Jansen m’avait parlé à plusieurs reprises des Meyendorff. Il les avait beaucoup fréquentés après les disparitions de Robert Capa et de Colette Laurent. Mme de Meyendorff était une adepte des sciences occultes et du spiritisme. Le docteur de Meyendorff – j’ai retrouvé la carte de visite qu’il m’avait donnée à l’occasion de ce « pot d’adieu » : Docteur Henri de Meyendorff, 12 rue Ribéra, Paris XVIe, Auteuil 28-15, et Le Moulin, à Fossombrone (Seine-et-Marne) – occupait ses loisirs à l’étude de la Grèce ancienne et avait écrit un petit ouvrage consacré au mythe d’Orphée(2).
Jansen avait assisté pendant quelques mois aux séances de spiritisme qu’organisait Mme de Meyendorff. Il s’agissait de faire parler les morts. J’éprouve une méfiance instinctive et beaucoup de scepticisme vis-à-vis de ce genre de manifestations. Mais je comprends que Jansen, dans une période de grand désarroi, ait eu recours à cela. On voudrait faire parler les morts, on voudrait surtout qu’ils reviennent pour de vrai et non pas simplement dans nos rêves où ils sont à côté de nous, mais si lointains et si absents…
D’après ce qu’il m’avait confié, il avait connu les Meyendorff bien avant l’époque où ils figuraient sur la photo, dans le jardin, avec Colette Laurent. Il les avait rencontrés à dix-neuf ans. Puis la guerre avait été déclarée. Comme Mme de Meyendorff était de nationalité américaine, elle et son mari étaient partis pour les États-Unis, laissant à Jansen les clés de leur appartement de Paris et de leur maison de campagne, où il avait habité pendant les deux premières années de l’Occupation.
J’ai souvent pensé que les Meyendorff auraient été les personnes susceptibles de me donner le plus de renseignements sur Jansen. Quand il a quitté Paris, j’avais achevé mon travail : tous les matériaux que j’avais réunis sur lui étaient contenus dans le cahier rouge Clairefontaine, le répertoire alphabétique et l’album Neige et Soleil qu’il avait eu la gentillesse de m’offrir. Oui, si j’avais voulu écrire un livre sur Jansen, il aurait été nécessaire que je rencontre les Meyendorff et que je prenne note de leur témoignage.