XIII
Cinq heures avaient depuis longtemps sonné à l’église du village, lorsque le duc d’Auge sortit du château accompagné de Pouscaillou, le plus jeune frère du vicomte d’Empoigne, nouvellement à son service. Ils étaient tous deux à cheval, l’un montait Sthène et l’autre Stèphe. Le duc ne disait mot, Sthène ne bronchait pas. Stèphe et Pouscaillou en faisaient autant. En traversant le bourg, ils croisèrent sur la place un groupe de notables qui saluèrent le duc bien bas.
— Alors, messieurs, dit le duc distraitement, jouissons-nous d’une bonne santé ?
— Excellente, répondit le bailli. Excellente.
— Et à part cela, y a-t-il quoi que ce soit qui mérite attention ?
— Nous, répondit le bailli, allons de ce pas élire nos délégués aux États généraux.
— Ah, c’est vrai, les États généraux…
Le duc n’en dit pas plus à ce sujet.
— Nous, reprit le bailli, avons commencé à rédiger notre cahier de doléances. Monseigneur Miroton et l’abbé Riphinte se joindront à nous et si Monsieur le duc daignait nous accorder son noble concours, nous pourrions envoyer à Paris un cahier unique pour les trois ordres du bailliage, ce qui montrerait à Sa Majesté l’union de tous les Français derrière la personne sacrée du roi.
— Vive le roi ! crièrent les notables. Vive le roi !
— Vive le roi ! crut bon de hurler Pouscaillou. Une mornifle du duc envoya dans la poussière l’écuyer qui se ramassa pour remonter ensuite tout étourdi sur son cheval. Les notables s’abstinrent de commenter l’incident.
— Eh bien ! dit le duc un peu ragaillardi, bon travail, messieurs.
Et il partit au galop dans la direction du cimetière. Il mit pied à terre et confia les rênes de Sthène à Pouscaillou qui avait suivi de son mieux.
— Macaque, lui dit le duc, qui t’a permis de crier « vive le roi » ?
— J’ai fait comme tout le monde, répondit Pouscaillou en pleurnichant.
— Eh bien, apprends… Mais d’abord descends de cheval.
Lorsque ce fut fait, le duc lui prit une oreille, et, la pinçant assez fort, poursuivit son discours par ces mots :
— Apprends donc, cher petit page macaque et papegai, que tu ne dois pas faire comme tout le monde, mais comme moi, tu entends : comme moi je fais. Compris ?
— Non. Je n’y comprends goutte.
Le duc, changeant d’oreille, continua en ces termes :
— Moi, qu’est-ce que je faisais ? Est-ce que je criais « vive le roi » ? Non. Compris maintenant ?
— Oui, certes, mais, en toute circonstance, n’est-il pas recommandé de crier « vive le roi » ?
— Peut-être, répondit le duc qui délaissa l’oreille devenue assez rougeaude et parut tout à coup fort songeur. Peut-être, reprit-il après quelques instants.
Et il pénétra dans le cimetière.
Lorsque Pouscaillou l’estima suffisamment éloigné, il se frotta les oreilles en maugréant.
— C’est qu’il m’a fait mal, le sagouin. Et pour avoir crié « vive le roi ». Comme si, en l’an mil sept cent quatre-vingt-neuf de notre ère bien chrétienne, on n’avait plus le droit de crier « vive le roi ». Eh bien, moi, je continuerai à le crier « vive le roi ».
Ce qu’il fit en effet, mais à voix plutôt basse.
— Vous ne pouvez comprendre, jeune homme, dit Sthène. C’est parce que le duc ne fait pas de politique.
— Ah seigneur Jésus, s’écria le page, un cheval qui parle !
— Autant que vous soyez au courant tout de suite, cela facilitera nos rapports. D’ailleurs je ne suis pas le seul, Stèphe aussi parle. N’est-ce pas, Stèphe ?
— Oui, répondit compendieusement Stèphe.
— Mais ne tremblez donc pas comme ça, dit Sthène à Pouscaillou. Auriez-vous peur ? À la veille d’une révolution, ce n’est pas conseillé.
— — Une révolution ? demanda Pouscaillou en claquant des dents. Quequelle revovolutiontion ?
— Celle qui se prépare, répondit Sthène.
— Et il prophétise ! s’écria Pouscaillou d’une voix aussi déchirante que déchirée. Comme l’ânesse de Balaam !
— Ce n’est pas un écuyer, dit Sthène avec mépris, c’est un séminariste. Et en plus de cela, il me prend pour une ânesse. Il ne m’a pas regardé sous le ventre.
Cette plaisanterie dérida le grave Stèphe et les deux chevaux rirent, puis, s’entraînant l’un l’autre, fou-rirent, ce qui acheva de démoraliser Pouscaillou qui se roula par terre en pleurant. Lorsqu’il eut piqué sa crise et vidé un bon setier de liquide lacrymal, il se releva toujours tremblant et aperçut Sthène et Stèphe qui, paisiblement, muettement, recherchaient des friandises parmi les herbes pariétaires. Cette activité pourtant bien orthohippique acheva de l’emplir de terreur et il jugea prudent de chercher refuge auprès de son employeur. Il pénétra donc dans le cimetière et il aperçut tout au bout de l’allée le duc en méditation devant une tombe ; il aperçut aussi juste devant lui deux fossoyeurs qui exhumaient des ossements et en faisaient des petits tas. Ce spectacle acheva d’écœurer le page qui fit demi-tour et, bon coureur, se retrouva bientôt sur la terrasse du château où quelques personnes buvaient du café et des liqueurs, notamment de l’essence de fenouil, en bavardant de choses et d’autres.
— Eh bien, Pouscaillou, s’écria son frère, que t’arrive-t-il donc ? Tu as abandonné haut et puissant seigneur Joachim duc d’Auge ?
On rit. Pas Pouscaillou qui, d’une voix larmoyante, énonce son plus cher désir :
— Je veux retourner chez maman !
— Eh quoi, Pouscaillou, dit son frère. Le haut et puissant seigneur t’aurait-il mis la main à la brayette ?
On rit. Pas Pouscaillou qui continue à se lamenter :
— C’est pas le duc ! c’est pas le duc ! Ce sont les chevaux !
— Or çà, Pouscaillou, tu ne me feras pas croire que ces dadas ont un faible pour les petits garçons.
On rit. Pas Pouscaillou qui trépigne.
— Ils parlent ! Ils parlent !
— Est-il bête, ce petit, dit la duchesse charmée.
— Imbécile, lui dit son frère furieux. Tu ne vas pas ajouter foi à cette légende gothique et surannée !
— On lit ça dans les romans de chevalerie, dit Monseigneur Biroton avec un petit rire de dérision. Durant la dernière ou l’avant-dernière croisade, je ne sais plus…
— La septième, dit l’abbé Riphinte.
— Quel érudit, s’écria la duchesse en agitant son face-à-main.
— Durant la septième croisade, reprit Onésiphore toujours sur un ton ironique, le cheval du duc d’Auge effrayait les Sarrasins, parce qu’il leur criait des injures.
— Voilà qui est bien sot, dit le vicomte d’Empoigne. A-t-on jamais vu parler un quadrupède ?
— Oui, certes, dit l’abbé Riphinte. Il y en a un : l’ânesse de Balaam.
— Sthène prophétise comme elle, dit Pouscaillou toujours épouvanté.
— Tu n’es pas très fort en catéchisme, lui dit sévèrement l’abbé Riphinte. L’ânesse de Balaam ne prophétisait pas, elle n’ouvrit la bouche que pour protester contre les coups que lui donnait son maître, car elle avait vu l’ange de Dieu. C’était un miracle.
— Moi, conclut Pouscaillou, je veux retourner chez maman.
— Tu resteras ici, lui dit son frère. C’est un ordre.
— Si maman savait qu’ici il y a des chevaux qui parlent, elle me dirait de rentrer tout de suite.
— Puisqu’on te dit que cela n’existe pas les chevaux qui parlent, dit l’abbé Riphinte. À moins d’un miracle.
— Et les miracles se font rares par les temps qui courent, ajouta Monseigneur Biroton avec un soupir.
— Alors, Pouscaillou, dit le duc, qu’on n’avait pas vu venir, c’est comme cela que tu gardes les chevaux ? Tu peux retourner chez ta mère.
Sans même remercier, Pouscaillou disparut.
— Il est idiot ton frère, dit le duc à Empoigne en se servant un verre d’essence de fenouil.
Il regarda quelques instants le liquide en silence et ajouta ;
— Une recette de Timoleo Timolei. Hélas, pauvre Timoleo. Je suis encore allé aujourd’hui me recueillir sur sa tombe.
— Oubliez donc ce rebouteux, ce charlatan, dit Onésiphore. Qui peut encore croire de nos jours à l’élixir de longue vie et à la pierre philosophale ?
— Vous croyez bien que le monde a été créé fort exactement l’an quatre mille quatrième avant Jésus-Christ.
— Monsieur le duc, répliqua l’abbé Riphinte » nous avons de bonnes raisons pour le croire.
— Lesquelles ? demanda le duc.
— Que vous êtes ennuyeux, Joachim, dit la duchesse. Vous voulez maintenant faire le théologien ?
— Ne vous en déplaise, cocotte, répondit le duc en remplissant son verre vide. Alors, l’abbé, quelles raisons ?
— Mais les Saintes Écritures, monsieur le duc ! dit l’abbé Riphinte.
— Bien répondu, Riphinte, observa Monseigneur Biroton.
— Elles sont contradictoires, vos saintes écritures, dit le duc, il suffit d’y fourrer le nez pour s’en apercevoir. Et la raison, qu’en faites-vous ? En l’an quatre mille quatre avant Jésus-Christ, le monde existait depuis des milliers et des milliers d’années.
— Absurde, s’écria Onésiphore.
— Joachim, remarqua la duchesse, n’a jamais été très fort en astrologie. En astronomie, voulais-je dire.
— En chronologie, ajouta l’abbé Riphinte à titre de rectification. Et des hommes, demanda-t-il ironiquement au duc, en existait-il des milliers et des milliers d’années avant la création d’Adam ?
— Naturellement.
— Et quelle preuve en pouvez-vous donner, monsieur le duc ?
— Ah ah, fit Monseigneur Biroton, voilà notre Préadamite mis au pied du mur.
— Oui, quelle preuve, Joachim ? dit à son tour la duchesse.
— Vous l’embarrassez fort, remarqua le vicomte d’Empoigne qui jusqu’à présent n’avait osé se mêler à la discussion.
— Je ne suis nullement embarrassé, répliqua le duc avec calme. Les preuves doivent exister quelque part, il suffit de les trouver.
— Belle réponse, dit l’abbé Riphinte avec un petit rire. Monsieur le duc nous permettra de ne voir là qu’une simple échappatoire.
— Riphinte, dit Monseigneur Biroton, vous l’avez mis quinaud !
— Joachim ! dit la duchesse, tu t’entêtes et tu as tort de vouloir discuter théologie avec l’abbé. Tu n’es pas de taille !
— Je ne m’y risquerais pas, ajouta le vicomte d’un air qu’il voulut fin.
— Jarnidieu ! s’écria le duc en projetant la table dans les airs d’un énergique coup de pied, me prendriez-vous pour un zozo ?
Du service à café chinois époque Ming, il ne restait plus que des miettes, et des bouteilles et des verres, d’autres miettes. Le duc, debout, interpella véhémentement les personnes présentes :
— Bougres ! ne seriez-vous que des bourgeois pour m’oser lamponner de la sorte ! Les curés se croient tout permis, maintenant…Je ne sais ce qui me retient de rosser ces bêtes à bon Dieu.
— Joachim ! s’écria la duchesse, tu n’es qu’un vilain féodal.
— Toi, cocotte, tu mérites la fessée.
Il la prit par le poignet. Russule n’était pas d’accord. Le duc prend l’autre poignet. Russule trépigne. Le duc tire : il l’entraîne vers la cham-brette aux martinets. Un laquais ramasse porcelaine et verrerie. Monseigneur Biroton et l’abbé Riphinte s’éloignent d’un air pincé. Le duc tire toujours sur sa bonne femme qui freine énergiquement ; ses talons font des étincelles sur les pavés.
Le vicomte d’Empoigne voulut s’interposer.
— Monsieur le duc, dit-il d’une voix plus blanche qu’un linge, avec tout le respect que je vous dois…
— De quoi te mêles-tu, jean-foutre ? hurla le duc exaspéré.
Il lâcha la duchesse qui tomba sur le postère et il gifla vigoureusement le vicomte qui trébucha. Celui-ci, par atavisme encore et plus que par courage, sortit son épée. Le duc sort la sienne et voilà Empoigne par terre, complètement mort et traversé. La duchesse se rue sur le cadavre en poussant des clameurs. Le duc essuie son épée au jupon de Russule et remet l’arme assassine dans son fourreau. Il examine la situation.
Quelqu’un d’autre qui s’était timidement approché examinait également la situation.
— Vous l’avez tué, murmura Pouscaillou.
Il avait son baluchon à la main, car il retournait chez sa maman.
— Il est vraiment mort ? ajouta-t-il.
— S’il ne l’était pas encore, répondit le duc, il le serait bientôt : cette dame l’étoufferait.
La duchesse ne cessait de glapir. Elle finit par proclamer :
— Il est mort ! Il est mort !
— Là, dit le duc à Pouscaillou, te voilà renseigné.
— Alors, demanda Pouscaillou, le vicomte d’Empoigne, c’est moi maintenant ?
Sans doute, répondit le duc plein d’admiration.
— Ça c’est chouette.
Les cris de la duchesse faisaient rappliquer prêtres et valetaille.
— Eh bien, fit Monseigneur Biroton, encore du nouveau.
— Ce fut un duel, si je comprends bien, dit l’abbé Riphinte.
— Aucun doute, dit Onésiphore, Empoigne a encore l’épée à la main.
— Tuer un homme en duel n’est pas un petit péché, dit l’abbé Riphinte, mais c’est moins grave que de ne pas croire au calendrier.
— Monsieur le duc, dit l’évêque in partibus de Sarcellopolis, vous devrez faire pénitence pour cet incident et amende honorable pour vos convictions préadamites.
— Comme vous voyez, dit l’abbé Riphinte, la justice de Dieu est plus sévère que la justice des hommes qui vous absoudra.
— Je me méfie, dit le duc d’Auge, et, tout bien réfléchi, je préfère m’en aller promener, peut-être même à l’étranger. Je n’attendrai pas les sergents du roi, ni le bon vouloir dudit. On a bien fourré mon excellent ami Donatien à la Bastille pour des peccadilles. Tiens, cela rime.
— Pauvrement, remarqua l’abbé Riphinte.
Le duc tira son épée, bien décidé à trucider séance tenante l’abbé qui décrivit une prudente trajectoire pour se placer derrière Onésiphore, mais le duc se contint et rengaina.
— Vous consolerez Russule, dit-il aux deux prêtres. Moi, j’ai une fessée rentrée dans la paume de la main. Adieu messieurs.
— Et les États généraux, dit Monseigneur Biroton. Vous n’y assisterez pas ?
— Foutaises ! Pour le moment, je m’occupe de ma liberté.
Il se tourna vers Pouscaillou :
— Va seller Sthène et Stèphe, vicomte, je t’emmène avec moi. Tu vas voir du pays.
— Oh, grands mercis, monsieur le duc, mais ces chevaux qui parlent…
— Tu ne feras jamais tèrstène.
— Je ne suis pas rassuré…
Le duc fit pivoter Pouscaillou et, d’un bon coup de pied, l’envoya droit au but. Après avoir décrit un gracieux arc de parabole, Pouscaillou, tenant toujours son baluchon à la main, atterrissait devant la porte des écuries.
Lorsque le duc revint quelques instants plus tard avec son bagage, tout était prêt. On partit aussitôt.
La terrasse était maintenant désertée. La duchesse avait disparu, ainsi que feu Empoigne. Au pied de l’escalier, Monseigneur Biroton et l’abbé Riphinte attendaient le seigneur de ce lieu. Ils le saluèrent bien poliment.
— Vous avez bien réfléchi ? demanda Monseigneur Biroton. Vous vous mettez dans votre tort.
— Et vous ne pourrez assister aux États généraux, ajouta l’abbé Riphinte.
— Mes amis, dit le duc, avec un air d’extrême satisfaction, vous n’avez pas compris pourquoi je pars.
— Pourquoi ? demandèrent en chœur les deux prêtres.
— Je vais chercher des preuves.
— Quelles preuves ?
— Les preuves de votre ignorance. Et vive les préadamites !
— Vive les préadamites, reprirent en chœur les deux chevaux auxquels ne se joignit le prudent Pouscaillou qu’avec un peu de retard.
Et ils partirent au grand galop, tous les quatre. Ils firent ce jour-là une longue étape et c’est fourbus qu’ils arrivèrent à l’auberge de l’Homme Sauvage à Saint-Genouillat-les-Trous, gros bourg situé dans le Vésinois non loin de Chamburne-en-Basses-Bouilles.
— Tudieu, dit le duc en s’attablant, nous méritons un bon repas. À boire et de l’andouille !
— Eh eh, petite, ajouta-t-il à l’intention de la servante en lui tapotant la croupe, j’ai une fessée rentrée dans le creux de la main.
— Merci bien ! j’en avons nulle envie.
— Eh eh ! une main de duc…
— Une main de vilain cochon, répliqua-t-elle en s’esquivant.
— Tu vois, dit allègrement le duc à Pouscaillou, c’est déjà républicain. Enfin on verra plus tard.
Et il se mit à dévorer de l’andouille.
— Maintenant, reprit-il la bouche pleine, que dis-tu de Sthène ? n’est-ce pas un joyeux compagnon ?
— Oh voui, dit Pouscaillou, je comprends pas comment j’en ai eu tellement peur la première fois. Asteure, je trouve ça tout naturel.
— Le naturel, il n’y a rien de plus naturel que le naturel. Telle est la devise de mon excellent ami Donatien.
— Dites, monsieur le duc, les préadamites qu’est-ce que c’est ?
— Un truc pour taquiner le brave Onésiphore. Cela n’existe pas. Mais si cela existait, le brave Onésiphore serait bien embêté.
— Mais qu’est-ce que c’est ?
— Des hommes qui auraient existé avant Adam.
— Comme c’est bête !
— On croirait entendre l’abbé Riphinte. Ne me fais pas regretter de t’avoir emmené avec moi.
— On a du mal à causer avec vous, monsieur le duc, vous dites que ça n’existe pas et, en même temps, vous ne voulez pas que je trouve ça bête.
— Une chose qui n’existe pas n’est pas forcément bête, imbécile. Ah ah, des chous gras, moi qui en suis friand.
— Bas les pattes, vieux cochon, dit la servante au duc qui voulait mêler anatomie et gastronomie. La prochaine fois, je vous renverse le plat sur la tête. Et ce sera du salmigondis.
— Elle n’est pas commode.
— Comment vous laissez-vous traiter comme ça, monsieur le duc ?
— N’oublie pas que je voyage incognito et liquidons ces chous gras.
Ils bâfraient en silence lorsqu’un postillon costumé en postillon surgit en manifestant avec ostentation une épouvante abjecte. Il gueulait :
— Incroyable mais vrai ! Dans l’écurie, il y a… un cheval qui parle !
Tout le monde rit de bon cœur, le duc tout le premier ; seul Pouscaillou, inquiet, demeura grave.
— Tu es encore saoul, dit l’aubergiste, tu n’as pas honte de venir semer le grabuge ?
— Laissez, laissez, dit un voyageur à l’aubergiste.
Et au postillon :
— Et qu’est-ce qu’il t’a dit le cheval ?
— En me voyant entrer dans l’écurie, il a crié : Vive les préadamites !
— Au fol, cria quelqu’un.
Tout le monde rit de bon cœur, le duc tout le premier ; seul Pouscaillou, de plus en plus inquiet, demeurait grave.