The Project Gutenberg EBook of Histoire de la vie et de l'administration
de Colbert, by Jean-Pierre Clément

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Title: Histoire de la vie et de l'administration de Colbert

Author: Jean-Pierre Clément

Release Date: November 9, 2008 [EBook #27215]

Language: French


*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DE COLBERT ***




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HISTOIRE

DE LA VIE ET DE L'ADMINISTRATION

DE COLBERT

CONTRÔLEUR GÉNÉRAL DES FINANCES,

MINISTRE SECRÉTAIRE D'ÉTAT DE LA MARINE, DES MANUFACTURES ET DE COMMERCE,

surintendant des bâtiments;

PRÉCÉDÉE D'UNE ÉTUDE HISTORIQUE

SUR NICOLAS FOUQUET,

Surintendant des Finances;

SUIVIE DE PIÈCES JUSTIFICATIVES, LETTRES ET DOCUMENTS INÉDITS;

par

PIERRE CLÉMENT.

image non disponible

PARIS,

GUILLAUMIN, LIBRAIRE,

Éditeur du Journal des Économistes, de la Collection des principaux Économistes, du Dictionnaire du commerce et des marchandises, etc.

rue richelieu, 14.

1846

Corbeil, Impr. de Crété.


TABLE DES MATIERES.

AVERTISSEMENT

NICOLAS FOUQUET, surintendant des finances

HISTOIRE

DE LA VIE ET DE L'ADMINISTRATION DE COLBERT.

CHAPITRE PREMIER.

Causes de l'élévation de Colbert et de l'influence qu'il a exercée pendant son ministère.—Origine plébéienne de ce ministre (1619).—Il est employé successivement dans une maison de commerce de Lyon, chez un trésorier des parties casuelles à Paris, et chez le ministre Le Tellier d'où il entre chez Mazarin (1648).—Sa correspondance avec ce ministre.—Lettre de remercîments qu'il lui adresse et qu'il fait imprimer (1655).—Il est envoyé en mission en Italie (1659).—Conseil qu'il donne à Mazarin au sujet de sa fortune.—Résolution de Louis XIV de gouverner par lui même.

CHAPTER II.

Premières réformes de Colbert.—Diminution des tailles (1661).—Création et composition d'une Chambre de justice.—Des invitations de dénoncer les concussionnaires sont lues dans toutes les églises du royaume.—Amendes prononcées par la Chambre de justice.—Réduction des rentes.—Fermentation que cette mesure cause dans Paris.—Remontrances faites au roi par le conseil de l'Hôtel-de-Ville (1662).—Comment elles furent accueillies.—Résultats financiers des opérations de la Chambre de justice.

CHAPTER III.

Disette de 1662.—Fausses mesures contre les marchands de grains prises par Fouquet et approuvées par Colbert.—Détails sur la création de l'Hôpital général de Paris (1656).—Difficultés que rencontra l'exécution des dispositions relatives à la mendicité.—Création d'un Bureau des pauvres ou maison de travail à Beauvais (1652).—Misère des campagnes constatée par les documents contemporains (1662).—Colbert fait venir des blés à Paris malgré l'opposition des provinces.—Réformes financières de ce ministre (1662).—Ordonnances de comptant.—Pots de vin, reçus et distribués par Louis XIV.—Gratifications données à Vauban, Pélisson, Despréaux, Racine, madame de Montespan, etc.—Traitement et gratifications de Colbert.

CHAPTER IV.

Négociations avec la Hollande, au sujet du droit de 50 sous par tonneau, établi en France sur les navires étrangers.—Causes de la prospérité commerciale de la Hollande vers le milieu du XVIIe siècle.—Bénéfices de la compagnie des Indes orientales de ce pays.—Motifs qu'avait eus Fouquet en rétablissant le droit de tonnage.—L'ambassadeur Van Beuningen vient à Paris pour diriger les négociations.—Ses prétentions sont combattues par Colbert.—Il obtient des concessions importantes.—Une compagnie du Nord, formie par Fouquet et soutenue par Colbert, est obligée de liquider.—Le droit de tonnage et l'Acte de navigation.—Opinions d'Adam Smith et de Buchanan sur les mesures de ce genre.—Sans le droit de tonnage, la création d'une marine en France eût été impossible.—Premiers efforts de Colbert à ce sujet.—Il travaille seize heures par jour pendant la durée de son administration.

CHAPTER V.

Portrait et caractère de Colbert d'après Guy-Patin, Mme de Sévigné, M. de Lamoignon, etc., etc.—Il devient le confident intime de Louis XIV (1663).—Lettre de ce roi à Colbert au sujet de M. de Montespan.—Colbert poursuit ses réformes.—Rédaction des dettes communales.—Abus commis par les maires et échevins.—Troubles en Bourgogne au sujet de la réduction des dettes (1664).—Usurpation et vente des titres de noblesse.—Mesures prises par Colbert pour réprimer ces abus.—Modification du tarif des douanes (1664).—Colbert aurait voulu soumettre la France entière à un tarif uniforme.—Résistances qu'il éprouve.—La douane de Valence.—Promulgation du tarif de 1664.—Organisation douanière du royaume par suite de l'adoption de ce tarif.

CHAPTER VI.

Colbert organise les Compagnies des Indes occidentales et orientales (1664).—Soins qu'il apporte à leur formation.—Appel au public rédigé par un académicien.—Les Parlements et les Villes sont invités à souscrire.—de la Compagnie—- Sacrifices faits en sa faveur par le gouvernement.—Causes du peu de succès qu'elle obtient.—Curieux mémoire de Colbert concernant la Compagnie des Indes occidentales.—Huit ans après sa formation, cette Compagnie est forcée de liquider.—Les Compagnies du Sénégal, du Levant, des Pyrénées et une nouvelle Compagnie du Nord ne réussissent pas davantage.—La Compagnie des Indes orientales est obligée de demander que les particuliers puissent faire le commerce dans tous les pays de sa concession.

CHAPTER VII.

Pensions accordées aux gens de lettres français et étrangers (1663).—Lettre de Colbert à un savant étranger.—But politique de ces pensions.—La Fontaine ne reçut jamais aucune faveur de Colbert.—Création des Académies des Inscriptions et Belles-Lettres, des Sciences, de Sculpture et de Peinture (1663, 1665, 1666).—Colbert est reçu membre de l'Académie Française et prononce un discours de réception (1667)—- Il institue les jetons de présence.—Dépenses de Louis XIV en bâtiments.—Colonnade du Louvre.—Le Bernin à Paris (1665).—Observations de Colbert à Louis XIV au sujet des dépenses faites à Versailles.—Total des dépenses pour constructions sous le règne de Louis XIV.

CHAPTER VIII.

Canal de Languedoc.—Motifs qui en faisaient solliciter l'ouverture.—Proposition faite à Colbert par Riquet (1663).—Difficultés à surmonter.—Le gouvernement discute la question de savoir si le canal doit être fait par l'État ou par un particulier.—Raisons qui font adopter ce dernier parti.—Riquet est en butte à l'envie et au dénigrement de ses concitoyens.—Colbert lui témoigne une véritable amitié.—Dépense totale du canal.—Vers de Corneille à ce sujet.—Canal d'Orléans.

CHAPTER IX.

Système industriel de Colbert.—Organisation des jurandes et maîtrises avant son ministère.—Règlements sur les manufactures et sur les corporations (1666).—État florissant de l'industrie en France de 1480 à 1620.—Le système de Colbert jugé par ses contemporains.—Aggravation du tarif de 1664.—Opposition des manufacturiers aux règlements de Colbert.—Mesures répressives adoptées contre les délinquants.

CHAPTER X.

Population de la France au dix-septième siècle.—Mesures prises par Colbert pour la développer (1666 et 1667).—Obligation imposée aux congrégations religieuses de solliciter, avant de s'établir, l'autorisation du gouvernement (1666).—Suppression de dix-sept fêtes (1666).—Ordonnance pour la réformation de la justice civile (1667).—Règlement général pour les eaux et forêts (1669).—Ordonnance criminelle (1670).—Ordonnance du commerce (1673).—Création d'un lieutenant de police à Paris (1667).—Ordonnances diverses concernant les abus qui se commettaient dans les pèlerinages, les Bohémiens ou Égyptiens, les empoisonneurs, devins et autres (1671 et 1682).—Colbert est chargé officiellement de l'administration de la marine (1669).—Consulats et commerce de la France dans le Levant.—Causes de la décadence de ce commerce.—Circulaire de Colbert aux consuls.—Produits de divers consulats vers 1666.—Diminution des droits perçus par les consuls.—Instructions données par Colbert à l'ambassadeur français à Constantinople pour relever le commerce du Levant.—Le port de Marseille est déclaré port franc par un édit de 1669.—Cet édit rencontre à Marseille une vive opposition.—Un nouveau traité avantageux pour la France est signé avec la Porte, en 1673.

CHAPTER XI.

De la vénalité des offices.—Elle est approuvée par Montesquieu et par Forbonnais.—Colbert supprime un grand nombre d'offices inutiles.—Nombre, valeur et produit des offices pendant son administration.—Ce qu'il fit en faveur de l'agriculture.—Il diminue le taux légal de l'intérêt.—Fait travailler au cadastre et modifie l'assiette de l'impôt.—Édits qui défendent de saisir les bestiaux pour le paiement des tailles.—Rétablissement des haras.—Colbert reconnaît que les peuples n'avaient jamais été aussi chargés auparavant.

CHAPTER XII.

Nouveaux détails sur la disette de 1662.—Mesures adoptées par le gouvernement.—Législation sur le commerce des grains avant Colbert.—Exposition de son système.—Comment il a été défendu et attaqué.—Prix moyen du blé pendant le XVIIe siècle.—Lettres de Colbert relatives au commerce du blé.—Résultats de son système.—Extrême détresse des provinces.—Curieuse lettre du duc de Lesdiguières.—Causes de l'erreur de Colbert touchant le commerce des grains.—Nécessité de combattre par l'enseignement les préjugés qui existent encore à ce sujet.

CHAPTER XII.

Sur l'organisation du Conseil de commerce.—Création d'entrepôts de commerce.—Colbert fait de grands efforts pour que le transit des transports entre la Flandre et l'Espagne ait lieu par la France.—Édit portant que la noblesse peut faire le commerce de mer sans déroger (1669).—Établissement d'une Chambre des assurances à Marseille (1670.)—Ordonnance pour l'uniformité des poids et mesures dans les ports et arsenaux (1671).—Opérations sur les monnaies avant Colbert.—Réformes importantes qu'il introduisait dans cette administration.—Colbert défend l'exportation des méteux précieux.—Commerce de la France avec l'Espagne.—Évaluation du numéraire existant en France à diverses époques.

CHAPTER XIV.

Détails sur la famille de Colbert.—Dot qu'il donna à ses filles.—Ses vues sur le marquis de Seignelay, son fils aîné.—Mémoires que Colbert écrivit pour lui.—Mémoires pour le voyage de Rochefort et pour le voyage d'Italie.—Instruction de Colbert à son fils pour l'initier aux devoirs de sa charge.—Rôle politique de Paris au XVIIe siècle.—Mémoire du marquis de Seignelay annoté par Colbert.—Le marquis de Seignelay obtient la survivance de la charge de son père et la signature, à l'âge de vingt-un ans.—Lettre de reproche que lui adresse Colbert.

CHAPTER XV.

Négociations commerciales avec l'Angleterre en 1655.—Réclamations de cette puissance au sujet de l'augmentation du tarif français en 1667.—En quoi consistait cette augmentation.—Prétentions de l'Angleterre concernant l'empire des mers.—Remarquable lettre écrite à ce sujet par Colbert à son frère, ambassadeur de France à Londres.—Singulières représailles exercées par les Anglais contre les marchands de vins et eaux-de-vie de France.—Reprise des négociations commerciales (1671).—Appréciation, d'après un mémoire manuscrit de 1710, de l'influence exercée par le système protecteur de Colbert.—Contradictions de Colbert sur les conséquences de ce système.—Un écrivain français propose, en 1623, d'établir la liberté du commerce par tout le monde.—Traité d'alliance et de commerce conclu entre la France et l'Angleterre, en 1677.

CHAPTER XVI.

Effets produits en Hollande par l'augmentation du tarif français en 1667.—La vérité sur les médailles frappées dans ce pays.—Causes réelles de l'invasion de la Hollande en 1672.—Correspondance de Van Beuningen relativement à l'élévation des droits d'entrée mis en France sur les marchandises étrangères.—La Hollande use de représailles.—Lettres de Colbert sur ce sujet.—Invasion de la Hollande et ses suites.—Clauses principales des traités d'alliance et de commerce conclus entre la France et la Hollande, en 1678, 1697 et 1713.

CHAPTER XVII.

Budget des dépenses de l'année 1672.—Mesures financières et affaires extraordinaires nécessitées par la guerre.—Énormes bénéfices des traitants dans ces sortes d'affaires.—Création de nouveaux offices nuisibles à l'agriculture et à l'industrie.—Colbert force tous les corps d'états à s'organiser en communautés, moyennant une taxe.—Il met pour la première fois les postes en ferme et fait adopter un nouveau tarif.—L'État s'empare du monopole du tabac.—Émission de nouvelles rentes.—Opinion de Colbert, de Louvois et de M. de Lamoignon sur les emprunts.—Création de la caisse dite Caisse d'emprunt.—Au retour de la paix, Colbert s'empresse de rembourser les rentes émises à un taux onéreux.—Résumé des opérations financières de son administration.—Projet qu'il avait de régler toujours les dépenses sur les recettes.

CHAPTER XVIII.

Des Parlements et des États généraux des provinces pendant l'administration de Colbert.—Opposition du Parlement et des États de Bourgogne.—Détails sur les dons gratuits.—Dix membres des États de Provence sont exilés en Normandie et en Bretagne.—Le Parlement de Paris.—Colbert propose au roi de donner des gratifications à ceux de la Compagnie qui ont bien servi.—Réponse de Louis XIV à ce sujet.—Un président de Chambre du Parlement de Toulouse est exilé.—Lettre de Louis XIV relative à l'impôt sur le papier timbré rétabli depuis la guerre.—Révolte de Bordeaux en 1548.—Nouvelle révolte au sujet d'une marque établie sur la vaisselle d'étain.—Curieux détails fournis par un commis du receveur général de Bordeaux.—Lettre de l'intendant de Guyenne à Colbert.—L'agitation gagne les provinces limitrophes.—Une nouvelle tentative d'insurrection est sévèrement réprimée à Bordeaux.—Troubles en Bretagne.—Lettres de M. de Chaulnes, gouverneur de la province, de M. de Lavardin, lieutenant général, de Mme de Sévigné.—Opposition et exil du Parlement.—Punition et penderie des révoltés.

CHAPTER XIX.

État déplorable de la marine française à la fin du XVIe siècle.—Elle est organisée par le cardinal de Richelieu.—Son dépérissement pendant la minorité de Louis XIV.—Situation dans laquelle la trouve Colbert.—Premier essai du régime des classes.—Recensement de la population maritime du royaume à diverses époques.—Matériel de la flotte en 1661, en 1678, en 1683, etc.—Prétentions de la France à l'égard des puissances maritimes d'un ordre inférieur.—Lettre de Colbert relative au caractère de Duquesne.—La vieille et la nouvelle marine.—Lettre de Colbert sur un rapport de M. d'Estrades concernant la bataille navale de Solsbay en 1672.—Colbert félicite Duquesne d'un avantage signalé que celui-ci a remporté sur l'amiral hollandais Ruyter.—Ordonnance de la marine de 1681.—Par qui elle fut élaborée.—Principes de Colbert sur les principales questions de l'administration maritime.

CHAPTER XXe ET DERNIER.

Nouveaux détails sur le caractère de Colbert.—Sa tolérance à l'égard des manufacturiers protestants.—Son despotisme dans le Conseil.—Il fait arrêter et juger deux fabricants de Lyon qui voulaient s'établir à Florence.—Lettre de Colbert relative aux Gazettes à la main.—Il veut faire fermer le jardin des Tuileries au public.—Il destitue un receveur général, son ancien camarade.—Étrange lettre qu'il écrit au sujet d'un procès qu'un de ses amis avait à Bordeaux.—Disgrâce de M. de Pomponne.—Il est remplacé par Colbert de Croissy, frère du ministre.—Colbert au Jardin des Plantes.—Le roi lui adresse une réprimande sévère.—Louanges prodiguées à Louis XIV par ses ministres.—Lettre de Colbert pour le féliciter de la prise de Maestricht.—Louis XIV et l'État.—Colbert est menacé de disgrâce.—Louis XIV lui reproche en termes fort durs le prix excessif de la grande grille de Versailles.—Colbert tombe malade et meurt.—Lettre de madame de Maintenon sur les circonstances de sa mort.—La haine que lui portait le peuple de Paris était telle qu'on est obligé de l'enterrer sans pompe et dans la nuit.—Vers que l'on fait contre lui après sa mort.—Sully, Richelieu, Mazarin, Colbert et Turgot ont été impopulaires.—Parallèle entre Sully et Colbert, par Thomas.—Titres de Colbert à la reconnaissance publique.

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

MÉMOIRES, INSTRUCTIONS, LETTRES ET DOCUMENTS DIVERS.

  • Édits, ordonnances, déclarations, arrêts, lettres patentes, concernant les finances, le commerce, la marine, la justice, etc., rendus depuis 1660 jusqu'en 1683 (Administration de Colbert).—Pièce nº I.
  • MÉMOIRES SUR LES AFFAIRES DES FINANCES DE FRANCE POUR SERVIR A L'HISTOIRE (manuscrit original de Colbert).—Pièce nº II.Inédite.
  • LE CID ENRAGÉ, comédie.—Pièce nº II bis.Inédite.
  • VERSION DU 118e PSEAUME DE DAVID.—(Manuscrit original de Fouquet).—Pièce nº III.Inédite.
  • Vers latins attribués à Fouquet.—Pièce nº IV.
  • Note communiquée à M. Eugène Sue par la famille de Colbert—Pièce nº V.
  • Généalogie de la famille de Colbert.—Pièce, nº VI.
  • ÉDIT PORTANT NOMINATION D'UNE COMPAGNIE DE COMMERCE POUR LE NORD.—Pièce nº VII.Inédite.
  • RÈGLEMENT CONCERNANT LES DÉTAILS DONT M. COLBERT EST CHARGÉ COMME CONTRÔLEUR GÉNÉRAL ET SECRÉTAIRE D'ETAT, ayant le département de la marinePièce nº VIII.
  • COMMERCE DE LA FRANCE AVEC L'ESPAGNE.—Instruction pour le comte de Vauguyon, ambassadeur extraordinaire en Espagne.—Pièce nº IX.Inédite.
  • MÉMOIRE POUR MON FILS, SUR CE QU'IL DOIBT OBSERVER PENDANT LE VOYAGE QU'IL VA FAIRE A ROCHEFORT.—Pièce nº X.
  • INSTRUCTION POUR LE MARQUIS DE SEIGNELAY S'EN ALLANT EN ITALIE.—Pièce nº XI.Inédite.
  • INSTRUCTION POUR BIEN FAIRE LA 1re COMMISSION DE MA CHARGE.—Pièce nº XII.
  • Lettres Inédites de Colbert sur la marine, le commerce et les manufactures.—Pièce Nº XIII.
  • INVENTAIRE FAIT APRÈS LE DECEDZ DE MONSEIGNEUR COLBERT.—Pièce nº XIV.Inédite.
  • Indication des manuscrits et ouvrages imprimés qui ont été consultés pour l'Étude sur Fouquet, et l'Histoire de Colbert.—Pièce nº XV.s
  • NOTES

FIN DE LA TABLE.


AVERTISSEMENT.


J'avais entrepris une série d'études historiques sur l'administration des surintendants, contrôleurs généraux et ministres des finances célèbres. Arrivé à l'administration de Colbert, je me suis aperçu que ce sujet, infiniment plus vaste que je n'avais cru à un premier examen, m'entraînerait bien au delà des limites que je m'étais d'abord imposées, et, au lieu de quelques articles, j'ai fait un livre. C'est celui que j'offre au public[1].

Il existe de nombreux et excellents travaux sur Colbert. Forbonnais, de Montyon, Lemontey, et plus récemment, MM. Villenave, Bailly, Blanqui, de Villeneuve-Bargemont, d'Audiffret, de Serviez, semblaient avoir épuisé ce sujet[2]. Cependant, en remontant aux documents originaux et contemporains, soit manuscrits, soit imprimés, j'ai reconnu qu'il y avait là une mine des plus riches à peine entamée, et j'ai essayé, grâce à eux, de sortir du vague et des généralités à l'égard d'un certain nombre de questions importantes que la connaissance de ces documents pouvait seule permettre d'approfondir.

Aucun ministre n'a laissé plus de matériaux à l'histoire que Colbert. Non-seulement il enrichit la Bibliothèque royale des magnifiques collections manuscrites de Béthune, de Brienne, de Gaston duc d'Orléans, de Mazarin, mais il fit copier dans toute la France, sous la direction des hommes les plus érudits, les titres et autres monuments historiques conservés dans les archives des provinces. En même temps, son bibliothécaire, Étienne Baluze, dont les bibliophiles ne prononcent le nom qu'avec respect, recueillait par ses ordres une quantité prodigieuse de documents politiques concernant tous les points de l'administration. «Marine, commerce, bâtiments, finances, police, affaires étrangères, correspondances diplomatiques, en un mot, dit M. Paulin Paris dans son Catalogue raisonné des manuscrits français de la Bibliothèque du Roi, tous les rouages du gouvernement françois sous le règne de Louis XIV semblent réunis dans cette collection de plus de six cents volumes presque tous in-folio.» Après avoir appartenu d'abord à la famille de Colbert, cette riche collection fut, en 1732, proposée à Louis XV qui en dota la France, moyennant cent mille écus[3].

Dans le nombre des manuscrits originaux de Colbert que possède la Bibliothèque royale, il en est quelques-uns qui ont surtout une grande valeur.

Je citerai d'abord un volume de lettres de Colbert à Mazarin avec les réponses de ce dernier en marge[4]. Ces lettres sont inédites et j'y ai fait de nombreux emprunts.

Une autre collection de pièces originales désignée sous ce titre: Colbert et Seignelay, renferme les documents historiques les plus précieux[5]. Ces pièces au nombre de 403 sont presque toutes émanées de Colbert même; aussi ce n'est pas une médiocre difficulté d'en pénétrer le sens, car le grand ministre avait l'écriture la plus difficile à lire qui se puisse voir. La collection dont il s'agit, spéciale à la marine, paraît avoir été détachée de la grande collection de Colbert, en 1732, époque où celle-ci fut cédée au roi, et elle n'a été acquise par la Bibliothèque royale que depuis sept à huit ans. Restée en cartons et par pièces détachées jusqu'à ces derniers temps, elle a été récemment disposée en volumes avec tout le soin qu'elle réclamait, et ce n'est que depuis peu de mois qu'il a été possible de la consulter dans son ensemble. Cette collection est précédée d'un catalogue où l'on trouve l'analyse sommaire de chaque pièce, travail important, ingrat, en raison de la difficulté dont je parlais tout à l'heure, et qui a été exécuté avec beaucoup de discernement.

Enfin, la Bibliothèque royale possède les originaux d'un nombre considérable de lettres adressées à Colbert pendant toute la durée de son administration, depuis 1660, moins les six dernières années (de 1678 à 1683) qui manquent. On ne saurait se figurer, à moins de l'avoir parcourue, l'importance de cette collection qui renferme près de vingt mille lettres écrites par les personnages les plus considérables de l'époque, princes, amiraux, archevêques, gouverneurs, intendants, etc., etc., et qui remplit de deux à quatre volumes par année. La collection de ces lettres où j'ai puisé un grand nombre de matériaux inédits, est désignée habituellement sous le titre de Collection verte, à cause de sa reliure en parchemin vert. Ces lettres sont celles que Baluze fut chargé de recueillir et de classer. Seulement, il paraît constant qu'en faisant ce travail, Baluze mettait à part les lettres traitant les affaires secrètes, réservées, et celles-là n'ont pas été retrouvées. Il en est de même de la correspondance adressée à Colbert pendant les six dernières années qui précédèrent sa mort, correspondance dont la perte fait dans cette précieuse collection un vide très-regrettable et très-fâcheux.

Je ne parle pas d'un grand nombre d'autres manuscrits originaux que M. Champollion-Figeac, conservateur du département des Manuscrits à la Bibliothèque royale, a bien voulu me désigner et mettre à ma disposition avec une bienveillance dont je suis heureux de lui exprimer ici ma vive gratitude. On les trouvera mentionnés, soit dans les divers chapitres de ce livre, soit à la fin même du volume où j'ai indiqué, dans une sorte d'appendice bibliographique, tous les manuscrits et ouvrages imprimés que j'ai consultés tant pour l'histoire de Colbert que pour l'étude sur Fouquet[6].

On me permettra de mentionner encore le riche dépôt national des Archives du royaume où j'ai trouvé, dans les sections de Législation et d'Histoire, de précieux documents sur l'administration de Colbert, notamment sur quelques-unes de ses réformes financières et sur une réduction des rentes qui eut lieu en 1661.

Il est encore d'autres documents manuscrits qui m'ont été d'un grand secours, et au sujet desquels il est nécessaire de donner quelques explications: ce sont les Registres des despesches concernant le commerce pendant plusieurs années du ministère de Colbert, registres que l'on verra cités très-souvent, et qui jettent beaucoup de jour sur cette partie si importante de son administration. Ces registres qui ne sont autre chose que la copie des lettres de Colbert sur le commerce remplissent huit volumes in-folio, et la collection, on va le voir, est bien loin d'être complète.

Le premier volume, comprenant l'année 1669, appartient à la Bibliothèque royale et porte le nº 204 du fonds d'environ six cents volumes dit Petit fonds Colbert. Il est relié en maroquin rouge, marqué aux armes de Colbert, et a pour titre: Registre des despesches concernant le commerce tant dedans que dehors le royaume; année 1669.

Les sept autres volumes appartiennent aux Archives de la marine dont il m'a été permis de consulter les trésors, grâce aux bienveillantes dispositions de M. le baron de Mackau, ministre de la marine, et à l'extrême obligeance de M. d'Avezac, à qui la garde de ces riches Archives est confiée. Les premier et deuxième volumes de la collection de la marine sont intitulés: Expéditions concernant le commerce de 1669 à 1683. Ces deux volumes ne sont ni de la même copie, ni de la même reliure, ni marqués aux mêmes armes que le volume de la Bibliothèque royale. Tout porte à croire qu'ils sont postérieurs à Colbert et qu'ils ont été copiés d'après les ordres d'un de ses successeurs, pour remplir quelques lacunes. Le premier de ces volumes renferme, entre autres documents, un certain nombre de pièces envoyées à Colbert par le savant Godefroy, archiviste de la Chambre des comptes de Lille, sur le commerce de cette ville et des possessions espagnoles qui venaient d'être incorporées à la France.

Les cinq autres volumes de la collection de la marine ressemblent exactement pour la copie, la reliure, les armes, à celui de la Bibliothèque royale dont ils sont évidemment la continuation, et comme lui, portent pour titre: Registre des despesches concernant le commerce, année...

Deux de ces volumes renferment la correspondance de 1670, les deux suivants, celle de 1671, le cinquième celle de 1672.

La collection des registres spéciaux concernant le commerce s'arrête là.

Il manque donc, pour apprécier dans son ensemble l'administration de Colbert, en ce qui regarde la direction des affaires commerciales, les volumes renfermant sa correspondance sur ces affaires, de 1661 à 1669, et de 1675 à 1683.

Son administration comprend vingt-deux années, et l'on ne possède en entier sa propre correspondance touchant les affaires du commerce que pendant quatre années seulement.

Cependant, pour ceux qui connaissent le soin excessif avec lequel Colbert conservait les documents relatifs à son administration et l'attention qu'il avait de viser lui-même en marge la copie de toutes ses lettres, il est évident que les registres qui manquent ont existé. Mais toutes mes recherches pour les retrouver ont été infructueuses, et j'ai dû me borner à faire des vœux pour que cette lacune si regrettable soit comblée un jour par de plus heureux que moi[7].

En attendant, la collection des lettres originales adressées à Colbert, de 1660 à 1677, que possède la Bibliothèque royale (Collection verte), m'a servi, à défaut des lettres mêmes de Colbert, à éclaircir bien des points importants. Enfin, j'ai encore trouvé, aux Archives de la Marine, plusieurs lettres relatives au commerce, dans un volume manuscrit grand in-folio de 700 pages, ayant pour titre: Extraits des despesches et ordres du Roy, concernant la marine sous le ministère de M. Colbert, depuis l'année 1667, jusques et y compris l'année 1683.

Qu'il me soit permis d'ajouter que l'auteur des Recherches et considérations sur les finances, Forbonnais, à qui l'on doit l'étude la plus complète qui ait été faite jusqu'à présent, sur l'admiinistration de Colbert, n'a connu que le Registre des despesches de 1669. Quant aux écrivains qui ont traité le même sujet après lui, je crois pouvoir dire ici, dans le seul but de constater l'exactitude de mes recherches, qu'ils n'ont remonté ni aux sept volumes des Archives de la marine, ni à la collection des 403 pièces relatives à la marine, désignée sous le titre de Colbert et Seignelay, ni enfin aux volumineux documents de la Collection verte[8].

Je pourrais faire la même observation au sujet de l'étude sur Fouquet, qui renferme, entre autres pièces inédites: 1º des lettres de ce ministre sur les dépenses qu'il faisait à Vaux et dont il cherchait à dissimuler l'importance à Louis XIV, à Mazarin, à Colbert; 2º la copie textuelle d'un projet de révolte écrit de sa main, dans le cas, qu'il avait prévu, où l'on voudrait lui faire son procès; projet qui devint le chef principal de l'accusation; 3º la traduction d'un psaume de David, écrite aussi en entier par lui pendant sa captivité, avec des réflexions sur sa position, des notes marginales, et le texte latin en regard[9].

Il me reste à ajouter quelques mots pour aller au-devant d'un reproche qu'on fera peut-être à cette histoire, malgré le soin extrême que j'ai mis à ne pas le mériter. Partisan de la liberté commerciale, persuadé qu'un des premiers devoirs des gouvernements est de ménager leur entier développement aux aptitudes naturelles dont la Providence semble avoir doué chaque pays, dans des vues de confraternité et de bien-être, malheureusement trop méconnues jusqu'à ce jour, je me suis attaché, néanmoins, dans l'appréciation des actes de Colbert qui se rapportent à ces graves questions, à me tenir en garde contre tout ce qui aurait pu ressembler à un esprit de système, à un parti pris. En un mot, j'ai recherché les faits avec une entière bonne foi, je n'en ai omis aucun de quelque importance, je les ai exposés avec une impartialité rigoureuse; puis, toutes les fois que cette impartialité, mon unique engagement, m'a imposé l'obligation de signaler ce qui me paraissait faire tache dans la brillante et laborieuse carrière de l'illustre ministre dont j'écrivais l'histoire, j'ai voulu que le blâme découlât, non pas seulement des assertions souvent erronées ou passionnées des contemporains, mais encore des faits et des pièces les plus authentiques. Le système industriel de Colbert, désigné plus tard sous le nom de Colbertisme, de système mercantile ou protecteur, a puissamment contribué sans doute à mettre la France au premier rang des nations manufacturières du globe. Quant à l'influence qu'il exerça sur la classe agricole et sur le développement de la richesse nationale, l'examen attentif et approfondi des faits démontrera, je crois, qu'elle fut loin d'être aussi heureuse que Colbert l'avait espéré et qu'on le pense encore communément.

La France entrera bientôt, je l'espère, avec mesure, mais aussi avec fermeté, dans la période décroissante du système protecteur. Un des hommes qui ont été chargés, au commencement de ce siècle, de lui communiquer une nouvelle impulsion, et qui, plus tard, s'est rendu compte de ses effets avec la double autorité que donnent l'intelligence et la pratique des affaires, M. le comte Chaptal, ancien ministre de l'intérieur sous l'Empire, a fait, à ce sujet, en 1819, quelques observations très-judicieuses qu'il ne sera pas inutile de rappeler ici.

«Si cette lutte entre les nations était trop prolongée, a dit l'ancien ministre de Napoléon, si cette tendance à se replier, à se concentrer, à s'isoler, pouvait se maintenir, les relations commerciales, qui ne consistent que dans l'échange des produits respectifs, cesseraient, le commerce ne serait plus qu'un déplacement de marchandises sur la portion de territoire qu'occupe une nation, et l'industrie aurait pour bornes les seuls besoins de la consommation locale.

«Ce système d'isolement, qui menace d'envahir toute l'Europe, est également contraire au progrès des arts et à la marche de la civilisation; il rompt tous les liens qui, unissant les nations entre elles, en faisaient une grande famille dont chaque membre concourait au bien général....[10]»

Tout en faisant ressortir les fâcheux effets du système prohibitif, dès son origine même, je n'ai eu garde, on en trouvera la preuve à chaque page de ce livre, de méconnaître les immenses services rendus à la France par Colbert, et je crois avoir toujours montré, au contraire, pour cette grande figure historique, tout le respect qu'elle commande à tant de titres. Colbert a été, d'ailleurs, un ministre presque universel, et s'il a commis quelques erreurs graves, erreurs qui furent en partie le fruit des préventions et de l'inexpérience du temps où il a vécu, l'époque qu'il a remplie de son influence n'en sera pas moins, dans la durée des siècles, une des plus brillantes de nos annales. En effet, de 1661 à 1683, la France présente un admirable spectacle. Aux tiraillements et aux désordres nés de cette singulière révolte, démocratique par la base, féodale au sommet, qu'on nomme la Fronde, succède tout à coup l'autorité la mieux assise, la plus respectée. L'unité du pouvoir, demeurée jusqu'alors, on peut le dire, à l'état d'abstraction, passe dans les faits; la centralisation s'organise. Les finances, cette difficulté incessante de l'ancienne monarchie, sont administrées avec une probité et une intelligence inconnues depuis Sully; les lois civiles, criminelles, commerciales, sont refondues et mises en harmonie avec l'esprit du temps. Comme une autre Minerve, la marine sort tout armée, en quelque sorte, du cerveau de Colbert, et c'est là, sans contredit, le plus beau titre de ce ministre à la reconnaissance nationale. En même temps, Molière et La Fontaine, Bossuet et Racine, Claude Perrault, Mansard, Lebrun, rivalisent de chefs-d'œuvre; les merveilles improvisées de Versailles étonnent l'Europe, et le canal de Languedoc, entreprise alors gigantesque, dont l'ancienne Rome elle-même eût été fière, unit la Méditerranée à l'Océan. Comment le siècle qui peut s'enorgueillir d'avoir produit de tels hommes et qui a vu s'accomplir ces grandes choses, ne serait-il pas toujours un grand siècle? Et pourtant, celui qui secondant avec le plus d'intelligence l'esprit d'autorité et les vues de Louis XIV, marcha à la tête de ce mouvement, excita, encouragea ces hommes, et coopéra le plus puissamment à l'œuvre commune; celui-là a été poursuivi jusque dans la tombe par la haine du peuple qu'il aimait, qu'il fut impuissant à protéger contre les terribles suites de la guerre, et qui troubla ses funérailles. Car, il faut bien le dire, puisque c'est la vérité, peu de ministres ont été aussi impopulaires que Colbert, et cette impopularité fut telle, qu'un de ses successeurs, M. de Maurepas, a dit de loi, «que le peuple de Paris l'aurait déchiré en pièces, si l'on n'eût eu la précaution d'assembler tous les archers de la ville pour garder son corps.» Triste et à jamais déplorable témoignage des égarements de la multitude et de l'injustice des contemporains!


NICOLAS FOUQUET,

surintendant des finances[11].


Le 17 août 1661, des milliers de carrosses armoiriés encombraient la route de Paris à Vaux-le-Vicomte, situé à quelques lieues de Melun. Vaux-le-Vicomte appartenait, depuis quelques années au surintendant des finances, qui, ce jour-là, y donnait au roi Louis XIV une fête à laquelle la reine mère, Madame et Monsieur assistaient aussi. Six mille invitations avaient été distribuées, non-seulement dans la France entière, mais dans l'Europe, et l'on s'y était rendu avec un empressement qu'expliquaient et justifiaient de reste la magnificence bien connue de Fouquet, les merveilles de Vaux et le bruit partout répandu que le roi avait promis d'assister à cette fête, honneur insigne où tout le monde voyait en quelque sorte le gage de la nomination prochaine du surintendant au grade de premier ministre. A aucune époque, en France, la passion pour les constructions monumentales n'a été poussée aussi loin qu'au XVIIe siècle, et cette passion, dont Louis XIV hérita de Fouquet, celui-ci la possédait à un degré qui, chez un particulier, touchait à la folie. Trois villages démolis et rasés pour arrondir le domaine de Vaux et le rendre digne des bâtiments de Le Vau, des jardins de Lenôtre, des peintures de Lebrun, disent assez quelle devait être son importance. Il est vrai que 9 millions de livres, monnaie du temps, avaient à peine suffi à cette œuvre vraiment royale; mais au moins le but avait été atteint, et ni le Palais-Royal, ni le Luxembourg, ni les châteaux de Saint-Cloud et de Fontainebleau ne pouvaient, pour la grandeur des bâtiments, le nombre et la décoration des appartements, être comparés à Vaux. Mademoiselle de Scudéry raconte qu'on découvrait du perron «tant de fontaines jaillissantes et tant de beaux objets se confondant par leur éloignement, que l'œil était ébloui. Devant soi c'étaient de grands parterres avec des fontaines et un rond d'eau au milieu; puis, à droite et à gauche, dans les carrés les plus rapprochés, d'autres fontaines qui, par des artifices d'eau, divertissaient agréablement les yeux.» Mademoiselle de Scudéry ajoute que «les innombrables figures des bassins jetaient de l'eau de toutes parts et faisaient un très-bel objet, sans compter que toute cette immense étendue d'eau était couverte de petites barques peintes et dorées par où l'on entrait dans le grand canal.» Terminons cette description d'un narrateur quelque peu enthousiaste; et sur lequel les largesses du surintendant exerçaient sans doute leur magique influence, par un renseignement plus significatif. Cent ans après la fête donnée par Fouquet, le duc de Villars, alors propriétaire du château de Vaux, songea à tirer parti des tuyaux de plomb, enfouis sous terre, qui distribuaient l'eau aux différentes pièces depuis longtemps dégradées et hors de service. Combien pense-t-on qu'il les vendit? 490,000 livres; environ 1 million d'aujourd'hui.

Cependant le roi était-arrivé. Sur sa prière, Fouquet lui fit d'abord visiter les parties principales du château. A chaque pas, Louis XIV voyait sur les panneaux, aux plafonds, un écusson au milieu duquel étaient dessinées les armes de Fouquet, représentant un écureuil à la poursuite d'une couleuvre, avec cette orgueilleuse devise qui lui fut depuis si funeste: Quò non ascendet? En même temps, les courtisans répétaient entre eux, à voix basse, que la couleuvre était là pour Colbert, dans les armes duquel elle figurait en effet. A mesure que le luxe de ces somptueux appartements se déroulait devant lui, le roi sentait naître en son cœur le désir de faire arrêter le surintendant au milieu même de ces merveilles de l'architecture et des arts, preuves parlantes de ses folles dépenses. Ce n'est pas tout: au milieu d'une allégorie peinte par Lebrun, le roi vit, dit-on, le portrait de mademoiselle de La Vallière, à laquelle on prétend que Fouquet avait eu l'audace de faire faire d'insolentes propositions par une madame Duplessis-Bellière, sa confidente. Louis XIV avait alors vingt-trois ans et il aimait passionnément mademoiselle de La Vallière. Sans l'intervention d'Anne d'Autriche, il aurait immédiatement donné cours à son ressentiment. Quelques sages raisons de la reine mère calmèrent cet orage, et la fête n'en fut pas visiblement troublée. Depuis quelque temps, les italiens avaient importé en France la mode des loteries. Les objets que Fouquet offrit de la sorte à ses invités avaient tous une grande valeur; c'étaient des bijoux, des costumes et des armes de prix; il y avait jusqu'à des chevaux. Dans l'après-midi, à un signal donné par le roi, les eaux jouèrent, les bassins se remplirent, des milliers de gerbes liquides s'épanouirent dans l'air aux feux du soleil, qui en faisait autant d'arcs-en-ciel, et ce fut une admiration générale, sincère. Cette multitude d'acteurs de bronze fut applaudie comme auraient pu l'être des acteurs vivants. Vint ensuite le dîner, dont la dépense fut plus tard évaluée à 120,000 livres, dîner fastueux, vraiment royal, qui n'a peut-être jamais eu son pareil; car, je l'ai déjà dit, six mille personnes y assistèrent, et il avait été dirigé par Vatel. C'est de ce splendide dîner que le scrupuleux et impassible marquis de Dangeau a dit dans son journal: «Au dîner du sieur Fouquet, le 17 août 1661, il y avait une superbe montagne de confiture.» Le dîner fini, la comédie eut son tour. On avait dressé au bas de l'allée des Sapins un théâtre sur lequel on joua pour la première fois les Fâcheux, de Molière. Pélisson, le secrétaire particulier, l'homme de confiance, l'ami intime de Fouquet, qui, de simple poëte et homme de lettres, en avait fait en peu de temps un conseiller à la cour des aides, Pélisson avait composé un prologue pour la circonstance. Écoutons La Fontaine: «Au milieu de vingt jets d'eau naturels s'ouvrit cette coquille que tout le monde a vue. L'agréable naïade (c'était la Béjart) qui parut dedans s'avança au bord du théâtre, et, d'un air héroïque, prononça les vers que Pélisson avait faits.»

Pour voir en ces beaux lieux le plus grand roi du monde,
Mortels, je viens à vous de ma grotte profonde....
Jeune, victorieux, sage, vaillant, auguste,
Aussi doux que sévère, aussi puissant que juste....
Vous le verrez demain, d'une force nouvelle,
Sous le fardeau pénible où votre voix l'appelle,
Faire obéir les lois....

Tels étaient les éloges que le poëte de Fouquet prodiguait à Louis XIV, au roi juste, mais sévère; et le roi de sourire, et toute la cour d'applaudir. Où était en ce moment la comédie la plus piquante, la plus curieuse? Cependant Fouquet avait été prévenu par madame Duplessis-Bellière du projet que le roi avait eu un moment de le faire arrêter au milieu même de la fête. Mais comment croire à un pareil dessein? Le roi ne lui avait-il pas répété peu de temps auparavant, qu'il lui pardonnait toutes les irrégularités que la difficulté des temps l'avait pu obliger de commettre. A quoi bon s'effrayer? Évidemment, tous ces bruits étaient semés par des envieux, ses ennemis, les créatures de Le Tellier et de Colbert. Fouquet s'endormit dans ces illusions.

Nicolas Fouquet était né à Paris en 1615. Son père, François Fouquet, négociant renommé, riche armateur de la Bretagne, avait fait longtemps le commerce avec les colonies. Ses connaissances spéciales le mirent en relation avec le cardinal de Richelieu, qui le fit entrer dans le conseil de marine et du commerce. Il fut le seul juge du maréchal de Marillac qui n'opina point à la mort, et, contre toute attente, le cardinal de Richelieu lui sut gré, dit-on, de sa probité et de son courage[12]. Quand Fouquet eut vingt ans, son père lui acheta une charge de maître des requêtes au Parlement. Puis, quinze ans après, celle de procureur général étant devenue vacante, l'abbé Fouquet, fort avant dans les bonnes grâces du cardinal Mazarin, obtint de lui que son frère en fût investi. Dans le Parlement, Fouquet rendit de bons services au cardinal. On raconte, en outre, qu'il était fort exact à poursuivre tous ceux qui écrivaient contre ce ministre, et qu'il fut chargé, pendant quelques années, de la police de Paris. Au mois de février 1653, le duc de la Vieuville, surintendant des finances, étant mort, sa charge fut partagée entre Fouquet et Servien. Ce dernier mourut au mois de février 1659. Le préambule de l'ordonnance du roi, en date du 21 février 1659, qui conféra à Fouquet la pleine et entière possession de la surintendance, mérite d'être reproduit:

«La confiance que nous avons en votre personne, éprouvée pendant six années en fonction, la prudence et le zèle que vous avez fait connaître, l'assiduité et la vigilance que vous avez apportées en votre place, l'expérience que vous y avez acquise, et l'épreuve que nous avons faite de votre conduite en cet emploi et en plusieurs autres occasions pour notre service nous donnent toutes les assurances que non-seulement il n'est pas nécessaire de partager les soins de cette charge et de vous en soulager par la jonction d'un collègue, mais aussi qu'il importe au bien de notre État et de notre service, pour la facilité des affaires et la promptitude des expéditions, que l'administration de nos finances ne soit pas divisée, et que, vous étant entièrement commise et à vous seul, Nous en serions mieux servis et le public avec Nous[13]

Il n'était pas possible, on le voit, de recevoir des lettres d'investiture plus flatteuses et plus brillantes. Au surplus, bien avant la mort de son collègue, Fouquet était déjà chargé des fonctions les plus importantes de la surintendance, c'est-à-dire du recouvrement des fonds. Servien n'avait dans ses attributions que la dépense. Or, le recouvrement des fonds présentait souvent, à cette époque, des difficultés inouïes; car, les revenus de l'État étant d'ordinaire dépensés deux ou trois ans à l'avance, il s'agissait de décider les financiers, traitants et partisans, à prêter des sommes considérables sans garantie bien certaine et sous la menace incessante d'une banqueroute. Il y en avait eu une très-fâcheuse en 1648, le cardinal Mazarin ayant fait donner aux créanciers de l'État des billets payables sur des fonds depuis longtemps épuisés, ce qui était une véritable dérision et le plus sûr moyen de rendre les financiers encore plus exigeants, lorsqu'on aurait de nouveau besoin d'eux. Par malheur, grâce aux dépenses de la guerre, à l'insatiable avidité de Mazarin, à l'impéritie et à la cupidité des surintendants ou de leurs commis, enfin à la disproportion constante entre les recettes et les dépenses, les financiers, auxquels de temps en temps on faisait rendre gorge, que l'on emprisonnait, que l'on pendait parfois, étaient les hommes les plus nécessaires, les plus recherchés du pays. Ils avaient en quelque sorte entre leurs mains les résultats de la guerre, le triomphe ou la défaite; ils le savaient, en abusaient, et, on ne saurait trop le redire, les abus engendrant les abus, tous ceux qui avaient affaire aux financiers, s'inspirant le mieux possible de leurs exemples, dilapidaient, gaspillaient, s'enrichissaient comme eux, à qui mieux mieux.

En 1653, époque à laquelle Fouquet fut appelé à la surintendance des finances conjointement avec Servien, sa fortune personnelle s'élevait, d'après sa propre estimation, à 1,600,000 livres, y compris la valeur de sa charge de procureur général, sur laquelle il devait encore plus de 400,000 liv. De 1653 à 1661, son emploi de surintendant lui rapporta, d'après son aveu, 3,150,003 liv., à peu près 400,000 liv. par an. En outre, il fut reconnu, au moment de sa disgrâce, qu'il avait emprunté environ 12 millions, et il disait lui-même à ce sujet: «Que mes ennemis se chargent de tous mes biens, à condition de payer mes dettes; je leur laisse le reste.» D'un autre côté, il résulta du dépouillement de ses comptes que Vaux seulement lui avait coûté plus de 9 millions en achats de terrain, constructions, meubles et embellissements. Il avait aussi fait des dépenses considérables à sa maison de plaisance de Saint-Mandé, à sa maison de ville, située à l'extrémité de la rue des Petits-Champs, et aux fortifications de Belle-Isle-sur-Mer, dont il avait acheté le gouvernement de la duchesse de Retz; de plus, il possédait un grand nombre de terres d'une moindre valeur. Les dépenses de sa maison, exagérées sans aucun doute, étaient estimées à 4 millions par an. Enfin, ses ennemis allaient partout répétant qu'il avait des émissaires, des ambassadeurs particuliers dans les principales villes de l'Europe, et qu'il payait de sa propre cassette plusieurs millions de pension à ses amis de la cour et des provinces, et aux personnages les plus puissants du royaume, pour s'en faire des créatures dévouées dans l'occasion. Que ces accusations fussent envenimées, grossies par la malveillance et la calomnie, on n'en saurait douter. Mais, même à voir les choses sans passion, il était évident que Fouquet dépensait des sommes exorbitantes, sans proportion avec la fortune d'un particulier, et que, ni le revenu de ses charges, ni son bien, ni celui de sa femme, n'y pouvaient suffire. D'où venaient-elles donc?

C'est ici le lieu d'expliquer le curieux mécanisme des opérations financières de cette époque, mécanisme plein de complications, machine confuse, surchargée de rouages, mais dont la description est indispensable pour l'intelligence du procès de Fouquet, et sur lesquels on possède, du reste, les renseignements les plus détaillés[14].

Les surintendants des finances n'étaient pas, comme on pourrait le croire, des fonctionnaires comptables recevant et dépensant les deniers de l'État; ils étaient seulement des agents ordonnateurs. Quant à la recette et à la dépense, elles se faisaient chez les trésoriers de l'épargne, seuls agents comptables, seuls justiciables de la Cour des comptes. Le surintendant n'était justiciable que du roi. C'est ce que Fouquet rappelle souvent dans sa défense, et il cite à ce sujet ses lettres de nomination, où il est dit «qu'il ne sera tenu de rendre raison en la Chambre des comptes, ni ailleurs qu'à la personne du roi, dont celui-ci l'a, de sa grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, relevé et dispensé

Il ne faudrait pas conclure de là que l'administration des finances du royaume et la gestion du surintendant fussent pour cela exemptes de tout contrôle. Les comptes des trésoriers de l'épargne et le registre des fonds dépensés permettaient de suivre l'ensemble et le détail des opérations. D'abord, l'un des trois trésoriers de l'épargne gérait, à tour de rôle, pendant un an, et rendait les comptes séparément, par exercice. Aucune somme ne pouvait être reçue ou payée pour l'État sans qu'elle fût ordonnancée par le surintendant et portée sur les registres de l'épargne, lesquels ne mentionnaient, il est vrai, que la date des ordonnances et les fonds sur lesquels elles étaient assignées. Mais, en même temps et près du trésorier en exercice, on tenait un autre registre appelé registre des fonds, sur lequel étaient inscrites jour par jour toutes les sommes versées à l'épargne ou payées par elle, avec l'origine et les motifs de la recette ou de la dépense, et les noms des parties. Le registre des fonds n'était pas produit à la Cour des comptes; il demeurait secret entre le roi et le surintendant. Les trésoriers de l'épargne se bornaient à fournir les ordonnances de celui-ci à l'appui de leurs comptes. Quant au registre des fonds, il servait en même temps à contrôler leur gestion et celle du surintendant. En outre, l'agent chargé de ce registre et les trésoriers de l'épargne, étant nommés par le roi, se trouvaient complètement indépendants du surintendant.

Voilà quels étaient les principes et les règles. Il semble, au premier abord, qu'ils devaient prévenir toute malversation, tant de la part du surintendant que des trésoriers et des financiers. On va voir combien cet ordre si bien entendu, si rigoureux en apparence, pouvait comporter d'abus.

Pour qu'une ordonnance fût payable à l'épargne, il ne suffisait pas quelle fût signée par le surintendant; il fallait encore, au bas de l'ordonnance, un ordre particulier émané de lui, indiquant le fonds spécial sur lequel elle devait être payée. Le trésorier de l'épargne ne pouvait et ne devait payer qu'autant qu'il avait des valeurs appartenant au fonds sur lequel l'ordonnance était assignée; mais, comme il n'en avait presque jamais, attendu que les revenus étaient, à cette époque, toujours dépensés deux ou trois ans à l'avance, il donnait, en échange de l'ordonnance, un billet de l'épargne, soit un mandat sur le fermier de l'impôt sur lequel elle était assignée. Ajoutons que, pour la facilité des affaires et des paiements, on subdivisait souvent le montant d'une même ordonnance en plusieurs billets de l'épargne. Il y avait en outre des fonds intacts ou dont les rentrées étaient assurées et prochaines au moment de l'émission des billets qui les concernaient, tandis que les rentrées d'autres fonds étaient éloignées ou même très-hypothétiques. De là résultaient souvent des différences considérables dans la valeur des billets de l'épargne. Les uns étaient au pair, d'autres, plus ou moins au-dessous du pair; d'autres, absolument sans valeur. Cependant, ils émanaient tous de la même source et portaient tous les mêmes signatures. Mais ce qui paraîtra surtout extraordinaire, incroyable, c'est que souvent des billets, complètement dépréciés tant qu'ils étaient entre les mains de quelque pauvre diable, acquéraient leur plus haute valeur en passant dans le portefeuille d'un fermier ou d'un courtisan en faveur, et c'est ici que se faisait le plus odieux, le plus abominable trafic.

En effet, Fouquet et Pélisson conviennent qu'on délivrait souvent, par erreur ou sciemment, des ordonnances trois ou quatre fois supérieures au fonds qui devait les acquitter. On faisait alors ce qui s'appelait une réassignation, c'est-à-dire un nouvel ordre de paiement sur un autre fonds, et quelquefois sur un autre exercice. La même opération se pratiquait pour tous les billets d'une date déjà un peu ancienne qui n'avaient pu être payés sur les fonds primitivement désignés; car plus un billet était vieux, plus il était difficile d'en obtenir le paiement, et il y en avait qui étaient ainsi réassignés cinq ou six fois, toujours sur de mauvais fonds. Mais, je l'ai déjà dit, cela n'arrivait qu'aux gens de rien, aux simples rentiers, aux modestes fournisseurs. Les autres, les traitants, les partisans, les fermiers, ceux qui étaient en état de faire de grandes avances, stipulaient que leurs anciens billets seraient réassignés sur de bons fonds, et l'on acceptait même au pair dans leurs versements de grandes quantités de ces billets qu'ils s'étaient procurés à vil prix.

Mais voici un bien autre abus; les lois du royaume ne permettant pas d'emprunter au-dessus du denier 18, c'est-à-dire à 5 5/9 pour 100, la Cour des comptes ne pouvait admettre ostensiblement un intérêt plus élevé. Cependant, le malheur des temps, la guerre, mais surtout le défaut d'ordre et de probité chez les administrateurs des finances publiques, faisaient qu'on ne pouvait emprunter les moindres sommes à moins de 15 à 18 pour 100, très-souvent davantage. Il fallait donc, pour légaliser l'opération, augmenter artificiellement le titre du prêteur dans la proportion de l'intérêt légal à l'intérêt réel, et établir l'équilibre sur les registres de l'épargne, en délivrant sous des noms en blanc, des ordonnances de paiement qui ne devaient pas être payées. Ces ordonnances étaient nécessaires en outre pour mettre plus tard les traitants à l'abri des recherches qu'on ne leur épargnait pas, sous prétexte d'usure. Quoique fictives, elles étaient néanmoins, comme les autres, scindées et converties en billets de l'épargne pour la commodité du service et la régularisation des écritures. Or, quelquefois, le traité qui avait donné lieu à une ordonnance de ce genre était révoqué, et c'est ce qui arriva, sous l'administration de Servien et Fouquet, pour un emprunt de 6 millions. En pareil cas, les billets de l'épargne faits et signés en vertu de cette ordonnance devaient être rapportés et biffés. Cette fois, bien que l'emprunt n'eût pas eu lieu, on négligea de les biffer et de les annuler. Qu'arriva-t-il? Comme ces billets pouvaient être séparés des ordonnances qui les avaient autorisés, on parvint, au moyen d'assignations et réassignations sur de bons fonds, à déguiser leur origine et à convertir en valeurs réelles des valeurs essentiellement fictives. En un mot, grâce à ce brigandage qui fut avéré, mais dont tout le monde déclina la responsabilité, l'État se trouva finalement obligé de payer un emprunt qui n'avait pas même été effectué. C'est ce même grief qui devint plus tard, sous le nom de l'affaire des 6 millions, un des principaux chefs de l'accusation de péculat dirigée contre Fouquet.

Telle était donc, sans compter les pots-de-vin, qui jouaient, on le verra plus loin, un très-grand rôle dans toutes les transactions du temps, la nature des principaux abus pratiqués plus ou moins ouvertement dans l'administration des finances, lorsque ce surintendant fut appelé à la diriger. Soyons juste à son égard: à l'époque où il parvint aux affaires, la situation était peu rassurante, et de moins habiles, de moins hardis que lui n'eussent pas triomphé à coup sûr des difficultés qu'il rencontra tout d'abord. Non-seulement il n'y avait rien à l'épargne, on y était habitué depuis le ministère du cardinal de Mazarin, mais les revenus de deux années étaient à peu près dévorés, et, malgré ses plus captieuses promesses, le premier ministre n'inspirait plus aucune confiance aux traitants. La banqueroute de 1648 pesait toujours sur le gouvernement, effrayant les esprits et les capitaux. Grâce à l'importance que lui donnait sa charge de procureur général, grâce à sa fortune, à sa réputation d'habileté et à la délicatesse avec laquelle il remplit ses premiers engagements, Fouquet parvint bientôt à procurer à Mazarin tout l'argent que celui-ci lui demandait, et certes il lui en demandait beaucoup. Je n'ai point à m'occuper ici de la politique du cardinal Mazarin, politique patiente, rusée, mais pleine de ressources, petite et mesquine dans les moyens, mais grande par ses résultats, et couronnée enfin par deux succès qui ont fait époque dans l'histoire de nos relations internationales: le traité de Munster et le mariage du roi avec Marie-Thérèse. Mais il faut bien qu'il soit permis de blâmer, comme elle le mérite, l'avidité de ce ministre, de cet étranger, qui, au milieu de la détresse de la France, trouva le moyen de thésauriser, d'entasser sans cesse, prenant de toutes mains, du roi, des traitants, des fermiers, se faisant lui-même l'entrepreneur des fournitures de la guerre, et laissant, en fin de compte, une fortune de 50 millions à ses héritiers. Voilà l'homme que Fouquet contracta l'obligation de satisfaire en arrivant aux finances, et il faut lui rendre cette justice de dire que jamais ni les intérêts de la guerre, ni le soin des négociations diplomatiques ne périclitèrent un instant faute d'argent. Un trait particulier de l'histoire du temps, c'est que les financiers voulaient bien avancer des sommes considérables à Fouquet, mais non à Mazarin, au gouvernement. L'homme privé inspirait plus de confiance que le premier ministre, que l'État. Que faisait alors le surintendant? Il prêtait à l'État des sommes empruntées par lui aux particuliers, et on l'accusa plus tard d'avoir retiré de ces prêts, qu'il avouait, dont il se glorifiait même, des intérêts usuraires. Il se délivrait ensuite des ordonnances de remboursement qui étaient payées au moyen de billets de l'épargne, au fur et à mesure de la rentrée des impôts. Il avait même imaginé, pour simplifier ses opérations et éviter les retards, de faire verser le produit des impôts dans sa caisse, de sorte que l'Épargne se faisait chez lui, comme on disait alors. Ainsi, les deniers de l'État étaient confondus avec ses propres deniers, et il était tout à la fois ordonnateur, receveur et payeur.

Si l'on pouvait avoir le moindre doute sur les résultats d'un pareil désordre, il suffirait, pour le dissiper, de lire les mémoires d'un financier du temps, de Gourville, mémoires curieux par leur franchise et par l'espèce de naïveté impudente avec laquelle l'auteur avoue la part qu'il a prise à tous les trafics que Fouquet tolérait, encourageait. Ce Gourville, qui avait d'abord appartenu à M. de La Rochefoucauld, s'était mêlé d'une manière très-active aux intrigues de la Fronde et était arrivé à la cour par l'intermédiaire de la maison de Condé, à laquelle il avait rendu quelques services. Actif, plein de résolution, spirituel, adroit à prendre le vent, il parvint à s'insinuer auprès de Fouquet, et le premier conseil qu'il lui donna fut d'amortir l'opposition du Parlement au moyen de quelques gratifications de 500 écus habilement distribués aux meneurs. Le conseil fut trouvé excellent, et Gourville se chargea des négociations qui réussirent à merveille. Bientôt son crédit fit du bruit parmi les gens d'affaires, qui s'adressèrent à lui toutes les fois qu'ils avaient quelque chose à proposer au surintendant. «M. Fouquet, dit-il lui-même, trouva que je m'étais fort stylé; il était aussi bien aise que je lui fisse venir de l'argent.» Quant aux billets de 1648 dont il a été question plus haut, voici comment Gourville en parle. Ce passage de ses mémoires est on ne peut plus significatif:

«Le désordre était grand dans les finances. La banqueroute générale, qui se fit lorsque M. le maréchal de La Meilleraye fut surintendant des finances, remplit tout Paris de billets de l'épargne, que chacun avait pour l'argent qui lui était dû. En faisant des affaires avec le roi on mettait dans les conventions que M. Fouquet renouvellerait de ces billets pour une certaine somme. On les achetait communément au denier 10 (10 pour 100); mais après que M. le surintendant les avait assignés sur d'autres fonds, ils étaient bons pour la somme entière. MM. les trésoriers de l'épargne s'avisèrent entre eus d'en faire passer d'une épargne à l'autre pour en faire leurs profits. Ce qui en ôtait la connaissance, c'est que M. Fouquet en rétablissait beaucoup, et ces messieurs s'accommodaient avec ceux qui avaient les fonds entre les mains. Cela fit beaucoup de personnes extrêmement riches. Cependant, parmi ce grand nombre, le roi ne manquait point d'argent, et ayant tous ces exemples devant moi, je profitai beaucoup[15]

Ainsi, le surintendant, ses commis et ses amis, les trésoriers de l'épargne et les financiers battaient monnaie avec des billets achetés à 10 pour 100 de leur valeur primitive; et tout le monde ayant intérêt à la fraude, il ne se trouvait personne pour la démasquer. Cependant, comme il arrive souvent, l'excès même du désordre en amena la fin. Il y avait alors à la cour, près du cardinal Mazarin, un homme qui observait avec une indignation souvent mal contenue à quel gaspillage l'administration des finances publiques était livrée, attendant le moment favorable pour réformer les abus dont il gémissait. Cet homme, autrefois attaché au ministre Le Tellier, qui l'avait plus tard donné au cardinal Mazarin, dont il était devenu l'homme de confiance, l'intendant, c'était Colbert. La surveillance de Colbert était-elle désintéressée? N'avait-il pas déjà lui-même, à cette époque, l'espoir de remplacer un jour le surintendant? Cela paraît hors de doute; mais ce n'est pas ce qu'il s'agit d'examiner ici. Bien que le cardinal Mazarin n'eût qu'à se louer habituellement de l'exactitude avec laquelle Fouquet fournissait à toutes ses dépenses, il ne laissait pas que de prêter volontiers l'oreille aux mauvais rapports qu'on lui faisait sur le compte du surintendant. Or, celui-ci le savait; et, toujours inquiet, troublé, se croyant chaque jour à la veille d'un caprice du premier ministre, d'une disgrâce, il cherchait à s'attacher, en redoublant de largesses, les personnages les plus considérables de la cour, pour se faire un parti en cas de besoin. Après Colbert, un des ennemis les plus dangereux du surintendant, c'était un de ses frères, l'abbé Fouquet, qui l'avait autrefois mis en relation avec Mazarin, mais avec qui il s'était brouillé depuis, et qui le desservait avec une vivacité dont le cardinal paraissait s'amuser beaucoup[16]. Au mois de mars 1659, Mazarin partit pour Saint-Jean-de-Luz, où le traité des Pyrénées devait être signé. Colbert resta à Paris. Peu de temps après, le surintendant se dirigea vers Toulouse, où il devait trouver le cardinal de retour. Le financier Gourville était avec lui. On a prétendu que Fouquet entretenait des ambassadeurs particuliers dans les principales cours. Il avait mis aussi dans ses intérêts le surintendant des postes du royaume, M. de Nouveau, un de ses pensionnaires, et celui-ci avait ordre, apparemment, de lui adresser directement la correspondance de Colbert pour le cardinal de Mazarin. Arrivé à Bordeaux, Fouquet reçut et communiqua à Gourville un projet de restauration des finances que Colbert soumettait au cardinal. D'après ce projet, on aurait établi une chambre de justice composée d'un certain nombre de membres de tous les parlements du royaume, avec M. Talon pour procureur général. C'était la perte de Fouquet, dont M. Talon était l'ennemi déclaré, Gourville dit qu'après avoir lu ce projet, dont la lecture avait fort abattu Fouquet, ils se mirent à le copier tous les deux très à la hâte, afin de le rendre sans retard à l'émissaire qui l'avait apporté.

La circonstance était critique. Le financier vint en aide au surintendant, et le tira de ce danger avec une habileté consommée. Il alla trouver le cardinal et lui dit qu'il courait à Paris des bruits sur une cabale organisée contre Fouquet, cabale très-fâcheuse, en ce qu'il ne serait plus possible à celui-ci, son crédit étant ruiné par tous ces méchants propos, de trouver l'argent dont le roi avait besoin. Gourville ajouta qu'au surplus il n'était pas étonnant de voir la calomnie s'acharner contre le surintendant, bien des gens se croyant aptes à gérer sa charge, et ne négligeant rien pour réussir à s'en emparer[17]. Ces raisons, adroitement développées par un homme qui était censé n'avoir aucune connaissance du projet de Colbert, frappèrent le cardinal, qui pour rien au monde n'aurait voulu s'exposer à trouver les coffres de l'épargne vides au moment où il était sur le point d'atteindre le but de ses efforts diplomatiques, et non-seulement Fouquet ne fut pas disgracié, mais Colbert reçut du cardinal l'ordre de continuer à le voir.

Les extraits suivants de la lettre de Mazarin montrent bien, au surplus, l'effet qu'avait produit sur son esprit la lecture du projet de Colbert.

«J'ay reçeu le mémoire et achevé de le lire un moment auparavant que M. le surintendant feust arrivé. J'ay esté bien ayse des lumières que j'en ay tiré, et j'en proffitteray autant que la constitution des affaires présentes le peut permettre.

«Je vous diray seulement que M. le surintendant me faisoit des plaintes des discours que Hervart tenoit à son préjudice, disant à ses plus grands confidents que luy surintendant sortiroit bientôt des finances, que c'estoit une chose résolue, qu'il agissoit en cela de concert avec vous[18].

«Il m'a adjouté que vous ayant pratiqué longtemps, il avait eu le moyen de vous connoistre un peu, et que il ne doutoit pas que vous n'aviez pas pour luy la même affection que par le passé, s'estant apperçeu que depuis quelque temps vous luy parliez frédement, quoy qu'il ne vous eust pas donné sujet à cela, ayant pour vous la dernière estime, et ayant toujours souhété avec la dernière passion d'avoir vostre amitié, sachant d'ailleurs l'affection et la confiance que j'avais en vous. Sur quoy s'est fort estendu, ne luy estant pas échappé une parole qui ne feust à votre advantage, et se plaignant seulement de la liaison dans laquelle vous estiez entré avec Hervart et l'avocat-général Tallon, à son préjudice, et d'autant plus que vous ne pouviez pas douter que sous tous ses préparatifs je n'avois que à dire un mot pour le retirer, et me remettre non pas seulement la surintendance, mais la charge de procureur général.

«Je me suis desmêlé ensuite de tout cela que le surintendant est demeuré persuadé que vous ne m'aviez rien mandé à son préjudice, mais non pas que ce qui s'est passé à Paris n'est autrement de ce qu'il m'a dit. Tout ce que je vous puis dire, c'est que je mettray touttes piéses en œuvre pour renvoyer le surintendant persuadé que vous ne m'avez rien mandé, et vous pouvez parler et vous éclaircir avec luy en cette conformité, car je reconnois qu'il souhéte furieusement de bien vivre avec vous et proffitter de vos conseils, m'ayant dit que d'autres fois vous les lui donniez avec liberté, ce que vous ne faites pas depuis quelque temps.

«Hervart n'a jamais esté secret, et par le motif d'une certaine vanité qui n'est bonne à rien, dit à plusieurs personnes tout ce qu'il sçait, et ainsy je ne doute pas que ces discours n'aient donné lieu au surintendant de pénétrer les choses qu'il m'a dit[19]

Colbert reçut cette dépêche à Nevers, le 27 octobre 1659. Le lendemain il répondit au cardinal une longue lettre qu'il importe de reproduire en entier, parce qu'elle contient de curieux détails sur ses relations avec Fouquet et Mazarin. On est heureux, quand il s'agit de personnages historiques si considérables, de pouvoir s'appuyer sur des documents authentiques qui fixent aussi nettement les positions.

A Nevers, ce 28 octobre 1659.

«Je receus hier, à Desize, les dépesches de Vostre Eminence, du 20 de ce mois, aus quelles je feray double réponse. Celle-cy servira, s'il luy plaîst, pour ce qui concerne le discours fait par M. le procureur général et le mémoire que j'ay envoyé à Vostre Eminence. Il est vray, Monseigneur, que j'ay entretenu une amitié assez étroite avec lui, depuis les voyages que je fis en 1650 avec Vostre Eminence, et que je l'ay continué depuis, ayant toujours eu beaucoup d'estime pour luy, et l'ayant trouvé un des hommes du monde le plus capable de bien servir Vostre Eminence et de la soulager dans les grandes affaires dont elle est surchargée. Cette amitié a continué pendant tout le temps que M. de Servien eut la principale autorité dans les finances, et souvent j'ay expliqué à Vostre Eminence même la différence que je faisois de l'un à l'autre. Mais dés lors que, par le partage que Vostre Eminence fist en 1655, toute l'autorité des finances fust tombée entre les mains du dit sieur procureur général, et que par succession du temps je vins à connoistre que sa principalle maxime n'estoit pas de fournir par économie et par mesnage beaucoup de moyens à Vostre Eminence pour estendre la gloire de l'État, et qu'au contraire il n'employoit les moyens que cette grande charge lui donnoit qu'à acquérir des amis de toute sorte et à amasser pour ainsi dire des matières pour faire réussir, à ce qu'il prétendoit, tout ce qu'il auroit voulu entreprendre, et mesme, pour se rendre nécessaire, et en un mot qu'il a administré les finances avec une profusion qui n'a point d'exemple, à mesure que je me suis apperceu de cette conduitte, à mesure nostre amitié à diminué, mais il a eu raison de dire à Vostre Eminence que je me suis souvent ouvert à luy et que je luy ay mesme donné quelques conseils, parce que pendant tout ce temps-là je n'ay laissé passer aucune occasion de lui faire connoistre autant que cette matière le pouvoit permettre, combien la conduitte qu'il tenoit étoit éloignée de ses propres advantages, qu'en administrant les finances avec profusion, il pouvoit peut-estre amasser des amis et de l'argent, mais que cela ne se pouvoit faire qu'en diminuant notablement l'estime et l'amitié que Vostre Eminence avoit pour luy, au lieu qu'en suivant ses ordres, agisant avec mesnage et économie, lui rendant compte exactement, il pouvoit multiplier a l'infini l'amitié, l'estime et la confiance qu'elle avoit en luy, et que sur ce fondement, il n'y avoit rien de grand dans l'État et pour luy et pour ses amis à quoi il ne pust parvenir. Quoique j'eusse travaillé inutilement jusqu'en 1657, lorsqu'il chassa Delorme, je crus que c'estoit une occasion très-favorable pour le faire changer de conduitte; aussi redoublay-je de diligence et de persuations, luy faisant connoistre qu'il pouvoit rejeter toutes les profusions passées sur le dit Delorme, pourvu qu'il changeast de conduitte, luy exagérant fortement tous les advantages qu'il pourroit tirer de cette favorable conjoncture. Je ne me contentay pas de faire toutes ces diligences, je sollicitay encore M. Chanut pour lequel je sçay qu'il a estime et respect, de se joindre à moy, l'ayant trouvé dans les mesmes sentiments. Je fus persuadé quelque temps qu'il suivoit mon avis, et pendant tout ce temps nostre amitié fust fort réchauffée, mais depuis l'ayant vu retomber plus fortement que jamais dans les mesmes désordres, insensiblement je me suis retiré, et il est vray qu'il y a quelque temps que je ne luy parle plus que des affaires de Vostre Eminence, parce que je suis persuadé qu'il n'y a rien qui le puisse faire changer. Mais il est vray qu'il n'y a rien que j'aye tant souhaité et que je souhaite tant que le dit sieur procureur général pust quitter ses deux mauvaises qualités, l'une de l'intrigue et l'autre de l'horrible corruption dans laquelle il s'est plongé, parce que si ses grands talents étaient séparés de ces grands défauts, j'estime qu'il seroit très-capable de bien servir Vostre Eminence.

«Quant à ma liaison avec M. Hervart et M. Talon, dont il a parlé à Vostre Eminence; je ne saurais lui désirer un plus grand avantage que d'estre éloigné de toutes liaisons des deux parts autant que je le sais, estant fortement persuadé et par inclination naturelle et par toute sorte de raisonnement que la seule liaison que l'on puisse et que l'on doibve avoir ne consiste qu'à bien servir son maistre et que toutes les autres ne font qu'embarrasser. Mais quand je serois d'esprit à chercher ces liaisons, la dernière personne avec qui j'en voudrais faire, ce serait avec M. Hervart, pour lequel je n'ay conservé aucune estime. Pour M. Talon, il est vraj que j'ay beaucoup d'estime pour lui et que je l'ay vu trois fois cet esté à Vincennes, chez luy et en mon logis. Mais aussi il est vray que j'ay creu qu'il estoit peut-être bon pour le service du Roy et pour la satisfaction de Vostre Eminence de garder avec luy quelque mesures pour le faire souvenir, dans les occasions qui se peuvent présenter, des protestations qu'il m'a souvent faites de bien servir le Roy et Vostre Eminence, pourveu qu'on lui fasse sçavoir dans les oscasions ce que l'on désire de luy, avouant luy-mesme qu'il peut quelquefois se tromper.

«Pour ce qui est de la connoissance que le dit sieur procureur général a tesmoigné avoir du mémoire que j'ay envoyé à Vostre Eminence, je puis bien dire avec assurance que s'il le sçait il a été bien servy par les officiers de la poste, avec les quels je scay qu'il a de particulières habitudes, n'y ayant que Vostre Eminence, celuy qui l'a transcrit et moi qui en ayent eu connaissance et ne pouvant doubler du tout de celui qui l'a transcrit, y ayant 16 ans qu'il me sert avec fidélité en une infinité de rencontres plus importantes que celle-ci.

«Ce mémoire n'a esté fait sur aucun qui m'aye esté donné par le sieur Hervart, duquel je n'en ay jamais voulu recevoir, ne l'estimant pas assez habile homme pour bien pénétrer une affaire et pour dire la vérité. Ce que Vostre Eminence trouvera de bon dans cette affaire vient d'elle mesme, n'ayant fait autre chose que de rédiger par escrit une petite parties des belles choses que je luy ay entendu dire sur le sujet de l'esconomie des finances. Pour ce qui est rapporté du fait de la conduitte du surintendant, Vostre Eminence scait tout ce que j'en ai pu dire, et je suis bien assuré qu'il n'y a personne en France qui souhaite plus que moy que sa conduite soit réglée en sorte qu'elle plaise à Vostre Eminence et qu'elle puisse se servir de luy. Quant à tous ces discours que le sieur Hervart a fait et que le sieur procureur général m'attribue en commun et qu'il dit scavoir de la source, je crois bien qu'il le sçait du dit sieur Hervart, parce qu'il a des espions chez lui, mais je ne suis pas garant de l'imprudence de cet homme là avec lequel j'ay toujours agi avec beaucoup de retenue, m'estant apperceu en une infinité de rencontres qu'il se laisse souvent emporter à dire mesme tout ce qu'il avoit appris de Vostre Eminence.

«Sy, dans ce discours et dans le mémoire que j'ay envoyé à Vostre Eminence, la vérité n'y paroist sans aucun fard, déguisement, envie de nuire, ni autre fin indirecte de quelque nature que ce soit, je ne demande pas que Vostre Eminence aye jamais aucune créance en moy, et il est mesme impossible qu'elle la puisse avoir, parceque je suis asseuré que je ne puis jamais lui exposer toute la vérité plus à découvert et plus dégagée de toutes passions. Et outre que Vostre Eminence le découvre assez par le discours mesme, sy elle considère que je ne souhaitte la place de personne, que je n'ay jamais temoigné d'impatience de monter plus haut que mon employ, lequel j'ay toujours estimé et estime infiniment plus que tout autre, puisqu'il me donne plus d'occasions de servir personnellement Vostre Eminence et que d'ailleurs sy j'avois dessein de tirer des advantages d'un surintendant je ne pourrois en trouver un plus commode que celui-là, ce qui paroist assez clairement à Vostre Eminence par l'envie qu'il luy a fait paroistre de vouloir bien vivre avec moy: Vostre Eminence jugera, dis-je, assez facilement qu'il n'y a aucun motif que la vérité et ses ordres qui m'ont obligé de dire ce qui est porté par ledit mémoire, et que les discours du sieur Hervart n'ont aucun rapport avec ce qui me regarde en cela.

«Quant à l'envie qu'il a fait paroistre à Vostre Eminence mesme de vouloir bien vivre avec moy, il n'y aura pas grand peine, parce que ou il changera de conduitte ou Vostre Eminence agréera celle qu'il tient, ou Vostre Eminence l'excusera par la raison de la disposition présente des affaires, et trouvera peut-estre que ses bonnes qualités doivent balancer, et mesme emporter ses mauvaises; en quelque cas que ce soit, je n'auray pas de peine à me renfermer entièrement à ce que je reconnoistray estre des intentions de Vostre Eminence, luy pouvant protester devant Dieu qu'elles ont toujours esté et seront toujours les règles des mouvements de mon esprit.»

Colbert.

Certes, il était difficile de distiller la flatterie avec plus d'adresse, et, en même temps, de perdre plus sûrement Fouquet dans l'esprit du cardinal que ne le fit Colbert dans cette circonstance. Ses insinuations et ses louanges devaient produire inévitablement l'effet qu'il en espérait, et dès ce jour sans doute, la disgrâce de Fouquet fut arrêtée. Ce n'était plus qu'une question de temps. Il est même probable que sans l'hésitation et la timidité naturelles de Mazarin, elle n'eût pas été aussi longtemps différée, à moins que celui-ci, riche à 50 millions ramassés de toutes mains et par tous les moyens, n'eût éprouvé quelque embarras à faire poursuivre le surintendant pour crime de péculat[20].

Toutefois, docile aux recommandations du cardinal, Colbert alla voir le surintendant dès que celui-ci fut de retour à Paris, et il y eut entre eux une apparence de réconciliation; mais les intérêts étaient dorénavant trop distincts pour que cette paix fût sérieuse. Colbert ne modifia pas ses sentiments sur les opérations de Fouquet. Quant à ce dernier, il garda toutes ses craintes, toutes ses inquiétudes sur les dispositions du cardinal, et ses soupçons lui firent sans doute conserver, quoi qu'il ait pu dire, un projet de révolte qu'il avait ébauché en 1657, et dont le manuscrit, des plus compromettants, fut trouvé plus tard dans ses papiers.

Telle était donc la position du surintendant vers la fin de 1639. Deux ans après, au mois de mars 1661, le cardinal Mazarin mourut. On sait comment il recommanda Colbert au roi. «Sire, je vous dois tout, dit-il à Louis XIV, mais je crois m'acquitter en quslque sorte avec Votre Majesté en lui donnant Colbert.» Le cardinal ne pouvait rendre à la France un plus grand service, ni porter à Fouquet un coup plus terrible. Cependant, le poste de premier ministre était vacant, et la vanité, la présomption du surintendant n'ayant point de bornes, il ne crut pas que le roi pût jeter les yeux sur un autre que lui. Jusqu'au jour même de la mort du cardinal, et par déférence pour les services qu'il en avait reçus, Louis XIV lui avait laissé tout le soin du gouvernement. L'étonnement fut général lorsque, au premier conseil qui suivit la mori de Mazarin, il prévint ses ministres qu'à l'avenir ils eussent à lui parler directement de toutes les affaires, ses intentions étant qu'il ne fut donné aucune signature, aucun ordre, aucun passe-port, sans son commandement. On espérait, il est vrai, que ce beau zèle ne durerait pas, et que le roi retournerait bientôt aux chasses, aux ballets, aux plaisirs. C'était surtout l'opinion et le désir de Fouquet. Depuis la mort du cardinal, Fouquet se croyait plus en faveur que jamais.

Vainement ses amis l'engageaient à se défier des apparences, et surtout à ne rien déguiser au roi de la véritable situation des finances. Il avait cru se mettre en règle en priant un jour le roi de lui pardonner ce qui avait pu se faire d'irrégulier dans le passé à cause de la difficulté des temps, et le roi lui avait en effet répondu qu'il lui pardonnait. C'était pour Fouquet une occasion admirable de se conformer dorénavant aux règles de comptabilité qui ont été expliquées plus haut, et qu'on avait impunément violées depuis longtemps; mais il lui eût fallu pour cela modérer sa dépense, et supprimer les pensions qu'il faisait à tous les courtisans de sa prospérité. Fouquet n'en eut sans doute pas la force. Sans tenir aucun compte des avis que Pélisson, Gourville et d'autres amis lui donnaient sur les menées de Colbert et de madame de Chevreuse, qui avait détaché la reine mère de son parti, il persista à fournir des états dont Colbert, nommé intendant des finances depuis la mort de Mazarin, démontrait chaque jour la fausseté au roi[21]. En même temps, Louis XIV désirant pousser jusqu'à ses plus extrêmes limites l'expérience qu'il avait commencée, le recevait toutes les fois qu'il le désirait, et lui témoignait une bienveillance marquée. Ainsi, pendant que quelques-uns, les mieux avisés, mais le plus petit nombre, ne doutaient pas de l'imminence de sa chute, d'autres le croyaient destiné à hériter de la faveur et de la toute-puissance du cardinal. Naturellement, Fouquet ajoutait foi aux pronostics de ces derniers, et déjà ses collègues remarquaient un changement insupportable dans son humeur. D'un autre côté, tout le monde se plaignait des airs de plus en plus altiers et hautains, des manières orgueilleuses de sa femme. Sa mère seule avait la réputation d'une bonne et sainte femme, et l'on racontait qu'elle gémissait de ses dissipations au point de souhaiter un terme à la faveur dont il jouissait. On a vu plus haut que Fouquet était en même temps surintendant des finances et procureur général du parlement de Paris. Cette dernière charge, la plus considérable du royaume après celles de chancelier et de premier président, lui donnait une consistance immense auprès de sa compagnie, de tout temps fort jalouse, comme on sait, des privilèges dont jouissaient ses membres, et, en cas de procès, le rendait justiciable d'elle seule, ce qui présageait un acquittement certain. Comment éviter un pareil résultat? On a prétendu que, dans cette occasion, Colbert prêta les mains à une intrigue où l'on regretterait beaucoup, pour l'honneur de son caractère, qu'il se fût véritablement trouvé mêlé. Le roi avait déclaré qu'il ne nommerait jamais chevalier de ses ordres un homme, quelque notable qu'il fût, s'il était de robe ou de plume, c'est-à-dire magistrat ou financier. Colbert persuada, dit-on, à Fouquet que l'intention du roi était de le nommer chevalier de ses ordres, mais que la charge de procureur général dont il était investi mettait un obstacle invincible à ce dessein. Entraîné, comme toujours, par sa vanité, Fouquet vendit sa charge 1,400,000 livres à M. de Harlay, et, sur une nouvelle insinuation de Colbert, offrit généreusement de faire déposer dans la citadelle de Vincennes, à la disposition du roi, qui avait paru le désirer, 1 million que M. de Harlay lui donnait comptant. Telle est, du moins, la version de l'abbé de Choisy, que tous les biographes de Fouquet et de Colbert ont adoptée. Or, voici ce que Fouquet lui-même écrivit à ce sujet, pendant le cours de son procès:

«Le Roy me témoigna qu'il voudroit avoir un million d'argent comptant, sans faire tort à ses autres affaires, pour mettre en réserve à Vincennes; je luy dis que si je voulois vendre ma charge j'en tirerois un million, outre ce que j'estois obligé de donner à mon fils pour sa survivance; et que s'il luy plaisoit de l'accepter, je le lui donnois en pur don de bon cœur, en reconnoissance de la bonté que Sa Majesté me témoignoit, et des biens qui me venoient d'elle. Le roy l'accepta, me remercia, fit porter le million secrètement à Vincennes, où je le mis, et où il est peut-estre encore aussi bien que moy.»[22]

Quoi qu'il en soit, une fois ces précautions prises, le roi, fatigué de la comédie que Fouquet le forçait de jouer depuis quatre mois, eut hâte d'en finir, et sans la reine mère, il l'eût fait arrêter à Vaux même. Heureusement, l'avis de celle-ci prévalut, et Louis XIV n'eut pas plus tard à se reprocher cette déloyauté. D'ailleurs, il fut décidé, au retour de Vaux, qu'on retarderait l'affaire le moins possible. Le roi organisa donc pour les premiers jours du mois suivant, à l'occasion de la tenue des États de Bretagne, un voyage à Nantes, et le surintendant fut désigné pour l'y accompagner. Toutes les dispositions nécessaires furent combinées longtemps d'avance avec un soin minutieux, et l'on prit patience jusqu'au moment tout à la fois tant désiré et tant redouté.

En effet, la cour n'était pas sans inquiétude sur les résultats que pouvait entraîner l'arrestation de Fouquet. On savait que, grâce aux pensions qu'il répandait de tous côtés, il avait de nombreuses créatures qu'on supposait dévouées à sa fortune. En outre, les troubles de la Fronde n'étaient pas déjà si anciens qu'on ne pût craindre d'en voir tenter un nouvel essai par un homme puissant, ayant à sa disposition, au moyen de sa famille, plusieurs places de guerre fort importantes, et possédant en propre un point très-fortifié, Belle-Isle-sur-Mer, où l'on croyait qu'il avait fait cacher des trésors considérables, à l'aide desquels, favorisé par sa proximité de deux provinces très-surchargées d'impôts et mécontentes, la Normandie et la Bretagne, il lui serait facile de fomenter une guerre civile.

Enfin, le nouveau gouvernement n'ayant encore donné aucune preuve de sa force, de sa puissance, doutait en quelque sorte de lui-même et s'exagérait les difficultés. On comprend donc ses craintes, ses hésitations, ses précautions. Louis XIV a dit, dans ses Instructions au Dauphin, que, «de toutes les affaires qu'il avait eues à traiter, l'arrestation et le procès du surintendant était celle qui lui avait fait le plus de peine et causé le plus d'embarras[23].» Le voyage à Nantes avait un double avantage: il isolait Fouquet de ses amis, et permettait de s'emparer presque en même temps de sa personne et de Belle-Isle avant qu'il lui eût été possible de mettre cette place en état de défense, et d'en faire enlever les trésors qu'on y supposait en dépôt.

La cour partit pour Nantes vers les derniers jours du mois d'août. Cependant, le secret de ses projets n'avait pas été si bien gardé qu'il n'en eût rien transpiré au dehors. Au contraire, tout le monde paraissait s'attendre à ce que le voyage de Nantes serait marqué par quelque grand événement; seulement, on croyait qu'il s'agissait d'une simple lutte d'influence entre Fouquet et Colbert, dont l'inimitié était devenue alors manifeste, et quelques personnes supposaient que ce dernier allait être définitivement éclipsé par l'étoile de jour en jour plus resplendissante du surintendant. Malgré le danger qu'il avait couru à Vaux, malgré les avis qui lui venaient de tous côtés, Fouquet lui-même partagea ces illusions jusqu'au dernier instant. Cela paraît incroyable, mais tous les mémoires du temps sont unanimes à ce sujet, et un tel excès d'imprévoyance ne fait que mieux éclater son inconcevable légèreté. Pourtant, dans une conversation avec Loménie de Brienne, la veille de son départ de Paris, il dit à celui-ci, d'un air triste et abattu, que plusieurs personnes l'informaient d'un méchant projet qui se tramait contre lui, que la reine mère elle-même l'en avait fait avertir, que sa fortune était fort compromise à cause des grandes dettes qu'il avait contractées pour le service de l'État; mais qu'il était résigné à tout, ne croyant pas cependant que le roi voulût le perdre. Puis il ajouta: «Pourquoi le roi va-t-il en Bretagne, et précisément à Nantes? Ne serait-ce point pour s'assurer de Belle-Isle?—A votre place, répondit de Brienne, j'aurais cette crainte, et je la croirais fondée.—Nantes! Belle-Isle! Nantes! Belle-Isle! répéta Fouquet à plusieurs reprises. M'enfuirai-je? Mais où me donnerait-on protection, si ce n'est à Venise?—Je l'embrassai les larmes aux yeux, dit de Brienne, et je ne pus m'empêcher de pleurer; il me faisait compassion et il en était digne[24]

Mais ce n'était là qu'un éclair de prudence, et, bien que malade, Fouquet se décida à partir. Il arriva à Nantes avec la fièvre tierce. Trois ou quatre fois dans la journée le roi envoyait savoir de ses nouvelles. Le 4 septembre, de Brienne alla deux fois chez lui pour s'informer si le roi pourrait le voir le lendemain de bonne heure, ayant le projet de partir pour la chasse dans la matinée. Il le trouva dans sa robe de chambre, couché sur son lit, le dos appuyé contre une pile de carreaux. De Brienne lui dit qu'il venait de la part du roi savoir comment il se portait. «Fort bien, à ma fièvre près, qui ne sera rien. J'ai l'esprit en repos, et je serai demain hors de mes inquiétudes. Que dit-on au château et à la cour?—Que vous allez être arrêté.—Puyguilhem vous l'a-t-il dit? En tout cas, il est mal informé et vous aussi; c'est Colbert qui sera arrêté, et non moi.—En êtes-vous bien assuré? lui dit de Brienne.—On ne peut l'être mieux. J'ai moi-même donné les ordres pour le faire conduire au château d'Angers, et c'est Pélisson qui a payé les ouvriers qui ont mis la prison hors d'état d'être insultée.—Je le souhaite, répondit de Brienne; mais on vous trompe; vos amis craignent fort pour vous. Toutes les manigances qui se font au château ne me plaisent guère, et les précautions qu'on a prises de condamner les portes de la salle, la table du roi couverte de papiers et de lettres de cachet qu'on apporte par douzaines de chez M. Le Tellier, Saint-Aignan et Rose toujours en sentinelle dans le petit corridor, tout cela ne vous présage rien de bon.—C'est moi, dit Fouquet d'un air fort gai, qui ai donné au roi tous ces avis, afin de mieux couvrir notre jeu.—Dieu le veuille, mais je n'en crois rien. Que dirai-je au roi de votre part?—Que j'entrais dans mon accès quand vous êtes arrivé; mais qu'il ne sera pas long, je pense, et que cela n'empêchera pas que je ne sois demain d'assez bonne heure à son lever[25]

Or, voici ce qui se passa le lendemain. Mais, auparavant, il importe de constater, d'après une narration émanée de Louis XIV même, les motifs qui déterminèrent ce prince à faire arrêter le surintendant. Le document qu'on va lire est extrait de ses Instructions au Dauphin.

«Ce fut alors que je crus devoir mettre sérieusement la main au rétablissement des finances, et la première chose que je jugeai nécessaire, fut de déposer de leurs emplois les principaux officiers par qui le désordre avait été introduit; car depuis le temps que je prends soin de mes affaires, j'avois de jour en jour découvert de nouvelles marques de leurs dissipations, et principalement du surintendant.

«La vue des vastes établissemens que cet homme avoit projetés, et les insolentes acquisitions qu'il avoit faites, ne pouvoient qu'elles ne convainquissent mon esprit du dérèglement de son ambition; et la calamité générale de mes peuples sollicitoit sans cesse contre lui. Mais ce qui le rendoit plus coupable envers moi, étoit que bien loin de profiter de la bonté que je lui avois témoignée, en le retenant dans mes conseils, il en avoit pris une nouvelle espérance de me tromper, et bien loin d'en devenir plus sage, tâchoit seulement d'être plus adroit.

«Mais quelque artifice qu'il pût pratiquer, je ne fus pas longtemps sans reconntoître sa mauvaise foi. Car il ne pouvoit s'empêcher de continuer ses dépenses excessives, de fortifier des places, d'orner des palais, de former des cabales, et de mettre sous le nom de ses amis des charges importantes qu'il leur achetait à mes dépens, dans l'espoir de se rendre bientôt l'arbitre souverain de l'État.

«Quoique ce procédé fût assurément fort criminel, je ne m'étois d'abord proposé que de l'éloigner des affaires; mais ayant depuis considéré que de l'humeur inquiète dont il étoit, il ne supporteroit point ce changement de fortune sans tenter quelque chose de nouveau, je pensai qu'il étoit plus sur de l'arrêter.

«Je différai néanmoins l'exécution de ce projet, et ce dessein me donna une peine incroyable; car, non seulement je voyois que pendant ce temps là il pratiquoit de nouvelles subtilités pour me voler, mais ce qui m'incommodoit davantage, étoit que pour augmenter la réputation de son crédit, il affectoit de me demander des audiences particulières; et que pour ne lui pas donner de défiance, j'étois contraint de les lui accorder, et de souffrir qu'il m'entretînt de discours inutiles, pendant que je connoissois à fond toute son infidélité....

«Toute la France, persuadée aussi bien que moi de la mauvaise conduite du surintendant, applaudit à son arrestation, et loua particulièrement le secret dans lequel j'avois tenu, durant trois ou quatre mois, une résolution de cette nature, principalement auprès d'un homme qui avoit des entrées si particulières auprès de moi, qui entretenoit commerce avec tous ceux qui m'approchoient, qui recevoit des avis du dedans et du dehors de l'État, et qui de soi-même devoit tout appréhender par le seul témoignage de sa conscience[26]

Enfin, la lettre suivante, que Louis XIV écrivit à sa mère, après l'arrestation de Fouquet, donne sur cet événement les détails les plus authentiques. C'est une des pièces les plus curieuses de cette curieuse affaire, et il importe de la reproduire en entier.

«Nantes, 5 septembre 1661.

«Madame ma mère, je vous ai déjà écrit ce matin l'exécution des ordres que j'avais donnés pour arrêter le surintendant; mais je suis bien aise de vous mander le détail de cette affaire. Vous savez qu'il y a longtemps que je l'avais sur le cœur, mais il m'a été impossible de le faire plus tôt, parce que je voulais qu'il fît payer auparavant 30,000 écus pour la marine, et que d'ailleurs il fallait ajuster diverses choses qui ne se pouvaient faire en un jour, et vous ne sauriez imaginer la peine que j'ai eue seulement à trouver le moyen de parler en particulier à d'Artagnan; car je suis accablé tous les jours par une infinité de gens fort alertes, et qui, à la moindre apparence, auraient pu pénétrer bien avant. Néanmoins, il y avait deux jours que je lui avais recommandé de se tenir prêt... J'avais la plus grande impatience que cela fût achevé. Enfin, ce matin, le surintendant étant venu travailler avec moi à l'accoutumée, je l'ai entretenu tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, et fait semblant de chercher des papiers jusqu'à ce que j'aie aperçu, par la fenêtre de mon cabinet, Artagnan dans la cour du château, et alors j'ai laissé aller le surintendant, qui, après avoir causé un peu au bas de l'escalier avec la Feuillade, a disparu dans le temps qu'il saluait la sieur Letellier; de sorte que le pauvre Artagnan croyait l'avoir manqué, et m'a envoyé dire par Maupertuis qu'il soupçonnait que quelqu'un lui avait dit de se sauver; mais il le rattrapa dans la place de la Grande-Église, et l'a arrêté de ma part environ sur le midi. Il lui a demandé les papiers qu'il avait sur lui, dans lesquels on m'a dit que je trouverais l'état au vrai de Belle-Isle; mais j'ai tant d'autres affaires que je n'ai pu les voir encore. Cependant, j'ai commandé au sieur Boucherat d'aller sceller chez le surintendant, et au sieur Allot, chez Pélisson, que j'ai fait arrêter aussi... J'ai discouru ensuite sur cet accident avec des messieurs qui sont ici avec moi; je leur ai dit qu'il y avait quatre mois que j'avais formé mon projet, qu'il n'y avait que vous seule qui en aviez connaissance, et que je ne l'avais communiqué au sieur Letellier que depuis deux jours pour faire expédier les ordres; je leur ai déclaré aussi que je ne voulais plus de surintendant, mais travailler moi-même aux finances avec des personnes fidèles qui n'agiront pas sans moi, connaissant que c'est le vrai moyen de me mettre dans l'abondance et soulager mon peuple. Vous n'aurez pas de peine à croire qu'il y en a eu de bien penauts; mais je suis bien aise qu'ils voient que je ne suis pas si dupe qu'ils se l'étaient imaginé, et que le meilleur parti est de s'attacher à moi. J'oubliais de vous dire que j'ai dépêché de nos mousquetaires partout sur les grands chemins et même jusqu'à Saumur, afin d'arrêter tous les courriers qu'ils rencontreront allant à Paris, et d'empêcher qu'il n'y en arrive aucun devant celui que je vous ai envoyé[27]»

On se figure sans peine la stupeur qu'un événement aussi extraordinaire dut causer à la cour. On ne tombe pas de si haut sans un grand éclat. De Brienne raconte qu'étant allé chez Fouquet dans la matinée de l'arrestation, il trouva sa demeure gardée par des mousquetaires pendant qu'on mettait les scellés sur ses papiers. En retournant au château où résidait le roi, il rencontra une voiture dont la portière était fermée par un grillage en fer, et il put voir, dans l'intérieur, le surintendant que d'Artagnan conduisait au château d'Angers. On sut plus tard que sur la route, partout où le bruit de l'arrestation de Fouquet avait transpiré, la foule s'était ameutée autour de sa voiture en poussant des imprécations. A Angers, l'exaspération contre le prisonnier fut surtout très-vive, et d'Artagnan craignit de ne pouvoir le sauver, malgré l'appui de ses cent mousquetaires. Pendant toute cette journée du 5 septembre, une espèce de terreur régna à la cour, et de là se répandit à Paris et dans les provinces. De Lionne, l'ami intime de Fouquet, était devenu pâle et interdit en apprenant son arrestation; mais Louis XIV le rassura en lui disant que les fautes étaient personnelles. Le capitaine des gardes de service, de Gesvres, était aussi une des créatures du surintendant. Comme on s'était défié de lui, il se plaignait très-haut, de manière à être entendu du roi, et allait répétant partout qu'il aurait arrêté non-seulement son meilleur ami, mais son père, si le roi le lui eût commandé. C'est ainsi que Fouquet était récompensé des pensions secrètes qu'il faisait aux courtisans dans le but de se les attacher. En même temps on apprenait que Pélisson venait d'être arrêté, et que madame Fouquet avait reçu l'ordre de partir immédiatement pour Limoges. Comment faire? Dans cette maison où, hier encore, il se dépensait des millions, on n'avait plus le moyen d'entreprendre un voyage d'une centaine de lieues. Ami dévoué, Gourville fit demander la permission, qu'on lui accorda, de prêter 2,000 louis à la femme du surintendant, qui put alors partir pour Limoges, tandis que tous les autres membres de sa famille recevaient différentes destinations[28].

Cependant, outre le courrier que Louis XIV avait adressé a la reine mère pour l'informer de l'arrestation de Fouquet, il avait expédié également un de ses gentilshommes ordinaires, de Vouldi, pour faire mettre les scellés dans les maisons du surintendant, à Paris, à Saint-Mandé et à Vaux. Un des chroniqueurs contemporains, qui a fourni le plus de particularités sur l'affaire de Fouquet, l'abbé de Choisy, raconte dans ses Mémoires que de Vouldi arriva à Paris seulement douze heures après un valet de chambre du surintendant. Voici, d'après lui, comment le fait se serait passé: toutes les fois que Fouquet voyageait avec la cour, il établissait des relais de sept en sept lieues, à droite ou à gauche de la grande route; par ce moyen, dit l'abbé de Choisy, il avait toujours les nouvelles avant le roi et le cardinal. Aussitôt après l'arrestation de son maître, ce valet de chambre quitta Nantes sans rien dire à personne, rejoignit à pied le premier relais, creva les chevaux et porta le premier la fatale nouvelle à madame Duplessis-Bellière. Celle-ci envoya chercher immédiatement l'abbé Fouquet, qui depuis quelque temps vivait en bonne intelligence avec son frère, et un des commis du surintendant, qui avait le secret de toutes ses affaires, Bruant des Carrières. On tint conseil. L'abbé Fouquet ne proposa rien moins que de mettre le feu à la maison de Saint-Mandé, afin de détruire tous les papiers qui pouvaient compromettre son frère. Madame Duplessis-Bellière trouva, dit-on, ce parti trop dangereux, et fit observer que c'était perdre le surintendant, qu'on ne le condamnerait pas sans l'entendre, qu'on n'avait rien à lui reprocher depuis que le roi gouvernait par lui-même, et que, pour les temps antérieurs, il n'avait rien fait que par ordre du cardinal. On se sépara sans rien décider. Bruant des Carrières courut chez lui pour mettre ordre à ses papiers, ramasser quelque argent, et il se hâta de passer à l'étranger, où Fouquet, le sachant en sûreté, ne se fit pas faute, plus tard, de le charger, afin de dégager sa propre responsabilité. Il n'est pas jusqu'à Vatel, son intendant, qui, craignant d'être aussi inquiété, quitta furtivement Paris et passa en Angleterre, où il demeura quelques années avant de devenir le maître-d'hôtel du roi. Enfin, Gourville lui-même, qui, de son côté, avait pris depuis quelque temps toutes les précautions nécessaires, en faisant une exacte revue de ses papiers, se trouva compromis par ceux qu'on trouva chez le surintendant, et fut obligé de s'exiler. Quelques années après le procès de Fouquet, et grâce à des services diplomatiques qu'il avait pu rendre au roi, des amis puissants obtinrent pour lui la permission de rentrer en France, après avoir toutefois restitué à l'épargne une somme de 500,000 livres, à laquelle il avait été taxé par Colbert, qui, malgré les sollicitations les plus pressantes, ne voulut jamais consentir à l'en décharger.

On mit donc simultanément les scellés sur tous les papiers du surintendant et l'on en fit l'inventaire. Les commissaires ne trouvèrent rien à Vaux, sinon une immense quantité de vaisselle, de beaux tableaux, de magnifiques tapisseries, des meubles du plus grand prix. La maison de Paris ne contenait rien d'important, ni en meubles ni en papiers. C'est à Fontainebleau, dans l'appartement qu'il occupait au château, mais principalement à Saint-Mandé, qu'on fit les plus fâcheuses, les plus étranges découvertes. L'histoire de la mystérieuse cassette de Saint-Mandé eut alors le plus grand retentissement. Cette cassette, dans laquelle Fouquet renfermait ses papiers les plus secrets, fut portée au roi, et il en résulta, dit-on, la justification complète de ce vers, tant de fois cité, dans lequel La Fontaine avait dit que jamais surintendant ne trouva de cruelles. Les noms les plus illustres, les plus respectés jusqu'alors, furent compromis. Il n'est pas jusqu'à madame de Sévigné elle-même dont on ne trouva des lettres dans la terrible cassette, mais cette correspondance avait pour unique objet un de ses parents pour qui elle sollicitait quelque grâce. Ce qu'elle a écrit à ce sujet à M. de Pomponne et a Ménage, mais surtout la vivacité des démarches qu'elle fit plus tard, authentiquement et hautement, en faveur du surintendant, suffirait au besoin pour la justifier. Une demoiselle d'honneur de la reine figurait dans les papiers de la cassette pour une promesse à elle faite d'un cadeau de 50,000 écus. C'était le chiffre auquel les ennemis de Fouquet l'accusaient d'avoir taxé les résistances les plus rebelles. Plusieurs autres dames le remerciaient, celle-ci d'une maison qu'elle venait d'acquérir avec ses bienfaits, celle-là d'un don de 30,000 livres, ajoutant toutefois qu'elle n'avait pas de perles et qu'il mettrait le comble à ses bontés en lui en envoyant. En même temps, la cassette donnait la note des présents immenses faits par Fouquet aux personnages les plus puissants de la cour. C'étaient 600,000 livres au duc de Brancas, 200,000 au duc de Richelieu, 100,000 au marquis de Créquy. La première femme de chambre de la reine mère, la Beauvais, y figurait pour 100,000 livres, et la poète Scarron pour 12,000 livres de gages. Malgré le secret que le roi recommanda sur le contenu de la fatale cassette, des noms et des chiffres transpirèrent. Le scandale fut immense. Toute la cour était dans des transes terribles, les uns parce qu'ils se trouvaient réellement compromis, les autres dans la crainte qu'on ne les soupçonnât de l'être. Ajoutez à cela que les libellistes et les pamphlétaires du temps se mirent à fabriquer et à faire imprimer en cachette une multitude de prétendues lettres trouvées dans la cassette de Saint-Mandé. Recherchées avec une avidité extrême, ces lettres coururent tout Paris, la France, l'étranger, au grand désespoir des familles qui y étaient nommées et de Fouquet, qui protesta plusieurs fois à ce sujet pendant le procès contre ce qu'il appelait la déloyauté de ses ennemis.

Les procès-verbaux des commissaires chargés de l'inventaire fournissent de curieux détails sur cette habitation que le surintendant avait a Saint-Mandé[29]. On n'y trouva ni or, ni argent, ni pierreries, que très-peu de vaisselle, «le surplus ayant été porté à Vaux, lors du grand festin;» mais il y avait une serre contenant plus de deux cents orangers, «plus force plantes inconnues et barbares.» Les commissaires remarquèrent aussi que le jardinier en chef, celui qu'on appelait le fleuriste, et dont Fouquet faisait le plus grand cas, était allemand et luthérien, qu'il avait appelé de son pays trois ou quatre autres luthériens et perverti un catholique qui travaillait sous ses ordres, «sans compter, ajoute le procès-verbal, que le sieur Pélisson, principal commis du sieur Fouquet pour les affaires d'importance, est calviniste.» Quant à la bibliothèque de Saint-Mandé, elle était sans contredit une des plus riches et des plus curieuses qu'il y eût alors en France. Deux cordeliers d'Espagne, admis par faveur à la visiter avec les commissaires, s'arrêtèrent principalement dans une pièce où étaient les Alcorans, les Talmuds, les Bibles, et remarquèrent un livre précieux d'un auteur espagnol, dont le roi d'Espagne lui-même n'avait pas le pareil. On peut voir à la Bibliothèque royale le catalogue des livres du surintendant et le procès-verbal de la vente qui en fut faite au mois de septembre 1665 par les soins de trois libraires de Paris[30]. Cette bibliothèque contenait environ six mille volumes. Il y avait plus de cinquante Bibles, tous les Pères, tous les historiens de l'Église, toutes les vies des saints, beaucoup d'ouvrages de géographie et sur les antiquités, tous les historiens grecs, latins et contemporains, plus de deux cents ouvrages de médecine, d'autres, et en grand nombre, sur les mathématiques, l'histoire naturelle, le droit civil, le droit canon, etc., enfin plus de trois cents manuscrits. Je ne parle pas de certain livre obscène que les commissaires eurent le bon esprit de brûler, «le trouvant si impudique et si infâme, dit la relation, qu'il ne pouvait servir de rien qu'à corrompre l'esprit de ceux ou de celles entre les mains de qui il serait tombé[31].» A côté de la bibliothèque, il y avait le cabinet des antiques, tout rempli de statues, d'amulettes, de tables de marbre et de bronze, et où l'on remarquait principalement deux momies égyptiennes parfaitement conservées, ce qui fit dire aux commissaires que «le maître de la maison était omnium curiositatum explorator.» L'inventaire constate enfin que l'on trouva dans un cabinet trois grands barils pleins de grenades de fer et de fonte, environ cinquante pots de grès pleins de poudre, plus six mousquets et deux pistolets si bien travaillés que les amateurs de curiosités ne pouvaient se lasser de les admirer.

Mais ce qui dut surtout nuire à Fouquet dans l'esprit de Louis XIV, ce fut la découverte que l'on fit à Vaux d'un grand nombre de lettres où le nom de ce prince se trouvait très-maladroitement mêlé. Le contenu de la plupart de ces lettres a été conservé dans un procès-verbal dont l'original est heureusement venu jusqu'à nous. La lecture de celles qui suivent suffira pour prouver toute l'importance de ce document que la Bibliothèque royale possède depuis très-peu de temps, et dont, jusqu'à ce jour, aucune des biographies de Fouquet n'avait fait mention[32].

Du 16 mai, sans indication de l'année, sans signature ni adresse, mais de la main de Fouquet:

«Je suis bien ayse que vos affaires soient en estat d'advancer; faites toutes les diligences que vous pourrez avant la Pentecoste pour oster ce qui paroist trop, pour ce qu'après les festes le Roy doit aller en ces quartiers-là, et peut-estre iroit-il bien voir Vaux

Du 8 février 1657, lettre de Fouquet à Courtois, un de ses hommes de confiance:

«Un gentilhomme du voisinage qui s'appelle Villevessin a dit à la Reyne qu'il a esté ces jours-cy à Vaux et qu'il a compté à l'attellier neuf cens hommes. Il faudroit pour empescher cela autant qu'il se pourra exécuter le dessein qu'on avoit fait de mettre des portiers et tenir les portes fermées. Je serois bien ayse que vous advanciez tous les ouvrages le plus que vous pourrez avant la saison que tout le monde va à la campagne et qu'il y ayt en veue le moins de gens qu'il se pourra ensemble.»

Du 27 octobre 1657, de la main de Fouquet, mais sans signature ni adresse:

«Je souhaiterois encor que la grosse terrasse fut faite dans tout le mois de novembre. Ne laissez point aller Talot s'il ne peut sans cela, parcequ'on rempliroit tout de terre, et il n'y paroistroit plus quand le roy repassera auparavant le mois de may, autrement il paroistra encore un grand cahos. Je vous répète encore de ne rien espargner pour aller viste et prendre tout le monde qui se pourra. Je donneray ordre pour l'argent.»

Du 21 novembre 1660, de la main de Fouquet, sans signature ni adresse:

«J'ay appris que le Roy doit aller et toute la cour à Fontainebleau dès le printemps, et que dans ce temps-là le grand nombre d'ouvriers et les gros ouvrages du transport des terres ne peuvent pas paroistre sans me faire bien de la peine, et que je veux maintenant les finir, je vous prie en cette saison que peu de gens vont à Vaux de doubler le nombre de vos ouvriers. Je vous envoyoray autant d'argent qu'il vous en faudra.»

Du 30 mai, sans indication de l'année, lettre signée Watel, adressée à Courtois:

«J'oubliois à vous mander que Monseigneur a tesmoigné qu'il seroit bien ayse de sçavoir quand M. Colbert a esté à Vaux qui fut un jour ou deux après qu'il en fut party, en quels endroits il a esté et qui l'a accompagné et entretenu pendant sa promenade, et mesme ce qu'il a dit; ce qu'il faut tascher de sçavoir sans affectation et mesme les personnes à qui il a parlé.»

Du 22 juin 1658, lettre de Watel à Courtois:

«J'ay fait charger aussy dans le charriot vingt-quatre fuzils, douze mousquetons et des moulles à faire du plomb. J'ay donné charge audit Robert de prendre à Saint-Mandé quarante ou cinquante grenades de fer au cas qu'il les puisse trouver où je les ay mises.»

Du 13 juin 1659, à Courtois, sans signature, mais de la main de Fouquet:

«Après le pont de la Rendue achevé, comme ce sera un des lieux où l'on ira le plus souvent, il ne faut pas que cette monstrueuse hauteur de murs et d'arebontans qui fait cognoistre ce que l'on a dessein de faire demeure toujours en cet estat.»

Du 8 juin 1659, sans adresse ni signature, mais de la main de Fouquet:

«Le Roy doit aller dans peu de temps à Fontainebleau à environ le dix huict ou vingt; j'auray grande compagnie à Vaux, mais il n'en fault point parler, et desbarrasser pendant ce temps toutes choses, pour qu'il y paroisse moins qu'il se pourra d'ouvrages à faire.»

A Courtois, de la main de Fouquet, sans date ni signature:

«Le Roy va dans huict ou dix jours à Fontainebleau pour y faire quelque séjour. Je vous prie entre icy et ce temps là sans en parler à personne qu'à M. Roussel d'apporter tous vos soins pour advancer les grands ouvrages qui sont imparfaits comme est la terrasse, affin qu'estant remplis il n'y paroisse plus rien... Si quelqu'un va à Vaux, faites en sorte de les accompagner et leur montrer peu de chose, ne les pas mesner du côté du nouveau canal, ny aux lieux où il paroist beaucoup d'ouvrages; si l'on pouvoit se clore en sorte que l'on n'entrast pas partout, cela seroit bon; mandez moy vostre advis.»

Sans date, signature ni adresse, de la main de Fouquet:

«Son Éminence ira mercredi coucher à Vaux; faudra congédier les journaliers et massons du grand Canal, en sorte qu'il y en ayt peu; faut les employer pendant ce temps là dans les Frumes et à Maincy.»

Ainsi, Fouquet cherchait à cacher non-seulement au roi, mais encore à Mazarin et à Colbert, les énormes dépenses qu'il faisait à Vaux. On se figure aisément la colère de Louis XIV quand il sut que sa personne avait été l'objet de pareilles précautions, en voyant son nom compromis de la sorte auprès des agents subalternes du surintendant. Cependant, afin de ne pas commettre le nom du roi dans le procès, ces lettres demeurèrent secrètes, et les réquisitoires n'en firent pas mention; mais, tout en admettant la gravité des autres griefs, il est permis de croire qu'elles exercèrent une influence considérable sur la destinée de Fouquet.

On se souvient qu'immédiatement après son arrestation, il avait été dirigé sur le château d'Angers, sous l'escorte de cent mousquetaires commandés par d'Artagnan. Dès ce moment, l'animosité de ses accusateurs se trahit maladroitement par une série non interrompue de fausses mesures et de fautes qui éternisèrent le procès et aboutirent à un résultat tout différent de celui qu'ils avaient espéré. Les inventaires furent faits de la manière la plus irrégulière par les créatures de Colbert, qui, c'était le bruit public, travaillaient depuis longtemps à renvoyer le surintendant, et lui avait porté dans l'ombre les plus terribles coups. Lui-même s'arrangea de manière à assister, bien qu'il n'en eût pas le droit et que les convenances le lui interdissent, au dépouillement des papiers de Saint-Mandé; et ce fut plus tard une opinion généralement accréditée qu'il avait soustrait ou fait soustraire des lettres qui auraient gravement compromis le cardinal, tout en atténuant les torts de Fouquet. Conformément à l'ancien projet de Colbert, on avait organisé une Chambre de justice composée de vingt-sept membres et instituée spécialement pour la recherche des malversations imputées aux financiers. C'est devant elle que Fouquet eut à répondre, malgré ses énergiques protestations, fondées sur les termes mêmes de sa commission, d'après lesquels il n'était justiciable que du roi, et tout au moins sur sa qualité de vétéran qui, d'après les anciens usages et les précédents, lui conférait le droit de ne pouvoir être jugé que par le parlement de Paris. Au lieu de cela, on lui donna un tribunal spécial, exceptionnel. Assimilé à un simple financier, doublement déchu, il aurait à répondre devant une Chambre de justice dont les membres avaient été choisis après coup parmi tous les Parlements du royaume. Enfin, le chancelier Séguier, président de la Chambre de justice, le procureur général Talon, le conseiller Pussort, et Foucault, greffier, maître, en cette qualité, de toutes les pièces du procès, étaient formellement récusés par Fouquet; messieurs Séguier et Talon comme ses ennemis personnels, le conseiller Pussort, comme oncle même de Colbert, sa partie, et Foucault, comme un des serviteurs les plus dévoués. On savait de plus que, derrière le président, le procureur général et le greffier, il y avait un autre agent de Colbert, nommé Berryer, qui dirigeait le procès avec une passion extraordinaire et tellement manifeste qu'il en résulta bientôt une réaction marquée en faveur de Fouquet, non-seulement dans le public, mais dans la Chambre de justice elle-même.

C'est une observation déjà ancienne que la plupart des hommes savent mieux supporter les coups du sort, quelque terribles et inattendus qu'ils soient, que les faveurs les plus éclatantes de la fortune. Voyez ce qui arrive à Fouquet. Cet homme, qui, hier encore, marchait après le roi et dont le roi lui-même redoutait la puissance; qui dépensait 9 millions pour se bâtir un palais digne de sa grandeur; qui avait à son service les talents des premiers poëtes et des premiers peintres de la France, La Fontaine et Molière, Corneille et Lebrun; cet ambitieux, plein à la fois de vanité et d'orgueil; ce joueur qui mettait 10,000 pistoles sur une carte; ce débauché qui ne craignait pas de gaspiller 50,000 écus; 50,000 écus arrachés, volés au peuple! pour la satisfaction d'un caprice, le voilà tout à coup précipité du faîte de sa fortune et de ses emplois. Un mousquetaire lui a demandé son épée de la part du roi, et en un instant sa toute-puissance s'est évanouie comme une ombre; le vide s'est fait autour de lui. Tout à l'heure il se disait: «Où ne monterai-je point?» Quò non ascendam? Il est tombé au fond d'un cachot, et non-seulement lui, mais ses amis et tous ceux qui sont soupçonnés de l'être. Quelques-uns ont échappé aux lettres de cachet: ce sont ceux qui, prévenus à temps, ont pu passer en Belgique et en Angleterre. Quant à sa famille, on la dissémine dans les provinces; on l'exile de la cour, afin qu'elle ne puisse pas même solliciter en sa faveur. Eh bien! à peine arrêté, l'ambitieux, le joueur, le débauché redevient homme. Il semble qu'un bandeau soit soudainement tombé de ses yeux. Il reconnaît que le présent n'est pas toute la vie, qu'au delà de l'homme il y a Dieu, et il pense à sa mère que ses scandales ont tant affligée. Cependant, à Angers, il tomba malade, et son état sembla de nature à inspirer quelque inquiétude; alors il demande un prêtre et un médecin. On lui accorde le médecin; on lui refuse le prêtre. Il insiste, mais d'Artagnan est inflexible; ses ordres portent qu'il ne doit lui donner un prêtre qu'à la dernière extrémité, et c'est à grand'peine qu'il peut lui fournir un lit[33]. Bientôt pourtant sa santé se rétablit, et on le conduisit d'Angers à Amboise, d'où on le fit partir pour Vincennes le jour même de Noël, malgré sa prière de remettre au lendemain. On se souvient que, sur toute la route, il avait été escorté par les injures du peuple. Voici comment Fouquet explique ces manifestations. «Un homme qui a été surintendant pendant neuf ans, dans un temps de misères, après des banqueroutes, après des guerres civiles, après le crédit du roi entièrement perdu, après M. le cardinal enrichi de 50 millions partagés entre lui et les siens, sans omettre le sieur Colbert qui ne s'est pas oublié, l'administration d'un tel temps, dit Fouquet, fait d'ordinaire assez d'ennemis et donne assez d'aversion.» Sans doute; mais cela excuse-t-il les folles dépenses, les prodigalités inouïes, les largesses scandaleuses, le jeu effréné, les projets de révolte? Trois mois après, le 4 mars 1662, deux des conseillers faisant partie de la Chambre de justice allèrent l'interroger à Vincennes, où il était toujours enfermé. D'abord, Fouquet déclina la compétence de ses juges; on passa outre. Plus tard, il voulut exercer des récusations; elles furent rejetées par un arrêt. Ensuite, comme il refusait de répondre, on lui signifia, ce sont les propres termes d'un réquisitoire de M. Talon, qu'on lui ferait son procès comme à un muet. Désespéré de ce qui lui paraissait une horrible injustice, mais puisant chaque jour dans les enseignements de la religion et dans la lecture des livres sacrés une force nouvelle, il se soumit, tout en faisant cependant ses réserves, et l'instruction du procès put enfin commencer.

Je n'ai pas besoin de dire l'émotion, l'anxiété de ses amis à chacune des phases que ce procès célèbre eut à traverser, ni la curiosité avec laquelle tout le monde recherchait et accueillait les moindres nouvelles qui s'y rattachaient. Jamais, en France, aucune affaire criminelle ne préoccupa à ce point les esprits. Il suffit, pour s'en convaincre, de relire les lettres que madame de Sévigné écrivit à ce sujet à M. de Pomponne. Peu à peu, je l'ai déjà dit, l'opinion publique, d'abord très-hostile à Fouquet, s'était retournée contre ses accusateurs, à qui l'on reprochait, avec raison, la violation de toutes les formes usitées, et dont quelques-uns faisaient preuve d'une passion au moins maladroite. A l'époque de son arrestation, on croyait n'avoir à poursuivre le surintendant que pour crime de péculat. Or, le bruit s'était bientôt répandu qu'on avait trouvé, dans ses papiers de Saint-Mandé, un projet de rébellion écrit, corrigé par lui à plusieurs reprises, et dans lequel il donnait à ses amis les plus grands détails sur la marche qu'ils auraient à suivre dans le cas, disait-il, où l'on aurait voulu l'opprimer. Ce papier, véritable plan de guerre civile, compromettait, assurait-on, les personnes les plus considérables du royaume, et l'on avait trouvé, comme pièces accessoires du projet de révolte, deux engagements signés, l'un par un président au Parlement, le sieur Maridor, l'autre par le sieur Deslandes, commandant la citadelle de Concarneau au nom de Fouquet, à qui elle appartenait, engagements conçus tous les deux en termes au moins singuliers, et qui ajoutaient encore à la gravité du plan de guerre civile écrit de sa main.

L'acte d'accusation parut enfin. Il se réduisait à deux chefs principaux: crime d'État et malversations dans l'administration des finances. Au premier chef, Fouquet était accusé:

1º D'avoir écrit un projet de ce qui serait à faire par ses parents et amis, dans le cas où on l'aurait arrêté;

2º D'avoir fortifié Belle-Isle et d'y avoir mis du canon dedans;

3º D'avoir eu le gouvernement de Concarneau;

4º D'avoir pris des écrits de diverses personnes portant engagement de se dévouer d'une manière absolue à ses intérêts.

Les griefs relatifs aux malversations dans les finances étaient beaucoup plus nombreux. On accusait Fouquet:

1º D'avoir fait faire des prêts supposés et sans nécessité, afin de se créer un titre pour prendre des intérêts;

2º D'avoir fait des avances au roi de ses deniers, ce qui était contre les règles, étant lui-même ordonnateur;

3º D'avoir confondu les deniers du roi avec les siens propres et de les avoir employés à ses affaires domestiques;

4º De s'être intéressé dans les fermes et traités, sous des noms supposés, et d'avoir acquis à vil prix des droits et biens du roi;

5º D'avoir pris des pensions et gratifications des fermiers et traitants, pour leur faire avoir leurs fermes et traités à meilleur marché;

6º D'avoir fait revivre de vieux billets surannés, achetés au dernier 30, et de les avoir, pour cet effet, employés dans des ordonnances de comptant, pour en tirer profit[34];

8º Enfin, on alléguait contre lui que son administration avait été ruineuse, qu'il avait fait des traités désavantageux au roi et qu'il en avait consommé les fonds sans profit pour l'État.

Maintenant, si l'on veut descendre aux détails, on trouve l'affaire des 6 millions dont j'ai déjà parlé, celle dite du marc d'or, «où la chambre verra, assurait M. Talon dans un réquisitoire, que, moyennant 5,625 livres, le sieur Fouquet s'est approprié 90,000 livres de rente;» celles des sucres et cires de Rouen, où il avait eu aussi une rente de 75,000 livres. Enfin, on l'accusait subsidiairement de s'être fait donner des pensions sur toutes les fermes, savoir:

120,000 livres sur les gabelles;
140,000 livres sur les aides;
25,000 livres sur le sel de Charente;
7,000 livres sur le Pied-Fourché[35];
20,000 livres sur les gabelles du Lyonnais;
40,000 livres sur le convoi de Bordeaux[36];
10,000 livres sur les gabelles du Dauphiné[37].

Il serait au moins téméraire d'entrer aujourd'hui dans la discussion de cette partie du procès. Le surintendant d'Effiat comparait, avec raison, les financiers, trésoriers et receveurs généraux de son temps à la seiche, «qui a cette industrie, disait-il, de troubler l'eau pour tromper les yeux du pêcheur qui l'épie.» Plus que personne, Fouquet a complètement justifié cette bizarre comparaison d'un de ses prédécesseurs. Il faut que, même à l'époque de son procès, et pour ceux qui étaient obligés de le soutenir, la matière fût singulièrement embrouillée, pour que M. Talon ait parlé de tous les griefs relatifs aux finances sans porter aucune clarté dans les esprits. On croit voir, en le lisant, qu'il les a étudiés et se les est fait expliquer; mais, à coup sûr, il ne les discute pas de manière à les faire comprendre et à convaincre. Cela est si vrai que, dans ses défenses, Fouquet, discutant lui-même l'acte d'accusation, paragraphe par paragraphe, oppose à chaque grief les dénégations les plus positives, les plus formelles, accompagnées d'interminables raisonnements. Une chose est faite du reste pour confondre quand on a lu les quinze volumes qui contiennent ses défenses: c'est qu'il ne passe condamnation sur aucun fait. A l'entendre, et il prouve ceci de la manière la plus péremptoire, quelquefois même avec un accent d'indignation qui va jusqu'à l'éloquence, le cardinal a volé le royaume de 50 millions; Colbert, «son domestique, qui avait sa bourse et son cœur,» Berryer et Foucault, agents de Colbert, ne se sont pas oubliés et possèdent tous de grands biens. Lui seul n'a jamais abusé de sa charge, ni pour son propre compte, ni pour le compte de ses amis, pas même pour Gourville. Son unique souci a toujours été de procurer au cardinal les 24 ou 25 millions que celui-ci lui demandait tous les ans et dépensait sans contrôle. Sans aucun doute, il a quelquefois négligé les formalités, mais fallait-il compromettre le succès de la guerre, laisser prendre Lens et Arras? Ainsi, pendant que les fortunes les plus insolentes s'étaient élevées à ses côtés, grâce aux trafics les plus scandaleux, seul parmi tous, il était resté pur de tout trafic, malgré les facilités que lui donnait sa charge. Vainement M. Talon lui objectait ses folies de Vaux, sa dépense annuelle, ses royales largesses, constatées par les comptes de ses commis[38]. A cela Fouquet répondait que les appointements de sa charge, le bien de sa femme, ses dettes présentes, expliquaient les dépenses exorbitantes qu'il avait pu faire, dépenses exagérées du reste par ses accusateurs, mais pour lesquelles on ne pouvait, au surplus, le mettre en cause. Or, le revenu de sa charge, du bien de sa femme, les gratifications du roi, pouvaient être estimés à 600,000 livres, et il dépensait plusieurs millions! Quant aux dettes, elles s'expliquaient par l'achat de Belle-Isle et d'autres propriétés considérables non encore payées. Comment croire ensuite que Fouquet aurait, après la mort de Mazarin, demandé pardon au roi pour ce qui avait pu se passer d'irrégulier antérieurement, s'il n'avait eu à se reprocher que de simples omissions de formalités? Évidemment, sa cause était mauvaise, insoutenable; et, sans entrer dans le détail des faits, on peut assurer hardiment qu'il y avait eu de sa part gaspillage, abus, malversations. Maintenant, pourquoi le cardinal, beaucoup plus coupable sous ce rapport, après être mort entouré de gloire et d'honneurs, laissant à d'ineptes héritiers la plus grande fortune qu'un particulier eût jamais possédée, recevait-il les éloges les plus pompeux dans les réquisitoires de M. Talon, tandis que Fouquet, ruiné, en prison, était sous le poids d'une accusation où il y allait de sa vie? voilà ce que ce dernier ne pouvait comprendre, ce qui lui paraissait une épouvantable injustice, et ce qui en eût été une bien grande en effet, s'il n'y avait eu contre lui un autre grief que celui du péculat; je veux parler du crime d'État, sur lequel on ne comptait d'abord que vaguement, et qui devint plus tard, grâce aux découvertes faites à Saint-Mandé, la ressource principale de l'accusation.

Jusqu'à présent, on a généralement regardé Fouquet comme la victime d'une intrigue de cour, et l'on répète même encore de très-bonne foi que Louis XIV ne fut animé dans sa conduite, durant toute cette affaire, que par un lâche ressentiment personnel; enfin, on veut toujours voir l'amant derrière le roi. Cette opinion, on a déjà pu s'en convaincre, n'est pas entièrement d'accord avec les faits. La lecture de la pièce qui motiva la condamnation de Fouquet achèvera de le démontrer. Cette pièce n'a encore été reproduite textuellement par aucun biographe, et cependant elle forme un curieux appendice à l'histoire des premières années du règne de Louis XIV. L'écrit original, tracé en entier de la main du surintendant, fut découvert à Saint-Mandé, derrière une glace. On trouva également parmi les papiers du surintendant deux engagements conçus dans une forme des plus étranges et tous les deux fort suspects, l'un du capitaine Deslandes, l'autre du président Maridor. Il n'est pas sans intérêt de les transcrire ici, bien que leur importance s'efface devant celle du projet de révolte. Ils donneront au moins une idée de la légèreté de l'homme qui les acceptait et qui les oubliait dans ses papiers, après tous les propos que ses amis lui avaient rapportés depuis la fête de Vaux. Voici d'abord l'engagement du capitaine Deslandes: