EPILOGUE

VENDREDI 21 MAI

13 H 50

Le gros avion de ligne Delta vira sur l'aile avant d'entamer sa descente vers l'aéroport de Logan pour atterrir selon une trajectoire nord-ouest. Gr‚ce à cette manoeuvre, Sean qui avait une place près d'un hublot découvrit soudain Boston qui s'étalait à la gauche de l'appareil. Assis à côté de lui, Brian ne leva pas les yeux de la revue juridique dans laquelle il était plongé. Ils survolèrent d'abord la bibliothèque Kennedy, érigée sur le promontoire Christophe Colomb, puis l'extrémité sud de la ville, avec ses maisons en bois de deux étages qui s'alignaient le long du front de mer.

Sean eut ensuite droit à une vue magnifique sur les gratte-ciel du centre-ville se détachant en arrière-plan sur le vieux port. Juste avant que l'avion ne se pose sur la piste, il eut le temps d'entr'apercevoir Charlestown et l'obélisque de Bunker Hill, dressé contre le ciel.

Le jeune chercheur poussa un soupir de contentement. Il était enfin de retour chez lui.

Les deux frères n'ayant pas fait enregistrer leurs bagages, après l'atterrissage ils purent tout de suite gagner la station de taxis pour se faire ramener en ville. Ils passèrent d'abord par le cabinet que Brian occupait dans l'ancien hôtel de ville de School Street.

Après avoir demandé au chauffeur de l'attendre, Sean rejoignit Brian sur le trottoir. Depuis leur départ de Miami, quelques heures plus tôt, ils s'étaient tous deux contentés d'échanger des propos laconiques; ils n'étaient pas encore tout à fait remis de la tension des trois jours précédents, ni surtout de leurs longues discussions en tête à tête. Brian avait en effet tenu à venir à Miami o˘ Sean devait témoigner devant le tribunal fédéral chargé de juger le procès opposant l'Etat de Floride à l'Institut de cancérologie Forbes.

Sean jeta un coup d'oeil à son frère. Malgré tout ce qui les séparait et leurs innombrables disputes, il éprouvait pour lui un brusque élan de tendresse.

Impulsivement, il lui tendit une main que Brian s'empressa de serrer longuement. Mais ce geste ne suffisant pas à exprimer ce que Sean ressentait, il se dégagea pour gratifier son frère d'une chaleureuse accolade. Là-dessus, ils se dévisagèrent mutuellement avec une certaine gêne. Peu coutumiers de ces démonstrations d'affection, ils préféraient la plupart du temps les éviter pour se contenter de petites tapes bourrues sur l'épaule ou dans le dos.

" Merci d'avoir fait tout ça, s'empressa de dire Sean.

-Je t'en prie. Ce n'est rien comparé à ce que toi tu as fait pour toutes les victimes potentielles de l'Institut, protesta Brian.

-Si tu ne m'avais pas assisté juridiquement, à

l'heure qu'il est l'Institut poursuivrait ses activités en toute impunité.

-Cette histoire n'est pas définitivement réglée, lui rappela prudemment Brian. Nous n'avons franchi que la première étape.

-Bah, on verra bien. Maintenant il faut se remettre à travailler d'arrache-pied sur Oncogen. Le sort de l'Institut est désormais entre les mains du procureur de Floride et du procureur général. Lequel des deux va engager les poursuites judiciaires, à ton avis ?

-Ils vont peut-être s'associer, répondit Brian.

Etant donné les réactions de la presse, ils doivent se dire l'un comme l'autre que ce procès peut leur servir de tremplin politique. "

Sean hocha la tête.

" Bon, j'y vais, lança-t-il en remontant dans le taxi.

Je te tiendrai au courant. "

Brian retint la portière avant que Sean ait eu le temps de la refermer.

" Je n'aime pas beaucoup te faire des remarques, ajouta-t-il, mais mon rôle de grand frère m'oblige à te donner un conseil. Tu sais que ta vie serait mille fois plus facile si tu mettais ton insolence en sourdine ?

Sans pour autant changer du tout au tout, tu devrais quand même faire un effort pour perdre tes manières de mauvais garçon. Tu te cramponnes trop à tes anciennes habitudes.

-Allez, Brian, jeta Sean en se forçant à sourire. Ne me fais pas la morale.

-Je parle sérieusement, reprit Brian. Tu te débrouilles toujours pour retourner contre toi des gens qui n'ont pas le quart de ton intelligence, ce qui est malheureusement le cas de presque tout le monde, moi y compris.

-Eh bien, dit Sean, embarrassé. Je crois qu'on ne m'a jamais fait de compliment plus équivoque.

-Tu ne devrais pas prendre ça pour un compliment. Au fond, tu n'es qu'un savant imbécile. Tu as beau être très fort dans certains domaines, dans d'autres tu te comportes comme un attardé mental. Je ne sais pas si c'est parce que tu ne comprends rien à ce que les autres ressentent ou si c'est parce que tu t'en fiches, mais au bout du compte le résultat est le même.

-Attention, Brian, tu deviens sentimental !

-Tu devrais y réfléchir, à l'occasion. Maintenant je te laisse ", conclut Brian en lui assenant une bourrade amicale sur l'épaule.

Sean demanda au chauffeur de taxi de le conduire à

l'hôpital Memorial. Il était déjà près de 15 heures et il voulait surprendre Janet avant qu'elle ne quitte son travail. Le jeune homme se cala contre son dossier et repensa à ce que venait de lui dire Brian. Un léger sourire flottait sur ses lèvres. Son frère était vraiment quelqu'un sur qui on pouvait compter, mais il lui arrivait aussi de tenir des discours vraiment nuls.

Arrivé à l'hôpital, Sean se rendit directement à

l'étage o˘ travaillait Janet. L'infirmière à qui il s'adressa au bureau lui dit qu'elle était en ce moment dans la chambre 403, o˘ elle renouvelait la perfusion d'une certaine Mme Mervin. Impatient de luicommu-niquer la bonne nouvelle, Sean décida d'aller la rejoindre sans attendre. Il la trouva en train d'injecter une dose d'antibiotique dans le flacon du goutte-à-goutte de Mme Mervin.

" Tiens, salut, bel étranger ! " lui lança Janet lorsqu'il entra. Elle était manifestement contente de le voir bien qu'elle soit très absorbée par sa t‚che. Dès qu'elle eut fini, elle le présenta à la malade en lui précisant qu'il faisait ses études de médecine à Harvard.

" J'adore recevoir les visites des jeunes gens ", répliqua Mme Mervin, une vieille dame aux cheveux blancs, aux joues roses et aux yeux pétillants. " Revenez me voir quand vous voudrez ", ajouta-t-elle avec un petit rire étouffé.

-Il faut revenirvite car Mme Mervin devrait bientôt nous quitter, reprit Janet avec un clin d'oeil en direction de Sean. Elle va de mieux en mieux.

-C'est ce que j'avais cru remarquer ", commenta Sean d'une voix enjôleuse.

Janet nota quelques mots sur une petite fiche bristol qu'elle glissa aussitôt dans sa poche. Puis, ramassant le plateau qui lui servait à transporter son matériel, elle dit au revoir à Mme Mervin en lui recommandant de sonner si elle avait besoin de quoi que ce soit.

Dans le couloir, Sean dut allonger le pas pour rester à la hauteur de la jeune femme.

" Au cas o˘ tu ne l'aurais pas deviné, lui glissa-t-il en la rattrapant, j'ai plein de choses a te raconter.

-Tu m'en vois ravie, répondit Janet, mais pour le moment je suis débordée. C'est bientôt l'heure du rapport et je n'ai pas encore fini de donner les soins.

-Le tribunal fédéral a prononcé l'inculpation de l'Institut ", lui annonça Sean.

Janet s'arrêta et lui adressa un grand sourire rayonnant.

" C'est formidable ! s'exclama-t-elle. Je suis contente. Et fière de toi, en plus. Tu dois te sentir vengé, non ?

-Pour parler comme Brian, déclara Sean, ce n'est qu'une première étape, mais elle est importante.

L'inculpation porte également sur le Dr Levy, bien que personne ne l'ait ni vue ni entendue depuis le spectaculaire mea culpa du Dr Mason, à la conférence de presse. Apparemment, cette chère Deborah s'est volatilisée. Deux des médecins de la clinique sont également inculpés, ainsi que l'infirmière en chef, Margaret Richmond.

-J'ai encore du mal à y croire. Tout cela me semble tellement irréel.

-«a le deviendra peut-être moins quand je t'aurai précisé les sommes astronomiques que l'Institut Forbes a encaissées gr‚ce à la générosité des patients atteints d'un médulloblastome. Avant que nous mettions un terme à tout ça, ces braves gens reconnaissants lui ont au total versé plus de soixante millions de dollars sous différentes formes de dons.

-que va devenir la clinique ? s'enquit Janet en jetant un coup d'oeil à sa montre.

-Elle est en règlement judiciaire, expliqua Sean.

Mais le centre de recherche, lui, est bel et bien fermé.

Et si tuveux tout savoir, cette magistrale arnaque avait été montée au nez et à la barbe des Japonais. Ils n'y participaient pas. Depuis que l'affaire a éclaté au grand jour, ils ont tiré un trait sur leurs investissements et ont tout laissé tomber.

-Je regrette pour la clinique, glissa Janet. Personnellement, je trouve que c'était un bon établissement de soins. J'espère qu'on arrivera à la redresser.

-J'ai encore d'autres nouvelles, reprit Sean. Tu te souviens du cinglé qui nous a menacés sur la plage en nous flanquant la trouille de notre vie ? Il s'appelle Tom Widdicomb, et il est fou à lier. Il vivait avec le cadavre de sa mère, qu'il avait mise au congélateur après sa mort. Apparemment, il croyait dur comme fer qu'elle était en communication permanente avec lui; à l'en croire, c'est sur les conseils de sa maman qu'il avait entrepris d'endormir les femmes hospitalisées pour un cancer du sein avec une petite dose de succinylcholine. Sa mère elle-même était morte du même cancer.

-Oh, mon Dieu ! murmura Janet. C'est donc cela qui est arrivé à Gloria D'Amataglio.

-Il y a des chances, confirma Sean. A elle et à

beaucoup d'autres.

-Je me souviens de ce Tom Widdicomb. C'était le garçon de salle qui tapait tellement sur les nerfs de Marjorie.

-Apparemment, toi aussi tu lui tapais sur le système. Pour des raisons mystérieuses, un beau jour son esprit tordu lui a soufflé que tu avais pour mission d'arrêter ses agissements. C'est pour cela qu'il t'en voulait. Il est fort probable que ce soit lui qui t'ait attendue dans ta salle de bains, le soir o˘ tu t'es fait agresser à la résidence de l'Institut. En tout cas il ne fait aucun doute que c'est lui qui nous a suivis jusque dans la morgue de l'Hôpital général de Miami.

-Doux Jésus ! " s'écria Janet. Elle tremblait rétrospectivement à l'idée d'avoir été suivie pas à pas par un dément. Tout cela lui rappelait à quel point ce voyage en Floride avait été différent de ce qu'elle avait imaginé lorsqu'elle avait pris la décision de rejoindre Sean.

" Il devrait bientôt être jugé, poursuivit ce dernier.

Son avocat va bien s˚r plaider l'irresponsabilité, et s'il raconte l'histoire de la maman dans le congélateur, Widdicomb s'en tirera s˚rement à bon compte. " Sean se mit à rire. " Bien évidemment, ajouta-t-il, c'est à

cause de lui que la clinique a été mise en règlement judiciaire. Toutes les familles des malades atteintes d'un cancer du sein et mortes dans des circonstances douteuses se sont portées parties civiles.

-Et les familles des gens soignés pour ce pseudo-médulloblastome ? s'enquit Janet. Elles ne font rien ?

-Si, mais pas par rapport à la clinique. Les juristes ont séparé le cas de l'établissement hospitalier de celui du centre de recherche. C'est ce dernier qu'atta-quent les familles des personnes qui ont servi de cobayes au Dr Levy et consorts. Après tout, c'est logique. Si ces malades ont guéri, c'est gr‚ce aux soins reçus en clinique.

-Sauf Helen Cabot, remarqua Janet.

-C'est vrai ", acquiesça Sean.

Janet regarda à nouveau sa montre et secoua la tête.

" Maintenant je suis vraiment en retard, dit-elle.

Sean, il faut que j'y aille. On ne pourrait pas se voir ce soir pour continuer à discuter de tout ça ?

Retrouvons-nous pour dîner, si tu veux.

-Ce soir je ne peux pas, répondit Sean. C'est vendredi.

-Ah, bien sur, j'oubliais ! " répliqua Janet froidement. Elle se frappa le front de la paume de la main.

" Je n'y pensais plus, c'est vraiment idiot de ma part.

Bon, eh bien passe-moi un coup de fil quand tu auras un moment. " Et sans même prendre le temps d'ache-ver sa phrase elle s'éloigna en courant presque.

Sean s'élança derrière elle et la rattrapa par le bras pour l'obliger à s'arrêter.

Attends ! s'écria-t-il, surpris par cette façon abrupte de mettre un terme à leur conversation. Tu n'as pas envie de savoir quelles sont les charges qui pèsent contre toi et moi ?

-Oh, ce n'est pas que ça ne m'intéresse pas, mais là tu tombes assez mal, répliqua Janet. Et comme tu es occupé ce soir, autant remettre ça à plus tard.

-Je n'en ai que pour une seconde, l‚cha-t-il d'un ton excédé. Hier, avec Brian, nous avons passé une grande partie de la soirée à marchander avec le procureur général. Il nous a donné sa parole qu'il ne retiendrait aucune charge contre toi. quant à moi tout ce qu'il me demande en échange de mon témoignage c'est de plaider coupable pour atteinte à l'ordre public et dommages intentionnellement provoqués.

Alors, qu'est-ce que tu en dis ?

-Je trouve ça formidable, rétorqua Janet. Maintenant, si tu veux bien m'excuser... " Elle essaya de se dégager, mais Sean ne la l‚cha pas.

" Encore un point, ajouta-t-il avec une certaine hésitation. J'ai beaucoup réfléchi depuis que cette histoire avec l'Institut est réglée. " Mal à l'aise, il détourna la tête et se balança d'un pied sur l'autre. " Je ne trouve pas bien mes mots, mais tu te rappelles ce que tu m'as dit quand tu as débarqué à Miami... tu voulais qu'on parle de notre relation, qu'on discute de notre engagement réciproque, et tout ? Eh bien, je crois que je suis prêt à le faire. Enfin, si tu es toujours dans les mêmes dispositions, ou plutôt dans les dispositions dans lesquelles il m'a semblé que tu étais... "

Très étonnée, Janet plongea son regard dans les yeux si bleus de Sean. Il essaya de l'esquiver, mais la jeune femme l'attrapa par le menton pour l'obliger à

lui faire face.

" qu'est-ce que c'est que ce discours embrouillé ? le questionna-t-elle en fronçant les sourcils. Une demande en mariage ?

-Euh... oui, plus ou moins ", tergiversa Sean.

Il libéra son menton d'un petit mouvement de tête et contempla l'autre bout du couloir d'un air absent. Il n'arrivait pas à la regarder. Ses mains esquissèrent un geste, comme s'il allait parler, mais il resta muet.

" Je ne te comprendrai jamais, dit Janet dont les joues s'enflammèrent. quand je pense au nombre de fois o˘ j'ai voulu te parler et o˘ tu t'es dérobé ! Et tout d'un coup ça te prend, comme ça, et ici en plus ! Eh bien je vais te dire une bonne chose, Sean Murphy. Je ne suis pas très s˚re de pouvoir supporter longtemps une relation avec toi si tu ne te décides pas à changer sérieusement. Or je ne crois pas que tu en sois capable.

Après cette expérience que nous avons vécue ensem-

ble en Floride, je ne suis pas s˚re que tu saches vraiment ce que tu veux. Tout ça ne veut pas dire que je ne t'aime pas. Je t'aime, tu le sais. Mais simplement je ne pense pas pouvoir supporter le type de relation qui a l'air de te convenir. "

Sean en resta comme assommé. Il ne pouvait plus articuler un mot. La réponse de Janet l'avait totalement déconcerté.

" Tu veux que je change ? demanda-t-il enfin. Mais comment ? sur quel point ?

-Si tu ne le vois pas et si j'ai besoin de te le dire, il est inutile d'aller plus loin. Nous aurions pu en parler plus longuement ce soir, mais puisque tu dois aller retrouver tes copains...

-Ne me fais pas un procès, riposta Sean. «a fait des semaines que je ne les ai pas vus et que je ne fréquente que des hommes de loi.

-Voilà au moins un point que je ne contesterai pas, rétorqua Janet. Passe une bonne soirée. " Elle se remit en marche pour s'arrêter au bout de quelques pas. " En tout cas, reprit-elle en le dévisageant, moi à

ma grande surprise j'ai changé depuis ce voyage en Floride. Je pense très sérieusement à m'inscrire en médecine. Dieu sait pourtant que j'aime mon métier d'infirmière et qu'il est exigeant ! Mais tout ce que tu m'as expliqué sur la biologie moléculaire et la révolution médicale qui s'annonce me passionne littéralement, et j'ai envie d'y être associée de plus près. Bon, maintenant je te quitte, ajouta-t-elle sur un ton définitif. N'hésite pas à me faire signe. Et surtout ne dis rien. "

Sean était de toute façon trop sidéré pour ouvrir la bouche.

Il était un peu plus de 20 heures quand Sean poussa la porte de l'Old Scully's, plein d'une excitation joyeuse à l'idée de retrouver cet endroit o˘ il n'avait pas mis les pieds depuis des semaines. Ses amis et connaissances réunis au grand complet se pressaient autour du bar dans une atmosphère chaleureuse et bon enfant. Plusieurs d'entre eux y étaient probablement depuis 5 heures de l'après-midi histoire d'oublier plus vite leurs soucis. Un match de base-ball passait à la télé, et un groupe de supporters enthou-

siastes rassemblés sous l'écran encourageait les joueurs de la voix et du geste.

S'arrêtant un instant sur le seuil, Sean balaya la pièce du regard. Il aperçut Jimmy O'Connor et Brady Flanagan, pliés en deux de rire à côté du jeu de fléchettes. Un maladroit venait de rater la cible. Il avait même réussi à éviter le mur, envoyant la fléchette dans le montant de la fenêtre. Les deux autres étaient hilares.

Derrière le bar, Molly et Pete s'activaient inlassablement, remplissant tour à tour les chopes de bière brune ou blonde qu'ils faisaient glisser sur le zinc ou saisissaient par quatre ou cinq à la fois pour les déposer devant les buveurs. De petits verres de whisky irlandais étaient disposés çà et là sur le comptoir. Cet alcool dégusté à petites gorgées entre deux grandes lampées de bière aidait à chasser plus vite les tracas quotidiens.

Sean contempla de loin le groupe compact massé

autour du bar. Il reconnut Patrick FitzGerald, dit Fitzie, que toutes les filles adulaient quand ils étaient au lycée. Sean se souvenait comme si c'était hier de la façon dont Fitzie lui avait soufflé sa petite amie sous le nez à l'époque o˘ ils étaient en classe de seconde. Sean qui était alors amoureux fou de Mary O'Higgins l'avait amenée à une boum o˘ elle s'était laissé embobiner par Fitzie. On les avait retrouvés tous les deux sur la banquette arrière de la camionnette de Frank Kildare.

Mais les succès de jeunesse de Fitzie semblaient loin, aujourd'hui. Il s'était considérablement épaissi et son beau visage était devenu lourd et bouffi. quand tout allait bien, il travaillait à la surveillance des anciens entrepôts de marine; sa femme, Anne Shau-ghnessy, devait bien peser dans les cent kilos depuis la naissance de leurs jumeaux.

Sean fit un pas en direction du bar. Il voulait se sentir à nouveau intégré à ce monde-là. Il avait envie que tous ces gens qu'il connaissait si bien l'accueillent avec de grandes claques dans le dos et d'epaisses plaisanteries sur son frère qui se préparait à la prêtrise. Il avait la nostalgie de l'époque o˘ il imaginait l'avenir comme une route à parcourir sans fin avec les gars de la bande. Oui, tout le plaisir et le sens de la vie rési-daient dans ce passé commun que les souvenirs et les évocations se chargeaient d'enjoliver toujours davantage.

Pourtant, quelque chose le retint d'avancer. Il avait l'impression troublante, presque tragique, d'être irré-médiablement à part. Le sentiment que sa vie l'avait éloigné de ses vieux amis s'empara soudain de lui avec une clarté aveuglante, et il comprit qu'il serait désormais condamné à observer cette vie qui avait été la sienne sans plus pouvoiry participer. La bataille engagée contre l'Institut Forbes l'avait en effet dépouillé de l'innocence propre à ceux qui vivent à l'écart du monde; ce qui l'intéressait aujourd'hui resterait totalement étranger à ses compagnons d'autrefois. Tels qu'il les voyait là, à moitié ivres ou pire, ils avaient g‚ché toutes leurs chances de s'en sortir. A cause d'une multitude de raisons d'ordre social et économique, ils se retrouvaient pris au piège des erreurs à répétition.

Ils étaient ligotés à leur passé.

Sans même s'être adressé à l'un ou l'autre d'entre eux, Sean tourna abruptement les talons et sortit de l'Old Scully's. Une voix sonore brusquement jaillie dans son dos pour le ramener à la chaleureuse intimité de ce havre de jeunesse le poussa à accélérer le pas. Sean avait pris sa décision. Il ne deviendrait jamais comme son père. Dorénavant, il regarderait vers l'avenir, pas vers le passé.

En entendant le coup frappé à la porte, Janet souleva ses pieds de l'ottomane et s'extirpa du fauteuil confortable o˘ elle s'était installée pour lire attentivement le gros livre acheté quelques heures plus tôt dans une librairie de médecine, et intitulé: Biologie moléculaire de la cellule. Elle regarda par l'oeilleton fixé

dans la porte et eut un choc en reconnaissant Sean. Il avait l'air passablement abruti.

Après s'être battue un instant contre les verrous, la jeune femme finit par ouvrir la porte.

" J'espère que je ne te dérange pas, dit Sean.

-que s'est-il passé ? lui demanda Janet. Ton repaire préféré a br˚lé ?

-Au sens figuré, peut-être bien que oui, répondit Sean.

-Tu n'as pas retrouvé tes amis ?

-Ils étaient tous là-bas. Je peux entrer ?

-Excuse-moi. Bien s˚r. Je suis tellement surprise que j'en oublie les bonnes manières ", ajouta-t-elle en s'écartant pour le laisser passer avant de refermer la porte derrière lui. " Tu veux boire quelque chose ?

Une bière ? Un verre de vin ? "

Sean la remercia mais déclina son offre. Il s'assit sur le bord du divan, visiblement mal à l'aise.

" Je suis allé à l'Old Scully's, comme d'habitude...

commença-t-il.

Janet lui coupa la parole: " Oh, je vois ! Et ils étaient à court de bière, c'est ça ?

-Ecoute-moi, à la fin ! J'essaie de te dire quelque chose ! répliqua-t-il, passablement excédé.

-D'accord, d'accord, je suis désolée. Raconte-moi tout, je ne me moquerai plus.

-Il y avait tous les habitués, poursuivit Sean. J'ai vu Jimmy O'Connor, Brady Flanagan, et même Patrick FitzGerald. Mais je n'ai parlé à personne. Je n'ai même pas franchi le seuil.

-Et pourquoi ?

-J'ai compris qu'en remettant les pieds là-bas je resterais prisonnier du passé, se mit à expliquer Sean.

Et tout d'un coup j'ai commencé à comprendre à quoi vous faisiez allusion, Brian et toi, en me conseillant de changer. Alors voilà: j'ai décidé de changer. Je ferai s˚rement des rechutes, de temps en temps, mais je n'ai franchement pas envie d'être un paumé toute ma vie. Et je voulais savoir si de ton côté tu étais prête à

m'aider un peu. "

Janet baissa la tête et serra les paupières pour refouler ses larmes. Puis, plongeant son regard dans les yeux bleus de Sean, elle déclara: " Tu peux compter sur moi, je t'aiderai. "

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier le Dr Matthew Bankowski pour les innombrables services qu'il m'a rendus en m'écou-tant avec patience, en répondant généreusement aux multiples questions que je lui ai posées sur son domaine de compétence, et en acceptant de relire d'un oeil critique le manuscrit original de Phase terminale.

Je remercie également Phyllis Grann, mon éditrice et amie, de m'avoir aidé avec tant de constance. Et je m'excuse auprès d'elle des effets délétères que mon retard à lui remettre Phase terminale pourraient avoir sur sa longévité.

J'adresse enfin mes sincères remerciements à la faculté de médecine et de chirurgie de l'université

Columbia, sans qui je n'aurais pu acquérir les bases nécessaires pour comprendre et estimer à leur juste valeur les développements vertigineux qui boulever-sent aujourd'hui la biologie moléculaire.