CHAPITRE XII
Depuis trois jours ils travaillaient. Romaric ne parlait pratiquement pas. Seulement pour demander de l’aide, à l’un ou l’autre.
Au début, Hal s’était fâché. Prisca l’avait pris par le bras pour l’éloigner et lui avait dit que Rom souffrait, qu’ils devaient le respecter, attendre, patienter.
Il avait été impressionné par le regard de la jeune fille, la force… la détermination qu’elle montrait. Elle n’avait rien dit de tel mais il avait senti qu’elle ne supporterait pas de le voir accusé de quoi que ce soit. Elle serait capable de tout pour le défendre. Un instant elle lui fit peur.
Le lendemain de leur arrivée dans cette vallée, Rom avait dit, comme ça, sans élever la voix, aux deux frères d’aller à Stajil acheter un vieux Trans. Le plus vieux et le moins cher qu’ils puissent trouver. La seule condition était qu’ils puissent l’amener jusqu’ici et qu’ils apportent du matériel de réparation.
Ils n’avaient pas discuté, s’étaient levés et étaient partis dans celui qu’ils avaient déjà acheté.
Ils étaient de retour le soir même avec un grand appareil de transport, le plus gros modèle qui ait été construit et abandonné, d’ailleurs, depuis.
Rom avait cherché un emplacement et trouvé un amas rocheux sur lequel il avait posé le Trans piqué aux hommes de Péral. L’appareil reposait sur des points d’appui, aux extrémités, laissant la possibilité de travailler dessous.
Le nouveau Trans avait alors été amené à côté et ils avaient commencé à démonter les propulseurs des deux. Rom voulait réviser ceux de la vieille machine et remplacer les plus endommagés par ceux du neuf.
Hal avait compris combien ils avaient pris de risques en se baladant avec un engin volé. Péral pouvait déposer plainte et ils seraient recherchés par les Patrouilleurs. S’il ne l’avait pas encore fait ça ne tarderait sûrement pas.
En cannibalisant cette machine neuve, performante, pour remettre en état et améliorer considérablement la vieille, Ils faisaient disparaître le danger et récupéraient un Trans capable d’emmener du monde dans des conditions de confort nouvelles.
Mais ça demandait un travail considérable. D’autant que Rom démonta les compartiments couchettes ! Les autres comprirent que le chantier durerait un bout de temps…
C’est Prisca qui avait raconté d’elle-même comment s’étaient déroulés son voyage et ses recherches. Romaric ne lui avait pas posé de questions. Mais elle semblait avoir une patience infinie.
Elle avait directement pris contact avec six familles avant de comprendre que c’était une méthode longue et dangereuse. D’autant que sur les six, deux avaient déjà changé d’adresse à la suite d’accidents… trois d’entre elles avaient donné un accord de principe, sans fixer de date pour le retour.
L’une, celle des frères, avait immédiatement accepté. Ensuite Prisca avait modifié sa méthode. Elle avait longuement réfléchi et enregistré, en tridi, un message précis, convaincant apparemment, qu’elle avait adressé par porteur particulier à chacune des familles de la liste, donnant des indications pour la prise de contact.
Là, les résultats avaient été meilleurs. Les familles n’étaient pas prises au dépourvu, avaient le temps de discuter d’examiner les arguments, avant de prendre une décision.
Finalement Prisca affirmait que quinze représentants de la Famille allaient arriver peu à peu.
Rom se demandait que dire aux nouveaux arrivants. Pas question de les faire plonger dans la clandestinité. Vingt et une personnes à nourrir chaque jour, par exemple, représentaient un énorme problème. Un seul chasseur n’y suffirait pas, même en y consacrant tout son temps. Et qui serait capable de chasser, hormis lui-même ?
En revanche, les nouveaux arrivants apportaient une sorte de renfort technicologique. Les frères, déjà, fournissaient une aide importante. Ils avaient des connaissances appréciables et savaient travailler de leurs mains. Dans les nouveaux arrivants il y avait deux techniciens en électronique, notamment un spécialiste des propulseurs, aussi.
Rom n’avait plus le temps de chasser et ils mangeaient des conserves que Pool et Akra allaient renouveler tous les quatre jours.
A leur retour, un après-midi, Pool raconta qu’ils avaient vu un entrepôt de Péral, dans le sud, près de la mer. Des plaques de protéines. Pool expliqua combien il aurait été facile d’y mettre le feu… Romaric ne réagit pas sur le moment mais, en travaillant, il réfléchit.
Quitte à mourir et à être responsable de la mort des autres, pourquoi ne pas profiter d’une dernière occasion ?
Pendant le repas, le lendemain matin, après le réveil, il dit soudain d’une voix monocorde :
— Pool et Diston, vous allez partir avec le petit Trans. Allez à Stajil et interrogez l’ordi fédéral pour connaître toutes les installations que Péral possède sur Stoll II, à quoi elles servent, leur importance, le maximum de détails. Ensuite vous ferez une liste des plus grandes, celles qui ont le plus de valeur économique et vous irez sur place. Étudiez tout, le personnel, les horaires de présence, la facilité d’accès, de jour et de nuit, les chemins de replis.
Tout le monde s’arrêta de manger !
Hal se tourna vers Rom.
— T’as mis l’temps pour accoucher, dis donc. Remarque qu’ça valait l’coup d’attend’. Si j’ai bien compris, tu veux passer en revue les biens de Péral les uns après les autres ?
Rom secoua la tête, le regard sans expression.
— Non, en même temps. Ça ne marchera qu’une fois.
Hal resta la fourchette en l’air. Puis il siffla doucement.
— Vorèle de Vorèle, on fait dans le grand, maintenant. Le gros coup, hein ? C’est ça qui t’tracassait ?
Prisca répondit à sa place.
— Non.
— Ah bon ?… Tu l’sais, toi, gamine !
— Oui.
Romaric leva la tête du côté de la jeune fille et l’observa un moment. Il fut certain qu’en effet elle savait, et s’étonna, justement, de ne pas l’être ! Elle avait deviné et n’avait rien dit. Et son comportement n’avait pas changé. Est-ce qu’elle pensait vraiment qu’ils pourraient sortir de tout ça vivants ?
Non, elle était trop lucide, avait trop d’expérience, elle aussi. Alors ?
Il comprit un moment après en se souvenant de ce qu’elle avait dit en quittant sa maison. Depuis le début elle se doutait qu’ils y laisseraient leur peau ! L’avait toujours su. Donc il n’y avait rien de changé, pour elle. Il l’admira soudain beaucoup plus.
Son isolement l’avait changé. Il vivait à l’intérieur de lui-même, réfléchissait davantage, soliloquait dans sa ; tête. L’impression étrange de vivre avec lui-même ; Comme si « lui-même » était un autre, avec qui discuter, vivre quotidiennement !
Les travaux sur le grand Trans arrivaient à leur fin et Rom pouvait en terminer avec Hal et Akra. La jeune fille était surprenante. Elle parlait peu et montrait une compétence dans beaucoup de domaine.
Prisca était capable de se débrouiller pour des tas de problèmes. Elle savait réparer une machine, avait souvent eu à le faire dans son exploitation. Mais elle ne connaissait pas grand-chose aux systèmes d’énergie, par exemple. Akra, si. Elle vivait seule depuis quatre ans, après la mort de ses parents. Elle n’avait jamais su s’il s’agissait d’un attentat ou d’un véritable accident pour son père. Et sa mère avait attrapé une saleté de virus qui l’avait emmenée en quelques jours. C’est peut-être pourquoi elle avait immédiatement accepté quand Prisca l’avait contactée. Son petit atelier de réparations générales ne la captivait pas.
Les frères furent absents durant douze jours. A leur retour, le Trans était achevé. Il avait une drôle d’allure avec la bulle de l’autre, trop petite, mais pourtant parfaitement étanche. Il ne payait pas de mine et ne laissait certainement pas deviner ses performances.
Parce que finalement ils avaient pu conserver une partie des anciens propulseurs, à côté de ceux de l’appareil de Péral ! Si bien qu’il avait désormais une accélération et une puissance vraiment exceptionnelles. Le système de dépassement d’altitude avait été monté, bien entendu.
A l’intérieur le compartiment couchette avait été installé et tous les sièges fixés dans la zone suivant le siège pilote. Il restait donc une importante surface de chargement, à l’arrière.
Les frères rapportaient des quantités d’informations. Péral possédait pas mal de dépôts dans des petites villes, mais d’importances variables. En revanche, à Stajil, ses bâtiments, dans le secteur du spatioport, étaient vraiment immenses… et pleins.
Stoll II paraissait le lieu de rassemblement de la plupart de ses entreprises. En ce moment il y avait là toute la production de peaux d’un an !
Diston fit les plans des cinq plus grosses installations qu’ils avaient repérées. Ils avaient réellement fait du bon travail, pénétrant dans plusieurs entrepôts de petites villes.
— On y entre facilement, dit Pool. Mais pour que tout pète le même jour ce sera difficile. On n’est pas nombreux…
— Il faudra faire le nécessaire séparément et déclencher les destructions par impulsion radio, intervint Romaric sans passion, comme s’il parlait d’une chose anodine.
— Des explosifs ? fit Hal.
— Non, ça doit être accidentel, sinon la Sécurité mettra tout de suite le paquet.
Ils étaient tous penchés sur les plans, cherchant une idée. Personne ne trouvait et Romaric finit par se lever. Il prit un flingue et grimpa sur le Trall pour aller chasser jusqu’au soir.
Au jour, ils mirent sur pied les attaques contre les entrepôts de Péral.