fallofdamnosicon.jpg
CHAPITRE NEUF

Brakkius guida Retiarii le long de la pente. Frères Renatus et Herdantes restaient courbés derrière leur chef d’escouade, armes au poing. Dès qu’ils furent repérés, un éclair de lumière émeraude illumina la neige et la glace. Les tirs de bolters qui lui répondirent abattirent l’un des guerriers nécrons sans le détruire. Avant que Brakkius et ses troupes ne se soient repliés, le monstre avait déjà commencé à s’autoréparer.

Malgré l’absence de dommages permanents, l’attaque de Retiarii provoqua la réaction que Scipio escomptait. Trois des six guerriers abandonnèrent l’obélisque pour se lancer aux trousses de Brakkius.

Deux détonations venant de la position d’Ortus emportèrent le crâne d’un des mécanoïdes. Il s’effondra, fut parcouru d’un frisson et disparut. Un autre bolt alla frapper l’épaulière d’un deuxième nécron, l’empêchant de riposter.

Le feu croisé fonctionnait. Il débusqua les trois autres ennemis. Scipio et Largo s’étaient déjà faufilés avant l’attaque de Brakkius et allaient les prendre de flanc lorsque les tirs du sniper cessèrent subitement. Scipio s’apprêtait à donner l’ordre d’attaquer, mais se retint et scruta rapidement la position surélevée d’Ortus, se demandant pourquoi il ne tirait plus.

Frère, rapport, lança-t-il dans sa radio.

Des hurlements lui répondirent, venus du bas de la pente. On aurait dit Renatus.

Brakkius !

Nous sommes attaqués, sergent, répondit Brakkius sur un ton urgent.

Scipio était sorti de la gorge mais ne voyait pas le sentier en raison de la pente abrupte qui l’en séparait. Il distingua toutefois les flashs des tirs, et comprit que les armes qui les émettaient étaient braquées à l’opposé de l’obélisque.

Dans la glace. En dessous de nous !

Largo était prêt à se déplacer.

Qu’est-ce qu’on fait ?

Les guerriers avaient déclenché un épais rideau de tirs. Leur progression lente et méthodique les conduirait au bord du sentier, en vue de la gorge, dans quelques minutes. Alors, Brakkius devrait faire face à des ennemis attaquant sur deux fronts. Scipio jura. Il ne savait pas encore qui s’en prenait à Brakkius, dans la gorge, mais soupçonnait qu’il s’agissait de l’adversaire qui avait neutralisé Ortus.

À l’attaque !

Scipio bondit de sa position accroupie, comme un ressort, et vida un demi-chargeur sur le guerrier le plus proche. Bien que criblé de bolts, le nécron se retourna et libéra un torrent de rayons à fission. Scipio en reçut un dans la jambe, qui le fit vaciller, mais il continua de courir. Derrière lui, Largo le couvrait de ses tirs ; il fit exploser la poitrine du mécanoïde d’une rafale précise. Ce dernier se désintégra, ce qui ne laissait que quatre ennemis, plus ce qui se trouvait dans la gorge.

Une griffe traversa la glace aux pieds de Scipio, comme en réponse à sa question non formulée, et se referma sur sa cheville. Instinctivement, l’Ultramarine baissa son arme pour faire feu sur son assaillant, constellant le sol de cratères. Des yeux impitoyables flamboyèrent, émeraude, à travers la couche de glace scintillante, avant de devenir des braises puis de s’éteindre comme la créature disparaissait.

Mais elle n’était pas seule.

Scipio jura de nouveau, se rendant compte qu’il y avait bel et bien des visages sous la glace, mais pas ceux d’autochtones de Damnos ; plus maintenant – c’étaient des nécrons, des cauchemars drapés de peau humaine qui fouissaient et s’extrayaient comme des insectes mécaniques. Brakkius devait faire face aux mêmes ennemis. Ortus leur avait déjà succombé. C’était un piège, tendu par les nécrons, et Scipio s’était jeté dedans.

Sergent Vorolanus !

La glace se brisa aux pieds de Scipio et il fut tiré vers le bas au moment même où retentissait l’avertissement de Largo. Il frappa du pied et sa botte de céramite rencontra le métal nécron. Faute de meilleure option, il abattit son épée tronçonneuse dans la glace mi-fondue d’où émergeaient les horreurs. Des gerbes d’étincelles partirent dans l’air et moururent en retombant au sol, arrachées à quelque chose de dur et de métallique.

Des serres. Les créatures étaient munies de longues serres courbes, comme les troupes embusquées qu’ils avaient affrontées et détruites à la raffinerie de Thanatos. Scipio se maudit pour sa sottise. Il s’était précipité sans étudier le terrain ; mais il restait un Ultramarine, et ses frères étaient avec lui. Tout n’était pas perdu. Il baissa son pistolet bolter et tira deux projectiles dans la glace lorsque la douleur remonta de la jambe que le dépeceur avait blessée.

Un deuxième monstre s’extirpa et se dressa au-dessus de lui. Scipio réussit à dégager son épée et para un coup qui lui aurait tranché la gorge.

Rejeton de l’enfer !

Deux autres bolts allèrent frapper son agresseur encore enfoui ; un revers d’épée tronçonneuse trancha les câbles et les servomoteurs du nécron qui venait de faire surface. L’être recula, sonné, mais s’autoréparait déjà.

Frère !

Largo avait ses propres problèmes. Trois autres dépeceurs s’étaient extraits du sol, tels des cadavres revenus à la vie pour se venger des vivants. Largo tira quelques rafales précises dans leurs rangs pour les ralentir, mais les munitions lui manquaient déjà et les dommages qu’il leur causa ne suffirent pas à les terrasser définitivement.

Le combat dans la gorge diminuait lui aussi en intensité. La fusillade de Retiarii faiblissait, ce que Scipio prit pour un mauvais présage. Brakkius était peut-être mort. Lorsque les guerriers nécrons atteindraient le bord de la gorge, cela ne ferait plus aucun doute.

Le temps ralentit ; le destin avait fini par rattraper Scipio Vorolanus. Il avait soupesé sa témérité, le fatalisme égoïste qui rongeait le sergent comme un cancer depuis la mort d’Orad, et avait décidé de les lui faire payer.

Mais Scipio luttait :

Ce n’est pas la fin !

L’écorcheur qu’il avait blessé se relevait. Il le visa de son pistolet pour l’achever, mais la détente cliqueta en vain, faute de munitions. Impuissant, à moitié pris dans la glace, ses chargeurs de ceinture étaient hors d’atteinte.

Le métal coula comme de l’huile sur la surface de la toundra. Les fils et les câbles se ressoudèrent, serpentant sur le sol, rétablissant les fonctions vitales de l’être. La colonne vertébrale tranchée par le coup de Scipio rampa en direction du torse mutilé, emportant avec elle les jambes et l’abdomen. La fusion du métal fut rapide et complète – seule la cape de chair du nécron témoignait des dommages reçus.

Par le souffle de Guilliman, cracha Scipio en serrant les dents et en levant les yeux au ciel, comme s’il espérait une intervention divine. Pourquoi ne restent-ils pas morts ?

Largo était à court de place et de munitions. Il tira Scipio de la fosse glacée et le remit sur pied. Dos à dos, ils firent face à six dépeceurs, chacun d’eux un adversaire à la hauteur de n’importe quel guerrier de la Deuxième. Les guerriers nécrons, quant à eux, poursuivaient leur mission initiale et continuèrent de marcher sur ce qui restait de Brakkius et de Retiarii.

Scipio enfonça son dernier chargeur dans son pistolet ; Largo laissa son bolter vide pendre sur sa sangle et tira sa lame.

Si j’avais su, Largo…

Nous vous aurions quand même suivi, frère-sergent. Seule la mort.

Scipio hocha sombrement la tête.

Seule la mort.

Une traînée de fumée traversa soudain le champ de vision de l’Ultramarine dans un bruit sourd, avant de submerger de flammes le dépeceur le plus proche et de le mettre en pièces. Deux grenades suivirent ; elles émirent un vrombissement sourd et se fixèrent magnétiquement à un deuxième nécron. L’explosion fut brûlante, assourdissante. Des shrapnells vinrent ricocher sur l’armure des Space Marines. Choisissant d’ignorer pour l’instant ce retournement de situation, Scipio et Largo s’écartèrent l’un de l’autre pour engager l’ennemi lorsqu’un bola vint s’enrouler autour du cou d’un mécanoïde avant d’exploser et de lui arracher la tête.

Trois nécrons se dématérialisèrent en moins d’une minute. Les guerriers pivotèrent pour réagir à cette nouvelle donne. Trois tirs de laser en arrêtèrent un en détruisant les jointures de ses jambes et la cellule énergétique de son fusil à fission. Une hache de jet s’enfonça dans un deuxième. Celle-ci était garnie d’explosifs, qui terrassèrent le nécron aussi sûrement que les écorcheurs, un peu plus tôt.

Sentant que le combat tournait en leur faveur, Scipio abattit un autre mécanoïde tandis que Largo donnait le coup de grâce de sa lame de combat. Les deux guerriers et le dépeceur restants disparurent après cette contre-attaque soudaine.

Dans le sillage de leur dématérialisation, Scipio scruta ses sauveurs. Sa vue améliorée distingua des ombres dans les pics couronnés de neige, au-dessus de lui. Elles portaient des tenues de camouflage et avaient étalé de la neige sur leurs visages. Même leurs armes étaient entourées de chiffons blanchis et peintes pour se fondre dans leur environnement.

Montrez-vous, lança Scipio à la pénombre. Au nom de l’Adeptus Astartes de l’Empereur.

Lentement, les chasseurs – ou qui qu’ils soient – quittèrent leurs positions. Ils étaient bien équipés. Scipio distingua un tube lanceur, des carabines laser de gros calibre, des bandoulières de grenades et plusieurs bombes artisanales. Chacun d’eux portait également un piolet – c’était d’ailleurs un piolet, et non une hache, qui avait eu raison d’un ennemi, quelques secondes plus tôt.

Une bande d’hommes hirsutes émergea dans la lumière, quand bien même elle n’émanait que d’un crépuscule maussade qui envahissait à présent la gorge et le plateau qui la surplombait. Couturés de cicatrices, aussi durs que le permafrost sous leurs pieds, Scipio comprit qu’il s’agissait de guérilleros.

Il adressa un hochement de tête à celui qui semblait être leur chef. Une épaisse barbe lui mangeait la moitié inférieure du visage et des tatouages étranges couvraient ses joues et son front. Malgré plusieurs écharpes enroulées autour de son cou, son nez, ses oreilles et le pourtour de ses yeux étaient rouges de leur exposition au froid. Plusieurs épaisseurs de bandages lui servaient de gants. Une cape en lambeaux, qui avait peut-être été une gabardine, jadis, remuait dans la brise.

Scipio dominait l’homme de toute sa taille, mais celui-ci ne semblait pas impressionné.

Le Space Marine lui tendit la main.

Nous vous sommes redevables.

L’homme ne répondit pas et se contenta de serrer les doigts sur sa carabine.

Le piège n’était pas pour vous, dit une voix ferme venue de plus haut.

C’était une femme, qui descendait en zigzaguant adroitement parmi les rocs. Elle était vêtue comme les autres, mais Scipio aperçut une combinaison moulante striée sous ses écharpes et sa cape. Cela lui évoqua une forme de protection thermique, bien que non fonctionnelle. Des cheveux roux, rendus secs par le froid, dépassaient d’un bonnet de fourrure. Une paire de lunettes de protection, aux verres teintés de rose, pendait à son cou.

Ses yeux de jade perçants jaugèrent l’Ultramarine, les courbes de son armure, sa stature, sa puissance, tandis qu’elle approchait.

C’est moi qu’ils cherchent.

Elle s’arrêta à quelques mètres de Scipio et écarta les bras.

Nous tous.

Elle désigna l’obélisque et ajouta :

Un poste de communication. L’Empereur seul sait comment il fonctionne. Le Héraut l’utilise pour nous parler.

Scipio fronça les sourcils.

Le Héraut ?

Scipio se souvenait du lien traumatisant que Tigurius avait établi avec la créature du même nom.

Il est leur voix, expliqua la femme. On ne voit pas beaucoup de ces postes, par ici. Ils doivent chercher à s’étendre.

Elle se rapprocha, estimant qu’elle pouvait se fier au guerrier, et lui tendit la main.

Jynn Evvers.

Scipio la serra par politesse, en veillant à ne pas broyer les doigts délicats, et eut la surprise d’éprouver une poigne solide.

Vous les chassez, dit-il.

Pourquoi croyez-vous qu’ils cherchent à nous attraper ? Et ils ont bien failli y arriver avant que vous ne tombiez du ciel.

Elle lui présenta son profil, révélant un chapelet de tatouages similaires à ceux de l’homme barbu. Les motifs serpentaient comme un fouillis de chromosomes.

Voici mon équipe : Densk, Farge, Makker…

Les noms n’avaient aucune importance pour Scipio, mais la femme les donna, tous les dix-huit. Chacun des combattants hocha la tête, sourit ou resta indifférent lorsqu’il fut présenté. Densk était le barbu. Scipio découvrit plus tard qu’il n’avait pas de langue : le froid en avait eu raison. Il découvrit aussi, ultérieurement, que les guérilleros avaient été plus nombreux, bien plus nombreux.

Nous devrions nous mettre en route, conclut Jynn après avoir fait les présentations. Les têtes de métal reviendront bientôt.

Scipio échangea un regard avec Largo – ce devait être le terme qu’utilisaient les résistants pour désigner les nécrons. Du coin de l’œil, il aperçut Brakkius qui émergeait de la gorge. Il boitait. Herdantes tenait son bras blessé, et tous deux tiraient Renatus.

Largo, quant à lui, partit après que Scipio ait posé la main sur son épaule.

Trouve Ortus, murmura-t-il.

Capitaine Evvers ! lança l’une des guerrières humaines, appelée Sia, qui s’occupait de surveiller le secteur.

À son avertissement répondirent les sons de carabines qu’on armait et les humains se dispersèrent aussitôt parmi les rochers.

Scipio était assez impressionné ; il avait déjà vu des escouades de troupes de choc à peine plus disciplinées. Mais il ne bougea pas. Son auspex lui révéla l’identité des nouveaux venus.

Ils sont avec moi, dit-il en apercevant Venetores, menée par Cator, courir vers eux.

Les guérilleros se détendirent, mais seulement lorsqu’Evvers leur en donna le signal. L’opinion que Scipio avait d’eux en fut encore améliorée. Il indiqua à Cator, par gestes discrets, que les humains étaient des alliés. Venetores rejoignit le groupe.

Je suis navré, frère-sergent, dit Cator. Le contournement nous a pris beaucoup de temps.

Scipio chassa sa contrition d’un geste.

J’aurais dû attendre, frère. Du coup…

Il embrassa du bras les blessures subies par les Foudres.

Que s’est-il passé ?

Brakkius et le reste de Retiarii arrivèrent à leur tour.

Nous sommes tombés dans une embuscade, dit Scipio. Dans la gorge, et ici.

Largo secoua la tête en revenant à ses côtés. Ortus était mort.

Venatio est retourné auprès du capitaine Sicarius. L’héritage d’Ortus est perdu.

Scipio serra les dents, n’appréciant guère les options qui s’offraient à lui.

Nous ne pouvons pas le porter.

Largo secoua de nouveau la tête.

Ça n’a pas d’importance. Il ne reste rien de lui.

Scipio serra le poing pour contenir sa colère. Il se tourna vers Evvers.

Votre camp est proche ?

Oui.

Avez-vous du matériel médical ?

Un peu.

Elle semblait tout aussi préoccupée par les événements que Scipio.

Emmenez-nous.

Largo posa le bras sur le brassard de Scipio, son regard lui intimant la prudence.

Nous n’avons pas le choix. Que voudrais-tu que je fasse, Largo ?

Largo n’insista pas, mais il n’en avait pas tout à fait terminé.

Et notre mission ?

Si nous ne trouvons pas un chemin parmi les montagnes, il n’y aura pas de mission. Ortus est mort, de même que Naceon.

Scipio regarda Brakkius et ses hommes.

Je ne perdrai pas un autre Astartes. Pas aussi inutilement, pas comme ça.

Largo opina.

Votre camp, donc, répéta Scipio à Evvers. Où est-il ?

Au final, Jynn n’eut pas le choix. Elle ne voulait pas conduire les Space Marines au camp, notamment parce que leur présence risquait d’attirer les têtes de métal, mais comment refuser ? Elle avait hésité avant de leur porter secours, et à présent qu’ils cheminaient ensemble à travers les montagnes, une part d’elle regrettait sa décision.

Bien entendu, les guerriers surhumains feraient d’excellents protecteurs, mais les humains avaient survécu sans eux jusque-là, et Jynn n’avait aucun désir que la situation change. De plus, elle n’aurait su dire si la mission principale des Space Marines était bel et bien de protéger les autochtones. Après tout, ils étaient l’incarnation de la mort, et la proximité de tels êtres ne pouvait que faire peser son ombre parmi eux.

Tandis qu’ils grimpaient toujours plus haut parmi les pics gelés et les pentes couvertes d’aiguilles de glace, elle s’interrogea sur leur chef. En prêtant l’oreille aux échanges murmurés des Space Marines, elle avait compris qu’il s’appelait Scipio et qu’il était sergent. Jynn en savait autant que n’importe quel citoyen impérial sur les Space Marines, c’est-à-dire pas grand-chose. Pour elle, ils étaient des guerriers de légende, des anges volant sur des ailes de feu, maniant le tonnerre et les éclairs en guise d’armes.

Ces clichés étaient bien entendu des exagérations romanesques, des extrapolations culturelles basées sur les tapisseries, les statues et les peintures. La vérité était à présent face à elle. Ils étaient surhumains, certes, mais ils étaient faillibles et mortels ; ce n’étaient pas les demi-dieux invincibles que certains décrivaient. Toutefois, si son âme n’avait été préoccupée et assombrie par la guerre, Jynn aurait sans doute été émerveillée.

Le souvenir de Korve, feu son mari, lui revint alors qu’ils franchissaient une nouvelle crête et que la neige s’épaississait. Ce qui avait commencé comme un léger semis de flocons sur ses épaules et sa tête était devenu un déluge qui lui cinglait tout le corps. Elle glissa sur une plaque de verglas et faillit tomber. Elle tendit le bras au dernier moment et s’agrippa à un éperon rocheux étrangement lisse, puis se rendit compte qu’il s’agissait de Scipio.

Attention, capitaine Evvers, fit-il en l’aidant à se redresser.

Elle hocha la tête en guise de remerciement.

C’est Jynn, dit-elle. Mon nom, je veux dire. Ça me fait bizarre qu’un Ange de l’Empereur me donne du « capitaine ».

Vous portez bien votre grade, Jynn.

Elle tapota de l’index le plastron de Scipio.

Et vous êtes Scipio ?

Scipio baissa les yeux sur son doigt, ne sachant trop qu’en faire. Au final, il répondit simplement :

Je suis le frère-sergent Vorolanus, oui, mais vous pouvez m’appeler Scipio. Vous m’avez sans doute sauvé la vie, ainsi que celle de mon escouade, vous avez donc mérité ce droit.

Elle eut un reniflement dédaigneux.

Mérité ce droit, hein ? Allons, dit-elle en lui tournant le dos, nous sommes tout près.

Ils atteignirent le camp quelques minutes après. Il était en hauteur, à l’abri des yeux des nécrons. Les guérilleros devaient compter des ingénieurs et des techniciens, car ils avaient érigé des brouilleurs pour contrer les senseurs des mécanoïdes.

Scipio dénombra six autres hommes dans le camp, dont un médecin et quelqu’un qui semblait être responsable du système de brouillage.

Largo apparut aux côtés de son sergent et parla à voix basse.

Notre radio ne fonctionne plus. Devons-nous… ?

Il désigna les brouilleurs, des antennes cannelées plantées dans le sol comme des épieux. En les scrutant, Scipio se rendit compte que le camp entier, jusqu’à ses tentes primitives et à ses générateurs compacts, était portable. Il se demanda combien de fois les guérilleros avaient dû se déplacer, depuis le début de l’occupation, et combien de temps ils avaient mis à comprendre que tel serait désormais leur lot.

Non, dit-il en tendant la main, paume vers le sol. Laisse. La radio ne nous servira à rien, ici.

Ils suivirent Jynn Evvers, les guérilleros s’éparpillant pour aller parler à leurs camarades et leur expliquer la présence des Anges bleu cobalt. Scipio ignora leurs regards abasourdis. Seul le médecin semblait peu impressionné.

La tente médicale, dit-elle en passant devant l’habitacle.

Scipio fit signe à Brakkius d’emmener Renatus pour que tous deux y soient soignés. Il attrapa Brakkius par le bras au moment où celui-ci s’exécutait et jeta un coup d’œil à sa charge.

Dans quel état est-il ?

Coma membraneux sus-an. Seul Venatio pourra l’en faire sortir.

Amène-le à l’intérieur et vois ce qui peut être fait pour ses blessures.

Brakkius essaya de masquer sa surprise.

Nous le laissons ici ?

Mieux vaut cela que le transporter à travers toutes les montagnes. Il sera plus en sécurité avec les humains. Nous reviendrons le chercher, frère.

Scipio laissa partir Brakkius et rattrapa Largo, qui attendait non loin. Cator, Garrik et Auris étaient restés en arrière pour surveiller l’entrée du camp. Les humains avaient disposé des sentinelles, mais elles n’étaient pas des Space Marines et Scipio se fiait plus que tout à ses Foudres.

En termes de défense, le camp des guérilleros laissait beaucoup à désirer ; il se réduisait après tout à une poignée de tentes, des barricades de barbelés et trois mitrailleuses sur trépied. Insuffisant pour repousser une attaque nécron déterminée, mais Scipio comprit que c’était la raison pour laquelle ils avaient disposé des brouilleurs. L’endroit était un lieu de regroupement et de repos, pas une forteresse.

Là-dedans, dit Jynn sans se retourner.

Scipio laissa Largo à l’extérieur. Il était seul avec le commandant de la guérilla dans ce qu’il pensait être son quartier général. Des cartes et des tableaux étaient affichés aux murs de toile. Un sac de couchage reposait dans un coin et un réchaud à butane éteint occupait le centre de la salle. Des baguettes lumineuses pendaient des cordages intérieurs et fournissaient la seule source de lumière. La lente bise qui se levait remuait les cordes. Dans le vacillement des ombres, Scipio découvrit des bombes artisanales et des grenades remisées çà et là. Quelqu’un avait dressé une table improvisée, elle aussi couverte de cartes et de graphiques.

Nous sommes tombés sur de nombreuses patrouilles lors de nos incursions dans les montagnes, expliqua Jynn.

Elle alluma le réchaud et se frotta les mains près de la flamme, puis lança un regard par-dessus son épaule à Scipio.

Vous générez beaucoup de chaleur, n’est-ce pas ?

L’Ultramarine haussa les épaules, autant que son armure lui en laissait la place. Elle disait vrai, mais le froid et la chaleur n’avaient aucune importance pour un être tel que lui.

L’un de vos générateurs nous aurait été précieux, au début.

Elle commença à se délester de son équipement et à s’extraire de sa combinaison.

Ça aurait rendu l’opération moins désagréable.

Jynn lui présenta son dos nu pour remplacer ses vêtements humides par des secs.

L’avantage d’avoir moins de bouches à nourrir, dit-elle avec tristesse, c’est qu’on a beaucoup de tissu de reste.

Les tatouages sur son cou descendaient sur son épaule et traversaient son dos, pour gagner la base de sa colonne vertébrale. Malgré sa nudité, Scipio ne détourna pas les yeux. Cela ne semblait pas poser de problème à Jynn.

Elle appela :

Densk !

Le barbu entra. Il eut un mouvement d’hésitation en voyant le Space Marine, mais le contourna finalement pour venir se placer à côté de Jynn.

Le réchaud est prêt, dit-elle. Trois marques.

Il y avait une tige en métal à côté du réchaud. Densk s’en saisit et l’appliqua à trois reprises sur la peau de Jynn, comme il en avait reçu l’ordre. Elle cilla à peine.

Lorsqu’il eut terminé, Densk versa un antiseptique sur une compresse et la posa sur les blessures, avant de quitter la tente aussi silencieusement qu’il y était entré.

Ces marques, demanda Scipio. Que signifient-elles ?

Elle courba le cou et toucha l’un des tatouages les plus hauts.

Des trophées. Une pour chaque tête de métal que j’ai abattue. Tous ceux qui vivent encore dans ce camp en ont.

Scipio compta au moins dix-sept marques. Il avait déjà vu des vétérans du chapitre faire des choses semblables sur leur armure.

Trois pour l’embuscade… C’est vous qui en avez le plus grand nombre, n’est-ce pas ?

Jynn collait des sparadraps sur ses blessures, mais avait du mal à atteindre la dernière.

Pourriez-vous m’aider ?

Je ne suis pas apothicaire, dit Scipio.

Il approcha quand même et appliqua le dernier pansement. Il dut se montrer particulièrement soigneux, car ses épais gantelets n’étaient pas adaptés à ce genre de gestes délicats, a fortiori lorsqu’il s’agissait de gestes médicaux.

Merci.

Jynn s’éloigna pour se glisser dans une combinaison sèche, puis un manteau, et lui fit face. Ses yeux étaient pareils à des éclats de glace.

Oui, c’est moi qui en ai le plus grand nombre. Et je compte bien en récolter deux fois, trois fois plus d’ici à ce que tous ces salauds aient été éradiqués.

Scipio reconnut quelque chose dans son comportement. Il avait l’impression de se voir dans un miroir. L’amertume, la colère impuissante. Il se demanda qui elle pouvait avoir perdu pour avoir cet état d’esprit.

Vous avez enterré de nombreux frères d’armes ?

Non, mais j’ai vu mourir beaucoup de collègues et d’amis. Et j’ai perdu ma famille, aussi – mon mari, mais pas à cause des nécrons.

Mes condoléances, dit-il sans toutefois ressentir de véritable compassion.

Il jeta un regard aux cartes et aux graphiques, en particulier à ceux qui s’étalaient sur la table.

Vous connaissez bien ces montagnes ?

Jynn aboya un rire sec.

Nous mourons et survivons parmi ces pics depuis plus d’un an. Oui, nous connaissons intimement ces montagnes.

Scipio se rapprocha de la table. Un marqueur était posé à côté de la carte ; il l’utilisa pour encercler les collines de Thanatos.

Et ici ? ajouta-t-il en traçant une flèche représentant l’angle d’attaque souhaité par les Ultramarines pour outrepasser le cordon défensif qu’avaient disposé les nécrons autour de leur artillerie. Connaissez-vous un moyen d’entrer dans ce secteur depuis cette direction ?

Jynn étudia la carte quelques instants, puis sourit à Scipio.

Maintenant, vous m’êtes doublement redevable.

Il lui lança un regard curieux.

Vous êtes différente de la plupart des humains que je connais.

La plupart des humains n’ont pas vu ce que j’ai vu, ni enduré ce que j’ai enduré.

Elle s’assit sur une caisse et commença à démonter ses armes.

Savez-vous combien de fois je suis morte dans cet enfer polaire ? Enfin, combien de fois j’ai failli mourir ?

Jynn tendit quatre doigts.

Ça pousse à envisager l’existence d’une manière différente.

Scipio veilla à garder une expression neutre, mais s’émerveilla de l’assurance du capitaine. Il y avait dans cette femme quelque chose de grand et d’impérissable. Malgré sa situation, ses guenilles, elle était bien plus que ce qu’elle paraissait être. Sa remarque n’était pas un manque de respect, Scipio ne le ressentait pas ainsi. Il y avait en elle une absence de peur, une détermination qui la faisaient sortir du lot des humains. Elle était d’une étoffe rare, souvent réservée aux généraux et aux grands chefs de guerre tels que Macharius, Creed et Yarrick. Elle n’était qu’une mineuse devenue guérillero, mais son charisme et sa présence étaient indéniables.

Doublement redevable ? Comment cela ? demanda Scipio, amusé.

Elle prit le marqueur et dessina un point au centre du cercle tracé par l’Ultramarine.

Nous sommes la réponse aux prières des Anges.