L’estomac
Par une belle et froide nuit d’hiver, la lune se pavanait dans le ciel, toute ronde et éclatante. Elle disait aux étoiles qui voulaient bien l’entendre :
— Regardez comme je suis la plus grande et la plus belle, plus grande même que l’astre du jour.
Un tout petit lac, perdu au milieu des immensités, l’entendit :
— Pas du tout ! Mais pas du tout ! répliqua-t-il. Regarde-moi et tu verras qui est le plus grand !
La lune se pencha et alla se refléter dans les eaux dormantes.
— Tu vois bien que je suis le plus grand, dit le lac. Regarde, je te contiens tout entière.
Leur dispute fit grand bruit et réveilla une petite souris qui sommeillait sur la rive. Elle ouvrit l’œil, regarda la lune et le lac, et s’exclama :
— Le plus grand de tous, c’est mon œil, puisqu’il contient à la fois le lac, la lune et toutes les étoiles du ciel.
Mais un oiseau de nuit qui rôdait dans les parages aperçut la petite souris. Il plongea sur elle et l’avala.
— Moi seul sais bien qui est le plus grand de tous : c’est mon estomac… car il contient à la fois la souris, son œil, le lac, la lune et toutes les étoiles du ciel.
D’après un conte inuit
On pourrait croire qu’il s’agit d’un conte sur l’orgueil. Mais la chute nous alerte sur un sens bien plus profond. Ce qui est la base même de la vie, c’est l’appétit, les « besoins du ventre ». Manger et être mangé sont le lot de toutes les créatures. Aussi orgueilleux que soit l’homme, y échappe-t-il vraiment ? N’est-il pas tenu par cet incontournable besoin ?