ajoute:

C'était un accident, un pur accident qui avait ôté au prince infortuné la seule chance de sauver sa vie et au premier Consul une heureuse occasion de sauver une tache à sa gloire... On est à la merci d'un hasard, d'une légèreté! La vie des accusés, l'honneur des gouvernements dépendent quelquefois de la rencontre la plus fortuite!

Le hasard a bon dos; mais il ne faudrait pourtant pas trop charger ses épaules.

À qui fera-t-on croire que le conseiller d'État Réal, dans des circonstances comme celles où l'on se trouvait, avait intimé à ses domestiques une défense de l'éveiller, qui se serait appliquée même au premier Consul et au chef de son cabinet? Comment admettre que Maret, fort de l'autorité de son maître et dans une occasion où la gloire de ce dernier était en jeu, n'aurait pas forcé la consigne?

M. Thiers a dit lui-même, à propos des ordres signés par Bonaparte et remis à Savary: «Ces ordres étaient complets et positifs... Ils contenaient l'injonction... de se réunir immédiatement pour tout finir dans la nuit et si, comme on ne pouvait en douter, la condamnation était une condamnation à mort, de faire exécuter sur-le-champ le prisonnier.»—On est au soir (c'est encore M. Thiers qui nous le dit), encore quelques heures, et le prince sera fusillé. Bonaparte, cependant, est revenu à d'autres sentiments: il veut essayer d'un moyen de sauver le prince, et c'est à M. Réal qu'il va confier cette mission. Comme il n'y a pas une minute à perdre, Maret, son envoyé, verra donc Réal sur-le-champ, il le verra coûte que coûte, il ne sortira pas de son hôtel qu'il ne l'ait vu partir pour Vincennes au galop de ses chevaux!... Maret arrive à l'hôtel du conseiller d'État.—Monsieur est couché, disent les domestiques...—Et discrètement Maret se retire, non pourtant sans laisser un pli chez le concierge!!

La brochure du duc de Rovigo donna naissance, en 1823, à plusieurs autres écrits, dont l'un, intitulé: Extrait de Mémoires inédits sur la Révolution française, avait pour auteur Méhée de la Touche, ancien chef de division aux ministères des relations extérieures et de la guerre, qui avait joué, lui aussi, un rôle important dans l'affaire du duc d'Enghien.

Je déclare, écrivait Méhée, qu'il n'est pas vrai que M. de Rovigo ait rencontré, le jour de l'assassinat, en habit de conseiller d'État, M. Réal, qui avait, dit-il, ordre de Napoléon d'aller interroger le duc d'Enghien. Cette journée était assez remarquable pour être restée dans la mémoire de beaucoup de personnes qui sont, je n'en doute pas, à même d'attester le même fait. Je défierais M. Réal de nier qu'ayant reçu de lui, de la part du premier Consul, l'ordre de me rendre le matin dans son bureau, pour des affaires qui seront éclaircies dans une autre occasion, je n'aie été le prendre dans sa maison et qu'après avoir assisté à sa toilette où il n'y avait rien du costume de conseiller, nous nous soyons rendus ensemble dans ses bureaux, rue des Saints-Pères, où je passai plusieurs heures à écrire des détails que Napoléon lui avait ordonné de me demander. Je soutiendrai à quiconque voudrait donner le change à l'opinion, qu'à deux heures après-midi M. Réal n'était pas sorti et qu'il n'a pas pu avoir d'entretien avec M. de Rovigo sur la route de Vincennes, où il n'avait pas besoin d'aller pour savoir ce qui se passait et où il n'y avait plus d'interrogatoire à faire.

Méhée, sans doute, n'est point de ceux dont le témoignage s'impose; mais il faut bien croire que son démenti n'était point ici sans valeur, puisque le duc de Rovigo, en 1828, reproduisant, au tome II de ses Mémoires, sa brochure de 1823, a eu bien soin de supprimer tout ce qui avait trait à sa rencontre avec Réal sur la route de Vincennes. De la fameuse anecdote, il n'est plus dit un traître mot!

Dans ses Témoignages historiques, ou Quinze ans de haute police sous Napoléon (1833), Desmarest, le confident et le bras droit de Réal, a tout un chapitre sur l'Enlèvement et la Mort du duc d'Enghien. Il n'y est point parlé de la mission que Bonaparte aurait confiée à Réal, ni de la visite de Maret, ni de la rencontre sur la route de Vincennes. Et de tout cela non plus il n'est rien dit dans les Souvenirs mêmes de Réal, publiés en 1835 sous ce titre: Indiscrétions (1798-1830); Souvenirs anecdotiques et politiques tirés du portefeuille d'un fonctionnaire de l'Empire, mis en ordre par M. Desclozeaux (Paris, Dufey, 2 vol. in-8o).

Chateaubriand a donc eu raison de mettre en doute l'anecdote contée par le duc de Rovigo et de tenir pour «non recevable» l'argument qu'en ont voulu tirer les avocats de Bonaparte.(Retour à la table des matières.)

XII
LA COMTESSE DE NOAILLES[475]

Nathalie-Luce-Léontine-Joséphine de Laborde de Méréville, fille de M. de Laborde, banquier de la cour, avait épousé, en 1790, Arthur-Jean-Tristan-Charles-Languedoc, comte de Noailles, fils aîné du prince de Poix et petit-fils de cet héroïque duc de Mouchy qui, allant à la guillotine, le 27 juin 1794, à ceux qui lui criaient: «Courage, monsieur le maréchal!» répondait d'un ton ferme: «À quinze ans j'ai monté à l'assaut pour mon roi; à près de quatre-vingts je monterai à l'échafaud pour mon Dieu!»—À la mort de son beau-père (15 février 1819), Mme de Noailles devint duchesse de Mouchy. C'est elle que Chateaubriand a peinte, dans les Aventures du dernier Abencerage, sous le nom de Blanca, comme il s'est peint lui-même sous le nom d'Aben-Hamet:

Les mois s'écoulent, écrivait-il: tantôt errant parmi les ruines de Carthage, tantôt assis sur le tombeau de Saint-Louis, l'Abencerage exilé appelle le jour qui doit le ramener à Grenade. Ce jour se lève enfin: Aben-Hamet monte sur un vaisseau et fait tourner la proue vers Malaga. Avec quel transport, avec quelle joie mêlée de crainte il aperçoit les premiers promontoires de l'Espagne! Blanca l'attend-elle sur ces bords? Se souvient-elle encore d'un pauvre Arabe qui ne cessa de l'adorer sous le palmier du désert?

Sur cette rencontre à Grenade de Chateaubriand et de Mme de Noailles, M. Hyde de Neuville, alors proscrit de France et réfugié en Espagne, nous a donné, dans ses Mémoires, d'intéressants détails:

Mme de Noailles, depuis duchesse de Mouchy, dit-il, si justement nommée la belle Nathalie, voyageait depuis six mois en Espagne avec ses enfants et faisait d'assez longs séjours dans les villes qui pouvaient offrir de l'intérêt à sa curiosité artistique. Elle témoigna le désir de nous voir, et nous fûmes heureux de rencontrer une femme aussi aimable que bonne, qui connaissait tous nos amis de Paris, et qui, en nous parlant d'eux, réveillait nos plus chers souvenirs.

Mme de Noailles, dont l'éclat et la beauté avaient fait du bruit à son entrée dans le monde, n'avait plus cette première fraîcheur que je lui avais vue et qui n'appartient qu'à l'extrême jeunesse; mais elle avait conservé sa grâce, ses traits charmants et cette physionomie expressive et touchante qui ajoute tant à la beauté. Mme de Noailles était Mlle de Laborde; elle avait la distinction, l'instruction et tous les talents qui sont de tradition dans cette famille[476], et, ce qui vaut mieux encore, beaucoup de bonté. Je n'ai pas connu une âme plus noble et plus généreuse. C'est à elle que j'ai dû une amitié précieuse qui est devenue un des liens puissants de ma vie. Elle était très liée avec M. de Chateaubriand, alors en Terre-Sainte. Elle me parlait de lui sans cesse, et lorsque je le rencontrai peu de temps après, je crus le reconnaître sans jamais l'avoir vu.

Mme de Noailles avait passé deux mois à Grenade pour dessiner tous les monuments que les Maures y ont laissés. Elle parlait de l'Alhambra avec l'enthousiasme d'une artiste... Les Maures exaltaient tellement son imagination que nous fûmes sur le point de faire avec elle une course en Afrique, dont la traversée n'était que de quelques heures... C'est de ce grand enthousiasme pour ces mœurs dont Mme de Noailles était animée qu'est née la charmante nouvelle que Chateaubriand a appelée le Dernier Abencerage. Blanca y est bien l'image fidèle de l'aimable Nathalie, et dans la description de cette dame gracieuse et noble où il a peint la fille des Espagnes, j'ai cru souvent revoir l'amie commune qui nous avait charmés bien des fois en essayant les danses si attrayantes des pays que nous visitions ensemble. (Mémoires et Souvenirs du baron Hyde de Neuville, tome I, p. 444 et suiv.).

À quelques années de là, Mme de Noailles devenait folle. Le 20 septembre 1817, la duchesse de Duras écrivait à Mme Swetchine:

Je vous ai montré des lettres de ma pauvre amie...; vous avez admiré avec moi la supériorité de son esprit, l'élévation de ses sentiments, et cette délicatesse, cette fierté blessée, qui depuis longtemps empoisonnait sa vie, car il n'y a pas de situation plus cruelle, selon moi, que de valoir mieux que sa conduite: on se juge avec tant de sévérité et pourtant l'abaissement est si pénible! et quand on a réuni tout ce que la beauté, la grâce, l'esprit, l'élégance des manières peuvent inspirer d'admiration, qu'on a joui de cette admiration et qu'on sent qu'on vous la dispute, quelles affreuses réflexions ne doit-on pas faire! Et puis, il faut joindre à cela des sentiments blessés ou point compris, enfin ce malaise d'un cœur mal avec lui-même, et cependant trop haut pour exiger. Enfin, chère amie, tout l'ensemble de cette situation a produit ce que cela devait produire: sa tête s'est égarée, son imagination s'est frappée, et elle a perdu la raison. Sa folie n'est point violente, mais elle est déchirante. La terreur la saisit, elle croit qu'on va l'assassiner, que tout ce qu'elle prend est empoisonné, que nous allons tous périr tôt ou tard par l'effet d'une conspiration, mais qu'elle est particulièrement dévouée, que tous ses domestiques sont des demi-soldes déguisés[477]; enfin mille folies. Elle s'est confessée; elle croit toujours mourir la nuit qui va suivre; mais elle dit qu'elle est heureuse. Elle m'a chargée de la justifier après sa mort, de dire qu'elle ne méritait pas l'abandon où on l'avait laissée, enfin des choses où l'on retrouvait, à travers sa folie, les pensées que je savais trop lui être habituelles. Cela est déchirant. On voit, dans cet état où l'on ne déguise rien, combien son âme était douce et combien elle a dû souffrir... Vous sentirez tout cela. Je ne connais que M. de Chateaubriand et vous qui puissiez m'entendre sur ce sujet. Il sera bien affligé; je ne lui ai écrit qu'il y a trois jours, j'espérais que cet horrible état s'améliorerait, mais il n'a fait qu'empirer. Je ne puis penser qu'à cela. (Madame Swetchine, sa vie et ses œuvres, par le comte de Falloux, tome I, p. 184.)

TABLE DES MATIÈRES

PREMIÈRE PARTIE

LIVRE VII.

Je vais trouver ma mère. — À Saint-Malo. — Progrès de la Révolution. — Mon mariage. — Paris. — Anciennes et nouvelles connaissances. — L'abbé Barthélemy. — Saint-Ange. — Théâtre. — Changement et physionomie de Paris. — Club des Cordeliers. — Marat. — Danton. — Camille Desmoulins. — Fabre d'Églantine. — Opinion de M. de Malesherbes sur l'Émigration. — Je joue et je perds. — Aventure du fiacre. — Mme Roland. — Barère à l'Ermitage. — Seconde fédération du 14 juillet. — Préparatifs d'émigration. — J'émigre avec mon frère. — Aventure de Saint-Louis. — Nous passons la frontière. — Bruxelles. — Dîner chez le baron de Breteuil. — Rivarol. — Départ pour l'armée des princes. — Route. — Rencontre de l'armée prussienne — J'arrive à Trèves. — Armée des princes. — Amphithéâtre romain. — Atala. — Les chemises de Henri IV. — Vie de soldat. — Dernière représentation de l'ancienne France militaire. — Commencement du siège de Thionville. — Le chevalier de la Baronnais. — Continuation du siège. — Contraste. — Saints dans les bois. — Bataille de Bouvines. — Patrouille. — Rencontre imprévue. — Effets d'un boulet et d'une bombe. — Marché du camp. — Nuit aux faisceaux d'armes. — Chiens hollandais. — Souvenir des Martyrs. — Quelle était ma compagnie. — Aux avant-postes. — Eudore. — Ulysse. — Passage de la Moselle. — Combat. — Libba sourde et muette. — Attaque sous Thionville. — Levée du siège. — Entrée à Verdun. — Maladie prussienne. — Retraite. — Petite vérole. — Les Ardennes. — Fourgons du prince de Ligne. — Femmes de Namur. — Je retrouve mon frère à Bruxelles. — Nos derniers adieux. — Ostende. — Passage à Jersey. — On me met à terre à Guernesey. — La femme du pilote. — Jersey. — Mon oncle de Bedée et sa famille. — Description de l'île. — Le duc de Berry. — Parents et amis disparus. — Malheur de vieillir. — Je passe en Angleterre. — Dernière rencontre avec Gesril.

LIVRE VIII.

Literary Fund. — Grenier de Holborn. — Dépérissement de ma santé. — Visite aux médecins. — Émigrés à Londres. — Peltier. — Travaux littéraires. — Ma société avec Hingant. — Nos promenades. — Une nuit dans l'église de Westminster. — Détresse. — Secours imprévu. — Logement sur un cimetière. — Nouveaux camarades d'infortune. — Nos plaisirs. — Mon cousin de la Boüétardais. — Fête somptueuse. — Fin de mes quarante écus. — Nouvelle détresse. — Table d'hôte. — Évêques. — Dîner à London-Tavern. — Manuscrits de Camden. — Mes occupations dans la province. — Mort de mon frère. — Malheurs de ma famille. — Deux Frances. — Lettres de Hingant. — Charlotte. — Retour à Londres. — Rencontre extraordinaire. — Défaut de mon caractère. — L'Essai historique sur les révolutions. — Son effet. — Lettre de Lemierre, neveu du poète. — Fontanes. — Cléry.

LIVRE IX.

Mort de ma mère. — Retour à la religion. — Génie du Christianisme. — Lettre du chevalier de Panat. — Mon oncle M. de Bedée: sa fille aînée. — Littérature anglaise. — Dépérissement de l'ancienne école. — Historiens. — Poètes. — Publicistes. — Shakespeare. — Romans anciens. — Romans nouveaux. — Richardson. — Walter Scott. — Poésie nouvelle. — Beattie. — Lord Byron. — L'Angleterre de Richmond à Greenwich. — Course avec Peltier. — Blenheim. — Stowe. — Hampton-Court. — Oxford. — Collège d'Eton. — Mœurs privées. — Mœurs politiques. — Fox. — Pitt. — Burke. — George III. — Rentrée des émigrés en France. — Le ministre de Prusse me donne un faux passe-port sous le nom de La Sagne, habitant de Neuchâtel en Suisse. — Mort de lord Londonderry. — Fin de ma carrière de soldat et de voyageur. — Je débarque à Calais.

DEUXIÈME PARTIE

LIVRE PREMIER.

Séjour à Dieppe. — Deux sociétés. — Où en sont mes Mémoires. — Année 1800. — Vue de la France. — J'arrive à Paris. — Changement de la société. — Année de ma vie 1801. — Le Mercure. — Atala. — Année de ma vie 1801 — Mme de Beaumont, sa société. — Année de ma vie 1801. — Été à Savigny. — Année de ma vie 1802. — Talma. — Années de ma vie 1802 et 1803. — Génie du christianisme. — Chute annoncée. — Cause du succès final. — Génie du christianisme; suite. — Défauts de l'ouvrage.

LIVRE II.

Années de ma vie 1802 et 1803. — Châteaux. — Mme de Custine. — M. de Saint-Martin. — Mme d'Houdetot et Saint-Lambert. — Voyage dans le midi de la France, 1802. — Années de ma vie 1802 et 1803. — M. de la Harpe. — Sa mort. — Années de ma vie 1802 et 1803. — Entrevue avec Bonaparte. — Année de ma vie 1803. — Je suis nommé premier secrétaire d'ambassade à Rome. — Année de ma vie 1803. — Voyage de Paris aux Alpes de Savoie. — Du mont Cenis à Rome. — Milan et Rome. — Palais du cardinal Fesch. — Mes occupations. — Année de ma vie 1803. — Manuscrit de Mme de Beaumont. — Lettres de Mme de Caud. — Arrivée de Mme de Beaumont à Rome. — Lettres de ma sœur. — Lettre de Mme de Krüdener. — Mort de Mme de Beaumont. — Funérailles. — Année de ma vie 1803. — Lettres de M. Chênedollé, de M. de Fontanes, de M. Necker et de Mme de Staël. — Années de ma vie 1803 et 1804. — Première idée de mes Mémoires. — Je suis nommé ministre de France dans le Valais. — Départ de Rome. — Année de ma vie 1804. — République du Valais. — Visite au château des Tuileries. — Hôtel de Montmorin. — J'entends crier la mort du duc d'Enghien. — Je donne ma démission.

LIVRE III.

Mort du duc d'Enghien. — Année de ma vie 1804. — Le général Hulin. — Le duc de Rovigo. — M. de Talleyrand. — Part de chacun. — Bonaparte, son sophisme et ses remords. — Ce qu'il faut conclure de tout ce récit. — Inimitiés enfantées par la mort du duc d'Enghien. — Un article du Mercure. — Changement dans la vie de Bonaparte. — Abandon de Chantilly.

LIVRE IV.

Année de ma vie 1804. — Je viens demeurer rue Miromesnil. — Verneuil. — Alexis de Tocqueville. — Le Ménil. — Mézy. — Méréville. — Mme de Coislin. — Voyage à Vichy, en Auvergne et au mont Blanc. — Retour à Lyon. — Course à la Grande Chartreuse. — Mort de Mme de Caud. — Années de ma vie 1805 et 1806. — Je reviens à Paris. — Je pars pour le Levant. — Je m'embarque à Constantinople sur un bâtiment qui portait des pèlerins pour la Syrie. — De Tunis jusqu'à ma rentrée en France par l'Espagne. — Réflexions sur mon voyage. — Mort de Julien.

Table.

APPENDICE

Paris.(France).—Imp. Paul Dupont (Cl.)—

Note 1: Ce livre a été écrit à Londres d'avril à septembre 1822. Il a été revu en février 1845 et en décembre 1846.(Retour au texte principal.)

Note 2: Jean-Claude-Marin-Victor, marquis de Laqueuille, né à Châteaugay (Puy-de-Dôme) le 2 janvier 1742. Élu député de la noblesse de la sénéchaussée de Riom le 25 mars 1789, il se démit de son mandat le 6 mai 1790, émigra, rejoignit l'armée des princes et commanda, sous le comte d'Artois, le corps de la noblesse d'Auvergne. Il fut décrété d'accusation le 1er janvier 1792. Rentré en France sous le Consulat, il vécut dans la retraite jusqu'à sa mort, arrivée le 30 avril 1810.(Retour au texte principal.)

Note 3: Le 16 juillet 1791, à propos de la pétition pour la déchéance rédigée par Laclos, une scission se produisit dans la Société des Amis de la Constitution, séante aux Jacobins. Barnave, Dupont, les Lameth et tous les autres membres de la société qui faisaient partie de l'Assemblée constituante, à l'exception de Robespierre, Petion, Rœderer, Coroller, Buzot et Grégoire, abandonnèrent les Jacobins et fondèrent une société rivale, qui se réunit, elle aussi, rue Saint-Honoré, en face de la place de Louis-le-Grand (la place Vendôme), dans l'ancienne église des Feuillants. Les journaux jacobins crièrent haro sur ce club monarchico-aristocratico-constitutionnel; ils demandèrent que cette société turbulente et pestilentielle fût chassée de l'enceinte des Feuillants. Le 27 décembre 1791, l'Assemblée législative décréta qu'aucune société politique ne pourrait être établie dans l'enceinte des ci-devants Feuillants et Capucins. Voir au tome II du Journal d'un bourgeois de Paris pendant la Terreur par Edmond Biré, le chapitre sur la Société des Feuillants.(Retour au texte principal.)

Note 4: M. Buisson de la Vigne, ancien capitaine de vaisseau de la Compagnie des Indes. Il avait été anobli en 1776.(Retour au texte principal.)

Note 5: Alexis-Jacques Buisson de la Vigne, directeur de la Compagnie des Indes à Lorient, avait épousé dans cette ville, en 1770, Céleste Rapion de la Placelière, originaire de Saint-Malo.(Retour au texte principal.)

Note 6: Anne Buisson de la Vigne, née en 1772 et sœur aînée de Mme de Chateaubriand, avait épousé à Saint-Malo, le 29 mai 1789, Hervé-Louis-Joseph-Marie de Parscau, et non de Parseau, comme le portent toutes les éditions précédentes.—Voir, à l'Appendice, le no 1: Le comte du Plessix de Parscau.(Retour au texte principal.)

Note 7: Céleste Buisson de la Vigne, née à Lorient en 1774. C'est elle qui sera Mme de Chateaubriand.(Retour au texte principal.)

Note 8: Michel Bossinot de Vauvert, né le 21 décembre 1724 à Saint-Malo, où il mourut le 16 septembre 1809. Il avait été conseiller du roi et procureur à l'amirauté. Sa descendance est représentés aujourd'hui par la famille Poulain du Reposoir. Il était l'oncle à la mode de Bretagne de Mlle Céleste Buisson de la Vigne.(Retour au texte principal.)

Note 9: Voir l'Appendice no II: Le Mariage de Chateaubriand.(Retour au texte principal.)

Note 10: L'abbé Barthélemy (1716-1795), garde des médailles et antiques du cabinet du roi, membre de l'Académie française et de l'Académie des inscriptions, auteur du Voyage du jeune Anacharsis en Grèce vers le milieu du IVe siècle avant l'ère vulgaire. Il passa la plus grande partie de sa vie auprès du duc et de la duchesse de Choiseul dans leur terre de Chanteloup.(Retour au texte principal.)

Note 11: Ange-François Fariau, dit de Saint-Ange (1747-1810), membre de l'Académie française. Sa traduction en vers des Métamorphoses d'Ovide lui avait valu une assez grande réputation. Si le poète Saint-Ange n'avait guère d'esprit, il avait encore moins de modestie. Le très spirituel abbé de Féletz le laissait entendre, d'une façon bien piquante, dans le feuilleton où il rendait compte de la réception du poète à l'Académie: «C'est un grand écueil pour tout le monde, écrivait-il, de parler de soi, et il semblait que c'en était un plus grand encore pour M. de Saint-Ange. Tout le monde l'attendait là, et tout le monde a été surpris: il a bien attrapé les malins et les mauvais plaisants; il a parlé de lui fort peu et très modestement. J'ai cinq cents témoins de ce que j'avance ici; certainement, de toutes les Métamorphoses que nous devons à M. de Saint-Ange, ce n'est pas la moins étonnante.»(Retour au texte principal.)

Note 12: Jacques-Henri-Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814), auteur des Études sur la Nature et de Paul et Virginie. Le jugement que porte ici Chateaubriand sur le caractère de Bernardin de Saint-Pierre est en complet désaccord avec l'opinion reçue qui fait de ce dernier un bonhomme très doux et d'une bienveillance universelle, sans autre défaut que d'être trop sensible. Qui a raison de Chateaubriand ou de la légende? Il semble bien que ce soit l'auteur des Mémoires d'Outre-Tombe. Voici, en effet, ce que je lis dans l'excellente biographie de Bernardin de Saint-Pierre par Mme Arvède Barine: «Il était pensionné décoré, bien traité par l'empereur. Le monde parisien le choyait et l'adulait... Il serait parfaitement heureux s'il avait bon caractère. Mais il a mauvais caractère, plus que jamais. Il ne s'est jamais tant disputé...» Et plus loin: «Il n'est pas étonnant qu'il fût détesté de la plupart de ses confrères. Andrieux se souvenait de M. de Saint-Pierre comme d'un homme dur, méchant..... Ses ennemis lui rendaient les coups avec usure et, comme il était vindicatif, il mourut sans avoir fait la paix.»(Retour au texte principal.)

Note 13: Le 30 janvier 1791.(Retour au texte principal.)

Note 14: Sur le Réveil d'Épiménide et sur son auteur Carbon de Flins, voir, au tome I, la note de la page 219.(Retour au texte principal.)

Note 15: Elle s'appelait de son vrai nom Théroigne Terwagne. Elle était née, en 1762, non à Méricourt, mais à Marcourt, village situé sur l'Ourthe, à proximité de la petite ville de Laroche. De 1789 à 1792, des journées d'octobre au 10 août, elle s'est ruée à tous les excès, à tous les crimes. Aux journées d'octobre, c'est elle qui mène à Versailles les mégères qui demandent «les boyaux» de la reine; au 10 août, c'est elle qui égorge Suleau. Mlle Théroigne tenait, du reste, pour la Gironde contre la Montagne, pour Brissot contre Robespierre. Peu de jours avant le 31 mai, elle était aux Tuileries. Un peuple de femmes criait: «À bas les Brissotins!» Brissot passe. Il est hué, et des insultes on va passer aux coups. Théroigne s'élance pour le défendre. «Ah! tu es brissotine!—crient les femmes,—tu vas payer pour tous!» Et Théroigne est fouettée. On ne la revit plus. Elle était sortie folle des mains des flagelleuses. Un hôpital avait refermé ses portes sur elle. Sa raison était morte. De l'Hôtel-Dieu, elle fut transférée à la Salpêtrière, de la Salpêtrière aux Petites-Maisons, pour être ramenée à la Salpêtrière en 1807. La malheureuse survécut encore huit ans, «ravalée à la brute, ruminant des paroles sans suite: fortune, liberté, comité, révolution, décret, coquin, brûlée de feux, inondant de seaux d'eau la bauge de paille où elle gîtait, brisant la glace des hivers pour boire dans le ruisseau à plat ventre, paissant ses excréments!» Elle mourut à l'infirmerie générale de la Salpêtrière le 8 juin 1815. (Portraits intimes du XVIIIe siècle, par Edmond et Jules de Goncourt, 1878.)(Retour au texte principal.)

Note 16: Mme Roland avait demandé la tête de la reine dès les premiers jours de la Révolution. Le 26 juillet 1789, au lendemain des égorgements qui avaient accompagné et suivi la prise de la Bastille, elle écrivait de Lyon à son ami Bosc, le futur éditeur de ses Mémoires: «...Je vous ai écrit des choses plus rigoureuses que vous n'en avez faites; et cependant, si vous n'y prenez garde, vous n'aurez fait qu'une levée de boucliers... Vous vous occupez d'une municipalité, et vous laissez échapper des têtes qui vont conjurer de nouvelles horreurs. Vous n'êtes que des enfants: votre enthousiasme est un feu de paille; et si l'Assemblée nationale ne fait pas en règle le procès de deux têtes illustres ou que de généreux décius ne les abattent, vous êtes tous f...» (Correspondance de Mme Roland, publiée à la suite de ses Mémoires.)—Quand Louis XVI et Marie-Antoinette, le 25 juin 1791, sont ramenés de Varennes et rentrent aux Tuileries, humiliés, captifs, la joie déborde du cœur de Mme Roland: «Je ne sais plus me tenir chez moi, écrit-elle; je vais voir les braves gens de ma connaissance pour nous exciter aux grandes mesures.» «Il me semble, écrit-elle encore, qu'il faudrait mettre le mannequin royal en séquestre et faire le procès à sa femme.» Puis elle se ravise; elle veut qu'on fasse aussi le procès à Louis XVI: «Faire le procès à Louis XVI, dit-elle, serait sans contredit la plus grande, la plus juste des mesures; mais vous êtes incapables de la prendre.»(Retour au texte principal.)

Note 17: Le 17 juillet 1791.(Retour au texte principal.)

Note 18: Le décret déclarant les membres de l'Assemblée nationale inéligibles à la prochaine législature fut rendu le 16 mai 1791—et non le 17.(Retour au texte principal.)

Note 19: Le comte de Belsunce, major en second du régiment de Bourbon Infanterie. «À partir du 14 juillet, dit M. Taine, dans chaque ville, les magistrats se sentent à la merci d'une bande de sauvages, parfois d'une bande de cannibales. Ceux de Troyes viennent de torturer Huez (le maire de la ville) à la manière des Hurons; ceux de Caen ont fait pis: le major de Belsunce, non moins innocent et garanti par la foi jurée, a été dépecé comme Lapérouse aux îles Fidji, et une femme a mangé son cœur.» La Révolution, tome I, p. 89.(Retour au texte principal.)

Note 20: Jérôme Petion de Villeneuve (1756-1794), député aux États-Généraux et membre de la Convention. Le 17 novembre 1791, il fut élu maire, en remplacement de Bailly, par 6,708 voix, alors que le nombre des électeurs était de 80,000. Il avait pour concurrent La Fayette.(Retour au texte principal.)

Note 21: Avant 1789, Paris était partagé en vingt-et-un quartiers. Le règlement fait par le roi, le 23 avril 1789, pour la convocation des trois états de la ville de Paris, divisa cette ville en soixante arrondissements et districts, division qui subsista jusqu'à la loi du 27 juin 1790. À cette époque, l'Assemblée constituante substitua aux soixante districts quarante-huit sections.(Retour au texte principal.)

Note 22: Le 17 germinal an II (6 avril 1794), un citoyen se présenta à la barre de la Convention et offrit une somme qu'il destinait, dit-il, aux frais d'entretien et de réparation de la guillotine, (Moniteur du 7 avril 1794).(Retour au texte principal.)

Note 23: Le 23 mars 1792.(Retour au texte principal.)

Note 24: Maximin Isnard (1751-1825), député du Var à la Législative, à la Convention et au Conseil des Cinq-Cents. Il fut, dans les deux premières de ces Assemblées, l'un des plus éloquents orateurs du parti de la Gironde. «L'homme du parti girondin, a écrit Charles Nodier, qui possédait au plus haut degré le don de ces inspirations violentes qui éclatent comme la foudre en explosions soudaines et terribles, c'était Isnard, génie violent, orageux, incompressible.» À la Législative, il s'était signalé par la véhémence de son langage contre les prêtres, il avait dit du haut de la tribune: «Contre eux, il ne faut pas de preuves!» À la Convention, il avait voté la mort du roi; mais, avant même la chute de la République, sa conversion religieuse et politique était complète; il ne craignait pas de se dire hautement catholique et royaliste. On lit dans une publication intitulée Préservatif contre la Biographie nouvelle des contemporains, par le comte de Fortia-Piles (1822): «Isnard a frémi de sa conduite révolutionnaire; ses crimes se sont représentés à ses yeux; le plus irrémédiable de tous, celui du 21 janvier, ne pouvait être effacé par un repentir ordinaire. Qu'a-t-il fait? En pleine santé, jouissant de toutes ses facultés, il s'est rendu en plein midi (et plus d'une fois) le jour anniversaire du crime, au lieu où il a été consommé; là il s'est agenouillé sur les pierres inondées du sang du roi martyr; il s'est prosterné à la vue de tous les passants, a baisé la terre sanctifiée par le supplice du juste, a mouillé de ses larmes les pavés qui lui retraçaient encore l'image de son auguste victime; il a fait amende honorable et a imploré à haute voix le pardon de Dieu et des hommes.»(Retour au texte principal.)

Note 25: Armand Gensonné, député de la Gironde à la Législative et à La Convention, né à Bordeaux le 10 août 1758, exécuté à Paris le 31 octobre 1793.—Jean-Pierre Brissot de Warville, député de Paris à l'Assemblée législative et député d'Eure-et-Loir à la Convention, né à Chartres le 14 janvier 1754, guillotiné le 31 octobre 1793. La dénonciation de Gensonné et de Brissot contre le prétendu comité autrichien eut lieu dans la séance du 23 mai 1792.(Retour au texte principal.)

Note 26: Le décret ordonnant la dissolution de la garde constitutionnelle du roi fut voté le 29 mai 1792.(Retour au texte principal.)

Note 27: Elle fut brûlée en 1580. Ch.(Retour au texte principal.)

Note 28: Jean-Paul Marat, membre de la Convention, né à Boudry (Suisse) le 24 mai 1743, mort à Paris le 14 juillet 1793.(Retour au texte principal.)

Note 29: Pierre-Gaspard Chaumette, né à Nevers le 24 mai 1763, guillotiné le 13 avril 1794. Fils d'un cordonnier, il n'exerça jamais lui-même cette profession. Son père lui avait fait commencer ses études, qu'il abandonna bientôt pour s'embarquer. Il fut successivement mousse, timonier, copiste et clerc de procureur. Il se faisait gloire d'être athée et déclarait «qu'il n'y avait d'autre Dieu que le peuple».(Retour au texte principal.)

Note 30: Benoît-Camille Desmoulins (1760-1794), député de Paris à la Convention.—Méot, qui avait ses salons au Palais-Royal, était le meilleur restaurateur de Paris. L'abbé Delille l'a célébré au chant III de l'Homme des Champs:

Leur appétit insulte à tout l'art des Méots.

Ses succulents dîners faisaient venir l'eau à la bouche de Camille Desmoulins, qui s'écriait, dès les premiers temps de la Révolution: «Moi aussi, je veux célébrer la République... pourvu que les banquets se fassent chez Méot.» (Histoire politique et littéraire de la Presse en France, par Eugène Hatin, tome V, p. 308).(Retour au texte principal.)

Note 31: Joseph Fouché, duc d'Otrante (1754-1820), membre de la Convention, membre du Sénat conservateur, représentant et pair des Cent-Jours, député de 1815 à 1816, ministre de la police sous le Directoire, sous Napoléon et sous Louis XVIII. Après avoir été professeur à Juilly, il était principal du collège des Oratoriens à Nantes, lorsqu'il fut envoyé à la Convention par le département de la Loire-Inférieure.—Chateaubriand lui trouvait l'air d'une hyène habillée; tout au moins avait-il l'air d'une fouine. On lit dans le Mémorial de Norvius (tome III, p. 318): «J'avais vu souvent à Paris le duc d'Otrante, et en le revoyant à Rome (à la fin de 1813), je ne pus m'empêcher de rire, me rappelant qu'étant à dîner à Auteuil, chez Mme de Brienne, avec lui et la princesse de Vaudémont, celle-ci, en sortant de table, le mena devant une des glaces du salon et, lui prenant familièrement le menton, s'écria: Mon Dieu! mon petit Fouché, comme vous avez l'air d'une fouine!»(Retour au texte principal.)

Note 32: Le dimanche 28 juillet 1793, une fête, à laquelle assistait une députation de vingt-quatre membres de la Convention nationale, fut célébrée dans le Jardin du Luxembourg, en l'honneur de Marat. Un reposoir, richement décoré, était dressé à l'entrée de la grande allée, du côté des parterres. Le cœur de Marat y avait été déposé; il était enfermé dans une urne magnifique, provenant du Garde-Meuble. La Société des Cordeliers avait été autorisée à y choisir un des plus beaux vases, «pour que les restes du plus implacable ennemi des rois fussent renfermés dans des bijoux attachés à leur couronne.» (Nouvelles politiques nationales et étrangères, no 212, 31 juillet 1793.) Un orateur, monté sur une chaise, lut un discours, dont voici le début: «Ô cor Jésus! ô cor Marat! Cœur sacré de Jésus! cœur sacré de Marat, vous avez les mêmes droits à nos hommages!» Puis, comparant les travaux et les enseignements du Fils de Marie à ceux de l'Ami du peuple, l'orateur montra que les Cordeliers et les Jacobins étaient les apôtres du nouvel Évangile, que les Publicains revivaient dans les Boutiquiers et les Pharisiens dans les Aristocrates. «Jésus-Christ est un prophète, ajouta-t-il, et Marat est un Dieu!» Et il s'écriait en finissant: «Ce n'est pas tout; je puis dire ici que la compagne de Marat est parfaitement semblable à Marie: celle-ci a sauvé l'enfant Jésus en Égypte; l'autre a soustrait Marat au glaive de Lafayette, l'Hérode des temps nouveaux.» (Révolutions de Paris, no 211, du 20 juillet au 3 août 1793.)—Pour tous les détails de cette fête, voir, au tome III du Journal d'un bourgeois de Paris, par Edmond Biré, le chapitre intitulé: Cœur de Marat.(Retour au texte principal.)

Note 33: Jacques-Nicolas Billaud-Varenne, né à La Rochelle le 23 avril 1756. Député de Paris à la Convention nationale et membre du Comité de salut public, il ne cessa de pousser aux mesures les plus atroces. Condamné à la déportation le 1er avril 1795, il fut conduit à la Guyane et resta vingt ans à Sinnamari. En 1816, ayant réussi à s'enfuir, il se réfugia à Port-au-Prince, dans la République de Haïti, dont le président, Péthion, lui fit une pension, ne voulant pas se souvenir que Billaud avait été, en France, le plus ardent persécuteur de son homonyme, Petion de Villeneuve.—Billaud, lorsqu'il avait quitté l'Oratoire et le collège de Juilly, où il avait été professeur laïque, dispensé, à ce titre, de porter le costume de l'ordre, était venu se fixer à Paris, et s'était fait inscrire, en 1785, sur le tableau des avocats au Parlement, sous le nom de Billaud de Varenne. Varenne était un petit village des environs de La Rochelle dans lequel son père possédait une ferme. C'est donc à tort que tous les historiens, et Chateaubriand avec eux, orthographient son nom: Billaud-Varennes, comme s'il eût tiré cette addition à son nom de la ville où Louis XVI fut arrêté le 21 juin 1791.—À la veille de la Révolution, le futur membre du Comité de salut public ne négligea rien pour se glisser dans les rangs de la noblesse. Lors de son mariage, célébré dans l'église Saint-André-des-Arts le 12 septembre 1786, il signa bravement Billaud de Varenne. Bientôt même il ne tarda pas à faire disparaître, le plus qu'il le pouvait, le nom paternel, et à lui substituer dans ses relations mondaines le nom de M. de Varenne. Son historien, M. Alfred Bégis, a retrouvé un billet de lui, recopié par sa femme, qui ne savait pas assez l'orthographe, et ainsi conçu: «Mme de Varenne a l'honneur de saluer M. de Chaufontaine et de s'excuser de n'avoir pu faire ce qu'elle lui avait promis, etc.» Tout cela n'empêchera pas Billaud-Varenne de publier, en 1789, sans nom d'auteur, il est vrai, un ouvrage intitulé: Le dernier coup porté aux préjugés et à la superstition. (Voir Billaud-Varenne, membre du Comité de salut public, Mémoires et Correspondance, accompagnés de notices biographiques sur Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois, par M. Alfred Bégis, 1893.)(Retour au texte principal.)

Note 34: «Danton, importuné de la représentation malencontreuse (on venait de lui signaler les dangers que couraient les détenus), Danton s'écrie, avec sa voix beuglante et un geste approprié à l'expression: «Je me f... bien des prisonniers! qu'ils deviennent ce qu'il pourront!» Et il passe son chemin avec humeur. C'était dans le second antichambre, en présence de vingt personnes, qui frémirent d'entendre un si rude ministre de la justice.» (Mémoires de Mme Roland, éd. Faugère, t. I, p. 103).(Retour au texte principal.)

Note 35: C'est à M. Royer-Collard, alors secrétaire adjoint de la municipalité, que Danton adressa un jour ces paroles, comme ils sortaient ensemble de l'hôtel du Département. Danton était à ce moment substitut du procureur de la Commune. (Beaulieu, Essais sur les causes et les effets de la Révolution de France, t. III, p. 192).—Voir aussi Journal d'un bourgeois de Paris pendant la Terreur, par Edmond Biré, tome II, p. 89.(Retour au texte principal.)

Note 36: Philippe-François-Nazaire Fabre d'Églantine (1750-1794), comédien, poète comique et député de Paris à la Convention. Il fut guillotiné avec Danton et Camille Desmoulins, le 5 avril 1794.(Retour au texte principal.)

Note 37: Voir la Guillotine pendant la Révolution, par G. Lenotre, p. 306 et suiv. et au tome V du Journal d'un bourgeois de Paris pendant la Terreur, par Edmond Biré, les deux chapitres sur la Guillotine.(Retour au texte principal.)

Note 38: Chateaubriand fait ici à Camille Desmoulins un excès d'honneur qu'il n'a point mérité. L'ex-procureur général de la lanterne fonda le Vieux-Cordelier, non pour défendre les victimes de la Terreur, mais pour se défendre lui-même. Bien loin qu'il ose braver Robespierre, il le couvre à chaque page d'éloges outrés.—La mort de sa femme, la pauvre Lucile, fut admirable. Quant à lui, dans un temps où les femmes elles-mêmes affrontaient fièrement l'échafaud, il fit preuve «d'une insigne faiblesse». Vainement Hérault de Séchelles s'approcha de lui, dans la cour de la Conciergerie, et lui dit: «Montrons que nous savons mourir!» Camille Desmoulins n'était plus en état de l'entendre; il pleurait comme une femme, et, l'instant d'après, il écumait de rage. Quand les valets du bourreau voulurent le faire monter sur la charrette, il engagea avec eux une lutte terrible, et c'est à demi nu, les vêtements en lambeaux, la chemise déchirée jusqu'à la ceinture, qu'il fallut l'attacher sur un des bancs du tombereau. (Des Essarts, procès fameux jugés depuis la Révolution, t. I, p. 184.) Un témoin oculaire, Beffroy de Reigny (le Cousin Jacques) dépeint ainsi Camille allant à l'échafaud: «Je le vis traverser l'espace du Palais à la place de Sang, ayant un air effaré, parlant à ses voisins avec beaucoup d'agitation, et portant sur son visage le rire convulsif d'un homme qui n'a plus sa tête à lui.» (Dictionnaire néologique des hommes et des choses, ou Notice alphabétique des hommes de la Révolution, par le Cousin Jacques, Paris, an VIII, tome II, p. 480.)(Retour au texte principal.)

Note 39: Le Philinte de Molière, ou la suite du Misanthrope, comédie en cinq actes, en vers, représentée au Théâtre-Français le 22 février 1790, est la meilleure pièce de Fabre d'Églantine; c'est une de nos bonnes comédies de second ordre. Le plan est simple et bien conçu; l'action, sans être compliquée ne languit pas: toute l'intrigue se rapporte à une seule idée, très dramatique et très morale, qui consiste à punir l'égoïsme par lui-même. Malheureusement, les vers sont durs et souvent incorrects. Ce qui restera surtout de Fabre d'Églantine, c'est sa chanson: «Il pleut, il pleut, bergère.» Pourquoi faut-il que l'auteur de cette jolie romance ait sur les mains le sang de Louis XVI et le sang de Septembre?(Retour au texte principal.)

Note 40: Silas Deane, membre du premier Congrès américain, avait été, en 1776, envoyé à Paris par ses collègues, avec mission de rallier la Cour de France à la cause des insurgents. Ses négociations n'ayant pas donné les résultats que l'on en espérait, on lui adjoignit Franklin, qui fut plus heureux et parvint à signer, le 6 février 1778, avec le cabinet de Versailles, deux traités, l'un de commerce et de neutralité, l'autre d'alliance défensive.—Silas Deane mourut à Paris, en 1789, dans la plus profonde misère.(Retour au texte principal.)

Note 41: Dans l'Essai sur les Révolutions, sous ce titre: Un mot sur les émigrés. Chateaubriand a écrit de belles et fortes pages, où son talent s'annonce déjà tout entier. «Un bon étranger au coin de son feu, écrivait-il alors, dans un pays bien tranquille, sûr de se lever le matin comme il s'est couché le soir, en possession de sa fortune, la porte bien fermée, des amis au-dedans et la sûreté au-dehors, prononce, en buvant un verre de vin, que les émigrés Français ont tort, et qu'on ne doit jamais quitter son pays: et ce bon étranger raisonne conséquemment. Il est à son aise, personne ne le persécute, il peut se promener où il veut sans crainte d'être insulté, même assassiné, on n'incendie point sa demeure, on ne le chasse point comme une bête féroce, le tout parce qu'il s'appelle Jacques et non pas Pierre, et que son grand-père, qui mourut il y a quarante ans, avait le droit de s'asseoir dans tel banc d'une église, avec deux ou trois Arlequins en livrée, derrière lui. Certes, dis-je, cet étranger pense qu'on a tort de quitter son pays.

«C'est au malheur à juger du malheur...» Tout ce chapitre est à lire.—Essai sur les Révolutions, pages 428-434.(Retour au texte principal.)

Note 42: L'État militaire de la France pour 1787 indique, en effet, M. Achard comme sous-lieutenant au régiment de Navarre. Voir, au tome I des Mémoires la note de la page 185.(Retour au texte principal.)

Note 43: Joachim Murat, roi de Naples, né le 25 mars 1767 à la Bastide-Fortunières, près de Cahors, fusillé à Pizzo (Calabre) le 13 octobre 1815. Destiné d'abord à l'Église, mais entraîné par un goût irrésistible pour le métier des armes, il s'engagea, le 23 février 1787, dans les chasseurs des Ardennes. Sa chaleur de tête l'ayant entraîné, dit-on, dans une mauvaise affaire, il dut quitter bientôt le régiment, et en 1791 on le retrouve dans son pays en congé, soit provisoire, soit définitif. À ce moment, en même temps que son compatriote Bessières, le futur duc d'Istrie, il fut désigné par le directoire de son département comme l'un des trois sujets que le Lot devait fournir à la garde constitutionnelle du roi. Il entra dans cette garde le 8 février et en sortit le 4 mars 1792. Tenant à justifier son départ devant le directoire du Lot, il accusa son lieutenant-colonel, M. Descours, d'avoir tenté de l'embaucher pour l'armée des princes. Sa dénonciation, renvoyée au Comité de surveillance de la Législative, ne fut pas un des moindres griefs invoqués par Basire pour obtenir de l'Assemblée le licenciement de la garde du roi. (Frédéric Masson, Napoléon et sa famille, tome I, p. 308.)(Retour au texte principal.)

Note 44: Jean-Marie Roland de la Platière (1734-1793). Il fut deux fois ministre de l'intérieur, du 23 mars au 12 juin 1792, et du 10 août 1792 au 23 janvier 1793. Après le 31 mai, il avait dû se cacher d'abord chez son ami le naturaliste Bosc dans la vallée de Montmorency, puis à Rouen. Ayant appris dans sa retraite l'exécution de sa femme, il se rendit à Bourg-Baudouin, à quatre lieues de Rouen, et se perça le cœur à l'aide d'une canne-épée (15 novembre 1793).(Retour au texte principal.)

Note 45: Charles-François Dumouriez (1739-1823). Il fut ministre des relations extérieures, du 17 mars au 16 juin 1792, et ministre de la guerre du 17 juin au 24 juillet.(Retour au texte principal.)

Note 46: Marguerite-Louis-François Duport-Dutertre (1754-1793). Il fut ministre de l'intérieur du 21 novembre 1790 au 22 mars 1792. Emprisonné après le 10 août, il fut guillotiné le même jour que Barnave, le 28 novembre 1793. Sa femme se tua de désespoir, à coups de couteau, quelques jours après.(Retour au texte principal.)

Note 47: Marie-Jeanne Phlipon, dame Roland, née à Paris le 17 mars 1754, guillotinée le 8 novembre 1793. Tous les historiens ont raconté, comme Chateaubriand, qu'arrivée au pied de l'échafaud, elle avait demandé qu'il lui fût permis de jeter sur le papier les pensées extraordinaires qu'elle avait eues dans le trajet de la Conciergerie à la place de la Révolution; tous ont répété que, se tournant vers la statue de la liberté, dressée en face de la guillotine, elle s'était écriée: «Ô liberté, que de crimes commis en ton nom!» Aucun écrit ni témoignage contemporain ne parle de cette apostrophe à la liberté, ni de sa demande de consigner par écrit ses dernières pensées, non plus que de son colloque avec le bourreau pour obtenir d'être guillotinée la dernière, et pour épargner ainsi le spectacle de sa mort à son compagnon d'échafaud, le faible Lamarche. C'est seulement après la chute de Robespierre, à l'époque de la réaction thermidorienne, que Riouffe et les autres écrivains du parti de la Gironde ont mis dans la bouche de Mme Roland des paroles dont rien n'établit l'authenticité. Sainte-Beuve, précisément à l'occasion de la mort de Mme Roland, dit très bien, dans ses Nouveaux Lundis (tome VIII, p. 255): «La légende tend sans cesse à pousser dans ces émouvants récits, comme une herbe folle: il faut, à tout moment, l'en arracher.»(Retour au texte principal.)

Note 48: Louise-Florence-Pétronille Tardieu d'Esclavelles, femme de Denis-Joseph La Live d'Épinay, fermier général (1725-1783). Liée d'amitié avec Jean-Jacques Rousseau, elle fit construire pour lui, près de son parc de la Chevrette, dans la forêt de Montmorency, l'habitation restée célèbre sous le nom de l'Ermitage. Ses Mémoires, parus en 1818, sont parmi les plus curieux que nous ait laissés le XVIIIe siècle.(Retour au texte principal.)

Note 49: Bernard-Hugues Maret, duc de Bassano (1763-1839). Il était avocat au Parlement de Bourgogne, quand il vint en 1788 à Paris, pour acheter une charge au conseil du roi. Les événements modifièrent sa résolution. Au mois de septembre 1789, il fonda le Bulletin de l'Assemblée nationale, destiné à donner chaque jour un résume des séances. Panckoucke, peu après, lui proposa d'exécuter ce travail, plus étendu et plus complet, pour le Moniteur; ce fut l'origine du Journal officiel. Après le 18 brumaire, il devint secrétaire général des consuls. Sous l'Empire, il fut ministre des affaires étrangères du 17 avril 1811 au 19 novembre 1813. Pair de France sous Louis-Philippe, il fut en 1834 ministre et président du conseil pendant trois jours. Napoléon l'avait créé duc de Bassano le 15 août 1809. Talleyrand, précisément cette année-là, disait du nouveau duc: «Je ne connais pas de plus grande bête au monde que M. Maret, si ce n'est le duc de Bassano.»(Retour au texte principal.)

Note 50: Bertrand Barère de Vieuzac (1755-1841), député à la Constituante, membre de la Convention, député au Conseil des Cinq-Cents, représentant à la Chambre des Cent-Jours. Toutes nos révolutions pendant un demi-siècle, le 10 août et le 31 mai, le 9 thermidor et le 18 brumaire, 1814, 1815 et 1830, ont fourni à Barère des occasions d'apostasies successives. Après avoir été, sous la Terreur, un des pourvoyeurs de l'échafaud, sous Bonaparte il s'est fait, moyennant salaire, mouchard et délateur. Ce misérable homme, après avoir été un valet de guillotine, a été un valet de police.(Retour au texte principal.)

Note 51: Tivoli appartenait bien à M. Boutin, trésorier de la marine, mais ce n'était point à la fille de cet opulent financier que s'était marié M. de Malesherbes. Il avait épousé, par contrat du 4 février 1749, Françoise-Thérèse Grimod, fille de Gaspard Grimod, seigneur de la Reynière, fermier général, et de Marie-Madeleine Mazade, sa seconde femme. Mme de Malesherbes fut la tante de Alexandre-Balthazar-Laurent Grimod de la Reynière, l'auteur de l'Almanach des Gourmands, à qui son père, lui-même gourmand fameux, n'avait pas donné pour rien le prénom de Balthazar.(Retour au texte principal.)

Note 52: Le jardin que Boutin avait créé dans le milieu de la rue de Clichy, en plein quartier de finance, et auquel on avait donné le nom de Tivoli, était le plus merveilleux que l'on eût encore vu: «Nous sommes allés avant déjeuner, dit la baronne d'Oberkirch dans ses Mémoires, visiter le jardin de M. Boutin, que le populaire a qualifié de Folie-Boutin et qui est bien une folie. Il y a dépensé, ou plutôt enfoui plusieurs millions. C'est un lieu de plaisirs ravissants, les surprises s'y trouvent à chaque pas; les grottes, les bosquets, les statues, un charmant pavillon meublé avec un luxe de prince. Il faut être roi ou financier pour se créer des fantaisies semblables. Nous y prîmes d'excellent lait et des fruits dans de la vaisselle d'or.» Boutin était riche: il fut guillotiné le 22 juillet 1794. Ses biens furent confisqués. Son parc de la rue de Clichy fut détruit de fond en comble, les ombrages anéantis, les pelouses retournées. On épargna uniquement une faible partie de la propriété, dont on fit une promenade à la mode sous son appellation de Tivoli, promenade où se donnèrent maintes fêtes et qui, par son nom, éveille encore tant de souvenirs dans nos esprits, mais dont aujourd'hui il ne reste plus que ce qu'en ont dit les livres et les journaux du temps. (La Vie privée des Financiers au XVIIIe siècle, par H. Thirion, p. 276.)(Retour au texte principal.)

Note 53: Louis-Auguste Le Tonnelier, baron de Breteuil (1733-1867). Après avoir été, de 1760 à 1783, ambassadeur en Russie et en Suède, à Naples et à Vienne, il fut, à sa rentrée en France, nommé ministre d'État et de la maison du roi, avec le gouvernement de Paris. Démissionnaire en 1788, il n'en conserva pas moins la confiance du roi et de la reine. Au moment du renvoi de Necker, il fut mis, comme «chef du conseil général des finances» à la tête du ministère éphémère du 12 juillet 1789, dit «ministère des Cent-Heures». Il ne tarda pas à émigrer, séjourna successivement à Soleure, à Bruxelles et à Hambourg, rentra en France sous le Consulat et mourut à Paris le 2 novembre 1807.(Retour au texte principal.)

Note 54: Antoine de Rivarol (1753-1801). Ironiste étincelant dans les Actes des Apôtres, il a donné en 1789, au Journal Politique-National de l'abbé Sabatier des articles, on plutôt des Tableaux d'histoire, qui lui ont valu d'être appelé par Burke «le Tacite de la Révolution». Il émigra le 10 juin 1792, un mois avant Chateaubriand, et résida d'abord à Bruxelles. C'est là qu'il publia une Lettre au duc de Brunswick, une Lettre à la noblesse française et la Vie politique et privée du général La Fayette, dont il rappelait ironiquement le sommeil au 6 octobre, en lui donnant le nom de «général Morphée».—Chateaubriand a peut-être un peu arrangé les choses en se donnant à lui-même le dernier mot, dans le récit de son échange de paroles avec Rivarol. Il n'était pas si facile que cela de toucher celui qui avait si bien mérité et qui justifiait en toute rencontre son surnom de Saint-Georges de l'épigramme.(Retour au texte principal.)

Note 55: Le baron de Montboissier, gendre de Malesherbes, était l'oncle par alliance du frère de Chateaubriand.—Sur le baron de Montboissier, voir au tome I des Mémoires, la note 1 de la page 232.(Retour au texte principal.)

Note 56: Caligula était fils d'Agrippine, laquelle avait agrandi Cologne: d'où le nom romain de la ville: Colonia agrippina.—Saint Bruno, fondateur de l'ordre des Chartreux, était né à Cologne vers 1030. Après avoir été revêtu de plusieurs dignités ecclésiastiques et avoir refusé l'archevêché de Reims (1080), il se retira avec six de ses compagnons dans un désert voisin de Grenoble, aujourd'hui appelé la Chartreuse (1084), et y fonda un monastère.(Retour au texte principal.)

Note 57: Frédéric-Guillaume II, neveu du grand Frédéric, auquel il avait succédé en 1786. Il mourut en 1797.(Retour au texte principal.)

Note 58: Charles-Guillaume-Ferdinand, duc de Brunswick-Lunebourg (1735-1806), général au service de la Prusse. Il commandait en chef les armées coalisées contre la France en 1792. Ayant repris un commandement en 1805, il fut battu à Iéna et mortellement blessé d'un coup de feu près d'Auerstædt (14 octobre 1806).(Retour au texte principal.)

Note 59: Sur le marquis de Mortemart et sur La Martinière, voir, au tome I des Mémoires, les notes 3 de la page 185 et 1 de la page 186.(Retour au texte principal.)

Note 60: Au siècle précédent, on écrivait indifféremment Goyon ou Gouyon; mais ici le vrai nom est Gouyon, celui de Goyon appartenant à une famille d'une autre origine, les Goyon de l'Abbaye et des Harlières, dont faisait partie le général comte de Goyon, qui a commandé de 1856 à 1862 le corps d'occupation à Rome.—La 7e compagnie bretonne, dans laquelle s'était engagé Chateaubriand, avait pour chef Pierre-Louis-Alexandre de Gouyon de Miniac, né à Plancoët vers 1754, décédé à Rennes le 26 juin 1818.(Retour au texte principal.)

Note 61: Ô Richard! ô mon roi! et Pauvre Jacques! étaient deux romances différentes. La première avait été popularisée par l'opéra-comique de Sedaine et de Grétry, Richard-Cœur-de-Lion; les paroles et la musique de la seconde étaient de madame la marquise de Travanet, née de Bombelles, dame de madame Élisabeth. En voici le premier couplet:

Pauvre Jacques, quand j'étais près de toi,
Je ne sentais pas ma misère:
Mais à présent que tu vis loin de moi,
Je manque de tout sur la terre.(Retour au texte principal.)

Note 62: Jean-Baptiste-René de Guehenneue, comte de Boishue, marié à Sylvie-Gabrielle de Bruc. Son fils fut tué à Rennes le 27 janvier 1789.—Voir, au tome I des Mémoires, la note de la page 265.(Retour au texte principal.)

Note 63: Lucius Carey, vicomte de Falkland (1610-1643), membre du Parlement et secrétaire d'État de Charles Ier. Après s'être d'abord prononcé en faveur de la rébellion, il épousa chaudement la cause royale; il fut tué à la bataille de Newbury.(Retour au texte principal.)

Note 64: Chrétien-Auguste, prince de Waldeck (1744-1798). Il perdit un bras au siège de Thionville.(Retour au texte principal.)

Note 65: Louis-Félix, baron de Wimpfen (1744-1814) était maréchal de camp lorsqu'il fut élu député aux États-Généraux par la noblesse du bailliage de Caen. Nommé commandant de Thionville, lors de l'entrée des Prussiens en France, il défendit intrépidement cette place pendant cinquante-cinq jours, jusqu'au moment où il fut dégagé par la victoire de Valmy. Après la révolution du 31 mai, il mit, quoique royaliste, son épée au service des députés girondins réfugiés à Caen; mais les beaux parleurs de la Gironde, après une bataille pour rire qui reçut le nom de bataille sans larmes, se refusèrent à pousser plus loin l'aventure. Wimpfen réussit à se cacher pendant le règne de la Terreur. Le gouvernement consulaire lui rendit son grade de général de division, et l'Empereur le nomma inspecteur des haras. Il fut créé baron en 1809. Le général de Wimpfen a laissé des Mémoires.(Retour au texte principal.)

Note 66: Manassès de Pas, marquis de Feuquières (1590-1639), lieutenant général sous Louis XIII. Il contribua puissamment à la prise de La Rochelle, et chargé, en 1633, d'une mission diplomatique, il réussit à resserrer l'alliance entre la France, la Suède et les princes protestants de l'Allemagne. Ayant mis, en 1639, le siège devant Thionville, il y fut blessé et pris, et mourut quelques mois après de ses blessures.(Retour au texte principal.)

Note 67: Le chevalier de la Baronnais était l'un des nombreux fils de François-Pierre Collas, seigneur de la Baronnais, et de Renée de Kergu, mariés à Ruca, en 1750, et établis, vers 1757, dans la paroisse de Saint-Enogat. Ils avaient déjà cinq enfants, et de 1757 à 1778 ils en eurent quinze autres, vingt en tout. Chateaubriand ne s'éloigne donc pas beaucoup de la vérité, lorsqu'il leur en attribue vingt-trois. Seulement, quand il leur donna vingt-deux garçons et une fille, il fait un peu trop petite la part du sexe faible. Il y avait, chez les la Baronnais, huit filles contre douze garçons.(Retour au texte principal.)

Note 68: Hugues Métel, écrivain ecclésiastique du XIIe siècle (1080-1157). Il se vantait de composer jusqu'à mille vers en se tenant sur un pied, stans pede in uno. Chateaubriand fait ici allusion à un apologue qui se trouve en tête des Poésies de Métel et qui est intitulé: D'un loup qui se fit hermite. C'est la meilleure pièce de Métel,—à moins qu'il ne faille l'attribuer, comme le veulent plusieurs érudits, à Marbode, évêque de Rennes, son contemporain.(Retour au texte principal.)

Note 69: François-Sébastien-Charles-Joseph de Croix, comte de Clerfayt (1733-1798), s'était distingué pendant la guerre de Sept ans. Mis en 1792 à la tête du corps d'armée que l'Autriche joignait aux Prussiens, il prit Stenay et le défilé de la Croix-aux-Bois, assista aux batailles de Valmy et de Jemmapes, dirigea la retraite avec beaucoup de talent à cette dernière bataille, surprit les Français à Altenhoven, fit débloquer Maëstricht, eut la plus grande part dans le succès des coalisés à Nerwinde, à Quiévrain et à Furnes (1793). Pendant la campagne de 1794, il dut céder le terrain à Pichegru. Créé feld-maréchal l'année suivante, il entra dans Mayence (28 octobre 1795), après avoir battu isolément trois corps d'armée français envoyés contre lui. Une disgrâce inexplicable fut le prix de ces éclatants triomphes: la cour de Vienne, au mois de janvier 1796, le remplaça par le prince Charles.(Retour au texte principal.)

Note 70: L'armée des émigrés, en 1792, était fractionnée en trois corps. Le premier (dix mille hommes), formé avec les émigrés, de Coblentz, était commandé par les maréchaux de Broglie et de Castries. Le second (cinq mille hommes) était sous les ordres du prince de Condé. Le troisième corps, sous les ordres du duc de Bourbon, comprenait quatre à cinq mille émigrés cantonnés dans les Pays-Bas autrichiens. Les émigrés de Bretagne faisaient partie de ce troisième corps. (Histoire de l'armée de Condé, par René Bittard des Portes, p. 27.)(Retour au texte principal.)

Note 71: François-Prudent-Malo Ferron de la Sigonnière, né dans la paroisse de Saint-Samson, près de Dinan, le 6 juin 1768. Il était l'un des quatorze enfants de François-Henri-Malo Ferron de la Sigonnière, marié, le 4 mai 1762, à Anne-Gillette-Françoise Anger des Vaux. Le camarade de Chateaubriand est mort au château de la Mettrie, en Saint-Samson, le 14 mai 1815.(Retour au texte principal.)

Note 72: En plus d'un endroit de ce sixième livre, en effet, c'est Chateaubriand qui parle sous le nom d'Eudore, particulièrement dans cette page sur les veilles nocturnes du camp:—«Épuisé par les travaux de la journée, je n'avais durant la nuit que quelques heures pour délasser mes membres fatigués. Souvent il m'arrivait, pendant ce court repos, d'oublier ma nouvelle fortune; et lorsque aux premières blancheurs de l'aube les trompettes du camp venaient à sonner l'air de Diane, j'étais étonné d'ouvrir les yeux au milieu des bois. Il y a pourtant un charme à ce réveil du guerrier échappé aux périls de la nuit. Je n'ai jamais entendu sans une certaine joie belliqueuse la fanfare du clairon, répétée par l'écho des rochers, et les premiers hennissements des chevaux qui saluaient l'aurore. J'aimais à voir le camp plongé dans le sommeil, les tentes encore fermées d'où sortaient quelques soldats à moitié vêtus, le centurion qui se promenait devant les faisceaux d'armes en balançant son cep de vigne, la sentinelle immobile qui, pour résister au sommeil, tenait un doigt levé dans l'attitude du silence, le cavalier qui traversait le fleuve coloré des feux du matin, le victimaire qui puisait l'eau du sacrifice, et souvent un berger appuyé sur sa houlette, qui regardait boire son troupeau.»(Retour au texte principal.)

Note 73: La petite île d'Aaron est la presqu'île où est située le rocher de Saint-Malo.(Retour au texte principal.)

Note 74: Odyssée, livre IV, vers 606. Ce vers dit seulement: «Brouté par les chèvres, et qui ne saurait suffire à la nourriture des chevaux.» C'est Mme Dacier qui, la première, a fait honneur à Télémaque de ce doux sentiment de la patrie, qui ne se trouve point dans le texte grec. (Voy. Marcellus, Chateaubriand et son temps, p. 89.)(Retour au texte principal.)

Note 75: François-Victor Kellermann (1735-1820), d'une famille noble d'origine saxonne, établie à Strasbourg au XVIe siècle. Il était maréchal de camp en 1788. Appelé, en 1792, au commandement de l'armée de la Moselle, il battit les Prussiens à Valmy, de concert avec Dumouriez. Il n'en fut pas moins destitué le 18 octobre 1793, et envoyé à l'Abbaye, où il resta treize mois enfermé. Mis en liberté après le 9 thermidor, et investi du commandement de l'armée des Alpes, il arrêta en Provence, avec 47,000 hommes, la marche des Autrichiens, forts de 150,000 hommes. Le 20 mai 1804, il fut créé maréchal d'Empire, et, le 3 juin 1808, duc de Valmy. Louis XVIII le fit pair de France, le 4 juin 1814. Il se tint à l'écart pendant les Cent-Jours, quoique compris dans la promotion des pairs du 2 juin 1815, et reprit, à la seconde Restauration, sa place à la Chambre haute, où Chateaubriand et lui se retrouvèrent.(Retour au texte principal.)

Note 76: André Morellet (1727-1819), membre de l'Académie française. Nous le retrouverons quand Chateaubriand publiera son roman d'Atala.(Retour au texte principal.)

Note 77: Mémoires d'un détenu, pour servir à l'histoire de la tyrannie de Robespierre, par Honoré Riouffe. Publiés peu de temps après le 9 thermidor, ces Mémoires, produisirent une immense sensation.—Honoré-Jean Riouffe était né à Rouen, le 1er avril 1764. Après avoir été secrétaire, puis président du Tribunat, il administra successivement, sous l'Empire, les préfectures de la Côte-d'Or et de la Meurthe. Créé baron, le 9 mars 1810, il succomba, le 30 novembre 1813, à Nancy, aux atteintes du typhus, qui s'était déclaré dans cette ville par suite de l'entassement des malades, après les revers de la campagne de Russie.(Retour au texte principal.)

Note 78: Philippe-Laurent Pons, dit Pons de Verdun, né à Verdun, le 17 février 1759, mort à Paris, le 7 mai 1844. Avant la Révolution, il était un des fournisseurs attitrés de l'Almanach des Muses. Député de la Meuse à la Convention, cet homme sensible vota la mort du roi et applaudit à l'exécution de Marie-Antoinette, «cette femme scélérate, qui allait enfin expier ses forfaits.» (Séance de la Convention du 15 octobre 1793). Député au Conseil des Cinq-Cents, il se rallia au coup d'État de Bonaparte, et devint, sous l'Empire, avocat général près le tribunal de Cassation.(Retour au texte principal.)

Note 79: Ce fut seulement après le 9 thermidor, que Pons de Verdun fit cette motion. Le décret voté sur son rapport est du 17 septembre 1794.(Retour au texte principal.)

Note 80: Séance de la Convention du 18 janvier 1795.(Retour au texte principal.)

Note 81: Alberte-Barbe d'Ernecourt, dame de Saint-Balmon, née en 1608, au château de Neuville, près de Verdun. Pendant la guerre de Trente ans, alors que les armées françaises et allemandes dévastaient la Lorraine et que son mari avait pris du service dans l'armée impériale, restée seule à Neuville, elle prit le harnais de guerre, et, à la tête de ses vassaux, défendit sa demeure, escorta des convois, poursuivit les maraudeurs. La paix de Westphalie lui ayant fait des loisirs, elle les consacra aux lettres et fit imprimer, en 1650, une tragédie, les Jumeaux martyrs. Après la mort de son mari, elle se retira à Bar-le-Duc, chez les religieuses de Sainte-Claire, et mourut dans leur couvent en 1660.(Retour au texte principal.)

Note 82: Jean La Balue (1421-1491), cardinal et ministre d'État sous Louis XI.(Retour au texte principal.)

Note 83: Mémoires, lettres et pièces authentiques touchant la vie et la mort de S. A. R. Ch.-F. d'Artois, fils de France, duc de Berry, par le vicomte de Chateaubriand, livre second, chapitre VIII.(Retour au texte principal.)

Note 84: Nous sommes maintenant si brouillés avec la mythologie, qu'il n'est peut-être pas inutile de rappeler que Céphale était un prince de Thessalie, si remarquablement beau que l'Aurore, un beau matin, sentit pour lui les feux d'un désir insensé.(Retour au texte principal.)

Note 85: C'est le début de la célèbre romance de Cazotte, la Veillée de la Bonne femme ou le Réveil d'Enguerrand.(Retour au texte principal.)

Note 86: François de La Noue, dit Bras-de-fer, célèbre capitaine calviniste, né en 1531, au manoir de La Noue-Briord, près de Bourgneuf (Loire-Inférieure). En 1578, les États-Généraux des Pays-Bas, résolus à s'affranchir de la domination de Philippe II, le firent général en chef de leur armée, à la tête de laquelle il se montra le digne adversaire du duc de Parme, l'un des plus habiles généraux du roi d'Espagne. Tombé dans une embuscade aux environs de Lille, il fut enfermé pendant cinq ans dans les forteresses de Limbourg et de Charlemont. Offre lui fut faite de sa liberté, mais «pour donner suffisante caution de ne porter jamais les armes contre le roy catholique, il fallait qu'il se laissât crever les yeux».—Mortellement blessé au siège de Lamballe, il expira quelques jours après à Moncontour où il avait été transporté (4 août 1591). Henri IV, auprès duquel il avait combattu à Arques et à Ivry, fut profondément affligé de sa mort: «C'estait, dit-il, un grand homme de guerre et encore un plus grand homme de bien. On ne peut assez regretter qu'un si petit château ait fait périr un capitaine qui valait mieux que toute une province.»(Retour au texte principal.)