— Avec ma tante…, mentit Sonea.

— Et tu t’es entraînée récemment…

— Il y a toujours plein de choses à lire… Les panneaux, les enseignes, les avis de récompense…

— Nous avons trouvé un livre de magie dans une de tes cachettes. Tu y as appris quelque chose ?

Sonea frissonna d’angoisse. Rothen ne la croirait pas si elle lui répondait qu’elle n’avait pas lu le livre, mais, si elle l’avouait, il poserait encore plus de questions. Et il pourrait se douter qu’elle en avait lu d’autres. S’il savait que des livres avaient été volés à la Guilde, il devinerait qui était à l’origine du larcin. Et s’il pensait qu’elle avait été capable de se glisser dans la Guilde sans se faire voir, il prendrait plus de précautions pour la garder prisonnière.

Au lieu de répondre, Sonea désigna le paquet.

— Qu’est-ce que c’est ?

Rothen la regarda un instant avant de répondre :

— Des vêtements. Je te laisse un moment pour te changer, puis ma domestique t’apportera de quoi manger.

Le mage ferma la porte derrière lui. Une fois seule, Sonea défit le paquet. À sa grande surprise, Rothen ne lui avait pas apporté des robes, mais un pantalon, une chemise et un surcot à col montant. Des habits similaires à ceux qu’elle portait dans les Taudis, sauf que ceux-là étaient faits d’un tissu douillet et coûteux.

Sonea se débarrassa de sa robe de chambre et de sa chemise de nuit, puis elle enfila ses nouveaux vêtements. Maintenant qu’elle était décemment vêtue, sa peau lui paraissait quand même étrangement nue. La jeune fille regarda ses mains. Ses ongles avaient été coupés et sentaient le savon.

L’adolescente se hérissa. Quelqu’un l’avait donc lavée pendant qu’elle dormait ? Qui ? Rothen ?

Non ! Ce genre de corvée devait être laissé aux serviteurs. Elle se passa une main dans les cheveux et vit qu’on les avait nettoyés aussi.

Au bout de quelques minutes, on frappa délicatement à la porte. Sonea se souvint de la domestique et de la nourriture promise, et attendit que la femme entre. Personne n’ouvrit le battant, et on frappa de nouveau.

— Demoiselle ? dit une voix de femme au travers de la porte. Puis-je entrer ?

Sonea s’assit sur le lit et sourit. Personne ne l’avait jamais appelée « demoiselle ».

— Si vous voulez, répondit-elle.

Une femme d’une trentaine d’années entra. Vêtue d’une livrée gris clair, elle portait un plateau chargé.

— Bonjour, dit-elle avec un sourire nerveux.

Elle posa un instant les yeux sur Sonea, puis les baissa de nouveau. La jeune fille regarda la servante poser son plateau sur la table et disposer les plats. La femme tremblait d’anxiété. De quoi avait-elle peur ? Sûrement pas d’une fille des Taudis.

La servante posa les couverts sur le plateau avant de se retourner, de saluer Sonea et de sortir précipitamment de la pièce.

Sonea fixa la porte pendant plusieurs minutes. La femme lui avait fait une révérence. C’était… étrange. Et gênant. Elle n’arrivait pas à démêler ses sentiments…

Puis une odeur de pain chaud et de soupe épicée lui fit tourner la tête vers le plateau où attendaient un bol rempli à ras bord et une assiette de petits gâteaux. Son estomac grogna.

L’adolescente sourit. Les mages allaient apprendre qu’on ne pouvait pas la forcer à trahir les voleurs, mais ils n’avaient pas besoin de le savoir immédiatement. Si elle jouait un peu leur jeu, tout serait plus facile.

Et elle n’avait aucun scrupule à profiter d’eux.

 

Sonea entra dans le salon aussi nerveuse qu’un animal qui émerge d’une cage. Ses yeux fouillèrent la pièce pour chercher les portes. Enfin, elle regarda Rothen.

— Elle mène à une petite salle de bains, lui dit le mage en désignant une porte. Ma chambre est par ici, et par-là, on accède au couloir des quartiers des mages.

Sonea se tassa contre les étagères de la bibliothèque, et Rothen sourit de la voir chercher refuge auprès des livres.

— Prends celui que tu veux, ne te gêne pas. Les lire pourra t’aider, et peut-être t’expliquer ce que tu ne comprends pas.

Sonea fixa le mage, les sourcils froncés, et se rencogna davantage contre le meuble. Elle leva un doigt et le posa sur la tranche d’un livre, mais se pétrifia en entendant la cloche de l’université.

— C’est le signal du début des cours des novices, expliqua Rothen en lui faisant signe de le rejoindre à la fenêtre.

Sonea regarda par une autre croisée et frémit. Où qu’elle posât les yeux, des mages et des novices marchaient dans les allées pour se rendre à l’université.

— Que veulent dire les couleurs ?

— Les couleurs ? répéta Rothen.

— Celles des robes.

— Oh ! D’abord je dois te parler des différentes disciplines. La magie s’applique à trois domaines majeurs : la guérison, l’alchimie et la guerre. Les guérisseurs portent du vert. Ce domaine exige plus que de simples sorts thérapeutiques. Il faut aussi de grandes connaissances médicales et les mages qui choisissent cette voie doivent y consacrer leur vie. (Il jeta un coup d’œil à Sonea pour s’assurer qu’elle s’intéressait à sa réponse. C’était le cas.) Les guerriers portent du rouge. Ils étudient la stratégie et les façons dont la magie peut servir sur le champ de bataille. Certains pratiquent aussi des formes de combat traditionnelles, à l’arme blanche et à mains nues. (Rothen tira sur sa propre manche.) Et le violet représente l’alchimie, qui englobe tout ce qui peut être fait d’autre avec la magie. Comme la chimie, les mathématiques, l’architecture et bien d’autres domaines.

— Et le marron ? demanda Sonea.

— Il est porté par les novices. (Rothen désigna deux élèves qui se pressaient vers leur classe.) Tu vois que leurs robes sont plus courtes que les nôtres ? Ils ne reçoivent leurs véritables tenues qu’une fois leur diplôme reçu. C’est aussi à ce moment-là qu’ils choisissent leur discipline.

— Et s’ils veulent en exercer plus d’une ?

— Ils n’en auront tout simplement pas le temps…

— Et combien d’années étudient-ils pour être mages ?

— Tout dépend de leur rapidité à maîtriser les talents de base. En général, il faut cinq ans.

— Et celui-ci, montra Sonea du doigt. Sa ceinture est d’une autre couleur.

Rothen baissa les yeux sur le seigneur Balkan, qui marchait dans une allée, le visage contracté comme s’il ressassait un problème insoluble.

— Ah, bien observé ! Son cordon est noir. Cela signifie que l’homme que tu vois est à la tête de sa discipline.

— Les guerriers, alors. Et vous, quelle discipline étudiez-vous ?

— La chimie. Je l’enseigne, aussi.

— La chimie ?

Rothen réfléchit, se demandant comment présenter son explication de façon simple et compréhensible.

— Nous travaillons sur des substances : des liquides, des solides et des gaz. Nous les mélangeons, nous les chauffons, ou nous les soumettons à d’autres influences et nous étudions ce qui en résulte.

— Pourquoi ?

— Afin de savoir si nous pouvons découvrir quelque chose d’utile.

— Et vous avez découvert quoi ?

— Moi, en particulier, ou les chimistes de la Guilde ?

— Vous.

— Pas grand-chose, répondit Rothen en riant. On pourrait même dire que je suis un chimiste raté. Mais j’ai quand même fait une véritable découverte.

— Laquelle ?

— Que je suis un très bon professeur. (Le mage s’écarta de sa fenêtre et regarda la bibliothèque.) Si tu veux bien, j’aimerais t’aider à progresser en lecture. Aurais-tu envie d’y travailler cet après-midi ?

Rothen parcourut les volumes du regard. Il cherchait quelque chose de facile, mais d’intéressant. Il prit un livre et le feuilleta.

Tout ce qu’il devait faire, c’était la persuader que la Guilde n’était pas le monstre qu’elle croyait.

 

Dannyl sourit à Rothen. Depuis que Yaldin et sa femme les avaient invités, l’alchimiste n’avait pas fermé la bouche. Dannyl n’avait jamais vu son ami si bavard à propos d’un novice potentiel – mais il espérait qu’il avait autant parlé de lui, jadis.

— Tu es un incurable optimiste, Rothen. Tu l’as à peine rencontrée, et voilà que tu en parles comme si elle avait gagné un prix à l’université.

Dannyl sourit pour modérer ce qui pouvait passer pour un reproche.

— Vraiment ? répliqua Rothen. Si je ne l’étais pas, crois-tu que j’aurais eu tant de succès avec tous les novices dont je me suis occupé ? Quand on voit ce qu’ils sont devenus, ça donne envie de laisser une chance aux suivants.

Dannyl devait avouer qu’il n’avait pas été un novice très coopératif. Il avait lutté de toutes ses forces contre Rothen quand il lui avait déconseillé de chercher querelle à Fergun et à ses sbires. En dépit des attaques et de l’entêtement de Dannyl, Rothen n’avait jamais baissé les bras.

— Tu lui as dit que nous ne lui voulions pas de mal ? demanda Ezrille.

— Je lui ai expliqué que la mort du jeune garçon était un accident et que nous voulions uniquement l’aider à maîtriser ses pouvoirs. Qu’elle le croie ou non…

— Et qu’elle pouvait rejoindre la Guilde ? Tu le lui as dit ?

— Nous n’en avons pas encore vraiment parlé. Sonea ne nous aime pas beaucoup. Elle ne croit pas que nous sommes responsables du sort des pauvres, mais plutôt que nous refusons d’intervenir. Elle dit qu’elle n’a jamais vu un mage faire quelque chose de bien, ce qui est probablement vrai. Les miséreux, comme elle, ne se rendent pas compte des services que nous rendons à la cité. Sans mentionner l’effet de la Purge…

— Alors, il n’est pas étonnant qu’elle ne nous apprécie pas. Mais comment est-elle ? demanda Ezrille.

— Calme et méfiante. Visiblement terrorisée, elle retient ses larmes. Elle sait qu’elle doit apprendre à se Contrôler, donc, elle ne s’enfuira pas avant de l’avoir fait.

— Mais après ? demanda Yaldin.

— Après ? J’espère que nous l’aurons convaincue de rester parmi nous.

— Et si elle refuse ?

— Je ne sais pas ce qui arrivera, avoua Rothen en haussant les épaules. Nous ne pouvons pas forcer quelqu’un à nous rejoindre, mais la loi interdit aux mages de rester hors de la Guilde. Si Sonea refuse notre offre, nous devrons détruire ses pouvoirs.

— Les détruire ? s’écria Ezrille. Tu veux dire… Tu veux dire la blesser ?

— Pas du tout. C’est… Eh bien, c’est difficile à imaginer pour un mage, qui vit avec ses pouvoirs. Sonea ne connaît pas son don. Elle n’a jamais lancé de sort. Cela ne lui manquera pas.

— Combien de temps faudra-t-il pour lui enseigner le Contrôle ? demanda Yaldin. Je ne suis pas rassuré de savoir qu’un mage qui ne maîtrise pas son don vit à quelques portes d’ici.

— Il faudra un certain temps pour qu’elle me fasse confiance, répondit Rothen. Je dirai plusieurs semaines.

— C’est hors de question ! s’exclama Yaldin. Ça ne prend pas plus de deux semaines, même au plus crétin des novices !

— Sonea n’est pas comme les enfants gâtés qui nous viennent des Maisons.

— Je suppose que tu as raison, se résigna Yaldin. Mais je vais sursauter au moindre bruit.

— Cela dit, plus longtemps il lui faudra, conclut Rothen en levant son verre, plus j’aurai de chance de la convaincre de rester.

 

Assise sur le lit, Sonea, regardait les jardins par la fenêtre et jouait avec une épingle à cheveux. Il faisait nuit et la lune était levée. La neige qui tapissait les chemins luisait doucement dans la lumière argentée.

La cloche avait sonné une heure plus tôt. Sonea avait attendu pendant que les mages et les novices regagnaient leurs quartiers. Maintenant, tout était calme, à part quelques serviteurs en route vers leurs corvées, leur souffle blanc flottant dans l’air glacé.

Sonea alla coller son oreille à la porte. Elle écouta jusqu’à ce que son cou lui fasse mal, mais n’entendit aucun bruit dans la pièce d’à côté.

L’adolescente baissa les yeux sur la poignée. Polie et vernie, elle était en bois. On l’avait marquetée d’une essence plus sombre et le dessin représentait le symbole de la Guilde. Sonea le suivit du doigt, fascinée par le temps et le travail que représentait cette simple poignée.

Très doucement, elle commença à la tourner. Elle le fit sans heurt, jusqu’à ce que quelque chose la bloque. Elle poussa le battant, mais il ne bougea pas.

Sans s’émouvoir, l’adolescente actionna la poignée dans l’autre sens. Encore une fois, celle-ci tourna avant de s’arrêter. La porte ne bougea pas non plus.

La jeune fille s’agenouilla, voulut enfoncer l’épingle dans la serrure… et se pétrifia. Il n’y en avait pas.

Sonea s’assit sur ses talons. Elle n’avait entendu de clé tourner lorsque Rothen sortait de la chambre et elle avait noté que la porte n’avait pas de verrou de l’autre côté. Le battant était donc fermé par un sort.

Mais même si Sonea avait pu forcer cette porte, elle n’avait nulle part où aller. Pas avant de savoir se Contrôler.

Mais elle devait mieux connaître sa prison. Si elle ne cherchait pas un moyen d’évasion, elle n’en trouverait jamais.

Sonea se dirigea vers le lit. Le livre de poèmes était toujours à la même place. L’ouvrant à la première page, la jeune fille vit une dédicace. Elle s’installa à la table, alluma la chandelle et lut.

« À mon Rothen chéri, pour la naissance de notre fils. Yilara. »

Sonea sourit. Le mage était donc marié et il avait au moins un enfant. L’adolescente se demanda où était passée la famille de Rothen. Vu l’âge du magicien, son fils était sans doute adulte.

Le mage semblait être quelqu’un de bien. Sonea avait toujours pensé qu’elle savait juger les caractères – elle tenait sans doute cette aptitude de sa tante. Son instinct lui soufflait que Rothen était gentil et aimable. Mais ça ne voulait pas dire qu’on pouvait lui faire confiance. C’était un mage inféodé à la Guilde.

Un rire haut perché monta soudain des jardins : Sonea alla entrouvrir le rideau et vit un homme et une femme marcher sur le chemin, leurs robes vertes dépassant des pans de leurs manteaux et brillant sous la lune. Deux enfants les précédaient et se jetaient des boules de neige.

Sonea les regarda passer et s’étonna qu’une femme porte la tenue des mages. Elle n’avait jamais vu de magiciennes pendant les Purges. Choisissaient-elles d’être absentes ou une règle les empêchait-elle d’y participer ?

Jonna avait dit à Sonea que les filles des riches familles étaient étroitement surveillées jusqu’à ce qu’on les marie – à un époux choisi par leur père, bien souvent. Dans les Maisons, les femmes n’avaient pas voix au chapitre.

Dans les Taudis, personne n’arrangeait les épousailles. Si la plupart des femmes tentaient de trouver un homme capable d’entretenir une famille, elles se mariaient surtout par amour. Jonna trouvait que c’était la meilleure solution, mais Sonea était plus cynique. Elle pensait que les femmes étaient d’abord très amoureuses, mais qu’au bout d’un moment, l’amour laissait la place à des sentiments moins romantiques. D’après Sonea, il valait donc mieux trouver un mari avec qui on s’entendait bien et en qui on pouvait avoir confiance.

Les magiciennes étaient-elles écartées ? Encouragées à laisser la direction de la Guilde aux mages ? Il devait être très frustrant d’être un magicien de talent et de se retrouver sous les ordres de quelqu’un de moins doué.

Dans le jardin, la famille disparut de la vue de Sonea et l’adolescente quitta la fenêtre. Soudain, un mouvement attira son attention derrière une des croisées de l’université. En se penchant, elle aperçut puis vit nettement un visage rond et pâle.

Grâce à ses vêtements, Sonea devina que c’était un mage. Malgré l’obscurité et la distance, elle aurait juré qu’il la regardait. Un frisson lui parcourut l’échine et elle ferma vivement le rideau.

À bout de nerfs, Sonea traversa la chambre, souffla la chandelle, se coucha et tira les couvertures sur son nez. Elle se recroquevilla sur elle-même, fatiguée de penser et d’avoir peur.

Fatiguée d’être fatiguée…

Fixant le plafond, elle sut que le sommeil serait long à venir.

 

Chapitre 18

LOIN DES YEUX INDISCRETS

 

 

 

 

 

 

ne lumière douce et délicate éclairait les arbres et les bâtiments de la Guilde. Cery fronça les sourcils sans comprendre. La dernière fois qu’il avait regardé dans cette direction, tout était noir. Il avait dû s’endormir, mais il ne se souvenait pas d’avoir fermé les yeux. Il se frotta le visage et repensa à la longue nuit qu’il venait de vivre.

Tout avait commencé chez Faren. Une fois reposé et rassasié, Cery avait de nouveau demandé au voleur de l’aider à sauver Sonea. La réponse de Faren n’avait pas varié :

— Si les gardes lui avaient mis la main dessus, ou même si elle avait été retenue dans le palais, je te l’aurais déjà ramenée et j’aurais été fier de le faire savoir. Mais tu parles de la Guilde, Cery. De la Guilde ! Ce que tu veux faire est hors de ma portée.

— Ce n’est pas difficile ! Les mages n’ont ni gardes ni barrière magique. Ils…

— Non, non ! explosa le voleur. Ce n’est pas une question de gardes ou de barrières, Cery ! Nous n’avons jamais fourni d’assez bonnes raisons à la Guilde pour qu’elle se bouge le cul et vienne nous régler notre compte. Si nous lui prenons Sonea, nous lui en donnerons une et de poids. Crois-moi, Cery, personne ne tient à savoir si nous sommes de taille contre les magiciens.

— Les voleurs ont peur de la Guilde ?

— Exactement. Et nous avons raison !

— Alors, faisons en sorte que les mages croient que quelqu’un d’autre…

— La Guilde saura parfaitement que c’est nous. Cery, écoute-moi une bonne fois pour toutes. Je te connais assez pour savoir que tu vas tenter quelque chose. Pense plutôt à ça : si les voleurs des autres factions croient que tu nous as trahis, ils te tueront. Ils ont l’œil posé sur nous en permanence.

Cery ne trouva rien à répondre.

— Tu veux toujours travailler pour moi ? demanda Faren. Bien, dit-il une fois que Cery eut acquiescé. Alors, j’ai une autre mission pour toi.

Cette nouvelle besogne avait mené Cery jusqu’au port, aussi loin de la Guilde qu’on pouvait l’être. Une fois son travail accompli, le jeune homme était retourné jusqu’au mur de la Guilde. Après l’avoir escaladé, il s’était caché dans la forêt pour espionner les mages.

Toute activité avait cessé une fois la nuit tombée, sauf, avait noté Cery, un visage qui s’était montré à une des fenêtres de l’université. Un faciès masculin qui fixait intensément les quartiers des mages.

L’homme était resté à son poste pendant une demi-heure. Finalement, un autre visage était apparu à une des croisées des quartiers des mages, et le cœur de Cery avait bondi dans sa poitrine. Même à cette distance, il avait reconnu son amie.

Sonea avait regardé les jardins pendant plusieurs minutes, puis elle avait enfin aperçu le visage, derrière la fenêtre, et avait immédiatement tiré le rideau.

L’homme avait disparu à son tour. Cery était resté dans son buisson toute la nuit, mais personne ne s’était montré ensuite. Maintenant que l’aube approchait, le jeune homme devait retourner près de Faren.

Le voleur n’apprécierait guère que Cery espionne les mages, mais l’adolescent avait un plan. Admettre qu’il avait raison et que Sonea était trop bien gardée suffirait à amadouer le voleur. Si Faren avait interdit toute mission de sauvetage, il n’avait jamais rien dit à propos de la recherche de renseignements. Il devait bien s’attendre que Cery vérifie que son amie était toujours vivante.

Le jeune homme se leva et s’étira. Il ne soufflerait pas un mot à Faren de ce qu’il avait appris cette nuit. À part le veilleur silencieux, derrière son carreau, personne ne s’était donné la peine de faire un tour de garde ou une ronde autour des bâtiments. Si Sonea était seule dans sa chambre, il restait de l’espoir.

Cery sourit pour la première fois depuis longtemps, puis il retourna vers les Taudis.

 

Sonea se réveilla et vit la domestique de Rothen qui la fixait sans bouger un cil.

— Excusez-moi, demoiselle, dit la servante, très empressée. Mais lorsque j’ai vu que le lit était vide, je… Pourquoi dormez-vous par terre ?

Sonea se dépêtra des draps pour se lever.

— Le lit est trop mou, se justifia-t-elle. J’ai l’impression que je vais passer au travers.

— Mou ? Vous voulez dire qu’il est trop doux ? demanda la domestique sans y croire. Eh bien, c’est sans doute parce que vous n’avez jamais dormi sur un matelas de laine de reber. Voilà.

Elle tira les draps et montra à Sonea plusieurs épaisseurs d’une matière épaisse et spongieuse. Elle en saisit à peu près la moitié et les retira.

— Pensez-vous que ce sera plus confortable ainsi ?

Sonea appuya sur le lit. Sa main s’y enfonçait toujours, mais elle pouvait sentir la structure de bois, dessous. Elle hocha la tête.

— Parfait, dit la servante. Je vous ai apporté de l’eau pour vos ablutions, et… Oh ! Vous avez dormi dans vos vêtements. J’ai bien fait de vous en préparer d’autres. Quand vous aurez fini votre toilette, des gâteaux et du sumi vous attendront dans le salon.

D’un œil amusé, Sonea regarda la domestique enrouler les matelas et les emporter hors de la chambre. L’adolescente s’assit sur le bord du lit dès que la porte se fut refermée.

Je suis toujours là.

Elle repensa à ces dernières journées. Les conversations avec Rothen, son plan d’évasion, le visage blanc à la fenêtre de l’autre nuit. Sonea se planta devant la cuvette d’eau et fixa le savon et la serviette que la servante lui avait laissés.

La jeune fille se dévêtit avec un frisson, se lava et se changea avant de se diriger vers la porte. La main sur la poignée, elle hésita un dernier instant. Rothen l’attendait sans aucun doute derrière le battant. Sonea était nerveuse, mais elle n’avait pas peur.

Rothen était un mage. Cette pensée aurait pu l’angoisser encore plus, mais l’alchimiste avait juré de ne pas lui faire de mal… et elle avait choisi de le croire, pour l’instant.

Mais il ne serait pas aussi facile de le laisser entrer dans son esprit. Sonea ignorait si elle pouvait être blessée pendant l’opération. Que se passerait-il si Rothen modifiait ce qu’elle avait dans la tête, ses idées… et s’il pouvait la forcer à aimer la Guilde ?

Mais est-ce que j’ai le choix ?

Sonea allait devoir lui faire confiance et agir comme si le mage ne pouvait pas, ou ne voulait pas, lui faire subir ce genre de choses. C’était un risque à courir et retourner ces questions dans sa tête ne changerait rien au résultat.

Sonea se ressaisit et ouvrit la porte. Rothen passait visiblement le plus clair de son temps au salon. Au centre, des chaises étaient disposées autour d’une table basse, et des bibliothèques et des tables de travail avaient été poussées contre les murs. Assis sur une des chaises, Rothen parcourait un livre.

— Bonjour, Sonea, dit-il en la voyant entrer.

La jeune fille s’assit sur une chaise en face de Rothen. La domestique déposa son plateau sur une table, entre eux, puis plaça une tasse devant le mage et une autre devant Sonea.

— Je te présente Tania, dit Rothen à l’adolescente en posant son livre. Ma domestique.

— Bonjour, Tania, répondit Sonea.

— Je suis honorée de faire votre connaissance, demoiselle, la salua Tania.

Sonea sentit qu’elle rougissait et préféra baisser la tête. À son grand soulagement, Tania retourna à ses occupations.

En regardant la femme disposer les gâteaux sur un plat, Sonea se demanda si elle aurait dû se sentir flattée par l’obséquiosité de la domestique. Les mages pensaient-ils qu’elle allait y prendre goût, ainsi qu’au luxe omniprésent, et qu’elle déciderait plus facilement de rester parmi eux ?

Tania sentit peser sur elle le regard de Sonea et redressa la tête pour lui sourire nerveusement.

— As-tu bien dormi, Sonea ? demanda Rothen.

— À peu près…

— Veux-tu que nous reprenions nos leçons de lecture ?

Sonea examina le volume que tenait le mage et le reconnut.

— Ah, Les Notes sur l’art de Fien ! dit Rothen en suivant son regard. J’ai pensé qu’il me serait utile de savoir quel volume tu avais choisi toi-même. Ce n’est pas un livre de leçons, mais un vieux volume d’histoire, et les informations qu’il contient peuvent être obsolètes. Peut-être que…

Rothen s’interrompit lorsqu’on frappa à la porte et il alla entrebâiller le battant. Sonea devina qu’il cherchait à la protéger d’un visiteur indélicat, pas à l’empêcher de se sauver.

— Seigneur Fergun, l’entendit-t-elle dire, que puis-je pour vous ?

— Je voudrais voir la fille, répondit une voix douce et cultivée.

Tania posa une serviette sur les genoux de Sonea, qui lui lança un regard interrogateur. La domestique fronça les sourcils en direction du dos de Rothen et recula.

— Il est encore trop tôt, répondit Rothen. Elle est…

Il hésita, sortit et referma le battant derrière lui. Sonea n’entendit plus qu’un vague murmure.

Elle regarda Tania qui lui proposait un plat de petits fours. Sonea en choisit un et but une petite gorgée de sa boisson.

Un goût amer lui emplit aussitôt la bouche et elle grimaça. Tania désigna la tasse du menton.

— Je suppose que cela veut dire que vous n’aimez pas le sumi. Que voulez-vous boire ?

— Du raka, répondit Sonea.

— Nous n’en avons pas ici, je suis désolée. Puis-je vous apporter un jus de pachi ?

— Non, merci.

— Alors, de l’eau ?

Sonea lui jeta un regard outré et Tania sourit.

— L’eau d’ici est potable. Je vais vous en chercher.

Tania retourna à la table, au fond de la pièce, remplit un verre et l’apporta à Sonea.

— Merci, dit l’adolescente.

Elle leva le verre et s’étonna de la transparence du liquide. Elle n’y voyait pas la moindre particule. En en buvant une gorgée, elle ne sentit aucun goût.

— Vous voyez ! la rassura Tania. Bon, à présent, je vais faire votre chambre. J’en ai pour quelques minutes, mais si vous avez besoin de moi, appelez.

Sonea acquiesça et regarda disparaître la domestique. Puis elle sourit, vida son verre d’un trait, l’essuya avec une serviette, le colla entre son oreille et le bois de la porte, et écouta.

— … pour la garder ici. C’est dangereux, dit une voix inconnue de Sonea.

— Pas avant qu’elle ait retrouvé ses forces, répliqua Rothen. Ensuite, je lui montrerai comment se Contrôler. Il n’y a aucun danger pour les bâtiments.

— Je ne vois pas la moindre raison de la mettre au secret, répondit l’interlocuteur du mage.

— Comme je viens de vous le dire, elle s’effraie facilement et elle est inquiète. Elle n’a pas besoin qu’une bande de mages lui serine la même chose chacun à sa façon.

— Pas une bande, juste moi. Et je veux faire sa connaissance, pas me charger de son apprentissage. Il n’y a aucun mal à ça, non ?

— Je comprends, mais il y a un temps pour tout, et j’attends qu’elle prenne d’abord un peu confiance en elle.

— Aucune loi ne te permet de la garder hors de ma vue, Rothen, dit la voix inconnue, soudain vibrante de menaces.

— Aucune, non, mais je crois que la plupart de nos confrères comprendraient mes raisons.

— Je me soucie de son bien-être tout autant que toi, Rothen, et j’ai cherché cette fille très longtemps. Moi aussi, je me suis sali les mains dans les Taudis. Beaucoup penseraient que cela me donne voix au chapitre.

— Tu auras l’occasion de la rencontrer, Fergun.

— Quand ?

— Lorsqu’elle sera prête.

— Et tu en seras le seul juge, bien sûr.

— Pour le moment, oui.

— Eh bien, c’est ce que nous allons voir.

Les voix se turent et la poignée commença à tourner. Sonea bondit sur sa chaise et reposa la serviette sur ses genoux. Rothen entra. La contrariété qui se lisait sur son visage céda vite la place à de l’amusement.

— Qui était-ce ? demanda Sonea.

— Juste quelqu’un qui voulait te connaître.

— Pourquoi est-ce que Tania me salue et m’appelle « demoiselle » ? demanda Sonea en prenant un gâteau.

— Oh, lança Rothen en se laissant tomber sur sa chaise, tous les mages sont appelés « seigneur » ou « dames ». Ou « demoiselle ». Cela a toujours été comme ça.

— Mais je ne suis pas magicienne.

— Disons que Tania prend un peu d’avance…

— Je pense… que je lui fais peur.

— Tu la rends un peu nerveuse, répondit Rothen en portant sa tasse à ses lèvres. Se trouver à côté d’un mage qui ne se Contrôle pas peut être très dangereux. Elle ne semble pas être la seule à s’inquiéter, d’ailleurs. Comme tu mesures mieux qu’eux le danger que tu représentes, tu devines aisément que certains mages ne sont pas tranquilles en sachant que tu vis ici. La nuit dernière, tu n’as pas été la seule à ne dormir que d’un œil.

Sonea frissonna en repensant aux murs brisés, à sa capture et à sa lutte avant de perdre conscience.

— Quand m’apprendrez-vous le Contrôle ?

— Je n’en sais rien… Mais ne t’inquiète pas. Si tes pouvoirs s’affolent encore, nous nous en occuperons comme la dernière fois.

Sonea acquiesça. Quand elle regarda le gâteau qu’elle tenait, son estomac se contracta d’angoisse. Sa bouche devint trop sèche pour avaler quoi que ce soit. Elle jeta un dernier regard au petit-four et le reposa.

 

Le matin avait été sombre et brumeux et des nuages lourds couvraient la cité dès le début de l’après-midi. Tout était noyé d’ombres, comme si la nuit était trop impatiente pour attendre la fin du jour. C’était le genre de temps où l’on remarquait la faible lueur venue des murs de l’université.

Dannyl s’engouffra dans le bâtiment et pressa le pas. Rothen soupira. Il se força à marcher plus vite pour suivre son ami, puis rendit les armes.

— C’est étrange, ton boitillement semble avoir disparu, lança-t-il dans le dos de son ami.

Dannyl se retourna, visiblement surpris de voir Rothen si loin derrière lui. Il ralentit, et son déhanchement réapparut aussitôt.

— Le bureau est à deux pas, Dannyl. Pourquoi te presses-tu autant ?

— J’ai hâte d’en avoir fini.

— Mais nous nous contentons de déposer nos comptes-rendus et je parlerai pour nous deux.

— Peut-être, mais le haut seigneur m’a envoyé chez les voleurs et je devrai répondre à toutes ses questions.

— Il est à peine plus vieux que toi, Dannyl. Il a le même âge que Lorlen et l’administrateur ne te tire pas des larmes d’angoisse.

Dannyl ouvrit la bouche pour protester, mais il ne dit rien. Ils atteignirent le bout du couloir.

Rothen leva les yeux au ciel lorsqu’il entendit Dannyl prendre une inspiration chevrotante en frappant à la porte de l’administrateur. Le battant s’ouvrit et les deux mages entrèrent dans une grande pièce chichement meublée. Au fond, un globe de lumière flottait au-dessus d’un bureau et illuminait la robe bleu sombre de l’administrateur.

Lorlen posa sa plume.

— Bienvenue, seigneur Rothen, seigneur Dannyl. Prenez un siège.

Rothen fouilla la pièce du regard, mais aucune silhouette en robe noire ne les épiait, assise sur une chaise ou tapie dans un coin sombre.

Lorlen attendit que ses visiteurs aient pris place, puis il se pencha pour saisir les feuilles que lui tendait Rothen.

— J’avais hâte de lire vos rapports. Je suis certain que le vôtre, seigneur Dannyl, sera fascinant.

Le jeune mage sursauta et resta silencieux.

— Le haut seigneur vous adresse ses félicitations. (Les yeux de Lorlen passèrent de Rothen à Dannyl.) Et j’y ajoute les miennes.

— Et nous vous en remercions, répondit Rothen.

— Akkarin est heureux de pouvoir dormir en paix, maintenant que des éclats de magie brute ne le réveillent plus à longueur de temps.

— C’est sans doute le prix à payer quand on possède un don si fin, dit Rothen en voyant Dannyl écarquiller les yeux.

L’alchimiste imagina Akkarin en train de faire les cent pas dans sa chambre en maudissant la fille des Taudis. L’image ne correspondait pas à la prestance habituelle du haut seigneur. Rothen se demanda ce qu’Akkarin voulait faire de Sonea maintenant qu’ils l’avaient attrapée.

— Administrateur… Pensez-vous que le haut seigneur envisage de rencontrer Sonea ?

— Non. Il s’inquiétait seulement à l’idée de voir une partie de la cité partir en flammes. En outre, le roi devait se demander si nous étions capables de régler nos propres affaires. (Lorlen sourit à Rothen.) Je crois deviner la raison de votre question. Akkarin peut être intimidant et Sonea a déjà assez de motifs d’angoisse.

— Elle est facilement effrayée et se méfie de nous, acquiesça Rothen. Et ceci nous amène à un autre point. J’ai besoin de temps pour la rassurer. J’aimerais la garder isolée jusqu’à ce qu’elle se sente en confiance, et ensuite la présenter aux mages, un par un.

— Voilà qui paraît sensé…

— Fergun a demandé à la voir, ce matin.

— Ah ! Eh bien… j’entends d’ici les arguments qu’il a utilisés pour tenter de parvenir à ses fins. Je pourrais décréter qu’aucun mage ne la verra tant qu’elle ne sera pas prête, mais personne ne sera satisfait jusqu’à ce que j’aie défini ce que « prête » veut dire et que j’aie fixé une date.

Lorlen se leva et fit les cent pas derrière son bureau.

— Les deux demandes de tutelle compliquent aussi les choses. Les mages accepteront que vous vous occupiez d’elle, puisque vous avez déjà fait un très bon travail avec vos anciens novices. Mais si Fergun est exclu de l’instruction de base de Sonea, les gens le soutiendront par simple sympathie. Ne pourriez-vous pas présenter Fergun à Sonea ?

— Cette jeune fille est habile à cerner le caractère et les sentiments d’une personne, répondit Rothen. Fergun n’a aucune amitié pour moi. Si je dois convaincre Sonea que nous sommes tous en bons termes et que nous travaillons de concert, elle devinera qu’il y a anguille sous roche et cela ne nous aidera pas. Sans compter qu’elle pourrait prendre pour une agression la détermination de Fergun à la rencontrer.

Lorlen réfléchit un moment.

— Tout le monde est d’accord sur un point : il faut que Sonea se Contrôle le plus vite possible, finit-il par dire. Personne ne me contredira si j’affirme que rien ne doit la détourner de ce but. De combien de temps voulez-vous disposer ?

— Je l’ignore, avoua Rothen. J’ai appris le Contrôle à des élèves distraits qui traitaient leurs leçons par-dessus la jambe. Je n’ai jamais eu la charge de quelqu’un qui haïssait les mages à ce point. La rassurer pourrait me demander plusieurs semaines.

— Je ne peux pas vous accorder tout ce temps, répondit Lorlen en se rasseyant. Je vous donne deux semaines, durant lesquelles vous pourrez choisir qui la verra. Ensuite, je lui rendrai visite de temps à autre, pour savoir quand elle aura atteint un niveau de Contrôle que j’estimerai suffisant. Si cela vous est possible, présentez-la à un autre mage rapidement. Je dirai à Fergun qu’il la verra lorsque le moment sera propice. Mais souvenez-vous : plus vous prendrez de temps, plus il recueillera de sympathie.

— Je n’oublierai pas.

— Nous attendrons le prochain concile pour trancher cette affaire.

— Si je peux la convaincre de rester jusque-là…, répondit Rothen.

— Vous pensez qu’elle pourrait s’en aller ?

— Il est encore trop tôt pour le dire. Mais nous ne pouvons pas la forcer.

— L’avez-vous déjà mise au courant de ce qu’implique un départ ? demanda Lorlen en s’adossant à son siège.

— Pas encore. Si je dois gagner sa confiance, je préfère laisser de côté ce genre d’informations.

— Je comprends. Toutefois, et si vous choisissez le bon moment, cet argument pourra la convaincre de rester. Si elle nous quitte, Fergun sera persuadé que vous l’aurez manipulée pour lui causer du tort, à lui. D’une façon comme d’une autre, vous voilà avec de rudes batailles à mener, Rothen.

Dannyl toussota.

— Fergun a vraiment de bons arguments ? demanda-t-il.

— C’est difficile à dire, répondit l’administrateur. La décision qui va être prise ne dépend que des alliés que vous trouverez, lui comme vous, Rothen. Mais je ne dois pas en parler avant l’audience. (Lorlen les regarda tous les deux.) Je n’ai plus d’autres questions. Y a-t-il autre chose dont vous voudriez parler ?

— Non, dit Rothen en s’inclinant. Merci, administrateur.

Une fois dans le couloir, Rothen se tourna vers son ami.

— Ça s’est plutôt bien passé, non ?

— Il avait la tête ailleurs, répondit Dannyl en haussant les épaules.

— Tu as raison…

Ils entendirent des pas dans le corridor et Dannyl pressa l’allure.

— Mais ce boitillement va et vient à volonté ! railla Rothen.

— C’était une profonde blessure, se plaignit Dannyl.

— Pas si grave que ça, visiblement…

— Dame Vinara m’a dit que la raideur mettrait plusieurs jours à disparaître.

— Oh, si elle l’a dit…

— Rappeler que cette capture n’a pas été facile ne peut faire de mal à personne.

— Je suis très honoré par le sacrifice de votre dignité, seigneur Dannyl, répondit Rothen.

— Et pourquoi pas ? Si Fergun a le droit de se balader avec son pansement sur la tempe, je peux bien m’offrir un petit boitillement.

— Je vois. Tout va pour le mieux, alors…

Ils atteignirent les portes de l’université. Dehors, il neigeait. En échangeant une grimace de déplaisir, les deux mages s’enfoncèrent dans les tourbillons de flocons.

 

Chapitre 19

LES LEÇONS COMMENCENT

 

 

 

 

 

 

a semaine de mauvais temps avait recouvert la Guilde d’un épais manteau de neige. Les pelouses, les jardins et les toits disparaissaient sous une couche de flocons scintillants. Protégé par son cocon de magie, Dannyl appréciait le spectacle sans avoir à souffrir du froid.

Les novices se pressaient autour des portes de l’université. Dannyl entra dans le bâtiment et un trio d’élèves le dépassa pour s’y faufiler. Les jeunes gens serraient frileusement leur manteau autour d’eux, et le mage devina qu’ils devaient être de la classe de la mi-hiver. Il fallait des semaines avant que les nouveaux apprennent comment se prémunir magiquement du froid.

Dannyl monta à l’étage et trouva un groupe d’élèves qui attendaient devant la classe d’alchimie de Rothen. Le mage leur fit signe d’entrer. On l’interpella au moment où il allait les suivre.

— Seigneur Dannyl ?

Le jeune mage jura entre ses dents en reconnaissant Fergun, accompagné du seigneur Kerrin.

— C’est bien la classe de Rothen ? demanda Fergun en jetant un coup d’œil par la porte.

— Oui, répondit Dannyl.

— C’est vous qui faites cours à ses élèves ?

— Oui.

— Je vois, dit Fergun en tournant les talons.

Suivi par Kerrin, il ajouta, juste assez fort pour que Dannyl puisse l’entendre :

— Je suis surpris qu’il puisse enseigner à de jeunes garçons !

— Que veux-tu dire ? demanda Kerrin.

— Tu ne te souviens pas de cette affaire, lorsqu’il était novice ?

— Oh, tu parles de ça ! Il leur donne un bien mauvais exemple, je parie, conclut Kerrin en partant d’un rire qui résonna dans tout le couloir.

Dannyl grinça des dents avant de se retourner et de se retrouver nez à nez avec Rothen.

— Rothen ! Qu’est-ce que tu fiches là ?

— Je faisais un petit tour à la bibliothèque, répondit l’alchimiste en regardant Fergun s’éloigner. C’est étonnant… Vous êtes toujours brouillés, même après toutes ces années ? Vous ne laisserez donc jamais le passé derrière vous ?

— Pour Fergun, ce n’est pas une brouille mais un sport, et il y tient trop pour arrêter.

— Eh bien, s’il colporte des ragots comme le dernier des novices, les gens prendront ce qu’il dit pour ce que c’est. (Rothen sourit à trois élèves qui couraient vers la salle de classe.) Comment vont mes novices ?

— Je ne sais pas comment tu réussis à t’en sortir, Rothen. Tu ne resteras pas absent trop longtemps ?

— Je ne sais pas. Tout dépend de Sonea… Des semaines, des mois, peut-être.

— Tu penses qu’elle est prête à apprendre à se Contrôler ?

— Toujours pas, non.

— Mais ça fait déjà une semaine !

— Ça fait seulement une semaine, corrigea Rothen. Je ne pense pas qu’elle nous fera confiance si nous la mettons sous pression. Elle ne nous déteste pas en tant qu’individus, mais elle croit que la Guilde ne fait aucun bien – et elle n’en démordra pas tant qu’elle n’aura aucune preuve du contraire. Or, le temps nous est compté. Lorsque Lorlen nous rendra visite, il s’attendra à ce que les leçons aient commencé.

— Tout ce que tu as à faire pour l’instant, c’est lui enseigner le Contrôle, dit Dannyl en prenant le bras de son ami. Et, pour ça, il suffit qu’elle te fasse confiance. Si elle t’écoute, elle sentira que tu as ses intérêts à cœur. Et tu oublies que si tu n’arrives pas à lui dire quoi faire, tu peux le lui montrer.

Rothen haussa les épaules, puis comprit ce que proposait Dannyl, et les laissa retomber.

— Tu veux que je la laisse voir dans mon esprit ?

— Oui. Elle saura que tu lui dis la vérité.

— Eh bien, c’est… une façon inhabituelle de commencer à apprendre le Contrôle, mais les circonstances le sont, hors du commun. Je devrai mettre quelques petits détails hors de sa portée, mais…

— Alors, cache-les ! Maintenant, si tu veux bien m’excuser, j’ai une classe remplie de novices qui attendent, brûlant de faire de moi le cobaye de leurs nouvelles farces. Et tu ne devrais pas t’inquiéter à propos de Lorlen. C’est moi qui veux entendre dès ce soir que tu as fait des progrès.

— Sois agréable avec tes élèves et ils le seront avec toi, Dannyl, dit Rothen en riant.

Il tourna les talons et Dannyl eut un sourire sans joie. Quand la sonnerie retentit, le mage soupira avant d’entrer dans la classe.

 

De sa fenêtre, Sonea regardait les derniers novices courir vers l’université. Tous n’avaient pas obéi à la sonnerie. Dans le fond du jardin, deux silhouettes restaient immobiles.

L’une d’elle était une femme en robe verte à ceinture noire : la responsable des guérisseurs, donc.

Les femmes peuvent donc avoir une certaine influence…

L’autre était un homme vêtu de bleu. Sonea repensa aux explications de Rothen, mais elle ne se souvint pas qu’il ait parlé de cette couleur. L’homme était peut-être aussi une personne d’une certaine influence.

Rothen avait expliqué à la jeune fille comment les membres de la Guilde élisaient leurs responsables. Cette méthode intriguait l’adolescente. Elle avait tout simplement imaginé que c’étaient les mages les plus puissants qui commandaient.

La plupart des mages sans responsabilités, par exemple Rothen, passaient leurs journées à enseigner, à mener leurs recherches ou à travailler hors de la Guilde. Cette dernière occupation allait de la mission la plus impressionnante à la besogne la plus ridicule. Sonea avait été surprise d’apprendre que les mages avaient bâti le port – et amusée de savoir qu’un des leurs avait passé sa vie à fabriquer une colle la plus performante possible.

Sonea regarda encore autour d’elle. Pendant la semaine qui venait de s’écouler, elle avait eu le temps d’examiner le moindre recoin de sa chambre – ainsi que de celle de Rothen. La fouille en règle de chaque tiroir, coffre et placard n’avait rien révélé de plus exaltant que des vêtements et quelques objets personnels. Sonea avait aussi forcé les quelques coffres fermés à clé, mais n’y avait trouvé que des documents barbants.

Dehors, quelque chose attira l’œil de la jeune fille, qui regarda par la fenêtre. Les deux mages s’étaient séparés et l’homme en bleu se dirigeait vers la maison du haut seigneur.

L’adolescente frissonna en se souvenant de la nuit passée au pied du bâtiment. Rothen ne lui avait pas parlé d’assassins au sein de la Guilde, mais Sonea s’attendait à quelque chose de ce goût-là. Après tout, l’alchimiste voulait faire passer les magiciens pour des travailleurs au grand cœur. Mais si le mage en noir n’était pas un assassin, qui pouvait-il bien être ?

Sonea se souvint des vêtements tachés de sang.

C’est fait, avait-il dit. Tu as apporté ma robe ?

Sonea entendit la porte s’ouvrir, sauta sur ses pieds et vit Rothen apparaître dans un tourbillon de robe violette.

— Désolé d’avoir mis si longtemps, lança-t-il.

C’est un mage, et il s’excuse devant moi, pensa Sonea, amusée.

— Je t’ai ramené des livres de la bibliothèque, dit-il. J’ai pensé que nous pourrions commencer quelques petits exercices mentaux. Qu’en penses-tu ?

Sonea se raidit. Pensait-il vraiment qu’elle lui faisait déjà confiance ?

Une bonne question… Est-ce que tu lui fais confiance ?

— Il est trop tôt pour commencer à t’apprendre le Contrôle, la rassura-t-il. Mais nous devons travailler notre communication mentale pour nous préparer aux futures leçons.

Sonea pensa à tout ce que l’alchimiste lui avait appris durant la semaine écoulée.

Il avait passé le plus clair de ses journées à l’aider à mieux lire. Sonea s’était méfiée au début, puis elle avait suivi les leçons dans l’espoir d’apprendre quelque chose qui lui servirait plus tard. Elle avait été très déçue de travailler sur des textes historiques où personne ne parlait de magie.

Serin avait toujours pris garde à ne pas vexer l’adolescente. En revanche, Rothen n’hésitait pas à la reprendre lorsqu’elle se trompait. Il pouvait être sévère, mais Sonea s’était aperçue, à sa grande surprise, qu’elle n’avait pas du tout peur de lui. Lorsqu’il rouspétait, elle se surprenait même à vouloir le taquiner un brin.

Quand Rothen estimait qu’ils avaient assez travaillé, il parlait avec l’adolescente.

Sonea savait que c’était une tâche compliquée, à cause de tous les sujets qu’elle refusait d’aborder. Mais Rothen était toujours prêt à répondre à ses questions et il n’avait jamais tenté de la pousser à lâcher quoi que ce soit en retour.

La communication mentale ressemblait-elle à quelque chose comme ça ? Sonea se demandait si elle serait toujours capable de garder ses secrets pour elle.

Le seul moyen de le savoir, c’est d’essayer.

— Alors, on commence quand ? demanda-t-elle soudain.

— Si tu veux attendre encore un peu, il n’y a aucun problème, précisa Rothen.

— Non…, répondit-elle. Maintenant, ça me va.

— Assieds-toi, alors. Installe-toi confortablement.

Sonea prit une chaise et regarda le mage pousser le bureau sur le côté avant de rapprocher son propre siège.

Mince, il va s’asseoir tout près.

— Je vais te demander de fermer les yeux, Sonea. Puis je prendrai tes mains. Ce n’est pas nécessaire, mais c’est plus facile ainsi. Tu es prête ? (Sonea hocha la tête.) Ferme les yeux, alors, et détends-toi. Respire profondément. Écoute le bruit de ta respiration.

Sonea fit ce que le mage lui demandait. Rothen ne prononça pas un mot pendant un long moment. L’adolescente comprit qu’ils inspiraient au même rythme et elle se demanda si le mage l’avait fait exprès.

— Imagine, dit-il, qu’avec chaque inspiration, une part de toi se détend un peu plus. Tes orteils, puis tes pieds, tes chevilles, tes mollets, tes genoux, tes cuisses… Détends tes doigts, tes mains, tes poignets, tes bras, ton dos. Laisse retomber tes épaules. Laisse ta tête pencher un peu en avant.

Sonea trouva tout cela étrange, mais elle fit ce que Rothen voulait. Elle sentit pourtant la tension quitter ses membres et se rendit compte que son estomac gargouillait.

— Maintenant, je vais prendre tes mains dans les miennes.

Les paumes qui se posèrent sur les doigts de Sonea paraissaient trop grandes. La jeune fille s’interdit d’ouvrir les yeux pour les regarder.

— Écoute. Prête l’oreille à ce que tu peux entendre.

Sonea comprit soudain qu’elle était entourée de petits bruits qui n’arrêtaient pas. Chaque son s’infiltrait jusque dans le creux de ses oreilles et exigeait d’être entendu : les pas dehors, les voix étouffées des mages, celles des serviteurs dans le bâtiment…

— Maintenant laisse disparaître les bruits de l’extérieur. Concentre-toi sur ceux de la pièce.

La chambre était plus calme. Le seul son qui parvenait à Sonea était celui de leurs respirations, maintenant sur deux rythmes différents.

— Laisse-les disparaître aussi. Écoute ton propre corps. Le battement sourd de ton cœur…

Sonea ne comprit pas. Aucun son ne venait d’elle.

— … le sang qui coule dans tes veines…

La jeune fille se concentra mais n’entendit rien.

— … le bruit de ton estomac…

… Ou peut-être que si ? Elle entendait quelque chose…

— … les vibrations de tes tympans…

Puis elle comprit que ces bruits ne s’entendaient pas. Ils se ressentaient.

— … le son de tes propres pensées.

La jeune fille resta interdite, puis devina une Présence dans son esprit.

— Bonjour, Sonea.

— Rothen ?

— Oui.

La Présence se fit plus tangible. Sa personnalité était curieusement familière. C’était comme reconnaître une voix si particulière qu’aucune autre ne pourrait jamais l’imiter.

— Alors, c’est ça, la communication mentale ?

— Oui, Sonea. Grâce à elle, nous pourrions nous parler de très loin.

La jeune fille n’entendait pas des mots : elle captait le sens des pensées que Rothen projetait vers elle. Elles éclataient dans son esprit, Sonea les comprenant si vite et si parfaitement qu’elle savait exactement ce que voulait lui dire le mage.

— Ça va tellement plus vite que parler !

— Oui, et aucun risque de ne pas se comprendre…

— Est-ce que je pourrais parler comme ça à ma tante ? Lui dire que je suis toujours en vie.

— Oui et non. Seuls les mages peuvent communiquer sans aucun contact. Tu pourrais parler à ta tante, mais tu aurais besoin de la frôler. Toutefois, rien ne t’empêche de lui envoyer un message plus classique… Pourquoi pas une lettre ?

Sonea ne pouvait pas le faire sans avouer à sa tante où elle se trouvait. D’un coup, elle sentit fondre en elle tout enthousiasme pour la communication mentale. Elle ne devait pas oublier d’être prudente.

— Mais… est-ce que les magiciens font ça tout le temps ?

— Non, parce qu’il y a des limites à cette forme de télépathie. Par exemple, on devine les émotions derrière les pensées de l’interlocuteur. Si quelqu’un ment, on le sait parfaitement.

— Et c’est une mauvaise chose ?

— Pas en soi, non. Mais imagine que tu remarques que ton meilleur ami devient chauve. Si ça t’amuse, il le saura. Et même s’il était incapable de dire ce que tu trouves si drôle, il comprendra que tu ris à ses dépens. Maintenant imagine que ce ne soit pas ton confident, mais quelqu’un que tu respectes et que tu veux impressionner.

— Je vois.

— Voilà. Pour la seconde partie de la leçon, je voudrais que tu voies ton esprit comme une chambre, avec des murs, un sol et un plafond.

Sonea se retrouva aussitôt au centre d’une pièce. L’espace avait quelque chose de familier, même si elle ne se souvenait pas de l’avoir déjà vu.

— Que vois-tu, Sonea ?

— Il y a des lambris sur les murs et tout est vide. Il n’y a ni porte ni fenêtres.

— D’accord. Cette pièce est la part consciente de ton esprit.

— Tu… tu vois la pièce ?

— Oui. Je ne lis pas en toi, c’est toi qui m’envoies une image de ce que tu vois. Regarde, je fais la même chose.

— C’est… différent… c’est bien la même pièce, mais c’est comme si elle était pleine de brouillard. Je ne distingue plus les détails.

— C’est à cause du temps. Je commence déjà à perdre la mémoire de l’image telle que tu me l’as envoyée. Le brouillard, comme tu dis, voile ce qui m’a échappé : les couleurs, la texture. Bien. Maintenant, ta pièce doit avoir une porte.

La jeune fille vit immédiatement apparaître une porte dans l’un des murs.

— Tu te rappelles à quoi ressemblait ton pouvoir ?

— À une sphère lumineuse ?

— C’est souvent comme cela qu’on le voit. Je veux que tu penses à sa forme lorsqu’il était fort et dangereux, puis à celle qu’il avait, une fois amadoué. Tu peux le faire ?

— Oui.

— Bien. Ouvre la porte.

Sonea obéit. Devant elle s’étendaient les ténèbres. La jeune fille ne vit qu’une sphère blanche et lumineuse. Il était impossible de savoir à quelle distance se trouvait le globe. Il semblait à portée de bras, puis, l’instant suivant, paraissait gigantesque et à une distance inconcevable.

— Comment est-il par rapport à la dernière fois ?

— Pas aussi gros que lorsqu’il est devenu dangereux. Je t’en envoie une image.

— C’est bien qu’il soit encore petit… Il grossit plus vite que je l’aurais cru, mais il nous reste du temps avant de devoir nous en occuper. Ferme la porte.

— Elle vient de disparaître.

— C’est normal. Je veux que tu en imagines une autre. Cette fois, elle doit donner sur l’extérieur, alors imagine-la plus grande.

Une double porte apparut, et Sonea reconnut celles du meublé où elle avait vécu avant la Purge.

— Lorsque tu ouvriras cette porte, tu verras une maison qui devrait ressembler à quelque chose comme ça.

L’image d’une demeure au crépi blanc éclata dans l’esprit de Sonea. Une bâtisse très semblable à celles qu’elle avait vues dans le quartier ouest. La jeune fille poussa les deux battants de la porte. Lorsqu’ils s’ouvrirent, elle se trouva devant le bâtiment. Une venelle passait entre elle et la maison.

— Traverse la ruelle, Sonea.

La maison n’avait qu’une simple porte rouge. Sonea ne se sentit pas bouger, mais elle se retrouva soudain debout sur le seuil de la demeure. Elle frôla la poignée et la porte s’ouvrit sans effort. Sonea avança dans le vestibule.

Des tableaux étaient accrochés aux murs blancs et des chaises, recouvertes de coussins, étaient disposées dans les coins. Cette pièce rappela à Sonea le salon de Rothen, en plus grand. La personnalité du mage baignait chaque détail, comme un parfum très fort ou la chaleur du soleil.

— Bienvenue, Sonea. Tu es dans ce que tu pourrais appeler : « la première pièce de mon esprit ». Je peux te montrer certaines choses, ici. Regarde les tableaux.

Sonea s’approcha des toiles et se vit elle-même, en robe de mage, en train de converser avec d’autres magiciens. Troublée, elle recula.

— Attends, Sonea. Regarde le tableau suivant.

La jeune fille avança vers l’œuvre à contrecœur. Elle se vit en robe verte, soignant un homme à la jambe blessée.

Sonea se retourna vivement.

— Pourquoi cet avenir te répugne-t-il ?

— Ce n’est pas moi.

— Mais ça pourrait l’être ! Vois-tu maintenant que je ne t’ai pas menti ?

Sonea regarda de nouveau les peintures et comprit que Rothen lui avait dit la vérité. Ici, il était incapable de cacher ses pensées. Il l’avait conduite dans ce lieu pour lui montrer toutes les possibilités qui s’offraient à elle. La Guilde avait réellement une place pour elle.

Sonea tourna les yeux, vit une porte noire et sut aussitôt que le verrou était fermé. Sa méfiance refit surface. Rothen ne pouvait pas lui mentir, mais…

— Tu me caches des choses !

— Bien sûr. Nous avons tous cette capacité : garder pour nous ce que nous ne voulons pas révéler aux autres. Sinon, personne ne laisserait un étranger entrer dans son esprit. Je t’apprendrai à le faire, puisque ton désir d’intimité est très développé. Regarde, et je te laisserai apercevoir ce qui se cache derrière cette porte.

Le battant s’ouvrit. Sonea vit une femme couchée sur un lit, le visage blafard. Un terrible chagrin emplissait la pièce. La porte se referma violemment avant que Sonea puisse en voir plus.

— Ma femme.

— Elle est morte ?

— Oui. Comprends-tu pourquoi je garde certaines choses pour moi ?

— Je… je suis désolée.

— C’était il y a très longtemps, et je comprends que tu veuilles être sûre de moi.

Sonea se détourna de la porte noire. Une odeur avait envahi la pièce, une senteur de fleurs qui couvrait quelque chose de bien plus déplaisant. Les peintures de Sonea s’étaient multipliées jusqu’à recouvrir les murs, mais les couleurs avaient fondu.

— Nous avons bien travaillé aujourd’hui. Et si nous retournions dans ton esprit ?

Avant que Sonea ait pu répondre, le sol se mit à glisser sous ses pieds, la repoussant jusqu’à la porte d’entrée. Une fois dehors, la jeune fille put voir sa propre maison. C’était un bâtiment de bois fatigué mais toujours robuste – une demeure typique des meilleurs quartiers des Taudis. La jeune fille traversa la rue, rentra chez elle, et la porte claqua dans son dos.

— Maintenant, retourne-toi et regarde dehors.

Sonea repoussa les battants et sursauta en voyant Rothen debout devant elle. Il semblait un peu plus jeune et un peu plus petit.

— Alors, tu m’invites à entrer ?

Sonea s’écarta pour lui laisser la place de passer. Alors que le mage franchissait le seuil, sa Présence emplit la pièce. Il regarda autour de lui et Sonea remarqua que la salle n’était plus vide.

Elle se sentit coupable en voyant qu’un coffre était ouvert sur la table. C’était l’un de ceux dont elle avait forcé la serrure et on pouvait voir les documents qu’il contenait.

Puis Sonea vit Cery assis en tailleur dans un coin, jouant avec trois livres facilement reconnaissables.

Et dans le coin opposé, Jonna et Ranel…

— Sonea.

Elle se retourna et vit que Rothen avait posé les mains sur ses yeux.

— Range derrière une porte ce que tu veux garder pour toi.

L’adolescente se concentra pour repousser toutes ses visions. Elles reculèrent jusqu’aux murs et s’y enfoncèrent.

— Sonea ?

La jeune fille vit que Rothen avait disparu.

— Je t’ai chassé aussi ?

— Oui. Réessayons.

Sonea ouvrit la porte, laissa à nouveau entrer Rothen et aperçut quelque chose du coin de l’œil – mais quoi que cela puisse être, elle le renvoya derrière le mur. En se retournant, la jeune fille vit avec étonnement qu’une nouvelle pièce avait « poussé » à sa maison. Une porte s’ouvrait sur l’un des murs, et Rothen se tenait dans son encadrement.

Il passa le seuil. Soudain, il y eut deux pièces entre eux. Puis trois.

— Assez !

Sonea sentit les mains de Rothen lâcher les siennes. Elle ouvrit les yeux, soudain consciente du monde extérieur. Rothen était assis sur sa chaise et se frottait les tempes.

— Tu vas bien ? lui demanda Sonea. Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Je vais bien. Tu m’as simplement chassé de ton esprit. C’est une réaction naturelle et tu peux apprendre à la contrôler. Ne t’en fais pas, ce n’est pas la première fois que ça m’arrive. J’ai eu de nombreux élèves avant toi.

— Tu veux encore essayer ? demanda Sonea en se tordant nerveusement les doigts.

— Pas maintenant. Nous allons nous reposer et travailler ta lecture. Nous retenterons peut-être le coup cet après-midi.

 

Chapitre 20

PRISONNIER DE LA GUILDE

 

 

 

 

 

 

ery bâilla à s’en décrocher la mâchoire. Depuis que Sonea avait été capturée, dormir était devenu un luxe pour lui. Le sommeil le fuyait lorsqu’il le cherchait et lui tombait dessus aux plus mauvais moments. À cet instant précis, Cery avait besoin de toutes ses facultés.

Un vent violent secouait les arbres et les haies, faisant s’envoler les feuilles. Il faisait si froid que Cery avait des crampes. Il étira une de ses jambes, la massa et s’occupa ensuite de l’autre.

Il leva de nouveau les yeux vers la fenêtre de son amie. S’il pensait encore une fois « Regarde dehors, Sonea », sa tête allait exploser. L’adolescente avait de l’empathie, mais pas au point de savoir quand quelqu’un campait sous ses fenêtres.

Cery avait fait un tas de boules de neige et il y jeta un coup d’œil. Il pouvait les lancer, mais il faudrait que le bruit soit assez fort pour réveiller Sonea sans attirer l’attention de quelqu’un d’autre. Cery ne savait pas si son amie était toujours dans la pièce – ni si elle y était seule.

En arrivant, il avait vu derrière le carreau une lumière qui s’était presque aussitôt éteinte. Les croisées de gauche étaient obscures, mais pas celles de droite. Cery lança un regard anxieux vers l’université qui se dressait non loin de là. Le bâtiment était sombre. Depuis la première nuit où il avait observé Sonea, il n’avait plus aperçu le visage mystérieux.

Le jeune homme vit une lumière du coin de l’œil et regarda le bâtiment des mages. Dans la pièce à côté de la chambre de Sonea, la lueur s’était éteinte. L’adolescent sourit et massa ses jambes. Plus que quelques instants…

Quand un visage blanc se colla à la vitre, Cery pensa qu’il s’était réellement endormi et qu’il rêvait. Mais, le cœur battant, il comprit qu’il regardait bien Sonea.

L’adolescente fouillait le jardin des yeux.

Hélas, elle disparut.

Tous ses tracas soudain envolés, Cery prit une boule de neige, et ses jambes protestèrent lorsqu’il se leva pour sortir de son buisson. Il visa avec soin. Au moment où la boule de neige quitta ses doigts, il replongea à l’abri des feuillages.

Cery entendit la neige s’écraser contre le carreau et se félicita en voyant que Sonea regardait par la fenêtre. Elle vit la neige collée à la vitre et baissa les yeux sur le jardin.

Le garçon surveilla les autres croisées et n’y vit personne. Il sortit la tête du buisson, et Sonea écarquilla les yeux, folle de joie en le reconnaissant.

Cery lui fit un signe de la main, puis lui posa une question dans le langage par signes des traîne-ruisseau. Elle lui fit « non » de la tête.

Non, aucun mal ne lui avait été fait.

Le code des voleurs restait basique : « prêt ? », « maintenant », « attends », « sors d’ici », et les évidents « oui » et « non ». Il n’y avait aucun signe pour : « Je viens te libérer. » ou « Est-ce que ta fenêtre est fermée ? »

Cery pointa un doigt sur son torse, mima une escalade, fit semblant d’ouvrir une fenêtre, désigna Sonea, puis finit avec le code : « Sortons d’ici ».

Sonea lui répondit « Attends ». Elle se désigna du doigt, ajouta « Sortons d’ici » et secoua la tête.

Cery ne comprit pas. Sonea connaissait plus de signaux des voleurs que la plupart des traîne-ruisseau, mais elle ne les maîtrisait pas aussi bien que lui. Elle pouvait vouloir dire qu’elle n’était pas en mesure de sortir, qu’elle ne le voulait pas pour l’instant, ou encore qu’elle demandait à son ami de revenir plus tard. Cery refit les signaux pour « Allons-nous-en » et « Maintenant ».

Sonea lui répondit « Non ». Elle tourna soudain la tête sur sa gauche et écarquilla les yeux. Puis elle recula et agita les doigts pour dire « Va-t’en », et le répéta plusieurs fois. Cery s’aplatit sur le sol et retourna dans son buisson en espérant que le vent couvrirait les bruits de sa fuite.

Le jeune homme écouta, mais il n’entendit rien. Au moment où il se demandait ce qui avait pu faire peur à Sonea, il sentit un courant d’air chaud le chatouiller, et les petits cheveux de sa nuque se hérissèrent.

— Lève-toi, dit une voix cultivée et bien trop proche. Je sais que tu es là-dedans.

Cery se retourna. Entre les feuillages, il aperçut l’étoffe d’une robe de mage, si près qu’il aurait pu la toucher. Une main fouillait les broussailles. Cery recula hors de portée, le dos collé contre le bâtiment. Le mage retira ses doigts. Cery comprit aussitôt qu’il avait été vu et détala en direction la forêt.

Il n’eut pas le temps de faire trois enjambées… Quelque chose s’abattit sur son dos et il tomba le nez dans la neige. Il sentit un poids le plaquer au sol – si fermement qu’il pouvait difficilement respirer, la glace lui brûlant les joues.

Le jeune homme paniqua totalement lorsqu’il entendit qu’on s’approchait.

Calme ! Reste calme, pensa-t-il. Tu n’as jamais entendu dire qu’ils tuaient les intrus… D’un autre côté, tu n’as jamais entendu dire non plus qu’ils en trouvaient…

La pression se relâchant dans son dos, l’adolescent voulut se mettre à quatre pattes, mais une main lui saisit le bras. Elle le remit brutalement debout et le tira sur le chemin.

Cery regarda le mage et devint blanc comme un linge quand il le reconnut.

— J’ai l’impression de te connaître…, dit le mage en plissant les yeux. Ah ! ça y est ! Le pouilleux qui a tenté de me frapper. (Le magicien regarda la fenêtre de Sonea.) Il semble que notre amie ait un admirateur. Comme c’est touchant…

Les yeux du mage flamboyèrent pendant qu’il étudiait Cery.

— Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ? siffla-t-il. Les intrus sont en général interrogés avant d’être raccompagnés hors de la Guilde. Autant commencer tout de suite.

L’adolescent se débattit quand le mage le poussa vers l’université. Mais, si fines fussent-elles, les mains de l’homme étaient trop puissantes.

— Laissez-moi partir ! hurla Cery.

— Si tu t’entêtes à secouer mon bras dans tous les sens, je vais être obligé d’utiliser des moyens moins… terre à terre… pour t’immobiliser. Je te conseille de coopérer. Je suis aussi impatient que toi de connaître le fin mot de cette histoire.

— Où m’emmenez-vous ?

— À l’abri de ce vilain vent, en premier lieu.

Ils étaient à quelques pas de l’université lorsqu’une voix lança :

— Seigneur Fergun.

Le mage se pétrifia et regarda par-dessus son épaule. Deux silhouettes en robe approchaient. Cery sentit la main de son assaillant tressaillir et se demanda s’il devait se méfier ou pas de ces nouveaux arrivants. En tout cas, Fergun ne les portait pas dans son cœur, ça crevait les yeux.

— Administrateur, répondit Fergun, quel heureux hasard ! Je venais justement vous voir. J’ai découvert un intrus dans nos jardins, il voulait contacter la fille des Taudis.

— C’est bien ce qu’on m’a dit.

— Voulez-vous l’interroger ? demanda Fergun d’une voix pleine d’espoir.

— Évidemment, répondit le mage de haute taille.

Il fit un geste de la main et une sphère de lumière apparut devant Cery. Une douce chaleur se répandit aussitôt dans les membres de l’adolescent et le vent mourut. Autour d’eux des rafales rudoyaient les arbres, mais les robes des trois mages ne bougeaient plus.

À l’intérieur de la sphère, les couleurs de leurs vêtements semblaient plus vives. Le grand mage était habillé de bleu. Son compagnon, un vieil homme, portait du violet, et l’assaillant de Cery, lui, avait une robe rouge. Le grand magicien tourna la tête vers l’adolescent et lui sourit.

— Voudrais-tu parler à Sonea, Cery ?

L’adolescent se demanda comment le mage pouvait connaître son nom.

Sonea lui avait sans doute parlé de lui. Si elle avait voulu mettre Cery en garde, elle aurait donné un autre prénom aux mages. À moins qu’ils lui aient tiré les vers du nez, ou qu’ils aient lu dans son esprit, ou encore…

De toute façon, ils lui avaient bel et bien mis la main dessus. Si les mages avaient décidé de lui faire du mal, son destin était scellé. Au moins, il lui restait une chance de voir Sonea.

Cery hocha la tête et le grand mage dit à Fergun de le relâcher.

Fergun planta ses ongles dans le bras de Cery avant de le laisser aller. L’homme en robe bleue fit signe au jeune homme de le suivre, puis se dirigea vers le bâtiment des mages.

Les portes s’ouvrirent devant eux et Cery monta une volée de marches à la suite du mage, conscient de la présence des deux autres sur ses talons. Ils remontèrent un couloir percé de nombreuses portes. Quand ils s’arrêtèrent devant l’une d’elles, le vieux mage posa un doigt sur la poignée et elle s’ouvrit.

Cery étudia d’abord la pièce luxueuse du regard avant d’apercevoir Sonea. Assise sur une chaise, la jeune fille sourit dès qu’elle reconnut son ami.

— Vas-y, dit le mage vêtu de bleu en poussant Cery en avant.

Le jeune homme avança, et la porte se referma dans son dos. Son cœur s’emballant, il se demanda s’il n’était pas tombé dans un piège.

— Cery… Je suis contente de te revoir, dit Sonea. Assieds-toi. J’ai demandé à Rothen la permission de te parler. Je lui ai dit que tu essaierais de me sauver jusqu’à ce que tu saches pourquoi je ne peux pas partir.

— Pourquoi tu devrais rester là ? demanda Cery en se laissant tomber sur une chaise.

— Je ne sais pas comment t’expliquer… Les mages doivent contrôler leur pouvoir, et seuls d’autres mages peuvent le leur apprendre, parce que les leçons se font d’esprit à esprit. S’il ne se Contrôle pas, le mage lance des sorts dès qu’il a une émotion forte, sans le faire exprès. Son don prend des formes simples mais dangereuses, et gagne en puissance sans arrêt. Parfois même… je… j’ai failli mourir, Cery, le jour où ils m’ont trouvée. Ils m’ont sauvé la vie.

— J’ai tout vu, Sonea. Les bâtiments sont complètement détruits.

— Ç’aurait pu être bien pire s’ils ne m’avaient pas trouvée, tu sais. Des gens auraient pu mourir. Des tas de gens.

— C’est pour ça que tu ne peux pas rentrer chez nous ?

Sonea rit. Un son si joyeux que Cery la fixa sans rien trouver à dire.

— Tout ira bien, assura la jeune fille. Une fois que je me Contrôlerai, je ne serai plus un danger pour personne. Je commence à comprendre comment les choses se passent, ici. (Elle lui fit un clin d’œil.) Et toi, où as-tu été traîner, ces derniers temps ?

— Toujours dans le même coin. La meilleure gargote des Taudis.

— Et ton… ami ? Il te donne toujours du boulot ?

— Oui. Mais ce sera peut-être fini, après ce que j’ai fait ce soir.

Sonea réfléchit à ce que venait de dire Cery et son front se plissa d’inquiétude. Le garçon sentit son cœur se serrer si fort qu’il en eut mal. Il ferma les poings et regarda ailleurs. Il aurait voulu cracher toute la culpabilité et la peur qu’il traînait depuis la capture de son amie, mais il ne savait pas si les mages les écoutaient et il préféra donc se taire.

Cery regarda les chaises et leurs coussins, la table et les rideaux épais… Finalement, Sonea n’était pas si mal traitée. La jeune fille bâilla et l’adolescent se souvint qu’il était très tard.

— Je crois que je ferais mieux de te laisser, maintenant, Sonea.

Cery se leva mais ne réussit pas à quitter la pièce. Il ne voulait pas laisser son amie.

— Dis à tout le monde que je vais bien, recommanda Sonea en souriant tristement.

— Je le ferai.

Cery resta pétrifié. Le sourire de Sonea disparut lorsqu’elle croisa son regard, mais elle lui fit quand même signe de sortir.

— Tout ira bien, tu verras. File, maintenant.

Cery se força à aller frapper à la porte, qui s’ouvrit sur les trois mages qui attendaient dans le couloir.

— Dois-je escorter notre visiteur jusqu’à la grille ? proposa Fergun.

— Oui, merci, répondit le mage en robe bleue.

Un globe lumineux apparut au-dessus de la tête de Fergun. Le mage attendit que Cery lui emboîte le pas ; le jeune homme hésita un instant, le temps de remercier le magicien vêtu de bleu.

Celui-ci hocha la tête en réponse. L’homme blond sur les talons, Cery descendit l’escalier.

En repensant à ce que Sonea lui avait dit… Son message par signes prenait tout son sens, maintenant. Elle devait maîtriser le Contrôle avant de penser à s’échapper. Cery ne pouvait pas faire grand-chose pour elle, à part s’assurer qu’elle aurait un endroit où être en paix, une fois dehors.

— Tu es le mari de Sonea ? demanda soudain le magicien.

— Pas du tout, répondit Cery, étonné.

— Son… alors, heu… petit ami ?

— Non, un ami tout court, dit Cery en rougissant.

— Oh, je vois ! C’était un véritable geste héroïque de venir ici.

Cery décida qu’il n’avait pas besoin de répondre à cette question-là et il sortit du bâtiment.

— Attends, dit Fergun en s’arrêtant. Laisse-moi te montrer un raccourci à l’intérieur de l’université. On y sera à l’abri des bourrasques.

L’université ! Cery avait toujours voulu entrer dans ce bâtiment. Il n’aurait plus jamais une telle occasion, puisque Sonea s’échapperait bientôt ! Le jeune homme haussa les épaules comme si ça lui importait peu et se dirigea vers la porte du bâtiment.

Sa respiration s’accéléra à chaque marche montée. Ils entrèrent, et Cery vit une salle remplie de casiers élégants et travaillés.

Le globe lumineux se volatilisa et Fergun guida Cery vers un corridor qui s’étendait à perte de vue.

Des portes s’alignaient de chaque côté du couloir. Cery fouilla du regard le corridor, mais il fut incapable de dire d’où venait la lumière. On eût dit que les murs eux-mêmes brillaient.

— Sonea a été une véritable surprise, dit soudain Fergun. Nous n’avions jamais trouvé un jeune talentueux dans les classes inférieures…