- L'hôpital psychiatrique du Connecticut, sur la Côte Est, a traité plus de cas de personnalité multiple que tout autre endroit du pays. C'est un de mes amis, le Dr Otto Lewison, qui le dirige. Si vous pouvez obtenir du tribunal qu'on y envoie Ashley, je pense que ça lui serait très salutaire.
- Merci. Je vais voir ce que je peux faire. ª
´ Je... Je ne sais comment vous remercier ª, dit le Dr Ste-
ven Patterson à David.
Celui-ci sourit. Ńe me remerciez pas. C'était un échange de bons procédés. Vous vous souvenez ?
- Vous avez fait un travail épatant. Pendant un moment, j'ai eu peur...
- Moi aussi.
- Mais la justice a eu gain de cause. On va soigner ma fille.
- J'en suis s˚r, dit David. Le Dr Salem m'a conseillé un hôpital psychiatrique du Connecticut. Leur personnel maîtrise bien le traitement du syndrome de personnalité multiple. ª
Le Dr Patterson resta quelques instants silencieux. ´ Vous savez, Ashley ne méritait pas de vivre tout ça. Elle est tellement adorable.
- Je suis d'accord. Je vais parler au juge Williams pour essayer d'obtenir son transfert. ª
Le juge Williams était dans son cabinet. Én quoi puis-je vous être utile, maître Singer?
- J'ai une faveur à vous demander. ª
Elle sourit. ´J'espère pouvoir vous l'accorder. De quoi s'agit-il?ª
Il expliqua au juge ce que le Dr Salem lui avait dit.
Éh bien, c'est une requête plutôt inhabituelle. Nous avons de bons hôpitaux psychiatriques ici en Californie.
- D'accord, dit David. Merci, Votre Honneur. ª Déçu, il fit demi-tour pour s'en aller.
´ Je n'ai pas dit non, maître Singer. ª David s'immobilisa.
Ć'est une requête inhabituelle mais cette affaire l'était aussi. ª
David attendit.
´ Je crois que je peux arranger son transfert.
- Merci, Votre Honneur. Je vous en suis reconnaissant. ª
Ashley, dans sa cellule, pensait : On m'a condamnée à
mort. A une mort lente dans un asile rempli de fous. C'aurait été plus gentil de me tuer maintenant. Elle pensa aux années interminables, désespérantes, qui l'attendaient, et elle se mit à
sangloter.
La porte de la cellule s'ouvrit et son père entra. Il resta quelques instants à la regarder, le visage anxieux.
´ Ma chérie... ª Il s'assit en face d'elle. ´ Tu vas vivre. ª
Elle secoua la tête. ´ Je ne veux pas vivre.
- Ne dis pas ça. Tu as un problème médical, mais ce n'est pas incurable. On va te soigner. quand tu iras mieux, tu viendras vivre avec moi et je m'occuperai de toi. quoi qu'il arrive, nous serons toujours là l'un pour l'autre. Rien ne pourra nous séparer. ª
Ashley ne disait rien.
´ Je sais ce que tu ressens, mais crois-moi, ça va changer.
Ma petite fille va me revenir guérie. ª Il se leva lentement.
Íl faut, hélas, que je retourne à San Francisco. ª Il attendit qu'Ashley dise quelque chose.
Elle demeura silencieuse.
´David m'a dit qu'il espérait t'envoyer dans l'une des meilleures institutions psychiatriques du monde. J'irai te voir là-bas. «a te ferait plaisir ? ª
Elle acquiesça sans enthousiasme. Óui.
- Parfait, ma chérie. ª Il l'embrassa sur la joue et la serra contre lui. ´ Je vais faire en sorte que tu aies les meilleurs soins qui soient. Je veux que ma petite fille me revienne. ª
Ashley regarda son père partir et pensa : Pourquoi est-ce que je ne meurs pas maintenant ? Pourquoi ne veut-on pas me laisser mourir ?
Une heure plus tard, elle reçut la visite de David.
Éh bien, on a réussi ª, dit-il. Il la regarda, l'air soucieux.
´«a va?
- Je ne veux pas aller en asile psychiatrique. Je veux mourir. Je ne supporterai pas de vivre comme ça. Aidez-moi, David. Je vous en prie, aidez-moi.
- Ashley, on va vous aider. Le passé est le passé. Vous avez désormais un avenir devant vous. Le cauchemar va finir. ª Il lui prit la main. Écoutez, vous m'avez fait confiance jusqu'à présent. Continuez. Vous allez retrouver une vie normale. ª
Elle garda le silence.
´ Dites : "Je vous crois, David". ª
Elle soupira profondément. ´ Je... Je vous crois, David. ª
Il eut un grand sourire. ´ Voilà. Vous prenez un nouveau départ. ª
Dès que le jugement fut rendu public, ce fut du délire dans les médias. David devint, du jour au lendemain, un héros. Il avait défendu une cause impossible et l'avait gagnée.
Il téléphona à Sandra. ´ Ma chérie, je...
- Je sais, mon amour. Je sais. Je viens de voir ça à la télévision. C'est merveilleux, non? Je suis tellement fière de toi.
- Si tu savais combien je suis content que ce soit fini. Je vais rentrer ce soir. J'ai h‚te de...
- David...?
- Oui?
- David... oooh...
- Oui ? qu'est-ce qu'il y a, mon chou ?
-... Oooh... Je suis en train d'accoucher...
- Attends-moi ! ª, cria-t-il.
Jeffrey Singer pesait quatre kilos et demi et c'était le plus beau bébé que David e˚t jamais vu.
Íl te ressemble, dit Sandra.
- Oui, n'est-ce pas ? ª David était rayonnant.
´ Je suis contente que tout se soit si bien terminé ª, dit Sandra.
David soupira. Íl y a eu des moments o˘ j'ai cru ne jamais y arriver.
- Je n'ai jamais douté de toi. ª
Il l'étreignit. ´ Je reviendrai, ma chérie. Il faut que j'aille vider mon bureau. ª
A son arrivée au cabinet Kincaid, Turner, Rose & Ripley, il fut chaleureusement accueilli.
´ Félicitations, David...
- Beau boulot...
- Vous vous y êtes vraiment pris de main de maître... ª
Il entra dans son bureau. Holly était partie. Il commença à
vider ses tiroirs.
´ David... ª
Il se retourna. C'était Joseph Kincaid.
Celui-ci s'approcha et dit : ´ qu'est-ce que vous faites?
- Je vide mon bureau. J'ai été licencié. ª
Kincaid sourit. ´ Licencié ? Bien s˚r que non. Non, non, non. Il a d˚ y avoir un malentendu. ª Il était ravi. Ńous allons vous nommer partenaire, mon petit. En fait, j'ai convoqué une conférence de presse pour vous, ici même, à
3 heures. ª
David le regarda. ´ Vraiment? ª
Kincaid acquiesça. Ábsolument.
- Vous feriez mieux de l'annuler, dit David. J'ai décidé
de revenir au droit pénal. Jesse quiller m'a offert de devenir partenaire dans son cabinet. Au moins, quand on s'occupe de cette partie du droit, on sait qui sont vraiment les criminels.
Alors, mon petit Joe, ton partenariat, tu le prends et tu te le mets o˘ je pense. ª
Et David sortit du bureau.
Jesse quiller visita le duplex en terrasse et dit : Śuperbe.
C'est exactement ce qu'il vous faut.
- Merci ª, dit Sandra. Elle entendit du bruit dans la chambre d'enfant, Íl faut que j'aille voir ce qui se passe avec Jeffrey. ª Elle se précipita dans la pièce voisine.
Jesse quiller s'approcha pour examiner d'un air admiratif un beau cadre en argent qui contenait la première photo de Jeffrey. Će cadre est superbe. D'o˘ vient-il ?
- C'est le juge Williams qui nous l'a envoyé.
- Je suis heureux que tu sois de nouveau des nôtres, David.
- Et moi, je suis heureux de revenir à ton cabinet.
- Tu as sans doute envie de prendre les choses tranquillement pour quelque temps. Repose-toi un peu...
- Oui. Nous avions pensé prendre Jeffrey, monter dans l'Oregon rendre visite aux parents de Sandra et...
- A propos, une affaire intéressante nous est arrivée au bureau ce matin, David. Une femme accusée d'avoir assassiné ses deux enfants. J'ai le sentiment qu'elle est innocente Malheureusement, je serai à Washington pour un autre procès, mais j'ai pensé que tu pourrais lui parler et voir ce que tu en penses... ª
LIVRE III
CHAPITRE VINGT-DEUX
L'hôpital psychiatrique du Connecticut, situé à une dizaine de kilomètres au nord de Westport, était, à l'origine, la propriété de Wim Boeker, un riche Hollandais qui l'avait fait construire en 1910. Les quarante arpents d'une belle terre fer-tile contenaient un grand manoir, un atelier, des écuries et une piscine. L'Etat du Connecticut, qui avait acheté la propriété
en 1925, avait réaménagé le manoir pour qu'il puisse recevoir cent patients. La propriété avait été entourée d'une haute clôture grillagée, et l'entrée équipée d'un poste de garde. On avait installé des barreaux à toutes les fenêtres et une partie de la maison avait été spécialement transformée en quartier de haute sécurité pour assurer la surveillance des pensionnaires dangereux.
On était en réunion dans le bureau du Dr Otto Lewison, directeur de la clinique. Les Drs Gilbert Keller et Craig Poster discutaient d'une nouvelle patiente qui allait bientôt arriver.
Gilbert Keller, un quadragénaire de taille moyenne, blond aux yeux d'un gris très vif, était un spécialiste renommé du syndrome de personnalité multiple.
Otto Lewison, le directeur, un septuagénaire, était un petit homme tiré à quatre épingles, affublé d'une barbe et d'un pince-nez.
Le Dr Craig Poster, qui faisait équipe depuis des années avec le Dr Keller, travaillait à un livre sur le syndrome de personnalité multiple. Ils étaient tous en train d'étudier le casier judiciaire d'Ashley Patterson.
Élle n'y est pas allée de main morte, dit Otto Lewison.
Elle n'a que vingt-huit ans et a déjà tué cinq hommes. ª Il jeta de nouveau un coup d'úil au document. Élle a aussi essayé
d'assassiner son avocat.
- Fantasme répandu, dit Gilbert Keller d'un ton caustique.
- Nous allons la mettre dans le pavillon de haute sécurité
A, en attendant de disposer d'une évaluation complète de son cas, dit Otto Lewison.
- quand arrive-t-elle ? ª, demanda le Dr Keller.
La voix de la secrétaire du Dr Lewison leur parvint dans l'intercom. ´ Docteur Lewison, on amène Ashley Patterson.
Voulez-vous qu'on la conduise dans votre bureau?
- Oui, s'il vous plaît. ª Lewison leva les yeux. ´ «a répond à votre question ? ª
Le voyage avait été cauchemardesque. A la fin de son procès, on avait ramené Ashley Patterson dans sa cellule o˘ on l'avait gardée trois jours tandis qu'étaient prises les dispositions nécessaires à son transfert en avion vers la côte Est.
Un bus pénitentiaire l'avait conduite à l'aéroport d'Oakland o˘ un avion l'attendait. C'était un DC-6 converti, appartenant au gigantesque système de transport national des prisonniers dirigé par le U.S. Marshal, le responsable des prisons fédérales. Il y avait vingt-quatre prisonniers à bord, tous menottés et les fers aux pieds.
Ashley aussi était menottée et, lorsqu'elle s'était assise, on lui avait enchaîné les pieds à la partie inférieure du siège.
Pourquoi me fait-on ça ? Je ne suis pas une dangereuse criminelle. Je suis une femme normale. Et une voix intérieure avait ajouté : qui a tué cinq personnes.
Les prisonniers qui se trouvaient dans l'avion étaient des criminels endurcis reconnus coupables de meurtre, de viol, de vol à main armée et de quantité d'autres délits. Ils étaient en route vers des prisons haute sécurité un peu partout dans le pays. Ashley était la seule femme à bord.
L'un des détenus la regarda avec un grand sourire. Śalut, poupée. qu'est-ce que tu dirais de venir un peu par ici me faire des petits c‚lins ?
- Du calme, dit un gardien.
- Dites donc ! On a un cúur comme tout le monde, non ?
Cette garce va être mise à l'ombre pour... Pour combien de temps en as-tu pris, Poupée ?
- Tu es en chaleur, ma poule ? dit un autre détenu. qu'est-ce que tu dirais si je venais m'asseoir près de toi et si je te sautais...
- Une minute ! fît un autre encore. C'est la nana qui a tué
cinq mecs et qui les a ch‚trés. ª
Ils l'avaient tous regardée.
On ne rigolait plus.
Sur le trajet vers New York, l'avion s'était posé deux fois pour débarquer ou embarquer des passagers. Le vol avait été
long, il y avait des turbulences, et Ashley souffrait du mal de l'air lorsqu'ils avaient finalement atterri à l'aéroport de La Guardia.
Deux policiers en uniforme l'attendaient sur la piste. On l'avait libérée des chaînes qui la retenaient au siège de l'avion et on les lui avait remises dans le fourgon de la police. Elle n'avait jamais ressenti pareille humiliation. Le fait de se sentir par ailleurs normale rendait la chose encore plus insupportable. Croyait-on qu'elle allait essayer de s'enfuir ou d'assassiner quelqu'un? Tout cela était du passé. On ne le savait donc pas? Elle était convaincue que ce passé ne se reproduirait jamais. Elle aurait voulu être ailleurs. N'importe o˘.
Elle avait somnolé par intermittence durant le long et ennuyeux trajet jusque dans le Connecticut. Elle avait été
réveillée par la voix d'un gardien.
Ńous y sommes. ª
On était arrivé à la grille de l'hôpital psychiatrique du Connecticut.
Lorsqu'on fit entrer Ashley Patterson dans son bureau, le Dr Lewison dit : ´ Bienvenue à l'hôpital psychiatrique du Connecticut, mademoiselle Patterson. ª
Ashley demeura immobile, p‚le et silencieuse.
Le Dr Lewison fit les présentations et lui offrit une chaise.
Ásseyez-vous, je vous en prie. ª Il regarda le gardien.
Ótez-lui les menottes et les chaînes. ª
Le gardien obtempéra et elle s'assit.
´Je sais que ce doit être très difficile pour vous, dit le Dr Poster. Nous allons tout faire pour faciliter les choses.
Notre but est de vous voir un jour partir d'ici guérie. ª
Ashley retrouva finalement la voix. ´ «a va... ça va être long?
- Il est encore trop tôt pour répondre, dit le Dr Lewison.
Si une thérapie est possible, ça pourrait prendre cinq ou six ans. ª
Chaque mot la frappait comme la foudre. Śi une thérapie est possible, ça pourrait prendre cinq ou six ans... ª
´ La thérapie est inoffensive. Elle consistera en des séances de natures diverses avec le docteur Keller - hypnotisme, thérapie de groupe, art therapy. L'essentiel, c'est que vous sachiez que nous ne sommes pas vos ennemis. ª
Gilbert Keller observait le visage d'Ashley. Ńous sommes ici pour vous aider et nous aimerions que vous fassiez preuve de coopération. ª
Il n'y avait rien d'autre à dire.
Otto Lewison fit un signe de tête à un surveillant et, s'approchant d'Ashley, la prit par le bras.
Će surveillant va maintenant vous conduire à votre chambre. Nous nous reverrons plus tard ª, dit Craig Poster.
Lorsque Ashley eut quitté la pièce, Otto Lewison se tourna vers Gilbert Keller. ´ qu'en pensez-vous ?
- Eh bien, il y a un avantage. Nous n'aurons à travailler que sur deux alter ego. ª
Keller parut essayer de se rappeler quelque chose. ´ quel est le plus grand nombre que nous ayons eu ?
- La mère Beltrand. quatre-vingt-dix personnalités d'emprunt. ª
Bien que ne sachant pas trop à quoi s'attendre, Ashley s'était imaginé une prison sombre, lugubre. L'hôpital psychiatrique du Connecticut ressemblait davantage à une résidence de vacances accueillante - avec des barreaux aux fenêtres.
Tandis que le surveillant l'accompagnait dans les longs couloirs, gais et animés, elle regardait les pensionnaires qui allaient et venaient librement, il y avait des gens de tous ‚ges, qui paraissaient tous normaux. Pourquoi sont-ils ici? Certains lui sourirent et la saluèrent, mais elle était trop ahurie pour leur répondre. Tout semblait irréel. Elle était dans un asile d'aliénés. Suis-je folle ?
Ils arrivèrent à une grande porte qui fermait cette partie du b‚timent. Derrière, il y avait un surveillant. Celui-ci appuya sur un bouton rouge et l'énorme porte s'ouvrit.
´ Voici Ashley Patterson.
- Bonjour, mademoiselle Patterson ª, dit le second surveillant. Ils faisaient comme si tout était entièrement normal.
Mais rien n'est plus normal désormais, pensa Ashley. C'est le monde à l'envers.
´ Par ici, mademoiselle Patterson. ª Le surveillant la conduisit à une autre porte qu'il ouvrit. Ashley pénétra dans la pièce. Au lieu d'une cellule, elle vit une pièce agréable de dimensions moyennes, aux murs peints d'un bleu pastel, et meublée d'un petit canapé et d'un lit d'apparence confortable.
Ć'est ici que vous allez vivre. On vous apportera vos affaires dans quelques minutes. ª
Elle regarda le surveillant s'en aller et fermer la porte derrière lui. C'est ici que vous allez vivre.
Elle éprouva un début de claustrophobie. Et qu'arrivera-t-il si je ne veux pas ? Si je n'ai pas envie de rester ici ?
Elle s'approcha de la porte. Celle-ci était verrouillée. Elle s'assit sur le canapé et tenta de mettre de l'ordre dans ses idées. Elle essaya de se concentrer et d'être positive. Nous allons vous guérir.
Nous allons vous guérir.
Nous allons vous guérir.
CHAPITRE VINGT-TROIS
Le Dr Gilbert Keller était responsable de la thérapie d'Ashley. Spécialisé dans le traitement du syndrome de personnalité multiple, il avait naturellement connu quelques échecs, mais son taux de réussite était élevé. Dans des cas comme celui-là, il n'existait pas de solutions a priori. Il s'agissait d'abord de mettre le patient en confiance, à l'aise, puis à faire se manifester les personnalités d'emprunt, une par une, de manière qu'elles en viennent finalement à communiquer entre elles et à comprendre la raison de leur existence et, finalement, pourquoi l'on n'avait plus besoin d'elles. Ce moment était celui dit ´ de la fusion ª, quand les états dissociés de la personnalité se fondaient en une seule et même entité.
On en est encore loin, pensa le Dr Keller.
Le lendemain matin, le Dr Keller fit amener Ashley à son bureau. ´ Bonjour, Ashley.
- Bonjour, docteur Keller.
- Appelez-moi Gilbert. Nous allons être amis. Comment vous sentez-vous ? ª
Elle le regarda et dit : Ón me dit que j'ai tué cinq personnes. Comment voulez-vous que je me sente?
- Vous vous souvenez de les avoir tuées ?
- Non.
- J'ai lu le procès-verbal de votre procès, Ashley. Ce n'est pas vous qui les avez tuées. C'est l'une de vos personnalités d'emprunt. Vous allez faire connaissance avec vos alter ego et, le temps venu, et avec votre aide, nous les ferons disparaître.
- Je... j'espère que vous pouvez...
- Je le peux. Je suis ici pour vous aider et c'est ce que je vais faire. Les personnalités d'emprunt sont le produit de votre esprit qui les a inventées pour vous épargner une souffrance intolérable, Il faut trouver ce qui a causé cette souffrance. J'ai besoin de découvrir quand et pourquoi ces alter ego sont nés.
- Comment... comment allez- vous procéder?
- Nous allons parler. Des souvenirs vont vous revenir.
Nous recourrons à l'hypnotisme ou au sodium amobarbital.
Vous avez déjà été hypnotisée, n'est-ce pas?
-Oui.
- Personne ne va vous presser. Nous allons prendre notre temps. ª Il ajouta d'un ton rassurant. Ét quand nous aurons fini, vous irez bien. ª
Ils conversèrent ainsi durant près d'une heure. Au terme de cet entretien, Ashley se sentit beaucoup plus détendue.
Revenue à sa chambre, elle pensa : Il peut vraiment y arriver.
Et elle accompagna cette réflexion d'une petite prière.
Le Dr Keller eut une réunion avec Otto Lewison. Ńous avons eu un entretien ce matin, dit-il. La bonne nouvelle, c'est qu'elle reconnaît avoir un problème et veut bien qu'on l'aide.
- C'est un début. Tenez-moi au courant.
- Je n'y manquerai pas, Otto. ª
Le Dr Keller avait h‚te de relever le défi qui l'attendait.
Ashley Patterson avait quelque chose de très singulier. Il était bien décidé à lui venir en aide.
Ils eurent un entretien quotidien, puis, une semaine après l'arrivée d'Ashley, le Dr Keller lui dit : ´ Je veux que vous soyez à l'aise et détendue. Je vais vous hypnotiser. ª Il fit un pas vers elle.
Ńon ! Attendez ! ª
Il la regarda, étonné. ´ qu'y a-t-il ? ª
Un flux de pensées atroces traversa l'esprit d'Ashley. Il allait faire se manifester les alter ego. Cette idée la terrorisait.
´ Je vous en prie, dit-elle. Je... Je ne veux pas les rencontrer.
- Vous ne les rencontrerez pas, l'assura le Dr Keller. Pas tout de suite. ª
Elle déglutit. ´ D'accord.
- Vous êtes prête?ª
Elle acquiesça. Óui.
- Bien. Allons-y. ª
Il fallut quinze minutes pour l'hypnotiser. Lorsque ce fut fait, Gilbert Keller jeta un coup d'úil sur une feuille de papier posée sur son bureau. Toni Prescott et Alette Peters. L'heure était venue de procéder à ce qu'on appelle le ´ déplacement ª, le processus consistant à faire passer le patient d'un état dominé par une personnalité à un autre.
Il regarda Ashley, endormie dans un fauteuil, puis se pencha vers elle. ´ Bonjour, Toni. Vous m'entendez ? ª
Il vit le visage d'Ashley se transformer, dominé par une personnalité tout à fait différente. Ses traits s'animèrent tout à
coup. Elle se mit à chanter :
Il court, il court le furet
Le furet des bois, mesdames.
Il court, il court le furet,
Le furet des bois jolis.
Il est passé par ici. Il repassera par là.
Il court, il court...
Ć'était très bien, Toni. Je suis Gilbert Keller.
- Je sais qui vous êtes, dit Toni.
- Je suis heureux de vous rencontrer. Vous a-t-on déjà dit que vous aviez une très belle voix ?
- Allez vous faire voir.
- Je suis sérieux. Avez-vous déjà pris des leçons de chant ? Je parie que oui.
- Non, je n'en ai pas pris. En fait, j'aurais bien voulu, mais ma... ª Pour l'amour du ciel, tu vas cesser de faire ce bruit atroce! qui donc t'a mis dans la tête que tu savais chanter ? ´ Peu importe.
- Toni, je veux vous aider.
- Non, ce n'est pas ça que vous voulez, toubib de mon cúur. Ce que vous voulez, c'est me baiser.
- qu'est-ce qui vous fait penser cela, Toni ?
- Les hommes, c'est tout ce qui les intéresse, voilà.
- Toni...? Toni...?ª
Silence.
Gilbert Keller observa de nouveau le visage d'Ashley. Il était serein. Il se pencha vers elle. Álette ? ª
Rien.
´ Je voudrais vous parler, Alette ? ª
Ashley donna des signes d'agitation et de malaise.
´ Manifestez-vous, Alette. ª
Ashley prit une profonde inspiration, puis il y eut soudain un flot de paroles en italien.
Ć'é qualcuno che parla italiano ?
- Alette...
- Non so dove mi trovo.
- Alette, écoutez-moi. Vous n'avez rien à craindre.
Détendez-vous.
- Mi sento stanca... Je suis fatiguée.
- Vous avez vécu des moments horribles, mais tout cela appartient au passé. Vous allez connaître un avenir très paisible. Savez-vous o˘ vous êtes ? ª
Il avait pris une voix innocente.
Śi. Dans un genre d'endroit réservé aux gens qui sont pazzi. ª C'est pour ça que vous êtes là, Docteur. Le fou, c'est vous.
´ Dans un endroit o˘ l'on va vous soigner. Alette, quand vous fermez les yeux et que vous vous représentez mentalement cet endroit, qu'est-ce qui vous vient à l'esprit?
- Hogarth. Il a peint des asiles d'aliénés et des scènes terrifiantes. ª Vous êtes trop ignorant pour connaître ne serait-ce que l'existence de Hogarth.
´Je ne voudrais pas que vous trouviez cet endroit terrifiant. Parlez-moi de vous, Alette. quelle est votre occupation préférée ? qu'aimeriez-vous faire pendant que vous êtes ici ?
- J'aime peindre.
- Il faut qu'on vous procure des tubes de peinture.
- Non!
- Pourquoi ?
- Je n'en veux pas. ª Tu appelles ça peindre, ma fille ?
Pour moi, ce ne sont que des cro˚tes.
Fichez-moi la paix.
Álette ? ª Gilbert Keller fut témoin d'une nouvelle transformation du visage d'Ashley.
Alette n'était plus là. Le Dr Keller réveilla Ashley.
Elle ouvrit les yeux en battant des paupières. ´ Vous avez commencé ?
- Nous avons fini.
- Comment ai-je été ?
- Toni et Alette m'ont parlé. C'est un bon début, Ashley. ª
David Singer lui écrivit la lettre suivante : Chère Ashley,
Un petit mot pour vous dire que je pense à vous et espère que vous faites des progrès. En fait, je pense souvent à vous. Un peu comme si nous avions mené une guerre ensemble. La lutte a été dure mais nous avons gagné. Et j'ai de bonnes nouvelles. J'ai fait en sorte que l'on abandonne les accusations de meurtres contre vous à
Bedford et au québec. Si je peux vous être utile, faites-le-moi savoir.
Mes vúux chaleureux vous accompagnent.
David.
Le lendemain matin, le Dr Keller s'entretenait avec Toni tandis qu'Ashley était sous hypnose.
Ćomment ça va, toubib de mon cúur?
- J'avais envie de bavarder un peu avec vous. Je voudrais vous aider.
- Je n'ai pas besoin de votre foutue aide. Je vais bien.
- C'est moi qui ai besoin de votre aide, Toni. Je voudrais vous poser une question. que pensez-vous d'Ashley ?
- Mademoiselle Cul-Serré? Ne me lancez pas sur ce sujet.
- Vous ne l'aimez pas ?
- Je l'aime à la folie.
- qu'est-ce qui vous déplaît chez elle ? ª
Il y eut un silence. Ć'est une trouble-fête. Si je ne m'éclatais pas de temps en temps, la vie serait mortellement ennuyeuse. Ennuyeuse. Elle n'aime pas sortir, voyager ou se marrer.
- Mais vous, oui ?
- Evidemment que j'aime ça. On est sur Terre pour s'amuser, hein, mon joli?
- Vous êtes née à Londres, n'est-ce pas, Toni ? Voulez-vous m'en parler?
- Je vais vous dire une seule chose. J'aimerais y être à
l'heure qu'il est. ª
Silence.
´ Toni... Toni... ª
Elle n'était plus là.
´ Je voudrais parler à Alette ª, dit le Dr Keller à Ashley. Il la vit changer d'expression. Il se pencha vers elle et dit doucement : Álette.
- Si.
- Vous vous connaissez toutes les deux, Toni et vous ?
- Oui. ª Evidemment, espèce de crétin.
´ Mais Ashley ne vous connaît ni l'une ni l'autre ?
- Non.
- Aimez-vous Ashley ?
- Elle est sympa. ª Pourquoi me posez-vous toutes ces questions idiotes ?
´ Pourquoi ne lui parlez-vous pas ?
- Toni ne veut pas.
- Est-ce que Toni vous dit toujours quoi faire ?
- Toni est mon amie. ª C'est pas vos oignons.
´ Je voudrais que nous soyons amis, Alette. Parlez-moi de vous. O˘ êtes-vous née ?
- A Rome.
- Vous aimiez Rome ? ª
Gilbert Keller vit l'expression d'Ashley changer et elle se mit à pleurer.
Pourquoi ? Le Dr Keller se pencha vers elle et dit d'une voix apaisante. ´Très bien. Vous allez maintenant vous réveiller, Ashley... ª
Elle ouvrit les yeux.
´ J'ai parlé à Toni et à Alette. Elles sont amies. Je voudrais que vous le soyez toutes les trois. ª
Ashley était en train de déjeuner lorsqu'un infirmier entra dans sa chambre et vit, par terre, un tableau représentant un paysage. Il l'examina durant quelques instants puis le porta au bureau du Dr Keller.
On était en réunion dans le bureau du Dr Lewison.
Ćomment ça se passe, Gilbert ?
- J'ai parlé aux deux personnalités d'emprunt, répondit le Dr Keller d'un ton pensif. Celle qui domine, c'est Toni. Elle a vécu en Angleterre mais refuse d'en parler. L'autre, Alette, est née à Rome et ne veut pas en parler non plus. C'est donc là-dessus que je vais concentrer mes efforts. C'est là que s'est produit le traumatisme. Toni est la plus agressive. Alette est sensible et réservée. Elle s'intéresse à la peinture mais a peur de s'y adonner. Il faut que je découvre pourquoi.
- Alors vous pensez que Toni la tient sous sa domination?
- Oui. Toni est aux commandes. Ashley ne se doutait même pas de son existence, ni de celle d'Alette, d'ailleurs.
Mais Toni et Alette se connaissent. C'est intéressant. Toni chante très bien et Alette a des talents de peintre. ª Il lui fit voir le tableau que l'infirmier lui avait apporté. ´ Je pense que c'est par leurs talents que nous avons peut-être des chances de les toucher. ª
Ashley recevait toutes les semaines une lettre de son père.
quand elle l'avait lue, elle s'asseyait tranquillement dans sa chambre et refusait d'adresser la parole à quiconque.
Ćes lettres sont le seul lien qui lui reste avec sa vie passée, expliqua le Dr Keller à Otto Lewison. Je crois que le fait de les recevoir accroît son désir de sortir d'ici et de commencer à mener une vie normale. Chaque petit rien lui est utile... ª
Ashley s'habituait à son environnement. Les patients avaient apparemment le loisir de se promener n'importe o˘, mais il y avait des surveillants à chaque porte et dans les couloirs. Les grilles du parc étaient toujours fermées à clé. Il y avait une salle de récréation o˘ l'on se réunissait pour regarder la télévision, un gymnase o˘ les pensionnaires pouvaient faire de la musculation, et une salle à manger commune. On rencontrait des gens de toutes nationalités : des Japonais, des Chinois, des Français, des Américains... On avait tout fait pour banaliser l'hôpital au maximum mais, quand Ashley se rendait à sa chambre, on verrouillait toujours toutes les portes derrière elle.
Će n'est pas un hôpital, se plaignit Toni à Alette. C'est une foutue prison.
- Mais le Dr Keller croit pouvoir guérir Ashley. On pourra alors déguerpir d'ici.
- Ne sois pas stupide, Alette. Tu ne vois donc pas que le seul moyen qu'il a de la guérir est de se débarrasser de nous, de nous faire disparaître. Autrement dit, pour qu'elle gué-risse, il faut que nous mourions. Eh bien, je n'ai pas du tout l'intention de laisser les choses se passer comme ça.
- que vas-tu faire ?
- Je vais trouver un moyen d'évasion. ª
CHAPITRE VINGT-qUATRE
Le lendemain matin, un infirmier qui raccompagnait Ash-
ley à sa chambre lui dit : ´ Vous avez quelque chose de différent aujourd'hui.
- Ah oui, Bill?
- Ouais. Comme si vous n'étiez pas la même personne.
- C'est à cause de vous, susurra Ashley.
- que voulez-vous dire ?
- Avec vous, je me sens autre. ª Elle lui toucha la main et le regarda dans les yeux. Ávec vous, je me sens merveilleusement bien.
- Allons donc.
- Je suis sérieuse. Vous êtes très sexy. Vous le savez ?
- Non.
- Eh bien, vous l'êtes. Vous êtes marié, Bill ?
- Je l'ai été.
- Votre femme a été folle de vous laisser partir. Depuis combien de temps travaillez-vous ici, Bill ?
- Cinq ans.
- «a fait longtemps. Vous n'avez pas des fois envie de ficher le camp ?
- Ah oui, ça m'arrive. ª
Toni baissa la voix. ´ Vous savez que je n'ai vraiment rien qui ne va pas. Je reconnais que j'avais un petit problème en arrivant, mais je suis guérie à présent. Moi aussi j'aimerais sortir d'ici. Je parie que vous pouvez m'aider. Nous pourrions partir ensemble, tous les deux. Nous passerions des moments merveilleux. ª
Il l'examina quelques instants. ´ Je ne sais pas quoi dire.
- Oui, vous le savez. Ecoutez, ça serait simple comme bonjour. Vous n'avez qu'à me laisser sortir une nuit pendant que tout le monde dormira et nous filerons. ª Elle lui adressa un regard complice et dit : ´ Je vous revaudrai ça. ª
Il acquiesça. Íl faut que je réfléchisse.
- Réfléchissez ª, lui dit Toni d'un ton assuré.
De retour à la chambre, elle dit à Alette : Ón va se tirer d'ici. ª
Le lendemain matin, on accompagna Ashley au bureau du Dr Keller.
´ Bonjour, Ashley.
- Bonjour, Gilbert.
- Nous allons essayer le sodium amobarbital ce matin. En avez-vous déjà pris ?
- Non.
- Bien, vous allez trouver que ça détend beaucoup. ª
Elle acquiesça. ´ D'accord. Je suis prête. ª
Cinq minutes plus tard, le Dr Keller parlait à Toni.
´ Bonjour, Toni.
- Salut, toubib.
- Vous êtes heureuse ici, Toni ?
- C'est drôle que vous me demandiez ça. Pour tout vous dire, je commence vraiment à me plaire dans cet endroit. Je me sens chez moi.
- Alors pourquoi voulez-vous vous évader? ª
La voix de Toni se durcit. ´ quoi ?
- Bill m'a dit que vous lui aviez demandé de vous aider à
vous évader?
- Le salopard ! ª Elle était furieuse. Elle bondit de sa chaise, courut vers le bureau, prit un presse-papier et le lança à la tête du Dr Keller.
Il se pencha pour éviter le projectile.
´ Je vais vous tuer, et je vais le tuer ! ª
Le Dr Keller essaya de la maîtriser. ´ Toni... ª
Il vit le visage d'Ashley changer d'expression. Toni n'était plus là. Il s'aperçut qu'il avait le cúur battant.
Áshley ! ª
Lorsque celle-ci se réveilla, elle ouvrit les yeux, jeta autour d'elle un regard intrigué et dit : ´ Tout va bien ?
- Toni m'a attaqué. Elle était en colère parce que j'ai découvert qu'elle essayait de s'évader.
- Je... Je regrette. J'ai senti qu'il y avait du grabuge.
- Ce n'est rien. Je voudrais vous réunir, vous, Toni et Alette.
- Non.
- Pourquoi non ?
- J'ai peur. Je... Je ne veux pas les rencontrer. Vous comprenez ? Elles ne sont pas réelles. Elles sont le produit de mon imagination.
- Vous allez devoir les rencontrer tôt ou tard, Ashley. Il faut que vous fassiez connaissance toutes les trois. C'est votre seule chance de guérir. ª
Ashley se leva. ´ Je veux retourner à ma chambre. ª
De retour dans sa chambre, Ashley regarda le surveillant s'en aller. Elle se sentit envahie d'un désespoir profond. Je ne sortirai jamais d'ici, pensa-t-elle. On me ment. Je suis incurable. Elle n'arrivait pas à se faire à l'idée que d'autres personnalités pussent vivre à l'intérieur d'elle-même... A cause de ces alter ego, des gens avaient été assassinés, des familles détruites. Pourquoi moi, mon Dieu ? Elle se mit à
pleurer. qu'est-ce que je vous ai fait? Elle s'assit sur son lit et pensa : Je ne peux pas continuer comme ça. Il n'y a qu'un seul moyen d'en finir. C'est maintenant ou jamais.
Elle se leva et fit quelques pas dans la pièce exiguÎ à la recherche d'un objet aiguisé, il n'y en avait pas. Les chambres avaient été soigneusement conçues de manière à ne rien contenir qui permît aux patients de se faire du mal.
En examinant ainsi la pièce d'un regard aigu, elle vit la peinture, les toiles et les pinceaux, dont elle s'approcha. Le manche des pinceaux était en bois. Ashley en brisa un en deux, ce qui fit apparaître des extrémités pointues, aux arêtes vives. Elle prit lentement l'une des extrémités ainsi acérées et l'appliqua sur son poignet. D'un mouvement vif et profond, elle se taillada les veines et son sang commença à couler. Elle resta là à le regarder tacher la moquette. Elle sentit le froid la gagner. Elle se laissa tomber par terre et s'enroula sur ellemême dans la position fútale.
Puis il fit noir dans la pièce.
En apprenant la nouvelle, le Dr Gilbert Keller éprouva un choc. Il alla voir Ashley à l'infirmerie. Ses poignets étaient enveloppés d'épais pansements. En la regardant étendue là, il pensa : Je ne peux pas laisser une chose pareille se reproduire.
Ńous avons failli vous perdre, dit-il. «a m'aurait mis dans une position peu agréable. ª
Elle réussit à grimacer un sourire. ´ Je m'excuse. Mais tout est tellement... tellement désespérant.
- C'est là que vous faites erreur, l'assura le Dr Keller.
Voulez-vous qu'on vous aide, Ashley ?
- Oui.
- Alors vous devez me faire confiance, Il faut que vous collaboriez avec moi. Je ne peux pas vous guérir seul. qu'en dites-vous ? ª
Il se fit un long silence. ´ que voulez-vous que je fasse ?
- D'abord, je veux que vous me promettiez de ne plus jamais essayer de vous faire du mal.
- D'accord. Promis.
- J'ai l'intention d'obtenir la même promesse de Toni et d'Alette. Je vais vous endormir maintenant. ª
quelques instants plus tard, le Dr Keller parlait à Toni.
Ćette sale garce égoÔste a essayé de nous tuer toutes les trois. Elle ne pense qu'à elle. Vous voyez ce que je veux dire?
- Toni...
- Eh bien, moi, je ne marche pas. Je...
- Voulez-vous vous taire et m'écouter ?
- Je suis tout ouÔe.
- Je veux que vous me promettiez de ne jamais faire de mal à Ashley.
- Pourquoi ?
- Je vais vous dire pourquoi. Parce que vous faites partie d'elle. Vous êtes née de sa souffrance. Je ne sais pas encore ce que vous avez d˚ vivre, Toni, mais je sais que ça a d˚ être épouvantable. Mais il faut que vous vous rendiez compte qu'elle a beaucoup souffert elle aussi et qu'Alette est née pour les mêmes raisons que vous. Vous avez beaucoup en commun toutes les trois. Vous devriez vous entraider au lieu de vous haÔr. Me donnez-vous votre parole ? ª
Rien.
´ Toni ?
- Puisqu'il le faut, dit-elle à contrecúur.
- Merci. Avez-vous envie de me parler de l'Angleterre maintenant ?
- Non. ª
Álette. Vous êtes là?
- Oui. ª O˘ croyez-vous que je sois, imbécile ?
´ Je voudrais que vous me fassiez la même promesse que Toni. que vous me promettiez de ne jamais faire de mal à
Ashley. ª
Il n'y a que pour elle que vous vous faites du souci, n'est-ce pas ? Ashley, Ashley, Ashley. Et nous ?
Álette ?
- Oui. Je vous le promets. ª
Les mois passaient mais il n'y avait aucun signe de progrès.
Le Dr Keller, assis à son bureau, révisait ses notes, se remémorait des séances passées, essayant de voir ce qui n'allait pas. Il soignait une demi-douzaine d'autres patients, mais il s'était aperçu que c'était Ashley qui le préoccupait le plus, Il y avait un abîme tellement incroyable entre sa fragilité
et son innocence et les forces ténébreuses qui la tenaient sous emprise... A chaque entretien qu'il avait avec elle, il éprouvait un besoin irrépressible de la protéger. C'est comme si c'était ma fille, pensait-il. qu'est-ce que je raconte? Je suis en train de tomber amoureux d'elle.
Le Dr Keller alla voir Otto Lewison. ´J'ai un problème, Otto.
- Je pensais que c'était l'apanage de nos patients.
- Il s'agit justement d'une patiente. Ashley Patterson.
- Oh?
-Je m'aperçois que je suis... que je suis très attiré par elle.
- Transfert négatif?
- Oui.
- «a pourrait être très dangereux pour vous deux, Gilbert.
- Je sais.
- Eh bien, tant que vous en êtes conscient... Soyez pru-dent.
- J'en ai bien l'intention. ª
Novembre
J'ai donné un agenda à Ashley ce matin.
Áshley, je voudrais que vous vous en serviez toutes les trois, vous, Toni et Alette. Vous pouvez le garder dans votre chambre. Chaque fois que l'une de vous aura une pensée ou une idée qu'elle préférera écrire au lieu de m'en parler, qu'elle la note.
- D'accord, Gilbert. ª
Un mois plus tard, le Dr Keller écrivit dans son agenda : Décembre
Le traitement est au point mort. Toni et Alette refusent de parler du passé, il devient de plus en plus difficile de convaincre Ashley de se laisser hypnotiser.
Mars
L'agenda est encore vierge. Je ne sais pas avec certitude d'o˘
vient la résistance la plus forte, d'Ashley ou de Toni. Lorsque j'hypnotise Ashley, Toni et Alette ne se manifestent que très briè-vement. Elles refusent mordicus de discuter du passé.
Juin
Je vois Ashley régulièrement mais je sens que l'on ne progresse pas. L'agenda est toujours vierge. J'ai offert à Ashley un chevalet et des tubes de peinture. Si elle se met à peindre, j'espère que ça fera bouger les choses.
Juillet
Il s'est passé quelque chose mais je ne suis pas s˚r qu'il faille y voir un signe de progrès. Alette a peint un superbe tableau représentant le parc de l'hôpital. Lorsque je lui en ai fait compliment, elle a paru contente. Le même soir, le tableau était déchiqueté, en lambeaux.
Le Dr Keller et Otto Lewison buvaient un café.
´ Je crois que je vais essayer une petite thérapie de groupe, dit le Dr Keller. Rien d'autre ne semble marcher.
- Combien de patients songiez-vous réunir ?
- Pas plus de cinq ou six. Je voudrais qu'elle commence à
entrer en interaction avec les autres. Pour l'instant, elle vit enfermée dans son monde. Je veux qu'elle en sorte.
- Bonne idée. «a vaut la peine d'essayer. ª
Le Dr Keller conduisit Ashley dans une petite salle de réunion. Six personnes étaient déjà présentes.
´ Je voudrais que vous fassiez la connaissance de quelques amis ª, lui dit le Dr Keller.
L'entraînant autour de la pièce, il les lui présenta, mais Ashley était trop préoccupée par elle-même pour écouter leur nom dont chacun se confondait avec le suivant, il y avait la Grosse, le Maigre, le Chauve, le Boiteux, la Chinoise et le Gentil. Ils paraissaient tous très aimables.
Ásseyez-vous, dit le Chauve. Vous voulez un café ? ª
Ashley s'assit. ´ Je veux bien, merci.
- Nous avons entendu parler de vous, dit le Gentil. Vous en avez vu de toutes les couleurs. ª
Ashley acquiesça.
Ńous avons tous d˚ en voir des vertes et des pas m˚res, dit le Maigre, mais nous, on nous aide. Cet endroit est merveilleux.
- Ils ont les meilleurs médecins du monde, dit la Chinoise. ª
Ils ont tous l'air tellement normaux, pensa Ashley.
Le Dr Keller s'assit en retrait pour suivre les conversations.
quarante-cinq minutes plus tard, il se leva. ´ Je crois qu'il faut qu'on y aille, Ashley. ª
Elle se leva à son tour. ´ J'ai été enchantée de faire votre connaissance. ª
Le Boiteux s'approcha d'elle et lui chuchota : Ńe buvez pas l'eau ici. Elle est empoisonnée. Ils veulent nous tuer tout en continuant à toucher les subventions de l'Etat. ª
Ashley sentit une boule grossir dans sa gorge. ´ Merci. Je...
je m'en souviendrai. ª
Une fois sortie dans le couloir avec le Dr Keller, elle lui demanda : ´ De quoi souffrent-ils ?
- ParanoÔa, schizophrénie, syndrome de personnalité multiple, troubles compulsifs. Mais, Ashley, ils ont fait des progrès remarquables depuis leur arrivée ici. Auriez-vous envie de converser avec eux régulièrenent ?
- Non. ª
Le Dr Keller entra dans le bureau d'Otto Lewison.
´ Je n'arrive à rien, avoua-t-il. La thérapie de groupe n'a rien donné et les séances d'hypnotisme ne marchent pas du tout. Je veux essayer autre chose.
- quoi?
- Je voudrais que vous m'autorisiez à inviter Ashley à
dîner dehors.
- Je doute que ce soit une bonne idée, Gilbert. «a pourrait être dangereux. Elle a déjà...
- Je sais. Mais pour l'instant, elle voit en moi un ennemi.
Je veux devenir un ami.
- Son alter ego, Toni, a déjà essayé de vous tuer. que se passera-t-il si elle recommence ?
- Je réglerai ça. ª
Le Dr Lewison s'accorda quelques instants de réflexion.
´ D'accord. Vous voulez que quelqu'un vous accompagne ?
- Non. «a ira, Otto.
- quand songez-vous à mettre ce projet à exécution ?
- Ce soir. ª
´ Vous voulez m'emmener dîner dehors ?
- Oui, je pense que ça vous ferait du bien de sortir un peu d'ici, Ashley. qu'en dites-vous ?
- Oui. ª
Ashley s'étonna elle-même d'être si excitée à l'idée d'aller au restaurant avec Gilbert Keller. «a va être amusant de passer une soirée dehors, pensa-t-elle. Mais elle savait que son enthousiasme était motivé par autre chose. C'était le fait de sortir avec Gilbert Keller qui la rendait à ce point euphorique.
Ils étaient attablés dans un restaurant japonais, Otani Gar-dens, situé à huit kilomètres de l'hôpital. Le Dr Keller savait qu'il prenait un risque. Toni ou Alette pouvaient à tout instant reprendre leur ascendant sur Ashley. On l'avait mis en garde.
L'essentiel, c'est que Ashley apprenne à me faire confiance afin que je puisse l'aider.
Ć'est drôle, Gilbert, dit Ashley en promenant son regard sur le restaurant rempli.
- qu'est-ce qui est drôle ?
- Ces gens n'ont pas l'air différent des patients de l'hôpital.
- Ils ne le sont pas vraiment, Ashley. La seule différence est que les patients ont davantage de mal à s'adapter et ont besoin qu'on les aide.
- Je ne savais pas que j'avais des problèmes, jusqu'à ce que... Enfin, vous voyez ce que je veux dire.
- Vous savez pourquoi, Ashley ? Parce que vous refouliez ces problèmes au fond de vous-même. Comme vous n'arriviez pas à affronter le passé, vous vous étiez construit mentalement un système de défense pour tenir à distance les situations douloureuses. Beaucoup de gens font la même chose, à
un degré ou un autre. ª Il changea délibérément de sujet.
Ćomment est votre steak?
- Délicieux, merci. ª
A partir de ce jour, Ashley et le Dr Keller prirent un repas hebdomadaire hors de l'hôpital. Ils déjeunèrent dans un excellent petit restaurant italien, chez Banducci, et dînèrent à
La Palme, chez Eveleene, et au Gumbo Pot. Ni Toni ni Alette ne se manifestèrent.
Un soir, le Dr Keller emmena Ashley danser dans une petite boîte o˘ jouait un excellent orchestre.
´ Vous vous amusez ? demanda-t-il.
- Beaucoup. Merci. ª Puis, le regardant, elle ajouta :
´ Vous n'êtes pas comme les autres médecins.
- Ils ne dansent pas ?
- Vous savez ce que je veux dire. ª
Il la tenait serrée contre lui, et ils sentirent tous les deux que quelque chose de fort passait entre eux.
´ «a pourrait être très dangereux pour vous deux, Gilbert... ª
CHAPITRE VINGT-CINq
´ Je sais trop bien ce que vous essayez de faire, Toubib.
Vous essayez de faire croire à Ashley que vous êtes son ami.
- Je le suis, Toni, et le vôtre.
- Non, vous n'êtes pas le mien. Vous la trouvez merveilleuse et vous me prenez pour une rien du tout.
- Vous vous trompez. Je vous respecte autant qu'Ashley, vous et Alette. Vous êtes toutes les deux aussi importantes à
mes yeux.
- C'est vrai?
- Oui. Toni, quand je vous ai dit que vous aviez une voix magnifique, je le pensais vraiment. Vous jouez d'un instrument?
- Du piano.
- Si je m'arrangeais pour que vous puissiez jouer du piano et chanter dans la salle de récréation, vous seriez intéressée ?
- Peut-être. ª Elle avait l'air enthousiaste.
Le Dr Keller sourit. ´ Dans ce cas, je vais faire le nécessaire avec plaisir. Le piano sera à votre disposition.
- Merci. ª
Le Dr Keller prit des dispositions pour que la salle de récréation soit réservée à Toni durant une heure tous les après-midi. Au début, les portes de la salle demeurèrent fermées mais, d'autres pensionnaires ayant entendu que l'on jouait du piano et que l'on chantait à l'intérieur, ils les ouvrirent pour écouter. Toni eut bientôt un public composé de plusieurs dizaines de patients.
Le Dr Keller révisait ses notes en compagnie du Dr Lewison.
Ét l'autre - Alette ? demanda le Dr Lewison.
- Je me suis arrangé pour qu'elle puisse peindre dans le parc tous les après-midi. Elle sera sous surveillance, bien entendu. Je pense que ça devrait produire de bons effets thérapeutiques. ª
Mais Alette refusa.
Lors d'une séance avec elle, le Dr Keller dit : ´ Vous n'utilisez pas les tubes de peinture que je vous ai donnés, Alette. quel g‚chis ! Vous êtes si douée. ª
Comment le savez-vous ?
´ Vous ne prenez pas plaisir à peindre ?
- Si.
- Alors pourquoi ne peignez-vous pas ?
- Parce que je suis mauvais peintre. ª Cessez de m'emmerder.
´ qui vous a dit ça ?
- Ma... Ma mère.
- Vous ne m'avez encore rien dit au sujet de votre mère.
Vous voulez m'en parler ?
- Il n'y a rien à dire.
- Elle est morte dans un accident, n'est-ce pas ? ª
Il y eut un long silence. Óui. Elle est morte dans un accident. ª
Le lendemain, Alette se mit à la peinture. Elle aimait se trouver dans le parc avec ses pinceaux et sa palette. Lorsqu'elle peignait, elle oubliait tout le reste. Certains patients se rassemblaient autour d'elle pour la regarder travailler. Leurs voix étaient de toutes les couleurs.
´ Vous devriez exposer dans une galerie. ª Noire.
´ Vous êtes vraiment bonne. ª Jaune.
Ó˘ avez-vous appris à peindre comme ça ? ª Orange.
´ Je voudrais pouvoir en faire autant. ª Noire.
Elle était toujours chagrinée lorsque le temps qui lui était dévolu arrivait à sa fin et qu'il lui fallait regagner les b‚timents de l'hôpital.
´ Je voudrais vous présenter quelqu'un, Ashley. Voici Lisa Garrett. ª Celle-ci, une petite femme d'une cinquantaine d'années, avait quelque chose de fantomatique. ´ Lisa rentre chez elle aujourd'hui. ª
Elle était radieuse. Ń'est-ce pas merveilleux ? Et je suis redevable de tout au docteur Keller. ª
Gilbert Keller, se tournant vers Ashley, dit : ´ Lisa était atteinte du syndrome de personnalité multiple et avait trente alter ego.
- Exact. Et ils ont tous disparu.
- C'est la troisième patiente atteinte du syndrome de personnalité multiple qui nous quitte cette année ª, dit le Dr Keller sur un ton appuyé.
Et Ashley ressentit un regain d'espoir.
´ Le Dr Keller est sympathique, dit Alette. Il semble nous aimer vraiment.
- Ce que tu peux être bête, lui répondit Toni d'un ton sarcastique. Tu ne vois donc pas ce qui est en train de se passer? Je te l'ai déjà dit. Il fait semblant de bien nous aimer pour obtenir de nous ce qu'il veut. Et tu sais ce que c'est? Il veut nous mettre en présence les unes des autres, ma petite chérie, puis convaincre Ashley qu'elle n'a plus besoin de nous. Et tu sais ce qui va arriver à ce moment-là? Nous allons mourir, toi et moi. C'est ce que tu veux ? Moi pas.
- Heu... non, fit Alette d'une voix hésitante.
- Alors écoute-moi bien. Nous faisons ami-ami avec le docteur. Nous lui faisons croire que nous essayons vraiment de l'aider. Nous l'emberlificotons. Nous avons tout notre temps. Et je te promets qu'un jour je nous sortirai toutes les deux d'ici.
- Comme tu veux, Toni.
- Bien. Alors laissons croire à ce bon vieux toubib que sa thérapie réussit. ª
Arriva une lettre de David. L'enveloppe contenait la photo d'un petit garçon. La missive disait ce qui suit : Chère Ashley,
J'espère que tout se passe bien pour vous et que votre thérapie donne des résultats. Ici, tout va bien. Je suis débordé mais je fais un travail qui me plaît. Vous trouverez ci-joint une photo de notre fils de deux ans, Jeffrey. Au rythme o˘ il grandit, il sera m˚r pour le mariage d'une minute à l'autre. Je n'ai vraiment rien de nouveau à vous rapporter. Je voulais seulement que vous sachiez que je pense à vous.
Sandra se joint à moi pour vous transmettre ses sentiments affectueux.
David.
Ashley examina la photo. C'est un beau petit garçon, pensa-t-elle. J'espère qu'il sera heureux.
Elle alla déjeuner et, à son retour dans sa chambre, elle trouva la photo par terre, toute déchirée.
15 juin, 13 heures 30.
Patiente : Ashley Patterson. Séance thérapeutique au sodium amobarbital. Alter ego, Alette Peters.
´ Parlez-moi de Rome, Alette.
- C'est la plus belle ville du monde. Elle est pleine de musées superbes. Je les ai tous visités. ª que connaissez-vous en matière de musées ?
Ét vous vouliez être peintre ?
- Oui. ª qu'est-ce que vous croyez? que je voulais être pompier ?
Ávez-vous étudié la peinture ?
- Non. ª Vous ne pourriez pas poser vos questions stupides à quelqu'un d'autre ?
´ Pourquoi ? A cause de ce que votre mère vous disait ?
- Oh, non. C'est moi qui ai simplement décidé que je n'étais pas assez bonne. ª Toni, débarrasse-moi de lui!
Ávez-vous vécu des expériences traumatisantes à cette époque? Vous rappelez-vous certains événements pénibles qui vous seraient arrivés ?
- Non. J'étais très heureuse. ª Toni!
19 ao˚t, 9 heures.
Patiente : Ashley Patterson. Séance d'hypnothérapie avec alter ego, Toni Prescott.
Ávez-vous envie de parler de Londres, Toni ?
- Oui. J'y ai passé de très bons moments. Londres est si civilisée. On n'a pas le temps de s'y ennuyer.
- Vous aviez des problèmes ?
- Des problèmes ? Non. J'étais très heureuse à Londres.
- Vous ne vous souvenez pas d'événements pénibles qui vous seraient arrivés là-bas ?
- Bien s˚r que non. ª qu'allez-vous faire de ça, espèce de t‚cheron ?
A chaque séance, Ashley se rappelait des souvenirs enfouis. Un soir, en se couchant, elle rêva qu'elle était à Global Computer Graphics. Shane Miller était là et il la félicitait pour un travail qu'elle avait fait. Nous ne pourrions pas nous passer de toi, Ashley. Nous allons toujours te garder parmi nous. Elle se retrouvait ensuite dans une cellule de prison et Shane Miller disait : Nous ne pouvons naturellement pas nous permettre d'être associés, à quelque titre que ce soit, à une affaire pareille. Tu comprends, n'est-ce pas? Ne le prends pas mal.
Le lendemain matin, lorsqu'elle se réveilla, son oreiller était humide de larmes.
Les séances de thérapie rendaient Alette toute triste. Elles lui rappelaient combien elle aimait Rome et combien elle avait été heureuse avec Richard Melton. Nous aurions pu être heureux, tous les deux, mais il est trop tard. Trop tard.
Toni détestait elle aussi les séances, mais parce qu'elles lui rappelaient de mauvais souvenirs. Tout ce qu'elle avait fait, c'avait été pour protéger Ashley et Alette. Mais lui en savait-on gré? Nullement. On l'avait bouclée comme une criminelle. Mais je sortirai d'ici, se jurait-elle. Je sortirai d'ici.
Le temps passait inexorablement et une autre année s'écoula. Le Dr Keller voyait croître son dépit.
´ J'ai lu votre dernier rapport, lui dit le Dr Lewison. Il y a une lacune réelle dans leur système de défense, à votre avis, ou elles vous font marcher?
- Elles me font marcher, Otto. On dirait qu'elles savent ce que j'essaie de faire et veulent m'en empêcher. Je pense qu'Ashley voudrait authentiquement coopérer mais elles l'en empêchent. Généralement, sous hypnose, on arrive à percer leurs défenses, mais Toni est très forte. Elle prend complètement le dessus et elle est dangereuse.
- Dangereuse ?
- Oui. Imaginez toute la haine qui doit couver en elle pour qu'elle ait tué et ch‚tré cinq hommes. ª
Le reste de l'année n'apporta aucune amélioration.
Le Dr Keller réussissait avec ses autres patients, mais Ashley, à qui il tenait le plus, ne faisait aucun progrès. Le Dr Keller avait comme l'impression que Toni se riait de lui, qu'elle avait décidé de lui mettre des b‚tons dans les roues. Et puis, tout à coup, la situation se débloqua.
Cela commença par une lettre du Dr Patterson.
5 juin
Chère Ashley,
Je suis en route pour New York o˘ je dois régler quelques affaires et j'aimerais beaucoup passer te voir. Je vais téléphoner au Dr Lewison et, s'il n'y voit pas d'objection, tu me verras apparaître vers le 25.
Tendrement,
Ton père.
Trois semaines plus tard, le Dr Patterson arriva en compagnie d'une jolie brune ‚gée d'une quarantaine d'années et de la fille de cette dernière, Katrina, ‚gée de trois ans.
On les introduisit dans le bureau du Dr Lewison. Celui-ci se leva à leur entrée. ´ Docteur Patterson, je suis ravi de faire votre connaissance.
- Merci. Je vous présente mademoiselle Victoria Aniston et sa fille, Katrina.
- Bonjour, mademoiselle Aniston. Katrina.
- Je les ai emmenées voir Ashley.
- Parfait. Elle est avec le Dr Keller pour le moment mais ils ne doivent plus en avoir pour longtemps.
- Comment va-t-elle ? ª demanda le Dr Patterson.
Otto Lewison hésita. Ést-ce que je pourrais m'entretenir seul à seul avec vous quelques minutes ?
- Certainement. ª
Le Dr Patterson se tourna vers Victoria et Katrina. Ón dirait qu'il y a un très beau parc là, dehors. Pourquoi n'allez-vous pas m'y attendre. J'irai vous y retrouver avec Ashley. ª
Victoria Aniston sourit. ´ Bien. ª Elle adressa un regard à
Otto Lewison. ´J'ai été heureuse de vous connaître, Docteur.
- Merci, mademoiselle Aniston. ª
Le Dr Patterson les regarda partir toutes les deux. Il se tourna vers Otto Lewison. ´ Des ennuis ?
- Je serai franc avec vous, docteur Patterson. Nous ne progressons pas autant que je l'avais d'abord espéré. Ashley affirme vouloir être aidée mais elle ne se montre pas coopérative. En réalité, elle résiste au traitement. ª
Le Dr Patterson l'examinait, intrigué. ´ Pourquoi ?
- Ce n'est pas si rare que ça. A un certain stade, les patients atteints du syndrome de personnalité multiple ont peur de rencontrer leurs alter ego. Ceux-ci les terrifient.
L'idée même que d'autres personnages puissent vivre en eux, dans leur esprit et leur corps, qu'ils puissent les dominer à
leur gré... Enfin, vous pouvez imaginer à quel point ça peut être épouvantable. ª
Le Dr Patterson acquiesça. ´ Bien s˚r.
- Il y a quelque chose qui nous laisse perplexes dans le cas d'Ashley. Presque toujours, dans le syndrome de personnalité
multiple, il existe dans l'histoire du patient des épisodes infantiles qui en ont fait une victime d'attentats à la pudeur.
Nous n'avons rien de ce genre dans le cas d'Ashley et nous ignorons donc la nature ou l'origine de son traumatisme. ª
Le Dr Patterson se tut quelques instants. Lorsqu'il prit la parole, ce fut pour dire d'une voix trouble : ´ Je peux vous aider. ª Il prit une profonde inspiration. Ć'est ma faute. ª
Le Dr Lewison l'observait intensément.
Áshley avait six ans à l'époque des faits. J'avais d˚ me rendre en Angleterre. Ma femme n'avait pu m'accompagner.
J'avais emmené Ashley. Ma femme avait là-bas un cousin
‚gé qui s'appelait John. Je ne m'en étais pas rendu compte à
l'époque, mais John avait... des problèmes psychologiques.
Un jour que je devais m'absenter pour donner une conférence, il offrit de garder Ashley. A mon retour, ce soir-là, il n'était plus là et Ashley était en pleine crise de nerfs, Il m'a fallu beaucoup de temps pour la calmer. Par la suite, elle n'a plus laissé personne l'approcher, elle est devenue effarouchée et repliée sur elle-même. La semaine suivante, on a arrêté
John pour de nombreux actes de pédophilie. ª La souffrance se lisait sur les traits du Dr Patterson. ´ Je me sens impardonnable. Je n'ai plus jamais laissé Ashley seule avec quiconque. ª
Il se fit un long silence. ´ Je suis terriblement navré, dit Otto Lewison. Mais je pense que vous venez de nous livrer la clé de l'énigme, docteur Patterson. Le Dr Keller pourra maintenant s'attaquer à quelque chose de précis.
- Je n'ai pas pu en parler plus tôt car cela m'était trop douloureux.
- Je comprends. ª Le Dr Lewison consulta sa montre.
Áshley en a encore pour quelques instants. Pourquoi n'allez-vous pas rejoindre Mlle Aniston dans le parc ? Je vous enverrai Ashley à la fin de sa séance. ª
Le Dr Patterson se leva. ´Merci. C'est ce que je vais faire. ª
Otto Lewison le regarda partir. Il avait h‚te de raconter au Dr Keller ce qu'il venait d'apprendre.
Victoria Aniston et Katrina l'attendaient. Ás-tu vu Ashley ? demanda Victoria.
- On va me l'envoyer dans quelques minutes. ª Le Dr Patterson regarda le vaste parc autour de lui. Ćharmant, n'est-ce pas? ª
Katrina courut vers lui. ´ Je veux monter encore dans le ciel. ª
Il sourit. ´D'accord.ª Il la prit, la lança en l'air et la rattrapa à la volée.
´ Plus haut !
- Attention. Allez, hop ! ª Il la lança de nouveau et la ratrapa tandis qu'elle criait de plaisir.
Éncore ! ª
Comme le Dr Patterson tournait le dos au b‚timent princi-pal, il n'en vit pas sortir Ashley et le Dr Keller.
´ Plus haut ! ª, cria Katrina.
Ashley s'arrêta net sur le seuil. Elle regarda son père jouer avec la fillette et ce fut comme si le temps se décomposait.
Tout ce qui se passa ensuite lui apparut au ralenti.
Il y eut des images fugitives d'une petite fille, qu'on lançait en l'air... ´ Plus haut, papa!
-Attention. Allez, hop! ª
Puis de la fillette qu'on jetait sur un lit...
Une voix qui disait : ´ Tu vas aimer ça... ª
L'image d'un homme assis dans le lit à côté d'elle. La petite fille hurlait. Árrête. Non. Je t'en prie, non. ª
L'homme était dans l'ombre. Il la tenait étendue et lui caressait le corps. ´ Tu n'aimes pas ? ª
Et tout à coup, l'ombre se dissipa et Ashley put voir le visage de l'homme. C'était son père.
En le voyant en train de jouer avec la petite fille, elle ouvrit la bouche et se mit à crier sans pouvoir s'arrêter.
Le Dr Patterson, Victoria Aniston et Katrina se retournèrent, effrayés.
´ Je regrette, dit vivement le Dr Keller. C'est un mauvais jour. Est-ce que vous ne pourriez pas revenir ? ª Et il entraîna Ashley à l'intérieur.
Ils la gardaient dans l'une des salles d'urgence.
Śon pouls est anormalement élevé, dit le Dr Keller. Elle fait une bouffée délirante. ª Il se rapprocha d'Ashley et lui dit : Áshley, vous n'avez rien à craindre. Vous êtes en sécurité ici. Personne ne vous fera de mal. Ecoutez seulement ma voix et détendez-vous... détendez-vous... détendez-vous... ª
Il fallut une demi-heure pour l'hypnotiser. Áshley, dites-moi ce qui s'est passé. qu'est-ce qui vous trouble ?
- Papa et la petite fille...
- Et alors ? ª
C'est Toni qui répondit. ´ «a lui est insupportable. Elle a peur qu'il fasse à la fillette ce qu'il lui a fait à elle-même. ª
Le Dr Keller la dévisagea durant quelques instants.
´ qu'est-ce... qu'est-ce qu'il lui a fait ? ª
C'était à Londres. Elle était couchée. Il s'est assis près d'elle et a dit: ´Je vais te rendre très heureuse, ma poupée. ª Il l'a chatouillée et elle riait aux éclats. Puis... il lui a retiré son pyjama et a commencé à la caresser. ´ «a te plaît ? ª Ashley s'est mise à crier. Árrête. Ne fais pas ça! ª
Mais il a refusé d'arrêter. Il l'a maintenue étendue... Il a continué...
Ć'était la première fois, Toni ? demanda le Dr Keller.
- Oui.
- quel ‚ge avait-elle ?
- Six ans.
- Et c'est à ce moment-là que vous êtes née ?
- Oui. Ashley était trop terrifiée pour affronter le traumatisme.
- que s'est-il passé par la suite ?
- Papa venait la retrouver tous les soirs et s'étendait à
côté d'elle. ª
Toni parlait sans retenue tout à coup. Élle ne pouvait pas l'en empêcher. quand ils sont revenus à la maison, Ashley a tout raconté à maman qui l'a traitée de sale petite menteuse.
Áshley avait peur de s'endormir le soir parce qu'elle savait que papa allait venir dans sa chambre, Il l'obligeait à le toucher puis il se caressait. Il lui a dit : "Ne dis rien à personne sinon je ne t'aimerai plus." Elle ne pouvait pas en parler. Maman et papa n'arrêtaient pas de s'engueuler et Ashley pensait que c'était sa faute. Elle savait qu'elle avait fait quelque chose de mal mais elle ignorait ce que c'était.
Maman la haÔssait.
- Combien de temps cela a-t-il duré? demanda le Dr Keller.
- J'avais huit ans lorsque... ª Toni s'interrompit.
Ćontinuez, Toni. ª
Le visage d'Ashley se transforma et Alette prit la place de Toni. Ńous sommes allés vivre à Rome o˘ papa était cher-cheur à la polyclinique Umberto Primo, dit-elle.
- Et c'est là que vous êtes née ?
- Oui. Un soir, Ashley n'a pas pu supporter ce qui s'était passé et je suis venue la protéger.
- que s'était-il passé, Alette ?
- Papa est entré tout nu dans la chambre d'Ashley pendant son sommeil. il s'est glissé dans son lit et, cette fois, il l'a pénétrée de force. Elle a voulu l'en empêcher mais en a été incapable. Elle l'a supplié de ne pas recommencer mais il venait quand même la retrouver tous les soirs. Et il disait toujours : "C'est comme ça qu'un homme manifeste son amour à une femme. Tu es une femme et je t'aime. Ne parle jamais de cela à personne." Elle ne pouvait donc pas en parler. ª
Ashley sanglotait et des larmes coulaient sur ses joues.
Gilbert Keller dut se retenir pour ne pas la prendre dans ses bras, lui déclarer son amour et l'assurer que tout allait s'arranger. Mais cela lui était naturellement impossible. Je suis son médecin.
Lorsque le Dr Keller revint au bureau du Dr Lewison, le Dr Patterson, Victoria Aniston et Katrina étaient partis.
Énfin, voilà ce que nous attendions, dit-il à Otto Lewison. La situation s'est finalement débloquée. Je sais à
quel moment et pourquoi Toni et Alette sont nées. Nous devrions voir les choses changer rapidement à partir de maintenant. ª
Le Dr Keller avait raison. Les choses commencèrent à
bouger.
CHAPITRE VINGT-SIX
La séance d'hypnose venait de commencer. Lorsque Ashley fut endormie, le Dr Keller lui dit : Áshley, parlez-moi de Jim Cleary.
- Je l'aimais. Nous avions l'intention de nous enfuir et de nous marier.
- Oui...?
- A la soirée de remise des diplômes, Jim m'a proposé
d'aller chez lui et j'ai... j'ai refusé. quand il m'a raccompagnée chez moi, mon père nous attendait. Il était furieux, Il a mis Jim à la porte et lui a dit de ne plus jamais remettre les pieds à la maison.
- Et ensuite ?
- J'ai décidé d'aller retrouver Jim. J'ai fait ma valise et je suis partie en direction de chez lui. ª Elle hésita. Á mi-chemin, je me suis ravisée, je suis revenue chez moi et... ª
L'expression d'Ashley se métamorphosa. Elle commença à
se détendre dans son fauteuil et ce fut Toni qui prit sa place.
Ń'allez surtout pas croire ça. Elle est bel et bien allée chez lui, Toubib. ª
Il n'y avait pas de lumière chez Jim lorsqu'elle est arrivée.
´ Mes parents sont absents pour le week-end. ª Elle a sonné.
quelques minutes plus tard, Jim Cleary lui ouvrait. Il était en pyjama.
Áshley. ª Un sourire éclairait son visage. ´ Tu es donc venue. ª Il la fit entrer.
´ Je suis venue parce que je...
- Peu importe la raison. Tu es là, c'est l'essentiel. ª Il l'a enlacée et embrassée. ´ Tu veux boire quelque chose ?
- Non. Peut-être un verre d'eau. ª A ce moment, elle a senti une sorte d'appréhension la gagner.
´ Bien s˚r. Viens. ª Il l'a prise par la main et emmenée dans la cuisine. Il lui a servi un verre d'eau et l'a regardée le boire. ´ Tu as l'air nerveuse.
- Je... je le suis.
- Il n'y a pas de raison. Mes parents ne risquent pas de revenir. Montons.
- Jim, je crois que nous ne devrions pas. ª
Il s'est approché d'elle par-derrière et a refermé ses mains sur sa poitrine. Elle s'est retournée. ´ Jim... ª
Il a posé ses lèvres sur les siennes et essayé de la plaquer contre le meuble de la cuisine.
´ Je vais te rendre heureuse, mon chou. ª C'était la voix de son père : ´ Je vais te rendre heureuse, mon chou. ª
Elle s'est figée. Elle a senti qu'il lui retirait ses vêtements et la pénétrait tandis qu'elle restait là debout, nue, poussant un cri inarticulé.
Alors une rage folle s'est emparée d'elle.
Elle a vu le grand couteau de boucher dont le manche sortait du bloc en bois. Elle l'a saisi et s'est mise à poignarder la poitrine de Jim en hurlant : Árrête, papa... Arrête...
Arrête... Arrête... ª
quand elle a baissé les yeux, Jim était étendu par terre, baignant dans son sang.
Éspèce de brute ! a-t-elle hurlé. Tu ne recommenceras plus jamais. ª Elle s'est penchée et lui a enfoncé le couteau dans les testicules.
A six heures, ce matin-là, Ashley est allée attendre Jim à la gare. Il n'y était pas.
Elle a commencé à s'affoler. qu'avait-il bien pu se passer?
Elle a entendu le train siffler au loin et regardé sa montre : 7 heures. Le train entrait en gare. Elle s'est levée en jetant un regard anxieux autour d'elle. Il a d˚ lui arriver quelque chose de terrible. quelques minutes plus tard, elle a vu, impuissante, le train quitter la gare, emportant ses rêves avec lui.
Elle a attendu encore une demi-heure puis est lentement revenue chez elle. Ce midi-là, son père et elle s'étaient envolés pour Londres...
C'était la fin de la séance.
Le Dr Keller compta, ´... quatre... cinq... Vous êtes réveillée maintenant ª.
Ashley ouvrit les yeux. ´ que s'est-il passé ?
- Toni m'a avoué avoir tué Jim Cleary. Il avait essayé de vous prendre de force. ª
Ashley devint livide. ´ Je veux retourner à ma chambre. ª
Le Dr Keller fit son rapport habituel à Otto Lewison.
Ńous commençons vraiment à progresser, Otto. Nous étions jusqu'à maintenant dans une impasse. Chacune d'elles avait peur de prendre l'initiative la première. Mais elles com-mencent à se détendre. Nous sommes sur la bonne voie, mais Ashley craint encore d'affronter la réalité.
- Elle ignore toujours comment ces meurtres ont été com-
mis ? demanda le Dr Lewison.
- Totalement. Elle était complètement inconsciente de ce qui se passait. C'est Toni qui agissait. ª
Deux jours avaient passé.
´ Vous vous sentez à l'aise, Ashley?
- Oui. ª Sa voix était lointaine.
´Je voudrais que nous parlions de Dennis Tibble. Vous étiez amis tous les deux?
- Nous étions collègues de travail. Nous n'étions pas vraiment amis.
-Les rapports de police affirment qu'on a trouvé vos empreintes digitales chez lui.
- En effet. J'y étais allée parce qu'il tenait à avoir mon avis.
- Et que s'est-il passé ?
- Nous avons parlé quelques minutes et il m'a donné un verre de vin dans lequel il y avait une drogue.
- De quoi vous souvenez-vous ensuite ?
- Je... Je me suis réveillée à Chicago. ª
L'expression d'Ashley commença à se transformer. Puis, presque aussitôt, ce fut Toni qui s'adressa à lui. ´Vous voulez savoir ce qui s'est vraiment passé... ?
- Racontez-moi, Toni. ª
Dennis Tibble a pris la bouteille de vin et dit : ´ Mettons-nous à l'aise. ª Il a voulu l'entraîner vers la chambre.
´ Dennis, je n'aipas envie de... ª
Et ils se sont retrouvés dans la chambre o˘ il a commencé
à lui retirer ses vêtements.
´ Je sais ce dont tu as envie, ma chatte. Tu as envie que je te baise. C'est pour ça que tu es venue ici. ª
Elle se débattait pour se libérer. Árrête, Dennis!
- Pas avant que je t'aie donné ce que tu es venue chercher. «a va te plaire, ma chérie. ª
Il l'a poussée sur le lit tout en la tenant fermement et en essayant de la toucher au bas-ventre. Puis ce fut la voix de son père. ´ Tu vas aimer ça, ma chérie. ª Il la pénétrait de force, s'enfonçant à plusieurs reprises en elle, tandis qu'elle hurlait en silence : Ńon, papa. Arrête ! ª Puis une fureur indicible s'est emparée d'elle. Elle a vu la bouteille de vin.
Elle l'a saisie, l'a brisée contre le rebord de la table et lui a enfoncé les tessons déchiquetés dans le dos. Il a hurlé en essayant de se relever, mais elle le tenait solidement sur le lit tout en continuant de le frapper à coups redoublés. Elle l'a regardé rouler par terre.
Il a gémi : Árrête !
- Tu promets de ne jamais recommencer ? Eh bien, nous allons nous en assurer. ª Elle a ramassé une lame de verre et l'a plantée dans les parties génitales de Dennis Tibble...
Le Dr Keller laissa passer quelques instants de silence.
´ qu'avez-vous fait ensuite, Toni ?
- J'ai pensé qu'il valait mieux que je déguerpisse avant l'arrivée de la police. Je dois avouer que j'étais passablement excitée. Comme je br˚lais d'envie de prendre de la distance avec la vie ennuyeuse que menait Ashley et que j'avais un ami à Chicago, j'ai décidé d'y aller. Cet ami n'était pas là, alors j'ai fait un peu les magasins, j'ai traîné dans les bars et je me suis offert du bon temps.
- Et ensuite ?
- J'ai pris une chambre d'hôtel et je me suis endormie. ª
Elle haussa les épaules. Énsuite, c'est Ashley qui a payé les pots cassés. ª
Elle s'est réveillée lentement, consciente que quelque chose n'allait pas, qu'il était arrivé quelque chose de grave.
Elle avait l'impression d'avoir été droguée. Elle a regardé la chambre autour d'elle et commencé à s'affoler. Elle était couchée, nue, dans un hôtel bon marché. Elle ignorait o˘ elle se trouvait et de quelle manière elle était arrivée là. Elle a réussi à s'asseoir et ressentait un mal de tête lancinant.
Elle est descendue du lit, s'est rendue dans la minuscule salle de bains et est entrée sous la douche. Elle a laissé
couler l'eau sur son corps en essayant de se laver des ignominies qu'elle avait subies. Et si j'étais enceinte ? L'idée de porter l'enfant de Tibble lui a donné la nausée. Elle est sortie de la douche, s'est séchée et dirigée vers le placard. Ses vêtements n'y étaient pas. Il n'y avait qu'une minijupe en cuir, un chemisier sans manches bon marché et une paire de chaussures à talons aiguilles. Il lui répugnait d'enfiler ces vêtements mais elle n'avait pas le choix. Elle s'est habillée rapidement et regardée dans la glace. Elle avait l'air d'une prostituée.
´ Papa, je...
- qu'est-ce qui ne va pas ?
- Je suis à Chicago et...
- que fais-tu à Chicago ?
- Je ne peux pas t'expliquer maintenant. Il me faut un billet d'avion pour San José. Je n'ai pas un sou sur moi.
Peux-tu m'aider ?
- Bien s˚r. Ne quitte pas... Un avion d'American Airlines décolle de l'aéroport O'Hare à 10 heures 40. Tu trouveras un billet à ton nom au guichet d'embarquement. ª
Álette, vous m'entendez ?
- Je suis là, docteur Keller.
- Je voudrais vous parler de Richard Melton. Vous étiez amis, n'est-ce pas ?
- Oui. Il était très... simpatico. J'étais amoureuse de lui.
- C'était réciproque ?
- Je pense, oui. C'était un artiste. Nous allions dans les musées ensemble et étions fous de peinture tous les deux. En compagnie de Richard, je me sentais... vivante. Si on ne l'avait pas tué, je crois que nous nous serions mariés un jour.
- Parlez-moi de votre dernière rencontre.
- Nous sortions d'un musée et Richard a dit : "Mon colocataire est allé à une soirée. Pourquoi ne viendriez-vous pas chez moi ? Je voudrais vous montrer des tableaux.
- C'est trop tôt, Richard.
- Comme vous voulez. Je vous vois le week-end prochain?
- Oui."ª
´ Je me suis éloignée en voiture, continua Alette. Et c'est la dernière fois que je... ª
Le Dr Keller vit son visage revêtir l'expression animée de Toni.
Ć'est ce qu'elle veut croire, dit Toni. Ce n'est pas ce qui s'est passé.
- que s'est-il passé ? ª, demanda le Dr Keller.
Elle est allée chez lui dans Fell Street. L'appartement était petit mais embelli par les tableaux de Richard.
´ Votre peinture met de la vie dans la pièce, Richard.
- Merci, Alette. ª Il l'a prise dans ses bras. ´Je vous désire. Vous êtes belle. ª
´Tu es belleª, disait son père. Elle s'est figée. Parce qu'elle savait quelle scène atroce allait se produire. Elle était étendue sur le lit, nue, avec cette douleur familière qu'elle ressentait quand il la pénétrait, quand il la déchirait...
Elle criait : Ńon ! Arrête, papa ! Arrête ! ª Alors elle a été
saisie de cette fureur qui s'emparait parfois d'elle dans ses crises maniaco-dépressives. Elle ne se rappelait pas o˘ elle avait pris le couteau, mais elle a poignardé Richard à
plusieurs reprises en lui hurlant: ´Je t'ai dit d'arrêter!
Arrête ! ª
Ashley se tordait dans son fauteuil en hurlant.
´«a va, Ashley, dit le Dr Keller. Vous n'avez rien à
craindre. Vous allez vous réveiller maintenant, je compte jusqu'à cinq. ª
Elle se réveilla, toute tremblante. Ést-ce que tout va bien?
- Toni m'a tout raconté pour Richard Melton. Il vous avait fait des avances. Vous l'avez pris pour votre père et vous avez alors... ª
Elle porta les mains à ses oreilles. ´ Je ne veux pas en entendre davantage. ª
Le Dr Keller alla voir Otto Lewison.
´ Je crois que nous arrivons finalement à quelque chose.
C'est très traumatisant pour Ashley, mais nous approchons de la fin. Nous avons encore deux meurtres à revivre.
- Et ensuite ?
- Je vais mettre Ashley, Toni et Alette en présence. ª
CHAPITRE VINGT-SEPT
´ Toni ? Toni, vous m'entendez ?ª Le Dr Keller observa le changement d'expression d'Ashley.
´ Je vous entends, Toubib.
- Parlons de Jean-Claude Parent.
- J'aurais d˚ me douter que c'était trop beau pour être vrai.
- que voulez-vous dire ?
- Au début, il m'avait donné l'impression d'être un galant homme. Nous sortions tous les jours et nous passions vraiment de bons moments ensemble. J'ai cru qu'il n'était pas comme les autres, mais je me trompais. Une seule chose l'intéressait, le sexe.
- Je vois.
- Il m'a donné une superbe bague et il a d˚ penser que ça lui donnait des droits sur moi. Je l'ai accompagné chez lui.
C'était une belle maison d'un étage, en brique rouge, remplie d'antiquités.
Ć'est ravissant.
- J'ai quelque chose de particulier à te montrer en haut, dans la chambre. ª Il l'a entraînée à l'étage sans qu'elle puisse lui résister. Une fois dans la chambre, il l'a enlacée et lui a chuchoté : ´ Déshabille-toi.
- Je n'aipas envie de...
- Si, tu as envie. Nous en avons tous deux envie. ª Il l'a déshabillée rapidement, puis étendue sur le lit. Là, il l'a prise.
"Elle gémissait : Ńon. Je t'en prie, ne fais pas ça, papa ! ª
Mais il n'a tenu aucun compte de ses supplications. Il a continué à s'activer en elle jusqu'au moment o˘ brusquement il s'est arrêté, et il a fait : Áh. ª Puis il a dit : ´ Tu es merveilleuse ª.
Alors elle a été saisie de sa pulsion criminelle. Elle s'est emparée du coupe-papier tranchant qui se trouvait sur le bureau et le lui a enfoncé à plusieurs reprises dans la poitrine.
´ Tu ne recommenceras plus. ª Et elle l'a frappé au bas-ventre.
Ensuite, elle a pris une longue douche, s'est rhabillée et s'en est retournée à l'hôtel.
Áshley... ª
Le visage de cette dernière commença à se transformer.
´ Réveillez-vous maintenant. ª
Ashley se réveilla lentement. Elle regarda le Dr Keller et demanda : Éncore Toni ?
- Oui. Elle avait connu Jean-Claude sur Internet. Ashley, pendant votre séjour à québec, y a-t-il eu des moments o˘
vous aviez l'impression de perdre la notion du temps ? Vous est-il arrivé de vous apercevoir que des heures ou une journée entière s'étaient écoulées sans que vous vous en rendiez compte ? ª
Elle hocha lentement la tête. Óui. C'était... c'était fréquent.
- C'est à ces moments-là que Toni prenait les commandes.
- Et c'est alors... c'est alors qu'elle... ?
- Oui. ª
Les mois suivants se déroulèrent sans incident. L'après-midi, le Dr Keller écoutait Toni jouer du piano et allait regarder Alette peindre dans le parc. Il restait à discuter d'un meurtre mais il voulait qu'Ashley se détende avant d'en parler.
Elle était à l'hôpital depuis cinq ans. Elle est presque guérie, pensait le Dr Keller.
Un lundi matin, il l'envoya chercher et l'observa quand elle entra dans son bureau. Elle était p‚le, comme si elle savait ce qui l'attendait.
´ Bonjour, Ashley.
- Bonjour, Gilbert.
- Comment vous sentez-vous ?
- Nerveuse. C'est la dernière séance, n'est-ce pas ?
- Oui. Parlons du shérif adjoint Sam Blake. que faisait-il chez vous ?
- C'est moi qui lui avais demandé de venir. quelqu'un avait écrit sur mon miroir de salle de bains "Tu vas mourir".
Je ne savais pas quoi faire. J'ai pensé qu'on voulait me tuer.
J'ai appelé la police et le shérif adjoint Blake est arrivé. Il était très sympathique.
- C'est vous qui lui aviez demandé de rester avec vous ?
- Oui. J'avais peur de rester seule. Il a dit qu'il passerait la nuit chez moi et qu'il ferait le nécessaire le lendemain matin pour qu'on veille sur moi vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je lui ai proposé de dormir sur le canapé pour lui laisser la chambre, mais il a insisté pour prendre le canapé. Je me souviens qu'il a inspecté les fenêtres pour s'assurer qu'elles étaient bien fermées et qu'il a verrouillé la porte à
double tour. Je lui ai souhaité bonne nuit et je suis entrée dans ma chambre dont j'ai fermé la porte.
- Et ensuite ?
- Je... Je me souviens seulement d'avoir été réveillée par quelqu'un qui hurlait dans la ruelle. Le shérif est alors entré
pour me dire que le shérif adjoint Blake avait été trouvé
mort. ª Elle s'interrompit, toute p‚le.
´ Très bien. Maintenant je vais vous endormir. Détendez-vous... Fermez les yeux et détendez-vous... ª Il fallut dix minutes pour l'hypnotiser. Le Dr Keller dit : ´ Toni ?
- Je suis là. Vous voulez savoir ce qui s'est vraiment produit, n'est-ce pas ? Ashley a été stupide d'inviter Sam à rester chez elle. J'aurais pu lui dire ce qu'il ferait. ª
Il a entendu un cri dans la chambre, et s'est levé rapidement en prenant son arme. Il s'est précipité vers la porte de la chambre et a tendu l'oreille durant quelques instants.
Silence. Il devait être victime de son imagination. Il allait se retourner pour s'éloigner lorsqu'il a de nouveau entendu le cri. Son arme à la main, il a ouvert la porte. Ashley était couchée, nue, endormie. Il n'y avait personne d'autre dans la chambre. Elle poussait de petits gémissements dans son sommeil. Il s'est approché du lit. Elle était belle ainsi, couchée en position fútale. Elle a gémi de nouveau, comme prise au piège d'un rêve terrible. Il avait seulement l'intention de la réconforter, de la prendre dans ses bras et de la tenir contre lui. Il s'est étendu à côté d'elle, l'a tirée doucement vers lui, et en sentant la chaleur de son corps il a eu un début d'érection.
Elle a été réveillée par la voix de Sam qui disait : ´ «a va maintenant. Vous n'avez rien à craindre. ª Il était en train de la couvrir de baisers, de lui écarter les jambes. Puis il l'a pénétrée.
Elle criait : Ńon, papa ! ª
Il s'activait de plus en plus vite en elle, comme m˚ par une pulsion primitive, et c'est alors que l'instinct brutal de ven-geance a pris le dessus en elle. Le couteau était posé sur la coiffeuse, près de son lit, et elle s'est mise à taillader le corps du shérif adjoint.
´ que s'est-il passé après ?
- Elle a enveloppé le corps dans les draps, l'a tiré jusqu'à
l'ascenseur puis dans la ruelle en passant par le parking. ª
´ ... et alors, dit le Dr Keller, Toni a enveloppé le corps du shérif adjoint Blake dans les draps et l'a tiré jusqu'à
l'ascenseur puis dans la ruelle en passant par le parking. ª
Ashley était immobile, le visage d'une p‚leur mortelle.
´ Toni est un mons... C'est moi qui suis un monstre.
- Non, Ashley, dit le Dr Keller. N'oubliez pas que Toni est née de votre souffrance pour vous protéger. Cela est vrai aussi pour Alette. Il est temps de mettre un terme à toute cette histoire. Je veux que vous fassiez leur connaissance. C'est la prochaine étape sur la voie de la guérison. ª
Ashley ferma les yeux. ´ D'accord. quand allons-nous...
procéder ?
- Demain matin. ª
Ashley était sous hypnose. Le Dr Keller commença par Toni.
´Toni, je voudrais qu'Alette et vous parliez à Ashley.
- qu'est-ce qui vous fait croire qu'elle pourra nous supporter?
- Je pense qu'elle y arrivera.
- D'accord, Toubib. Comme vous voulez.
- Alette, êtes-vous disposée à rencontrer Ashley ?
- Si Toni est d'accord.
- Bien s˚r, Alette. Il est à peu près temps que vous fassiez connaissance. ª
Le Dr Keller prit une profonde inspiration et dit : Áshley, saluez Toni. ª
Il y eut un long silence suivi d'un timide : ´ Bonjour, Toni...
- Bonjour.
- Ashley, dites bonjour à Alette.
- Bonjour, Alette...
- Bonjour, Ashley... ª
Le Dr Keller poussa un profond soupir de soulagement.
´Je veux que vous fassiez connaissance, toutes les trois.
Vous avez toutes été victimes de traumatismes graves. Ces traumatismes vous ont séparées l'une de l'autre. Mais cette séparation n'a plus de raison d'être. Désormais vous n'allez faire qu'une seule personne, une personne entière et saine.
Vous avez encore du chemin à parcourir mais vous êtes sur la bonne voie. Je vous assure que le pire est derrière vous. ª
A compter de ce jour, la cure d'Ashley évolua rapidement.
Elle et ses deux personnalités d'emprunt conversaient ensemble tous les jours.
Íl fallait que je te protège, lui expliqua Toni. Chaque fois que j'assassinais un de ces hommes, c'était sans doute papa que je tuais pour ce qu'il t'avait fait.
- Moi aussi j'essayais de te protéger, dit Alette.
- Je... Je vous remercie. Je vous en sais gré à toutes les deux. ª
Ashley se tourna vers le Dr Keller et dit d'un ton sarcastique : ´ Je suis bien là tout entière, n'est-ce pas ? Je me parle à moi-même.
- Vous parlez à vos deux alter ego, la corrigea gentiment le Dr Keller. Le temps est venu de vous unifier et de redevenir une seule et unique personne. ª
Ashley le regarda en souriant. ´ Je suis prête. ª
Cet après-midi-là, le Dr Keller alla voir Otto Lewison.
´ Des rapports encourageants me parviennent, Gilbert ª, dit le Dr Lewison.
Le Dr Keller acquiesça. Áshley fait des progrès remarquables. Encore quelques mois et je crois qu'on pourra la laisser sortir avec un traitement de postcure.
- Excellente nouvelle. Félicitations. ª
Elle va me manquer, pensa le Dr Keller. Elle va terriblement me manquer.
´ Le Dr Salem pour vous sur la deux, maître Singer.
- Bien. ª David décrocha, intrigué. Pourquoi le Dr Salem appelait-il ? Ils ne s'étaient pas parlé depuis des années, tous les deux. ´ Royce ?
- Bonjour, David. J'ai un renseignement qui pourrait vous intéresser. Au sujet d'Ashley Patterson. ª
David fut aussitôt sur le qui-vive. ´ De quoi s'agit-il ?
- Vous vous souvenez de tout le mal que nous nous étions donné pour découvrir le traumatisme qui était à l'origine de son état et que nous avions échoué. ª
David se rappelait fort bien. C'était là-dessus que le procès avait achoppé. Óui.
- Eh bien, je connais désormais la réponse. Mon ami le Dr Lewison, qui dirige l'hôpital psychiatrique du Connecticut, vient de m'appeler. La pièce manquante du puzzle était le Dr Steven Patterson. C'est lui qui avait attenté à la pudeur d'Ashley dans son enfance.
- quoi ? demanda David d'un ton incrédule.
- Le Dr Lewison vient lui-même de l'apprendre. ª
David écouta le Dr Salem jusqu'au bout, mais il avait l'esprit ailleurs. Les paroles du Dr Patterson lui revenaient en mémoire : ´ Vous êtes le seul en qui j'aie confiance, David.
Ma fille représente tout pour moi. Vous allez lui sauver la vie... Je veux que vous assuriez sa défense et je tiens à ce que personne d'autre ne se mêle de ce procès. ª
David comprit subitement pourquoi le Dr Patterson avait tellement insisté pour qu'il assure seul la défense d'Ashley. Il était convaincu que David, si jamais il découvrait le pot aux roses, le protégerait. Le Dr Patterson avait d˚ choisir entre sa fille et sa réputation et il avait opté pour la seconde. Le salaud!
´ Merci, Royce. ª
Cet après-midi-là, en passant par la salle de récréation, Ashley vit un exemplaire du Westport News que quelqu'un avait laissé là. En première page du journal, il y avait une photo de son père avec Victoria Aniston et Katrina. L'article débutait comme suit : ´ Le Dr Steven Patterson doit épouser bientôt une personnalité de la haute société, Victoria Aniston, mère d'une fillette de trois ans qu'elle a eue d'un précédent mariage. Le Dr Patterson fera désormais partie du personnel médical du St. John Hospital de Manhattan. Sa future épouse et lui ont acheté une maison à Long Island... ª
Ashley interrompit sa lecture, le visage convulsé par la rage. ´ Je vais tuer ce salaud ! hurla Toni. Je vais le tuer ! ª
Elle était complètement hors d'elle-même. On dut la mettre dans une chambre capitonnée, pour qu'elle ne puisse se faire mal, et la retenir par des menottes et des fers aux pieds.
Lorsque les surveillants venaient lui apporter ses repas, elle essayait de se jeter sur eux et ils prenaient soin de ne pas trop s'approcher d'elle. Toni avait pris entièrement possession d'Ashley.
Elle hurla en voyant le Dr Keller: ´Laissez-moi sortir d'ici, espèce de salopard. Tout de suite !
- Nous allons vous laisser sortir, lui répondit le Dr Keller d'un ton apaisant, mais il faut d'abord que vous vous calmiez.
- Je suis calme, hurla Toni. Laissez-moi partir ! ª
Le Dr Keller s'assit par terre près d'elle et dit : ´ Toni, quand vous avez vu la photo de votre père, vous avez dit que vous alliez lui faire du mal et...
- Menteur ! J'ai dit que j'allais le tuer !
- Il y a eu assez de tueries comme ça. Vous ne poignarde-rez plus personne.
- Je n'ai pas l'intention de le poignarder. Vous avez entendu parler de l'acide chlorhydrique ? C'est un acide auquel rien ne résiste, y compris la peau. Attendez seulement que je...
- quittez ces idées.
- Vous avez raison. Le feu! Le feu est préférable. Il n'aura pas à attendre d'être en enfer pour br˚ler. Je peux procéder de manière qu'on ne me prenne jamais si...
- Toni, pensez à autre chose.
- D'accord. Je trouverai bien quelque chose de mieux encore. ª
Il l'examina quelques instants, dépité. ´ qu'est-ce qui vous rend si furieuse ?
- Vous ne le savez pas ? Moi qui vous prenais pour une sommité de la médecine ! Il épouse une femme qui a une fille de trois ans. que va-t-il arriver à cette petite fille, à votre avis, vous le grand ponte? Je vais vous le dire, moi. La même chose qu'à nous. Eh bien, je l'en empêcherai.
- Moi qui espérais que vous vous étiez débarrassées de toute cette haine, toutes les trois.
- Vous avez dit haine ? Vous voulez qu'on vous en parle, nous, de la haine ? ª
Il pleuvait à verse et les gouttes frappaient avec régularité
le toit de la voiture qui roulait à toute vitesse. Elle regarda sa mère assise au volant, qui plissait les yeux pour voir la route, et elle sourit, de bonne humeur. Elle se mit à chanter : Il court, il court, le furet,
Le furet des bois, mesdames...
Sa mère tourna la tête et hurla : ´ La ferme! Je t'ai déjà
dit que je détestais cette chanson. Tu me rends malade, espèce de sale petite... ª
Ensuite, tout parut se dérouler au ralenti. Le virage juste devant, la voiture qui dérapait, l'arbre. Le choc la projeta hors de la voiture. Elle était secouée, mais indemne. Elle se releva. Elle entendit crier sa mère, coincée dans la voiture.
Śors-moi d'ici! Au secours! Au secours! ª
Et elle resta là, immobile, à observer la scène, jusqu'à ce que la voiture explose.
´ La haine ? Vous voulez en entendre davantage ? ª
Íl faut prendre cette décision à l'unanimité, déclara Wal-terManning. Ma fille est une artiste professionnelle, pas une dilettante. Elle a peint ce tableau pour nous rendre service...
Nous ne pouvons ne pas l'accepter... Il faut que ce soit à
l'unanimité. Nous lui offrons le tableau de ma fille ou nous ne lui offrons rien du tout. ª
Elle était garée le long du trottoir, le moteur en marche.
Elle vit Walter Manning traverser la rue en direction du parking souterrain o˘ il garait sa voiture. Elle embraya et appuya à fond sur l'accélérateur. Manning entendit au dernier moment le bruit de la voiture qui venait vers lui et il se retourna. Elle observa l'expression qui se peignit sur son visage lorsque la voiture le heurta de plein fouet puis précipita de côté son corps tel un chiffon. Elle continua à rouler. Il n'y avait pas de témoins. Dieu était avec elle.
´Voilà ce que c'est que la haine, Toubib! La vraie haine ! ª
Gilbert Keller écouta son récit détaillé, abasourdi, ébranlé
par la méchanceté à froid qui en ressortait. Il annula ses autres rendez-vous de la journée. Il avait besoin d'être seul.
Le lendemain matin, lorsque le Dr Keller entra dans la cellule capitonnée, c'est Alette qui avait pris les commandes.
´Pourquoi m'infligez-vous ce traitement, docteur?
demanda-t-elle. Laissez-moi sortir d'ici.
- Je vais vous laisser sortir, l'assura-t-il. Parlez-moi de Toni. que vous a-t-elle dit?
- Elle a dit que nous devions nous enfuir d'ici pour tuer papa. ª
Toni prit le relais. ´ Bonjour, Toubib. Nous allons bien à
présent. Pourquoi ne pas nous laisser partir ? ª
Le Dr Keller la regarda dans les yeux, il y lut une sauvage-rie sans pitié.
Le Dr Otto Lewison soupira. ´ Je suis vraiment navré de ce qui s'est passé, Gilbert. Tout allait si bien.
- Je ne peux même plus communiquer avec Ashley.
- Ce qui veut dire qu'il va sans doute falloir recommencer la cure à zéro. ª
Le Dr Keller était songeur. ´ Pas vraiment, Otto. Nous en sommes arrivés à un point o˘ les trois personnalités ont fini par faire connaissance. C'est un énorme progrès. La prochaine étape consistait à les amener à se dissoudre. Il faut que je trouve un moyen d'y parvenir.
- Ce maudit article...
- On a de la chance que Toni l'ait vu. ª
Otto Lewison lui adressa un regard étonné. ´ De la chance ?
- Oui. Parce qu'il s'agit là d'un résidu de haine chez Toni. Maintenant que nous en connaissons l'existence, nous pourrons nous y attaquer. Je voudrais tenter une expérience.
Si ça marche, nous pourrons pavoiser. Sinon ª - il marqua une pause et ajouta vivement ´je crois qu'Ashley devra rester enfermée ici pour le restant de ses jours.
- qu'est-ce que vous voulez faire ?
- Je crois qu'il serait néfaste de la laisser revoir son père, mais je voudrais m'abonner à un service de presse national et me faire envoyer tous les articles qui paraissent sur le Dr Patterson ª.
Otto Lewison sourcilla. ´ Pour quoi faire ?
- Je vais montrer tous les articles de journaux à Toni. Sa haine finira par s'épuiser. Comme ça, je pourrai en suivre l'évolution et essayer de la contrôler.
- «a risque de demander du temps, Gilbert.
- Au moins un an, peut-être davantage. Mais c'est la seule chance d'Ashley. ª
Cinq jours plus tard, Ashley avait repris possession d'elle-même.
Lorsque le Dr Keller entra dans la cellule capitonnée, elle dit : ´ Bonjour, Gilbert. Je regrette pour toute cette histoire.
- Je suis heureux que ça se soit produit, Ashley. Nous allons ainsi pouvoir mettre au jour tout ce que vous ressentez. ª Il fit signe à un surveillant de lui retirer les fers et les menottes.
Elle se leva et se frotta les poignets. Će n'était pas très confortable ª, dit-elle. Ils sortirent dans le couloir. ´ Toni est très en colère.
- Oui, mais ça lui passera. Voici mon plan... ª
Trois ou quatre articles consacrés au Dr Steven Patterson arrivaient chaque mois. Dans l'un on pouvait lire : ´ Le Dr Steven Patterson doit épouser Victoria Aniston vendredi prochain, à Long Island, lors d'une cérémonie fastueuse.
Les collègues du Dr Patterson prendront l'avion afin d'assister... ª
Toni fit une crise de nerfs lorsque le Dr Keller lui montra l'article.
Će mariage ne durera pas longtemps.
- Pourquoi dites-vous ça, Toni ?
- Parce qu'il va mourir ! ª
´ Le Dr Steven Patterson a quitté le St. John Hospital pour diriger le service de cardiologie du Methodist Hospital de Manhattan... ª
Ćomme ça, il pourra violer les petites filles ª, hurla Toni.
´ Le Dr Steven Patterson, qui a reçu le Prix Lasker pour ses travaux en médecine, sera reçu à la Maison-Blanche... ª
Ón devrait pendre cette ordure ! ª, s'écria Toni.
Gilbert Keller fit en sorte que Toni reçoive tous les articles qui paraissaient sur son père. Avec le temps, à chaque nouvel article, sa rage semblait décroître. On aurait dit qu'elle était à
court de réactions affectives. Elle passa de la haine à la colère et, finalement, à une acceptation résignée.
On parla du Dr Patterson dans les pages immobilières :
´ Le Dr Steven Patterson et sa nouvelle épouse habitent désormais Manhattan, mais ils projettent d'acheter une résidence secondaire dans les Hamptons, le quartier le plus chic de Long Island, o˘ ils passeront l'été avec leur fille, Katrina. ª
Toni se mit à sangloter. Ćomment peut-il nous faire ça?
- Vous avez l'impression que cette petite fille a pris votre place, Toni ?
- Je ne sais pas. Je... Je ne sais plus quoi penser. ª
Une autre année s'écoula. Ashley avait trois séances de thérapie par semaine. Alette peignait presque tous les jours, mais Toni refusait de chanter ou de jouer du piano.
Le jour de NoÎl, le Dr Keller lui montra une nouvelle cou-pure de presse. On y voyait une photo de son père en compagnie de Victoria et de Katrina. La légende disait : LES
PATTERSON FETENT NOÀL DANS LES HAMPTONS.
Toni fit remarquer d'un air pensif : Ńous passions NoÎl ensemble, il me donnait toujours de magnifiques cadeaux. ª
Elle regarda le Dr Keller. Íl n'était pas si mauvais que ça. A part ce que vous savez, c'était un bon père. Je crois qu'il m'aimait vraiment. ª
C'était le premier signe d'un nouveau progrès.
Un jour qu'il passait près de la salle de récréation, le Dr Keller entendit Toni chanter et jouer du piano. Etonné, il entra dans la pièce pour l'observer. Elle était complètement absorbée par la musique.
Le lendemain, il eut une séance avec elle.
´ Votre père vieillit, Toni. qu'est-ce que vous éprouverez à
sa mort, à votre avis ?
- Je... Je ne veux pas qu'il meure. Je sais que j'ai dit beaucoup de bêtises à son sujet, mais c'était sous le coup de la colère.
- Vous n'êtes plus en colère ? ª
Elle marqua un temps de réflexion. ´Je ne suis pas en colère, je souffre. Vous aviez raison, je crois. J'ai eu l'impression que la petite fille prenait ma place. ª Levant les yeux vers le Dr Keller, elle ajouta : ´ J'étais bouleversée. Mais mon père à le droit de vivre sa vie, tout comme Ashley. ª
Le Dr Keller sourit. Nous sommes de nouveau sur la bonne voie.
Elles se parlaient désormais librement, toutes les trois.
Áshley, vous aviez besoin de Toni et d'Alette parce que votre souffrance était insupportable. quels sont vos sentiments envers votre père à présent ? ª
Il y eut un bref silence. ´ Je ne pourrai jamais oublier ce qu'il m'a fait, mais je lui pardonne. Je veux laisser le passé
derrière moi et me tourner vers l'avenir.
- Pour ça, il faut que vous redeveniez une. qu'en dites-vous, Alette ?
- Si je deviens Ashley, est-ce que je pourrai continuer à
peindre ?
- Bien s˚r.
- Eh bien, dans ce cas, d'accord.
- Toni?
- Est-ce que je serai encore capable de chanter et de jouer du piano ?
- Oui.
- Alors, pourquoi pas ?
- Ashley?
- Je suis disposée à ce que nous devenions toutes une.
Je... Je voudrais les remercier d'avoir été là quand j'avais besoin d'elles.
- Je t'en prie, ma petite chérie, dit Toni.
- Miniéra anche, dit Alette. ª
C'était le moment de l'étape finale : l'intégration.
´Parfait. Je vais vous hypnotiser maintenant, Ashley. Je veux que vous fassiez vos adieux à Toni et à Alette. ª
Ashley prit une inspiration profonde. Ádieu, Toni. Adieu, Alette.
- Adieu, Ashley.
- Fais attention à toi, Ashley. ª
Dix minutes plus tard, elle était dans un état hypnotique profond. Áshley, vous n'avez plus rien à craindre. Tous vos problèmes sont derrière vous. Vous n'avez plus besoin qu'on vous protège. Vous pouvez vivre votre vie sans aide, sans refouler les expériences négatives. Vous êtes désormais en mesure d'affronter la réalité. Etes-vous d'accord avec moi ?
- Oui. Je suis prête à affronter l'avenir.
- Bien. Toni ? ª
Il n'y eut pas de réponse.
´Toni?ª
Toujours pas de réponse.
Álette ? ª
Silence.
Álette?ª
Silence.
Élles sont parties, Ashley. Vous êtes désormais vous-même et vous êtes guérie. ª
Il vit le visage d'Ashley s'éclairer.
´ Vous allez vous réveiller à trois. Un... deux... trois... ª
Elle rouvrit les yeux, le visage illuminé par un sourire béat.
´ «a y est, n'est-ce pas ? ª
Il acquiesça. Óui. ª
Elle était folle de joie. ´ Je suis libre. Oh, merci, Gilbert !
C'est comme... C'est comme si on venait de tirer un épouvantable rideau noir. ª
Le Dr Keller lui prit la main. Śi vous saviez comme je suis heureux. Nous allons procéder encore à quelques tests dans les prochains mois, mais s'ils se révèlent aussi positifs que je le pense, on va vous renvoyer chez vous. Nous ferons le nécessaire pour que vous puissiez suivre un traitement de postcure là o˘ vous serez. ª
Ashley acquiesça d'un hochement de tête, trop émue pour parler.
CHAPITRE VINGT-HUIT
Durant les trois mois suivants, Otto Lewison fit examiner Ashley par trois psychiatres. Ils recoururent à l'hypnose et à
l'amobarbital.
´Bonjour, Ashley. Je suis le docteur Montfort et j'ai quelques questions à vous poser. Comment vous sentez-vous?
- Merveilleusement bien, docteur. J'ai l'impression de sortir d'une longue maladie.
- Avez-vous une image négative de vous-même ?
- Non. Je sais que des choses négatives se sont passées mais je ne m'en sens pas responsable.
- Eprouvez-vous de la haine pour quelqu'un ?
- Non.
- Et votre père ? Vous le haÔssez ?
- Je l'ai haÔ. Plus maintenant. Je pense qu'il ne pouvait pas s'empêcher d'agir comme il l'a fait. J'espère seulement que ça lui a passé.
- Aimeriez-vous le revoir ?
- Je crois qu'il serait préférable que je ne le revoie pas. Il vit sa vie. Je veux commencer à vivre la mienne. ª
Áshley?
- Oui.
- Je suis le docteur Vaughn. J'aimerais que nous causions un peu, vous et moi.
- D'accord.
- Vous souvenez-vous de Toni et d'Alette ?
- Bien s˚r. Mais elles sont parties.
- quels sont vos sentiments à leur égard ?
- Au début, elles me terrifiaient, mais je sais maintenant que j'avais besoin d'elles.
- Vous dormez bien la nuit ?
- Maintenant oui.
- Parlez-moi de vos rêves.
- Je faisais des rêves atroces dans lesquels il y avait toujours quelqu'un qui me poursuivait. Je pensais qu'on allait m'assassiner.
- Vous faites encore ce genre de rêve ?
- Non. Mes rêves sont très paisibles. Je vois des couleurs vives et des gens souriants. La nuit dernière, j'ai rêvé que j'étais aux sports d'hiver et que je volais littéralement sur les pentes de ski. C'était merveilleux. Je ne souffre plus du froid.
- que ressentez-vous envers votre père ?
- Je voudrais qu'il soit heureux et je veux l'être moi aussi. ª
Áshley ?
- Oui?
- Je suis le docteur Hoelterhoff.
- Bonjour, docteur.
- On ne m'avait pas dit que vous étiez aussi belle. Vous trouvez-vous belle ?
- Je trouve que j'ai du charme...
- Je trouve que vous avez une belle voix. Le pensez-vous aussi ?
- Je n'ai pas une voix travaillée, mais oui ª - elle se mit à
rire - ´ je chante juste.
- Et on me dit que vous peignez. Vous êtes douée ?
- Plutôt, oui, pour un peintre amateur. ª
Il l'observait, l'air pensif. Ávez-vous un problème ou un autre dont vous aimeriez discuter avec moi ?
- Non, pas que je sache. Je suis très bien soignée ici.
- que ressentez-vous à l'idée de partir d'ici et de retrouver le monde extérieur ?
- J'y ai beaucoup réfléchi. «a m'effraie et ça m'excite en même temps.
- Vous croyez que vous aurez peur à l'extérieur?
- Non. Je vais me refaire une nouvelle vie. Je suis bonne informaticienne. Je ne pourrai pas revenir dans l'entreprise pour laquelle je travaillais, mais je suis s˚re de pouvoir trouver un emploi ailleurs. ª
Le Dr Hoelterhoff acquiesça. ´ Merci, Ashley. J'ai eu plaisir à m'entretenir avec vous. ª
Les trois psychiatres, Montfort, Vaughn et Hoelterhoff, étaient réunis dans le bureau d'Otto Lewison. Celui-ci lisait leurs rapports. Lorsqu'il eut fini il leva les yeux vers le Dr Keller et sourit. ´Félicitations. Ces rapports sont tous positifs. Vous avez fait un magnifique travail.
- C'est une femme merveilleuse. Exceptionnelle, Otto. Je me réjouis de la voir revenir à une vie normale.
- A-t-elle consenti à suivre un traitement de postcure une fois sortie d'ici ?
- Absolument. ª
Otto Lewison hocha la tête. ´ Très bien. Nous allons faire remplir l'autorisation de sortie. ª Il se tourna vers les autres médecins. ´Merci, messieurs. Je vous sais gré de votre collaboration. ª
CHAPITRE VINGT-NEUF
Deux jours plus tard, elle fut convoquée au bureau du Dr Lewison. Le Dr Keller était présent. On allait la libérer et elle pourrait rentrer chez elle, à Cupertino, o˘ il avait été
convenu avec un psychiatre agréé par le tribunal qu'elle suivrait une thérapie régulière et se soumettrait à des séances d'évaluation.
Éh bien, c'est le grand jour. Vous êtes contente?
demanda le Dr Lewison.
- Je suis tout excitée, j'ai peur, je suis... je ne sais pas. Je me sens comme un oiseau dont on vient d'ouvrir la cage. ª
Elle était rayonnante.
´ Je suis content que vous partiez mais je... vous allez me manquer ª, dit le Dr Keller.
Ashley lui prit la main et dit avec chaleur : ´ Vous aussi, vous allez me manquer. Je ne sais pas comment... comment vous remercier. ª Ses yeux s'embuèrent de larmes. ´ Vous m'avez redonné la vie. ª
Elle se tourna vers le Dr Lewison. Úne fois de retour en Californie, je vais me trouver du travail dans une société
informatique. Je vous tiendrai au courant et vous ferai savoir comment se déroule ma postcure. Je veux être bien certaine que ce qui m'est arrivé ne se reproduira pas.
- Je crois que vous n'avez plus d'inquiétude à avoirª, l'assura le Dr Lewison.
Lorsqu'elle fut partie, il se tourna vers Gilbert Keller.
´Voilà qui compense amplement toutes les cures qui échouent, n'est-ce pas, Gilbert? ª
C'était une belle journée de juin, et elle descendait à pied Madison Avenue, à New York, avec un sourire si radieux que l'on se retournait sur son passage. Elle n'avait jamais éprouvé
un tel bonheur. Elle songeait à la vie merveilleuse qui l'attendait et faisait mille projets d'avenir. Les choses auraient pu se terminer terriblement mal, pensait-elle, mais tout était bien qui finissait bien.
Elle entra dans Pennsylvania Station, la gare la plus animée d'Amérique, un labyrinthe de salles et de couloirs sans air, complètement dépourvu de charme. Il y avait un monde fou.
Et dire que chacun a une histoire intéressante à raconter, pensa-t-elle. Chacun se rend dans un endroit différent, chacun vit sa vie et c'est à mon tour de vivre la mienne.
Elle acheta un billet à un distributeur automatique. Son train entrait justement en gare. Heureuse coÔncidence, pensa-t-elle.
Elle monta dans le train et prit un siège. Elle était tout excitée à l'idée de l'avenir qui l'attendait, il y eut une secousse puis le train prit de la vitesse. Enfin, je suis en route.
Et, tandis que le train roulait vers Long Island, o˘ vivait son père, elle se mit à chanter :
Il court, il court le furet
Le furet des bois, mesdames.
Il court, il court le furet,
Le furet des bois jolis.
Il est passé par ici. Il repassera par là.
Il court, il court...
POSTFACE DE L'AUTEUR
Ces dix dernières années, ont eu lieu des dizaines de procès de prévenus affirmant avoir des personnalités multiples. Les accusations portaient sur une grande variété de délits, y compris le meurtre, l'enlèvement, le viol et l'incendie criminel.
Le syndrome de personnalité multiple, aussi connu sous le nom de dissociation de la personnalité, est loin de faire l'unanimité parmi les psychiatres. Certains d'entre eux doutent de son existence. En revanche, depuis des années, de nombreux médecins des hôpitaux et différents services sociaux traitent des patients atteints de ce syndrome. Selon certaines études, entre 5 et 15 % des personnes traitées en psychiatrie en souffriraient.
Les statistiques actuelles du Département américain de la Justice indiquent qu'environ le tiers des victimes d'attentats à
la pudeur sont ‚gées de moins de six ans, et qu'une fille sur trois est victime d'agression sexuelle avant l'‚ge de dix-huit ans.
La plupart des cas d'inceste connus concernent un père et sa fille.
Une étude en cours dans trois pays permet de penser que 1 % de la population est atteint du syndrome de personnalité
multiple.
Les troubles liés à la dissociation de la personnalité suscitent fréquemment des erreurs de diagnostic. Des études ont montré
que les gens atteints de ce syndrome passent sept ans à chercher une cure adéquate avant que leur mal soit correctement diagnostiqué.
Les deux tiers des gens atteints du syndrome de personnalité
multiple peuvent être soignés. Voici une liste de quelques institutions qui s'y emploient.
ETATS-UNIS
B.E.A. M. (Being Energetic About Multiplicity) Boîte postale 20 428
Louiseville, Kentucky 40250-0429
Tél. (502) 493-8975 (fax).
The Center for Post-Traumatic & Dissociative Disorders Program The Psychiatrie Institute of Washington,
4228, Wisconsin Avenue, N.W.,
Washington, D.C. 20016
(800) 369-2273.
The Forest View Trauma Program
1055, Médical Drive, S.E.,
Grand Rapids, Minnesota 49546-3671
(800)949-8437
International Society for thé Study of Dissociation, 6q, Révère Drive, Suite 500,
Northbrook, Illinois 60062
(847)480-0899
(847) 480-9282 (fax)
Justus Unlimited,
Boîte postale 1221,
Parker, Colorado 80134
(303) 643-8698
Masters and Johnson's Trauma and Dissociative Disorders, Two Rivers Psychiatrie Hospital,
5121,RaytownRod,
Kansas City, Missouri 64133
(800)225-8577
Mothers Against Sexual Abuse (MASA)
503 bis, South Myrtle Avenue, N∞ 9,
Monrovia, Californie 91016
(626) 305-1986
(626) 503-5190 (fx)
The Sanctuary Unit,
Friends Hospital,
4641, Roosevelt Boulevard,
Philadelphie, Pennsylvanie 19124
(215) 831-4600
The Sirdan Foundation,
2328, West Joppa Street, Suite 15,
Lutherville, Maryland 21093
(410) 825-8888
The Timberlawn Trauma Program,
4600, Samuell Boulevard,
Dallas, Texas 75228
(800)426-4944
ARGENTINE
Grupo de Estudio de Trastornos de disociacion y trauma de Argentina, Dra. Graciela Rodriguez,
Federico Lecroze 1820 7mo. A.
(1426) Buenos Aires,
Argentine
TélYfax. 541-775-2792
AUSTRALIE
Australian Association for Trauma and Dissociation (AATD), Boîte postale 85,
Brunswick, Melbourne, Victoria 3056,
Australie,
Tél. (03) 9663 6225
Beyond Survival : A Magazine on Abuse, Trauma and Dissociation, Boîte postale 85,
Annandale, North South Wales 2038,
Australie,
(02) 9566 2045
CANADA
Canadian Mental Health Association,
Métro Toronto Branch,
970, Lawrence Avenue West, Suite 205,
Toronto, Ontario,
Canada M6A3B6
Tél.(416)789-7957
Fax (416) 789-9079
Canadian Society for thé Study of Dissociation c/o Dr John ONeil, FRCPC,
4074, Wilson Avenue,
Montréal, québec,
Canada H4A 279
(515)485-9529
ISRAÀL
Maytal-IsraÎl Institute for Treatment & Research on Stress, Eli Sommer, Ph. D., Clinical Director,
3, Manyan Street,
HaÔfa, IsraÎl
Tél. +972-4-8381999
Fax+9724-8386369
HOLLANDE
Nederlands-Vlaamse Vereniging voor de bestudering van Dissociative Stoornoissen (NWDS)
' (Société hollandaise d'étude du syndrome de personnalité multiple) c/o Stichting RBC, Bloemendaal Klinik voor Intensive Behandeling At-lantis,
Fenny ten Boschstraat 23,
2555PTDenHaag,
Hollande
Tél.+31 (070) 391-1617
Fax+31 (070) 391-6115
Praktijk voor psychothérapie en hypnose,
Dr Els Grimminck,
Wielewaal 17,
1902 KE Castricum,
Hollande,
Tél. (+31-0) 251650264
Fax (+31-0) 251653306
ROYAUME-UNI
British Dissociative Disorders Professional Study Group, c/o Jeanie Mclntee, MSo,
Chester Therapy Centre,
Weldon House,
20, Walpole Street,
Chester CH14HG,
Angleterre
Tél. 1244-390121.
OUVRAGES SP…CIALIS…S
Calof, David L., avec Mary Leloo, Multiple Personality and Dissociation : Understanding Incest, Abuse, and MPD, Park Ridge, Illinois, Parkside Publi-shing, 1993.
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SUR INTERNET
The Sidram Foundation Online
http :/www. users. mis. net/patmc
International Society for thé Study of Dissociation E-mail : into@issd. org
Dans la collection ´ Grand Format ª
SANDRA BROWN
Le Cúur de l'autre
MARGARET CUTHBERT
Extrêmes urgences
CLIVE CUSSLER
L'Or des Incas
Onde de choc
Raz de marée
Serpent
LINDA DAVIES
Dans la fournaise
L'Initiée
Les Miroirs sauvages
ALAN DERSHOWITZ
Le démon de l'avocat
JANETEVANOVICH
La Prime
Deux fois n'est pas coutume
JOHN FARROW
La ville de glace
GINIHARTZMARK
Crimes au labo
Le Prédateur
La suspecte
La sale affaire
ROBERT LUDLUM
Le complot des Matarèse
STEVE MARTINI
Principal témoin
Trouble influence
Pas de pitié pour le juge
La Liste
DAVID MORREUL
In extremis
Démenti formel
PERRI O'SHAUGHNESSY
Amnésie fatale
Intimes convictions
MICHAELPALMER
De mort naturelle
Traitement spécial
Situation critique
JOHN RAMSEY MILLER
La dernière famille
LISA SCOTTOLINE
Rien à perdre
La bluffeuse
Justice expéditive
SIDNEY SHELDON
Rien n'est éternel
Matin, midi et soir
Un plan infaillible
Cet ouvrage a été réalisé par la
SOCI…T… NOUVELLE FIRMIN-DIDOT
Mesnil-sur-l'Estrée
pour le compte des …ditions Grasset
en avril 2000
Imprimé en France
Dépôt légal : avril 2000
N∞ d'édition : 11508 - N∞ d'impression : 51115
ISBN : 2-246-57941-4
ISSN : 1263-9559