La séance terminée, Keith Rosson entra dans le bureau de Sam Blake et lui tendit les résultats du test. ´ Blanche comme neige, il n'y a pas une chance sur cent qu'elle mente. Vous êtes sur la mauvaise piste. ª

Ashley quitta le quartier général de la police, étourdie de soulagement. Dieu merci, c'est fini. Elle avait eu terriblement peur qu'on lui pose des questions concernant son père, mais il n'en avait rien été. Personne ne peut désormais établir de lien entre papa et cette affaire.

Elle se gara au parking et prit l'ascenseur pour monter chez elle. Elle engagea sa clé dans la serrure et ouvrit, entra dans l'appartement et referma soigneusement la porte derrière elle.

Elle se sentait lessivée et, en même temps, comme transportée. Un bon bain chaud, pensa-t-elle. Elle pénétra dans la salle de bains et devint livide. quelqu'un avait écrit au rouge à lèvres sur le miroir : TU VAS MOURIR.

CHAPITRE NEUF

Elle luttait contre la crise de nerfs. Ses doigts tremblaient si fort que cela faisait trois fois qu'elle s'y reprenait pour composer le numéro. Elle aspira profondément et essaya de nouveau. Deux... neuf... neuf... deux... un... zéro... un... Le téléphone sonna enfin à l'autre bout de la ligne.

´ Bureau du shérif.

- Le shérif adjoint Blake, s'il vous plaît. Vite !

- Il est rentré chez lui. Est-ce que je peux vous passer quelqu'un d'autre...

- Non! Je... Pouvez-vous lui demander de me rappeler?

C'est Ashley Patterson. Il faut que je lui parle immédiatement.

- Ne quittez pas, Mademoiselle, je vais voir si je peux le joindre. ª

Le shérif adjoint Sam Blake écoutait patiemment sa femme, Serena, qui était en train de lui faire une scène.

´ Mon frère te fait travailler comme une bête, jour et nuit, et il ne te paie même pas assez pour que tu puisses me faire vivre correctement. Pourquoi ne demandes-tu pas une augmentation ? Pourquoi ? ª

Ils étaient à table. ´ Passe-moi les pommes de terre, chérie, veux-tu ? ª

Serena s'empara du plat de pommes de terre qu'elle déposa avec fracas devant son mari. ´ Le problème, c'est qu'on ne t'apprécie pas à ta juste valeur.

- Tu as raison, chérie. Tu me passes la sauce ?

- Tu écoutes ou non ce que je te dis ? hurla-t-elle.

- Je n'en perds pas un mot, mon amour. Excellent dîner.

Tu es un vrai cordon-bleu.

- Comment puis-je me bagarrer avec toi, salaud, si tu ne réagis même pas ? ª

Il prit une bouchée de veau. Ć'est parce que je t'aime, ma chérie. ª

Le téléphone sonna. Éxcuse-moi. ª Il se leva et décrocha.

Állô... Oui... Passez-la-moi... Mademoiselle Patterson? ª Il l'entendit sangloter.

Íl est arrivé quelque chose... quelque chose de terrible. Il faut que vous veniez ici tout de suite.

- J'arrive. ª

Serena se leva. ´ quoi ? Tu sors ? En plein milieu du dîner !

- Une urgence, chérie. Je serai de retour le plus vite possible. ª Elle le regarda boucler son étui-revolver. Il se pencha pour l'embrasser. ´ Tu cuisines divinement bien. ª

Ashley lui ouvrit dès qu'il arriva. Elle avait les joues barbouillées de larmes. Elle tremblait.

Sam Blake s'avança dans l'appartement en regardant autour de lui d'un úil méfiant.

´ Y a-t-il quelqu'un d'autre ici ?

- Il... il y avait quelqu'un. ª Elle s'efforçait de garder son calme. ´ Re... Regardez... ª Elle le conduisit à la salle de bains.

Le shérif adjoint Blake lut à voix haute les mots écrits sur le miroir : ´ Tu vas mourir. ª

Il se tourna vers Ashley. Ávez-vous une idée de l'identité

de la personne qui a pu écrire ça ?

- Non. Je suis ici chez moi. Personne d'autre n'a la clé...

Et quelqu'un est entré... quelqu'un m'a suivie... quelqu'un qui a l'intention de me tuer. ª Elle fondit en larmes. ´ Je n'en peux plus. ª

Elle sanglotait de manière convulsive. Le shérif adjoint l'enlaça et lui tapota l'épaule. Állez. Tout va bien se passer.

Nous allons vous accorder une protection et nous décou-vrirons qui est derrière ça. ª

Ashley prit une inspiration profonde. ´ Je m'excuse. Je ne me conduis généralement pas de cette manière. C'était...

c'était tellement horrible.

- Parlons un peu. ª

Elle esquissa un sourire. ´ D'accord.

- Si vous nous faisiez un thé ? ª

Ils étaient assis devant leur thé. ´quand tout cela a-t-il commencé, mademoiselle Patterson ?

- Il y a environ... environ six mois. J'avais le sentiment d'être suivie. Au début, ce n'était qu'une vague impression, mais qui s'est faite de plus en plus précise. Je savais qu'on me suivait mais je ne voyais personne. Puis au travail, quelqu'un a eu accès à mon ordinateur et a dessiné l'image d'une main armée d'un couteau qui essayait de... de me poignarder.

- Et vous savez qui ça peut être ?

- Non.

- Vous avez dit que quelqu'un était déjà entré chez vous avant aujourd'hui.

- Oui. Un jour, on a allumé toutes les lumières en mon absence. Une autre fois, j'ai trouvé un mégot de cigarette sur ma coiffeuse. Je ne fume pas. Et on avait ouvert un tiroir de ma commode pour fouiller dans mes... sous-vêtements. ª Elle prit une profonde respiration. Ét maintenant... ça.

- Avez-vous des amants qui auraient pu se sentir écon-duits?ª

Ashley secoua la tête. Ńon.

- Avez-vous opéré des transactions commerciales dans lesquelles quelqu'un aurait perdu de l'argent à cause de vous?

- Non.

- Vous n'avez pas reçu de menaces ?

- Non. ª Elle pensa lui parler du week-end ´ perdu ª à

Chicago, mais cela l'e˚t obligée à faire allusion à son père.

Elle décida de ne rien dire.

´ Je ne veux pas rester seule ici ce soir, déclara-t-elle.

- D'accord. Je vais téléphoner au poste pour qu'on envoie quelqu'un qui...

- Non ! Je vous en prie ! Je me méfie de tout le monde. Ne pourriez-vous pas rester ici avec moi, jusqu'à demain matin ?

- Je ne pense pas pouvoir...

- Oh, je vous en prie. ª Elle tremblait.

Il plongea son regard dans ceux d'Ashley et se dit qu'il n'avait jamais vu quelqu'un d'aussi terrorisé.

Ń'y a-t-il pas un endroit o˘ vous pourriez dormir cette nuit? Des amis qui...

- Et si c'est un de mes amis qui a fait ça ? ª

Il hocha la tête. Én effet. Je vais rester. Demain matin, je veillerai à ce qu'on vous protège vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

- Merci ª, dit-elle avec soulagement.

Le shérif adjoint lui tapota la main. Ét ne vous en faites pas. Je vous ai promis que nous irions au fond de cette histoire. Permettez que j'appelle le shérif Dowling pour lui dire ce qui se passe. ª

Il resta cinq minutes au téléphone et dit en raccrochant :

´ Je ferais mieux d'appeler ma femme.

- Bien s˚r. ª

Il décrocha de nouveau et composa son numéro de téléphone personnel. Állô, chérie. Je ne rentrerai pas cette nuit, alors pourquoi ne regarderais-tu pas une émission de télé...

- Tu quoi ? O˘ es-tu, avec une de tes putes de bas étage ? ª

Ashley entendait la femme du shérif adjoint hurler dans l'appareil.

Śerena...

- Ne me prends pas pour une idiote.

- Serena...

- Les hommes ne pensent qu'à ça... tirer un coup.

- Serena...

- Eh bien, je ne tolérerai pas ça plus longtemps.

- Serena...

- Voilà la reconnaissance à laquelle j'ai droit pour être une si bonne épouse... ª

Ce monologue se poursuivit durant dix bonnes minutes encore. Finalement, le shérif adjoint raccrocha et, embarrassé, se tourna vers Ashley.

´ Je suis navré. Elle n'est pas dans son état normal. ª

Ashley le regarda et dit : ´ Je comprends.

- Non... je parle sérieusement. Serena se conduit de cette manière parce qu'elle est paniquée. ª

Ashley lui adressa un regard interrogatif. ´ Paniquée ? ª

Il resta quelques instants silencieux. Élle est en train de mourir. Elle a un cancer. Pendant un temps, il y a eu une rémission. La maladie s'est déclarée il y a sept ans à peu près.

Nous sommes mariés depuis cinq ans.

- Vous connaissiez donc son...

- Oui. J'ai passé outre. Je l'aime. ª Il s'interrompit. ´ «a s'est aggravé ces derniers temps. Elle est affolée parce qu'elle a peur de mourir et que je la quitte. Tous ses cris sont une parade pour cacher cette peur.

- Je... je suis navrée.

- C'est un être merveilleux. Au fond d'elle-même, elle est gentille, affectueuse et aimante. C'est cette Serena-là que je connais.

- Je regrette d'avoir peut-être été la cause de...

- Pas du tout. ª Il jeta un úil à la ronde.

Íl n'y a qu'une seule chambre, dit Ashley. Vous pouvez la prendre, je dormirai sur le canapé. ª

Le shérif adjoint secoua la tête. ´Pas question. Je m'accommoderai du canapé.

- Si vous saviez combien je vous suis reconnaissante.

- Aucun problème, mademoiselle Patterson. ª Il la regarda se diriger vers un placard et y prendre des draps et des couvertures.

Elle revint vers le canapé sur lequel elle fit un lit.

´ J'espère que vous serez...

- C'est parfait. Je n'ai pas l'intention de beaucoup dormir de toute façon. ª Il vérifia les fenêtres pour s'assurer qu'elles étaient bien fermées puis alla vers la porte d'entrée qu'il verrouilla à double tour. ´ Voilà. ª Il posa son arme sur la table basse près du canapé. ´ Dormez bien. Demain matin, je ferai le nécessaire. ª

Ashley hocha la tête. Elle s'approcha de lui et l'embrassa sur la joue. ´ Merci. ª

Le shérif adjoint Blake la regarda entrer dans sa chambre et fermer la porte. Il revint vers les fenêtres qu'il vérifia de nouveau. La nuit allait être longue.

A Washington, au quartier général du FBI, l'agent spécial Ramirez s'entretenait avec Roland Kingsley, son chef de service.

Ńous avons les empreintes digitales et les rapports d'ADN des scènes de crime de Bedford, Cupertino, québec et San Francisco. Nous venons tout juste de recevoir le rapport final d'ADN. Les empreintes des quatre crimes correspondent toutes, ainsi que les relevés d'ADN. ª

Kingsley hocha la tête. Íl s'agit donc bien d'un tueur en série.

- Aucun doute là-dessus.

- Il faut trouver ce salaud. ª

A six heures du matin, le corps du shérif adjoint Sam Blake, dénudé, fut découvert par la femme du gérant de l'immeuble dans la ruelle, derrière chez Ashley Patterson.

Il avait été poignardé à mort et ch‚tré.

CHAPITRE DIX

Ils étaient cinq : le shérif Dowling, deux inspecteurs en civil et deux agents en uniforme. Debout dans le séjour, ils regardaient Ashley qui, assise dans un fauteuil, piquait une crise de larmes.

´ Vous êtes la seule qui puissiez nous aider, mademoiselle Patterson ª, dit le shérif Dowling.

Ashley leva les yeux vers les policiers et hocha la tête. Elle respira profondément à plusieurs reprises. ´ Je vais... je vais essayer.

- Commençons par le commencement. Le shérif adjoint Blake a passé la nuit ici ?

- Oui. C'est moi... c'est moi qui le lui avais demandé.

Je... J'avais tellement peur.

- Il n'y a qu'une chambre ici.

- En effet.

- O˘ a-t-il dormi ? ª

Elle désigna le canapé sur lequel il y avait une couverture et un oreiller. Íl... il a passé la nuit là.

- A quelle heure vous êtes-vous couchée ? ª

Elle réfléchit quelques instants. ÍL. il devait être minuit environ. J'étais nerveuse. Nous avons bu du thé et nous avons conversé quelque temps, ce qui m'a calmée. Je lui ai fait un lit et je me suis retirée dans ma chambre. ª Elle luttait pour garder son sang-froid.

Ć'est la dernière fois que vous l'avez vu?

- Oui.

- Et vous vous êtes endormie ?

- Pas tout de suite. J'ai fini par prendre un somnifère. Je me souviens seulement d'avoir été réveillée par les cris d'une femme, en bas, dans la ruelle. ª Elle se mit à trembler.

´ Vous croyez que quelqu'un est entré ici pour tuer le shérif adjoint Blake ?

- Je... je ne sais pas, répondit Ashley qui ne savait que penser. quelqu'un était déjà entré auparavant. On avait même écrit un message de menace sur mon miroir.

- Il m'en avait parlé au téléphone.

- Il a peut-être entendu quelque chose et... il est peut-être sorti pour voir de quoi il s'agissait ª, dit Ashley.

Le shérif Dowling secoua la tête. ´ Je ne crois pas qu'il serait sorti tout nu.

- Je ne sais pas ! Je ne sais pas ! ª Elle criait. Ć'est un cauchemar. ª

Elle se couvrit les yeux avec ses mains.

´ Je vais jeter un coup d'oeil dans l'appartement, dit le shérif Dowling. Dois-je me procurer un mandat de perqui-sition ?

- Bien s˚r que non. Allez-y. ª

Le shérif adressa un signe de tête aux inspecteurs. L'un d'eux entra dans la chambre, l'autre dans la cuisine.

´De quoi avez-vous parlé, vous et le shérif adjoint Blake?ª

Ashley soupira profondément. ´ Je... Je lui ai parlé de... de choses qui me sont arrivées. Il a été très... ª Elle leva les yeux vers le shérif. ´ qui aurait pu vouloir le tuer ? Pourquoi ?

- Je ne sais pas, mademoiselle Patterson. C'est ce que nous allons essayer de savoir. ª

Le lieutenant Elton, l'inspecteur qui avait fouillé la cuisine, apparut sur le seuil du séjour. ´ Puis-je vous voir un instant, shérif?

- Excusez-moi. ª

Le shérif pénétra dans la cuisine.

´quoi?

- J'ai trouvé ça dans l'évier ª, dit le lieutenant Elton. Il tenait par l'extrémité de la lame un couteau de boucher taché de sang. Íl n'a pas été lavé. On devrait pouvoir y prélever des empreintes. ª

Kostoff, le second inspecteur, qui sortait de la chambre, entra précipitamment dans la cuisine, il tenait une bague, une émeraude sertie de diamants. ´ J'ai trouvé ça dans le coffret à

bijoux dans la chambre. La bague correspond à celle dont québec nous a envoyé la description et que Jean-Claude Parent avait offerte à Toni Prescott. ª

Les trois hommes se regardèrent, perplexes.

´ Mais ça ne rime à rien ª, dit le shérif. Prenant avec pré-caution le couteau de boucher et la bague, il revint dans le séjour. Montrant le couteau, il dit : ´ Mademoiselle Patterson, est-ce que ce couteau est à vous ? ª

Ahsley regarda le couteau. ´ Je... Oui. Sans doute. Pourquoi ? ª

Le shérif lui montra la bague : Ávez-vous déjà vu cette bague auparavant ? ª

Elle regarda la bague et secoua la tête. Ńon.

- Nous l'avons trouvée dans votre coffret à bijoux. ª

Ils observèrent l'expression qui se peignit sur le visage d'Ashley. Elle était complètement abasourdie.

´ Je... quelqu'un doit l'y avoir mise... dit-elle dans un filet de voix.

- qui aurait fait une chose pareille ? ª

Ashley était toute p‚le. ´ Je ne sais pas. ª

Un inspecteur apparut à la porte d'entrée. Śhérif?

- Oui, Baker?ª Il entraîna l'inspecteur à l'écart.

´ qu'est-ce que vous avez trouvé ?

- Du sang sur le tapis du couloir et dans l'ascenseur. Le corps a l'air d'avoir été étendu sur un drap, tiré dans l'ascenseur et balancé dans la ruelle.

- Saloperie ! ª Le shérif Dowling se tourna vers Ashley.

´ Mademoiselle Patterson, vous êtes en état d'arrestation. Je vais vous donner lecture de vos droits constitutionnels. Vous avez le droit de garder le silence. Si vous renoncez à ce droit, tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous devant les tribunaux. Vous êtes autorisée à recourir aux services d'un avocat. Si vous n'en avez pas les moyens, la justice vous en fournira un d'office. ª

Lorsqu'ils furent arrivés au bureau du shérif, celui-ci dit :

´ Prenez ses empreintes et procédez à l'incarcération. ª

Ashley se prêta à la procédure comme un automate.

Lorsqu'on eut pris ses empreintes, le shérif Dowling lui dit :

´ Vous avez droit à un appel téléphonique. ª

Ashley leva les yeux vers lui et dit d'une voix terne : ´ Je n'ai personne à appeler. ª Je ne peux tout de même pas téléphoner à mon père.

Le shérif la suivit des yeux tandis qu'on la conduisait dans une cellule.

´ Je veux bien être damné si j'y comprends quelque chose.

Vous avez vu le test de détection de mensonge ? Je jurerais qu'elle est innocente. ª

L'inspecteur Kostoff pénétra dans la pièce. Śam a eu des rapports sexuels avant de mourir. Nous avons passé son corps aux rayons ultra-violets ainsi que le drap dans lequel il était enveloppé. Ils contiennent du sperme et des traces de sécrétion vaginale. Nous... ª

Le shérif grommela. Ón verra ça plus tard ! ª Il avait retardé le moment d'annoncer la nouvelle à sa súur. Cela ne pouvait plus attendre. Il soupira et dit : ´ Je reviens. ª

Vingt minutes plus tard, il arrivait chez Sam.

Éh bien, voilà un plaisir auquel je ne m'attendais pas, dit Serena. Sam est avec toi ?

- Non, Serena. J'ai une question à te poser. ª «a n'allait pas être facile.

Elle le regarda avec curiosité. Óui ?

- Est-ce... est-ce que Sam et toi avez eu des rapports sexuels ces dernières vingt-quatre heures ? ª

Le visage de Serena changea d'expression. ´ quoi ? Nous...

Non. Pourquoi veux-tu... ? Sam m'a quittée, n'est-ce pas ?

- Je déteste avoir à te l'annoncer, mais il...

- Il m'a laissée pour elle, c'est ça? Je m'y attendais. Je ne le lui reproche pas. J'ai été une très mauvaise épouse. Je...

- Serena, Sam est mort.

- Je passais mon temps à l'engueuler. Je ne pensais pas sérieusement ce que je disais. Je me souviens... ª

Il lui saisit les deux bras. Śerena, Sam est mort.

- Une fois, nous étions allés pique-niquer... ª

Il la secouait. Écoute-moi. Sam est mort.

-... à la plage. ª

Il se rendit compte en la regardant qu'elle l'avait entendu.

Ńous étions donc sur la plage et un type s'amène qui dit :

"Donnez-moi votre argent." Et Sam lui rétorque : "Fais voir ton arme." ª

Le shérif Dowling, immobile, la laissa parler. Elle était en état de choc, en plein déni de réalité.

´ ... c'était Sam tout craché. Parle-moi de cette femme avec laquelle il est parti. Elle est mignonne ? Sam me dit toujours que je suis jolie, mais je sais que je ne le suis pas. Il dit ça pour me faire plaisir parce qu'il m'aime. Il ne me quittera jamais. Il reviendra. Tu verras, Il m'aime. ª Elle continua à

parler.

Le shérif alla vers le téléphone et composa un numéro.

Énvoyez une infirmière ici. ª Il s'approcha de sa súur et passa son bras autour de ses épaules. ´ Tout va bien se passer.

- Est-ce que je t'ai raconté la fois o˘ Sam et moi... ª

quinze minutes plus tard, une infirmière arriva.

´ Prenez bien soin d'elle ª, dit le shérif.

On était en conférence dans le bureau du shérif Dowling.

Ón vous demande sur la une. ª

Le shérif décrocha. Óuais ?

- Shérif, ici l'agent spécial Ramirez, du quartier général du FBI à Washington. Nous avons des informations concernant l'affaire du tueur en série. Nous n'avions rien sur Ashley Patterson parce qu'elle n'avait pas de dossier judiciaire et, avant 1988, le département des Transports de l'Etat de Californie n'exigeait pas d'empreintes digitales pour délivrer les permis de conduire.

- Je vous écoute.

- Au début, nous avons cru qu'il s'agissait d'un bogue mais nous avons vérifié et... ª

Le shérif resta encore cinq minutes à écouter tandis qu'une expression d'incrédulité se peignait sur son visage. Lorsqu'il prit enfin la parole, il dit : ´ Vous êtes s˚r qu'il n'y a pas d'erreur? On ne dirait pas... Tous...? Je vois... Merci beaucoup. ª

Il raccrocha et resta un long moment immobile. Puis il leva les yeux. Ć'était le labo du FBI à Washington. Ils ont fini d'opérer les recoupements pour identifier les empreintes digitales trouvées sur les corps des victimes. Jean-Claude Parent fréquentait une Britannique du nom de Toni Prescott à

l'époque o˘ il a été assassiné.

- Oui.

- Richard Melton, de San Francisco, fréquentait une Italienne du nom d'Alette Peters à l'époque o˘ il a été tué. ª

Les autres acquiescèrent d'un hochement de tête.

Ét hier soir Sam Blake était avec Ashley Patterson.

- En effet. ª

Le shérif prit une large inspiration. Áshley Patterson...

- Oui?

- Toni Prescott...

- Oui?

- Alette Peters...

- Oui?

- Ne font qu'une seule et même personne. ª

LIVRE Il

CHAPITRE ONZE

Robert Crowther, l'agent immobilier, copropriétaire de Bryant & Crowther, ouvrit la porte avec un geste emphatique et annonça : Ét voici la terrasse, D'ici, vous dominez la Coit Tower. ª

Il regarda les jeunes mariés sortir sur la terrasse et s'approcher de la balustrade. La vue était magnifique, San Francisco s'étendait à leurs pieds en un panorama spectaculaire. Robert Crowther vit le couple échanger un regard et un sourire entendus, ce qui l'amusa. Ils essayaient de dissimuler leur excitation. Il en allait toujours ainsi : les clients potentiels croyaient que les prix allaient s'envoler s'ils manifes-taient leur enthousiasme.

Pour ce duplex en terrasse, pensa cyniquement Crowther, le prix est déjà assez élevé comme ça. Il se demanda avec inquiétude si ce jeune couple avait les moyens de l'acheter. Le mari était avocat et les jeunes avocats ne gagnaient pas tant que ça.

Ils formaient un beau couple, manifestement très amoureux l'un de l'autre. David Singer, ‚gé d'une trentaine d'années, blond, avait l'air intelligent et possédait un côté juvénile fort engageant. Sa femme, Sandra, était charmante et chaleureuse.

Robert Crowther, remarquant le léger renflement de son ventre, avait dit : ´ La deuxième chambre d'ami fera une chambre d'enfant idéale. Il y a un terrain de jeu dans la rue voisine et deux écoles dans le quartier. ª Il les vit échanger une fois encore leur petit sourire complice.

Le duplex était composé à l'étage supérieur d'une chambre de maître avec salle de bains et d'une chambre d'ami. A l'étage inférieur, il comprenait un séjour spacieux, une salle à

manger, une bibliothèque, une cuisine, une seconde chambre d'ami et deux salles de bains. Presque toutes les pièces avaient une vue sur la ville.

Robert les suivit des yeux lorsqu'ils rentrèrent à l'intérieur.

Ils restèrent dans un coin à chuchoter.

Će duplex me plaît énormément, dit Sandra à David. Et ce serait parfait pour le bébé. Mais, chéri, en avons-nous les moyens ? Six cent mille dollars !

- Plus les charges, ajouta David. La mauvaise nouvelle, c'est que nous ne pouvons pas nous l'offrir aujourd'hui. La bonne nouvelle, c'est que nous le pourrons jeudi. Le génie va sortir de sa bouteille magique et notre vie va changer.

- Je sais, dit-elle d'un ton joyeux. C'est merveilleux, non?

- Alors on y va?ª

Sandra prit une profonde inspiration. Állons-y. ª

Le visage de David s'éclaira d'un grand sourire, il fit un signe de la main et dit : ´ Bienvenue chez vous, madame Singer. ª

Bras dessus, bras dessous, ils se dirigèrent vers l'endroit o˘

Robert Crowther les attendait. Ńous allons le prendre, lui dit David.

- Félicitations. C'est l'un des sites résidentiels les plus recherchés de San Francisco. Vous serez heureux ici.

- Je n'en doute pas.

- Vous avez de la chance. Je dois vous dire que d'autres personnes étaient aussi très intéressées.

- Combien voulez-vous en acompte ?

- Un dépôt de dix mille dollars fera l'affaire. Je ferai préparer le contrat de vente. Nous vous demanderons encore soixante mille dollars à la signature. Vous pouvez négocier une hypothèque de vingt ou trente ans avec votre banque. ª

David échangea un coup d'oeil avec Sandra. ´ D'accord.

- Je vais faire préparer les papiers.

- Puis-je jeter encore un coup d'úil ? ª demanda Sandra d'un ton enthousiaste.

Crowther eut un sourire bienveillant. ´ Tant que vous vou-

drez, madame Singer. Vous êtes désormais chez vous.

- J'ai l'impression de vivre un conte de fées, David. Je n'arrive pas à y croire.

- C'est pourtant la réalité. ª Il la prit dans ses bras. ´ Je veux que tous tes rêves se réalisent.

- Tu y réussis, mon chéri. ª

Ils vivaient alors dans un petit deux-pièces de Marina Dis-trict, mais l'enfant allait bientôt naître et on serait à l'étroit.

Ils n'auraient jamais pu auparavant s'offrir cet appartement en terrasse à Nob Hill, sur les hauteurs de San Francisco, mais le jeudi suivant était le jour o˘ l'on annonçait les nominations au poste de partenaire dans le cabinet de droit international de Kincaid, Turner, Rose &Ripley o˘ David travaillait. Sur vingt-cinq candidats éligibles, six seraient sélectionnés pour accéder à ces régions éthérées que représentait le partenariat dans ce cabinet juridique, et tout le monde s'accordait à penser que la candidature de David serait retenue. Kincaid, Turner, Rose & Ripley, qui possédait des bureaux à San Francisco, New York, Londres, Paris et Tokyo, était l'un des cabinets d'avocats les plus prestigieux de la planète et généralement la cible numéro un des diplômés qui sortaient parmi les tout premiers de leur promotion à la faculté de droit.

Le cabinet utilisait la politique de la carotte et du b‚ton à

l'égard de ses jeunes recrues. Leurs aînés, les partenaires, les exploitaient sans merci, ne voulaient pas entendre parler de surmenage ou de maladie et se déchargeaient sur eux du travail de routine. C'était une dure pression, un travail de vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C'était le b‚ton. La carotte résidait dans la perspective de devenir à son tour partenaire du cabinet. Cela signifiait un salaire plus important, une part des énormes bénéfices engrangés par le cabinet, un grand bureau avec vue panoramique, des lavabos privés, des missions à l'étranger et un nombre incalculable d'autres privi-lèges du même ordre.

David était avocat d'affaires chez Kincaid, Turner, Rose

& Ripley depuis six ans et cela n'avait pas été facile tous les jours. On restait au bureau tard le soir, le stress était épouvantable, mais David, bien décidé à s'accrocher pour devenir partenaire, était resté et avait fait de l'excellent travail. Il allait bientôt recueillir les fruits de sa ténacité.

En quittant l'agent immobilier, Sandra et David allèrent faire des courses. Ils achetèrent un berceau, une chaise haute, un youpala, un parc et de la layette pour le bébé qu'ils appelaient déjà Jeffrey.

Áchetons-lui des jouets, dit David.

- «a peut encore attendre ª, dit Sandra en riant.

Après les courses, ils fl‚nèrent en ville, longèrent le front de mer jusqu'à Ghirardelli Square puis, au-delà de la Cannery, jusqu'au Fisherman's Wharf. Ils déjeunèrent à l'American Bistro.

On était samedi, une journée idéale à San Francisco pour les détenteurs de serviettes en cuir ornées de monogrammes en or et autres signes de pouvoir tels que cravates, costumes sombres, chemises aux initiales discrètes, une journée rêvée pour les déjeuners de tout ce joli monde affamé de puissance et propriétaire d'un appartement en terrasse. Une journée parfaite pour un avocat.

David et Sandra s'étaient rencontrés trois ans auparavant dans un dîner. Ce soir-là, David était accompagné de la fille d'un client du cabinet. Sandra, qui était assistante juridique, travaillait pour un cabinet rival. A table, ils avaient eu, elle et lui, une prise de bec au sujet d'un jugement des tribunaux de Washington dans une affaire politique. Ils s'étaient de plus en plus échauffés tandis que tous les autres convives suivaient la discussion. Subitement, en plein milieu de leur argumentation, ils s'étaient aperçus l'un et l'autre que la décision des tribunaux leur était complètement indifférente. Ce qui les intéressait, c'était de s'exhiber mutuellement comme s'ils accomplissaient une sorte de danse verbale préliminaire à

l'accouplement.

David avait téléphoné à Sandra le lendemain. ´ J'aimerais que l'on termine cette discussion, avait-il dit. Je crois que c'est important.

- Moi aussi, avait confirmé Sandra.

- Si nous dînions ensemble ce soir pour en parler? ª

Sandra avait hésité. Elle était déjà invitée au restaurant ce soir-là. Óui, avait-elle dit finalement. Ce soir, ça ira. ª

Ils ne s'étaient plus quittés depuis. Un an jour pour jour après leur rencontre, ils s'étaient mariés.

Joseph Kincaid, le partenaire senior du cabinet, avait donné congé à David pour le week-end.

David gagnait 45 000 dollars par an chez Kincaid, Turner, Rose & Ripley. Sandra avait gardé son travail d'assistante juridique. Mais désormais, avec la naissance du bébé, les dépenses allaient augmenter.

´Je vais devoir quitter mon travail dans quelques mois, avait dit Sandra. Je ne veux pas que notre enfant soit élevé

par une nounou, chéri. Je veux être là pour lui. ª L'écho-graphie avait indiqué que ce serait un garçon.

Ńous nous débrouilleronsª, l'avait assuré David. Sa promotion au rang de partenaire allait changer leur vie.

David avait commencé à faire des heures encore plus nombreuses. Il voulait être s˚r de ne pas passer inaperçu lorsque viendrait le jour des nominations.

Le jeudi matin, David, tout en s'habillant, regarda les informations télévisées. Un présentateur, qu'on e˚t dit à bout de souffle, était en train de dire d'une voix précipitée : Úne nouvelle de dernière heure nous parvient à la minute même...

Ashley Patterson, la fille du chirurgien bien connu de San Francisco, Steven Patterson, a été arrêtée... On la soupçonne d'être le tueur en série que la police et le FBI recherchaient depuis... ª

David resta figé sur place devant le téléviseur.

´... Matt Dowling, le shérif du comté de Santa Clara a annoncé hier soir l'arrestation d'Ashley Patterson pour une série de meurtres dont les victimes avaient toutes été ch‚trées.

Le shérif Dowling a déclaré à la presse : "Il ne fait aucun doute que nous détenons la coupable. Nous disposons de preuves accablantes." ª

Le Dr Steven Patterson. David fit mentalement un retour en arrière, dans un lointain passé.

... Il avait vingt et un ans et venait de commencer ses études de droit. Un jour, en rentrant de la fac, il trouva sa mère étendue par terre dans sa chambre, inconsciente, il appela Police Secours et une ambulance transporta sa mère au Mémorial Hospital de San Francisco. Il attendit aux urgences jusqu'à ce qu'un médecin vienne lui parler.

Ést-ce qu'elle... est-ce qu'elle va bien ? ª

Le médecin hésita. Ńous l'avons fait examiner par un de nos cardiologues. Elle a une rupture de cordon dans la valvule mitrale.

- C'est-à-dire?

- J'ai bien peur que nous ne puissions rien pour elle. Elle est trop faible pour recevoir une greffe. quant à la microchirurgie cardiaque, elle est nouvelle et trop risquée. ª

David eut l'impression qu'il allait se trouver mal. ´ Pour combien... pour combien de temps en a-t-elle...

- Je dirais deux ou trois jours, peut-être une semaine. Je regrette, mon petit. ª

David, paniqué, resta immobile. ´ Mais personne ne peut rien faire pour elle ?

- Je crains que non. La seule personne qui aurait pu lui venir en aide est le Dr Steven Patterson, mais il est très...

- qui est le Dr Steven Patterson ?

- Le Dr Patterson est à l'origine de la microchirurgie cardiaque par incision. Mais il y a peu de chances qu'entre ses patients et sa recherche il trouve... ª

David n'était plus là.

Il téléphona au bureau du Dr Patterson d'une cabine dans le couloir de l'hôpital. ´ Je voudrais prendre rendez-vous avez le Dr Patterson. C'est pour ma mère. Elle...

- Je regrette. Nous ne prenons plus de rendez-vous. Nous avons une liste d'attente de six mois.

- Ma mère n'a pas le temps d'attendre six mois! cria-t-il dans l'appareil.

- Je regrette. Je peux vous donner l'adresse d'un... ª

Il raccrocha, furieux.

Le lendemain matin, il se rendit au bureau du Dr Patterson.

La salle d'attente était comble, il alla vers l'accueil. ´ Je vou-

drais prendre rendez-vous avec le Dr Patterson. Ma mère est très malade et... ª

La réceptionniste leva les yeux et dit : ´ Vous avez téléphoné hier, n'est-ce pas ?

- Oui.

- Je vous l'ai dit. Notre carnet de rendez-vous est complet et nous n'en prenons plus pour le moment.

- J'attendrai, dit David avec entêtement.

- Vous ne pouvez pas attendre. Le Docteur est... ª

David s'assit, il suivit des yeux les gens que l'on appelait à

tour de rôle dans le cabinet du chirurgien et se retrouva finalement seul dans la salle d'attente.

A 18 heures, la réceptionniste lui dit : íl est inutile d'attendre plus longtemps. Le Dr Patterson est rentré chez lui. ª

Ce soir-là, David alla voir sa mère dans le service des soins intensifs.

´ Vous ne pouvez rester qu'une minute, pas plus, le prévint une infirmière. Elle est très faible. ª

Il entra dans la chambre, les larmes aux yeux. Sa mère, rattachée à un respirateur dont les tubes s'enfonçaient dans ses bras et son nez, était d'une blancheur cadavérique. Elle avait les yeux fermés.

S'approchant d'elle, il dit : Ć'est moi, maman. Je ne permettrai pas qu'il t'arrive quoi que ce soit. Tu vas recouvrer la santé. ª David avait les joues inondées de larmes. ´ Tu m'entends? Nous allons nous battre jusqu'au bout. Personne n'aura le dessus sur nous tant que nous serons ensemble. Je vais te trouver le meilleur médecin du monde. Tu ne bouges pas d'ici. Je reviendrai demain. ª Il se pencha et l'embrassa tendrement sur la joue.

Sera-t-elle encore en vie demain ?

Le lendemain après-midi, David descendit dans le parking de l'immeuble o˘ se trouvait le bureau du Dr Patterson. Un gardien était en train de garer des voitures.

Il s'approcha de David. ´ Puis-je vous être utile ?

- J'attends ma femme. Elle est en consultation chez le Dr Patterson. ª

Le gardien sourit. Ć'est un type génial.

- Il nous a parlé de sa voiture de luxe. ª David marqua une pause comme s'il essayait de se souvenir du nom de la voiture. Íl a parlé d'une Cadillac je crois. ª

Le gardien secoua la tête. Ńon. ª Il indiqua une Rolls-Royce garée dans un coin. Ć'est la Rolls là-bas.

- Ah bon. Je crois qu'il a aussi parlé d'une Cadillac.

- «a ne m'étonnerait pas ª, dit le gardien qui se précipita pour garer une voiture qui arrivait.

David marcha vers la Rolls d'un pas désinvolte. Lorsqu'il fut s˚r que personne ne le voyait, il ouvrit la portière, se glissa à l'arrière et s'aplatit sur le plancher. Il resta là, ankylosé et dans l'inconfort, espérant de tout son cúur que le Dr Patterson sortirait enfin.

A 18 heures 15, il sentit un léger choc lorsque la portière avant de la voiture s'ouvrit tandis que quelqu'un prenait place au volant. Ilentendit le moteur démarrer puis la voiture se mit en mouvement.

´ Bonsoir, docteur Patterson.

- Bonsoir, Marco. ª

La voiture sortit du parking et David sentit qu'elle prenait un virage, Il attendit deux minutes puis, prenant son courage à deux mains, se redressa.

Le Dr Patterson le vit dans le rétroviseur, Il dit calmement : Śi c'est à mon argent que vous en avez, je n'ai pas d'espèces sur moi.

- Tournez dans la première rue et garez-vous le long du trottoir. ª

Le Dr Patterson acquiesça d'un hochement de tête. David le surveilla avec méfiance lorsqu'il s'engagea dans la rue transversale, se gara au bord du trottoir et coupa le moteur.

´ Je vais vous donner ce que j'ai sur moi, dit le Dr Patterson. Vous pouvez prendre la voiture. Inutile de recourir à la violence. Si... ª

David se glissa sur la banquette avant. ´ Je ne veux pas votre argent. Ni la voiture. ª

Le Dr Patterson le regarda d'un air agacé. ´ Mais enfin que voulez-vous ?

- Je m'appelle Singer. Ma mère est en train de mourir. Je veux que vous la sauviez. ª

Une brève expression de soulagement apparut sur le visage du Dr Patterson, vite remplacée par un air irrité.

´ Prenez rendez-vous avec ma...

- Je n'ai pas de temps à perdre avec un foutu rendez-vous. ª David hurlait littéralement. Élle va mourir et je ne le permettrai pas. ª Il s'efforça de retrouver son calme. ´ Je vous en prie. Les autres médecins m'ont dit que vous étiez mon seul espoir. ª

Le Dr Patterson le regardait, toujours méfiant. ´ qu'est-ce qu'elle a?

- Elle a... une rupture de cordon dans la valvule mitrale.

Les médecins ont peur de l'opérer, ils disent que vous seul pourriez la sauver. ª

Le Dr Patterson secoua la tête. ´ Mon emploi du temps...

- Je me fiche de votre foutu emploi du temps ! C'est ma mère. Vous devez la sauver ! Je n'ai qu'elle au monde... ª

Un long silence tomba dans l'habitacle. David resta immobile, les yeux fermés. Ilentendit la voix du Dr Patterson.

´ Je ne vous promets rien, mais je la verrai. O˘ est-elle ? ª

David se tourna pour le regarder. Élle est dans le service des soins intensifs du Mémorial Hospital de San Francisco.

- Venez m'y retrouver à 8 heures demain matin.

- Je ne sais comment...

- Rappelez-vous, je ne promets rien. Et je n'apprécie guère qu'on me fiche la trouille, jeune homme. La prochaine fois, essayez le téléphone. ª

David, rigide, resta silencieux.

Le Dr Patterson le regarda. ´ quoi ?

- Il y a autre chose...

- Tiens donc !

- Je... Je n'ai pas d'argent. Je suis étudiant en droit et je travaille pour payer mes études. ª

Le Dr Patterson le fixait intensément.

David dit avec chaleur : ´ Je vous jure que je trouverai un moyen de vous payer. Même s'il me faut une vie entière pour y parvenir, je m'acquitterai de ma dette. Je connais le co˚t élevé de vos honoraires et je...

- Je ne crois pas que vous le connaissiez, mon petit.

- Je n'ai personne d'autre vers qui me tourner, docteur Patterson. Je... je vous en supplie. ª

Il y eut un autre silence.

Ćombien d'années de fac avez-vous derrière vous ?

- Aucune. Je commence.

- Mais vous croyez pouvoir me rembourser ?

- Je le jure.

- Fichez-moi le camp ! ª

De retour chez lui, David était convaincu que la police allait venir le chercher pour enlèvement, agression, Dieu sait quoi encore. Mais il n'en fut rien. Restait à savoir si le Dr Patterson serait au rendez-vous le lendemain matin.

Lorsque David entra dans le service des soins intensifs, le lendemain, le Dr Patterson était là, en train d'examiner sa mère.

David le regarda faire, le cúur battant, la gorge sèche.

Le Dr Patterson se tourna vers un membre du groupe des médecins qui l'entouraient. Ćonduisez-la en salle d'opération, Al. Vite ! ª

Tandis que l'on faisait glisser sa mère sur un brancard, David demanda d'une voix brisée : Ést-ce qu'elle...

- On verra. ª

Six heures plus tard, le Dr Patterson vint vers David dans la salle d'attente.

Il se leva d'un bond. Ćomment est... ? ª Il eut peur d'aller au bout de sa question.

Élle va s'en sortir. Votre mère est robuste. ª

David resta sans voix, envahi par un immense sentiment de soulagement. Il murmura une prière à mi-voix. Merci, mon Dieu.

Le Dr Patterson l'observait. ´Je ne connais même pas votre prénom.

- David, Monsieur.

- Eh bien, monsieur David, savez-vous pourquoi j'ai accepté de faire ça?

- Non...

- Pour deux raisons. L'état de votre mère représentait un défi pour moi. J'aime les défis. La seconde raison, c'est vous.

- Je... je ne comprends pas.

-Vous vous êtes conduit dans cette affaire comme je l'aurais fait à votre ‚ge. Vous avez fait preuve d'imagination.

Or - son intonation changea - ´ vous avez dit que vous alliez me rembourser. ª

David éprouva un sentiment de découragement. Óui, Monsieur. Un jour...

- Et pourquoi pas maintenant ? ª

David déglutit. ´ Maintenant ?

- Je vous propose un marché. Savez-vous conduire ?

- Oui, Monsieur...

- Parfait. J'en ai assez de conduire cette grosse voiture.

Vous me conduisez au travail tous les matins et vous venez me chercher tous les soirs à 18 ou 19 heures pendant un an.

Au terme de ce laps de temps, je considérerai que mes honoraires sont réglés... ª

Ce fut marché conclu. David conduisit le Dr Patterson à

son bureau le matin et le reconduisit chez lui le soir et, en échange, le chirurgien sauva la vie de sa mère.

Pendant cette année-là, David en vint à éprouver une véritable vénération pour le Dr Patterson. Malgré ses sautes d'humeur occasionnelles, celui-ci était l'homme le plus altruiste que David e˚t connu, il se dépensait beaucoup dans diverses activités caritatives et accomplissait du travail bénévole dans des cliniques gratuites. Durant le trajet entre son domicile et l'hôpital ou son bureau, à l'aller et au retour, David et lui avaient de longues conversations.

´ quelle sorte de droit étudiez-vous, David ?

- Le droit pénal.

- Pourquoi? Pour aider tous ces voyous à vivre libres comme l'air?

- Non, Monsieur, il y a beaucoup d'honnêtes gens en butte aux tracasseries de la loi et qui ont besoin d'aide. Je veux les aider. ª

Lorsque l'année convenue entre eux arriva à sa fin, le Dr Patterson échangea une poignée de main avec David et lui dit : Ńous sommes quittes... ª

David n'avait pas revu le Dr Patterson au cours des années suivantes mais il avait fréquemment lu ou entendu son nom.

´ Le Dr Patterson vient d'ouvrir une clinique gratuite pour les nouveau-nés atteints du Sida... ª

´Le Dr Patterson est arrivé au Kenya aujourd'hui pour l'inauguration du Patterson Médical Center... ª

´Les travaux de construction du Centre d'Hébergement Patterson ont débuté aujourd'hui... ª

On aurait dit qu'il était partout et qu'il employait son temps et son argent à soulager tous les nécessiteux.

La voix de Sandra tira David de sa rêverie. ´ David. «a va?ª

Il se détourna du téléviseur. Ón vient d'arrêter la fille de Steven Patterson pour ces meurtres en série.

- C'est terrible ! dit Sandra. Je suis vraiment navrée, chéri.

- Gr‚ce à lui, maman a pu vivre encore sept années merveilleuses. Il est injuste qu'un homme comme lui doive subir une épreuve pareille. Je n'ai jamais rencontré un aussi chic type, Sandra. Il ne mérite pas ça. Comment peut-il avoir pour fille un monstre pareil ! ª Il consulta sa montre. Źut !

Je vais être en retard.

- Tu n'as pas pris ton petit déjeuner.

- Je suis trop bouleversé pour manger. ª Il jeta un coup d'oeil en direction du téléviseur. Íl y a ça... et les nominations au poste de partenaire qui ont lieu aujourd'hui...

- Tu vas être nommé. C'est dans la poche.

- Ce n'est jamais dans la poche, mon chou. Tous les ans, quelqu'un qu'on donnait gagnant se retrouve Gros-Jean comme devant. ª

Elle l'étreignit et dit : Íl auront la chance de t'avoir. ª

Il se pencha pour l'embrasser. ´ Merci, ma chérie. Je ne sais pas ce que je deviendrais sans toi.

- Je serai toujours là. Tu m'appelles dès que tu as la nouvelle, n'est-ce pas, David ?

- Bien s˚r. Nous irons fêter ça quelque part. ª Et ces paroles firent écho en lui. Plusieurs années auparavant, il avait dit cela à quelqu'un d'autre : Nous irons fêter ça quelque part.

Et il l'avait tuée.

Les bureaux de Kincaid, Turner, Rose & Ripley occupaient trois étages de la TransAmerica Pyramid, dans le centre de San Francisco.

A son arrivée, David Singer fut accueilli par des sourires complices, Il lui parut même que la manière dont on le saluait était d'une qualité différente, comme si on savait que l'on s'adressait à un futur partenaire du cabinet.

En se rendant à son bureau, relativement exigu, il passa devant un bureau nouvellement décoré qui allait être celui de l'un des partenaires choisis et ne put se retenir de regarder à

l'intérieur. C'était une belle pièce, spacieuse, avec des toilettes attenantes, un bureau et des fauteuils tournés vers une fenêtre panoramique d'o˘ on avait une vue magnifique de la baie de San Francisco. Il resta un moment immobile, dévorant le spectacle des yeux.

Lorsqu'il entra dans son bureau, sa secrétaire, Holly, dit de sa voix mélodieuse : ´ Bonjour, monsieur Singer.

- Bonjour, Holly.

- J'ai un message pour vous.

- Ah?

- Monsieur Kincaid voudrait vous voir dans son bureau à

5 heures. ª Elle se fendit d'un large sourire.

La chose allait donc se faire. ´ Génial ! ª

Se rapprochant de David, elle dit : ´ Je pense que je devrais aussi vous le dire. J'ai pris un café ce matin avec Dorothy, la secrétaire de M. Kincaid. Elle dit que vous venez en tête des candidats. ª

David eut un grand sourire. ´ Merci, Holly.

- Vous voulez un café ?

- Avec plaisir.

- Br˚lant et fort, je vous apporte ça. ª

David alla vers son bureau sur lequel s'entassaient des brefs de procédure, des contrats et des dossiers.

Le grand jour était arrivé. Enfin. ´ M. Kincaid voudrait vous voir dans son bureau à 5 heures... Vous êtes en tête des candidats. ª

Il fut tenté de téléphoner à Sandra pour lui communiquer la bonne nouvelle. quelque chose l'en retint. Ne vendons pas la peau de l'ours... pensa-t-il.

Il passa les deux heures suivantes à régler les affaires en cours. A11 heures, Holly entra dans le bureau. Ún certain docteur Patterson demande à vous voir, Il n'a pas de rendez- ...ª

Il leva un úil étonné vers sa secrétaire. ´ Le docteur Patterson est ici?

- Oui. ª

David se leva. ´ Faites-le entrer. ª

Steven Patterson pénétra dans le bureau tandis que David s'efforçait de dissimuler sa réaction. Le chirurgien paraissait vieilli et fatigué.

´ Bonjour, David.

- Docteur Patterson. Je vous en prie, asseyez-vous. ª

David le regarda prendre lentement un siège. ´J'ai vu les informations ce matin. Je... je ne saurais vous dire à quel point je suis navré. ª

Le Dr Patterson hocha la tête d'un air las. Óui. «a a été

un coup dur. ª Il leva les yeux. ´ J'ai besoin de votre aide, David.

- Bien s˚r, répondit avec empressement le jeune avocat.

Je ferai tout ce que je peux. Tout.

- Je veux que vous défendiez Ashley. ª

David mit quelques instants à assimiler le sens de ses paroles. ´ Je... Je ne peux pas. Je ne suis pas avocat pénaliste. ª

Le Dr Patterson, le regardant droit dans les yeux, dit : Áshley n'est pas une criminelle.

- Je... Vous ne comprenez pas, docteur Patterson. Je suis avocat d'affaires. Je peux vous recommander un excellent...

- J'ai déjà été contacté par une demi-douzaine d'avocats pénalistes parmi les plus célèbres. Il veulent tous la défendre. ª Il se pencha en avant sur son siège. ´ Mais ce n'est pas ma fille qui les intéresse, David. C'est une affaire fortement médiatisée et ils cherchent à se mettre en vedette.

Ils se fichent d'elle comme de leur dernière chemise. Je n'ai qu'elle au monde. ª

´Je veux que vous sauviez la vie de ma mère. Je n'ai qu'elle au monde. ª

´ Je voudrais vous aider, dit David, mais...

- En sortant de la faculté de droit, vous avez travaillé

pour un cabinet de droit pénal. ª

Le cúur de David battit plus fort. Ć'est vrai mais...

- Vous avez été avocat pénaliste durant plusieurs années. ª

David acquiesça. Óui, mais je... j'ai abandonné, Il y a longtemps et...

- Pas si longtemps que ça, David. Et c'est vous-même qui me disiez combien ce genre de pratique vous plaisait. Pourquoi avez-vous quitté le droit pénal pour le droit des affaires ? ª

David resta silencieux quelques instants. Áucune importance. ª

Le Dr Patterson tira de sa serviette une lettre manuscrite qu'il tendit à David. Celui-ci sut, sans avoir besoin de la lire, ce qu'elle contenait.

Cher docteur Patterson,

Je ne trouve pas les mots pour vous dire ma reconnaissance et combien j'apprécie votre générosité. Si jamais je peux vous rendre un service quelconque, n'hésitez pas à

vous adresser à moi-

David regarda la lettre sans la voir.

´ David, acceptez-vous de voir Ashley ? ª

Il acquiesça. Óui, bien s˚r. Mais je... ª

Le Dr Patterson se leva. ´ Merci. ª

David le regarda sortir du bureau.

´ Pourquoi avez-vous quitté le droit pénal pour le droit commercial ? ª

Parce que j'ai commis une erreur et qu'une innocente que j'aimais est morte. J'avais juré de ne jamais plus me charger de la vie d'autrui. Jamais.

Je ne peux pas défendre Ashley Patterson.

Il appuya sur le bouton de l'intercom. ´ Holly, pourriez-vous demander à M. Kincaid s'il peut me recevoir maintenant?

- Oui, monsieur. ª

Trente minutes plus tard, David pénétrait dans les pièces luxueuses qui tenaient lieu de bureau à Joseph Kincaid.

Celui-ci, un sexagénaire, était un personnage terne, tant physiquement que mentalement et affectivement.

Éh bien, dit-il lorsque David entra, vous êtes drôlement impatient, jeune homme. Nous n'avions rendez-vous qu'à

5 heures. ª

David s'approcha du bureau. ´ Je sais. Je suis venu vous parler d'autre chose, Joseph. ª

quelques années auparavant, David avait commis l'erreur de l'appeler Joe et le vieil homme avait presque piqué une crise. Ńe m'appelez plus jamais Joe, vous m'entendez! ª

Ásseyez-vous, David. ª

Celui-ci prit un siège.

Ćigare ? Ce sont des havanes.

- Non, merci.

- qu'est-ce qui vous amène ?

- Le Dr Patterson est venu me voir tout à l'heure.

- On parlait de lui aux informations ce matin. quelle honte ! qu'est-ce qu'il vous voulait ?

- que je défende sa fille. ª

Kincaid le regarda, étonné. ´ Vous n'êtes pas avocat pénaliste.

- C'est ce que je lui ai dit.

- «a alors. ª Kincaid demeura quelques instants songeur.

´ J'aimerais avoir le Dr Patterson comme client, vous savez.

Il est très influent. Il pourrait apporter beaucoup d'affaires au cabinet. Il entretient des relations avec de nombreuses organisations médicales qui...

- Il y a un autre problème. ª

Kincaid lui adressa un regard intrigué. Áh oui?

- je lui ai promis de parler à sa fille.

- Je vois. Mais enfin, pourquoi pas, après tout. Parlez-lui et nous lui trouverons un bon avocat pénaliste.

- C'est mon intention.

- Bien. Nous allons marquer des points avec le Dr Patterson. Allez-y. ª Il sourit. ´ Je vous verrai à 5 heures.

- D'accord. Merci, Joseph. ª

En retournant à son bureau, David se demanda: Mais pourquoi donc le Dr Patterson tient-il tant à ce que ce soit moi qui défende sa fille ?

CHAPITRE DOUZE

Ashley était assise dans sa cellule de la prison du comté de Santa Clara, trop traumatisée pour essayer de comprendre comment elle s'était retrouvée là. Elle était toutefois ravie d'être derrière les barreaux car ceux-ci la mettaient à l'abri de celui ou celle qui la harcelait. Elle s'était pelotonnée dans sa cellule comme on s'enveloppe dans une couverture, pour se protéger des forces aveugles dont elle était victime. Sa vie s'était transformée en cauchemar. Elle repensait à tous les événements mystérieux qui lui étaient arrivés : quelqu'un entrant par effraction chez elle pour se livrer à des actes malveillants à son égard... le voyage à Chicago... les mots tra-

cés sur le miroir... et à présent la police qui l'accusait des crimes indicibles dont elle ne savait rien. quelque chose se tramait derrière son dos mais elle ignorait qui tirait les ficelles et pourquoi.

Tôt, ce matin-là, un gardien était venu la chercher dans sa cellule. ´ Visiteur. ª

Il l'avait conduite au parloir o˘ l'attendait son père.

Celui-ci l'avait regardée, les yeux ravagés par le chagrin.

´ Ma chérie... je ne sais pas quoi dire.

- Je ne suis pas coupable des horreurs dont on m'accuse, avait-elle dit à voix basse.

- Je le sais. C'est une terrible méprise mais nous allons régler tout ça. ª

Elle avait dévisagé son père en se demandant comment elle avait même pu le soupçonner.

´... ne t'inquiète pas, était-il en train de lui dire. Tout va s'arranger. Je t'ai trouvé un avocat. David Singer. C'est l'un des jeunes gens les plus brillants que je connaisse, il va venir te voir. Je veux que tu lui dises tout. ª

Elle le regarda et dit d'un ton désespéré : ´ Papa, je... je ne sais pas quoi lui dire. Je ne sais pas ce qui se passe.

- Nous allons éclaircir cette histoire, ma petite chérie. Je ne laisserai personne te faire du mal. Personne ! Jamais ! Tu signifies trop pour moi. Je n'ai que toi au monde, mon ange.

- Et moi, je n'ai que toi ª, murmura Ashley.

Son père était resté encore une heure. Après son départ, l'univers d'Ashley s'était rétréci aux dimensions de sa petite cellule. Etendue sur la couchette, elle s'était efforcée de ne pas penser. Ce sera bientôt fini et je m'apercevrai que ce n'était qu'un mauvais rêve... Uniquement un mauvais rêve...

Un rêve... Elle s'était enfin endormie.

La voix d'un gardien la réveilla. ´ Vous avez de la visite. ª

On l'emmena au parloir o˘ l'attendait Shane Miller.

Il se leva à son entrée. Áshley... ª

Le cúur d'Ashley se mit à battre. Óh, Shane ! ª Elle n'avait jamais dans sa vie été aussi heureuse de voir quelqu'un. Elle avait toujours su qu'il viendrait la sortir de là, qu'il ferait le nécessaire pour qu'on la remette en liberté.

Śhane, je suis tellement contente de te voir !

- Moi aussi ª, répondit Shane d'un air gêné, Il regarda autour de lui dans le morne parloir. ´ Mais je dois t'avouer que j'aurais préféré que ce soit dans d'autres circonstances.

quand j'ai appris la nouvelle, je... je n'arrivais pas à le croire.

que s'est-il passé? qu'est-ce qui t'a pris de faire ça, Ashley?ª

Elle blêmit. ´ qu'est-ce qui m'a pris... ? Tu penses vraiment que j'ai... ?

- Peu importe, fit vivement Shane. Ne dis plus rien. Tu ne devrais parler à personne sauf à ton avocat. ª

Ashley le dévisagea, il la croyait coupable. ´ Pourquoi es-

tu venu ?

- Eh bien, cette démarche me déplaît, mais vu... vu les circonstances, je... l'entreprise... met fin à ton contrat. Enfin...

nous ne pouvons naturellement pas nous permettre d'être associés à quelque titre que ce soit à une affaire pareille. Déjà

que la presse a signalé le fait que tu travailles pour Global. Tu comprends, n'est-ce pas ? Ne le prends pas mal. ª

Tout en roulant en direction de San José, David Singer arrêta dans son esprit ce qu'il allait dire à Ashley Patterson. Il en tirerait le maximum d'informations qu'il transmettrait ensuite à Jesse quiller, l'un des meilleurs avocats d'assises du pays. Si quelqu'un pouvait faire quelque chose pour Ashley, c'était lui.

On le fit entrer dans le bureau du shérif Dowling. Il lui tendit sa carte. ´Je suis avocat. Je viens voir Ashley Patterson et...

- Elle vous attend. ª

David le regarda avec étonnement. Áh oui ?

- Ouais. ª Le shérif Dowling se tourna vers un adjoint à

qui il adressa un signe de tête.

´ Par ici ª, dit l'adjoint à David, il le conduisit au parloir et, quelques minutes plus tard, on amena Ashley.

David fut saisi d'étonnement en la voyant, il l'avait rencontrée plusieurs années auparavant, à l'époque o˘ il était étudiant en droit et servait de chauffeur à son père. il se souvenait d'une jeune fille charmante et intelligente, il avait à

présent devant lui une jeune femme d'une grande beauté au regard craintif. Elle s'assit en face de lui.

´ Bonjour, Ashley. Je suis David Singer.

- Mon père m'avait prévenue de votre visite. ª Sa voix tremblait.

´ Je suis venu vous poser quelques questions. ª

Elle acquiesça.

´ Je tiens auparavant à préciser que tout ce que vous me direz est strictement confidentiel. «a restera entre nous. Mais il faut que je sache la vérité. ª Il hésita, Il n'avait pas prévu d'aller aussi loin mais il voulait être en mesure de donner à

Jesse quiller le plus d'informations possible afin de le convaincre d'assurer la défense d'Ashley. Ávez-vous tué

ces hommes ?

- Non ! ª La voix d'Ashley était vibrante de conviction.

´ Je suis innocente ! ª

David tira une feuille de papier de sa poche et y jeta un coup d'oeil. Ćonnaissiez-vous Jim Cleary ?

- Oui. Nous... nous devions nous marier. Je n'avais aucune raison de lui faire du mal. Je l'aimais. ª

David l'observa durant quelques instants puis regarda de nouveau la feuille de papier. Ét Dennis Tibble ?

- Nous étions collègues de travail. Je l'ai vu le soir o˘ il a été assassiné mais je n'y suis pour rien. J'étais à Chicago. ª

David examinait son visage.

´ Vous devez me croire. Je... Je n'avais aucune raison de le tuer.

- D'accord, dit David qui regarda de nouveau la feuille.

quelles étaient vos relations avec Jean-Claude Parent?

- La police m'a interrogée à ce sujet. J'ignorais jusqu'à

l'existence de cet homme. Comment aurais-je pu le tuer si je ne le connaissais même pas ? ª Elle adressa à David un regard implorant. Ńe voyez-vous pas que l'on se méprend? que l'on a arrêté la mauvaise personne ? ª Elle se mit à pleurer.

´ Je n'ai pas tué.

- Richard Melton?

- Je ne le connais pas non plus. ª

David attendit qu'Ashley reprenne le contrôle d'elle-même. Ét le shérif adjoint Blake ? ª

Ashley secoua la tête. ´ Le shérif adjoint Blake était resté

chez moi cette nuit-là pour veiller sur moi. quelqu'un me harcelait et me menaçait. J'ai dormi dans ma chambre et il a dormi sur le canapé dans le séjour. On... on a trouvé son corps dans la ruelle. ª Ses lèvres tremblaient. ´ Pourquoi l'aurais-je tué ? Il était là pour me venir en aide ! ª

David examinait Ashley, intrigué. Il y a quelque chose qui cloche dans cette histoire, pensa-t-il. Soit elle dit la vérité, soit c'est une sacrée bonne comédienne. Il se leva. ´Je reviendrai. Je voudrais dire un mot au shérif. ª

Deux minutes plus tard, il était dans le bureau du shérif.

Álors, vous l'avez vue ? demanda ce dernier.

- Oui. Je pense que vous vous êtes mis dans de beaux draps, shérif.

- Comment ça, Maître ?

- Vous étiez trop pressé d'opérer une arrestation. Ashley Patterson ne connaît même pas deux des personnes que vous l'accusez d'avoir tuées. ª

Un petit sourire flotta sur les lèvres du shérif Dowling.

Élle vous a fait le coup à vous aussi, hein ? Elle nous a tous bien fait marcher.

- De quoi parlez-vous ?

- Je vais vous montrer, maître. ª Il ouvrit une chemise sur son bureau et tendit des documents à David. ´Voici des doubles de rapports des médecins légistes, de rapports du FBI, de rapports de tests d'ADN et de rapports d'Interpol concernant les cinq hommes qui ont été assassinés et ch‚trés.

Chacun d'eux avait eu des relations sexuelles avec une femme avant d'être assassiné. Il y avait des traces de sécrétions vaginales et des empreintes digitales sur chacune des scènes du crime. On avait d'abord cru avoir affaire à des femmes différentes. Eh bien, le FBI a rassemblé ces pièces à

conviction, et devinez ce qu'il en est résulté? Il se trouve que les trois femmes ne sont autres qu'Ashley Patterson. Son ADN et ses empreintes sont positifs pour chacun des meurtres. ª

David le dévisageait d'un air incrédule. ´ Vous êtes... bien s˚r?

- Ouais. A moins de vouloir croire qu'Interpol, le FBI et cinq médecins légistes différents se sont donné le mot pour piéger votre cliente. Tout est là, maître. Un des hommes qu'elle a tués était mon beau-frère. Ashley Patterson va être jugée pour meurtre avec préméditation et elle sera condamnée. Autre chose ?

- Oui. Je voudrais la revoir. ª

On la ramena au parloir. Lorsqu'elle y entra, David demanda d'un ton irrité : ´ Pourquoi m'avez-vous menti ?

- quoi ? Je ne vous ai pas menti. Je suis innocente. Je...

- On a assez de preuves contre vous pour vous envoyer une douzaine de fois au b˚cher. Je vous ai dit que je voulais la vérité. ª

Ashley le regarda durant une longue minute puis prit la parole d'une voix douce. ´ Je vous ai dit la vérité. Je n'ai rien à ajouter. ª

En l'écoutant, David pensa : Elle croit vraiment ce qu'elle dit. J'ai affaire à une cinglée. que vais-je dire à Jesse quitter?

Áccepteriez-vous de voir un psychiatre ?

- Non... Oui. Si vous y tenez.

- Je vais m'en occuper. ª

En revenant à San Francisco, David pensa, J'ai respecté

ma part du marché. Je l'ai vue. Si elle est vraiment convaincue de dire la vérité, elle est folle à lier. Je vais la refiler à

Jesse qui plaidera la démence et ce sera terminé.

Il eut un mouvement de compassion pour Steven Patterson.

A la même heure, le Dr Patterson recevait des témoignages de sympathie de la part de ses collègues du Mémorial Hospital de San Francisco.

Ć'est une vraie honte, Steven. Vous ne méritiez s˚rement pas ça... ª

Će doit être pour vous une épreuve terrible à supporter.

Si je puis faire quelque chose... ª

´ Je ne sais pas ce qu'ont les enfants de nos jours. Ashley paraissait si normale... ª

Et derrière ces témoignages de sympathie, chacun pensait : Dieu merci, ce n'est pas mon enfant.

Dès son retour au cabinet, David s'empressa d'aller voir Joseph Kincaid.

Celui-ci leva les yeux de son bureau et dit : Éh bien, il est 6 heures passées, David, mais je vous attendais. Avez-vous vu la fille du Dr Patterson ?

- Oui.

- Et avez-vous trouvé un avocat pour la défendre ? ª

David hésita. ´ Pas encore, Joseph. Je suis en train de faire des démarches pour qu'un psychiatre l'examine. Je retour-nerai la voir demain matin. ª

Joseph Kincaid regarda David d'un air étonné. Óh?

Franchement, je suis surpris que vous vous impliquiez à ce point dans cette histoire. Naturellement, nous ne saurions tolérer que le cabinet soit associé de près ou de loin à

l'horreur dans laquelle va dégénérer cette affaire.

- Je ne m'implique pas vraiment, Joseph, mais j'ai une grande dette envers son père. Je lui ai fait une promesse.

- Pas par écrit, n'est-ce pas ?

- Non.

- Dans ce cas, ce n'est qu'une obligation morale. ª

David l'examina quelques instants, fut sur le point de dire quelque chose, puis se ravisa. Óui. Ce n'est qu'une obligation morale.

- Eh bien, lorsque vous en aurez fini avec Mlle Patterson, revenez me voir et nous causerons. ª

Pas un mot sur le partenariat.

Lorsqu'il rentra chez lui, ce soir-là, l'appartement était plongé dans l'obscurité.

Śandra?ª

Il n'y eut pas de réponse. Il s'apprêtait à allumer dans le couloir lorsqu'elle apparut soudain, sortant de la cuisine et portant un g‚teau décoré de bougies.

´Je t'ai fait une surprise! Nous fêtons...ª En voyant l'expression de David, elle s'arrêta. Íl y a quelque chose qui ne va pas, chéri ? Tu n'as pas eu le poste ? On l'a donné à un autre ?

- Non, non, dit-il d'un ton rassurant. Tout va bien. ª

Sandra posa le g‚teau et s'approcha de lui. Íl y a quelque chose qui ne va pas.

- Il y a un... délai, c'est tout.

- N'avais-tu pas rendez-vous avec Joseph Kincaid aujourd'hui?

- Oui. Assieds-toi, mon chou. Il faut que nous parlions. ª

Ils s'assirent sur le canapé. Íl s'est produit un imprévu, expliqua David. Steven Patterson est venu me voir ce matin.

- Ah oui ? A quel sujet ?

- Il veut que j'assure la défense de sa fille. ª

Sandra lui adressa un regard étonné. ´Mais, David... tu n'es pas...

- Je sais. Je me suis évertué à le lui dire. Sauf que j'ai déjà pratiqué le droit pénal.

- Mais plus maintenant. Lui as-tu dit que tu allais bientôt être partenaire au cabinet ?

- Non. Il prétend mordicus que je suis le seul en mesure de défendre sa fille. C'est ridicule, évidemment. J'ai voulu lui recommander quelqu'un comme Jesse quiller mais il n'a pas voulu m'écouter.

- Eh bien, il va devoir prendre quelqu'un d'autre.

- Bien s˚r. Je lui ai promis d'aller voir sa fille et j'y suis allé. ª

Sandra s'enfonça dans le canapé. ´ M. Kincaid est au cou-

rant?

- Oui. Je le lui ai dit. Il n'était pas emballé. ª Il imita la voix de Kincaid : Ńaturellement, nous ne saurions tolérer que le cabinet soit associé de près ou de loin à l'horreur dans laquelle va dégénérer cette affaire.

- La fille du Dr Patterson, comment est-elle ?

- Médicalement parlant, elle est folle.

- Je ne suis pas médecin, dit Sandra. qu'est-ce que ça veut dire ?

- «a veut dire qu'elle se croit vraiment innocente.

- Et c'est impossible qu'elle le soit ?

- Le shérif de Cupertino m'a montré son dossier. On retrouve son ADN et ses empreintes digitales sur toutes les scènes de crime.

- que vas-tu faire ?

- J'ai appelé Royce Salem. C'est un psychiatre auquel le cabinet de Jesse quiller fait parfois appel. Je vais lui demander d'examiner Ashley et de transmettre ses conclusions à son père. Le Dr Patterson pourra faire intervenir un autre psychiatre s'il le désire ou remettre le rapport à l'avocat qui assu-rera la défense d'Ashley.

- Je vois. ª Sandra examina le visage préoccupé de son mari. ´ M. Kincaid t'a-t-il parlé du partenariat, David ? ª

Il secoua la tête. Ńon. ª

Sandra dit d'un ton enjoué : íl le fera. A chaque jour suffit sa peine. ª

Le Dr Royce Salem était un grand maigre affublé d'une barbe à la Sigmund Freud.

Peut-être n'est-ce qu'une coÔncidence, se dit David. Il n'essaie s˚rement pas de ressembler à Freud.

´ Jesse m'a souvent parlé de vous, dit le Dr Salem, il vous apprécie beaucoup.

- C'est réciproque, docteur Salem.

- L'affaire Patterson est très intéressante. Nous avons manifestement affaire à une psychopathe. Vous avez l'intention de plaider la démence ?

- En fait, lui dit David, ce n'est pas moi qui vais la défendre. Avant de lui trouver un avocat, je voudrais une évaluation de son état mental. ª Il relata au Dr Salem les faits tels qu'il les connaissait. Élle clame son innocence mais les pièces à conviction montrent qu'elle est bien l'auteur des crimes.

- Si nous allions jeter un úil sur le psychisme de cette dame, qu'en dites-vous ? ª

La séance d'hypnotisme devait avoir lieu dans une salle d'interrogatoire de la prison du comté de Santa Clara. La pièce était meublée d'une table rectangulaire et de quatre chaises en bois.

Ashley, p‚le et les traits tirés, fut introduite par une gardienne.

´ J'attendrai dehors, dit celle-ci en se retirant.

- Ashley, dit David, voici le Dr Salem. Ashley Patterson.

- Bonjour Ashley ª, dit le Dr Salem.

Elle resta silencieuse, son regard allant nerveusement de l'un à l'autre. Elle fit à David l'impression d'une bête aux abois.

´ M. Singer me dit que vous n'avez pas d'objection à ce qu'on vous hypnotise. ª

Silence.

´ Me laissez-vous vous hypnotiser, Ashley ? ª, reprit le Dr Salem.

Ashley ferma les yeux l'espace d'une seconde et acquiesça.

Óui.

- Alors, si on commençait ?

- Eh bien, moi je file, dit David. Si...

- Un instant. ª Le Dr Salem s'approcha de David. ´Je voudrais que vous restiez. ª

David hésita, mécontent, Il regrettait à présent d'être allé

aussi loin. Je ne m'engage pas plus avant dans cette affaire, décida-t-il. «a suffit comme ça.

´ D'accord ª, dit-il enfin à contrecúur. J'était pressé d'en finir afin de pouvoir retourner au bureau. La rencontre prochaine avec Kincaid venait au premier plan de ses préoccupations.

´ Pourquoi ne vous asseyez-vous pas sur cette chaise ? ª, dit le Dr Salem à Ashley.

Elle s'assit.

Ávez-vous déjà été hypnotisée, Ashley ? ª

Elle hésita un instant puis secoua la tête. Ńon.

- Ce n'est rien. Vous n'avez qu'à vous détendre et à

écouter le son de ma voix. Vous n'avez rien à craindre. Vous n'allez pas souffrir. Sentez vos muscles se rel‚cher. Voilà.

Détendez-vous et sentez comme vos paupières s'alourdissent.

Vous avez vécu des moments difficiles. Votre corps est fatigué, très fatigué. Vous avez uniquement envie de dormir.

Fermez les yeux et détendez-vous. Vous avez sommeil...

sommeil... ª

Il fallut dix minutes pour l'hypnotiser. Le Dr Salem s'approcha d'elle. Áshley, savez-vous o˘ vous êtes ?

- Oui. En prison. ª Elle avait la voix caverneuse, comme lointaine.

Śavez-vous pourquoi vous êtes en prison ?

- On pense que j'ai fait quelque chose de mal.

- Et c'est vrai ? Vous avez fait quelque chose de mal ?

- Non.

- Ashley, avez-vous déjà tué quelqu'un ?

- Non. ª

David adressa un regard étonné au Dr Salem. N'était-on pas censé dire la vérité sous hypnose ?

Śavez-vous qui pourrait avoir commis ces meurtres ? ª

Tout à coup, le visage d'Ashley se contorsionna et sa respiration devint difficile, haletante, saccadée. Les deux hommes virent avec étonnement sa personnalité se transformer. Elle serra les lèvres et on e˚t dit que ses traits changeaient. Elle se redressa et son visage s'anima brusquement.

Elle ouvrit les yeux. Il étincelaient. C'était une métamor-phose stupéfiante. Puis, de manière tout aussi inattendue, elle se mit à chanter d'une voix provocante avec un accent britannique :

Il court, il court le furet

Le furet des bois, mesdames.

Il court, il court le furet,

Le furet des bois jolis.

Il est passé par ici. Il repassera par là.

Il court, il court...

David n'en croyait pas ses oreilles. qui pense-t-elle duper ainsi ? Elle feint d'être quelqu'un d'autre.

´ Je voudrais vous poser d'autres questions, Ashley. ª

Elle secoua la tête d'un geste sec et dit avec un accent britannique : ´ Je ne suis pas Ashley. ª

Le Dr Salem échangea un regard avec David puis revint à

Ashley. Śi vous n'êtes pas Ashley, qui êtes-vous ?

- Toni. Toni Prescott. ª

Et elle garde son sérieux, pensa David. Combien de temps va-t-elle continuer de jouer cette comédie idiote ? Elle leur faisait perdre leur temps.

Áshley, dit le Dr Salem.

- Toni. ª

Elle n'en démord pas, pensa David.

´ D'accord, Toni. Ce que j'aimerais, c'est que...

- Permettez que je vous dise ce que moi j'aimerais.

J'aimerais ficher le camp d'ici. Pouvez-vous nous sortir d'ici?

- «a dépend, dit le Dr Salem. que savez-vous au sujet de...

-... des meurtres pour lesquels cette petite sainte-nitouche est enfermée ici ? Je pourrais vous raconter des choses qui... ª

L'expression d'Ashley commençait de nouveau à se transformer. Sous le regard ébahi de David et du Dr Salem, elle parut rapetisser sur sa chaise tandis que son visage s'adou-cissait et se transformait incroyablement au point de devenir celui de quelqu'un d'autre.

Elle dit d'une voix douce, avec un accent italien : ´ Toni...

ne dis plus rien, perpiacere. ª

David ne savait quoi penser.

´ Toni ?ª Le Dr Salem se rapprocha légèrement d'elle.

´ Pardonnez-moi de vous avoir interrompu, docteur Salem, susurra la voix douce.

- qui êtes-vous ?

- Je suis Alette. Alette Peters. ª

Mon Dieu, elle ne joue pas la comédie, pensa David. Tout cela est bien réel. Il se tourna vers le Dr Salem.

Celui-ci dit vivement: Će sont des personnalités d'emprunt. ª

David le dévisagea, totalement dérouté. ´ Des quoi ?

- Je vous expliquerai plus tard. ª

Le Dr Salem revint à Ashley. Áshley... je veux dire Alette... Combien... combien êtes-vous là, en vous?

- A part Ashley, seulement Toni et moi.

- Vous avez un accent italien.

- Oui. Je suis née à Rome. Etes-vous déjà allé à Rome ?

- Non, jamais. ª

Je n'arrive pas à croire que j'entends cette conversation.

É molto bello.

- S˚rement. Connaissez-vous Toni ?

- Si, naturalmente.

- Elle a un accent britannique.

- Elle est née à Londres.

- En effet. Alette, je voudrais vous poser quelques questions au sujet de ces meurtres. Avez-vous une idée de l'identité de la personne qui... ª

Et ils virent le visage et la personnalité d'Ashley se transformer de nouveau sous leurs yeux. Il surent, sans qu'elle ait à prononcer un mot, qu'elle était redevenue Toni.

´ Vous perdez votre temps avec elle, mon beau. ª

Cela dit avec l'accent britannique.

Álette ne sait rien. C'est à moi que vous allez devoir parler.

- Très bien, Toni. C'est à vous que je vais parler. J'ai des questions à vous poser.

- Je n'en doute pas mais je suis fatiguée. ª Elle b‚illa.

´ Mademoiselle Cul-Serré nous a fait passer une nuit blanche.

J'ai besoin de sommeil.

- Pas maintenant, Toni. Ecoutez-moi, il faut que vous nous aidiez à... ª

Son visage se durcit. ´Pourquoi devrais-je vous aider?

qu'a fait la sainte-nitouche pour Alette ou pour moi ? Elle est tout juste bonne à jouer les rabat-joie. Eh bien, j'en ai jusque-là de ses leçons de morale et j'en ai assez d'elle. Vous m'entendez? ª Elle hurlait, le visage convulsé.

Le Dr Salem dit : ´ Je vais la réveiller. ª

David était en sueur. Óui. ª

Le Dr Salem s'approcha tout près d'Ashley. Áshley...

Ashley... Tout va bien. Fermez les yeux à présent. Vous êtes très lourde, très lourde. Vous êtes complètement détendue.

Ashley, vous avez l'esprit en paix. Votre corps est détendu. Je vais compter jusqu'à cinq et vous allez vous réveiller, complètement détendue. Un... ª Son regard alla vers David puis vers Ashley. ´ Deux... ª

Ashley commença à s'agiter. Il virent son expression changer.

´ Trois... ª

Son visage s'adoucit.

´ quatre... ª

Il sentirent qu'elle redevenait elle-même. Il en eurent le frisson.

Ćinq. ª

Ashley ouvrit les yeux. Elle regarda autour d'elle. ´ Je me sens... Est-ce que j'ai dormi? ª

David la regardait, abasourdi.

Óui ª, répondit le Dr Salem.

Ashley se tourna vers David. Ést-ce que j'ai dit quelque chose ? Enfin... est-ce que je vous ai été utile ? ª

Mon Dieu, pensa David. Elle ne sait pas! Elle ne sait vraiment pas! ´Vous avez été très bien, Ashley. J'aimerais m'entretenir seul à seul avec le Dr Salem.

- D'accord.

- A tout à l'heure. ª

Il regardèrent la gardienne entraîner Ashley à l'extérieur de la pièce.

David se laissa tomber sur une chaise. ´Mais enfin...

qu'est-ce que c'est que cette histoire ? ª

Le Dr Salem soupira profondément. Én plusieurs années de pratique, c'est la première fois que je vois un cas aussi clair.

- Un cas de quoi ?

- Avez-vous déjà entendu parler du syndrome de personnalité multiple ?

- qu'est-ce que c'est?

- C'est un état psychique o˘ plusieurs personnalités se rencontrent chez un même sujet. On appelle aussi cela une identité dissociée. Le phénomène est connu en psychiatrie depuis plus de deux cents ans. Il a généralement comme origine un traumatisme infantile. La victime refoule le traumatisme en se créant une autre identité. Il arrive qu'un même sujet ait des dizaines d'identités différentes ou personnalités d'emprunt.

- Et ces personnalités connaissent leurs existences mutuelles ?

- Parfois oui. Parfois non. Toni et Alette se connaissent.

Ashley n'est manifestement pas au courant de leur existence.

Les personnalités d'emprunt se créent parce que le sujet ne supporte pas la souffrance causée par le traumatisme. C'est un mécanisme de défense. A chaque expérience douloureuse nouvelle, une nouvelle personnalité d'emprunt peut naître.

L'abondante littérature psychiatrique sur la question montre que les personnalités d'emprunt peuvent différer totalement les unes des autres. Certaines seront stupides tandis que d'autres seront très intelligentes. Elles peuvent parler différentes langues. Elles ont des caractères et des go˚ts différents.

- Mais... c'est fréquent?

- Certaines études permettent de penser qu'un pour cent de la population souffre de dissociation de la personnalité, et que jusqu'à vingt pour cent des patients des hôpitaux psychiatriques en sont atteints.

- Mais Ashley semble normale et...

- Les gens qui souffrent de ce genre de pathologie sont normaux... jusqu'à ce qu'une personnalité d'emprunt prenne le dessus. Le sujet peut avoir un travail, élever une famille et mener une vie tout à fait ordinaire, mais une personnalité

d'emprunt peut prendre le dessus à n'importe quel moment.

Cette personnalité d'emprunt peut occuper l'appareil psychique tout entier pendant une heure, une journée, voire des semaines, et alors le sujet s'absente de lui-même, il subit une éclipse de temps et de mémoire, pendant la durée o˘ la personnalité d'emprunt est aux commandes.

- Ashley - le sujet - ne garderait donc aucun souvenir de ce que fait sa personnalité d'emprunt ?

- Aucun. ª

David écoutait, comme envo˚té.

´ Le cas le plus célèbre de dissociation de la personnalité a été celui de Bridey Murphy. C'est ce cas qui a attiré

l'attention du public sur la question. Depuis, on a dénombré

des milliers de cas, mais aucun d'aussi spectaculaire ou auquel on ait fait une aussi bonne publicité.

- «a... ça semble incroyable.

- C'est un sujet qui me fascine depuis longtemps. Il y a certains motifs récurrents. Par exemple, les personnalités d'emprunt utilisent fréquemment les mêmes initiales que la personnalité d'accueil - Ashley Patterson... Alerte Peters...

Toni Prescott...

- Toni...?ª, allait demander David lorsqu'il comprit: Ántoinette?

- Exact. Vous connaissez l'expression alter ego ?

- Oui.

- En un sens, nous avons tous des alter ego, une personnalité multiple. quelqu'un de bon peut commettre un acte cruel. Des gens cruels peuvent faire le bien. La gamme des émotions humaines est illimitée. Dr Jekyll et M. Hyde est de la fiction, mais fondée sur la réalité. ª

Les idées se bousculaient dans l'esprit de David. Śi Ashley a commis ces meurtres...

- Elle n'en est pas consciente. Ils ont été commis par une de ses personnalités d'emprunt.

- Mon Dieu! Comment vais-je pouvoir expliquer ça devant un tribunal ? ª

Le Dr Salem adressa un regard intrigué à David. Ńe m'aviez-vous pas dit que vous n'aviez pas l'intention d'assurer sa défense ? ª

David secoua la tête. ´ Je ne la défendrai pas. Enfin, je ne sais pas. Je... En ce moment, j'ai moi-même une personnalité

multiple. ª Il se tut quelques instants. ´ «a se soigne ?

- Souvent, oui.

- Et si c'est incurable, que se passe-t-il ? ª

Il y eut un silence. ´ Le taux de suicides est passablement élevé.

- Et Ashley ne sait rien de tout ça ?

- Rien.

- Vous accepteriez de... de le lui expliquer?

- Oui, bien s˚r. ª

Ńon ! ª, cria-t-elle. Elle était de nouveau blottie contre le mur de sa cellule, le regard terrorisé. ´Vous mentez! Ce n'est pas vrai !

- C'est vrai, Ashley, dit le Dr Salem. Vous devez regarder la réalité en face. Je vous ai expliqué que vous n'étiez pas responsable de ce qui était arrivé. Je...

- Ne vous approchez pas de moi !

- Personne ne vous fera du mal.

- Je veux mourir. Aidez-moi à mourir ! ª Elle se mit à

pleurer convulsivement.

Le Dr Salem regarda la gardienne et dit : ´ Vous devriez lui donner un sédatif. Et lui mettre un bracelet de surveillance antisuicide. ª

David téléphona au Dr Patterson. Íl faut que je vous voie.

- J'attendais de vos nouvelles, David. Avez-vous vu Ashley?

- Oui. Pouvons-nous nous retrouver quelque part ?

- Je vous attends à mon bureau. ª

En revenant à San Francisco, David pensa: Il n'est pas question que j'accepte cette affaire. J'ai trop à perdre.

Je vais lui trouver un bon avocat et ça sera terminé.

Le Dr Patterson l'attendait à son bureau. ´ Vous avez parlé

àAshley?

- Oui.

- Elle va bien ? ª

Comment répondre à cette question ? David retint sa respiration. Ávez-vous déjà entendu parler des troubles associés à la dissociation de la personnalité ? ª.

Le Dr Patterson fronça les sourcils. ´ Vaguement...

- Ces troubles se produisent quand une personnalité d'emprunt ou davantage existe chez une personne et usurpe de temps en temps sa personnalité sans que cette personne en soit consciente. Votre fille est atteinte de ce dysfonctionnement. ª

Le Dr Patterson le regardait, abasourdi. ´quoi? Je... Je n'arrive pas à le croire. Vous en êtes s˚r?

- J'étais près d'Ashley pendant que le Dr Salem la mettait sous hypnose. Elle a deux personnalités d'emprunt. Elles prennent possession d'elle à divers moments. ª David avait un débit plus rapide à présent. ´ Le shérif m'a montré les preuves qui incriminent votre fille. Il ne fait aucun doute qu'elle est l'auteur des meurtres.

- Oh, mon Dieu ! Alors, elle est... elle est coupable ?

- Non. Parce que je crois qu'elle n'était pas consciente de commettre ces crimes. Elle était sous l'influence de l'une de ses personnalités d'emprunt. Elle n'avait aucune raison de perpétrer ces meurtres. Elle n'avait pas de mobile et n'était pas en possession d'elle-même. Je pense que le ministère public aurait du mal à trouver un mobile ou à prouver qu'il y avait intention de tuer.

- Votre système de défense sera donc que... ª

David l'interrompit. ´Je n'ai pas l'intention d'assurer sa défense. Je vais vous procurer un brillant avocat d'assises, Jesse quiller. J'ai travaillé avec lui et il est le plus...

- Non, fit le Dr Patterson d'une voix tranchante. Vous devez défendre Ashley.

- Vous ne comprenez pas, dit patiemment David. Je ne suis pas la personne qu'il faut pour assurer sa défense. Elle a besoin de...

- Je vous ai déjà dit que je n'ai confiance qu'en vous. Ma fille compte plus que tout au monde pour moi, David. Vous allez lui sauver la vie.

- Je ne peux pas. Je ne suis pas compétent pour...

- Mais si vous l'êtes. Vous avez été avocat pénaliste.

- Oui, mais je...

- Je ne veux personne d'autre. ª David vit que le Dr Patterson faisait un effort sur lui-même pour ne pas s'emporter.

C'est absurde, pensa David. Il revint à la charge. ´ Jesse quiller est le meilleur... ª

Le Dr Patterson se pencha en avant, le visage empourpré.

´David, la vie de votre mère représentait beaucoup pour vous. La vie d'Ashley représente tout autant pour moi. Vous avez autrefois sollicité mon aide, vous m'avez confié le soin de sauver votre mère. C'est moi maintenant qui vous demande votre aide et qui vous confie le soin de sauver Ashley. Je veux que vous assuriez sa défense. Vous me le devez.ª

Il ne veut rien entendre, pensa David, qui ne savait à quel saint se vouer. qu'est-ce qui lui prend? Une douzaine d'objections lui traversèrent l'esprit mais toutes se heurtaient à cette seule phrase : ´ Vous me le devez. ª David essaya une nouvelle fois. ´ Docteur Patterson...

- Oui ou non, David ? ª

CHAPITRE TREIZE

Lorsque David rentra chez lui, Sandra l'attendait. ´ Bonsoir, mon chéri. ª

Il la prit dans ses bras en pensant : Mon Dieu, ce qu'elle est adorable. quel idiot a dit que les femmes enceintes n'étaient pas belles ?

´ Le bébé a encore donné des coups de pied aujourd'hui ª, dit Sandra avec enthousiasme. Elle prit la main de David et la posa sur son ventre. ´ Tu le sens ? ª

Au bout d'un moment, David dit : Ńon. Il est têtu, ce petit sacripant.

- A propos, M. Crowther a téléphoné.

- Crowther?

- L'agent immobilier. Les papiers sont prêts pour la signature. ª

David eut un brusque accès de découragement. Óh.

- Je voudrais te montrer quelque chose, dit Sandra d'un ton enthousiaste. Ne te sauve pas. ª

David la regarda se précipiter vers la chambre et pensa : que faire ? Il faut que je prenne une décision.

Sandra revint avec plusieurs échantillons de papier mural bleu. Ńous ferons la chambre d'enfants en bleu et le séjour du nouvel appartement en bleu et blanc, tes couleurs préférées. quel papier aimerais-tu, le bleu clair ou le bleu foncé ? ª

David fit un effort pour se concentrer. ´ Le bleu clair a l'air bien.

- Je l'aime aussi. Le seul problème est que la moquette va être bleu foncé. Tu crois que ça ira? ª

Je ne peux pas renoncer au partenariat. J'ai travaillé trop dur pour l'obtenir. «a signifie trop de choses pour moi.

´ David. Tu crois que ces deux bleus iraient ensemble ? ª

Il la regarda. ´quoi? Oh, oui. Comme tu voudras, ma chérie.

- Je suis tout excitée. Cet appartement en terrasse sera superbe. ª

Il sera au-dessus de nos moyens à moins que je n'obtienne le partenariat.

Sandra jeta un regard à la ronde sur leur petit appartement.

Ńous pourrons garder une partie de ce mobilier mais j'ai bien peur qu'il nous faille acheter beaucoup de meubles neufs. ª Elle lui adressa un regard inquiet. Ńous y arriverons, n'est-ce pas, chéri? Je ne voudrais pas faire de folies.

- Bien s˚r ª, dit David d'un ton absent.

Elle se blottit contre son épaule. Ńous allons vivre une vie complètement différente, n'est-ce pas ? Le bébé, le partenariat et l'appartement en terrasse. J'y suis passée aujourd'hui. Je voulais voir le terrain de jeu et l'école. Le terrain de jeu est superbe. Il y a des toboggans, des balançoires et des portiques. Je voudrais que tu m'accompagnes samedi pour le voir. Jeffrey va adorer. ª

J'arriverai peut-être à convaincre Kincaid que c'est une bonne chose pour le cabinet.

´L'école a l'air bien. Elle est à deux rues seulement de notre immeuble et elle n'est pas trop grande. C'est important, je trouve. ª

David, qui écoutait à présent, pensa : Je ne peux pas la laisser tomber. Je ne peux pas lui ôter ses rêves. Demain matin, je dirai à Kincaid que je ne prends pas l'affaire Patterson. Celui-ci trouvera quelqu'un d'autre.

´ Tu devrais te préparer, mon chéri. On est attendus chez les quiller à 8 heures. ª

L'heure de vérité était arrivée. David était tendu. Íl y a une chose dont il faut que nous discutions.

- Oui?

- Je suis allé voir Ashley Patterson ce matin.

- Oh? Raconte. Est-elle coupable? A-t-elle commis ces horribles crimes ?

- Oui et non.

- Tu tiens un langage d'avocat. qu'est-ce que ça signifie ?

- Elle a commis les meurtres... mais elle n'est pas coupable.

- David...!

- Ashley souffre de ce qu'on appelle en médecine une personnalité dissociée, il s'agit d'un clivage du Moi qui a pour conséquence de la rendre inconsciente de ses actes. ª

Sandra le regardait attentivement. ´Mais c'est épouvantable.

- Il y a deux autres personnalités en elle. Je les ai entendues.

- Tu les as entendues ?

- Oui. Et elles existent bel et bien. Je veux dire qu'elle ne simule pas.

- Et elle ne se doute pas qu'elle...

- Non.

- Dans ce cas est-elle innocente ou coupable ?

- Ce sera au tribunal de décider. Son père ne veut pas s'adresser à Jesse quiller. Je vais donc devoir lui trouver un autre avocat.

- Mais Jesse est parfait. Pourquoi ne veut-il pas de lui ? ª

David hésita. Íl veut que ce soit moi qui la défende.

- Mais tu lui as dit, évidemment, que tu ne pouvais pas.

- Evidemment.

- Et alors...

- il n'a rien voulu entendre.

- qu'est-ce qu'il a dit, David? ª

Il secoua la tête. ´ Peu importe.

- qu'est-ce qu'il a dit ?

- Il a dit, répondit lentement David, que je lui avais fait suffisamment confiance pour remettre la vie de ma mère entre ses mains et que c'était lui maintenant qui me faisait assez confiance pour remettre la vie de sa fille entre les miennes. Il me demande de la sauver. ª

Sandra examinait attentivement son visage. Ćrois-tu que tu pourrais ?

- Je ne sais pas. Kincaid ne veut pas que je prenne l'affaire. Si je l'acceptais, je pourrais dire adieu au partena-

riat.

- Oh.ª

Il se fit un long silence.

Lorsqu'il reprit la parole, David dit : ´ Je suis placé devant un dilemme. Je peux dire non au Dr Patterson et devenir partenaire du cabinet, ou défendre sa fille, prendre un congé

sans solde et attendre la suite des événements. ª

Sandra l'écoutait calmement.

Íl y a des gens mieux qualifiés que moi pour assurer la défense d'Ashley mais, pour une raison qui m'échappe, son père a jeté son dévolu sur moi. Je ne comprends pas la cause de son entêtement, mais il n'en démordra pas. Si j'accepte l'affaire et n'obtiens pas le partenariat, il ne sera plus question de déménager. Nous devrons faire une croix sur un grand nombre de nos projets, Sandra.

- «a me revient maintenant, dit doucement Sandra, tu m'avais parlé de lui avant notre mariage. C'était l'un des médecins les plus demandés de la planète mais il avait trouvé

du temps à consacrer à un jeune garçon sans le sou. C'était ton héros, David. Tu disais que si jamais tu avais un fils, tu voudrais qu'il ressemble à Steven Patterson en grandissant. ª

David acquiesça.

´ quand dois-tu faire connaître ta décision ?

- Je vois Kincaid demain matin à la première heure. ª

Sandra lui prit la main et dit : ´ Tu n'as pas besoin d'attendre si longtemps. Le Dr Patterson a sauvé ta mère. Tu vas sauver sa fille. ª Elle regarda autour d'elle et sourit. Ét puis, de toute façon, nous pourrons toujours redécorer cet appartement en bleu et blanc. ª

Jesse quiller était l'un des meilleurs avocats d'assises du pays, Il était de haute taille, robuste, d'une simplicité qui faisait que les jurés s'identifiaient volontiers à lui. Ayant l'impression qu'il était de leur monde, ils avaient envie de l'aider. En partie pour cette raison, il perdait rarement un procès. Pour le reste, il avait une mémoire d'éléphant et une intelligence peu commune.

Au lieu de partir en vacances, il consacrait ses étés à l'enseignement, et c'est ainsi que David avait été son élève plusieurs années auparavant. Lorsque David avait fini ses études, quiller lui avait proposé d'entrer dans son cabinet de droit pénal et David en était devenu partenaire deux ans plus tard. David aimait la pratique du droit pénal et il y excellait, Il tenait à défendre au moins dix pour cent de ses clients à titre bénévole.

Trois ans après être devenu partenaire du cabinet, David avait brusquement démissionné pour aller travailler chez Kincaid, Turner, Rose & Ripley afin de pratiquer le droit commercial.

Les années avaient passé mais David et quiller étaient restés amis. Une fois par semaine, ils se rencontraient avec leurs épouses.

Jesse quiller avait toujours eu un faible pour les grandes blondes raffinées et très minces, Il avait alors rencontré

Emily, dont il était tombé amoureux. Celle-ci était une petite boulotte prématurément grisonnante, originaire d'une ferme de l'Iowa - l'exact opposé des femmes que fréquentait Jesse jusqu'alors. Emily était une mère poule. Ils formaient un couple que l'on n'aurait pas cru viable, mais leur mariage tenait parce qu'ils étaient profondément amoureux l'un de l'autre.

Tous les mardis, les Singer et les quiller dînaient ensemble puis jouaient à un jeu de cartes compliqué appelé

Liverpool.

A leur arrivée à la superbe maison des quiller dans Hayes Street, Sandra et David furent accueillis à la porte par Jesse.

Il étreignit Sandra et dit : Éntrez. Nous avons du Champagne au frais. C'est un grand jour pour vous, hein ? L'appartement en terrasse et le partenariat. A moins que ce ne soit le partenariat et l'appartement en terrasse ? ª

David et Sandra se regardèrent.

Émily est à la cuisine en train de préparer un dîner pour fêter ce double événement. ª Il regarda leurs visages. ´ Je pense qu'il s'agit d'un dîner pour fêter ce... Y a-t-il quelque chose qui m'échappe ?

- Non, Jesse, répondit David. Nous avons tout simplement un... un petit problème.

- Allez, entrez. Je te sers à boire ? ª Il regarda Sandra.

Ńon, merci. Je ne veux pas que le bébé prenne de mauvaises habitudes.

- Il a de la chance, ce petit, d'avoir des parents comme vous ª, dit quiller avec chaleur. Il se tourna vers David. Ét toi?

- «a va comme ça ª, dit David.

Sandra esquissa un pas en direction de la cuisine. ´ Je vais voir si je peux donner un coup de main à Emily.

- Assieds-toi, David. Tu as l'air bien sérieux.

- Je suis placé devant un dilemme, reconnut David.

- Laisse-moi deviner. L'appartement en terrasse ou le partenariat ?

- Les deux.

- Les deux ?

- Oui. Tu es au courant de l'affaire Patterson ?

- Ashley Patterson? Bien s˚r. qu'est-ce que c'a à voir avec... ? ª Il s'interrompit. Úne minute. Tu m'as parlé de Steven Patterson autrefois à la fac de droit, Il avait sauvé la vie de ta mère.

- Oui. Il veut que je défende sa fille. J'ai essayé de faire en sorte qu'il te confie l'affaire mais il tient à tout prix à ce que ce soit moi qui la défende. ª

quiller fronça les sourcils. Ést-ce qu'il sait que tu ne pratiques plus le droit pénal ?

- Oui. C'est ça qui est particulièrement étrange, il y a des dizaines d'avocats nettement plus qualifiés que moi.

- Il sait que tu as été avocat d'assises ?

- Oui.

- quels sont ses sentiments à l'égard de sa fille ? ª, demanda quiller d'un ton quelque peu soucieux.

quelle question bizarre, pensa David, íl tient à elle comme à la prunelle de ses yeux.

- D'accord. Supposons que tu assures sa défense.

L'envers de la médaille est que...

- L'envers de la médaille est que Kincaid ne veut pas que je prenne cette affaire. J'ai le sentiment, si je le fais, que le partenariat me passera sous le nez.

- Je vois. Et c'est ici que l'appartement en terrasse entre en jeu ?

- C'est ici que tout mon fichu avenir entre en jeu, rétorqua David en colère. Il faudrait que je sois idiot pour faire ça, Jesse. Je veux dire, vraiment idiot !

- Pourquoi es-tu en colère ? ª

David soupira profondément. ´ Parce que je vais accepter. ª

quiller sourit. ´ Tu m'étonnes ! ª

David passa la main sur son front. Śi je refuse et si sa fille est reconnue coupable et exécutée sans que j'aie rien fait pour lui venir en aide, je... je ne pourrais plus jamais me regarder en face.

- Je comprends. qu'en pense Sandra? ª

David réussit à sourire. ´ Tu connais Sandra.

- Oui. Elle veut que tu acceptes.

- Exactement. ª

quiller se pencha en avant. ´Je ferai tout mon possible pour t'aider, David. ª

Celui-ci soupira. Ńon. C'est moi qui ai une dette envers Patterson. Il faut que je me débrouille tout seul. ª

quiller s'assombrit. ´ Mais c'est ridicule.

- Je sais. C'est ce que j'ai essayé d'expliquer au Dr Patterson mais il n'a rien voulu entendre.

- As-tu annoncé ta décision à Kincaid?

- Je le vois demain matin.

- que va-t-il se passer à ton avis ?

- Je ne le sais que trop bien. Il va me conseiller de ne pas accepter l'affaire et, si j'insiste, il va me demander de prendre un congé sans solde.

- Déjeunons ensemble demain. Au Rubicon, à

13 heures. ª

David acquiesça. ´ Bien. ª

Emily arriva de la cuisine en s'essuyant les mains sur un torchon. David et quiller se levèrent.

´ Bonjour, David. ª Emily alla vivement vers lui et il l'embrassa sur la joue.

´ J'espère que vous avez faim. Le dîner est presque prêt.

Sandra m'aide à la cuisine. Elle est tellement adorable. ª

Elle prit un plateau et repartit précipitamment vers ses fourneaux.

quiller se tourna vers David. Ńous tenons beaucoup à toi, Emily et moi. Je vais te donner un conseil. Accepte. ª

David demeura silencieux.

Ć'est de l'histoire ancienne, David. Et tu n'étais pas responsable de ce qui s'est passé. Cela aurait pu arriver à

n'importe qui. ª

David regarda quiller. Ć'est à moi que c'est arrivé, Jesse.

Je l'ai tuée. ª

Et cela lui revint en mémoire. Encore. Une fois de plus. Il resta silencieux, ramené en arrière, transporté dans un autre temps et un autre lieu.

... C'était une affaire que le cabinet avait acceptée à titre bénévole et David avait dit à Jesse : ´ Je m'en charge. ª

Helen Woodman était une charmante jeune femme accusée d'avoir assassiné sa riche belle-mère. Elles s'étaient violemment querellées en public, mais on n'avait que des preuves indirectes contre Helen. Après être allé la voir à la prison, David avait été convaincu de son innocence. A chaque rencontre, il s'était senti de plus en plus engagé affectivement au point d'en venir à transgresser une règle élémentaire : ne jamais tomber amoureux d'une cliente.

Le procès s'était bien passé. David avait réfuté par le menu les preuves avancées par le procureur et entraîné le jury du côté de sa cliente. Une catastrophe s'était alors produite.

Helen avait un alibi : elle était au cinéma avec une amie à

l'heure du meurtre. Lors de l'interrogatoire au tribunal, l'amie avait reconnu que l'alibi était faux et un témoin était venu à la barre déclarer avoir vu Helen chez sa belle-mère à cette heurelà. Helen avait perdu toute crédibilité aux yeux du jury qui l'avait reconnue coupable de meurtre avec préméditation et le juge l'avait condamnée à la peine capitale. David était atterré.

Ćomment avez-vous pu faire ça, Helen? lui avait-il demandé. Pourquoi m'avez-vous menti?

- Je n'ai pas tué ma belle-mère, David. En arrivant chez elle, je l'ai vue étendue par terre, morte. Je craignais que vous ne me croyiez pas, et c'est pour cette raison que j'ai inventé

cette histoire selon laquelle j'étais au cinéma. ª

Il l'avait écoutée, une expression cynique sur le visage.

´ Je vous dis la vérité, David.

- Ah oui ? ª Il lui avait tourné le dos et était sorti furieux.

Cette nuit-là, Helen s'était suicidée.

Une semaine plus tard, un repris de justice surpris sur le fait durant un cambriolage avait avoué le meurtre de la belle-mère d'Helen.

Le lendemain, David quittait le cabinet de Jesse quiller.

Celui-ci avait tenté de l'en dissuader.

Će n'était pas ta faute, David. Elle t'avait menti et...

- Justement. Je l'ai laissée me mentir. Je n'ai pas fait mon travail. Je n'ai pas fait en sorte qu'elle me dise la vérité. Je voulais la croire et, à cause de cela, je lui ai fait défaut. ª

Deux semaines plus tard, David entrait chez Kincaid, Turner, Rose & Ripley.

´ Jamais plus je ne serai responsable de la vie d'autrui ª, avait-il juré.

Et voilà qu'il défendait à présent Ashley Patterson.

CHAPITRE qUATORZE

A 10 heures, le lendemain matin, David pénétra dans le bureau de Joseph Kincaid. Celui-ci, qui était en train de signer des documents, leva un úil à l'entrée de David.

Áh. Asseyez-vous, David. Je suis à vous dans un instant. ª

David s'assit et attendit.

Lorsqu'il eut fini, Kincaid sourit et dit : Álors ! Vous avez de bonnes nouvelles, j'espère. ª

De bonnes nouvelles pour qui ? se demanda David.

´ Vous avez un très bel avenir ici, David, et je suis s˚r que vous ne voudriez pas le g‚cher. Le cabinet a de grands projets pour vous. ª

David, qui cherchait les mots justes, se tut.

Álors? dit Kincaid. Avez-vous dit au Dr Patterson que vous lui aviez trouvé un autre avocat ?

- Non. J'ai décidé de la défendre. ª

Le sourire de Kincaid s'effaça. ´Vous avez vraiment l'intention de la défendre, David? C'est une meurtrière per-verse, une malade. quiconque la défendra sera couvert de la même opprobre qu'elle.

- Je ne le fais pas parce que j'en ai envie, Joseph. J'y suis obligé. J'ai une grande dette envers le Dr Patterson et c'est la seule façon dont je puisse m'en acquitter. ª

Kincaid resta silencieux un long moment. Prenant finalement la parole, il dit : Śi vous avez vraiment décidé d'accepter cette affaire, je trouve qu'il conviendrait que vous vous mettiez en disponibilité. Sans solde, évidemment. ª

Adieu le partenariat.

Áprès le procès, vous nous reviendrez naturellement et le partenariat vous attendra. ª

David hocha la tête. Ńaturellement.

- Je vais confier vos dossiers en cours à Collins. Je suis s˚r que vous tenez dès maintenant à vous concentrer sur ce procès. ª

Trente minutes plus tard, les partenaires de Kincaid, Turner, Rose et Ripley étaient en réunion.

Ńous ne pouvons nous permettre de laisser le cabinet s'impliquer dans un procès pareil ª, objecta Henry Turner.

Joseph Kincaid avait une réponse toute prête. Ńous ne nous impliquons pas vraiment, Henry. Nous accordons au petit un congé sans solde. ª

Albert Rose prit la parole. ´ Je pense que nous devrions nous défaire de lui.

- Pas tout de suite. Ce serait agir inconsidérément. Le Dr Patterson peut être une vache à lait pour nous, il connaît tout le monde et il nous sera reconnaissant de lui avoir prêté

David. Peu importe l'issue du procès, nous gagnons sur tous les tableaux. Si le procès se passe bien, nous nous assurons la clientèle du docteur et élevons David au partenariat. Si le procès se passe mal, nous laissons tomber David tout en voyant si nous ne pouvons pas garder le bon docteur. Nous n'avons rien à perdre. ª

Il y eut quelques instants de silence puis John Ripley eut un grand sourire. ´ Bien vu, Joseph. ª

En quittant le bureau de Kincaid, David alla voir Steven Patterson. Il lui avait téléphoné au préalable et le chirurgien l'attendait.

Álors, David ?ª

*

Ma réponse va changer ma vie, pensa David. Et pas pour le mieux. ´ Je vais défendre votre fille, docteur Patterson. ª

Celui-ci soupira profondément. ´ Je le savais. J'en aurais mis ma main au feu. ª Il marqua un instant d'hésitation. ´ Je joue la tête de ma fille.

- Mon cabinet m'a accordé un congé sans solde. Je vais me faire aider de l'un des meilleurs avocats pénalistes du... ª

Le Dr Patterson leva la main. ´ David, je croyais avoir bien précisé que je voulais que personne d'autre ne se mêle de ce procès. C'est à vous et à vous uniquement que je confie la vie d'Ashley.

- Je comprends. Mais Jesse quiller est... ª

Le Dr Patterson se leva. ´ Je ne veux plus entendre parler de Jesse quiller ou de tous ces autres avocats d'assises. Je les connais, David, il n'y a que l'argent et la publicité qui les intéressent, il ne s'agit pas d'argent ou de publicité. Il s'agit d'Ashley. ª

David allait prendre la parole mais il se ravisa, Il n'y avait rien à dire. Le Dr Patterson était inébranlable. Je saurais tirer parti de toute l'aide que je pourrais me procurer, pensa David. Pourquoi veut-il m'en empêcher ?

Ést-ce que je me suis bien fait comprendre ? ª

David hocha la tête. Óui.

- Evidemment, je prendrai en charge vos honoraires et vos frais.

- Non. Je le fais à titre bénévole. ª

Le Dr Patterson l'examina quelques instants puis acquiesça.

´ Disons des dédommagements ?

- Dédommagements. ª David esquissa un sourire. Śavez-

vous conduire ?

- David, si vous êtes en congé sans solde, vous aurez besoin d'argent pour tenir. J'insiste.

- Comme vous voulez. ª

Au moins nous mangerons durant le procès.

Jesse quiller l'attendait au Rubicon.

Ćomment ça s'est passé ? ª

David soupira. Ćomme prévu. Congé sans solde.

- Les salauds. Comment peuvent-ils...

- Je ne les bl‚me pas. C'est un cabinet très traditionnel.

- que vas-tu faire maintenant ?

- que veux-tu dire ?

- Ce que je veux dire ? Tu es avocat de la défense dans le procès du siècle. Tu n'as plus de bureau pour travailler, pas de documentation, pas de dossiers sur les précédents juridiques, pas d'ouvrages de consultation ni de fax, et j'ai vu l'ordinateur obsolète que vous avez, Sandra et toi. Cet ordinateur ne pourra jamais recevoir le logiciel juridique dont tu vas avoir besoin ni te permettre de te brancher sur Internet.

- Je me débrouillerai.

- En effet, Il y a un bureau vide à côté du mien au cabinet.

Tu vas l'utiliser. Tu y trouveras tout ce dont tu as besoin. ª

David était si interloqué qu'il mit quelques instants à retrouver la voix. ´ Jesse, je ne peux pas...

- Si, tu peux. ª quiller se fendit d'un grand sourire. ´ Tu trouveras bien un moyen de me rendre ça. Tu paies toujours tes dettes, n'est-ce pas, saint David ? ª Il prit un menu. ´ Je meurs de faim. ª Il leva les yeux. Á propos, c'est toi qui m'invites. ª

David alla voir Ashley à la prison du comté de Santa Clara.

´ Bonjour, Ashley.

- Bonjour. ª Elle était encore plus p‚le que d'habitude.

´ Mon père est venu ce matin, Il m'a dit que vous alliez me sortir d'ici. ª

Je voudrais être aussi optimiste, pensa David. ´Je vais faire le maximum, Ashley, dit-il prudemment. L'ennui est que peu de gens connaissent bien les troubles dont vous souf-frez. Nous allons les informer. Nous allons faire venir ici les meilleurs médecins du monde qui témoigneront en votre faveur.

- «a me fait peur, murmura Ashley.

- De quoi avez-vous peur ?

- C'est comme si deux personnes différentes et que je ne connais même pas vivaient à l'intérieur de moi. ª Sa voix tremblait. Élles s'imposent à moi à tout moment à leur guise et je n'ai aucun contrôle sur elles. «a me terrifie. ª Les larmes lui montèrent aux yeux.

Će ne sont pas des gens réels, dit calmement David. Ces personnes n'existent que dans votre esprit, Ashley. Elles font partie de vous. Et avec un bon traitement, vous irez mieux. ª

Lorsque David revint chez lui, ce soir-là, Sandra l'étreignit et dit : Ést-ce que je t'ai déjà dit à quel point j'étais fière de toi?

- Parce que je suis sans travail ?

- Pour ça aussi. A propos, M. Crowther a téléphoné.

L'agent immobilier. Il a dit que les papiers étaient prêts pour la signature. Il veulent un acompte de soixante mille dollars.

J'ai bien peur que nous ne devions lui dire que nous n'avons pas les moyens de...

- Attends ! J'ai cette somme sur mon plan de retraite au cabinet. Avec l'argent que va me donner le Dr Patterson pour mes frais, on devrait y arriver.

- «a n'a pas d'importance, David. De toute façon, nous ne voudrions pas g‚ter le bébé avec un appartement en terrasse.

- Eh bien, j'ai de bonnes nouvelles. Jesse va me laisser...

- Je sais. J'ai parlé à Emily. Nous emménageons dans les bureaux de Jesse.

- Nous?

- Tu oublies que tu as épousé une assistante juridique.

Sérieusement, mon chéri, je crois que je peux être très utile.

Je travaillerai avec toi jusqu'à... ª - elle se toucha le ventre -

´ l'arrivée de Jeffrey et alors on verra.

- Madame Singer, savez-vous à quel point je vous aime ?

- Non. Mais prends ton temps. On a encore une heure avant le dîner.

- Une heure ne suffit pas. ª

Elle l'enlaça et murmura : ´ Pourquoi ne te déshabilles-tu pas, mon Tigre ?

- quoi ? ª Il se dégagea et la regarda, l'air inquiet. Ét le... qu'est-ce que dit le Dr Bailey ?

- Il dit que si tu ne te déshabilles pas au plus vite, je vais devoir te prendre de force. ª

David eut un grand sourire. Śi c'est lui qui le dit... ª

Le lendemain matin, David emménagea dans un bureau du cabinet de Jesse quiller. C'était un local bien équipé, situé

tout au fond d'une enfilade de cinq bureaux.

Ńous nous sommes un peu agrandis depuis ton départ, lui expliqua Jesse. Je suis s˚r que tu trouveras tout ce qu'il te faut. La bibliothèque de droit est dans la pièce voisine. Si tu as besoin de quelque chose, tu n'as qu'à le demander.

- Merci. Je... Si tu savais comme je t'en suis reconnaissant, Jesse.ª

Celui-ci sourit. ´Tu me le revaudras. Tu n'oublieras pas ? ª

Sandra arriva quelques minutes plus tard. ´ Je suis prête, dit-elle. Par o˘ commence-t-on ?

- Nous allons commencer par rechercher tous les précédents de procès de prévenus atteints du syndrome d'identité

multiple, il doit y en avoir à la tonne sur Internet. Nous allons essayer le California Criminal Court Observer, une publication spécialisée, le site Court TV et d'autres canaux de droit pénal, et nous allons recueillir le maximum d'informations accessibles sur Westlaw et Lexis-Nexis. Ensuite, nous contacterons tous les médecins spécialisés dans les problèmes de personnalité multiple en leur demandant s'ils sont disposés à

témoigner éventuellement en tant qu'experts. Nous allons devoir les interviewer pour voir si leur témoignage peut étayer notre plaidoirie. Je vais avoir besoin de me rafraîchir la mémoire sur les règles de procédure et me préparer à la sélection des jurés, il va falloir aussi que nous nous procurions une liste des témoins du procureur et de leurs dépositions. Je veux qu'il nous communique toutes les pièces à charge qu'il détient.

- Et nous devons lui envoyer les nôtres. As-tu l'intention de faire témoigner Ashley ? ª

David secoua la tête. Élle est beaucoup trop fragile. Le ministère public la mettrait en pièces. ª Il leva les yeux vers Sandra. Ć'est loin d'être dans la poche. ª

Sandra sourit. ´ Mais tu vas gagner. Je le sais. ª

David téléphona à Harvey Udell, le comptable de Kincaid, Turner, Rose & Ripley.

´ Harvey, David Singer.

- Bonjour, David, il paraît que vous nous quittez pour quelque temps.

- Oui.

- C'est un procès intéressant que vous acceptez là. Les journaux ne parlent que de ça. qu'est-ce que je peux faire pour vous ?

- J'ai soixante mille dollars sur mon plan de retraite au cabinet, Harvey. Je ne pensais pas les retirer si vite mais nous venons d'acheter un appartement en terrasse, Sandra et moi, et je vais avoir besoin de cet argent pour l'acompte.

- Un appartement en terrasse. Eh bien, félicitations.

- Merci. quand puis-je avoir l'argent? ª

Il y eut une brève hésitation. ´ Je peux vous rappeler?

- Bien s˚r. ª David lui donna son numéro de téléphone.

Á tout de suite.

- Merci. ª

Harvey Udell raccrocha puis décrocha aussitôt. ´ Dites à

M. Kincaid que je voudrais le voir. ª

Trente minutes plus tard, Udell était dans le bureau de Joseph Kincaid. ´ qu'y a-t-il, Harvey ?

- J'ai reçu un coup de fil de David Singer, monsieur Kincaid. Il a acheté un appartement en terrasse et il a besoin des soixante mille dollars qu'il a sur son plan de retraite pour régler l'acompte. Selon moi, nous ne sommes pas obligés de lui donner l'argent maintenant. Il est en congé et n'est pas...

- Je me demande s'il sait ce que co˚te l'entretien d'un appartement en terrasse.

- Probablement pas. Je vais lui dire que nous ne pouvons pas...

- Donnez-lui l'argent. ª

Udell lui adressa un regard étonné. ´Mais rien ne nous oblige à... ª

Kincaid se pencha en avant sur son fauteuil. Ńous allons l'aider à s'enfoncer, Harvey. Une fois qu'il aura payé

l'acompte de cet appartement... il sera à nous. ª

Harvey Udell téléphona à David. ´ J'ai une bonne nouvelle pour vous, David. Cet argent que vous avez sur votre plan de retraite, vous le retirez un peu tôt, mais ça ne fait rien.

M. Kincaid m'a dit de vous donner tout ce que vous voulez. ª

´ Monsieur Crowther. David Singer.

- J'attendais de vos nouvelles, monsieur Singer.

- L'acompte pour l'appartement est en route. Vous l'aurez demain.

- Parfait. Comme je vous l'ai dit, nous avons d'autres clients qui le veulent absolument, mais j'ai l'impression que votre femme et vous êtes exactement les propriétaires qui conviennent à un appartement comme celui-là. Vous y serez très heureux. ª

Et, pensa David, ça demandera une bonne demi-douzaine de miracles.

Ashley Patterson comparut finalement devant la Cour supérieure du comté de Santa Clara, située dans la Première Rue Nord à San José. Les démêlés juridiques concernant la juridiction compétente avaient duré des semaines. Il étaient compliqués du fait que les meurtres avaient été commis dans deux pays et deux Etats différents. Une réunion avait eu lieu à

San Francisco, à laquelle assistaient un officier de la police provinciale québécoise, Guy Fontaine, le shérif Dowling du comté de Santa Clara, l'inspecteur Eagan, de Bedford, en Pennsylvanie, le capitaine Rudford, de la police de San Francisco, et Roger Toland, le chef de police de San José.

Fontaine avait dit : Ńous voudrions la juger au québec car nous avons la preuve absolue de sa culpabilité. Là-bas, elle n'a aucune chance de gagner son procès. ª

L'inspecteur Eagan avait dit : Á cet égard, nous aussi avons des preuves absolues, officier Fontaine. Le meurtre de Jim Cleary a été le premier qu'elle a commis et je pense qu'il devrait avoir préséance sur les autres. ª

Le capitaine Rudford de la police de San Francisco avait dit : ´ Messieurs, il ne fait aucun doute que nous pouvons tous prouver sa culpabilité. Mais trois des meurtres ont été

commis en Californie et elle devrait être jugée ici pour tous les crimes. «a renforcerait le dossier de l'accusation.

- Je suis d'accord, avait dit le shérif Dowling. Et deux d'entre eux ont été commis dans le comté de Santa Clara. Le procès devrait donc relever de notre juridiction. ª

Ils avaient ainsi passé deux heures à discuter des mérites de leurs positions respectives et, finalement, ils avaient décidé

que le procès pour les meurtres de Dennis Tibble, Richard Melton, et du shérif adjoint Sam Blake, aurait lieu au Palais de justice de San José, il fut convenu que les procès pour les meurtres de Bedford et de québec seraient repoussés à une date ultérieure.

Le jour de la comparution, David, debout, se tenait au côté

d'Ashley.

´que plaidez-vous ? demanda le juge qui siégeait ce jour-là.

- Non coupable et non coupable pour raison d'aliénation mentale.

- Très bien, acquiesça le juge.

- Votre Honneur, nous demandons une remise en liberté

sous caution. ª

L'avocat du ministère public intervint. ´Votre Honneur, nous élevons une objection ferme. La prévenue est accusée de trois meurtres sauvagement commis et est passible de la peine de mort. Si l'occasion lui en était donnée, elle en profiterait pour fuir le pays.

- Ce n'est pas vrai, dit David. Il n'y a pas de... ª

Le juge l'interrompit. ´ J'ai examiné le dossier ainsi que la déclaration sous serment du représentant du ministère public, lequel s'oppose à une mise en liberté sous caution. Celle-ci est refusée. A toutes fins pratiques, l'affaire est confiée au juge Williams. La prévenue sera détenue à la prison du comté

de San José jusqu'au procès. ª

David soupira. Óui, Votre Honneur. ª Il se tourna vers Ashley. Ńe vous en faites pas. Tout va s'arranger. Souvenez-vous... vous n'êtes pas coupable. ª

quand David revint au bureau, Sandra lui dit : Ás-tu vu les titres des journaux ? La presse à sensation appelle Ashley

"la Bouchère". On n'entend que ça à la télévision.

- Nous savions que ce serait dur, dit David. Et ça ne fait que commencer. Mettons-nous au travail. ª

Le procès était dans huit semaines.

Semaines remplies d'une activité fébrile. Sandra et David travaillaient toute la journée et jusque tard dans la nuit, s'employant à découvrir des procès-verbaux d'affaires impli-quant des prévenus souffrant d'un syndrome d'identité multiple. Ce n'était pas ce qui manquait. Les accusés en question avaient été jugés pour meurtre, viol, vol, trafic de drogue, incendie criminel... Certains avaient été condamnés, d'autres acquittés.

Ńous allons faire acquitter Ashleyª, déclara David à

Sandra.

Sandra recueillit les noms de personnes susceptibles de témoigner et leur téléphona.

´Docteur Nakamoto, je suis la collaboratrice de David Singer. Je crois que vous avez témoigné dans l'affaire Bohannan. Maître Singer assure la défense d'Ashley Patterson... Ah bon ? Oui. Eh bien, nous aimerions que vous veniez à San José afin de témoigner en sa faveur... ª

´ Docteur Booth, je vous appelle du bureau de David Singer. Il défend Ashley Patterson. Vous avez témoigné dans l'affaire Dickerson. Nous apprécierions que vous témoigniez à titre d'expert... Nous aimerions que vous veniez à San José

pour témoigner en faveur de Mlle Patterson. Nous avons besoin de votre expertise... ª

´ Docteur Jameson, ici Sandra Singer. Nous aimerions que vous veniez à... ª

Et ainsi de suite, du matin jusqu'à minuit. Une liste d'une douzaine de témoins fut finalement dressée. David la regarda et dit : Ímpressionnant. Des médecins, un doyen de faculté

de médecine, des doyens de facultés de droit. ª Il leva les yeux vers Sandra et sourit. ´ Je pense que nous tenons le bon bout. ª

Jesse quiller entrait de temps à autre dans le bureau qu'il avait prêté à David. Ćomment vous débrouillez-vous ? Je peux faire quelque chose pour vous ? demanda-t-il ce jour-là.

- «a va. ª

quiller regarda autour de lui. ´ Tu n'as besoin de rien ? ª

David sourit. ´ J'ai tout ce qu'il me faut, sauf mon meilleur ami.ª

Un lundi matin, David reçut du ministère public un courrier qui contenait la liste des pièces à conviction détenues par l'accusation. En la lisant, il fut saisi de découragement.

Sandra l'observait, soucieuse. ´ qu'y a-t-il ?

- Regarde ça. Le procureur convoque un lot de sommités médicales pour témoigner contre le fait qu'Ashley souffre de dissociation de la personnalité.

- que comptes-tu faire ?

- Nous allons reconnaître qu'Ashley était présente sur les lieux des crimes mais nous allons prouver que les meurtres ont été commis en réalité par un alter ego. ª Pourrai-je en persuader le jury ?

Cinq jours avant l'ouverture du procès, David reçut un appel téléphonique disant que le juge Williams voulait le rencontrer.

Il alla voir Jesse quiller dans son bureau. ´Jesse, que peux-tu me dire sur le juge Williams ? ª

Jesse s'appuya au dossier de son fauteuil et se croisa les doigts derrière la tête. ´Tessa Williams... As-tu déjà été

scout, David ?

- Oui...

- Tu te souviens de la devise des scouts : "Toujours prêt ?"

- Bien s˚r.

- quand tu entreras dans le prétoire de Tessa Williams, sois prêt. Elle est remarquable. Elle s'est faite à la force du poignet. Ses parents étaient ouvriers agricoles dans le Mississippi. Elle a fait ses études secondaires gr‚ce à une bourse et ses concitoyens étaient si fiers d'elle qu'ils ont organisé une souscription pour lui payer ses études de droit. On raconte qu'elle a refusé un poste important à Washington parce qu'elle est bien là o˘ elle est. C'est un personnage légendaire.

- Intéressant.

- Le procès va se tenir dans le comté de Santa Clara ?

- Oui.

- Dans ce cas, tu auras affaire à mon vieil ami Mickey Brennan comme procureur général.

- Parle-moi de lui.

- C'est un Irlandais agressif, un dur qui ne fait pas de cadeaux, il vient d'une famille à qui tout réussit. Son père dirige une énorme maison d'édition ; sa mère est médecin ; sa súur est professeur d'université. Lui-même était un joueur de football vedette durant ses études et il a fini major de sa promotion à la fac de droit. ª Il se pencha en avant. Íl est fort, David. Fais attention. Son truc consiste à désarmer les témoins puis à les achever. Il aime les prendre par là o˘ ils s'y attendent le moins... Pourquoi le juge Williams veut-elle te voir?

- Je l'ignore. On m'a seulement dit au téléphone qu'elle voulait discuter du procès Patterson avec moi. ª

Jesse quiller fronça les sourcils. Ć'est inhabituel. quand la vois-tu ?

- Mercredi matin.

- Surveille tes arrières.

- Merci, Jesse. Je n'y manquerai pas. ª

Le Palais de justice du comté de Santa Clara est un b‚timent blanc de trois étages dans la Première Rue Nord. Immédiatement à l'entrée, il y a un bureau d'accueil dont la permanence est assurée par un vigile en uniforme, un détecteur de métaux, une barrière de contrôle et un ascenseur. Le Palais de justice comprend sept salles d'audience, chacune présidée par un juge assisté de son personnel.

Ce mercredi-là, à 10 heures, on fît entrer David Singer dans le cabinet du juge Tessa Williams. Mickey Brennan se trouvait dans la pièce avec elle. L'avocat général était un quinquagénaire r‚blé et trapu qui parlait avec un léger accent irlandais. Tessa Williams, ‚gée d'une quarantaine d'années, était une Noire mince et élancée, séduisante, aux manières brusques et autoritaires.

´ Bonjour, monsieur Singer. Je suis le juge Williams. Voici monsieur Brennan. ª

Les deux hommes échangèrent une poignée de main.

Ásseyez-vous, monsieur Singer. Je veux vous entretenir du procès Patterson. Selon les registres, vous avez l'intention de plaider la non-culpabilité, et cela pour cause d'aliénation mentale ?

- Oui, Votre Honneur.

- Je vous ai réunis tous les deux parce que je crois que nous pouvons sauver beaucoup de temps et épargner à l'Etat beaucoup de frais, dit le juge Williams. Je suis généralement hostile aux tractations entre l'accusation et la défense aux termes desquelles l'accusé plaide coupable en échange d'une réduction de peine. Mais, dans ce cas, je crois que cela se justifie. ª

David écoutait, intrigué.

Le juge se tourna vers Brennan. ´ J'ai lu le procès-verbal de l'audience préliminaire et je ne vois pas de raison de juger cette affaire devant les tribunaux. J'aimerais que le ministère public renonce à demander la peine de mort et accepte un aveu de culpabilité excluant toute perspective de libération conditionnelle.

- Une minute, dit David. C'est hors de question ! ª

Ils tournèrent tous les deux leur regard vers lui.

´ Monsieur Singer...

- Ma cliente n'est pas coupable. Elle a passé un test de détecteur de mensonge qui prouve...

- Ces tests ne prouvent rien et vous savez bien qu'ils ne sont pas recevables par un tribunal. Avec toute cette publicité

qui est faite autour de l'affaire, ça va être un procès long et compliqué.

- Je suis convaincu de...

- J'ai une longue pratique du droit, monsieur Singer. J'ai entendu toutes sortes d'arguments de la part d'avocats de la défense. J'ai entendu plaider la légitime défense - ce qui est un argument acceptable; j'ai entendu plaider l'irresponsa-bilité temporaire - ce qui peut se défendre; j'ai entendu plaider la compétence juridique restreinte du tribunal... Mais s'il y a un argument auquel je n'ajoute pas foi, Maître, c'est celui-ci : "Je suis non coupable parce que ce n'est pas moi qui ai commis le crime mais mon alter ego." Pour employer un terme que vous ne trouverez pas dans les traités de droit, c'est de la "foutaise". Ou votre cliente a commis les crimes ou elle ne les a pas commis. Si vous changez votre système de défense et plaidez la culpabilité, vous pourrez épargner beaucoup de...

- Non, Votre Honneur. Je ne changerai pas de système de défense.ª

Le juge Williams examina David durant quelques instants.

´ Vous êtes très entêté. Beaucoup de gens voient là une qualité admirable. ª Elle se pencha en avant sur son fauteuil.

´ Pas moi.

- Votre Honneur...

- Vous nous imposez un procès qui va durer au moins trois mois - peut-être davantage. ª

Brennan hocha la tête. ´ Je suis d'accord.

- Je suis désolé que vous preniez les...

- Monsieur Singer, je suis ici pour vous rendre un service.

Si nous jugeons votre cliente, elle mourra.

- Holà ! Vous préjugez de l'affaire sans...

- Je préjuge ? Vous avez vu les pièces à conviction ?

-Oui, je...

- Mais enfin, Maître, l'ADN d'Ashley Patterson et ses empreintes digitales se retrouvent sur tous les lieux des crimes. Je n'ai jamais vu un cas de culpabilité aussi net. Eh bien, je ne laisserai pas les choses se passer comme ça. Je ne veux pas que mon tribunal dégénère en cirque. Expédions cette affaire sur-le-champ. Je vous le demande encore, êtes-vous prêt à plaider la culpabilité en échange d'une condamnation à vie de votre cliente sans possibilité de libération conditionnelle ?

- Non ª, répondit David avec entêtement.

Elle le foudroya du regard. ´Bien. A la semaine prochaine. ª

Il venait de se faire une ennemie.

CHAPITRE qUINZE

San José avait rapidement pris l'allure d'une ville de carna-val. Des représentants des médias du monde entier y débar-quaient. Les hôtels étaient remplis et certains correspondants de la presse obligés de loger à l'extérieur de la ville, à Santa Clara, Sunnyvale et Palo Alto. David était assiégé par les journalistes.

´ Maître Singer, parlez-nous du procès. Allez-vous plaider la non-culpabilité... ? ª

Állez-vous citer Ashley Patterson à la barre des témoins... ? ª

Ést-il vrai que le procureur général était prêt à transiger sur la peine ? ª

´Le Dr Patterson va-t-il témoigner en faveur de sa fille...?ª

´ Mon magazine est disposé à payer cinquante mille dollars pour une interview avec votre cliente... ª

Mickey Brennan lui aussi était pourchassé par les médias.

´Maître Brennan, acceptez-vous de nous dire quelques mots sur le procès ? ª

Brennan se retourna et sourit aux caméras de télévision.

Óui. Je vais résumer ce procès en quatre mots. "Nous allons le gagner." Je n'ai rien à ajouter.

- Attendez! Croyez-vous qu'elle souffre d'aliénation mentale... ? ª

´ Le ministère public va-t-il requérir la peine de mort... ? ª

Ést-il vrai que vous avez dit de cette affaire qu'elle était d'une simplicité enfantine... ? ª

David loua un bureau à San José, tout près du tribunal, o˘

il pouvait interviewer ses témoins et les préparer au procès, Il avait été décidé que Sandra tiendrait le bureau de San Francisco prêté par quiller jusqu'au début du procès. Le Dr Salem venait d'arriver à San José.

´ Je voudrais que vous hypnotisiez Ashley de nouveau, dit David. Essayons de leur soutirer, à elle et aux personnalités d'emprunt, le plus d'informations possible avant le début du procès. ª

Il virent Ashley dans une cellule du centre de détention du comté. Elle s'efforçait de dissimuler sa nervosité. Elle parut à

David comme une biche aux abois sous les projecteurs d'une machine infernale.

´ Bonjour, Ashley. Vous vous souvenez du Dr Salem? ª

Elle acquiesça.

Íl va vous hypnotiser de nouveau. Vous êtes d'accord?

- Ilva parler... aux autres ? demanda Ashley.

- Oui. «a vous ennuie ?

- Non. Mais... Je ne veux pas leur parler.

- Très bien. Rien ne vous y oblige.

- Je n'en ai pas envie ! dit-elle avec irritation.

- Je sais, dit David d'un ton réconfortant. Ne vous en faites pas. Ce sera bientôt fini. ª Il fit un signe de tête au Dr Salem.

´ Mettez-vous à l'aise, Ashley. Rappelez-vous comme c'a été facile la dernière fois. Fermez les yeux et détendez-vous.

Ecoutez le son de ma voix. Laissez aller tout le reste. Vous vous endormez. Vos paupières s'alourdissent. Vous avez envie de dormir... Dormez... ª

Dix minutes plus tard, elle était sous hypnose. Le Dr Salem fit signe à David. Celui-ci s'approcha d'Ashley.

´ Je voudrais parler à Alette. Etes-vous là, Alette ? ª

Il virent le visage d'Ashley s'adoucir et passer par les mêmes transformations que la fois précédente. Ils entendirent ensuite le doux et mélodieux accent italien.

´ Buongiorno.

- Bonjour, Alette. Comment allez-vous ?

- M‚le. C'est un moment difficile à passer.

- Pour nous tous, l'assura David, mais tout va s'arranger.

- Je l'espère.

- Alette, je voudrais vous poser quelques questions.

- Si...

- Connaissiez-vous Jim Cleary ?

- Non.

- Connaissez-vous Richard Melton ?

- Oui. ª Une grande tristesse perça dans sa voix. Će qui lui est arrivé est... est terrible. ª

David jeta un regard en direction du Dr Salem. Óui, c'est terrible. quand l'avez-vous rencontré pour la dernière fois ?

- Je suis allée le voir à San Francisco. Nous sommes allés au musée et avons déjeuné ensemble. Avant mon départ, il m'a invitée à venir chez lui.

- Et vous avez accepté ?

- Non. Je le regrette, répondit-elle d'un ton nostalgique.

Je lui aurais peut-être sauvé la vie. ª Il y eut un bref silence.

Ńous nous sommes souhaité le bonsoir et je suis rentrée en voiture à Cupertino.

- Et c'est la dernière fois que vous l'avez vu ?

- Oui.

- Merci, Alette. ª

David se rapprocha d'Ashley et dit : ´ Toni ? Etes-vous là, Toni ? Je voudrais vous parler ! ª

Il virent le visage d'Ashley se transformer de nouveau de manière remarquable. Elle changea de personnage sous leurs yeux, celui-ci plein d'assurance et exhibant une sexualité

agressive. Elle se mit à chanter de sa voix claire, de gorge : Il court, il court le furet

Le furet des bois, mesdames.

Il court, il court le furet,

Le furet des bois jolis.

Il est passé par ici. Il repassera par là.

Il court, il court...

Elle regarda David. ´Vous savez, Chou, pourquoi j'aime chanter cette chanson ?

- Non.

- Parce que ma mère la détestait. Elle me haÔssait.

- Pourquoi vous haÔssait-elle ?

- «a, nous pouvons difficilement le lui demander maintenant, n'est-ce pas ? ª Elle se mit à rire. ´ Pas là o˘ elle est. Je ne peux plus rien pour elle. Et vous, David, comment était votre mère ?

- Elle était merveilleuse.

- Alors vous avez de la chance. C'est vraiment la loterie, non ? Dieu s'amuse à nos dépens, vous ne trouvez pas ?

- Croyez-vous en Dieu ? Avez-vous la foi, Toni ?

- Je ne sais pas. Il y a peut-être un Dieu. S'il existe, il a un curieux sens de l'humour, ne trouvez-vous pas ? Alette a la foi. Elle, elle va régulièrement à l'église.

- Et vous ? ª

Toni eut un petit rire. ´quand elle va à l'église, je l'accompagne. Je n'ai pas beaucoup le choix, n'est-ce pas ?

- Toni, croyez-vous qu'il soit permis de tuer?

- Non, bien s˚r que non.

- Dans ce cas...